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Comptes rendus d'ouvrages

Jeffrey Haynes, Religious transnational actors and soft power, Londres, 2012, Ashgate, 172 p.

Aurélien Zaragori
p. 181-184

Texte intégral

1Spécialiste des rapports entre religion et politique, et de la place des acteurs religieux au niveau régional et international, Jeffrey Haynes signe un essai, assez court – 150 pages de texte, plus une abondante bibliographie et un index – mais plutôt dense, sur l’influence internationale des acteurs religieux transnationaux, qu’il tente d’analyser en utilisant et en étendant à ce type d’acteurs le concept de soft power défini au début des années 1990 par Joseph Nye. Le propos est centré sur une période allant des années 1970 – et bien souvent plutôt 1980 ou 1990 – à nos jours, une période que l’auteur, à l’unisson d’autres chercheurs comme Scott Thomas (The Global Resurgence of Religion and the Transformation of International Relations : The Struggle for the Soul of the Twenty-First Century, 2005) considère comme marquée par une « déprivatisation » de la religion. Selon cette analyse, celle-ci marque à nouveau de son empreinte les relations internationales, après presque quatre cents ans de sécularisation progressive consécutive aux traités de Westphalie. Ce travail est de fait fortement marqué par le contexte post – 11 septembre, et inclut à la fois les acteurs religieux chrétiens, mais aussi musulmans – extrémistes/jihadistes tout autant que modérés – et hindous. Il s’agit d’une des premières tentatives de synthèse théorique sur la question.

2Après un chapitre introductif qui pose les bases de la quasi-totalité des concepts abordés dans l’ouvrage, il examine successivement les différents types d’acteurs religieux transnationaux dans cette période « post-sécularisée » (chapitre 2), puis la place de ces acteurs dans une société civile transnationale et leurs rapports avec la souveraineté étatique (chapitre 3) ; la seconde partie s’intéresse à la religion comme vecteur de conflit mais aussi agent de paix (chapitre 4) et aux rapports entre religion et nationalisme, notamment à l’existence d’un nationalisme religieux (chapitre 5). La dernière partie examine enfin le concept de soft power appliqué à ces acteurs religieux transnationaux (chapitre 6) décliné ensuite plus en détail dans deux chapitres thématiques, l’un consacré à la manière dont les protestants évangéliques américains ont pesé sur la mise à l’agenda diplomatique de la défense des droits de l’homme par les administrations Clinton et Bush (chapitre 7), l’autre sur les tentatives iraniennes de bâtir un réseau transnational chiite, comme instrument de soft power au niveau local et régional (chapitre 8).

3L’auteur parvient de fait à montrer que la mondialisation, en facilitant les communications, et de par les schémas de migration, entraîne la constitution de réseaux religieux transnationaux. Ces réseaux peuvent entrer en compétition ou constituer des identités religieuses globales. Ils agissent au sein d’une société postsécularisée, qui voit le retour de la religion dans les relations internationales, sur fond notamment d’attaques du 11 septembre et de réaction américaine, remettant ainsi en cause les théories – jusqu’ici dominantes – associant modernité et sécularisation/privatisation des questions religieuses. Ils constituent une partie d’une société civile transnationale, au sein de laquelle sont diffusées des idées que les États ne peuvent plus contrôler, comme la mise à l’agenda des droits de l’Homme et de la démocratisation. S’il y a affranchissement partiel de l’État et de ses frontières, et remise en cause de l’ordre purement diplomatique, la souveraineté étatique n’est pas attaquée en tant que telle.

4Ces acteurs religieux transnationaux peuvent être source de conflits et de déstabilisation, mais également agir comme ferments de paix : les normes, valeurs qu’ils véhiculent sont susceptibles d’aider à la résolution de conflits, et leur attitude neutre et désintéressée les rend acceptables par les parties en présence. Ils sont également en mesure, dans d’autres cas, d’amener à l’apparition d’un nationalisme religieux, qui peut être déterritorialisé, comme dans le cas de l’Ummah des musulmans.

5Enfin, ces acteurs religieux mettent en œuvre un soft power, qui n’est donc ni militaire, ni économique, mais repose sur la persuasion basée sur des normes et des valeurs partagées, dans le but de convaincre. Il s’agit de fait d’une extension du concept, que Joseph Nye envisageait au départ entre deux gouvernements, aux acteurs religieux non étatiques. Jeffrey Haynes utilise le terme de « persuasion religio-morale » pour désigner cette action. Elle s’exerce notamment sur la politique étrangère des États, avec d’autant plus d’efficacité que les acteurs religieux parviennent à « avoir l’oreille » des décideurs, et à créer via les medias et des campagnes de mobilisation un courant favorable à leurs idées.

6Jeffrey Haynes souligne cependant que les acteurs religieux ne parviennent pas toujours à leurs fins : le cas de l’Iran montre que les réseaux qu’il tisse en Iraq ne sont pas forcément acceptés ; certaines négociations de paix sous l’égide de médiateurs religieux ne donnent pas de résultats durables.

7Les deux derniers chapitres thématiques constituent une partie de la série d’exemples sur lesquels l’auteur bâtit son analyse et qu’il réutilise dans la plupart des cas plusieurs fois. Outre les protestants évangéliques américains et les réseaux chiites liés à l’Iran, sont ainsi présentés l’action de l’Eglise catholique sur la démocratisation de certains pays d’Amérique latine dans les années 1980 et 1990, le nationalisme hindou porté par le Bahritiya Janata Party et le fonctionnement de l’Organisation de la Coopération Islamique. La communauté Sant’Egidio, le Muslim-Christian Dialogue Forum du Nigéria, et le mouvement du Dhammayietra au Cambodge sont mis en évidence comme médiateurs de paix dans le chapitre 4. Al Qaeda, les Frères musulmans, sont enfin cités plusieurs fois, même cette dimension conflictuelle des acteurs religieux transnationaux n’est pas la plus étudiée.

8Ce livre – dont on peut seulement regretter les répétitions, souvent dans les mêmes termes et la même mise en forme stylistique (à l’image de la liste des conditions amenant au rapprochement entre néoconservateurs et protestants évangéliques, p. 38 et 102 ; de l’analyse de l’intervention de George Bush au sujet de Radio Free Europe, p. 105 et 125, etc.) – fournit donc une série de concepts qui peuvent être très stimulants pour la réflexion historique. S’il se limite à cette période de « postsécularisation » – un concept que l’on peut sans doute historiquement encore préciser, de même qu’il faudrait plus clairement analyser la place de la religion dans les relations internationales au cours des décennies antérieures – Haynes reconnaît que des acteurs religieux transnationaux, utilisant une forme de soft power, existent depuis très longtemps : les missions chrétiennes – pour ne pas dire les Eglises elles-mêmes - en sont un parfait exemple. La manière dont ce type d’acteurs a pu influer sur les relations internationales, les négociations de paix, bien avant les années 1970, peut être examinée de nouveau sous cet angle.

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Pour citer cet article

Référence papier

Aurélien Zaragori, « Jeffrey Haynes, Religious transnational actors and soft power, Londres, 2012, Ashgate, 172 p. »Chrétiens et sociétés, 21 | -1, 181-184.

Référence électronique

Aurélien Zaragori, « Jeffrey Haynes, Religious transnational actors and soft power, Londres, 2012, Ashgate, 172 p. »Chrétiens et sociétés [En ligne], 21 | 2014, mis en ligne le 25 février 2015, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/3724 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.3724

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