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Dossier bibliographique
Recensions

Olivier Andurand La Grande Affaire. Les évêques de France face à l’Unigenitus, Coll. Histoire Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, 408 p.

Paul Chopelin
p. 176-179

Texte intégral

1Cet ouvrage constitue la version publiée des IIe et IIIe parties d’une thèse soutenue en 2013 à l’université Paris Ouest-Nanterre, sous la direction de Monique Cottret. L’auteur a choisi de reprendre le dossier du « second jansénisme » du xviiie siècle sous un angle original, en étudiant la réception de la bulle Unigenitus (1713) par le corps épiscopal français, des années 1710 aux années 1730. L’approche est particulièrement pertinente, dans la mesure où l’auteur ne cherche pas d’emblée à ranger les protagonistes de la « Grande affaire » entre jansénistes et anti-jansénistes, mais étudie les acteurs dans leur globalité pour restituer la complexité des prises de position des uns et des autres. Modèle du genre, l’introduction démontre la rigueur de la démarche, appuyée sur un corpus de sources variées et parfaitement maîtrisées : correspondances d’évêques, comptes rendus des assemblées du clergé, journaux, mémoires, lettres pastorales, catéchismes, rituels. Les annexes contiennent d’ailleurs une longue liste des sources imprimées qui rendra de précieux services (p. 347-367).

2La première partie revient sur les circonstances de la réception en France de la bulle Unigenitus, qui condamne cent une propositions des Réflexions morales (1694) de Pasquier Quesnel. Sont successivement étudiés la genèse du texte pontifical, sa réception par l’autorité civile et les autorités ecclésiastiques, l’appel au concile général de quatre évêques, appuyés par la Sorbonne (1717), le concile provincial d’Embrun (1727) qui suspend Jean Soanen, l’évêque de Senez, et, enfin, la mise au pas du cardinal de Noailles, l’ondoyant archevêque de Paris (1728). Chaque étape de ce conflit est minutieusement reconstituée, en prenant en compte tous ses enjeux politiques et ecclésiologiques. Si, dans leur très grande majorité, les évêques se soumettent au pouvoir royal en acceptant la bulle sans discussion, c’est moins par soumission aveugle que par désir de maintenir la paix religieuse dans le pays. L’analyse des mandements publiés à cette occasion laisse percevoir en réalité une position extrêmement critique à l’égard de l’autoritarisme romain, au nom des libertés de l’Église gallicane.

3La seconde partie étudie plus précisément les effets du conflit sur les pratiques religieuses, en commençant par la politique du miracle déployée par les partisans de l’appel pour justifier leur cause. Si le sujet est aujourd’hui bien connu, Olivier Andurand s’intéresse plus particulièrement sur la façon dont les miracles sont utilisés par les jansénistes pour soutenir ou discréditer l’action des évêques impliqués dans la querelle. En 1745, la publication de L’Esprit de Jésus-Christ et de l’Église sur la fréquente communion du jésuite Jean Pichon, très critique à l’égard de la position d’Antoine Arnauld, lui-même favorable à une communion rare et bien préparée, permet à l’épiscopat de réaffirmer ses prérogatives pastorales. En condamnant cet ouvrage, les évêques français entendent rappeler à Rome qu’ils restent fidèles aux principes de la théologie gallicane du Grand Siècle incarnée par le « Grand Arnaud ». Acceptation de la bulle Unigenitus ne vaut pas soumission à la théologie jésuite ! À cette occasion, les Nouvelles ecclésiastiques, le périodique clandestin de la mouvance janséniste, s’imposent comme un incontournable relais d’informations et en profitent pour élargir considérablement leur lectorat. La promotion du culte des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie s’inscrit elle aussi dans le contexte de la querelle de l’Unigenitus. En 1729, Languet de Gergy, évêque de Soissons, publie la biographie « canonique » de Marguerite Marie Alacoque, la visitandine de Paray-le-Monial qui reçut les apparitions du Christ (1675), à l’origine du renouveau du culte du Sacré Cœur. La religieuse est ainsi érigée en contre-modèle, face au diacre Pâris, le « saint » des jansénistes. De son côté, le P. Gallifet, un jésuite, travaille ardemment à la propagation du culte du Sacré Cœur, en dépit des réserves théologiques de la curie romaine, qui finit par refuser d’officialiser une fête spécifique (1729). Par la suite, promouvoir le culte du Sacré Cœur apparait à beaucoup d’évêques comme une façon de lutter contre la piété janséniste tout en manifestant leur autonomie à l’égard du Saint-Siège, toujours au nom des traditions gallicanes.

4La troisième et dernière partie s’intéresse quant à elle aux effets du conflit sur l’administration des diocèses. Là encore, la défense du bréviaire de Paris (1736) est un moyen utilisé par les évêques pour défendre les libertés de l’Église gallicane, en dénonçant notamment l’insertion dans le bréviaire romain (1725) de la légende Grégoire VII, perçue comme un manifeste ultramontain. Néanmoins, les jansénistes étant en pointe dans cette affaire, les évêques se montrent très mesurés dans leurs critiques pour ne pas paraître se ranger aux positions des Nouvelles ecclésiastiques. Caylus, l’évêque d’Auxerre, se retrouve bien seul lorsqu’il dénonce publiquement l’inanité de la légende de Grégoire VII. Même embarras autour du très gallican missel de Troyes (1736), loué par les jansénistes, mais vertement critiqué par Languet de Gergy, archevêque de Sens, siège métropolitain dont dépend le diocèse de Troyes. L’évêque du lieu, Bossuet, un neveu de l’Aigle de Meaux, doit accepter, sous la pression, de réviser son texte avant d’être progressivement poussé à la démission (1742), mais la position de Languet de Gergy, jugée trop radicale, est loin de faire l’unanimité au sein de l’épiscopat. Finement analysés, les catéchismes sont également très révélateurs des différentes prises de position des évêques à l’égard du jansénisme. Ainsi, face au très intransigeant catéchisme de Sens, promu par Languet de Gergy, s’oppose le plus conciliant catéchisme d’Auxerre de Mgr de Caylus, ce qui provoque de nouvelles frictions au sein de l’épiscopat et des clergés diocésains concernés. Les Nouvelles ecclésiastiques s’empressent d’entretenir ces dissensions pour mieux défendre leurs propres positions théologiques.

5Rigoureux, sans jamais être ennuyeux, grâce à une langue claire et agréable, cet ouvrage constitue un apport déterminant à notre connaissance du corps épiscopal français du xviiie siècle. En reconstituant avec minutie les différentes prises de position des uns et des autres, caractérisées par un profond désir de modération, il permet d’affiner la notion de « tiers-parti » telle que définie jadis par Émile Appolis. Olivier Andurand a depuis poursuivi cette réflexion à une plus large échelle dans le cadre d’un récent colloque (2016) co-organisé avec Albane Pialoux.

6Appuyée sur une bibliographie parfaitement maîtrisée, la méthode d’analyse déployée par l’auteur est exemplaire. Elle permet de poser un jalon important dans le champ des études jansénistes et, plus généralement, de l’histoire de la théologie à l’époque moderne. Elle démontre tout l’intérêt de travailler sur des corpus imprimés en s’intéressant aussi bien au discours qu’aux conditions de leur élaboration, de leur circulation et de leur réception, en croisant les différentes sources à disposition du chercheur. Ce travail appelle de multiples prolongements, clairement indiqués dans les riches conclusions de chapitres et de parties. Le cadre méthodologique défini par Olivier Andurand pourrait ainsi être utilisé avec profit pour étudier la réaction de l’épiscopat du second XVIIIe siècle au défi de la philosophie et de la tolérance, afin de renouveler les synthèses classiques de Michel Péronnet (1977) et de Nigel Aston (1992). On peut d’ailleurs formuler une réserve quant au jugement quelque peu hâtif porté sur le cardinal de Bernis dans la conclusion générale de l’ouvrage : loin des habituelles caricatures casanovesques, il fut lui aussi un évêque exemplaire, qui apporta un grand soin à l’administration de son diocèse d’Albi, qu’il dirigeait très efficacement depuis Rome par l’intermédiaire d’hommes de confiance placés à des postes clés. Après la publication du colloque Les évêques des Lumières (dir. Stéphane Gomis, 2015), les perspectives stimulantes ouvertes par la thèse d’Olivier Andurand établissent incontestablement la nécessité d’une réévaluation d’ensemble de l’action de ces évêques du xviiie siècle, encore si mal-aimés de l’historiographie.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Chopelin, « Olivier Andurand La Grande Affaire. Les évêques de France face à l’Unigenitus, Coll. Histoire Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, 408 p. »Chrétiens et sociétés, 24 | 2017, 176-179.

Référence électronique

Paul Chopelin, « Olivier Andurand La Grande Affaire. Les évêques de France face à l’Unigenitus, Coll. Histoire Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, 408 p. »Chrétiens et sociétés [En ligne], 24 | 2017, mis en ligne le 10 avril 2018, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4239 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4239

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