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Dossier bibliographique
Recensions

François Euvé, Mathématiques, astronomie, biologie et soin des âmes. Les jésuites et les sciences, Bruxelles, Editions Lessius, 2012, 151 p.

Noémie Recous
p. 207-208

Texte intégral

1Le petit volume de François Euvé se donne pour mission de mettre en lumière les contributions des jésuites aux découvertes et pratiques scientifiques depuis la création de l’ordre jusqu’à nos jours. L’auteur s’interroge sur l’existence d’une « science jésuite », qui aurait joué un rôle clef dans l’avènement de la science moderne (l’expression science moderne renvoyant aux sciences physiques, mathématiques et de la nature). La démonstration s’ouvre par un chapitre présentant l’enseignement des sciences au xvie siècle, sa place limitée dans la hiérarchie scholastique des savoirs et la progressive valorisation des mathématiques, à l’époque où est fondé l’ordre d’Ignace. L’auteur souligne la place particulière qu’occupent les mathématiques dans l’enseignement proposé par les jésuites, par rapport à l’enseignement scholastique traditionnel. Cet intérêt jésuite pour les mathématiques a contribué à l’avènement plus général de la discipline comme nouveau mode d’explication du monde, en d’autres termes à la « mathématisation du monde », processus identifié comme fondateur de la science moderne. Les chapitres II à V s’articulent autour de figures de jésuites dont le rôle fut important dans l’évolution des sciences et dans leur enseignement : Christoph Clavius, artisan de la réforme du calendrier du pape Grégoire XIII, Athanase Kircher, curieux de l’ensemble du monde qui l’entoure, Roger Boscovich, newtonien et « sceptique modéré » (p. 63). Le chapitre III fait exception, s’intéressant aux rapports entre Galilée et les jésuites. Y est critiquée l’idée commune selon laquelle ces derniers auraient été les premiers adversaires de Galilée. Une vision plus nuancée des degrés d’appropriation et de rejet des travaux du savant italien au sein de la Compagnie est proposée. À ces portraits succèdent des chapitres thématiques touchant la mission scientifique en Chine (chapitre VI), les observations du ciel (chapitre VII) et l’histoire naturelle (chapitre VIII). Très détaillés, ils sont l’occasion de faire émerger d’autres figures intéressantes, à l’instar de Pierre Teilhard de Chardin, dont les travaux et la pensée sont présentés en détails. Le dernier chapitre quant à lui revient sur la pertinence de l’expression « science jésuite », et évalue les contributions concrètes et intellectuelles de la Compagnie à l’histoire des sciences et aux recherches actuelles.

  • 1 On peut citer le numéro thématique dirigé par Antonella Romano (de laquelle la bibliographie ne com (...)

2L’ouvrage apporte des éléments factuels et des cas documentés intéressants et accessibles à un large public. Il a pour objectif clair de démontrer, en peu de pages, que les jésuites n’ont jamais rejeté la science, ni même ses résultats, du moins jamais par principe et de manière unanime. Toutefois, on peut regretter que dans cette entreprise, les évolutions historiographiques de ces dernières décennies ne soient pas évoquées, à l’image des travaux sur le rôle des réseaux jésuites dans la transformation des savoirs à l’époque moderne1. La bibliographie est très succincte, et n’offre pas de réelles pistes d’approfondissement de la question. L’histoire des sciences dans laquelle ce travail s’inscrit est pour sa part assez datée : l’ensemble conserve une tonalité positiviste, éclatante dans certaines expressions telles que « accompagner l’aventure humaine » (p. 12), à propos des jésuites engagés dans les pratiques savantes. La contextualisation par rapport aux courants intellectuels est un peu abstraite : il aurait été intéressant de mentionner, à titre de comparaison et même brièvement, le rapport d’autres ordres et confessions à l’émergence de ces sciences nouvelles, afin de réinscrire la Compagnie dans un contexte intellectuel global, et ainsi de mieux percevoir la spécificité de la démarche jésuite. L’empathie manifeste de l’auteur avec les acteurs mentionnés le pousse en outre à présenter les missions comme de simples entreprises de « transmission du christianisme » (p. 83), laissant de côté les enjeux impériaux forts que comportaient ces missions, aux époques moderne et contemporaine. Enfin, la défense de l’existence d’une « science jésuite » est peu convaincante, dans la mesure où les spécificités jésuites se situent plus dans les motifs et motivations des savants et scientifiques, marqués par des considérations théologiques et spirituelles, que dans une épistémologie spécifique. De ce point de vue, il n’y a donc pas de science jésuite mais des jésuites, pratiquant les sciences, par le biais de réseaux et de dispositifs, il est vrai, qui leur furent et leur sont propres.

3L’ensemble du propos est volontairement situé, le point de vue est interne et il ne s’en cache pas. L’objectif est de fournir une réserve d’exemples à qui souhaiterait prouver que les jésuites ont été et sont favorables aux sciences. Écrit à destination du grand public, cet ouvrage manque pourtant, pour l’historien.ne, de contextualisation historique et historiographique. Il est révélateur d’une volonté des jésuites contemporains de réaffirmer leur présence historique dans le champ des sciences, et de revendiquer ainsi une position légitime dans le champ scientifique actuel, à une époque où le religieux relève avant tout de la sphère privée.

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Notes

1 On peut citer le numéro thématique dirigé par Antonella Romano (de laquelle la bibliographie ne comporte qu’une seule référence), « Sciences et mission : le cas jésuite », Archives internationales d’histoire des sciences, n°148, 2002 ; mais aussi l’ouvrage plus général dirigé par Charlotte de Castelneau-L’Etoile, Marie-Lucie Copete et Aliocha Maldavsky, Missions d’évangélisation et circulation des savoirs xvie-xviiie siècles, Madrid, Casa de Velasquez, 2011.

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Pour citer cet article

Référence papier

Noémie Recous, « François Euvé, Mathématiques, astronomie, biologie et soin des âmes. Les jésuites et les sciences, Bruxelles, Editions Lessius, 2012, 151 p. »Chrétiens et sociétés, 23 | -1, 207-208.

Référence électronique

Noémie Recous, « François Euvé, Mathématiques, astronomie, biologie et soin des âmes. Les jésuites et les sciences, Bruxelles, Editions Lessius, 2012, 151 p. »Chrétiens et sociétés [En ligne], 23 | 2016, mis en ligne le 09 février 2017, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/4130 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.4130

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