Navigation – Plan du site

AccueilNuméros21Dossier coordonné par Olivier Cha...Une expertise catholique au servi...

Dossier coordonné par Olivier Chatelan

Une expertise catholique au service de la pastorale urbaine

La sociologie religieuse au Canada français (1940-1970)
Jean-Philippe Warren
p. 113-145

Résumés

Au Québec, la sociologie, qu’elle soit religieuse ou non, fut dans les années 1950 directement imbriquée à la sociologie pastorale. Se légitimant par une référence rapide à l’École de Chicago, cette sociologie pastorale canadienne-française a principalement emprunté aux méthodes de la sociologie catholique française développée notamment par Gabriel Le Bras. Cependant, des contextes contrastés suscitèrent l’élaboration de travaux fort différents. Ainsi, on ne retrouve pas au Québec dans les analyses des paroisses, ni la thèse selon laquelle la misère matérielle entraîne un éloignement progressif de l’Église, ni celle voulant que l’appartenance géographico-culturelle ait un impact sur la dispersion des taux de pratique religieuse. En fait, c’est toujours le problème de l’urbanisation comme phénomène global qui oriente les recherches des sociologues québécois. L’écroulement de la pratique religieuse dans les années 1960 ne fit que confirmer, du moins en apparence, la loi implacable de la sécularisation, sonnant par le fait même définitivement le glas des enquêtes empiriques « à la Boulard » au Canada.

Haut de page

Entrées d’index

Géographie :

Québec

Chronologie :

Années 1950-1960
Haut de page

Texte intégral

Cette histoire encore vivante [de la sociologie québécoise des années 1940-1970] est une partie de l’histoire que nous avons vécue, avec les maîtres qui nous furent communs, au temps où, en France, la « sociologie religieuse », c’était obligatoirement G. Le Bras…
Émile Poulat

  • 1 Gabriel Le Bras avait invité les catholiques, dès 1931, à mettre les méthodes statistiques et quant (...)
  • 2 Guy Laperrière, « Pourquoi l’histoire diocésaine ne s’est-elle pas développée au Québec comme en Fr (...)

1Dans les années 1950, les catholiques d’un peu partout en Europe et en Amérique reprirent en chœur la formule du pape : « Voir clair pour agir efficacement », mais cela faisait longtemps déjà que des précurseurs avaient compris la nécessité de renouveler les méthodes traditionnelles d’apostolat en utilisant à leur avantage les approches les plus avancées des sciences sociales1. Un message ancien, répétait-on, avait besoin de s’appuyer sur les technologies modernes. La discipline sociologique, perçue comme plus globale que les autres branches des sciences sociales, fut notamment mise à contribution. « En recourant à des sociologues, mieux encore, à des praticiens de la sociologie religieuse, les évêques croyaient donner à leurs efforts pastoraux une solide base scientifique qui allait permettre de relever et la pratique religieuse et le recrutement des vocations2. »

  • 3 Fernand Boulard et Jean Rémy, Pratique religieuse urbaine et régions culturelles, Paris, Les Éditio (...)
  • 4 Alain Chenu, « Les enquêteurs du dimanche. Revisiter les statistiques françaises de pratique du cat (...)

2Aussi, les recensements et les monographies réalisés par des catholiques n’allaient pas tarder à se multiplier. À prendre seulement en considération les enquêtes proprement urbaines menées par des experts catholiques, on constate qu’avant 1950, c’est à peu près le désert en France. Puis, c’est l’explosion, avec 26 enquêtes entre 1950 et 1954, 48 entre 1955 et 1959 et 32 entre 1960 et 1964, les trois quarts des enquêtes de ce type s’étalant sur moins d’une décennie, de 1954 à 19623. Ces enquêtes avaient un caractère massif qui semble, pour nous contemporains, tout à fait extraordinaire. De 1946 à 1966, selon les chiffres d’Alain Chenu, les enquêtes de pratique catholique ont inclus dans leurs données dix millions de personnes et, de 1949 à 1970, les recensements organisés lors des messes dominicales ont dénombré quatre millions de fidèles. « En dehors de la statistique publique, jamais en France des investigations aussi vastes n’avaient été menées, et ce record est resté ensuite inégalé4. »

  • 5 Lire notamment Liliane Voyé et Jaak Billiet, « Sociologie et religions : figures de rencontres », d (...)
  • 6 Nous excluons du présent article les études de sociologie religieuse historique. Voir Guy Laperrièr (...)
  • 7 Georges-Henri Lévesque, « Préface », dans Louis-Edmond Hamelin et Colette L.-Hamelin (dir.), Quelqu (...)
  • 8 Jean-Philippe Warren, L’Engagement sociologique. La tradition sociologique du Québec francophone, M (...)
  • 9 À l’exception de Jean-Philippe Warren, « La découverte de la question sociale : Sociologie et mouve (...)

3Cette histoire a été partiellement contée pour la France5. On en connaît mieux désormais les grandes étapes et les principaux acteurs. Au Québec, cependant, cette page du développement des sciences sociales n’a fait l’objet d’aucune publication d’ensemble, alors que pourtant les relations entre les institutions cléricales et les centres de recherche universitaires y furent plus étroites qu’en maints autres pays6. Les débuts de l’enseignement de la sociologie religieuse dans les universités de Montréal et de Québec découlèrent, on le sait, d’une volonté des élites religieuses qui sentaient qu’il était devenu nécessaire de mieux connaître les situations concrètes dans lesquelles évoluaient désormais les chrétiens. Ces élites croyaient en particulier que les principes chrétiens ne pourraient être correctement appliqués et suivis tant que les circonstances concrètes de leur incarnation resteraient méconnues. « Nous sommes malheureusement en retard en ce domaine [de la sociologie religieuse] », écrivait Georges-Henri Lévesque en 1956, « même si notre population prétend toujours mettre ses préoccupations religieuses au premier plan. Par ailleurs, l’évolution religieuse actuelle de notre société, aussi manifeste que rapide, rend plus pressantes et plus nécessaires que jamais des études sérieuses, objectives et d’envergure7. » On favorisa par conséquent dans les années 1950-1960 la formation de spécialistes de la religion, mais des spécialistes qui se situent dans la lignée de cette « science pour l’action » qui avait été – ici comme ailleurs – la devise des catholiques depuis la fondation de l’École sociale populaire (1911) et des Semaines sociales (1920)8. C’est ainsi que la sociologie au Québec, qu’elle soit religieuse ou non, fut à ses commencements directement imbriquée à la sociologie pastorale, ce que peu d’historiens québécois ont souligné9.

L’École de Chicago et l’École de Le Bras

  • 10 Les Dominicains furent parmi les premiers religieux à se préoccuper, en France, des défis posés par (...)
  • 11 R. P. Gonzalve Poulin, o.f.m., « L’enseignement des sciences sociales dans les universités canadien (...)
  • 12 Marius Plante, Évolution des origines sociales des diplômés de la Faculté des sciences sociales de (...)

4De plus en plus démunie devant les transformations rapides de la société canadienne-française, l’Église québécoise a cherché, dès l’entre-deux-guerres, à former une classe inédite d’apôtres sociaux : les experts. La carrière du père Georges-Henri Lévesque apporte un témoignage éclairant de cette volonté nouvelle d’étudier empiriquement les réalités sociales. En 1930, les supérieurs de son ordre dominicain, qui comprenaient l’importance de former des religieux dans les centres les plus actifs de la recherche sociale catholique, l’envoyèrent en Europe10. Fort de ses études en Belgique et en France, le père Lévesque fut appelé par la suite à fonder en 1938 l’École des sciences sociales de l’Université Laval. S’inspirant des programmes de l’École des sciences sociales et politiques de l’Université catholique de Lille et de Louvain, « l’École de Laval » entendait affiner l’étude et l’application de la doctrine sociale enseignée dans les encycliques pontificales11. Il n’est guère étonnant, dès lors, qu’on ait principalement retrouvé, parmi ses premières cohortes étudiantes, des catholiques fervents. Entre 1947 et 1952, 19 diplômés sur 23 sont des prêtres ou des religieux12. Quant aux élèves laïcs, ils sont recrutés en majorité dans les rangs des mouvements d’Action catholique spécialisée (ACS), qui cherchaient alors à assimiler, comme le commandait le fameux triptyque « voir, juger, agir », le maniement des techniques et des méthodes nécessaires à une charité renouvelée.

  • 13 Raymond-Marie Hébert, Le Rosaire, méthode de prédication. Deuxième congrès de Prédication des R.R.  (...)
  • 14 Fernand Dumont, « La sociologie religieuse au Canada français », dans Sociologie religieuse, scienc (...)
  • 15 Selon L.-E. Hamelin et C. L.-Hamelin (dir.), op. cit., p. 36. Il est probable que sa communication (...)

5Ce militantisme catholique allait trouver un prolongement scientifique dans le courant alors émergent de la sociologie religieuse. Outre Jean-Charles Falardeau (premier directeur du Département de sociologie de l’Université Laval en 1951) et Norbert Lacoste (premier directeur du Département de sociologie de l’Université de Montréal en 1955), qui, avec leurs étudiants, ont été très actifs dans ce domaine, nous pouvons tout de suite nommer Fernand Dumont, considéré à la fois comme l’un des plus grands sociologues et l’un des plus illustres intellectuels catholiques québécois. Ce dernier, tout nouvellement nommé professeur au Département de sociologie de l’Université Laval, a participé en septembre 1955 au Congrès des prêtres de la Maison Montmorency (un centre de rencontre et de réflexion de l’intelligentsia catholique progressiste) afin d’aborder la question de la sociologie religieuse13. Il y a présenté les résultats d’une réflexion ayant déjà fait l’objet d’une communication au IVe Congrès de la Conférence internationale de sociologie religieuse (tenu deux ans plus tôt, à La Tourette, en France14). Son intérêt était si vif pour ce genre d’études qu’il aurait eu l’intention de terminer un ouvrage intitulé Dimensions de la sociologie religieuse, dont la parution était prévue pour le début de 195715.

  • 16 L.-E. Hamelin et C. L.-Hamelin (dir.), op. cit., p. 25.
  • 17 Norbert Lacoste, « Dernières tendances et sociologie religieuse », Le Séminaire, mars 1955, vol. XX (...)

6Au milieu des années 1950, on était de plus en plus convaincus de la pertinence d’avoir au Québec des organismes semblables à celui dirigé en Hollande par G. H. L. Zeegers (l’Institut catholique de recherches sociales et ecclésiastiques) ou à celui fondé par François Houtart à Bruxelles en 1955 (le Centre de recherches socioreligieuses) afin de connaître le terrain dans lequel devait s’exercer l’action de l’Église. « Ne pourrions-nous pas souhaiter », s’interrogeaient les époux Hamelin, « que notre épiscopat, nos universités ou nos gouvernements permettent la création de centres de recherches aussi utiles16? » En 1955, Norbert Lacoste déclarait : « Il nous faut du personnel et du capital pour mettre en route les enquêtes qui s’imposent chez nous. […] Il faut organiser la recherche à un niveau universitaire et fonder un centre de recherche en sociologie religieuse17. » L’inspiration qui animait les chercheurs québécois était la même que celle qui se devinait derrière la fondation de la revue internationale Social Compass (dont le premier numéro parut en 1953), un périodique qui se promettait d’être, comme son nom l’indique, une boussole au service de l’Église. Il s’agissait en d’autres termes d’encourager les études scientifiques afin de rénover et d’adapter l’action apostolique.

  • 18 Fernand Dumont, « Sociologie religieuse et pastorale », Ad Usum Sacerdotum, décembre 1955, vol. 11, (...)
  • 19 Entrevue de l’auteur avec Norbert Lacoste, 8 janvier 2013, Montréal.
  • 20 Jean-Philippe Warren et Yves Gingras, « Cinquante ans de recherches et de débats. Fondation et évol (...)

7Non seulement le sens de la relation entre sociologie et pastorale était clair, mais l’était aussi la division des tâches, du moins en apparence. Elle respectait à un premier niveau un plan très fonctionnel, qui suivait l’opposition théorique entre sociologie positive et sociologie normative18. Étudiants tous les deux à Louvain en sciences sociales, les prêtres Norbert Lacoste et Charles Mathieu s’étaient ainsi partagé le champ des connaissances en se spécialisant, l’un en enquêtes empiriques, et l’autre en doctrines sociales19. Aux experts formés en sciences sociales revenait la tâche d’accumuler de manière presque positiviste des données platement empiriques, tandis que l’interprétation des faits était laissée au clergé ou aux savants dotés d’une bonne culture théologique. À l’instar du chanoine Boulard, qui préférait le terme « sociographie » pour qualifier la nature de ses travaux, les sociologues du Québec se voulaient d’abord des sociographes – la première revue de sociologie du Québec recevant d’ailleurs en 1960 le nom de Recherches sociographiques20.

  • 21 Marlene Shore, The Science of Social Redemption: McGill, the Chicago School, and the Origins of Soc (...)
  • 22 En particulier, Celestine Joseph Nuesse et Thomas Joseph Harte (dir.), The Sociology of the Parish  (...)
  • 23 Hughes terminait alors une recherche sur une petite ville industrielle du Québec qui paraîtra sous (...)
  • 24 Marcel Fournier, « Un intellectuel à la rencontre des deux mondes : Jean-Charles Falardeau et le dé (...)

8D’emblée, on aurait pu croire que l’apport de l’École de Chicago serait important dans les études québécoises de sociologie religieuse, vu la proximité géographique entre Montréal et Chicago et l’antenne de l’École de Chicago à Montréal que constituait le Département de sociologie de McGill (où avait enseigné Everett C. Hughes de 1927 à 1938 et enseignait toujours Carl Dawson21). De fait, il existe des liens intellectuels et institutionnels entre les sociologues américains et leurs collègues canadiens de langue française22. Professeur invité à l’École des sciences sociales, politiques et économiques de l’Université Laval durant l’année académique 1942-1943, Everett C. Hughes23 a signé un Programme de recherches sociales pour le Québec. Empêché par l’éclatement de la guerre de poursuivre des études supérieures outre-mer, Falardeau a entrepris à l’Université de Chicago des études doctorales sur l’évolution de la paroisse canadienne-française24.

  • 25 Les travaux d’E. W. Burgess, R. E. Park et L. S. White sont considérés comme « des modèles du genre (...)
  • 26 Jean-Charles Falardeau, « Évolution et métabolisme contemporain de la ville de Québec », Cultures, (...)
  • 27 Norbert Lacoste, Les caractéristiques sociales de la population du grand Montréal, Montréal, Facult (...)

9Au final, cependant, on ne peut dire que l’École de Chicago ait laissé une empreinte profonde sur les enquêtes de sociologie religieuse au Québec. Il semble en fait qu’il existe un divorce relatif dans les travaux des sociologues québécois des années 1940-1950 : ceux consacrés à la ville en tant que telle et à ses habitants définis comme consommateurs et producteurs retiennent plusieurs concepts de l’écologie urbaine de Chicago25, tandis que ceux consacrés à la paroisse affichent une influence américaine beaucoup plus discrète. Quand Falardeau écrivait sur le développement urbain de la ville de Québec, il continuait de se référer à Ernest W. Burgess et Robert E. Park, tandis que, lorsqu’il se penchait sur les réalités religieuses, il se rapprochait de Gabriel Le Bras26. Même constatation pour Norbert Lacoste. Spécialisé en sociologie urbaine à la suite d’un été passé à l’Université de Chicago (1952), puis d’un séjour plus substantiel à l’Université catholique de Louvain, où il obtiendra sa licence en sciences sociales (1948-1951) et un doctorat en sciences politiques et sociales (1958), Norbert Lacoste a rédigé une thèse de doctorat qui, bien qu’elle ait été dirigée par le professeur Yves Urbain, de Louvain, s’inscrivait dans la tradition américaine de géographie sociale. Soutenue par une base statistique importante et de nombreuses cartes, elle n’aurait pas été déplacée dans un département américain27. Pourtant, quand Lacoste écrivait sur la sociologie religieuse, il empruntait largement aux sociologues européens.

  • 28 Ce qui n’empêche pas des emprunts, par exemple celui de « migrant » : Olivier Chatelan, « La migrat (...)
  • 29 Quand Leclercq annonça la fondation de la Société internationale de sociologie des religions, en 19 (...)

10Rien là de très surprenant. Le paradigme de l’École de Chicago, disons-le, n’était pas d’une grande pertinence pour le genre de connaissances dont les catholiques canadiens-français avaient alors besoin28. En fait, on peut supposer que l’utilité de la sociologie américaine dans le discours des sociologues catholiques consistait avant tout à les aider à se distancer de la sociologie spéculative de type durkheimien en insistant sur les recherches empiriques et l’observation au ras du sol. Elle permettait aux sociologues catholiques, en d’autres termes, de dédouaner la science sociale du positivisme français tant redouté par l’épiscopat romain à un moment où Durkheim était encore très mal vu des chercheurs canadiens-français29.

  • 30 « Il s’agit non d’analyser dans le détail la structure de la ville, mais de faire rapidement le tou (...)
  • 31 Notion élaborée par William F. Ogburn, Social Change with Respect to Culture and Original Nature, N (...)

11En soi, la sociologie américaine n’avait rien pour attirer un sociologue catholique. Un, elle avait produit jusque dans les années 1950 peu de recherches sur les comportements religieux, préférant consacrer l’essentiel de la littérature savante à des monographies de secte. Les modèles de recherche de type américain sur les pratiques religieuses manquaient, alors que c’était déjà (par comparaison, au moins) l’abondance en Europe. Deux, les études américaines, plus sophistiquées, n’étaient pas adaptées pour des non-universitaires, alors que le genre d’enquêtes proposé par les sociologues européens (surtout français et belges) pouvait être facilement effectué par des amateurs, aidés en cela par des fiches, des manuels et des guides que l’on n’avait qu’à suivre comme l’on monte un « kit ». Trois, la méthode proposée par l’École de Chicago s’appuyait sur des études empiriques minutieuses qui manquaient de perspective. Les sociologues catholiques se rendaient compte que les investigations pointues exigées par les méthodes de cueillette des données américaines n’étaient pas très constructives, qu’il leur manquait une vue d’ensemble, que l’on se perdait dans les détails. L’approche dite de « contact global », pratiquée en France par le groupe Économie et humanisme (laquelle consistait à rencontrer quelques informateurs-clés et, à partir de leurs impressions et observations, à construire une image d’ensemble de la situation de la région30), tirait de là sa popularité. Elle simplifiait le travail d’enquête et permettait la formulation de conclusions générales qui pouvaient nourrir immédiatement l’action. Quatre, et en lien avec le point précédent, le modèle de l’écologie urbaine était trop statique. Il démontrait comment l’agrandissement des villes se déployait selon un plan précis et inéluctable, alors que l’Église voulait au contraire connaître les stratégies les plus efficaces pour réaménager les quartiers à son avantage. Ceux qui supervisaient ou réalisaient les investigations sociologiques avaient soif d’orientations normatives pour renouveler la pastorale. Cinq, les enquêtes de l’École de Chicago s’appuyaient sur le concept de cultural lag31, une notion qui désignait un décalage entre les conditions matérielles et technologiques changeantes et une sphère des idées plus conservatrices. Le postulat selon lequel les institutions religieuses étaient toujours, par essence en quelque sorte, en retard sur les transformations technologiques, économiques et matérielles ne pouvait plaire aux hommes d’Église.

  • 32 Sur l’influence plus générale de la sociologie française au Québec, lire Marcel Fournier, « De l’in (...)
  • 33 Archives de la Paroisse franciscaine de France (Paris), fonds Vianney-Delalande, lettre de Roland D (...)
  • 34 L.-E. Hamelin et C. L.-Hamelin (dir.), op. cit., p. 29.
  • 35 Louis-Edmond Hamelin et Colette L. Hamelin furent les premiers à achever une étude (restée inédite) (...)

12Pour l’ensemble de ces raisons, le modèle d’enquête pratiqué en Europe supplanta assez rapidement au Québec celui de l’École de Chicago, et les sociologues de la religion canadiens-français se tournèrent vers les travaux de Gabriel Le Bras, du chanoine Fernand Boulard, de Jean-François Motte et de Louis-Joseph Lebret32. « En effet », écrivait dans une lettre le directeur du Centre de recherches en sociologie religieuse de l’Université Laval, « l’Europe et la France sont en avance de nous dans le domaine pastoral. La France, en particulier, compte en Grandes missions, en pastorale, en sociologie, des spécialistes que nous n’avons pas pour le moment33. » Lorsque Louis-Edmond Hamelin et son épouse, deux chercheurs que les études de géographie religieuse intéressent, publièrent en 1956 un livre programme aux Éditions du Levrier (propriété des dominicains), dans la toute nouvelle (et éphémère) collection « Sociologie et pastorale », ils en firent un véritable plaidoyer pour « l’impérieuse nécessité de précipiter une enquête Boulard34 » au pays. Selon les auteurs, la « vraie sociologie religieuse » du « maître » Gabriel Le Bras pouvait – que dire ? – devait servir de modèle aux recherches sur le clergé canadien, en permettant enfin de quitter le ciel des lamentations et des récriminations pour le terrain des cartes, des chiffres, des faits concrets et objectifs35.

  • 36 Sur l’œuvre et la carrière de Le Bras, lire Dominique Julia, « Un passeur de frontières. Gabriel Le (...)
  • 37 Jean-Charles Falardeau, « Itinéraire sociologique », Recherches sociographiques, mai-août 1974, vol (...)
  • 38 Les actes offraient un tableau des études réalisées dans les dix dernières années sur les diocèses (...)
  • 39 Archives du Diocèse de Saint-Jérôme (Saint-Jérôme), fonds 319, Maurice Matte, « Rapport sur mes ren (...)

13À cette fin, les contacts se multiplièrent d’un bord et de l’autre de l’océan. Profitant de son passage à Bordeaux comme professeur invité en 1949-1950, Falardeau a rencontré Le Bras à plusieurs reprises, les deux savants se liant d’amitié36. Le Bras a encouragé le professeur de l’Université Laval « presque impérieusement à poursuivre [s]es observations sur l’évolution de la paroisse et de l’Église au Québec37 ». Un peu plus tard, Falardeau a participé à la troisième Conférence internationale de sociologie religieuse à Bréda, aux Pays-Bas, un colloque présidé par Le Bras et dont le thème était « Milieux modernes et vie religieuse38 ». C’était le début de fructueux séjours de plusieurs sociologues québécois dans les centres de sociologie religieuse en France et en Belgique. Par exemple, en janvier 1960, l’abbé Matte avait rencontré le chanoine Boulard à Paris, et ce dernier n’avait pas perdu une si belle occasion pour encourager Matte à sonder la situation de la pratique religieuse au Canada français en se servant des instruments et concepts qu’il avait mis au point. Le chanoine avait même remis une cinquantaine d’exemplaires de ses enquêtes quantitatives afin qu’elles puissent tenir lieu de modèles aux chercheurs du Centre de sociologie religieuse de Québec39.

  • 40 Le texte a été perdu, mais Louis-Edmond Hamelin et Colette L.-Hamelin en donnent les grandes lignes (...)
  • 41 Fernand Dumont avait rencontré Le Bras et Boulard lors de ses études en France, en 1953-1955, et av (...)
  • 42 Abbé Lambert-Bovy, « Une enquête de sociologie religieuse dans les marais bretons », Revue d’histoi (...)
  • 43 Une partie des résultats fut publiée dans Abbé Lambert-Bovy, « Sondage sur la "mentalité chrétienne (...)
  • 44 Il en était à son troisième ou quatrième voyage au Canada. Le 13 mars 1959, le frère Fulgence Boisv (...)
  • 45 Dans ce dernier cas, il s’agissait encore une fois de « connaître de manière claire et distincte la (...)
  • 46 Vianney Delalande, Réflexions pastorales issues d’une rapide étude de « contact global » de la régi (...)

14Dans l’autre sens, François Houtart a résidé au Québec à l’été 1953 et a fait librement circuler un texte polycopié intitulé « La sociologie religieuse et l’apostolat », manuscrit dans lequel il donnait des conseils sur la façon d’analyser une paroisse et présentait la situation religieuse à Bruxelles, Chicago et Montréal40. L’automne de l’année suivante, il est venu donner une série de conférences sur la sociologie religieuse à Montréal. Le chanoine Boulard, venu quant à lui en 1958 au Québec diriger une enquête dans le diocèse de Québec, avait profité de son séjour transatlantique pour donner des cours de sociologie religieuse au Grand séminaire de Québec et à l’Université Laval41. Après avoir effectué des recherches sur le Marais breton à la fin du xixe siècle42, l’abbé Lambert Bovy est resté au Québec en 1958 pour y réaliser un sondage sur la mentalité chrétienne de la population canadienne-française de Montréal43. Enfin, dernier exemple, le père Vianney Delalande a visité quatre fois le Québec, la première fois pour aider à l’achèvement de la mission de Sainte-Anne-de-la-Pocatière en 196044 et la dernière pour étudier pendant quatre mois, de novembre 1967 à février 1968, les aspects sociologiques d’une pastorale d’ensemble à Québec45. Prenant fortement appui sur les travaux du groupe Économie et humanisme, de Boulard et de Le Bras, le rapport du père Delalande a inspiré de nombreux travaux des professeurs et des étudiants des cycles supérieurs de l’Université Laval46. Dans une lettre au père Jean-François Motte, datée d’octobre 1963, Roland Doyon (un prêtre du diocèse de Québec qui avait étudié les sciences sociales à Paris sous la direction du chanoine Boulard et qui fut le premier directeur, en 1958, du Centre de recherche sur la sociologie religieuse [CRSR] à l’Université Laval) écrivait :

  • 47 Archives de la Paroisse franciscaine de France (Paris), fonds Vianney-Delalande, lettre de Roland D (...)

Le père Vianney a pu jouer […] un véritable rôle de professeur de pastorale et de sociologie. Les derniers à bénéficier de ce contact avec un fils épanoui de Saint François n’ont pas été nos sociologues laïques du CRSR. Ils ont à l’occasion exprimé leur satisfaction d’entrer en relation avec un sociologue qui fut en même temps un modèle de prêtre47.

15On le devine, la somme de ces échanges entre les sociologues de la religion d’un bord et de l’autre de l’Atlantique forme un réseau extrêmement serré et dynamique.

L’étude de la paroisse urbaine

  • 48 À ces sujets d’enquête, il faut ajouter l’étude des vocations, laquelle a aussi connu quelques adep (...)
  • 49 Gabriel Le Bras et Fernand Boulard, « Carte de la pratique religieuse dans les campagnes », Cahiers (...)

16La sociologie religieuse française de l’après-guerre est surtout connue pour ses analyses de la pratique religieuse, mais, au Québec, de telles enquêtes furent rares pendant les années qui nous concernent48. Alors que la carte établie par le chanoine Boulard et publiée en 1947 dans les Cahiers du clergé rural avait indiqué la voie à suivre pour une myriade de chercheurs à travers la catholicité49, il est notable de constater qu’on ne retrouve aucune tentative comparable dans la province.

  • 50 Paul Stryckman, « Réflexions et prospectives sur la sociologie de la religion au Québec », Les Cahi (...)

Notre sociographie n’a presque pas touché le champ, bien cultivé en Europe, de la pratique religieuse. Notre sociographie du catholicisme local s’est très nettement orientée vers des questions de structures socioreligieuses à retracer dans l’espace local et régional mal connu. Il est pourtant bien évident que les sociologues d’ici ont bien connu les intérêts sociographiques des Le Bras, des Boulard, des Houtart, mais il n’a jamais été question d’inventorier la pratique religieuse du Québec ni de la cartographier50.

  • 51 Pourcentages cités par Jean Labbens, L’Église et les centres urbains, Paris, Éditions Spes, 1959, p (...)
  • 52 « Des instructions standardisées avaient été rédigées à l’usage des curés ; la distribution et le r (...)
  • 53 Encore en 1967, l’auteur d’un ouvrage sur les structures sociales et les attitudes religieuses de S (...)

17Cela s’explique par le fait que, jusqu’au Concile Vatican II, l’Église catholique continuait à informer l’ensemble des attitudes des Canadiens français. Comparés à ceux des villes de Bruxelles (24 %), Paris (15 %), Lyon (20 %), Barcelone (12 %), Rio de Janeiro (15 %), les taux d’assistance à la messe à Montréal (63 %) faisaient dans les années 1950 figure d’exception51. Loin d’être complètement dissociée de la vie profane, la religion imbibait de nombreux secteurs économiques, sociaux et professionnels. L’unanimité de la fréquentation religieuse était telle que les recensements ne discernaient que peu de variation entre les messalisants (ceux qui vont à la messe fréquemment) selon le domicile, la profession, l’état civil, le sexe, l’âge et le lieu d’habitation. Dans un sondage sur la pratique religieuse conduit en milieu urbain en novembre 1958, Fernand Dumont et Gérald Fortin avaient confirmé que, pour les hommes et les femmes de plus de 20 ans, les taux de pratique étaient à tous âges à peu près semblables (moyenne pour les hommes de 66 % et pour les femmes de 68 %)52. Dans de telles conditions, la multiplication de sondages sur la vitalité religieuse n’aurait pas révélé grand-chose, surtout dans les zones rurales où la quasi-totalité (jusqu’à 99,9 %) des habitants se rendait chaque dimanche à la messe53.

  • 54 Fernand Grenier, « Compte rendu de Louis-Edmond Hamelin et Colette L.-Hamelin, Quelques matériaux d (...)

18Même si les taux d’assistance à la messe, qui confinaient à l’unanimité, ne causaient pas d’inquiétudes, cela ne voulait pas dire que tout allait pour le mieux au Québec. En fait, les sociologues québécois s’imaginaient que quelque chose de beaucoup plus grave que la chute de la pratique religieuse menaçait l’avenir du catholicisme, à savoir le divorce croissant de la vie chrétienne et de la vie profane dans les agglomérations urbaines. Ils s’alarmaient du fait que, dans les villes, les pas des croyants ne les ramenaient plus, sinon justement pour certains rites très précis (messes hebdomadaires, baptêmes, mariages, enterrements), au seuil des églises. Pour saisir ce problème, des études des structures sociales en regard de l’équipement pastoral des paroisses semblaient plus indiquées que des recensements des messalisants54.

  • 55 Si l’on exclut Léon Gérin, « L’habitant de Saint-Justin », Mémoires de la Société royale du Canada, (...)
  • 56 Jean-Charles Falardeau, « Parish Research in Canada », dans C. J. Nuesse et Thomas J. Harte (ed.), (...)
  • 57 Everett-C. Hughes, « Programme de recherches sociales pour le Québec », Cahiers de l’École des scie (...)
  • 58 Texte signé avec l’abbé François Houtart. Plus méthodologique, le chapitre II de la seconde partie (...)
  • 59 Marcel Fournier, Entretiens avec Denis Szabo. Fondation et fondements de la criminologie, Montréal, (...)
  • 60 Denis Szabo, « Aspects de la sociologie religieuse urbaine », Chronique sociale de France, février (...)

19Dans les années 1940-1960, le centre d’une grande quantité des observations sociologiques fut la paroisse urbaine. Tant que la paroisse avait semblé une institution stable et traditionnelle, les études canadiennes-françaises qui la prenaient pour objet avaient été principalement écrites d’un point de vue juridique et historique55. Mais, dès la guerre, avec les bouleversements qui la transformaient en profondeur, les sciences sociales alors en plein essor firent de la paroisse un champ d’investigation privilégié. Pour Jean-Charles Falardeau, « the changing structure and functions of the parish in modern cities offer one of the most fruitful areas for empirical studies to sociologists everywhere, but especially in North America56 ». Preuve de cette importance, la thèse de doctorat de Falardeau portait sur la paroisse canadienne-française. Everett C. Hughes l’avait encouragé dans cette voie, car il croyait que la paroisse était avec la famille l’un des « éléments fondamentaux57 » de la société canadienne-française. Quant à Norbert Lacoste, il avait commencé sa carrière par la publication d’un long texte (107 pages mimiographiées) intitulé « The Parishes of Chicago, 1834-1953 : Historical Evolution, Geography, Population, Ecology58 ». C’est lui qui, en 1958, avait insisté pour faire venir comme professeur à son institution Denis Szabo, spécialiste de sociologie religieuse urbaine59 et auteur de « La paroisse dans la structure écologique de la ville60 ».

  • 61 Jean-Charles Falardeau, « Sociologie de la paroisse », Semaines sociales, Montréal, Institut social (...)
  • 62 Richard Arès, s. j., « Quelle est la religion des Canadiens français ? », Relations, août 1964, no  (...)
  • 63 Norbert Lacoste, « Urbanisme et structure religieuse », Revue canadienne d’urbanisme, 1954, vol. IV (...)

20Accablé par les tâches d’un pionnier de la discipline, Falardeau ne réussit jamais à finir sa thèse, mais il laissa divers textes qui représentent autant de chapitres possibles de ce qui aurait été sa dissertation doctorale. Dans ces publications dispersées, il commençait par établir que la paroisse était plus qu’un groupement humain ordinaire, qu’elle était en réalité un « microcosme de l’Église » et qu’à ce titre, elle comportait une dimension à la fois surnaturelle et humaine. « Ainsi », en concluait-il, « une sociologie de la paroisse doit se fonder sur une théologie de la paroisse61. » La paroisse était aussi à ses yeux le fondement de la communauté canadienne de langue française. L’effondrement de la paroisse lui paraissait pour cette raison une calamité pour la préservation de la foi catholique et la perpétuation des traditions nationales à un moment où – faut-il le rappeler? – l’identité collective et la confession catholique étaient indissolublement liées (au recensement canadien de 1961, 99,1 % des Québécois d’origine française se déclaraient catholiques, le pourcentage diminuant à 98 % pour les Montréalais d’origine française62). Le père Lacoste confirmait ce constat : « Si elle [la paroisse] n’est pas protégée et favorisée, nous nous acheminons vers un double fléau : dénatalité et donc ruine du point de vue démographique ; en second lieu, déchristianisation et donc ruine du point de vue spirituel63. » On ressentait pour cette raison le besoin de se servir de l’outillage de la science moderne afin d’établir une stratégie de défense et de relèvement de l’institution paroissiale en milieu urbain.

  • 64 Pierre Lhande, Le Christ dans la banlieue. Enquête sur la vie religieuse dans les milieux ouvriers (...)
  • 65 Gilles Routhier, « La paroisse québécoise : évolutions récentes et révisions actuelles », dans Serg (...)

21Notons d’emblée que trois réalités qui existaient dans les cités d’Europe, notamment en France, ne se retrouvaient pas au Québec. D’abord, les banlieues, à peine développées, n’étaient pas considérées comme des réserves païennes. Ensuite, la classe ouvrière ne s’était pas tournée vers les mouvements communistes, très marginaux en Amérique du Nord64. Enfin, autre différence majeure, on ne peut qu’être frappé par les différences de grosseur entre les paroisses urbaines canadiennes-françaises et européennes. Dans les années 1950, les paroisses de Bruxelles comptaient en moyenne 12 000 fidèles, et celles de Paris 30 000. Par contraste, en 1953, la plus grosse paroisse du Québec comptait 20 000 âmes, mais c’était une exception, la plupart n’excédant pas 5 000 croyants, chiffre qui était considéré alors par un peu tout le monde comme un idéal. Entre 1944 et 1964, dans le diocèse de Québec, selon les calculs de Gilles Routhier, le nombre moyen de paroissiens par paroisse ne s’élevait pas au-dessus de 3 40065. Aidée par un personnel clérical toujours plus nombreux, l’Église avait réussi à juguler la formidable croissance démographique des catholiques francophones dans les villes en mettant en place un impressionnant dispositif d’encadrement paroissial.

  • 66 Joseph Folliet, « Les effets de la grande ville sur la vie religieuse », Chronique sociale de Franc (...)
  • 67 Jacques Grand-Maison, La Paroisse en concile. Coordonnées sociologiques et théologiques, Montréal, (...)
  • 68 Ibid.
  • 69 « Quel dur retour à la vie urbaine que celui qui nous fait passer des beautés des Laurentides aux n (...)

22Ces contextes différents ont fait en sorte qu’on ne retrouve pas au Québec dans les analyses des paroisses, ni la thèse selon laquelle la misère matérielle entraîne un éloignement progressif de l’Église, ni celle voulant que l’appartenance géographico-culturelle ait un impact sur la dispersion des taux de pratique religieuse (les enquêtes québécoises ignorant complètement la typologie tripartite proposée par Gabriel Le Bras entre pays chrétiens, zones de conformisme saisonnier et terres de mission). En fait, c’est toujours le problème de l’urbanisation comme phénomène global qui oriente les recherches des sociologues québécois66. Les interprétations de ces derniers étaient en très large partie mécaniques : plus une société est urbanisée, avançaient-ils, plus elle aura tendance à s’éloigner de l’Église si celle-ci ne réussit pas à moderniser ses méthodes d’encadrement social. Ce constat n’avait pas changé au milieu des années 1960 : « Il semble que plus on est intégré à la vie des cités, que plus on participe aux associations profanes diverses, moins on est intéressé par la paroisse67. » Selon le chanoine Jacques Grand-Maison, auteur de la dernière citation, les statistiques l’auraient démontré : ceux que l’on pouvait qualifier (Dieu sait comment, les critères de cette définition n’étant pas fournis) de « paroissiaux » représentaient seulement 18 % des professionnels, 24 % des commerçants, 34 % des employés de bureau, mais près de la moitié (46 %) des ruraux68. De là, à l’évidence, une nostalgie chez maints experts pour ce qu’avait pu représenter naguère la paroisse rurale comme institution sociale et religieuse du Canada français69. La paroisse urbaine dont beaucoup de sociologues québécois rêvaient était intime, communautaire, homogène, autarcique, en un mot : rurale.

  • 70 Wilfrid Gariépy, « La paroisse urbaine », Semaines sociales, Institut social populaire, 1953, p. 76
  • 71 Ibid., p. 80.
  • 72 « La paroisse urbaine, soutenait en 1944 un étudiant de l’École des sciences sociales de l’Universi (...)
  • 73 L’expression est de Jean Chélini, La ville et l’Église. Premier bilan des enquêtes de sociologie re (...)
  • 74 Lucia Ferretti a montré que, si la paroisse urbaine a su favoriser l’insertion des Canadiens frança (...)
  • 75 « Dans l’ensemble des services qui sont offerts à la population, la paroisse devient elle-même un l (...)

23Les Semaines sociales du Canada, une institution de diffusion de la pensée sociale calquée sur celles qui existaient en Europe, consacraient ses assises de 1953 à la paroisse comme « cellule sociale ». Dans sa présentation, le jésuite Wilfrid Gariépy notait que la paroisse urbaine avait cessé de représenter un centre de gravité aussi puissant que la paroisse rurale. « On n’y trouve pas aussi intense le sens communautaire par lequel on se sent lié par une vie commune, un vouloir-vivre commun, une fin commune réalisés par la paroisse et dans la paroisse70. » Plus les villes grossissaient, plus il devenait impossible de limiter le pouvoir municipal aux frontières d’une paroisse. La corporation scolaire échappait à la paroisse; les œuvres sociales et religieuses avaient été prises en charge par l’État, qui apportait désormais son aide aux familles, aux nécessiteux, aux malades, aux vieillards. Le rouage essentiel des mouvements d’Action catholique se situait au niveau de la centrale, qui était détachée des paroisses et même des diocèses. Désormais, les loisirs, le commerce et le travail débordaient les cadres de la paroisse. Le syndicat pour l’ouvrier, l’association patronale pour l’employeur, les salles de danse, le cinéma, la radio et la télévision échappaient à l’influence de la paroisse. « On est Richelieu, Kiwanien, Chevalier de Colomb. On fait partie d’un club de golf, de politique ou de cartes. Mais le lien qui rattache à un autre paroissien est extrêmement frêle71. » La vie des paroissiens quittait le giron de la paroisse afin de graviter dans d’autres cercles, dont celui du quartier, plus important pour eux72. Selon les sociologues québécois, on assistait au Québec à une « déparoissialisation73 » de la vie religieuse et de la vie sociale dans les grands centres urbains74. Ce constat ne cessera d’être répété par la suite, allant dans un crescendo jusqu’à la fin des années 1960, et se structurera toujours autour de deux oppositions : géographique, entre les zones rurales et urbaines; et générationnelle, entre les jeunes et les vieux (selon une échelle qui diminuait l’attachement d’un individu en fonction directe de son urbanisation et de sa jeunesse75).

24Il faut comprendre, cependant, que ce que les sociologues regrettaient, ce n’était pas que les Québécois urbanisés n’aient plus été croyants ; plutôt, ils se désolaient du fait qu’ils n’aient plus été des paroissiens fidèles. Les pratiquants étaient encore nombreux, mais on prétendait que les véritables paroissiens se faisaient rares, car les catholiques urbanisés se révélaient des usagers davantage que des membres véritables de l’Église. La sécularisation massive des villes que les intellectuels catholiques dénonçaient en France prenait par conséquent au Québec une allure assez bénigne. Un des reproches que Falardeau, dans ses travaux sociologiques, adressait aux catholiques urbanisés, c’était que ces derniers préféraient fréquenter une église voisine, plus belle, plus proche ou mieux desservie, plutôt que celle correspondant à leur paroisse. Il ne se désolait pas d’abord que les Québécois soient moins fervents, mais avant tout moins paroissiaux. Qu’ils n’aient pas déserté l’Église, mais seulement leur église, était déjà à ses yeux un comportement fâcheux.

  • 76 Jean-Charles Falardeau, op. cit., p. 146.

25Deux critiques transparaissaient dans cette dénonciation de l’anonymat de la paroisse urbaine. Premièrement, devenu étranger à ses ouailles, le curé ne pouvait être un gardien sûr de ses brebis. Il n’avait plus avec ses paroissiens ce contact familier et paternel sur lequel reposait son autorité traditionnelle, et ne pouvait donc exercer son ministère moral avec autant d’assurance que par le passé. La paroisse n’était plus « un important facteur de "contrôle" du comportement des fidèles76 », de sorte que l’on assistait à une baisse généralisée de la dévotion et de la foi : on arrivait en retard à la messe et on partait avant la fin. Deuxièmement, on sent que, pour maints observateurs, la disparition de la paroisse entérinait l’évanouissement de la communauté canadienne-française. Les familles déménageaient souvent, les prêtres et les vicaires changeaient d’assignation, de telle sorte que les curés n’arrivaient pas à connaitre leurs paroissiens, ni les paroissiens à s’identifier à leurs pasteurs. Étrangers les uns aux autres, les individus qui habitaient un même territoire fréquentaient les mêmes églises sans se parler, sans fraterniser, sans créer de véritable communauté. Bref, dans l’après-guerre, l’effritement somme toute mineur de l’encadrement paroissial dans les villes semblait préfigurer une apostasie plus radicale, mais qui ne se percevait pas encore. Les hauts taux de pratique religieuse, la solidité des structures ecclésiales cachaient une inévitable crise, tant il semblait vrai que le Canada français ne pourrait résister aux assauts des tendances structurelles liées à l’urbanisation rapide des sociétés.

Déclin de l’expertise catholique

  • 77 Archives du Diocèse de Saint-Jérôme (Saint-Jérôme), fonds 319, lettre de Maurice Matte à Mgr Émilie (...)

26Jusqu’ici, nous n’avons pas abordé la question des résistances à la montée en force de la sociologie au sein de l’Église. Résistances il y eut, pourtant. Certains prêtres ne voulaient pas reconnaître l’influence des réalités économiques, politiques et sociales sur la foi de leurs fidèles ; d’autres acceptaient mal que les laïcs héritent de plus de responsabilités et d’autonomie dans les affaires spirituelles; d’autres encore n’acceptaient pas d’être dérangés dans leur routine. On s’imaginait que l’engouement autour des enquêtes n’était qu’un feu de paille. « D’abord, de la part d’une certaine partie du clergé du diocèse : un certain scepticisme […]. Un bon nombre de prêtres croient que c’est là un "autre bateau" qu’on a lancé et qui devra couler, faute de carburant77. » Méfiant, l’abbé Maurice Matte disait savoir à quoi s’attendre en confiant la rédaction d’une enquête sociologique dans le diocèse de Saint-Jérôme à deux professeurs de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval (Fernand Dumont et Yves Martin).

  • 78 Ibid.

Comme tous nos intellectuels avancés (qu’ils s’appellent [Gérard] Pelletier, Lemieux, [Jacques] Hébert ou autre), ils [les sociologues] voient tout et jugent tout dans deux cadres de pensée : l’autonomie des valeurs temporelles et la promotion ouvrière collective. Ce sont là des catégories françaises de pensée qui ne me scandalisent pas, qui sont explicables, que l’on rencontre de plus en plus chez nos catholiques convaincus qui réfléchissent, que je supporterais facilement comme telles. Mais ces gens sont tellement tendus et si jaloux qu’il devient vraiment difficile de travailler avec eux, surtout lorsque la sociologie devient instrument de pastorale. Et je me doute que l’on retrouvera leur état d’esprit et leur crise de personnalité religieuse (ça transpirera à mon avis) dans les rapports de l’enquête de juin dernier. Vous comprenez que ça fera sursauter nos curés78.

  • 79 Dixit Norbert Lacoste, entrevue avec l’auteur, 8 janvier 2013, Montréal.
  • 80 Fernand Dumont, Pour la conversion de la pensée chrétienne, Montréal, HMH, 1964, p. 202.

27La sociologie réussit néanmoins à vaincre les inquiétudes exprimées par les milieux plus conservateurs, l’Église québécoise hésitant de moins en moins, à la veille du concile Vatican II et de la Révolution tranquille (vaste période de changement amorcée en 1960), à se tourner vers un genre d’études qui était devenu un peu partout « à la mode79 ». « Seule l’enquête sociologique », soutenait avec aplomb Fernand Dumont, « peut révéler non seulement la complexité du milieu que la charité chrétienne doit réunir en communauté, mais indiquer aussi les points d’appui d’une pareille tâche80. » Lors des Grandes missions qui eurent lieu de 1956 à 1966 dans les diocèses et régions de Saint-Jérôme, Montréal, Saint-Jean, Chicoutimi, Québec, Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Jonquière et Charlevoix, les sociologues de la religion furent ainsi mis à contribution, réalisant de très nombreuses enquêtes empiriques pour le compte de l’Église catholique.

  • 81 Il y aurait eu un premier recensement de pratique dominicale dans la paroisse Saint-Jean, en décemb (...)
  • 82 L’étude-pilote avait été réalisée dans la ville de Saint-Jean. Elle avait nécessité la distribution (...)
  • 83 Centre catholique de sociologie religieuse, Comment réaliser un recensement d’assistance à la messe (...)
  • 84 Norbert Lacoste, « Le recensement religieux de Montréal », Relations, décembre 1961, no 252, p. 337

28Donnons une seule illustration de cet engouement. En novembre 1961, le diocèse de Montréal acceptait, pour la première fois de son histoire, de soutenir une vaste enquête pastorale de pratique religieuse, enquête qui était confiée à Norbert Lacoste81. Le succès d’une enquête-pilote l’année précédente avait convaincu le cardinal Paul-Émile Léger, ainsi que les évêques de Saint-Jean, Valleyfield et Saint-Jérôme, de la pertinence de compiler de telles données dans l’ensemble de la zone métropolitaine de Montréal82. Souhaitant lier cette initiative aux projets menés par les sociologues européens, en particulier ceux lancés à Marseille et à Paris à l’occasion du recensement national français de 1954, Lacoste reprenait les méthodes suggérées dans l’ouvrage publié en collaboration avec le Centre catholique de sociologie religieuse, Comment réaliser un recensement d’assistance à la messe dominicale83. L’année 1961 fut justement choisie parce qu’elle coïncidait avec le recensement civil et que les chiffres obtenus par le diocèse pourraient être comparés avec les données du gouvernement. On voulait notamment savoir si (et dans quelle mesure) la baisse de la pratique religieuse concernait davantage les ouvriers que les membres des professions libérales, les hommes plus que les femmes, les jeunes plus que les vieux, les francophones plus que les anglophones. Ayant ainsi identifié des catégories de fidèles plus ou moins fervents, on croyait que le travail des curés s’en trouverait facilité. « Le message du Christ est le même pour la paroisse Saint-Henri et la paroisse Saint-Germain, mais la prédication et la pastorale doivent être différentes. L’enquête permettra de vérifier ces différences et de prévoir des zones pastorales mieux délimitées84. »

  • 85 À titre de comparaison, le recensement de Paris du 14 mai 1954 avait généré 626 000 bulletins.
  • 86 Norbert Lacoste, « La recherche sur la pratique religieuse dans la zone métropolitaine de Montréal  (...)
  • 87 Norbert Lacoste, « Le recensement de pratique religieuse de Montréal. 4- Le recensement du 19 novem (...)

29Le 19 novembre 1961, un dimanche « ordinaire », des questionnaires (en français au recto et en anglais au verso) comportant 13 questions furent remplis par plus de 900 000 fidèles dans plus de 800 lieux de culte représentatifs de la diversité du territoire, pour un total de près d’un million (ou, si l’on veut compter autrement, 13 tonnes !) de cartes85. Ces cartes avaient été ensuite codifiées, perforées et compilées au service de mécanographie de l’Université de Montréal à partir de renseignements personnels sur l’adresse civique, l’âge, le sexe, l’état civil, le lieu de naissance, la langue parlée, la communion, l’origine ethnique paternelle, la scolarité, l’occupation habituelle, ainsi que l’endroit et l’heure de la messe à laquelle avaient assisté les participants sondés86. Le dépouillement et la compilation des données, ainsi que l’immense travail de codification (23 millions de perforations), s’étalèrent sur plus d’un an87. Devant de telles réalisations, la sociologie religieuse semblait promise à un bel avenir au Québec. Dans la conclusion de sa série d’articles sur le recensement de la pratique religieuse à Montréal, en 1963, Norbert Lacoste se laissait aller à de véritables rêves de grandeur :

  • 88 Norbert Lacoste, « Le recensement de pratique religieuse de Montréal. 6- En marge du recensement de (...)

Lorsque nous connaîtrons les faits, nous pourrons vérifier nos hypothèses dans des groupes plus restreints, et grâce à une connaissance plus précise des besoins religieux des divers groupes chrétiens, nous pourrons fournir, aux différents responsables de la pastorale, des objectifs pastoraux et un choix de moyens susceptibles d’atteindre ces objectifs. […] Ce n’est qu’à cette condition que nos efforts n’auront pas été vains et qu’ils auront aidé l’Église de Montréal à définir sa pastorale urbaine et peut-être à servir de prototype aux 100 autres villes millionnaires du monde. Serait-ce là la vocation de Ville-Marie, la Ville missionnaire entrevue par Jérôme Le Royer de la Dauversière, son fondateur88?

30Trois ans plus tard, Lacoste continuait à se montrer optimiste :

  • 89 Norbert Lacoste, « Possibilités et limites dans l’étude sociologique de la religion », Perspectives (...)

[…] la sociologie de la religion est une de ces sciences nouvelles auxquelles on peut sans hésiter promettre l’avenir. Elle permet d’aborder l’étude du phénomène religieux avec tout le respect dû au réel tant subjectif qu’objectif. […] Il nous faut nous lancer sérieusement dans les sciences de l’homme89.

31Il lui semblait en effet que la décennie nouvelle allait marquer une double consécration : consécration du rôle de la sociologie dans l’Église, consécration du sujet religieux dans l’université. Le décret Christus Dominus sur la charge pastorale des évêques dans l’Église, publié en plein concile de Vatican II, n’encourageait-il pas de tels espoirs? On pouvait y lire :

  • 90 Conseil du Vatican, Décret sur la charge pastorale des évêques dans l’Église. Christus Dominus, Qué (...)

Les formes d’apostolat doivent être dûment adaptées aux nécessités actuelles, en tenant compte des conditions non seulement spirituelles et morales, mais aussi sociales, démographiques et économiques. Pour y parvenir efficacement et avec fruit, on utilisera beaucoup les enquêtes sociales et religieuses, réalisées par des instituts de sociologie pastorale, qui sont instamment recommandés90.

  • 91 Bryan T. Froehle, « Catholic Pastoral Sociology in the United States since Vatican II: Making a Pat (...)
  • 92 On trouvera une liste non exhaustive des étudiants québécois de Desroche dans Benoît Lévesque, « En (...)

32Les sociologues de la religion québécois suivaient avec attention la fondation au Brésil du CERIS (Centro de Estatistica Religiosa e Investigacoes Sociais) en 1962 et, au Venezuela, du CISOR (Centro de Investigaciones Socio-Religiosos) en 1967, ainsi qu’aux États-Unis du CARA (Center for Applied Research in the Apostolate) en 196491. Ils multipliaient les initiatives après la fondation en 1958 du Centre de recherches en sociologie religieuse de l’Université Laval. Des prêtres étaient embauchés comme professeurs dans les départements de sociologie (ainsi, pour s’en tenir à l’Université Laval, les pères Henrique Urbano et Jean-Paul Montmigny), et des laïcs poursuivaient avec eux la tradition de la sociologie religieuse (pour s’en tenir à nouveau à l’Université Laval, les professeurs André Billette, Claude Beauchamp et Gabriel Dussault réalisèrent tous les trois leurs doctorats en sociologie religieuse sous la direction d’Henri Desroche92). La sociologie de la religion semblait avoir le vent dans les voiles.

33Pourtant, dès le milieu des années 1960, on sent que la tradition catholique de la sociologie religieuse s’essouffle au Québec. Ce déclin s’explique par plusieurs causes. Il y a, en premier lieu, l’écroulement du système d’encadrement clérical. Avec la Révolution tranquille, l’État québécois gruge sur l’espace clérical, et l’Église elle-même, dans la foulée de Vatican II, se replie sur ses terres. Ironiquement, au moment où l’Église québécoise est plus que jamais convaincue que le milieu humain détermine au moins en partie les croyances individuelles, elle disparaît tout d’un coup du paysage social provincial. Elle n’a donc plus à se soucier de connaître, pour l’administrer, un monde dont elle n’a plus la responsabilité directe. Les enquêtes sur les réalités économiques, comme celles commandées à Dumont et à Martin à Saint-Jérôme, et qui devaient servir à promouvoir le relèvement du marché du travail et le bien-être matériel des habitants, n’avaient plus de sens. C’est un État de plus en plus interventionniste qui héritait de cette responsabilité, ce qui provoqua un déplacement du regard sociologique des institutions cléricalo-nationales vers des celles des gouvernements provincial et fédéral.

  • 93 Monique Dumais, L’Église de Rimouski dans un contexte de développement régional (1963-1972), Montré (...)
  • 94 Colette Moreux, Fin d’une religion ? Monographie d’une paroisse canadienne-française, Montréal, Pre (...)
  • 95 Qui ne seront que trop confirmés par la suite. Voir Fabien Venon, Les paroisses de Montréal en cris (...)

34En deuxième lieu, l’Église québécoise ne tenait plus à encourager des études sur la ville qui ne faisaient en définitive que confirmer la baisse de la ferveur religieuse. À quoi servait, pour le clergé, d’encourager des enquêtes urbaines détaillées qui ne faisaient que répéter le diagnostic démoralisant du déclin rapide des vocations, des pratiques et des valeurs chrétiennes ? Une des dernières enquêtes sur la foi réalisée dans le diocèse de Rimouski en 1967 démontrait après bien d’autres une tendance lourde à la sécularisation et un refus de prendre pour guide moral les enseignements de l’Église dans cette région pourtant reculée et isolée93. Le clou sera enfoncé avec la publication en 1969 du livre de Colette Moreux, Fin d’une religion ?, bilan d’une vaste enquête menée à Louiseville dont le titre trahit très bien les conclusions94. L’Église québécoise n’avait que faire de ces chants funèbres95.

  • 96 Anecdote rapportée par Karel Dobbelaere, « CISR, An Alternative Approach to Sociology of Religion i (...)

35En troisième lieu, contrairement à ce que ses promoteurs avaient cru au départ, les apports de la sociologie de la religion ne permettaient pas vraiment d’orienter la pastorale en milieu urbain. D’une part, quand cette discipline se contentait d’aligner des tableaux et des graphiques, les données étaient trop techniques, trop complexes pour nourrir l’action. De telles enquêtes s’avéraient en bout de course coûteuses et inutiles. Tiraillées entre l’histoire, l’ethnologie, la statistique et la théorie, elles débouchaient rarement sur une synthèse pratique. Les données factuelles produites étaient aussi minutieuses et détaillées que pauvres en interprétations. Un incident français illustre ce point : lors d’un dîner tenu à l’occasion du IVcolloque de la CISR, le cardinal Gerlier avait déclaré que, n’en déplaise à ceux qui, comme Le Bras, insistaient sur la complexité de la recherche sociologique, l’Église ne pouvait pas attendre l’an 2 000 avant de disposer de données opératoires et applicables hic et nunc96. Les évêques du Québec n’en pensaient pas moins.

  • 97 Norbert Lacoste, « L’enquête de 1961 sur la pratique religieuse », Église de Montréal, juillet 1966 (...)
  • 98 Norbert Lacoste, « Le recensement de pratique religieuse de Montréal. 3- L’interprétation sociologi (...)

36Par exemple, l’enquête de Lacoste dans le diocèse de Montréal avait permis d’établir objectivement que la pratique dominicale était en baisse dans la métropole malgré des conditions de chrétienté à peu près idéales. C’était confirmer ce que tout le monde savait, certes, mais à l’aide d’une démonstration si massive qu’elle semblait emporter tout effort individuel réalisé pour contrer les tendances sécularisatrices lourdes qu’elle mettait au jour. L’Église diocésaine ne pouvait trouver nul confort dans les séries de tableaux présentés dans le rapport. En outre, au-delà de ce constat décourageant, les révélations étaient pauvres et les hypothèses trop nombreuses pour servir d’indicateur fiable. La pratique dominicale variait selon les quartiers, ce dont on se doutait bien, mais l’enquête du père Lacoste ne précisait pas dans quelles proportions ces fluctuations s’expliquaient par un milieu catholique minoritaire ou majoritaire, la pyramide des âges, le taux de masculinité, la composition ethnique, les occupations, le lieu de naissance ou la scolarité des habitants97. À quoi aurait-il pu servir de savoir, de manière fort générale, que « l’auditoire des messes du dimanche est très variable d’une paroisse à l’autre98 »? L’assertion du déclin de la vitalité religieuse et le peu d’utilité d’une enquête bourrée de chiffres qui ne pouvaient pas être directement utilisés par l’Église montréalaise expliquent sans doute que le rapport de Lacoste non seulement soit demeuré inédit, mais soit aujourd’hui perdu…

  • 99 Voir, pour la France, Jean Rémy, « L’Église catholique et la sociologie », dans Liliane Voyé et Jaa (...)
  • 100 « Dans les années 1950, l’Église était en mesure […] de quadriller le territoire en mobilisant des (...)
  • 101 Lambert Bovy, op. cit., p. 146.

37D’autre part, quand la sociologie prenait une tournure plus normative, cette discipline ne se gênait pas pour contester l’autorité de la hiérarchie, démontrant à quel point celle-ci était en décalage par rapport à la société québécoise et comment le Québec moderne se construisait sans elle99. L’influence du marxisme renforçait ce biais et creusait la distance qui séparait les sociologues catholiques des membres de la hiérarchie épiscopale. De toute façon, l’Église québécoise des années 1960 n’avait plus les moyens de mener des enquêtes de grande ampleur100. Elle préférait s’en remettre à des indicateurs plus accessibles, plus exacts et moins onéreux : les sondages offraient une mesure de la pratique, des opinions et des croyances très fiable et définie selon les questions précises de chaque recherche. « Le sondage a l’avantage de mobiliser moins de personnes et de coûter moins cher que l’enquête de pratique dominicale, au moins dans les grandes villes101. » Il ne faudrait surtout pas ignorer ce facteur économique dans la marginalisation de la tradition catholique de la sociologie religieuse.

  • 102 Paul Daoust, « Compte rendu de Gérard Lapointe, Structures sociales et attitudes religieuses. Étude (...)

38En quatrième lieu, le monde académique, en quête d’autonomie, recherchait moins le nihil obstat ou l’imprimatur de l’Église que l’approbation des pairs. Vue dans le miroir de la « vraie » science, la sociologie religieuse encouragée par le clergé paraissait biaisée et amateur. Dans un numéro de l’année 1969 de Recherches sociographiques, les responsables des comptes rendus, tous rattachés au Département de sociologie de l’Université Laval, n’avaient pas raté l’occasion de critiquer les méthodes et les démarches scientifiquement maladroites ou erronées des auteurs de monographies récentes de sociologie religieuse. Paul Daoust reprochait à un ouvrage publié par un ancien étudiant de la Faculté de théologie d’avoir été écrit d’un point de vue trop apologétique. « Ici le pasteur se sentira certainement plus à l’aise que le sociologue. Les objectifs que poursuit [l’auteur] et, par la suite, les questions qu’il adresse à la réalité intéressent davantage la pastorale que la science sociale102. » Lise Laberge-Desroches affirmait au sujet du livre du père Vianney Delalande sur les zones pastorales de Québec :

  • 103 Lisa Laberge-Desroches, « Compte rendu de Vianney Delalande, Québec métropolitain. Étude des trois (...)

L’étude du P. Delalande est pleine [d’] affirmations qui sont à tout le moins gênantes dans le cadre d’une recherche sociologique. Peut-être le recours à la sociologie auquel prétend le P. Delalande est-il plus qu’un souci catholique de faire mode, mais il y aurait probablement avantage, pour lui et pour la sociologie, à ce qu’une étude de ce genre se confine à ce qu’elle est de fait : celle d’un problème pastoral à composantes parfois autres que religieuses103.

  • 104 Bernard Poisson, « Compte rendu de Jean-Paul Rouleau, s.j. Chicoutimi. Contexte socioreligieux et a (...)

39Quant à lui, Bernard Poisson concluait par ces mots sa critique d’une recherche à but pastoral commandée par le diocèse de Chicoutimi et écrite par un jeune jésuite : « Il nous semble que, pour la rigueur du travail de recherche, on gagnerait à distinguer davantage la démarche du sociologue de celle du pasteur104. » Daoust, Laberge-Desroches et Poisson, tous enseignants ou étudiants dans un département de sociologie, s’opposaient aux points de vue plus religieusement engagés de leurs confrères. L’heure était désormais à une « sociologie non religieuse de la religion ».

  • 105 La publication d’une revue scientifique en 1977 pour diffuser les travaux des chercheurs du Centre (...)
  • 106 Jean-Paul Rouleau, Raymond Lemieux et Paul Reny, Centre de recherches en sociologie religieuse. Pla (...)
  • 107 Cité par Paul Stryckman, « Réflexions et prospectives sur la sociologie de la religion au Québec », (...)

40Cette évolution est sensible dans le développement du CRSR. Ce Centre avait à l’origine pour mission de répondre aux questions suscitées par la pastorale. Les premières études avaient entre autres pour cibles des régions qui faisaient l’objet de Missions générales, à la demande des autorités ecclésiales elles-mêmes. Le retrait (pour les raisons susmentionnées) de l’Église catholique comme commanditaire de recherches sociopastorales et le désengagement des chercheurs qui visaient une reconnaissance universitaire firent en sorte que le Centre s’éloigna de sa vocation initiale105. À partir de 1971, le CRSR fut rattaché directement au vice-rectorat à l’enseignement et à la recherche de l’Université Laval, ce qui a plus que jamais forcé ses professeurs à démontrer la pertinence académique de leurs travaux. Les cours du Centre étaient de moins en moins destinés à des prêtres (dont les effectifs s’étaient de toute façon subitement taris), et les recherches n’étaient plus destinées à appuyer l’organisation et l’action pastorales. Pour les chercheurs du CRSR, l’année 1967 peut être considérée un tournant à cet égard : on assiste à la publication d’un premier article dans une revue scientifique, à une première collaboration à un ouvrage collectif et à la première participation à un congrès académique. Les publications prenaient une forme plus théorique et critique106. En 1976, le dépliant publicitaire du Centre indiquait que ses deux principaux objectifs étaient : « la description et l’analyse des phénomènes religieux à l’aide des outils conceptuels et des modèles fournis par les sciences humaines » et « la poursuite d’une réflexion fondamentale destinée, d’une part, à permettre le développement de cadres théoriques propres à l’étude "scientifique" du religieux et, d’autre part, à poser des interrogations épistémologiques107 ». On pouvait difficilement se situer plus loin des premières monographies pastorales des diocèses, régions et paroisses que le Centre avait appuyées à l’occasion des Grandes Missions lancées par la hiérarchie catholique. Le CRSR a finalement été dissous en 1980 et remplacé par un Groupe de recherche en sciences humaines de la religion.

Conclusion

  • 108 Alain Chenu, op. cit., p. 183.
  • 109 Jean-Philippe Warren, Un Supplément d’âme. Les intentions primordiales de Fernand Dumont, Sainte-Fo (...)
  • 110 François Routhier et Bernard Poisson sont diplômés en sciences sociales de la Grégorienne, ayant eu (...)
  • 111 Michel Émard, La sociologie contre la foi ?, Sherbrooke, Paulines, 1970, p. 11. Norbert Lacoste pré (...)
  • 112 « Une certaine formation sociologique générale, écrivait Dumont, devient indispensable à notre cler (...)

41Comme ailleurs, l’histoire de la sociologie du catholicisme québécois « a été pour l’essentiel l’œuvre de sociologues catholiques, chez qui engagement religieux et projet scientifique étaient – qu’ils le veuillent ou non – étroitement imbriqués108 ». La sociologie religieuse était une sociologie sur des catholiques, par des catholiques, pour des catholiques. Les premiers laïcs embauchés pour mettre en œuvre ce programme (Napoléon Leblanc, Yves Martin et Fernand Dumont109) étaient des croyants fervents, et les prêtres responsables de la pastorale (l’abbé Maurice Matte, Mgr Paul-Émile Charbonneau, ainsi que les prêtres Roland Doyon, François Routhier, Jacques Grand-Maison, Norbert Lacoste, Jean-Marie Lafontaine et Jean-Pierre Duchesne) avaient souvent reçu une formation en sciences sociales110. On attendait beaucoup d’une telle alliance qui sembla promise à un bel avenir lors de l’ouverture du concile Vatican II et des bouleversements de la Révolution tranquille. À tel point qu’un intellectuel pouvait se moquer en 1970 de la mode sociologique qui balayait selon lui les cercles cléricaux québécois : « La sociologie de la religion semble promise à la plus brillante carrière; c’est d’elle qu’un optimisme naïf attend la solution de tous les maux. Elle est le feu nouveau que Prométhée a dérobé aux dieux pour le donner aux clercs inquiets d’efficacité111. » Cependant, les élans enthousiastes des pionniers n’empêchèrent pas la sociologie religieuse de perdre du terrain dès la fin des années 1960, car les membres de l’épiscopat, qui en étaient les principaux commanditaires, s’aperçurent qu’elle ne pouvait que difficilement les aider dans leurs tâches apostoliques. L’idée selon laquelle l’expertise scientifique devait faire partie de la formation du ministère – l’organisation paroissiale, le curé de village, l’Église en général ne pouvant dorénavant se passer des connaissances des sciences sociales112 – fut pour cette raison assez rapidement abandonnée au Québec. Victimes d’abord de l’unanimité de la pratique religieuse, puis de la chute brusque de cette même pratique dans une société en proie à une sécularisation aussi inattendue que radicale, les enquêtes empiriques nationales « à la Boulard », les longues colonnes de pourcentages et les belles cartes en couleur de la sociologie religieuse française n’auront pas eu leur équivalent au Québec...

Haut de page

Notes

1 Gabriel Le Bras avait invité les catholiques, dès 1931, à mettre les méthodes statistiques et quantitatives au service de l’Église : Gabriel Le Bras, « Statistiques et histoire religieuse, pour un examen détaillé et pour une explication historique de l’état du catholicisme dans les diverses régions de France », Revue d’histoire de l’Église de France, 1931, vol. XVII, p. 425-449. Robert Wattebled, Stratégies catholiques en monde ouvrier dans la France d’après-guerre, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1990.

2 Guy Laperrière, « Pourquoi l’histoire diocésaine ne s’est-elle pas développée au Québec comme en France? », Études d’histoire religieuse, 1995, vol. 61, p. 48.

3 Fernand Boulard et Jean Rémy, Pratique religieuse urbaine et régions culturelles, Paris, Les Éditions ouvrières, 1968.

4 Alain Chenu, « Les enquêteurs du dimanche. Revisiter les statistiques françaises de pratique du catholicisme (1930-1980) », Histoire & Mesure, 2011, vol. XVII, no 2, p. 178.

5 Lire notamment Liliane Voyé et Jaak Billiet, « Sociologie et religions : figures de rencontres », dans Liliane Voyé et Jaak Billiet (dir.), Sociologie et religions : des relations ambiguës, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 1999, p. 23-37.

6 Nous excluons du présent article les études de sociologie religieuse historique. Voir Guy Laperrière, op. cit.

7 Georges-Henri Lévesque, « Préface », dans Louis-Edmond Hamelin et Colette L.-Hamelin (dir.), Quelques matériaux de sociologie religieuse canadienne, Montréal, Les Éditions du Lévrier, 1956 p. 9.

8 Jean-Philippe Warren, L’Engagement sociologique. La tradition sociologique du Québec francophone, Montréal, Boréal, 2003.

9 À l’exception de Jean-Philippe Warren, « La découverte de la question sociale : Sociologie et mouvements d’action jeunesse canadiens-français », Revue d’histoire de l’Amérique française, 2002, vol. 55, no 4, p. 539-572.

10 Les Dominicains furent parmi les premiers religieux à se préoccuper, en France, des défis posés par la civilisation moderne, qu’on pense en théologie aux pères Chenu et Congar, en politique à la revue Sept, ou en sociologie à la revue Économie et humanisme.

11 R. P. Gonzalve Poulin, o.f.m., « L’enseignement des sciences sociales dans les universités canadiennes », Culture, 1941, vol. 2, p. 342.

12 Marius Plante, Évolution des origines sociales des diplômés de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval (1947-1965), thèse de maîtrise, Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval, 1968.

13 Raymond-Marie Hébert, Le Rosaire, méthode de prédication. Deuxième congrès de Prédication des R.R. P.P. Dominicains, Québec, Courville, Maison Montmorency, 1956.

14 Fernand Dumont, « La sociologie religieuse au Canada français », dans Sociologie religieuse, sciences sociales, Paris, Les Éditions ouvrières, 1955, p. 150-153. L’ouvrage comporte une préface de Gabriel Le Bras et une introduction de Jacques Leclerc.

15 Selon L.-E. Hamelin et C. L.-Hamelin (dir.), op. cit., p. 36. Il est probable que sa communication inédite « Sur l’état présent de la théorie en sociologie religieuse », présentée en juillet 1957 au Musée de l’Homme, ait constitué un chapitre de ce livre. Stewart Crysdale et Jean-Paul Montmigny donnent un autre titre : « La situation présente de la théorie dans la sociologie des religions », et en proposent un résumé dans Stewart Crysdale et Jean-Paul Montmigny La Religion au Canada. Bibliographie annotée des travaux en sciences humaines des religions (1945-1970), Toronto et Québec, York University et Presses de l’Université Laval, 1974, p. 52-53. Le texte est conservé dans le Fonds Fernand-Dumont, INRS, Québec.

16 L.-E. Hamelin et C. L.-Hamelin (dir.), op. cit., p. 25.

17 Norbert Lacoste, « Dernières tendances et sociologie religieuse », Le Séminaire, mars 1955, vol. XX, no 1, p. 29.

18 Fernand Dumont, « Sociologie religieuse et pastorale », Ad Usum Sacerdotum, décembre 1955, vol. 11, no 3, p. 67-70. Louis O’Neil, « La sociologie religieuse en regard de la pastorale paroissiale et de l’action catholique », Ad Usum Sacerdotum, décembre 1955, vol. 11, no 3, p. 79-82.

19 Entrevue de l’auteur avec Norbert Lacoste, 8 janvier 2013, Montréal.

20 Jean-Philippe Warren et Yves Gingras, « Cinquante ans de recherches et de débats. Fondation et évolution de Recherches sociographiques (1960-2010) », Recherches sociographiques, 2011, vol. 52, no 1, p. 121-141.

21 Marlene Shore, The Science of Social Redemption: McGill, the Chicago School, and the Origins of Social Research in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1987.

22 En particulier, Celestine Joseph Nuesse et Thomas Joseph Harte (dir.), The Sociology of the Parish : an Introductory Symposium, Milwaukee (Wisconsin), Bruce Pub. Co, 1951. Jean-Charles Falardeau a lui-même publié un chapitre dans ce collectif et a écrit un compte rendu du livre dans American Journal of Sociology, novembre 1954, vol. 60, no 3, p. 309-310. C. J. Nuesse a pour sa part écrit un compte rendu de l’article de Falardeau sur « The Parish as an Institutional Type » dans The American Catholic Sociological Review, décembre 1949, vol. 10, no 4, p. 294-295. Notons aussi un numéro spécial sur l’état de la sociologie de la religion dans le monde, numéro dirigé par Thomas J. Harte et publié dans The American Catholic Sociological Review, juin 1954, vol. 15, no 2.

23 Hughes terminait alors une recherche sur une petite ville industrielle du Québec qui paraîtra sous le titre French Canada in Transition (Chicago, University of Chicago Press, 1943).

24 Marcel Fournier, « Un intellectuel à la rencontre des deux mondes : Jean-Charles Falardeau et le développement de la sociologie universitaire au Québec », dans Fernand Dumont et Yves Martin (dir.), Imaginaire social et représentations collectives. Mélanges offerts à Jean-Charles Falardeau, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1982, p. 361-385. En plus de commencer une analyse de la morphologie sociale de la ville de Québec avec Louis Wirth, Falardeau dégagea les strates socioéconomiques du Québec sous la supervision de W. Lloyd Warner et étudia les structures familiales canadiennes-françaises avec l’aide d’Ernest W. Burgess. Simon Langlois, « Jean-Charles Falardeau, sociologue et précurseur de la Révolution tranquille », Cahiers des Dix, 2012, no 66, , p. 201-268.

25 Les travaux d’E. W. Burgess, R. E. Park et L. S. White sont considérés comme « des modèles du genre ». Jacques Archambault, Le territoire social de la ville de Québec, thèse de maîtrise, Faculté des sciences sociales, Université Laval, mai 1946. Jean-Charles Falardeau et Gonzalve Poulin, Le logement à Québec, Faculté des sciences sociales, Université Laval, mai 1944.

26 Jean-Charles Falardeau, « Évolution et métabolisme contemporain de la ville de Québec », Cultures, juin 1944, vol. V, no 2, p. 121-131.

27 Norbert Lacoste, Les caractéristiques sociales de la population du grand Montréal, Montréal, Faculté des sciences sociales, économiques et politiques de l’Université de Montréal, 1958.

28 Ce qui n’empêche pas des emprunts, par exemple celui de « migrant » : Olivier Chatelan, « La migration comme modèle de compréhension de la ville dans l’expertise catholique (du début des années 1950 à la fin des années 1970) », dans Lucine Endelstein, Sébastien Fath et Séverine Mathieu (dir.), Dieu change en ville : religion, espace, immigration, Paris, AFSR/L’Harmattan, 2010, p. 207-220.

29 Quand Leclercq annonça la fondation de la Société internationale de sociologie des religions, en 1949, Rome le mit en garde contre « des sciences sociales qui appliqueraient dans le champ de la religion les postulats et les méthodes de la "science sociologique", telle qu’elle est entendue généralement », et en particulier telle qu’elle était définie par Durkheim et ses disciplines positivistes. Cité par Karel Dobbelaere, « From Religious Sociology to Sociology of Religion: Towards Globalization ? », Journal for the Scientific Study of Religion, décembre 2000, vol. 39, no 4, p. 435. Pour le Québec, lire Marcolin Antonio Lamarche, o. p., « Durkheim et la morale », dans Nouvelles ébauches critiques, Montréal, Granger frères ltée, 1936.

30 « Il s’agit non d’analyser dans le détail la structure de la ville, mais de faire rapidement le tour de la situation, pour percevoir ses données essentielles dans une intuition synthétique initiale qui devra être enrichie, précisée et corrigée tout au long de la démarche proprement statistique, avant de déboucher dans le diagnostic. » R. P. Birou, Enquête sociologique sur Nîmes, sans date, sans éditeur, polygraphié, p. 1, cité par Vianney Delalande, Québec métropolitain. Étude de trois zones pastorales selon la méthode de « contact global », Québec, Université Laval, Centre de recherches en sociologie religieuse, 1968, p. 4.

31 Notion élaborée par William F. Ogburn, Social Change with Respect to Culture and Original Nature, New York, Huebsch, 1922.

32 Sur l’influence plus générale de la sociologie française au Québec, lire Marcel Fournier, « De l’influence de la sociologie française au Québec », Revue française de sociologie, 1972, vol. 13, p. 630-665. Sur l’influence de la France sur l’historiographie québécoise, lire Jean Roy, « Quelques influences françaises sur l’historiographie religieuse au Québec des dernières décennies », Revue d’histoire de l’Amérique française, 1997, vol. 51, no 2, p. 301-316. « Depuis la publication des travaux de M. Gabriel Le Bras et du père L.-J. Lebret, l’univers catholique a pu se rendre compte combien la sociologie pouvait servir à l’observation positive et réelle de la vie religieuse au sein de nos sociétés. » (Georges-Étienne Phaneuf, Le diocèse de Saint-Hyacinthe. Étude sociologique du milieu et des institutions, Montréal, L’Institut social populaire, décembre 1957, no 490, p. 1. L’auteur revenait d’un stage d’un an à l’École d’action sociale de l’Université de Lille.

33 Archives de la Paroisse franciscaine de France (Paris), fonds Vianney-Delalande, lettre de Roland Doyen au père Jean-François Motte, Québec, 31 octobre 1963.

34 L.-E. Hamelin et C. L.-Hamelin (dir.), op. cit., p. 29.

35 Louis-Edmond Hamelin et Colette L. Hamelin furent les premiers à achever une étude (restée inédite) sur les prêtres québécois : « Industrialisation et structure de l’Église dans le diocèse de Trois-Rivières ». En 1956, ils faisaient paraître la section de leur travail qui abordait la question de l’inadaptation de la structure religieuse aux nouveaux genres de vie des paroissiens : « Industrialisation et structure de l’Église dans le diocèse de Trois-Rivières. Dynamique des milieux sociaux », Le Géographe canadien, janvier 1956, vol. 2, no 7, p. 35‑45. Des sections de cette étude ont aussi paru dans Ad Usum Sacerdotum, « Réflexions sur la structure sociale de l’Église trifluvienne », décembre 1955, vol. 11, no 3, p. 70-79 ; et juin 1955, vol. 10, no 9, p. 143-144; ainsi que dans « Quelques données statistiques concernant le diocèse de Trois-Rivières (Québec) », Quelques matériaux de sociologie religieuse canadienne, p. 125-141. Sur la réception des travaux de Boulard et Le Bras au Québec, lire Alfred Rambaud, « Où en est le clergé français? », Revue de l’Université Laval, décembre 1952, vol. 7, no 4, p. 315-323.

36 Sur l’œuvre et la carrière de Le Bras, lire Dominique Julia, « Un passeur de frontières. Gabriel Le Bras et l’enquête sur la pratique religieuse en France », Revue d’histoire de l’Église de France, juillet-décembre 2006, t. 92, no 229, p. 381-413.

37 Jean-Charles Falardeau, « Itinéraire sociologique », Recherches sociographiques, mai-août 1974, vol. XV, no 2-3, p. 219-227.

38 Les actes offraient un tableau des études réalisées dans les dix dernières années sur les diocèses et les paroisses en Italie, en Pologne, en Belgique et en Hollande (Lumen Vitae, janvier-juin 1951, vol. VI, no 1-3).

39 Archives du Diocèse de Saint-Jérôme (Saint-Jérôme), fonds 319, Maurice Matte, « Rapport sur mes rencontres en Europe (janvier-février 1960) ».

40 Le texte a été perdu, mais Louis-Edmond Hamelin et Colette L.-Hamelin en donnent les grandes lignes dans L.-E. Hamelin et C. L.-Hamelin (dir.), op. cit., p. 53.

41 Fernand Dumont avait rencontré Le Bras et Boulard lors de ses études en France, en 1953-1955, et avait été reçu au Centre de pastorale rurale (Récit d’une émigration, Montréal, Boréal, 1997, p. 96).

42 Abbé Lambert-Bovy, « Une enquête de sociologie religieuse dans les marais bretons », Revue d’histoire de l’Église de France, 1965, vol. 51, no 148, p. 81-106.

43 Une partie des résultats fut publiée dans Abbé Lambert-Bovy, « Sondage sur la "mentalité chrétienne" de la population canadienne-française de Montréal », Archives des sciences sociales des religions, 1964, no 17, p. 135-148.

44 Il en était à son troisième ou quatrième voyage au Canada. Le 13 mars 1959, le frère Fulgence Boisvert écrivait de Montréal au frère Gustave Boulez, ministre provincial de France : « Nous serons heureux de voir revenir le R. P. Jean-François Motte et nous avons hâte de connaître son confrère le R. P. Vianney Delalande sur qui nous comptons pour les retraites annuelles de 1960. » (Archives de la Paroisse franciscaine de France (Paris), fonds Jean-François Motte, 3J-9, Roland Doyon, Jean-Paul Montmigny, Vianney Delalande et coll., Rapport pastoral du diocèse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, Université Laval, Centre de recherches en sociologie religieuse, 1959).

45 Dans ce dernier cas, il s’agissait encore une fois de « connaître de manière claire et distincte la population d’une agglomération telle que celle de Québec afin d’ajuster prudemment l’effort pastoral de l’Église à la réalité de Québec » (Vianney Delalande, o. f. m., op. cit.). Le père Delalande était aussi venu à l’occasion de la prédication des retraites sacerdotales diocésaines à l’été 1963.

46 Vianney Delalande, Réflexions pastorales issues d’une rapide étude de « contact global » de la région de Charlevoix, Centre de recherches en sociologie religieuse de l’Université Laval, 1963. Voir le travail de Raymond Lemieux [futur professeur de sociologie religieuse], L’Église et l’amiante, Centre de recherches en sociologie religieuse, Université Laval, 1968, qui repose sur la méthode de contact global.

47 Archives de la Paroisse franciscaine de France (Paris), fonds Vianney-Delalande, lettre de Roland Doyen au père Jean-François Motte, Québec, 31 octobre 1963.

48 À ces sujets d’enquête, il faut ajouter l’étude des vocations, laquelle a aussi connu quelques adeptes, la plupart amateurs si l’on fait exception des époux Hamelin. Ces derniers ont travaillé dans un tel isolement que l’on oublie souvent de mentionner leurs travaux, ou alors seulement au passage, dans les brèves histoires de la sociologie religieuse au Québec, mais cela n’enlève rien à la valeur de leurs recherches qui, dans le sillage de l’ouvrage Essor ou déclin du clergé français?, publié par le chanoine Boulard en 1950, visaient à dénombrer les religieux québécois afin d’orienter de manière « rentable », disaient-ils, la politique de l’Église concernant les prêtres. Voir Louis-Edmond Hamelin, « Contribution aux recherches sociales du Québec par une étude des variations régionales du nombre de vocations sacerdotales », Cahiers de géographie du Québec, 1957, vol. 2, no 3, p. 5-36.

49 Gabriel Le Bras et Fernand Boulard, « Carte de la pratique religieuse dans les campagnes », Cahiers du clergé rural, novembre 1947, no 92, p. 403-414. La carte religieuse de la France rurale a été publiée dans les deux éditions de 1954 et de 1966 de Fernand Boulard, Premiers itinéraires en sociologie religieuse, Éditions Économie et Humanisme / Éditions ouvrières, Paris. La carte de la pratique religieuse en Belgique a été réalisée en 1952.

50 Paul Stryckman, « Réflexions et prospectives sur la sociologie de la religion au Québec », Les Cahiers du CRSR, 1977, no 1, p. 160.

51 Pourcentages cités par Jean Labbens, L’Église et les centres urbains, Paris, Éditions Spes, 1959, p. 43. On ne connaît pas la source de ces chiffres. Le sociologue Normand Wener, dans une étude réalisée pour l’Action catholique de Montréal en décembre 1968, avançait plutôt 80 % de pratique régulière à la messe dominicale pour les catholiques de la métropole (Normand Wener, Les catholiques pratiquants et l’Église de Montréal, Montréal, Action catholique de Montréal, 1968, p. 79).

52 « Des instructions standardisées avaient été rédigées à l’usage des curés ; la distribution et le ramassage des fiches étaient assurés, pendant les messes, par des équipes de bénévoles sous le contrôle d’un petit groupe de sociologues et de personnes entraînées à cet effet. » Fernand Dumont et Gérald Fortin, « Un sondage de pratique religieuse en milieu urbain », Recherches sociographiques, 1960, vol. 1, no 4, p. 501. De même, au début des années 1960, le résultat d’une enquête réalisée par les aumôniers de l’Université de Montréal avait montré que 97 % des étudiants laïcs de cet établissement croyaient en Dieu, 93 % croyaient en la divinité du Christ et 90 % déclaraient aller à la messe tous les dimanches (P. Grégoire et J. Baillargeon, Sondage religieux à l’Université de Montréal, texte miméographié, 1961, cité par Jean-Jacques Larivière, Nos collégiens ont-ils encore la foi ? Enquête auprès de 3 000 collégiens et collégiennes, Montréal, Fides, 1965, p. 73).

53 Encore en 1967, l’auteur d’un ouvrage sur les structures sociales et les attitudes religieuses de Sainte-Anne-de-la-Pocatière pouvait écrire : « Certains se demanderont peut-être pourquoi nous ne nous sommes pas intéressés au problème de la pratique religieuse. La raison en est que les techniques jusqu’ici développées pour mesurer la pratique sont inapplicables dans le diocèse où nous avons poursuivi nos recherches, comme elles le sont dans bien d’autres diocèses ruraux du Québec. » (Gérard Lapointe, Structures sociales et attitudes religieuses. Étude sociologique du diocèse de Ste-Anne-de-la-Pocatière, Centre de recherches en sociologie religieuse, Faculté de théologie, Université Laval, 1967, p. 27) ; Fernand Dumont, « La sociologie religieuse au Canada français », dans Sociologie religieuse, sciences sociales. Actes du 4e Congrès international, Paris, Éditions Économie et Humanisme, 1955, p. 151.

54 Fernand Grenier, « Compte rendu de Louis-Edmond Hamelin et Colette L.-Hamelin, Quelques matériaux de sociologie religieuse canadienne », Cahiers de géographie du Québec, 1956, vol. 1, no 1, p. 96.

55 Si l’on exclut Léon Gérin, « L’habitant de Saint-Justin », Mémoires de la Société royale du Canada, 1898, vol. IV, sec. 1, p. 139-216. Publiant dans la revue leplaysienne de Tourville et Demolins, La Science sociale, en 1894, le sociologue canadien Léon Gérin notait à quel point le paysan canadien-français avait trouvé dans la paroisse, dès l’époque de la Nouvelle-France, le cadre naturel pour habiter le territoire américain. Voir Léon Gérin, « L’histoire de la colonisation », La Science sociale, 1894, t. XVIII, p. 337-338; « L’évolution historico-juridique de l’institution paroissiale au Canada français », Nos Cahiers, 1936, vol. I, p. 144‑155, 165-186, et 298-315 ; vol. II, 1937, p. 97-122 et 203-217. Antoine Roy, « Bibliographie des monographies et histoires de paroisses », Rapport de l’archiviste de la province de Québec pour 1937-1938, Québec, R. Paradis, 1938, p. 254-364.

56 Jean-Charles Falardeau, « Parish Research in Canada », dans C. J. Nuesse et Thomas J. Harte (ed.), op. cit., p. 332.

57 Everett-C. Hughes, « Programme de recherches sociales pour le Québec », Cahiers de l’École des sciences sociales, politiques et économiques de Laval, 1945, vol. II, no 4, p. 15; Everett-C. Hughes, Rencontre de deux mondes, Montréal, Éditions du Boréal Express, 1972, p. 33-34.

58 Texte signé avec l’abbé François Houtart. Plus méthodologique, le chapitre II de la seconde partie a été publié sous le titre « Les paroisses de Chicago, leur importance respective; répartition de la population catholique », Chronique sociale de France, 15 février 1955, p. 77-84.

59 Marcel Fournier, Entretiens avec Denis Szabo. Fondation et fondements de la criminologie, Montréal, Liber Éditions, 1998. Polonais émigré ayant étudié à Louvain, Szabo connaissait Norbert Lacoste depuis le passage de ce dernier en Belgique, en 1949. Szabo se spécialisera finalement en criminologie, après son arrivée à Montréal, mais il avait initialement enseigné à la Mission de France, une création des jésuites, et s’était bâti en Europe un solide curriculum sociologique adapté à la pastorale ecclésiastique.

60 Denis Szabo, « Aspects de la sociologie religieuse urbaine », Chronique sociale de France, février 1955, vol. 63, no 2, p. 51-58 ; « L’étude de la société urbaine. Synthèse de recherches », Bulletin de l’Institut de recherches économiques et sociales de l’Université de Louvain, novembre 1953, XIXème année, no 7, p. 599-669 ; « La paroisse dans la structure écologique de la ville », dans Fernand Boulard et alii (dir.), Paroisses urbaines, paroisses rurales, Tournai, Casterman, 1958, p. 17-27. Szabo a aussi fait paraître « Essai sur quelques aspects sociologiques de la crise du recrutement sacerdotal en France », Bulletin de l’Institut de recherches économiques et sociales de l’Université de Louvain, 1958, vol. XXIV, no 8, p. 635-646.

61 Jean-Charles Falardeau, « Sociologie de la paroisse », Semaines sociales, Montréal, Institut social populaire, 1953, p. 136.

62 Richard Arès, s. j., « Quelle est la religion des Canadiens français ? », Relations, août 1964, no 24, p. 233-235.

63 Norbert Lacoste, « Urbanisme et structure religieuse », Revue canadienne d’urbanisme, 1954, vol. IV, p. 66.

64 Pierre Lhande, Le Christ dans la banlieue. Enquête sur la vie religieuse dans les milieux ouvriers de la banlieue de Paris, Paris, Plon, 1927 ; Jacques Valdour, La vie ouvrière, Paris, Éditions de la Gazette française, 1926.

65 Gilles Routhier, « La paroisse québécoise : évolutions récentes et révisions actuelles », dans Serge Courville et Normand Séguin (dir.), La paroisse, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2011, p. 48.

66 Joseph Folliet, « Les effets de la grande ville sur la vie religieuse », Chronique sociale de France, novembre-décembre 1953, p. 539-566.

67 Jacques Grand-Maison, La Paroisse en concile. Coordonnées sociologiques et théologiques, Montréal, Fides, 1966, p. 90.

68 Ibid.

69 « Quel dur retour à la vie urbaine que celui qui nous fait passer des beautés des Laurentides aux néons disgracieux du Boulevard Décarie. » (Norbert Lacoste, op. cit., p. 68). Il n’y a rien là de spécifiquement québécois. Mgr Montini, alors prosecrétaire d’État, rappelait la nécessité de lutter contre le fléau de l’exode rural et les méfaits psychologiques et moraux des déplacements de population (Mgr J. B. Montini, « Lettre de S. Exc. Mgr Montini », Semaines sociales, 1953, Institut social populaire, p. 7-10.

70 Wilfrid Gariépy, « La paroisse urbaine », Semaines sociales, Institut social populaire, 1953, p. 76.

71 Ibid., p. 80.

72 « La paroisse urbaine, soutenait en 1944 un étudiant de l’École des sciences sociales de l’Université Laval dans un travail qui sera amplement confirmé plus tard, n’est qu’une circonscription arbitraire, canonique. Nous ne pouvons pas en parler comme une unité naturelle. L’unité de base, dans les villes, est ce que l’on nomme le quartier naturel dont les limites sont imprécises. Les bornes ne sont pas géographiques, mais sociales […]. » (André Gariépy, Monographie de la paroisse du Saint-Esprit, Québec, Université Laval, 1944, p. 37). Sur la situation européenne, lire l’abbé François Houtart, « Les paroisses de Bruxelles, 1813-1951 », Bulletin de l’Institut de recherches économiques et sociales de Louvain, novembre 1953, XIX, p. 671-748.

73 L’expression est de Jean Chélini, La ville et l’Église. Premier bilan des enquêtes de sociologie religieuse urbaine, Paris, Cerf, 1958.

74 Lucia Ferretti a montré que, si la paroisse urbaine a su favoriser l’insertion des Canadiens français dans la métropole jusqu’à la Première Guerre mondiale, cette institution perd par la suite « son rôle de médiation entre la ville et les fidèles-citadins » (Lucia Ferretti, Entre voisins. La société paroissiale en milieu urbain Saint-Pierre-Apôtre de Montréal 1848-1930, Montréal, Boréal, 1992, p. 10). Lire aussi de la même auteure, « La paroisse urbaine comme communauté sociale : l’exemple de Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, 1848-1930 », dans Serge Courville et Normand Séguin (dir.), La Paroisse. Atlas historique du Québec, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2001, p. 219-229. « À partir des années trente et quarante », confirme Pierre Lanthier, « tout se passe comme si l’aire paroissiale était devenue insuffisante. L’urbanisation et la modernisation du Canada français lui faisaient subir des transformations profondes et il importait d’élargir le cadre des manifestations religieuses. » (Pierre Lanthier, « La paroisse dans les villes moyennes de 1900 à 1960 », dans Serge Courville et Normand Séguin (dir.), op. cit., p. 113).

75 « Dans l’ensemble des services qui sont offerts à la population, la paroisse devient elle-même un lieu comme les autres, à côté des postes d’essence, magasins, services de toute sorte répondant aux besoins collectifs de la population. Elle n’a plus, par rapport à ceux-ci, de priorité nécessaire. » (Raymond Lemieux, Le comté de Lévis. Structure religieuse et vie religieuse, Québec, Université Laval, Faculté de théologie, 1970, p. 168).

76 Jean-Charles Falardeau, op. cit., p. 146.

77 Archives du Diocèse de Saint-Jérôme (Saint-Jérôme), fonds 319, lettre de Maurice Matte à Mgr Émilien Frenette, 1957.

78 Ibid.

79 Dixit Norbert Lacoste, entrevue avec l’auteur, 8 janvier 2013, Montréal.

80 Fernand Dumont, Pour la conversion de la pensée chrétienne, Montréal, HMH, 1964, p. 202.

81 Il y aurait eu un premier recensement de pratique dominicale dans la paroisse Saint-Jean, en décembre 1957, vraisemblablement effectué par Lacoste. Également, au printemps 1958, une enquête de pratique religieuse, dirigée par une Commission de sociologie, fut approuvée par le diocèse de Montréal à l’occasion d’une Grande Mission afin d’éclairer le travail des prédicateurs, mais on se rabattit finalement sur un simple sondage d’opinion auprès de plus de 2 196 personnes réparties dans 18 paroisses de Montréal choisies au hasard pour mesurer, chez les francophones de la métropole, la maîtrise des fondements doctrinaux du christianisme, le sens et la force du lien avec Dieu et la connaissance des thèmes de la prédication de la Grande Mission de Montréal. Voir Lambert Bovy, op. cit., p. 135-146; Norbert Lacoste, « Le recensement de pratique religieuse de Montréal. 1- Les antécédents », Séminaire, décembre 1961, vol. XXVI, no 4, p. 196.

82 L’étude-pilote avait été réalisée dans la ville de Saint-Jean. Elle avait nécessité la distribution de 33 232 questionnaires dans une dizaine de paroisses représentatives de différents quartiers. Norbert Lacoste, « Le recensement de pratique religieuse de Montréal. 2- L’étude-pilote », Séminaire, mars 1962, vol. XXVII, no 1, p. 7-10.

83 Centre catholique de sociologie religieuse, Comment réaliser un recensement d’assistance à la messe dominicale, Paris, Éditions Fleurus, 1960. En préparation du grand jour, Lacoste et son équipe avaient rencontré les curés des paroisses identifiées et leur avaient montré des projets semblables réalisés en Europe. Des feuilles d’instruction avaient été distribuées aux curés indiquant la procédure à suivre et le texte du commentaire à lire en chaire. La quête de ce jour-là fut faite pour défrayer une partie des coûts de l’opération. Environ 2 000 collaborateurs donnèrent leur concours pour faire de cette cueillette de données un succès.

84 Norbert Lacoste, « Le recensement religieux de Montréal », Relations, décembre 1961, no 252, p. 337.

85 À titre de comparaison, le recensement de Paris du 14 mai 1954 avait généré 626 000 bulletins.

86 Norbert Lacoste, « La recherche sur la pratique religieuse dans la zone métropolitaine de Montréal », Recherches sociographiques, 1962, vol. 3, no 3, p. 361-366.

87 Norbert Lacoste, « Le recensement de pratique religieuse de Montréal. 4- Le recensement du 19 novembre 1961 », Séminaire, septembre-octobre 1962, vol. XXVII, no 3, p. 158-160.

88 Norbert Lacoste, « Le recensement de pratique religieuse de Montréal. 6- En marge du recensement de Montréal », Séminaire, mars 1963, vol. XXVIII, no 1, p. 16.

89 Norbert Lacoste, « Possibilités et limites dans l’étude sociologique de la religion », Perspectives sociales, mars-avril 1966, no 6, p. 36.

90 Conseil du Vatican, Décret sur la charge pastorale des évêques dans l’Église. Christus Dominus, Québec, Bellarmin, 1965.

91 Bryan T. Froehle, « Catholic Pastoral Sociology in the United States since Vatican II: Making a Path by Walking », U.S. Catholic Historian, automne 2007, vol. 25, no 4, p. 85‑116.

92 On trouvera une liste non exhaustive des étudiants québécois de Desroche dans Benoît Lévesque, « En hommage à Henri Desroche, sociologue des religions et de la coopération (1914-1994) », Coopératives et développement, 1994-1995, vol. 26, no 1, p. 1-7. Jacques Palard, « Henri Desroche et ses réseaux québécois. Entre théorie de l’utopie et pratiques maïeuticiennes », Sociologie et Sociétés, automne 2005, vol. 37, no 2, p. 21-47. La Faculté de théologie de l’Université de Sherbrooke a accepté, à la fin des années 1960, de confier à des spécialistes non-théologiens des religions une partie de l’enseignement. Henri Desroche est ainsi venu donner des cours sur la sociologie générale des religions et l’étude inductive des phénomènes messianiques, Jean Séguy sur la sociologie historique du christianisme, Jean-Pierre Deconchy sur la psychologie religieuse, Roger Bastide sur l’ethnologie religieuse et Jacques Maître sur les mathématiques appliquées aux phénomènes religieux (Michel Dion et Louise Melançon (dir.), Un théologien dans la cité. Hommage à Lucien Vachon, Québec, Bellarmin, 1996, p. 31-32).

93 Monique Dumais, L’Église de Rimouski dans un contexte de développement régional (1963-1972), Montréal, Fides, p. 280.

94 Colette Moreux, Fin d’une religion ? Monographie d’une paroisse canadienne-française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1969.

95 Qui ne seront que trop confirmés par la suite. Voir Fabien Venon, Les paroisses de Montréal en crise. La fin d’un bastion catholique ?, Paris, L’Harmattan, 2012.

96 Anecdote rapportée par Karel Dobbelaere, « CISR, An Alternative Approach to Sociology of Religion in Europe : ACSS and CISR Compared », Sociological Analysis, 1989, vol. 50, no 4, p. 379.

97 Norbert Lacoste, « L’enquête de 1961 sur la pratique religieuse », Église de Montréal, juillet 1966, vol. 125, no 27-28, p. 563-572.

98 Norbert Lacoste, « Le recensement de pratique religieuse de Montréal. 3- L’interprétation sociologique des résultats de l’étude-pilote », Séminaire, juin 1962, vol. XXVII, no 2, p. 123.

99 Voir, pour la France, Jean Rémy, « L’Église catholique et la sociologie », dans Liliane Voyé et Jaak Billiet (dir.), op. cit., p. 101-115.

100 « Dans les années 1950, l’Église était en mesure […] de quadriller le territoire en mobilisant des milliers d’agents recenseurs encadrés par des délégués et des experts. Trente ans plus tard, le clergé a vieilli […] et l’influence de l’Église a décliné aussi parmi les experts […] qui apportaient un concours bénévole à la réalisation des enquêtes de pratique religieuse. » (Alain Chenu, op. cit., p. 213). Ce n’était plus le cas dans les années 1960, où l’effondrement de la pratique avait provoqué une crise financière sérieuse. Voir Raymond Lemieux, « La sociologie de la religion et la hantise de la science catholique », Les Cahiers de recherches en sciences de la religion, 1991, vol. 10, p. 145-176.

101 Lambert Bovy, op. cit., p. 146.

102 Paul Daoust, « Compte rendu de Gérard Lapointe, Structures sociales et attitudes religieuses. Étude sociologique du diocèse de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (Québec, Centre de recherche en sociologie religieuse, Université Laval 1967) », Recherches sociographiques, 1969, vol. 10, no 1, p. 127.

103 Lisa Laberge-Desroches, « Compte rendu de Vianney Delalande, Québec métropolitain. Étude des trois zones pastorales, selon la méthode de « contact global » (Québec, Centre de recherches en sociologie religieuse, Université Laval, 1968) », Recherches sociographiques, 1969, vol. 10, no 1, p. 126.

104 Bernard Poisson, « Compte rendu de Jean-Paul Rouleau, s.j. Chicoutimi. Contexte socioreligieux et adaptation pastorale (Québec, Centre de recherches en sociologie religieuse, Université Laval, 1968) », Recherches sociographiques, 1969, vol. 10, no 1, p. 126-127.

105 La publication d’une revue scientifique en 1977 pour diffuser les travaux des chercheurs du Centre (Les Cahiers du CRSR) parachève cette tendance. Jean-Paul Rouleau, « Présentation », Les Cahiers du CRSR, no 1, 1977, p. 1-6.

106 Jean-Paul Rouleau, Raymond Lemieux et Paul Reny, Centre de recherches en sociologie religieuse. Plan de développement, Québec, Université Laval, 1975.

107 Cité par Paul Stryckman, « Réflexions et prospectives sur la sociologie de la religion au Québec », Les Cahiers du CRSR, 1977, no 1, p. 153. Lire aussi Raymond Lemieux, « Production scientifique et pratique québécoise de la sociologie de la religion », Les Cahiers du CRSR, 1980, no 3, p. 13-53.

108 Alain Chenu, op. cit., p. 183.

109 Jean-Philippe Warren, Un Supplément d’âme. Les intentions primordiales de Fernand Dumont, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1998.

110 François Routhier et Bernard Poisson sont diplômés en sciences sociales de la Grégorienne, ayant eu comme professeur Hervé Carrier. Les prêtres Norbert Lacoste, Jean-Marie Lafontaine et Jean-Pierre Duchesne sont formés en sciences sociales. Sur la carrière de Grand’Maison, lire E.-Martin Meunier, « Intellectuel-militant catholique et théologie de l’engagement : la consécration d’un prophète en Saint-Jérôme », Société, 1999, no 20-21, p. 255-311. À noter que l’Université de Montréal et l’Université Laval furent dirigées par des clercs, respectivement jusqu’au milieu des années 1960 et au début des années 1970.

111 Michel Émard, La sociologie contre la foi ?, Sherbrooke, Paulines, 1970, p. 11. Norbert Lacoste préface le livre.

112 « Une certaine formation sociologique générale, écrivait Dumont, devient indispensable à notre clergé. » (Fernand Dumont, « La paroisse, une communauté », Communauté chrétienne, janvier-février 1962, vol. 1, no 1, p. 27).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Philippe Warren, « Une expertise catholique au service de la pastorale urbaine »Chrétiens et sociétés, 21 | -1, 113-145.

Référence électronique

Jean-Philippe Warren, « Une expertise catholique au service de la pastorale urbaine »Chrétiens et sociétés [En ligne], 21 | 2014, mis en ligne le 25 février 2015, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/3698 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.3698

Haut de page

Auteur

Jean-Philippe Warren

Chaire de recherche sur le Québec, Laboratoire d’histoire du Québec au XXe siècle, Concordia University (Montreal), Association internationale des études québécoises (AIEQ)

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search