L’Unigenitus en frontière de catholicité. Pierre de Langle et ses correspondants (1711-1724), Édition critique par Philippe Moulis, Paris, Honoré Champion, 2016, 688 p.
Texte intégral
1Né en 1644, Pierre de Langle a été nommé relativement tardivement au siège épiscopal de Boulogne, en 1698, à l’âge de 54 ans. C’est grâce à la protection de Bossuet qu’il a pu avancer dans la carrière ecclésiastique. Docteur de Sorbonne en 1670, chanoine à Evreux quatre ans plus tard, il devient vicaire général du diocèse. Bossuet le recommande pour les places de précepteur du comte de Toulouse, fils illégitime du roi et de Madame de Montespan, puis de sous-précepteur de ses trois petits-fils, Bourgogne, Anjou et Berry. En 1696, il est désigné pour la fonction sratégique d’agent général du clargé de France, que vient récompenser la désignation pour le diocèse de Boulogne.
2Philippe Moulis qui s’est fait connaître par ses nombreux articles sur le jansénisme et la vie religieuse dans les diocèses du Nord de la France, a rassemblé pour ce volume trois-cent soixante six lettres éditées à partir d’originaux ou de copies. Il s’agit principalement de lettres envoyées par Pierre de Langle, mais aussi de lettres reçues, notamment des Noailles (Antoine, archevêque de Paris, et Gaston, évêque de Châlons), d’autres évêques ou de personnalités influentes comme Boursier ou Duguet. L’enquête a été conduite dans une quinzaine de dépôts d’archives ou de bibliothèques et notamment dans le fonds de Port-Royal aux Archives d’État à Utrecht. L’édition des lettres avec leur apparat critique est assortie d’une bibliographie, d’une chronologie détaillée, d’un index des noms de personne et d’une introduction qui présente le prélat et sa correspondance.
3La période couverte commence avec l’aggravation de la persécution louisquatorzienne contre les jansénistes et s’achève avec la mort de Pierre de Langle. P. Moulis montre, mais sans approfondir vraiment l’analyse, qu’on assiste à un véritable tournant dans l’attitude de l’évêque, entre 1705 et 1711. D’ailleurs, il ne nous dit pas pourquoi cette correspondance débute cette année-là : est-ce un choix, ou n’existe-t-il aucune lettre antérieure à cette date ? Les lettres de Pierre de Langle ayant fait l’objet d’une attention précoce et d’un vrai souci de conservation dans les réseaux jansénistes, cette lacune ne résulterait-elle pas de destructions délibérées ? Toujours est-il qu’en 1705, l’évêque de Boulogne publie un mandement très favorable à la bulle Vineam Domini par laquelle Clément XI condamne le « silence respectueux » à propos du formulaire antijanséniste exigé depuis Alexandre VII. Dans la célèbre affaire du « cas de conscience », Rome tranche : il convient de rejeter comme hérétiques, de coeur et non seulement de bouche, les cinq propositions condamnées depuis soixante ans par Rome. À cette date, Langle ne se range donc pas du côté des jansénistes : bien au contraire, il accepte « avec soumission et respect la Constitution du Saint Siège ».
4Douze ans plus tard, il fait partie des quatre évêques qui lancent l’appel contre la bulle Unigenitus. Dans le Nord du Royaume, il fait de son diocèse un refuge des appelants et des « anticonstitutionnaires ». Il semble que, pour une bonne part, les raisons de son revirement soient à rechercher d’abord dans sa proximité, voire son amitié, avec les Noailles. La suspicion croissante du roi à l’égard de l’archevêque de Paris peut avoir a conduit Langle a épouser peu à peu la sensibilité qui conduira à l’opposition à la bulle Unigenitus, puis à s’insérer progressivement dans les réseaux qui s’activent contre sa réception. C’est par exemple assez tardivement qu’il établit le contact avec le collège Saint-Magloire. Outre l’amitié, une deuxième raison le conduit à se ranger du côté de Noailles en 1711 et à organiser la défense de l’archevêque de Paris : le souci de protéger l’indépendance de l’épiscopat. Dès la première lettre du recueil on tombe sur cette affirmation révélatrice : « le coup qui vous était porté, tombait aussi sur tout le corps des évêques de France, qu’on voulait asservir et rendre dépendant ». Conviction gallicane et fidélité personnelle paraissent donc deux moteurs essentiels, bien plus que les questions purement théologiques qui semblent ici bien secondaires.
5L’intérêt de ce volume est de d’abord de rendre visible, selon l’expression de P. Moulis, les « quatre cercles » au centre desquels se trouve Pierre de Langle : les Noailles et les évêques qui lui sont proches, les port-royalistes ecclésiastiques et laïcs dont il se rapproche dans un second temps, la magistrature parisienne (notamment d’Aguesseau), les milieux ecclésiastiques du Nord de la France de part et d’autre d’une frontière de catholicité : d’un côté les régions anciennement françaises plus perméables au jansénisme, de l’autre les régions encore récemment sous domination espagnoles et marquées par le tropisme romain. Il est aussi de montrer comment un évêque peut essayer d’imposer sa sensibilité à son clergé et à ses ouailles et de quelle marge de manoeuvre il dispose pour cela. Autour de lui et de son enracinement local, s’articule toute une circulation d’informations, d’imprimés et d’hommes porteurs d’enjeux qui dépassent largement le cadre diocésain.
Pour citer cet article
Référence papier
Bernard Hours, « L’Unigenitus en frontière de catholicité. Pierre de Langle et ses correspondants (1711-1724), Édition critique par Philippe Moulis, Paris, Honoré Champion, 2016, 688 p. », Chrétiens et sociétés, 24 | 2017, 183-184.
Référence électronique
Bernard Hours, « L’Unigenitus en frontière de catholicité. Pierre de Langle et ses correspondants (1711-1724), Édition critique par Philippe Moulis, Paris, Honoré Champion, 2016, 688 p. », Chrétiens et sociétés [En ligne], 24 | 2017, mis en ligne le 12 avril 2018, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4249 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4249
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