Stéphanie Roulin, Un credo anticommuniste. La commission Pro Deo de l’Entente Internationale Anticommuniste ou la dimension religieuse d’un combat politique (1924-1945), Lausanne, Antipodes, 2010
Texte intégral
1Issue d’une thèse soutenue à l’université de Fribourg en 2009, l’étude que propose Stéphanie Roulin a pour principaux protagonistes l’Entente Inter-nationale Anticommuniste (EIA) et ses deux dirigeants fondateurs, Georges Lodygensky, un médecin russe émigré, et Théodore Aubert, un avocat genevois. Elle n’étudie cependant pas cette organisation en elle-même – d’autres travaux, notamment ceux de Michel Caillat, y sont consacrés – mais analyse principalement le rôle d’un des organes de l’EIA, la Commission Pro Deo, dans la formulation d’une action et d’une propagande anticommunistes à base religieuse. Cette étude relève donc à la fois de l’histoire de l’anticommunisme, et d’une histoire politico-religieuse.
2L’ouvrage ne fait pas l’économie d’une première partie consacrée à un tour d’horizon de l’activité de l’EIA et à une présentation de ses différents organes. Nécessaire du fait de la complexité de la structure de l’organisation, cette analyse est rendue d’autant plus difficile par les aléas de conservation des sources, et le caractère très éphémère d’un certain nombre d’organes, de satellites et d’interlocuteurs de l’EIA. Stéphanie Roulin retrace les efforts d’Aubert et Lodygensky pour s’insérer dans des réseaux de propagande anticommuniste et livre une cartographie exhaustive de ceux-ci, essentielle du point de vue historiographique.
3À partir de la seconde partie commence l’analyse de la dimension religieuse de cette lutte. L’auteure montre qu’elle émerge tardivement, au début des années 1930 : l’image de groupe de pression politique de l’EIA rebute les milieux religieux, et sa rhétorique sur la question reste plus morale que religieuse. C’est surtout après l’échec d’une action diplomatique et politique que l’EIA se tourne vers ce nouvel angle d’attaque, dans le contexte d’un durcissement de la lutte antireligieuse en URSS. La rhétorique anticommuniste de l’EIA lui assure des sympathies dans les milieux protestants et catholiques ; cet effort intervient en outre au moment où les catholiques lancent une croisade de prières contre le communisme, en 1930. Des contacts ont lieu entre le Saint-Siège, la Confédération française des Travailleurs Chrétiens, et un organisme satellite de l’EIA, le Mouvement des Travailleurs Chrétiens Russes, via le Jésuite en poste au Bureau International du Travail, le P. André Arnou. L’EIA essaie, sans trop de succès, d’agir dans plusieurs directions : diffusion d’émissions radio, envoi de pages d’Evangile, renseignement. Des relations sont nouées également avec les milieux conservateurs allemands, parmi lesquels de nombreux catholiques, pour faire campagne en faveur de la rupture des relations diplomatiques avec l’URSS.
4De la rencontre avec Konrad Algermissen, de l’Action catholique allemande, naît en 1932 le projet de la Commission Pro Deo, pour mobiliser l’ensemble des forces chrétiennes contre le communisme. Officiellement indépendante de l’EIA, cette Commission est créée le 10 octobre 1933, et compte dans ses rangs des catholiques reconnus (la princesse Giustiniani-Bandini, Gonzague de Reynold) mais aussi des protestants (Adolf Keller, les pasteurs Schabert et Kropp), et des orthodoxes – mais l’auteure montre bien qu’il n’est jamais question de coopération œcuménique sur le fond. Elle est par la suite dirigée par Lodygensky pour les orthodoxes, Jacques Le Fort pour les protestants, et le P. Henri Carlier pour les catholiques, mais si catholiques et protestants sont également représentés, les orthodoxes restent minoritaires. Mgr Besson, l’évêque de Fribourg, entretient des contacts discrets. L’objectif de ces réunions est principalement de mettre en place une propagande contre l’adhésion de l’URSS à la SDN, puis de dénoncer les persécutions, voire d’apporter une aide matérielle. Des sections nationales sont créées en Suisse, en Allemagne, en Belgique, mais leur degré d’organisation et leur proximité avec la Commission internationale sont très inégales.
5L’une des principales réalisations de la Commission reste la création en 1934 d’une exposition contre les Sans-Dieu. Des photos, des commentaires, des extraits de publications composent l’essentiel des panneaux. Elle circule dans huit villes de Suisse, mais l’entrée se fait uniquement sur invitation, pour éviter les incidents. Elle est ensuite envoyée en France, en Angleterre, et en Yougoslavie. L’argent collecté pendant cette exposition est ensuite renvoyé vers des associations catholiques, protestantes, et orthodoxes.
6La quatrième partie, consacrée principalement aux relations avec l’Allemagne, analyse les relations assez suivies nouées avec l’Antikomintern. Elles débouchent sur la création de la commission Pro Deo allemande, ainsi que sur la participation des membres de l’EIA à un projet de Congrès mondial anticommuniste. Alors que Pro Deo mène une campagne assez vive contre l’entrée de l’URSS dans la SDN, son silence sur la mise au pas des Eglises en Allemagne et les persécutions est mal perçu par ses partenaires religieux, notamment protestants. A la même époque, des contacts sont aussi noués avec le P. Ledochowski, général des Jésuites, mais si certains Jésuites collaborent avec Pro Deo, cette coopération reste limitée, et n’est jamais officialisée par la Compagnie.
7La Seconde Guerre mondiale amène une éclipse dans le fonctionnement de Pro Deo. On retrouve les membres de l’EIA aux côtés de la Finlande contre la Russie. L’EIA ne consent que du bout des lèvres à faire le parallèle entre les actes qu’elle reproche aux communistes et les atrocités nazies. Quelques réunions sont organisées à partir de 1944 : aux côtés du leader protestant Visser t’Hooft, on note également la présence du futur évêque de Fribourg, François Charrière. L’optique est cependant plus humanitaire que véritablement anticommuniste, et ces réunions butent sur des réticences catholiques à la coopération avec les protestants. Isolée, l’EIA survit quelques années mais met un terme à ses activités en 1950.
8Au final, cette thèse très documentée – même si manquent au panorama les archives des organisations internationales, avec lesquelles l’EIA et Pro Deo tentent d’entrer en relations – permet de dévoiler des pans entiers de la nébuleuse anticommuniste, dans une logique à la fois nationale et transnationale. Les actions de l’EIA et de Pro Deo montrent toutefois qu’il leur est bien difficile de s’imposer et de fédérer ces mouvements, et d’éviter par ailleurs de se trouver en fâcheuse compagnie. L’analyse de Stéphanie Roulin a le mérite de chercher systématiquement à évaluer l’impact des efforts de l’EIA et de Pro Deo – fût-ce pour souligner leur échec. En termes d’histoire religieuse, elle montre que Pro Deo est une tentative originale d’associer, protestants, catholiques, et orthodoxes, mais se heurte aux réticences des catholiques devant toute collaboration avec les autres chrétiens et à toute ingérence politique.
Pour citer cet article
Référence papier
Aurélien Zaragori, « Stéphanie Roulin, Un credo anticommuniste. La commission Pro Deo de l’Entente Internationale Anticommuniste ou la dimension religieuse d’un combat politique (1924-1945), Lausanne, Antipodes, 2010 », Chrétiens et sociétés, 21 | -1, 196-198.
Référence électronique
Aurélien Zaragori, « Stéphanie Roulin, Un credo anticommuniste. La commission Pro Deo de l’Entente Internationale Anticommuniste ou la dimension religieuse d’un combat politique (1924-1945), Lausanne, Antipodes, 2010 », Chrétiens et sociétés [En ligne], 21 | 2014, mis en ligne le 25 février 2015, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/3734 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.3734
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