Jésuites et Cisterciens dans la France des premiers Bourbons : un aspect de l’antijésuitisme ?
Résumés
Alors que l'historiographie a montré la diversité et la plasticité de l'antijésuitisme, ce dernier trouve avec les moines cisterciens une figure qui s'ajoute aux précédentes dans la seconde moitié du XVIe siècle. Intra-ecclésial, cet antijésuitisme se fonde sur une opposition tranchée entre le monachisme traditionnel et la congrégation séculière. Il se développe particulièrement avec la politique des Jésuites dans le royaume de France dans les années 1600-1610. Se pose ainsi le problème des rapports entre ces deux acteurs de la Réforme catholique, soit à la fois leur rivalité (et notamment la politique cistercienne de défense antijésuite), et leur complémentarité (l'ambivalence de leur relation ne se réduit pas à une opposition). En effet, l'antijésuitisme largement militant et défensif des Cisterciens est juxtaposé avec des attitudes de conciliation voire de faveur, attitudes qui invitent à réfléchir aux modalités différentes selon lesquelles des hommes de la même génération et de la même confession ont investi la crise politico-religieuse de la fin du XVIe siècle et l'un des remèdes proposés, la Societas Jesu. En ce sens se dégage, au-delà des oppositions contextuelles et fortes, une forme de complémentarité ecclésiologique entre ces différents religieux.
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- 1 Étienne Pasquier, Les recherches de la France, revues et augmentées de quatre livres, Paris, Metta (...)
On les somme qu’ils eussent à respondre categoriquement sur ce poinct, et mesmement s’ils estoient, ou religieux, ou seculiers1.
- 2 Ibid., p. 172r.
1En critiquant dans Les recherches de la France, dont la première édition est parue en 1560, le caractère ambivalent des membres de la Compagnie de Jésus, Étienne Pasquier souligne avec une certaine virulence ce qu’il perçoit comme une nouveauté peu tolérable. Fort du décret de la Faculté de théologie de Paris en 1554, Pasquier entend « avecq toute seurté de [sa] conscience combattre en camp clos, ce monstre, qui, pour n’estre ny seculier, ny regulier, estoit tous les deux ensemble, et partant introduisoit dedans nostre Église un ordre hermaphrodite »2. C’est peu dire que cette hostilité recoupe celle, ouverte ou diffuse, qui caractérise maints réguliers étonnés puis opposés à la nouvelle congrégation. Parmi ces derniers se trouvent notamment les moines cisterciens, dont le réseau international d’abbayes se trouve aux xvie et xviie siècles confronté à ce nouvel acteur. Dans le contexte de la catholicité moderne, la permanence de cet ordre médiéval impose aux moines qui le gouvernent une gestion à la fois locale (monastères de Cîteaux en Bourgogne, Clairvaux en Champagne, Vaucelles en Flandre ou Chiaravalle Milanese en Lombardie par exemple), provinciale (impliquant des relations suivies avec les diverses institutions provinciales, comme le parlement de Toulouse pour les abbayes de Boulbonne ou Bonnefont-en-Comminges), étatique (comme les monastères de Poblet ou Santes Creus dans la principauté de Catalogne) et supranationale (comme le procureur général de l’ordre en cour de Rome pour représenter les intérêts des Cisterciens auprès du souverain pontife). À chacune de ces échelles de gouvernement se place progressivement un acteur en pleine expansion : la Compagnie de Jésus.
- 3 Bernard Hours, Histoire des ordres religieux, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 73
2Fondée en 1534 et approuvée par Rome en 1540, la Compagnie forme un acteur de poids dans les tensions que les Cisterciens ont été amenés à résoudre à compter du xvie siècle. Présente dans l’ensemble de la catholicité moderne, la Compagnie a gagné rapidement en influence, incarnant et bénéficiant tour à tour de la centralisation romaine. Ce n’est pas que le nombre de ses membres soit extraordinaire à cette date, puisqu’il se trouve 1 000 Jésuites environ en 1556, pour 13 000 en 16153. La Compagnie compte donc un nombre de membres inférieur à celui des Cisterciens au milieu du xvie siècle, et environ équivalent au début du xviie siècle, pour autant que l’on puisse compter les contemplatifs.
- 4 Il existe certaines interventions marquantes comme celles d’Ilarione Rancati, mais il s’agit d’un (...)
- 5 Pierre-Antoine Fabre et Catherine Maire (dir.), Les antijésuites. Discours, figures et lieux de l’ (...)
- 6 Pour reprendre le titre d’Anthony David Wright, Divisions of French Catholicism, 1629-1645 : ‘The (...)
3Toutefois, si les interventions de Cisterciens dans les affaires de la Compagnie sont rares ou de peu d’importance4, la présence de la Compagnie dans les affaires cisterciennes offre en revanche un caractère récurrent. Alors que l’historiographie récente a montré à la fois la diversité, la plasticité et même l’ambiguïté de l’antijésuitisme5, la position des ordres monastiques fondés au Moyen Âge peut être l’objet d’un questionnement spécifique, à partir de l’exemple cistercien : quelle attitude les Cisterciens ont-ils adopté face à la Compagnie en plein essor ? Comment peut-on caractériser les rapports entre ces deux mouvements issus du monde régulier, l’un selon la tradition médiévale bénédictine, l’autre selon la forme moderne de la congrégation, en pleine Réforme catholique ? Dans la France des premiers Bourbons, le contexte est celui des divisions du catholicisme français, ravivées et développées après la pacification henricienne6. Sans qu’il soit possible de tracer ici un tableau complet du fait de l’ampleur internationale de la Compagnie et du réseau demeuré transnational de l’ordre de Cîteaux, on s’interrogera à la fois sur la rivalité, soit la politique cistercienne de défense antijésuite, et sur la complémentarité, soit le dépassement de cette figure exacte dans l’ambivalence d’une relation qui ne se réduit pas à une opposition.
Une figure cistercienne de l’antijésuitisme : le cas de La Flèche
- 7 « Le mythe jésuite » en tant que « menace protéiforme, invisible, omniprésente ». Michel Leroy, Le (...)
- 8 Eric Nelson, The Jesuits and the Monarchy. Catholic Reform and Political Authority in France (1590 (...)
- 9 Pierre-Antoine Fabre, « Où en sommes-nous de l’histoire des Jésuites ? Résultats de travaux », in (...)
4Alors que « le mythe jésuite » n’a pas encore marqué l’imaginaire politique7, l’antijétuisime trouve toutefois dans la seconde moitié du xvie siècle avec les moines blancs une figure qui s’ajoute nettement aux précédentes. L’antijésuitisme des Cisterciens se fonde sur une opposition tranchée entre le monachisme bénédictin traditionnel et la congrégation séculière née au siècle du schisme protestant. Cet antijétuisime, que Bernard Hours a pu qualifier d’intra-ecclésial, se développe particulièrement avec la politique délibérée et concertée des Jésuites en France dans les années 1600-1610. Réfléchie et construite avec leurs avocats, la stratégie adoptée par la Compagnie aboutit à l’union forcée des menses des abbayes anciennes avec les collèges nouveaux qui sont en cours de fondation sous leurs auspices. Comme l’État du temps des guerres de Religion cherchant à accaparer les biens du clergé pour payer les soldes, la Compagnie du temps de la pacification henricienne déploie une activité intense pour se faire attribuer les revenus de nombreux convents. Or les Jésuites reviennent dans le jeu politique par le moyen du patronage royal et du service de la monarchie8. Ils ont désormais l’oreille du roi par le moyen de son confesseur Pierre Coton, qui rencontre Henri IV en mai 1603 et remplace peu à peu René Benoist. Si l’on prend en compte à la fois « la puissance de la confession dans le cérémonial du pouvoir monarchique moderne » et « la place des Jésuites, qui ont fait de la conquête de cette confession l’un de leurs objectifs dans les différentes cours où ils sont actifs »9, ce point est déterminant. Après leur expulsion, ils sont autorisés à retourner en France par l’édit de Rouen en septembre 1603 : ils portent alors avec le soutien d’Henri IV le projet de fondation de dix-huit collèges, dont sept sont établis dans l’année qui suit.
- 10 Henri Fouqueray, Histoire de la Compagnie de Jésus en France des origines à la suppression (1528-1 (...)
- 11 Bernard Barbiche (éd.), Lettres de Henri IV concernant les relations du Saint-Siège et de la Franc (...)
- 12 Sylvio Hermann De Franceschi, La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme (...)
5Au milieu de ce regain, l’établissement du collège de La Flèche en Anjou est la première fondation royale, heurtant de front les intérêts cisterciens. Bien documenté, ce cas fait apparaître trois axes : la position jésuite soutenue par le roi très chrétien, la position cistercienne défendant ses monastères, et la position romaine globalement favorable à la Compagnie mais encadrant voire limitant ses projets initiaux. Attaché à La Flèche, Henri IV accorde 100 000 écus en août 1606 pour pourvoir à toutes les dépenses10. Il porte durablement son attention à l’avancement du projet, écrivant par exemple au pape en avril 1607, puisque le progrès du collège dépend des faveurs pontificales11, et cela alors que les cours européennes bruissent de l’Interdit vénitien12.
- 13 Cette abbaye est généralement présentée comme l’une des plus riches de l’Anjou, au moins jusqu’au (...)
- 14 Argouges de Rannes, Factum pour dom Jean Petit, chef et supérieur général de l’ordre de Cîteaux, e (...)
6Pour financer le nouveau collège, Henri IV prévoit notamment de démembrer certains biens appartenant à l’ordre de Cîteaux. Fixant par l’acte de fondation de mai 1607 le revenu à 20 000 livres de rente par an, il constitue pour cela un fonds qu’il ne peut prendre sur son domaine. En conséquence, le fonds est assigné sur différents établissements religieux, dont l’abbaye prémontrée de Mélinais13 et les prieurés de Saint-Jacques, de Luché et de Lecheneau, qui sont unis au collège, ainsi que la mense abbatiale de Bellebranche, abbaye de cisterciens au diocèse du Mans. L’union de cette mense et du collège est confirmée par des bulles de Paul V en 1607, à la condition expresse que la conventualité soit à toujours observée en l’abbaye de Bellebranche14.
7Nicolas Boucherat, abbé et général de l’ordre de Cîteaux (1604-1625), ayant à ce titre l’entier pouvoir du chapitre général des Cisterciens, rapporte ainsi en juin 1607 les pressions dont son ordre est l’objet :
- 15 Arch. dép. Nord, 27 H 73, fol. 11r. Lettre de N. Boucherat à Vincent de Longuespée, abbé de Loos, (...)
L’on nous faict icy une autre affaire qui est de beaucoup plus grande consequence, car on nous veult oster quelques monasteres de nostre ordre voisins de La Fleiche, pour attribuer entierement le revenu d’iceluy au college des Jesuistes que l’on y basti15.
8L’abbé de Cîteaux, qui pense s’adresser au roi dès le retour de ce dernier de Fontainebleau, sait déjà
- 16 Ibid., fol. 11r.
que s’il le veult d’une authorité absolue, nous n’y pourrons resister, et m’a[-t-]on dit que si le procureur de l’ordre s’y opposoit en cour de Rome, qu’il luy feroit chose fort dessagreable, et tous autres qui ne consentiroient à cette sienne volonté16.
- 17 Arch. dép. Nord, 27 H 73, fol. 12r. Lettre de N. Boucherat [à Bernard de Montgaillard, abbé d’Orva (...)
9Devant la volonté du prince, l’abbé général paraît abandonner la défense de ses intérêts avant même que le roi n’ait tranché en dernier lieu le différend. Il est remarquable que l’un des moyens les plus efficaces dont Cîteaux dispose en la personne du procureur général de l’ordre à Rome soit sciemment sous-utilisé à ce moment de l’affaire, quand la Compagnie à l’inverse mobilise son centre romain. Pourtant, au-delà du temporel de Bellebranche, la question ne paraît pas pour Boucherat de peu de conséquence, puisque si Henri IV décide de son autorité de bailler l’un ou l’autre des monastères cisterciens aux Jésuites pour constituer la dotation du collège de La Flèche, cela « sera une chose de très mauvaise consequence pour nostre ordre, car s’il arrive le cas pareil pour les autres princes souverains, sa protection ne nous sera pas si forte, qui pourra estre debatue par exemple »17. Devant le caractère exemplaire du dégât, Boucherat réunit au printemps 1608 à Paris les premiers pères pour faire converger les soutiens de l’ordre afin de rédiger des remontrances circonstanciées. Selon l’usage de ce type de texte, le trait est chargé puisque la suppression demandée de Bellebranche
- 18 Arch. dép. Haute-Marne, 19 J 10, fol. 226r. Copie contemporaine des remontrances de N. Boucherat à (...)
va enthierement à la desunion, ruine et dissipation d’un des plus celebres et plus anciens ordres de la Chrestienté. Vostre royaulme, Sire, a cest avantage par dessus tous les autres de la Chrestienté, que la pluspart des chefs des anciens ordres y sont fondés et establis, et soubz vostre authorité commendent à tous les abbés et religieulx des autres royaulmes, qui les ont tousjours recogneu pour superieurs18
10soit notamment la Grande Chartreuse, Cluny, Grandmont, Prémontré, le Val-des-Écoliers ou le Val-des-Choux.
11Dans cette perspective, les Cisterciens adossent la défense de leur chef d’ordre aux intérêts de la couronne de France : heurter les droits cisterciens revient à blesser l’autorité royale. En ce sens, les religieux assignent au roi de France la mission de préserver l’identité bénédictine en général et cistercienne en particulier face aux novations des Jésuites. Les remontrances de 1608 indiquent ainsi que
- 19 Arch. dép. Haute-Marne, 19 J 10, fol. 226v. Chaque compliment envers les Jésuites précède et dissi (...)
les peres jesuites sont gens pleins d’erudition, qui font principallement profession des bonnes lettres pour l’instruction de la jeunesse, qui est partye recommandable et non moins necessaire en ce siècle. Mais ceulx qui se sont retirés de la meslée du monde et cherche [sic] le repos de la solitude pour passer leur vye en prieres et veulx perpetuelz, ne sont pas à rejecter, la vye contemplative ayant ses necessités à part, qui luy donnent en beaucoup d’endroicts l’advantaige sur la vye active19.
- 20 « Figure majeure des nouvelles formes d’association religieuse sans clôture, engagée sur le terrai (...)
12Dans l’économie spirituelle du royaume, les contemplatifs ont non seulement toute leur place, ancienne et légitime, mais occupent une place supérieure à celle des actifs. Se consacrer à la méditation, à la prière et à la contemplation de Dieu dans l’ascèse quotidienne est la justification des Cisterciens face aux Jésuites, dont l’utilité sociale leur apparaît seconde parce que mondaine, et dont la menace est troublante puisqu’à l’intersection du monde et de la clôture. Les moines blancs constituent ainsi l’une des sources modernes, parmi d’autres, de l’antijésuitisme, qui se caractérise par la diversité des fronts opposés à la Compagnie dès son expansion20. L’âge d’or de la vita contemplativa n’est pas mort au Moyen Âge, du moins dans la lettre et sans doute dans l’esprit des supérieurs cisterciens au début du xviie siècle, malgré les succès et la pression de la vita activa.
- 21 Paolo Prodi, « Nouveaux ordres religieux et identité capucine dans l’Église de l’époque moderne »,(...)
- 22 Au Moyen Âge, les Dominicains « ont été entre les mains de la papauté, également entre les mains d (...)
- 23 Contrairement aux traités jésuites du prince chrétien, qui constituent à l’instar de celui de Bell (...)
13En défendant la nécessité de la vie contemplative, les religieux cisterciens s’inscrivent dans la longue tradition orthodoxe développée à Cîteaux dès la fondation. La méditation des textes sacrés, l’ascèse et la contemplation ne constituent aucunement un monopole cistercien, pas même à l’époque moderne, et de nouveaux ordres religieux incarnent quotidiennement ces dimensions dans la Réforme catholique comme les Capucins21. Marqués comme leurs contemporains par le déchirement de la chrétienté et revigorés par le renouveau religieux, les Cisterciens n’empruntent pas toutefois les voies nouvelles mais se refondent sur les traditions médiévales. Ces moines ont été formés pour célébrer l’opus Dei et sont fidèles à la dévotion mariale, qui se diffuse notamment par le moyen de l’imprimerie. Lorsque les moines remontrent à Henri IV la nécessité de la vie contemplative cistercienne, il s’agit donc d’une rhétorique visant non pas seulement à défendre un bénéfice monastique assis sur quelques arpents de terre, mais à convaincre de l’actualité de communautés cloîtrées ayant pour vocation la prière. Le lien indissoluble entre la vie contemplative et le temporel cistercien est issue de la formation féodale de l’ordre, et de la même manière qu’au Moyen Âge les Dominicains avaient opposé au droit féodal favorable à l’expansion cistercienne un autre modèle, les Jésuites à l’époque moderne introduisent des constitutions nouvelles et un rapport neuf à la papauté et aux monarchies22. Le discours cistercien, qui n’est pas toujours audible en dehors du cloître et notamment à la cour de France en raison de son archaïsme apparent23, n’est pas réservé à cette dernière, puisque face aux Jésuites le soutien de Rome est aussi indispensable.
14Après les remontrances au roi, l’abbé de Cîteaux engage des démarches plus larges qui permettent de mesurer à la fois l’étendue des forces cisterciennes et leurs limites face à la puissante Compagnie. Boucherat mande à Denis Largentier, abbé de Clairvaux (1595-1624), d’écrire au nom de l’ordre au cardinal de Givry, protecteur de l’ordre de Cîteaux en cour de Rome :
- 24 Lettre de D. Largentier à Anne d’Escars, cardinal de Givry, Paris, 2 juillet 1608, éditée in Johan (...)
Monsr nostre Rme de Cisteaux m’a chargé de la sollicitation contre la suppression de Bellebranche. J’y ay tenu toutes les voies les plus doulces que j’ay pu, et recherché les peres jesuistes pour leur faire entendre les consequences de telle ouverture, les griefz des religieux et de l’ordre, les clameurs du peuple, le desgoutz du parlementz et l’opposition que pretend faire Monsr le mareschal de Boisdaulfin fondateur24.
- 25 Archidiacre de Reims et aumônier du roi, François Brulart est abbé commendataire de La Valroy (159 (...)
- 26 Soit le commandeur Noël Brulart de Sillery, par l’intermédiaire d’un bourgeois de Troyes, Claude L (...)
15Les religieux bénéficient donc de l’appui d’Urbain de Laval, marquis de Sablé et maréchal de Boisdauphin, titulaire de l’ordre du Saint-Esprit et gouverneur d’Anjou, qui représente les intérêts des premiers donateurs de Bellebranche et garantit leurs intentions contre l’extinction du service divin. Plaidant pour que Bellebranche conserve un abbé électif, Largentier est chargé en outre de soutenir à nouveau devant Henri IV la cause cistercienne et de donner un mémoire justificatif au chancelier Nicolas Brulart de Sillery. La famille de ce dernier, comme la majorité des robins, a des intérêts directs dans le système bénéficial qui affecte l’ordre, l’un des frères de Brulart étant par exemple commendataire des cisterciens de La Valroy25, et un autre est seigneur de Sancey en Champagne, seigneurie dont l’un des censitaires est un parent du même Largentier26. L’ensemble du dispositif cistercien est progressivement mis en place pour soutenir les droits de Bellebranche.
- 27 Le roi indemnise aussi François de Donadieu, commendataire de Bellebranche et évêque d’Auxerre, en (...)
- 28 Sur son rôle à Rome, dans la péninsule ibérique, dans le monde missionnaire au Pérou, aux Philippi (...)
- 29 Lettre citée par H. Fouqueray, Histoire de la Compagnie..., op. cit., t. III, p. 22, n. 4.
- 30 Ibid., p. 22, n. 4.
16Les moyens utilisés par les religieux produisent partiellement leur effet. Suite aux remontrances des Cisterciens et suivant le conseil des Jésuites, Henri IV accorde des compensations pour indemniser l’ordre27. Afin d’adoucir les récriminations cisterciennes, Claudio Acquaviva (Ill. 1), supérieur général des Jésuites (1581-1615), dont le rôle est tel dans la structuration de la Compagnie qu’il est parfois considéré comme le second fondateur après Ignace de Loyola28, écrit en août 1608 au marquis de La Varenne touchant « la continuelle difficulté et reproche que nous font les religieux de Cisteaux et par consequent encore beaucoup d’aultres, pour le regard de la suppression des moyens de l’abbaye de Bellebranche unie au college de La Flesche, laquelle ils ne peuvent supporter nonobstant la volonté expresse du roy »29. Acquaviva est sensible notamment à « l’importance et consequence de l’affaire et la hayne que tous les religieux concevraient contre nous », et il écrit même que les Cisterciens « ont raison à desirer que l’on ne supprime leurs subjects »30. L’affaire est en effet moins importante pour le couvent cistercien lui-même, en commende depuis longtemps déjà, diminué par les aliénations et ravagé par les pillages, que pour le principe juridique : l’extinction d’un titre abbatial à des fins purement matérielles. Acquaviva enjoint à Coton de conseiller la modération au roi afin que ce dernier ne passe brutalement outre les droits de l’ordre de Cîteaux. Ces démarches avaient été précédées d’une correspondance diplomatique et apaisante avec Boucherat, qui écrivait au début de 1608 à son procureur à Rome pour lui adresser
- 31 Bib. Apost. Vat., Barb. lat 3235, fol. 105r. Lettre de Boucherat à Tiraqueau, procureur général de (...)
un autre blanc de ma part en particulier au pere general desdicts Jesuistes, que vous remplirés avec plus de douceur et moins d’aigreur qu’à la generalité. J’entends qu’il est bon religieux et amateur de la paix, que ses supposts entreprenent quelques fois sur les autres, oultre son sceu et intention31.
17En outre, pour dédommager l’ordre et faire fléchir son abbé général, Henri IV donne à Cîteaux les deux menses de l’abbaye de La Bussière.
- 32 Ce calcul ne prend pas en compte les 15 000 livres de rente de la mense conventuelle de Bellebranc (...)
18Par brevet du 7 mai 1609, le roi décide d’unir les revenus et l’abbaye de La Bussière, dès qu’elle sera vacante, à l’abbaye de Cîteaux. Négocié par Edme Tiraqueau, procureur général des Cisterciens, et par le père provincial des Jésuites, cet accord a pour but d’amollir la résistance de l’abbé et du chapitre général de l’ordre. Communiqué audit chapitre tenu en mai 1609, l’accord est entériné par les pères réunis à Cîteaux et le concordat signé le 26 juin 1609. Selon les Jésuites, Cîteaux profite de cet échange, puisque le revenu de la mense conventuelle de Bellebranche est de 400 écus d’or, et celui de La Bussière de 500 écus d’or32. En outre, la situation du monastère de La Bussière, au diocèse d’Autun, est avantageuse pour Cîteaux du fait de ses trois étangs piscicoles. Toutefois ces compensations, au lieu d’apaiser le différend, l’aggravent dans la mesure où les cisterciens de La Bussière se rebellent et interjettent appel comme d’abus au parlement de Paris. Si, face aux Jésuites, la défense de la vie contemplative est simple dans son principe, l’inscription temporelle séculaire des couvents crée une multitude de cas locaux et d’intérêts divergents qui fragmentent le corps cistercien face à la Compagnie. Dans le cas de Bellebranche et de La Bussière, Boucherat et Tiraqueau ont négocié un accord qui ne respecte pas la volonté des abbayes secondaires, ce qui entraîne un déplacement du conflit.
- 33 Maridat, Factum pour les religieux, prieur et convent de l’abbaye de Bellebranche, ordre de Cîteau (...)
- 34 Arch. dép. Côte-d’Or, 12 H 12.
- 35 Arch. dép. Saône-et-Loire, H 98, n° 54.
- 36 C’est Savary de Brèves, ambassadeur de France à Rome, qui a demandé la révocation de l’union de La (...)
19La tension à l’intérieur et à l’extérieur de l’ordre autour d’acteurs politiques et religieux opposés se résout ici par le droit. Le parlement de Paris rend un arrêt en février 1610 pour déclarer abusives les bulles pontificales de suppression du titre abbatial et d’union de la mense abbatiale de Bellebranche au collège de La Flèche33. En juin 1610, Louis XIII révoque à la suite l’union de l’abbaye de La Bussière à celle de Cîteaux accordée par Paul V34. Afin de satisfaire toutes les parties, de compenser cet échec pour Cîteaux et de clore l’affaire, le pape fulmine en février 1610 les bulles annexant à Cîteaux une autre petite abbaye cistercienne riche de terres et de revenus mais non pas de moines, celle du Miroir, au diocèse de Lyon, réduisant cette abbaye au rang de prieuré35. La proximité de cette date avec l’arrêt du parlement de Paris laisse supposer une entente préalable, Rome s’efforçant de préparer une solution compatible pour tous les intérêts en jeu : les Jésuites, les gens du roi et les Cisterciens36. Le 30 juin 1610, jour de la révocation de l’union de La Bussière à Cîteaux, Louis XIII expédie un brevet confirmant l’union du Miroir à Cîteaux.
- 37 Joseph-Marie Canivez, Statuta capitulorum generalium ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1 (...)
20Si les Cisterciens n’ont pu empêcher finalement la spoliation de Bellebranche, donnant lieu à un long procès qui n’est pas clos encore à la fin du xviie siècle, ils ont défendu pied à pied leur ordre et ses privilèges. Cette forme de résistance mêlée de négociation puis de résignation a eu pour conséquence le partage de tous les domaines de Bellebranche entre les moines et les Jésuites de La Flèche. Cette transaction est visée et approuvée par le chapitre général de l’ordre en mai 161337, les religieux de Bellebranche se trouvant forcés de se soumettre. Les supérieurs de l’ordre, conscients de devoir fléchir face à la Compagnie, ont toutefois négocié un équilibre plus favorable à leurs intérêts. Au-delà du cas de Bellebranche, selon des modalités distinctes et avec des résultats différents, des processus similaires sont repérables dans les immixtions jésuites plus ou moins poussées au temps de l’abbatiat de Boucherat, par exemple dans les abbayes cisterciennes de Beaupré (1609), Robermont (1613), Herkenrode (1613), Port-Royal (1616), La Bénisson-Dieu (1618) ou encore Maubuisson (1619).
Les Jésuites et la réforme de l’ordre de Cîteaux
21Si les immixtions jésuites touchent des abbayes en particulier, elles interviennent aussi dans le gouvernement de l’ordre de Cîteaux en général. Plus profondes quoique peu nombreuses, ces interventions sont répétées et importantes, soit par les interventions directes de Jésuites, soit par l’influence importante exercée sur des autorités religieuses formées par les Jésuites et largement pénétrées de leurs idées. À compter de 1622, la réforme de l’ordre de Cîteaux est notamment confiée par la cour de France et par la cour de Rome au cardinal de La Rochefoucauld, qui est aidé par des Jésuites.
- 38 Joseph Bergin, Cardinal de La Rochefoucauld : Leadership and Reform in the French Church, Londres- (...)
- 39 Si Urbain VIII lui refuse à la fin de sa vie l’entrée dans la Compagnie, alors que Vitelleschi l’a (...)
22Créé cardinal en 1607, La Rochefoucauld est à Rome temporairement vice-protecteur de France (1609-1611), pendant l’absence du cardinal de Joyeuse. À son retour en France, il est parmi ceux qui acceptent de recevoir le concile de Trente (1615), puis est ensuite grand aumônier de France (1618), commandeur de l’ordre du Saint-Esprit (1618), abbé commendataire de Sainte-Geneviève (1619) et même successeur possible de Paul V († 1621). C’est donc un ecclésiastique d’expérience formé par les Jésuites qui est nommé commissaire apostolique pour la réforme des réguliers en 1622, bien qu’il ne soit pas encore chef du conseil (1622-1624). Parmi ces réguliers se trouvent les Cisterciens38, qui goûtent peu les sympathies anti-gallicanes et pro-jésuites39 du cardinal : les premières ne peuvent que heurter des réguliers qui naviguent finement entre Rome et Paris, et les secondes mettent en valeur ceux qui ont le succès du jour et n’hésitent pas à profiter de leur force ascendante pour dépouiller le vénérable ordre médiéval, à l’instar de Bellebranche.
- 40 Arch. dép. Aube, 3 H 136, n° 4.
- 41 Né à Dijon, Binet est entré chez les Jésuites en 1590, puis il est recteur des collèges de Rouen e (...)
- 42 Benoist Pierre, La bure et le sceptre. La congrégation des Feuillants dans l’affirmation des États (...)
- 43 Sans compter les religieux d’autres ordres.
- 44 Polycarpe Zakar, Histoire de la stricte observance de l’ordre cistercien depuis ses débuts jusqu’a (...)
23Le 11 mars 1623 est signé le règlement général pour la réforme40, rédigé sur le fondement des réflexions du jésuite Étienne Binet (1569-1639), conseiller influent proche de François de Sales, provincial de Paris, actif auprès de l’abbesse réformatrice du Val-de-Grâce Marguerite de Veny d’Arbouze et représentant de l’humanisme dévot41, ou de Saint-Paul Asseline, docteur en théologie et assistant du père général des Feuillants42. Le rôle des Jésuites est donc central à cette date. La disposition principale est le formulaire de l’observance régulière, avec le rôle rédigé par commissaire nommé par le cardinal, et la signature des religieux qui auront consenti au règlement. Les réfractaires devront signer un autre rôle, mentionnant leur refus. Ce formulaire contient le respect des trois vœux, la mise en commun de tous les revenus et bénéfices, l’observance complète de leur règle, le réfectoire commun avec lecture tout au long, ou l’absence d’ornement en dehors de la sacristie. Devant un ensemble normatif aussi net présenté ensuite en assemblée générale tenue à Sainte-Geneviève, les articles sont signés par le cardinal et par les abbés de Cîteaux, Clairvaux, Châtillon, L’Étoile et La Charmoye, ainsi que par le prieur de Cheminon43. Cette unité de signatures cisterciennes voile des positions différentes, non conciliées en dépit de rencontres parisiennes au début de mois de mars 1623 entre La Rochefoucauld et les Cisterciens. C’est donc un jésuite qui tient la plume dans l’un des processus de réforme qui tend à la fragmentation de l’ordre de Cîteaux entre la majorité de la commune observance et la minorité de l’étroite observance44.
- 45 J.-M. Canivez, Statuta..., op. cit., p. 349-350, n° 24.
24Une ligne de tension se dessine entre N. Boucherat, abbé de Cîteaux opposé aux menées jésuites, D. Largentier, abbé de Clairvaux qui n’y est pas opposé, et Étienne Maugier, abbé de La Charmoye qui y est très favorable. Mis en minorité et pressé par le cardinal et par les co-abbés tenants de l’abstinence, l’abbé de Cîteaux appose sa signature autographe au bas du règlement qui le dépouille d’une partie de sa juridiction. À ce moment, la Compagnie paraît donc avoir réformé l’ordre de Cîteaux presque directement. En réalité, la cassation de ces articles par le chapitre général de l’ordre réuni à Cîteaux en mai 162345 met un terme provisoire à l’action du cardinal et de ses conseillers. Quand bien même cette tentative n’est pas fructueuse, elle démontre la capacité d’influence de la Compagnie, qui compte plusieurs membres à même de prétendre diriger la réforme d’un ordre aussi étendu que celui de Cîteaux.
- 46 Bib. Sainte-Geneviève, ms. 3247, fol. 60r-v. Lettre de Binet à La Rochefoucauld, [Paris], 9 mai 16 (...)
25Avant même la tenue de ce chapitre général, une fronde d’hostilité couverte puis ouverte se dessine dans l’ordre. Face à la réforme du cardinal conseillé par la Compagnie se forme une résistance différant au chapitre général la réponse de chaque religieux cistercien. En outre, contrairement aux instructions de La Rochefoucauld, des réceptions de novices à profession sont signalées, notamment à l’abbaye de Chaalis, au diocèse de Senlis, preuve que les inhibitions expresses du cardinal sont partiellement sans effet. Le cardinal est averti de ces manœuvres, qui ne prédisent pas un accueil favorable des pères capitulants cisterciens à ses ordonnances. Binet détaille expressément la résistance des pères de l’ordre et des dispositions de l’abbé de Cîteaux. Selon ce rapport, Boucherat « desire puissamment cooperer à tout ce qui se pourra faire pour le bien de son ordre et y servir V. E. », mais « il a esté contraint de faire et dire quelques choses, qu’il a jugé necessaire pour de bonnes raisons, et à cause de l’estat de son ordre et des divisions »46. La suite du propos transmis par Binet indique à la fois les connaissances approfondies que certains Jésuites ont de l’ordre de Cîteaux, mais aussi la possibilité que les moines blancs se jouent d’eux. L’abbé de Cîteaux paraît ainsi avoir sinon dupé du moins manœuvré Binet. Soumis formellement au cardinal, l’abbé conserve en réalité une position plus nuancée que celle du commissaire apostolique, qui est à demi-informé de la solidité des institutions cisterciennes.
- 47 Ibid., fol. 75r-v. Copie de la lettre de La Rochefoucauld à Balthazar, [Auteuil], août 1623.
26L’échec de La Rochefoucauld au chapitre général le conduit à faire appel à Rome et à la Compagnie pour vaincre la résistance des anciens. Dans l’été 1623, la mort de Grégoire XV (pape formé par les Jésuites) puis l’élection d’Urbain VIII donnent occasion aux cisterciens de la commune observance de manifester leur opposition au cardinal en demandant son retrait. Selon leur argument, la commission de La Rochefoucauld serait éteinte par le décès du souverain pontife. Mais cette thèse porte peu et le cardinal écrit à Rome à plusieurs reprises pour solliciter l’appui des Jésuites. Il demande notamment à Christophe Balthazar, assistant pour la France, et à Muzio Vitelleschi, supérieur général de la Compagnie de Jésus à Rome, d’user de leur influence auprès du nouveau pape afin de favoriser ses articles de réforme de mars 1623 et de refuser l’approbation des résolutions du chapitre général de mai : « Quelque temps apres, il s’est tenu un chapitre en l’abbaye de Citeaux, auquel quelques articles ont esté dressés, qui tendent à eluder et empescher l’effet de la resolution prise à Paris, et laquelle a commencé deja à estre executer »47. En outre, afin de s’assurer de l’appui de toutes les autorités françaises à Rome, le cardinal écrit à l’ambassadeur de France à Rome sur le même sujet :
- 48 Ibid., fol. 73r. Copie de la lettre de La Rochefoucauld [à Noël Brulart], Auteuil, 15 août 1623.
J’escris au R.P. Baltazar, jesuiste, sur le sujet du bref qui m’a esté envoié pour la reformation de quelques monasteres de ce roiaume et le prie de vous en faire sçavoir les occasions. Cet œuvre est deja commencé et avec esperance de bon succes, si il n’est empesché sur les poursuites que feroient ceux qui en apprehendent l’execution, et les surprises sont à craindre. J’implore vostre auctorité pour maintenir ce que la pieté du roy a desiré et vostre charité a assuré48.
- 49 Guidi di Bagno, nonce en Flandre, a interdit à A. de Haynin, évêque d’Ypres, de bénir et de confir (...)
27Cette démarche paraît sans effet, les décrets du chapitre général ne paraissant pas avoir été refusés par la congrégation des évêques et réguliers. Sans soutien exclusif aux vues de la Compagnie, la position romaine consiste ici à défendre la juridiction des supérieurs cisterciens. C’est encore le cas au même moment et notamment pour l’abbé de Cîteaux, par exemple lors de la difficulté qui touche la bénédiction du nouvel abbé des Dunes, au diocèse de Thérouanne puis d’Ypres, au printemps 162349. Dans l’attente de la résolution romaine et demeurant à Paris, le cardinal prépare la suite de son action, mais celle-ci n’est pas forcément plus efficace en dépit de l’appui de la Compagnie. Ces interventions récurrentes, dans les monastères comme dans l’ordre, représentent une forme puissante d’immixtion dans les affaires cisterciennes à l’origine de leur antijésuitisme, et pourraient donc permettre de conclure à ce seul aspect des relations entre Jésuites et Cisterciens, s’il n’était avéré que ce constat univoque ne rend pas entièrement compte du rapport entre Cisterciens et Jésuites.
La complexité des rapports avec les Jésuites
28Sans déterminer entièrement la position de Cîteaux en tant qu’ordre face à la Compagnie de Jésus, on peut caractériser certains de ses actes comme au minimum ambivalents. En effet, l’antijésuitisme largement militant et défensif des Cisterciens est juxtaposé avec des attitudes de conciliation voire de faveur, attitudes qui invitent à réfléchir aux modalités différentes selon lesquelles des hommes appartenant à la même génération au sens chronologique (c’est-à-dire nés à la même date ou presque) et religieux (c’est-à-dire marqués par la Réforme catholique et le concile de Trente) ont investi la crise politico-religieuse de la fin du xvie siècle et l’un des remèdes proposés, la Societas Jesu.
29En premier lieu, il est remarquable de trouver des moines blancs parmi les soutiens au retour de la Compagnie dans le royaume de France. Ainsi le soutien de l’abbé de Cîteaux est-il marqué lorsque la question du retour des Jésuites est débattue en 1599. Après une longue période ligueuse, Edme de La Croix, abbé de Cîteaux (1584-1604), a difficilement effectué sa soumission sans pour autant adhérer à la politique d’Henri IV. Lorsque les vingt députés des États de Bourgogne sont réunis à l’abbaye Saint-Étienne de Dijon en juin 1599, ils font paraître d’une part leur mécontentement suite à la publication de l’édit de Nantes en avril 1598 et demandent d’autre part la réouverture du collège des Jésuites de Dijon. À la seconde remontrance, La Croix ajoute la requête
- 50 Joseph Garnier (éd.), Journal de Gabriel Breunot, conseiller au parlement de Dijon, t. III, Dijon, (...)
signée par cinq ou six cent des principaux habitans de ceste ville pour embrasser la poursuitte, pour faire rappeller et remettre le collège de la Société de Jesus, tant pour l’institution de la jeunesse que pour les prédications et instructions du peuple en la religion catholique, en ce tems miserable où on voyoit ceux de la religion lever les cornes50.
30Loin d’être anti-jésuite, l’abbé de Cîteaux est en la circonstance un défenseur ardent de la Compagnie, sans doute parce qu’il persiste dans son habitus anti-réformé développé et affermi pendant la Ligue, qui se souvient avec admiration de la tentative d’assassinat du roi relaps par Chastel.
- 51 Jean-Pascal Gay, « Voués à quel royaume ? Les Jésuites entre vœux de religion et fidélité monarchi (...)
- 52 Sur la prééminence de la noblesse de robe à Port-Royal au début du xviie siècle et les évolutions (...)
31En second lieu peut se repérer une stratégie de conciliation dont les motifs ne sont pas toujours explicités, mais qui tient sans doute à un dosage de prédilection personnelle et d’intérêts bien compris de l’ordre. Si Edme de La Croix soutient d’une main les Jésuites à Dijon, il est de l’autre main en relations suivies avec la famille Arnauld, dont l’avocat Antoine Arnauld, qui a tôt perdu la faveur d’Henri IV avec la publication de son discours renommé contre les Jésuites. Dans ce dernier pourtant, intitulé Franc et veritable discours au roy sur le restablissement qui luy est demandé pour les Jesuites, Arnaud s’interroge avec vigueur sur la validité des vœux des Jésuites en droit français, le quatrième d’obéissance au pape étant particulièrement dénoncé51. L’abbé de Cîteaux occupe ici une position médiane, qui distingue son échelle locale de gouvernement de son échelle nationale, car les Arnauld sont puissants à Port-Royal-des-Champs, importante abbaye cistercienne proche de Paris. En tant qu’abbé général, La Croix doit composer avec le réseau de cette noblesse de robe dont bénéficient certaines religieuses issues de grandes familles parisiennes. À partir de septembre 1602 se marque particulièrement la tradition de recrutement de Port-Royal dans le milieu judiciaire ; dans les années 1610-1620, le système de placement de la famille Arnauld est encore en vigueur, précédant les choix plus intériorisés et le recrutement dans tous les milieux sociaux52.
- 53 Bib. Apost. Vat., Barb. lat 3235, fol. 103r-106r. Lettre de Boucherat à Tiraqueau, procureur génér (...)
- 54 Et l’oraison mentale, qui lui cause de grands maux de tête. Claude Garda, « Vie inédite de dom Jér (...)
- 55 Arch. dép. Aube, 3 H 230. Lettre de Bernard Carpentier, prieur de Prières, à D. Largentier, Prière (...)
32En troisième lieu, la position cistercienne est ambivalente dans la mesure où plusieurs abbés, et non des moindres, sont sensibles à la spiritualité jésuite et à une forme d’appel intérieur nécessaire à la réforme monastique. L’abbé de Clairvaux D. Largentier, qui a été formé du temps de la Ligue et qui est l’un des promoteurs de l’étroite observance de l’ordre de Cîteaux en France, fréquente certains jésuites, ce qui provoque en 1608 la critique de son coreligionnaire abbé de Cîteaux, qui moque « monsieur de Clairevaulx touchant sa conversation et familiarité avec les Jesuistes, preferant une fumée de vanité au bien et honneur de l’ordre »53. Ici apparaît sinon une fracture, du moins une divergence à l’intérieur de l’ordre par rapport à la Compagnie. Pour Boucherat, l’enjeu principal réside dans la conformité de la réforme monastique avec l’identité cistercienne ; pour Largentier, il réside dans la réforme intrinsèque qui peut mobiliser ponctuellement des forces et des éléments extérieurs aux traditions cisterciennes, y compris les Jésuites. Dans ce sens, il n’est pas indifférent de constater que plusieurs cisterciens sont formés dans les collèges jésuites : Jérôme Petit, novice cistercien et futur dirigeant de l’étroite observance, est par exemple envoyé par l’abbé de Clairvaux au collège jésuite de Verdun, où il apprend notamment les exercices des dix jours (ou formule brève) d’Ignace de Loyola54, avant d’être chargé du cours d’Écriture sainte au collège des Bernardins de Paris en 1612 ; le jeune Mathurin Bourdon, cistercien de Prières, est envoyé au collège des Jésuites de Vannes sur la recommandation de son prieur, qui supplie l’abbé de Clairvaux « renvoyer ledict frere Mathurin au college et à celuy des Jhesuistes, deust-il couster davantage »55 du fait de l’éloignement de son monastère de profession, avouant en creux l’absence d’éducation idoine et de nourriture spirituelle dans son abbaye.
- 56 Sur l’élaboration des études jésuites, voir Luce Giard, « Les collèges jésuites des anciens Pays-B (...)
- 57 Julien Feuvrier, Un collège franc-comtois au xvie siècle. Étude historique et pédagogique accompag (...)
- 58 Voir l’exemple de l’oratorien Jean Lejeune, né à Dole en 1592 et éduqué au milieu des notabilités (...)
- 59 J.-M. Canivez, Statuta..., op. cit., t. VII, p. 285-286, n° 22.
33En quatrième lieu et plus largement encore, la Compagnie offre un modèle d’apostolat réussi, notamment dans ses nombreux collèges56, qui constituent un exemple de formation aboutie pour les moines cisterciens. Pour ces derniers, dont Boucherat, former une élite monastique est un axe important de la politique de réforme. Ce soin prend tout son sens si l’on considère la génération de moines pris en charge ou éduqués dans les collèges cisterciens. Dans le contexte de croissance des établissements d’enseignement, la faveur des collèges dans l’ordre de Cîteaux prend une nouvelle vigueur au début du xviie siècle. Alors même qu’en 1582, l’installation des Jésuites à Dole supplante le collège de grammaire établi dans l’ancienne maison de Cîteaux, collège qui est fermé aux termes du traité de novembre 159057, l’érection du collège cistercien de Dole en 1617 est un exemple de fondation réussie pour donner de nouvelles conditions d’études aux futurs supérieurs cisterciens d’une province, celle de Franche-Comté. L’assise cistercienne dans la Comté est ancienne, à la fois par le moyen des fondations d’abbayes qui ont leur rayonnement propre et par le biais de ses propres possessions, particulièrement à Dole. Mais la nécessité de former solidement des religieux est pressante, particulièrement dans cette province qui jouit d’une large autonomie et où les congrégations et ordres religieux ont donné naissance à de futurs cadres dévots de l’élite cléricale58. Le 6 mai 1613, le chapitre général de l’ordre réuni à Cîteaux sous la houlette de Boucherat tranche en faveur de Dole59, qui était en concurrence avec la proposition de Besançon. La création du collège vise les monastères de Franche-Comté, dont les moines devaient auparavant se former dans le collège des Jésuites de la même ville. Dans le cas du collège de Dole, l’influence des collèges de la Compagnie est déterminante pour presser les moines à proposer leur propre offre de formation. Mais cette imitation n’est pas toujours possible, quelque puissant que soit le miroir jésuite tendu aux ordres monastiques.
Soi-même comme un autre : tradition cistercienne et renouveau jésuite
- 60 Eufemià Fort i Cogul, « Viatge a Poblet i a Santes Creus de l’abat general del Císter i algunes no (...)
- 61 Heinrich Grüger, « Die Visitation des Generalabtes Nicolas Boucherat in Schlesien (1616) », in Ben (...)
- 62 José Luis Sánchez-Gíron Renedo, La cuenta conciencia al superior en el derecho de la Compañia de J (...)
- 63 Selon la formule de P.-A. Fabre, « Où en sommes-nous... », op. cit., p. 433.
34Si les Cisterciens développent une ambivalence aussi forte envers la Compagnie, cela tient sans doute à la question derechef posée avec acuité au xvie siècle : celle des frontières de la catholicité latine, que l’ordre de Cîteaux a contribué à étendre au xiie siècle. Certes, le concept de chrétienté ne fonctionne plus comme au Moyen Âge, mais la conversion au protestantisme d’une partie de l’Europe et la sécularisation subséquente de monastères cisterciens n’a pas amené la diminution des ambitions de l’ordre. Dans la mesure où il se pense protégé par le manteau de la Vierge Marie, le saint ordre de Cîteaux se considère toujours comme devant assurer la pérennité des convents et de la liturgie traditionnelle dans tous les pays demeurés catholiques. Se rencontrant pendant la Ligue, s’opposant pendant la pacification henricienne, et rivalisant dans le cadre plus large de la Réforme catholique, les Cisterciens et les Jésuites de la même manière ignorent ou feignent d’ignorer les frontières politiques, qu’ils franchissent régulièrement, munis de passeport des autorités séculières, comme La Croix en 1603-160460 ou Boucherat en 161661. En théorie, ils tiennent en lisière le droit des États, suivant en cela le droit canonique et le droit de leur ordre ou congrégation. Que ces droits spécifiques soient formés au Moyen Âge pour les Cisterciens ou pour les Dominicains, ou à l’époque moderne pour la Compagnie de Jésus62, importe peu en l’occurrence. C’est la contradiction portée à la construction confessionnelle qui doit être relevée ici. S’il est exact que la Compagnie ajoute « son caractère synthétique par rapport à la longue procession des congrégations religieuses qui l’avaient précédé dans l’histoire de l’Église chrétienne »63, elle offre en outre une identification avec le catholicisme réformé, pour reprendre une expression de Marc Venard. Oublier certaines frontières politiques ne consiste pas à s’opposer aux limites tracées par les différentes autorités séculières. En effet, les moines sont respectueux des pouvoirs des princes tant que ceux-ci bornent leur droit aux privilèges et exemptions de l’ordre. Il s’agit de préserver leur autonomie, qu’ils voient comme un des fondements de leur vie régulière, qui a produit une culture séculaire de l’autonomie.
- 64 Jean-Pascal Gay, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1600), Paris, Ce (...)
- 65 Simon Icard, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709). Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld (...)
- 66 André Birmelé, « Ecclésiologie », in Jean-Yves Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, (...)
35En ce sens se dégage, au-delà des oppositions contextuelles et quelque fortes qu’elles soient, une forme de complémentarité ecclésiologique entre ces différents religieux. Dans ces lieux théologiques que sont aussi bien les monastères que la Compagnie64, et qui réfléchissent au devenir de l’Église après le schisme protestant, dans leur réflexion partiellement tragique sur ce que sont à la fois l’Église diminuée et l’ordre monastique amputé de centaines de couvents, il y a place pour les contemplatifs. Il ne s’agit pas d’affirmer ici que la théologie des moines, et notamment celle des Cisterciens, a produit pour l’époque moderne des sommes comparables à la Summa de Ecclesia du dominicain espagnol J. de Torquemada vers 1450, et les principaux apports, par exemple ceux de la source bernardine, se fondent sur la tradition textuelle médiévale principalement, apocryphes et pseudépigraphes compris65. Au tournant des xvie et xviie siècles, les Cisterciens ne contribuent que peu à l’ecclésiologie moderne tournée vers le dogme et la catéchèse. Dans la distinction opérée après le xviiie siècle « entre une ecclésiologie relevant de la théologie fondamentale, un traité développant une vision de l’Église moyen et instrument de transmission de la révélation divine, et une ecclésiologie relevant de la théologie dogmatique »66, les Cisterciens peuvent se ranger dans la famille monastique qui participe de la transmission de la révélation divine.
- 67 T. Le Blanc, Le saint travail des mains, ou la maniere de gagner le ciel par la pratique des actio (...)
- 68 Plusieurs de ses lettres sont conservées dans le fonds de Clairvaux à Troyes.
- 69 C. Garda, Vie inédite..., op. cit., p. 46, n. 67.
36S’il est vrai qu’il y a, du point de vue de ces religieux, plusieurs demeures dans la maison du Père, alors ces demeures communiquent. Lorsque Thomas Le Blanc, provincial de la compagnie de Jésus en Champagne, publie en 1669 la seconde édition de son ouvrage intitulé Le saint travail des mains, ou la maniere de gagner le ciel par la pratique des actions manuelles, il le dédie au général des Chartreux dans un mouvement qui illustre la proximité entre la Compagnie et les Chartreux, modèles de contemplatifs. Mais il mentionne aussi Bernard Dangles, recteur du collège jésuite de Chaumont67 et ami du cistercien Denis Largentier68, et l’objet même de son ouvrage concourt, à l’instar de la réintroduction du travail des mains dans l’étroite observance cistercienne au xviie siècle comme à L’Étoile dans les années 1615-162069, à montrer l’identité et le caractère commun des pratiques monastiques et régulières. Depuis sa fondation à la fin du xie siècle, l’ordre de Cîteaux conserve sa vocation contemplative, dans la tradition bénédictine née à la fin de l’Antiquité. La forte expansion des Jésuites au xvie siècle, comparable à celle des Franciscains au xiiie siècle, n’a pas brisé l’ordre cistercien, car ce dernier offre un modèle ecclésiologique complémentaire à celui des contemplatifs, et non opposé, quoique la Compagnie se soit rapprochée des Chartreuses. Un Jésuite qui entre dans une Chartreuse est dispensé de noviciat, les religieux cartusiens prenant en considération la qualité suffisante de la formation spirituelle des Jésuites ; à l’inverse, un Cistercien voulant intégrer une Chartreuse doit suivre le noviciat cartusien, saint Bruno étant de ce point de vue parfois plus éloigné de saint Robert de Molesme que de saint Ignace de Loyola.
37Dans l’ensemble toutefois, ces transferts se produisent rarement du fait de l’ambivalence profonde des Cisterciens envers la Compagnie. Le trait dominant est sans doute celui d’une figure monastique de l’antijésuitisme, que l’on pourrait résumer dans une formule de Boucherat à son correspondant :
- 70 Il s’agit du pasquil anti-jésuite de César du Pleix ou de Plaix, Le passe-partout des peres jesuit (...)
- 71 Bib. Apost. Vat., Barb. lat 3235, fol. 103v. Lettre de Boucherat à Tiraqueau, procureur général de (...)
Vous touchés la verité des mauvais comportemens contre toute reigle de charité des peres jesuistes à l’encontre de nostre ordre ; en quoy vous avez très bien qualifié leur cincquiesme vœux de machiner la ruine de tous les autres ordres de religion ; du moins en un livre nommé Le passe-partout des rappellés70, ilz sont taxés debvoir faire porter la besace à tous ceux du clergé71.
38Mais cela ne traduit pas entièrement le rapport à la Compagnie du corps cistercien face à cette forme nouvelle et rivale. Il ne s’agit pas seulement des différences de personne ou d’institutions, mais d’une série de réactions qui montrent à la fois l’influence de la Compagnie dans le gouvernement de l’ordre, la fascination ou l’accord avec les qualités spirituelles de ses membres, et l’exaspération devant l’étendue de leurs empiétements locaux ou généraux. Moins proche que son oncle de la Compagnie malgré sa réputation de molinisme, le nouvel abbé de Clairvaux Claude Largentier (1624-1653) s’exprime ainsi quand un confesseur jésuite accapare les cisterciennes de Bussières, au diocèse de Bourges, bientôt heureuses de quitter la juridiction cistercienne pour se placer sous la dépendance de l’ordinaire :
- 72 Arch. dép. Aube, 3 H 3286. Copie de la lettre de C. Largentier à Marie de L’Aubespine, abbesse de (...)
Vous me faites assez evidemment recognoistre que le pere Salin n’a profondé ny profondera [sic] encores sy tost la difference qu’il y a entre l’esprit de nostre pere sainct Bernard et celuy de leur pere sainct Ignace, quoyque tous deux aient visé à mesme fin, où ilz sont parvenuz par des moyens et des voies distinctes. [...] Prenez garde, je vous prie, que le prince des tenebres se transforme souvent en ange de lumiere pour mieux nous decevoir et nous faire voir que ce qui est selon nostre gout particulier est selon Dieu. Je voudrois bien que ledict pere Salin eust appris du Rd pere Arnoul ce que je luy ay dit lorsqu’il vint faire sa devotion au tombeau de nostre sainct Bernard. Il seroit peut-estre plus asseuré de nostre intention et se contenteroit de bien pratiquer et se conformer à l’esprit de leur fondateur sainct Ignace en vous laissant instruire en celuy de nostre sainct Bernard72.
Notes
1 Étienne Pasquier, Les recherches de la France, revues et augmentées de quatre livres, Paris, Mettayer et L’Huillier, 1596, p. 179v. C’est à Bernard Hours que revient l’idée de cet article, dont une première version a été prononcée en Sorbonne devant Olivier Poncet et Alain Tallon le 16 octobre 2013. Leurs remarques, augmentées de celles de Jean-Pascal Gay, ont permis l’amélioration notable de ce texte. Qu’ils trouvent ici mes remerciements complets.
2 Ibid., p. 172r.
3 Bernard Hours, Histoire des ordres religieux, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 73.
4 Il existe certaines interventions marquantes comme celles d’Ilarione Rancati, mais il s’agit d’un hapax plutôt que d’un exemple représentatif. Franca Trasselli, « Ilarione Rancati, Milanese dell’ordine cisterciense, il Collegio di studi e la biblioteca romana di S. Croce in Gerusalemme », Ævum, t. 81, n° 3, 2007, p. 793-876. Rancati (1594-1663) représente les intérêts des Barberini sous Urbain VIII et joue un rôle majeur à la curie sous les pontificats de ce dernier et d’Alexandre VII en tant que consulteur de la congrégation des Rites, consulteur du Saint-Office et membre de nombreuses congrégations romaines. Ses interventions touchant les Jésuites relèvent moins de sa qualité de profès cistercien que de son insertion dans les mécanismes de pouvoirs romains.
5 Pierre-Antoine Fabre et Catherine Maire (dir.), Les antijésuites. Discours, figures et lieux de l’antijésuitisme à l’époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
6 Pour reprendre le titre d’Anthony David Wright, Divisions of French Catholicism, 1629-1645 : ‘The Parting of the Ways’, Farnham, 2011.
7 « Le mythe jésuite » en tant que « menace protéiforme, invisible, omniprésente ». Michel Leroy, Le mythe jésuite. De Béranger à Michelet, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 6.
8 Eric Nelson, The Jesuits and the Monarchy. Catholic Reform and Political Authority in France (1590-1615), Aldershot, Ashgate, 2005, p. 2.
9 Pierre-Antoine Fabre, « Où en sommes-nous de l’histoire des Jésuites ? Résultats de travaux », in Pauline Renoux-Caron et Cécile Vincent-Cassy (dir.), Les Jésuites et la Monarchie catholique (1565-1615), Paris, Le Manuscrit, 2012, p. 432.
10 Henri Fouqueray, Histoire de la Compagnie de Jésus en France des origines à la suppression (1528-1762), t. III, Paris, Picard, 1922, p. 19-20.
11 Bernard Barbiche (éd.), Lettres de Henri IV concernant les relations du Saint-Siège et de la France, 1595-1609, Rome, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1968, p. 121.
12 Sylvio Hermann De Franceschi, La crise théologico-politique du premier âge baroque. Antiromanisme doctrinal, pouvoir pastoral et raison du prince : Le Saint-Siège face au prisme français (1607-1627), Rome, École française de Rome, 2009, p. 159-160.
13 Cette abbaye est généralement présentée comme l’une des plus riches de l’Anjou, au moins jusqu’au début du xvie siècle. George Mallary Masters (éd.), La lignée de Saturne. Ouvrage anonyme (B.N., ms. fr. 1358), Genève, Droz, 1973, p. 18.
14 Argouges de Rannes, Factum pour dom Jean Petit, chef et supérieur général de l’ordre de Cîteaux, et dom Étienne de La Verge, procureur général dudit ordre. Contre les pères jésuites du collège de La Flèche, et dom Jean du Hardas, religieux de l’abbaye de Bellebranche et ses adhérents, demandeurs et défendeurs, s.l., [1685], p. 2.
15 Arch. dép. Nord, 27 H 73, fol. 11r. Lettre de N. Boucherat à Vincent de Longuespée, abbé de Loos, Paris, 12 juin 1607.
16 Ibid., fol. 11r.
17 Arch. dép. Nord, 27 H 73, fol. 12r. Lettre de N. Boucherat [à Bernard de Montgaillard, abbé d’Orval], Paris, 12 juin 1607.
18 Arch. dép. Haute-Marne, 19 J 10, fol. 226r. Copie contemporaine des remontrances de N. Boucherat à Henri IV, s.l., 1608, éditée in Alphonse Roserot, « Mémoire pour l’ordre de Cîteaux contre les Jésuites », Archives historiques, artistiques et littéraires, t. II, 1890-1891, p. 28-33.
19 Arch. dép. Haute-Marne, 19 J 10, fol. 226v. Chaque compliment envers les Jésuites précède et dissimule une critique, comme au folio 227r : « La compaignie des peres jesuites est aguerrie et consommée en toutte sorte de doctrine et pieté, mais pour cela il ne faut pas casser les vieilles bandes et les deschasser des lieux que les fondateurs et le bon mesnage que leurs peres leurs ont laissé et acquis, pour partager leurs biens comme un butin de guerre et pays de conqueste ».
20 « Figure majeure des nouvelles formes d’association religieuse sans clôture, engagée sur le terrain de l’éducation, de la politique et du travail social, la Compagnie de Jésus a suscité de vives inquiétudes spirituelles et politiques dans tous les pays européens dès le xvie siècle ». P.-A. Fabre et C. Maire (dir.), Les antijésuites..., op. cit., p. 7.
21 Paolo Prodi, « Nouveaux ordres religieux et identité capucine dans l’Église de l’époque moderne », in id., Christianisme et monde moderne. Cinquante ans de recherche, Paris, Seuil-Gallimard, 2006, p. 377-393.
22 Au Moyen Âge, les Dominicains « ont été entre les mains de la papauté, également entre les mains de la monarchie française, un instrument grâce auquel on a pu briser certains éléments du système féodal, certains dispositifs de souveraineté qui existaient par exemple dans le Midi de la France, en Occitanie, etc. C’est de la même façon que les Jésuites ont été, plus tard, au xvie siècle, un instrument grâce auquel ont pu être brisés certains restes de la société féodale ». Michel Foucault, Le pouvoir psychiatrique. Cours au collège de France (1973-1974), Paris, Seuil-Gallimard, 2003, p. 67.
23 Contrairement aux traités jésuites du prince chrétien, qui constituent à l’instar de celui de Bellarmin un « manuel d’agir chrétien du souverain politique ». Sylvio Hermann De Franceschi, « Le modèle jésuite du prince chrétien. À propos du De officio principis Christiani de Bellarmin », xvii e siècle, n° 237, octobre 2007, p. 728.
24 Lettre de D. Largentier à Anne d’Escars, cardinal de Givry, Paris, 2 juillet 1608, éditée in Johann Baptist Kaiser, « Einige Urkunden zur Geschichte des Cistercienser Ordens im Anfange des xvii Jahrhunderts », Cistercienser Chronik, t. 29, 1917, p. 203.
25 Archidiacre de Reims et aumônier du roi, François Brulart est abbé commendataire de La Valroy (1598-1624). Armand Lahure, Notre-Dame de La Valroy, abbaye royale de cisterciens, Paris, Beauchesne, 1920, p. 151-153.
26 Soit le commandeur Noël Brulart de Sillery, par l’intermédiaire d’un bourgeois de Troyes, Claude Largentier. Auguste Pétel, Les hospitaliers, seigneurs de Sancey, Troyes, Bage, 1903, p. 81.
27 Le roi indemnise aussi François de Donadieu, commendataire de Bellebranche et évêque d’Auxerre, en donnant en 1607 à son frère l’évêché de Saint-Papoul et en assignant à lui-même 3.000 livres de rente sur cet évêché. H. Fouqueray, Histoire de la Compagnie..., op. cit., t. III, p. 22, n. 4. Sur les pensions des frères Donadieu, voir Joseph Bergin, The Making of the French Episcopate, 1589-1661, New Haven-Londres, Yale University Press, 1996, p. 157.
28 Sur son rôle à Rome, dans la péninsule ibérique, dans le monde missionnaire au Pérou, aux Philippines ou en Chine, lire Paolo Broggio, Francesca Cantù, Pierre-Antoine Fabre et Antonella Romano (dir.), I gesuiti ai tempi di Claudio Acquaviva. Strategie politiche, religiose e culturali tra Cinque e Seicento, Brescia, Morcelliana, 2007.
29 Lettre citée par H. Fouqueray, Histoire de la Compagnie..., op. cit., t. III, p. 22, n. 4.
30 Ibid., p. 22, n. 4.
31 Bib. Apost. Vat., Barb. lat 3235, fol. 105r. Lettre de Boucherat à Tiraqueau, procureur général de l’ordre à Rome, Cîteaux, 4 février 1608.
32 Ce calcul ne prend pas en compte les 15 000 livres de rente de la mense conventuelle de Bellebranche, ni les bois de haute-futaie pour 300 000 livres. Argouges de Rannes, Factum pour..., op. cit., p. 13.
33 Maridat, Factum pour les religieux, prieur et convent de l’abbaye de Bellebranche, ordre de Cîteaux, défendeurs, intimés et appelants comme d’abus, s.l., [1649], p. 1.
34 Arch. dép. Côte-d’Or, 12 H 12.
35 Arch. dép. Saône-et-Loire, H 98, n° 54.
36 C’est Savary de Brèves, ambassadeur de France à Rome, qui a demandé la révocation de l’union de La Bussière à Cîteaux suite à la mort d’Henri IV : « Le pape, sur le consentement presté par le feu roy d’heureuse memoire Henry Quatriesme, auroit uny et incorporé l’abbaye de Nostre-Dame de La Bussiere avec celle dudit Cisteaux. Mais du depuis, pour plusieurs et grandes considerations, le roy à present regnant par l’advis de la royne regente sa mere, auroit par son ambassadeur residant près de sa saincteté, faict revocquer ladite union ». Arch. dép. Saône-et-Loire, H 98, n° 29, fol. 1v-2r.
37 Joseph-Marie Canivez, Statuta capitulorum generalium ordinis Cisterciensis ab anno 1116 ad annum 1786, t. VII, Louvain, Revue d’histoire ecclésiastique, 1939, p. 316, n° 106.
38 Joseph Bergin, Cardinal de La Rochefoucauld : Leadership and Reform in the French Church, Londres-New Haven, Yale University Press, 1987 p. 222-247.
39 Si Urbain VIII lui refuse à la fin de sa vie l’entrée dans la Compagnie, alors que Vitelleschi l’avait acceptée, cela n’empêche pas ses liens multiples avec les Jésuites. Bib. Sainte-Geneviève, ms. 366, fol. 244r-v. Lettre de Muzio Vitelleschi, supérieur général de la Compagnie de Jésus, à La Rochefoucauld, pour le remercier de sa bienveillance envers la Compagnie, Rome, 8 février 1636.
40 Arch. dép. Aube, 3 H 136, n° 4.
41 Né à Dijon, Binet est entré chez les Jésuites en 1590, puis il est recteur des collèges de Rouen et de Paris, et enfin provincial de France, de Champagne et de Lyon.
42 Benoist Pierre, La bure et le sceptre. La congrégation des Feuillants dans l’affirmation des États et des pouvoirs princiers (vers 1560-vers 1660), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, p. 221-227.
43 Sans compter les religieux d’autres ordres.
44 Polycarpe Zakar, Histoire de la stricte observance de l’ordre cistercien depuis ses débuts jusqu’au généralat du cardinal de Richelieu (1606-1635), Rome, Editiones cistercienses, 1966, p. 74, n. 56, et 163.
45 J.-M. Canivez, Statuta..., op. cit., p. 349-350, n° 24.
46 Bib. Sainte-Geneviève, ms. 3247, fol. 60r-v. Lettre de Binet à La Rochefoucauld, [Paris], 9 mai 1623.
47 Ibid., fol. 75r-v. Copie de la lettre de La Rochefoucauld à Balthazar, [Auteuil], août 1623.
48 Ibid., fol. 73r. Copie de la lettre de La Rochefoucauld [à Noël Brulart], Auteuil, 15 août 1623.
49 Guidi di Bagno, nonce en Flandre, a interdit à A. de Haynin, évêque d’Ypres, de bénir et de confirmer Bernard de Campman, nouvel abbé des Dunes, dans la mesure où ce droit n’appartient ni au pape, ni à l’évêque, mais à l’abbé général de Cîteaux. Bernard de Meester (éd.), Correspondance du nonce Giovanni-Francesco Guidi di Bagno (1621-1627), t. I, Bruxelles-Rome, Palais des Académies, 1938, p. 327.
50 Joseph Garnier (éd.), Journal de Gabriel Breunot, conseiller au parlement de Dijon, t. III, Dijon, Rabutot, 1864, p. 159.
51 Jean-Pascal Gay, « Voués à quel royaume ? Les Jésuites entre vœux de religion et fidélité monarchique. À propos d’un mémoire inédit du P. de La Chaize », xviie siècle, n° 227, 2005, p. 286, n. 3.
52 Sur la prééminence de la noblesse de robe à Port-Royal au début du xviie siècle et les évolutions postérieures, voir William Ritchey Newton, Sociologie de Port-Royal. Histoire, économie, Paris, Klincksieck, 1999, p. 41 sqq.
53 Bib. Apost. Vat., Barb. lat 3235, fol. 103r-106r. Lettre de Boucherat à Tiraqueau, procureur général de l’ordre à Rome, Cîteaux, 4 février 1608.
54 Et l’oraison mentale, qui lui cause de grands maux de tête. Claude Garda, « Vie inédite de dom Jérôme Petit, abbé de L’Étoile, l’un des promoteurs de l’étroite observance », Cîteaux, Commentarii cistercienses, t. 38, n° 1-2, 1987, p. 38.
55 Arch. dép. Aube, 3 H 230. Lettre de Bernard Carpentier, prieur de Prières, à D. Largentier, Prières, 17 février [1601-1603], fol. 1v.
56 Sur l’élaboration des études jésuites, voir Luce Giard, « Les collèges jésuites des anciens Pays-Bas et l’élaboration de la Ratio studiorum », in Rob Faesen et Leo Kenis (éd.), The Jesuits of the Low Countries : Identity and Impact (1540-1773), Louvain-Paris-Walpole, Peeters, 2012, p. 83-108.
57 Julien Feuvrier, Un collège franc-comtois au xvie siècle. Étude historique et pédagogique accompagnée de notes biographiques et bibliographiques et d’un plan, Dole, Krugell, 1889, p. 39. Avec l’appui de la municipalité de Dole, les Jésuites prennent en charge les pensionnaires et le pensionnat est incorporé à leur collège.
58 Voir l’exemple de l’oratorien Jean Lejeune, né à Dole en 1592 et éduqué au milieu des notabilités comtoises, dont le frère est provincial des Jésuites au Nouveau Monde et les deux sœurs fondatrices du couvent des Annonciades de Pontarlier. Nicole Lemaître, « Un prédicateur et son public. Les sermons du père Lejeune et le Limousin, 1653-1672 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 30, janvier-mars 1983, p. 33-65.
59 J.-M. Canivez, Statuta..., op. cit., t. VII, p. 285-286, n° 22.
60 Eufemià Fort i Cogul, « Viatge a Poblet i a Santes Creus de l’abat general del Císter i algunes notícies que s’hi relacionen », Miscellanea populetana (Scriptorum Populeti), t. 1, 1966, p. 433-446.
61 Heinrich Grüger, « Die Visitation des Generalabtes Nicolas Boucherat in Schlesien (1616) », in Benoît Chauvin (dir.), Mélanges à la mémoire du père Anselme Dimier, t. II, vol. 3, Pupillin, 1984, p. 92-114.
62 José Luis Sánchez-Gíron Renedo, La cuenta conciencia al superior en el derecho de la Compañia de Jesús, Rome, Pontifica università Gregoriana, 2007.
63 Selon la formule de P.-A. Fabre, « Où en sommes-nous... », op. cit., p. 433.
64 Jean-Pascal Gay, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1600), Paris, Cerf, 2011.
65 Simon Icard, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709). Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, Champion, 2010.
66 André Birmelé, « Ecclésiologie », in Jean-Yves Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 359.
67 T. Le Blanc, Le saint travail des mains, ou la maniere de gagner le ciel par la pratique des actions manuelles. Ouvrage autant utile que necessaires aux religieux et religieuses qui sont occupez aux offices et exercices corporels, et à toute sorte d’artisans pour faire leur travail avec esprit, Lyon, Barbier, 2e éd. 1669, t. II, p. 233.
68 Plusieurs de ses lettres sont conservées dans le fonds de Clairvaux à Troyes.
69 C. Garda, Vie inédite..., op. cit., p. 46, n. 67.
70 Il s’agit du pasquil anti-jésuite de César du Pleix ou de Plaix, Le passe-partout des peres jesuites apporté d’Italie, par le docteur de Palestine, gentilhomme romain, publié en 1606.
71 Bib. Apost. Vat., Barb. lat 3235, fol. 103v. Lettre de Boucherat à Tiraqueau, procureur général de l’ordre à Rome, Cîteaux, 4 février 1608.
72 Arch. dép. Aube, 3 H 3286. Copie de la lettre de C. Largentier à Marie de L’Aubespine, abbesse de Bussières, Clairvaux, 22 janvier 1628, fol. 1r. Le jésuite Michel Salin est le délégué de l’archevêque de Bourges Roland Hébert.
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Titre | Ill. - Claudio Acquaviva (1543-1615) |
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Pour citer cet article
Référence papier
Bertrand Marceau, « Jésuites et Cisterciens dans la France des premiers Bourbons : un aspect de l’antijésuitisme ? », Chrétiens et sociétés, 22 | -1, 30-54.
Référence électronique
Bertrand Marceau, « Jésuites et Cisterciens dans la France des premiers Bourbons : un aspect de l’antijésuitisme ? », Chrétiens et sociétés [En ligne], 22 | 2015, mis en ligne le 16 juin 2022, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/3877 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.3877
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