Benoist Pierre, La monarchie ecclésiale. Le clergé de cour en France à l’époque moderne, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Epoques », 2013.
Texte intégral
1Le livre de Benoist Pierre apporte une nouvelle pierre à l’édifice historiographique déjà riche des liens sociopolitiques au sein de la cour de France. Entre espace politique et espace domestique, s’invente et se réinvente une gestion des affaires d’État où l’ordre institutionnel côtoie les liens d’amitié et de clientèle, où la sphère publique et la sphère privée ne cessent de s’entremêler. Dans cette structure complexe de l’État et de la cour, Benoist Pierre se saisit de la question des ecclésiastiques vivant dans l’entourage du prince. La question est neuve car si l’on sait depuis longtemps le rôle politique dominant des hommes d’Église dans la politique nationale aussi bien que le poids de la faveur royale dans les carrières ecclésiastiques, n’a été que très rarement posée la question d’une individualisation du rôle politico-religieux de ces hommes d’Église. Si le livre part du constat de la forte présence d’ecclésiastiques à la cour, son projet est de modéliser ce que l’auteur désigne comme « le clergé de cour », issu à la fois de la Chapelle royale – grand aumônier, confesseur, … – et du conseil du roi avec ses prolongements administratifs, ces « prélats d’État » pour reprendre l’expression forgée récemment par Cédric Michon. La question est neuve également car elle offre à l’analyse une catégorie de personnel curial encore peu étudiée, à la différence des nobles ou des officiers qui ont déjà bien occupé les historiens ces quarante dernières années.
2La ligne directrice que va suivre Benoist Pierre est de comprendre la place de ce personnel curial dans « le service politique et religieux » du prince. En partant des registres des maisons princières aussi bien que des papiers privés comme les correspondances ou les actes notariés, il propose d’approcher sur le temps long – xvie et xviie siècle, et sur ce point le titre de l’ouvrage est quelque peu trompeur – l’ensemble de ce groupe. L’hétérogénéité des sources ne permet pas selon l’auteur de mener une véritable étude prosopographique du milieu, mais en variant les échelles le livre donne une palette variée des comportements politiques et religieux de ce clergé de cour pris dans son ensemble. Il nous expose alors une palette de carrières individuelles souvent très finement reconstituées, études de cas dont le cumul finit par éclairer la mise en place d’un modèle sociopolitique. En respectant les cadres théoriques jadis posés par Norbert Elias, Benoist Pierre propose une analyse de ces ecclésiastiques au service du prince en suivant leur implication dans l’élaboration des normes et des pratiques culturelles à l’intérieur du système curial. Pour cela, il a divisé son ouvrage en quatre parties. Une première, introductive, définit le groupe, les trois suivantes offrent une lecture chronologique du rapport des ecclésiastiques curiaux à la politique du prince : un premier temps qui couvre le premier xvie siècle, celui d’un « âge d’or du clergé de cour », un deuxième temps qui couvre les guerres de Religion et le règne d’Henri IV, le temps de la crise, et enfin un troisième temps centré sur le rôle des cardinaux-ministres, avec une ouverture sur la monarchie du roi soleil.
3La première partie s’attache donc à définir « un clergé d’exception ». Clergé raillé au xvie siècle, clergé accusé d’influence néfaste sur le politique au xviiie siècle, il a aussi eu ses défenseurs, que ce soit dans l’autocélébration du groupe perceptible par plusieurs galeries de portraits de prélats curiaux, ou dans la récupération postérieures de « grands hommes » tels Richelieu ou Jean Le Hennuyer protecteur des huguenots. Cependant dans les deux cas, détracteurs comme apologistes ont réussi à identifier un groupe, à l’individualiser du reste de la cour. Sous le regard de l’historien, et pour suivre les propos de Benoist Pierre, se pose la question d’une « double appartenance d’ecclésiastiques et de courtisans » que l’on peut postuler comme « constitutive d’une identité socioculturelle propre ». L’intégration au groupe participe de stratégies familiales mais surtout, et de manière de plus en plus affirmée en avançant dans la période, elle participe des qualités humaines et techniques appréciées par le roi. Le clergé de cour fait partie de ces groupes qui bénéficient de la faveur en raison même de ce que leur formation et leur position au sein de l’Église apporte au prince. Ce lien particulier distingue le groupe du reste du clergé, en particulier par les nombreuses dispenses dont il bénéficie comparé à leur confrère : dispense de résidence, port de la barbe à la manière de François Ier alors que le droit canon l’interdit,… La faveur du roi permet à ces prélats d’accumuler les bénéfices, aspect déjà bien connu, les intégrant aux personnages parmi les plus fortunés du royaume. Leur mode de vie s’accorde alors autant à leur rang, certain en tant que cardinal étant prince de l’Eglise, qu’à la manifestation de leur faveur auprès du souverain, que ce soit dans leur demeure ou dans l’entretien d’une petite cour. Enfin, leurs domaines de compétence s’avèrent récurrent d’une période à l’autre : finance, justice, diplomatie. Le rôle politique des membres de la Chapelle semble s’effacer au fil du temps au profit des seuls membres du conseil, mais pour autant le rôle du confesseur se maintient tout comme une argumentation religieuse dans la décision politique. Ainsi, que ce soit par leur action ou par le discours qu’ils véhiculent à la cour, ces prélats demeurent des acteurs à part entière de la politique royale.
4Dans un deuxième temps, le livre aborde ce que Benoist Pierre nomme « l’âge d’or » du clergé de cour, des années 1480 aux années 1560. La monarchie ecclésiale se voit ici promue autour de la fonction messianique du prince, dominante à la charnière du xve et du xvie siècle, puis autour de la fonction expiatoire à partir des années 1520 et des premiers feux de la Réforme luthérienne en France. Après avoir montré combien le prélat de cour s’était progressivement affranchi des liens féodo-vassaliques pour ne plus dépendre que du roi seul, le livre propose plusieurs figures du clergé aulique incarnant à la fois la fidélité au prince et la production d’un discours spécifiquement religieux sur le souverain. Louis d’Amboise ou François de Paule sous Charles VIII, Claude de Seyssel ou Georges d’Amboise sous Louis XII comptent parmi ceux qui eurent le plus d’influence sur la définition messianique du roi et son destin italien. Tant dans leur production littéraire que dans les programmes iconographiques de leur demeure, se mesure un engagement intellectuel caractéristique de ce milieu humaniste. Si le messianisme royal fait voir en Charles VIII et Louis XII de nouveaux Charlemagne, il est également l’expression des espoirs d’une réforme tant espérée de l’Église par ce clergé curial. Et lorsque les premiers cénacles luthériens se font connaître à Paris, ce clergé réformateur mais inquiet des progrès de l’hérésie accompagne son souverain dans une posture expiatoire, prolongeant dans les diocèses une ébauche de réforme visant à rétablir la concorde. Contrairement aux idées reçues, ce clergé de cour n’apparaît pas comme immédiatement intransigeant et très rarement impliqué dans les processus répressifs. Proches des réformateurs catholiques du début du xvie siècle, ces prélats, malgré leurs divergences, se retrouvent autour d’un désir commun de réforme catholique, un humanisme qui les fait défendre Érasme ou Guillaume Budé, une conscience de la nécessaire action en province et surtout une confiance dans l’action royale.
5En suivant le cheminement de la vie politique du royaume, la troisième partie évoque le temps des crises, celui des guerres de Religion (1560-1610). À son échelle, le clergé de cours reflète les divisions internes du catholicisme français quant aux réponses à apporter aux défis posés par l’intrusion du calvinisme dans la société. Des modérés favorables à une concorde et proches pour cela du milieu des « moyenneurs », des modérés favorables à une politique de coexistence légale entre les confessions et des intransigeants prônant la fermeté contre les protestants tout comme une réforme de grande ampleur du clergé, se côtoient dans une cour encore fortement investie par les prélats. Charles de Marillac, Jean de Monluc ou Charles de Lorraine appartiennent à ces différents groupes et révèlent une profonde division du clergé de cour, aussi bien dans milieu des prélats de conseil que celui de la Chapelle. Sous Henri III, si ces divisions demeurent, l’orientation politico-religieuse du souverain permet de cristalliser l’action des ecclésiastiques autour des dévotions pénitentielles et sacrificielles développées par le prince. Henri III, sur le modèle du Christ souffrant, multiplia confréries, congrégations et processions, dans des rituels où il tentait par sa propre foi d’expier les fautes de tous ses sujets. Edmond Auger, jésuite très présent dans l’entourage royal, en fut un des grands ordonnateurs et orienta le clergé aulique vers ces dévotions très caractéristiques des années 1580. Passé 1588, la crise de cette monarchie ecclésiale s’accentua encore. La perspective de la succession bourbonienne et donc protestante, l’ascendant pris sur la cour par les Guise et la Ligue, l’assassinat de Blois en décembre 1588 – le duc de Guise et le cardinal de Guise, un membre de ce clergé aulique – contribuèrent à rendre la situation encore plus complexe et à fragiliser les fidélités traditionnelles. Une fois Henri IV sur le trône, le clergé de cour ne retrouva pas sa stabilité précédente mais réussit à se recomposer en partie autour d’un projet : la conversion du roi. Jean Touchard, Jacques Davy Du Perron incarnent les figures de ces prélats ralliés au nouveau roi et convaincus d’une nécessaire conversion suivie d’un rapprochement tout aussi nécessaire avec Rome. En butte aux penseurs protestants comme Duplessis-Mornay, ces prélats postulèrent que le retour à la paix passait par le maintien d’une monarchie catholique, permettant de vider de son sens la contestation ligueuse. Si leurs vues finirent par prévaloir auprès d’Henri IV, à partir du milieu des années 1590 force est de reconnaître que leur présence à la cour commença à diminuer, l’action du haut clergé se recentrant sur l’œuvre de conversion et de réforme, et les hauts prélats restant pour la plupart dans leurs diocèses.
6La quatrième partie de l’ouvrage clôt alors le cycle abordé par Benoist Pierre en orientant l’analyse sur les temps des cardinaux-ministres du xviie siècle et en proposant dans le dernier chapitre un éclairage sur le temps louis quatorzien et le début du xviiie siècle. Les premiers temps du règne de Louis XIII sous la régence de Marie de Médicis furent immédiatement ceux d’une reconquête par le clergé de cour d’une place prépondérante dans les conseils. Dès les funérailles d’Henri IV, ceux que le premier Bourbon avait plus ou moins écartés des affaires manifestèrent leur ambition de revenir au premier plan. Avec Louis XIII, la personnalité dévote du monarque confirma ce mouvement, mais en privilégiant un ecclésiastique sur les autres, ce qui trancha avec les formes de la monarchie ecclésiale du siècle passé. Benoist Pierre nous montre que Richelieu ne fut pas le premier à occuper un tel poste, Louis XIII favorisant d’abord Guillaume du Vair, évêque de Lisieux, devenu garde des Sceaux en 1617. Henri de Gondi lui succéda à cette place privilégiée près du monarque avant que Richelieu n’entre en scène. Au-delà des seules ambitions individuelles, ces prélats portaient aussi un programme politique visant à promouvoir la réforme du clergé, le combat contre les ennemis de la foi, l’ordre et la paix au sommet de l’État. Ils adoptèrent pour leur majorité une position dévote, que l’analyse présente à travers le parcours de Pierre de Bérulle et le programme d’un « zélé de la foi », François Marchand. En refusant une posture dévote trop contraignante pour le roi, Richelieu se démarqua de ce courant sans pour autant abandonner l’ambition de préparer le règne de Dieu par le bon gouvernement du prince et le conseil de ses prélats. Si Richelieu utilisa le clergé pour contrôler la cour, que ce soit par la Chapelle ou ses créatures ecclésiastiques, il fut avec Louis XIII le promoteur des « prélats d’armée », ces évêques partant au combat, toujours dans une affirmation chrétienne de la politique royale. Mazarin emboîta le pas de son prédécesseur, s’affirmant lui aussi contre un milieu dévot jugé trop dirigiste et construisant progressivement son propre réseau fondé en partie sur des clercs. Si Louis XIV ne renouvela pas l’expérience de cardinaux-ministres, il laissa aux prélats de cour cette implication dans le service royal, prolongeant ce que depuis Richelieu Benoist Pierre nomme une « cléricature de service ».
7La monarchie ecclésiale fait donc défiler deux siècles de rapports très étroits entre le roi et son clergé de cour, dans des rapports de pouvoir sans cesse renouvelés car dépendant toujours du contexte général et des personnalités. Sans faire de prosopographie, Benoist Pierre suit les principales figures de ce clergé, dans une démarche qu’il juge impressionniste, mais qui permet assez finement de mettre en relation des individualités, mise en relation entre le roi et ses prélats qui détermine une partie de la politique du royaume. L’histoire curiale qui nous est présentée ici n’est pas l’histoire d’un système ou d’institutions, c’est une histoire de rapports de pouvoir et de mode de gouvernement qui s’inventent au fil des nécessités entre le xvie et le xviie siècle, une « histoire des confluences » pour reprendre les propos de l’auteur. Un des apports majeurs de ce travail, au-delà de la seule étude sociale d’un milieu, réside dans le recentrage de l’action politique du clergé aulique sur des objectifs religieux et spirituels. Ce sont des clercs qui conseillent le prince et leurs titres ecclésiastiques, bien trop souvent perçus par l’historiographie comme une simple quête de revenus, leur confèrent un positionnement idéologique spécifique et une obligation d’action inspirée par un projet divin. Au centre de l’attention de ces prélats, la figure royale s’appuie sur ce clergé tant pour agir que pour justifier ses actes. C’est bien elle la grande bénéficiaire de cette « monarchie ecclésiale », dans une collaboration qui ne fut jamais désavouée.
Pour citer cet article
Référence papier
Pierre-Jean Souriac, « Benoist Pierre, La monarchie ecclésiale. Le clergé de cour en France à l’époque moderne, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Epoques », 2013. », Chrétiens et sociétés, 21 | -1, 191-195.
Référence électronique
Pierre-Jean Souriac, « Benoist Pierre, La monarchie ecclésiale. Le clergé de cour en France à l’époque moderne, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Epoques », 2013. », Chrétiens et sociétés [En ligne], 21 | 2014, mis en ligne le 25 février 2015, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/3732 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.3732
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