Henri IV dévoilé. Le corps dé-voué du souverain ou la royauté sans sacrifice
Résumés
L’absolutisme ne se définit pas seulement à travers des textes ou dans des pratiques et des gestes ; l’art supporte éloquemment la puissance d’affirmation de cette prétention royale à un pouvoir et à une autorité indépassables. L’étude proposée a donc pour but d’appréhender cette faculté d’expression non pas tant au travers de l’examen d’une architecture monumentale et spectaculaire ou par le biais de l’analyse d’une peinture éblouissante et remarquable mais depuis un petit objet, une statuette de bronze de Barthélemy Prieur, insolite et quasi invisible au regard de l’historiographie du règne d’Henri IV, à travers laquelle se joue, pourtant, la refondation de l’autorité monarchique après le régicide de 1589 dans sa prétention à un absolutisme établi bel et bien comme la vocation salvatrice et sacrée du Prince dans sa puissance d’affranchissement. C’est alors dans le paradoxal et silencieux dénuement du corps royal, loin de la « montre » emphatique d’un pouvoir souverain rempli de bruits et de fureurs, que sont établies pour la France des XVIIe et XVIIIe siècles les assises les plus solides de l’imaginaire absolutiste moderne.
Texte intégral
- 1 Victorine de Chastenay, Deux révolutions pour une seule vie. Mémoires, 1771-1855, Raymond Trousson (...)
- 2 Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Éd. du Seuil, 2000 (199 (...)
- 3 Jules Michelet, Histoire de France, T.VII, La Renaissance, Paris, Editions des Equateurs, 2008 (185 (...)
- 4 La Vertu au Roy, Pierre Daret, 1650 (Bibliothèque nationale de France [BNF], Cbt. des estampes, Hen (...)
1« Le roi Louis XVI était, de tous les hommes, le moins fait pour le rôle dont le sort l’avait chargé » juge Victorine de Chastenay avec toute la lucidité et la pertinence que lui confère l’écriture rétrospective dans les succédanés de la monarchie suivant la tourmente révolutionnaire1. Il ne s’agit pas, cependant, de faire fond sur le processus de désacralisation du roi qui serait illustré exemplairement ici par la mémorialiste – évoquant le sort et non la Providence, le rôle et non la facilité ou le naturel, la faillibilité et le manque et non la perfection et l’accomplissement, l’appartenance commune du roi au genre humain et non son élection singulière –, mais de prendre son jugement comme un témoignage, voire un symptôme, d’une pratique générale faisant d’un monarque, tout souverain qu’il soit, un sujet relatif2. Derrière ce qui pourrait n’être qu’une formule, il s’agit d’attirer l’attention sur les limites possibles pour l’historien d’une telle démarche consistant à renvoyer le roi à un devoir « être roi » dont les caractères se trouveraient en quelque sorte comme figés dans un essentialisme immuable ou, au contraire, relatifs aux préoccupations particulières de chaque observateur historique. de là procède, par exemple, le catalogue des bons et mauvais rois dressé par Ernest Lavisse à l’aune d’attendus qui leur étaient généralement inconnus ou fondamentalement étrangers. de la même manière s’expliquent les propos sévères de Jules Michelet à l’égard de François Ier, coupable de ne pas avoir été à la hauteur de la vocation assignée par l’historien, soit, ce qui n’est pas peu, de sauver l’Europe du Pape, de l’Empereur, et du Sultan en prenant la tête de la « grande révolution, de vingt formes diverses, dans l’État, dans l’Eglise, [qui] fermentait en Europe » et en devenant simplement le « maître du monde3. » Pour ne pas donner l’impression toutefois de jeter des pierres dans le jardin des seuls historiens, je rappellerai également qu’il s’agit là d’un lieu commun de la littérature politique au centre de laquelle se trouve le genre ambigu des « miroirs du prince », et qui n’est pas propre, par ailleurs, à l’époque moderne. Je citerai seulement comme témoignage polémique de la qualité normative ou correctrice de ces textes et de leur puissance d’admonestation les deux derniers vers d’une apostrophe de la Vertu au souverain accompagnant l’image d’un singulier « Louis XIV in bivio » imaginé, en 1650 par le graveur Pierre Daret : « […] C’est bien peu d’estre né roi / Si l’on ne merite de l’estre4. »
- 5 Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.), Devenir roi. Essais sur la littérature adressée au princ (...)
- 6 Les miroirs du prince n’échappent pas au paradoxe, en effet, d’enseigner au futur souverain ce qu’i (...)
- 7 Jacques Le Brun, Le Pouvoir d’abdiquer. Essai sur la déchéance volontaire, Paris, Gallimard, 2009, (...)
- 8 Jules Michelet, Histoire de France, T. X, La ligue et Henri IV, Paris, Editions des Equateurs, 2008 (...)
2Domine donc l’idée d’une confrontation d’une vie à des attendus, un ethos royal et une éthique monarchique, soit l’idée de royauté elle-même et son essence, que cette existence particulière satisfait pleinement ou qu’elle ignore en partie. Autrement dit domine l’idée que le roi est toujours renvoyé à une idée de la royauté. Le thème de l’éducation royale et de son apprentissage prudentiel en est l’une des meilleures illustrations et le titre de deux des livres consacrés ces dernières années à ce sujet témoigne de leur parenté évidente avec celui de ce recueil. L’ouvrage de Pascale Mormiche, Devenir prince et celui dirigé par Isabelle Cogitore et Francis Goyet, Devenir roi rappellent de la façon la plus explicite qui soit cette tension vers un accomplissement dont l’une des conditions de réalisation est arc-boutée à l’acquisition et à la maîtrise de ce que Ran Halévi a appelé Le savoir du prince et qui sert de titre à l’ouvrage collectif publié sous sa direction5.Ce que ces livres ont en commun, c’est bien de faire porter leur réflexion sur une paradoxale extériorité du roi à ce que l’on lui enseigne, à ce à quoi il serait naturellement voué. Que ce soit les vertus ou les valeurs spécifiques de sa charge que les miroirs les plus traditionnels, hérités de la taxinomie aristotélicienne des vices et des vertus, lui tendent à admirer, à imiter et dans les cas les plus heureux à se les approprier, ou un ensemble de compétences techniques ou de préceptes plus profanes qu’il doit acquérir comme les éléments fondamentaux de son « métier » singulier – tel que la royauté est progressivement entendue à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle –, mais dont la connaissance n’est plus l’apanage exclusif des princes puisqu’ils sont transformés en « science politique » ou en « science de l’État » au temps des Lumières6. En décalant leurs propos de la formation du prince à sa vocation, de la fin – l’accomplissement royal – que celle-là se donne à la cause sur laquelle celle-ci se fonde, les initiateurs de ce recueil offrent à réfléchir davantage cependant sur la notion de l’engagement du roi à travers lequel est interrogée la légitimité du souverain. Car poser la question de la vocation du prince revient, in fine, à questionner celle-là. Derrière la proximité des champs d’analyse évoquée à l’instant, c’est bien une réflexion autonome que ce sujet suscite car si l’on peut apprendre à devenir roi, il est impossible, en revanche, de ne pas répondre à sa vocation royale. On peut rater son éducation de souverain mais peut-on refuser d’être roi ? Peut-on se soustraire à cet appel naturellement impérieux tel qu’il se définit dans la France du Moyen Âge tardif et de la Renaissance ? À l’idée de vocation répond son double, sombre et magnifique, récemment mis en lumière par Jacques Le Brun dans son essai sur Le pouvoir d’abdiquer7. L’une et l’autre, la vocation et l’abdication, reconnaissent au cœur de l’idée du pouvoir royal la figure passionnelle et double du sacrifice. Le parallèle suggéré avec la vocation religieuse n’est pas fortuit. Il veut signaler une dynamique qui échappe à la volonté du sujet pour le sacrifier totalement à un état. La vocation ici serait le sacrifice du roi ou encore, pour reprendre une formule d’inspiration salésienne, la vacation du roi serait sa vocation. J’interrogerai la pertinence de cette idée sacrificielle à travers le roi irréligieux de la monarchie moderne française, Henri IV, tel que le peint Jules Michelet sous les traits du grand indifférent ou à travers l’apostrophe du fou Chicot, en 1591, au sujet de la possible conversion du roi8.
- 9 Max Weber, Le Savant et le politique, Catherine Colliot-Thélène (éd. et trad.), Paris, Editions La (...)
3Cependant, pour autant que ce rapide travail d’analyse fût nécessaire, il n’épuise pas l’inventaire des écueils du sujet. Car, à mon sens, l’autre difficulté que ce dernier oppose à son étude précise est de déplacer quasi naturellement le regard critique du sujet de la vocation au but qu’il se donne, à la fin à laquelle ce sujet se destine, à la « cause » comme l’entend Max Weber9. Si l’on conclut, en effet, sur la forte relation entre la vocation et le sacrifice, soit l’idée de dévouement, on est inéluctablement conduit à interroger et à identifier l’objet de ce dernier – dévoué à. Et donc à qui et à quoi. Aussi le sens sacrificiel de la vocation déporte-t-il l’intérêt du sujet à son but, à sa fin. Il convient dès lors de revenir au mot lui-même et à son sens propre : non pas tant vers quoi il tend ou depuis quoi il part, mais penser d’abord sa qualité de mouvement. Et c’est là, je pense, qu’un propos singulier peut être posé en relation avec la particularité d’Henri IV évoquée plus haut. L’iconographie présente, en effet, de nombreuses illustrations de cette vocation - dévouement, que ce soit celle, en 1494, de Charles VIII à l’égard du Christ pour lequel il entreprend l’expédition italienne ou, en 1638, de Louis XIII à l’égard de la Vierge en l’honneur de laquelle il voue son royaume. Dans l’un et l’autre cas, l’analyse se déplace ordinairement du roi à l’objet de son dévouement vis-à-vis duquel il est en situation subordonnée et statique. L’étude de sa vocation serait d’abord ainsi celle de son objet amont ou aval. Aussi est-il nécessaire de ne pas tant s’intéresser à la fin de la vocation – et donc à la définition de ce qui est poursuivi – qu’à prendre véritablement au sérieux le suffixe du terme, soit le mouvement d’un état à un autre, le mouvement pour lui-même.
- 10 L’élection royale à Senlis du duc des Francs comme roi de France a lieu en juillet 987 ; sur ce cél (...)
- 11 Claude Chappuys, Discours de la court, 1543 (dédié à François Ier). « La digne vocation du roi cons (...)
- 12 Par ailleurs, cette étude entend contribuer à éclairer les fondations de la « modernité classico-ba (...)
4Les grammaires enseignent donc que le suffixe en –ion permet de former un substantif indiquant l’action du verbe suffixé. Dès lors, la vocation du prince interroge deux horizons d’analyse possibles : que l’intérêt se porte sur le verbe suffixé ou sur sa forme suffixale et la vocation est susceptible de recevoir diverses interprétations. Soit le verbe au sens transitif tout d’abord, le roi qui appelle : la vocation du prince entendue comme « ce » à quoi il appelle. À quoi appelle-t-il ? Et qui ? Pour répondre à ces deux questions, il faudrait chercher les compléments d’objet direct et indirect. Dans son sens intransitif, il s’agit de se demander qui appelle le roi : soit le « Qui t’a fait comte ? Qui t’a fait roi ? » de la dispute, vers 990-992, d’Hugues Capet et du comte de la Marche, rapportée dans l’une des versions de la Chronique d’Adhémar de Chabannes au début du XIe siècle10. Dans le premier cas, il s’agit d’interroger les fins de la dignité royale ; dans le second, sa source. Pour le premier, la documentation peut se trouver abonder par les miroirs du prince ; pour le second, la littérature politique des légitimités. Mais quel que soit le sens dans lequel on les prend, ces interprétations concluent à la même hétéronomie du prince. Il est inscrit dans un cadre contraignant et normatif comme l’illustre, entre autres exemples, la conception de la « digne vocation » du roi par le poète Claude Chappuys en 1543 pensée en termes négatifs d’interdiction et d’évitement, de freins et de limites11. Mon intention est donc de recentrer l’examen critique de l’appel à l’action. C’est dans celle-ci que la liberté du monarque s’affirme et avec elle son interprétation en termes absolutistes contre sa définition passionnée et sacrificielle – aussi vertueuse soit-elle. Pour ma part, je privilégierai dans la vocation l’idée d’un processus de transformation ou, plus justement, de « dé-liaison » et de donation faisant sens par et pour lui-même. À travers cette action, c’est le procès d’un « second absolutisme » royal dé-voué car affranchi de cette passion politique que j’entends éclairer dans une image exceptionnelle d’Henri IV, une image du roi presque vide, sans l’appareil théologico-politique ou le decorum monarchique habituel12. Soit l’image quasiment nue d’un roi nu. Une image insolite et peut-être même invisible où se fait reconnaître la vocation royale d’Henri IV dans le spectacle de son corps dévoilé et dé-voué. La représentation d’un corps sur lequel pourra faire fond l’iconographie absolutiste de ses successeurs détachée dès lors de la tension sacrificielle et de sa puissance de subordination du monarque à un autre que lui-même.
(cliché de l’Agence Photographique de la Réunion des Musées Nationaux [APRMN], n° 98-014187)
Quand la Majesté est un corps…
- 13 Voir sur ce sujet l’étude classique de Marianna D. Jenkins, The State Portrait : its Origine and Ev (...)
- 14 Peintre du roi à partir de 1609, ses portraits d’Henri IV et de Marie de Médicis, de petit format, (...)
5On date ordinairement du règne d’Henri IV l’invention en France du « portrait d’État13 ». S’il existe chez les derniers Valois les prémices de ce genre pictural importé des cours italiennes et du monde habsbourgeois, c’est sous le règne du premier roi Bourbon que la formule est véritablement mise au point par Frans II Pourbus et qu’elle s’efforce de s’imposer comme une norme de l’encomiastique du souverain français contre le modèle emblématique, allégorique et mythologique dominant14.
- 15 Cette absence des regalia est d’autant plus nécessaire que les circonstances du sacre d’Henri IV on (...)
- 16 Gérard Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Paris, Albin Michel, 1999, p. 221-233 ; Jacques Th (...)
- 17 Gérard Sabatier, « Politique, histoire et mythologie : la galerie en France et en Italie pendant la (...)
- 18 Dominique Cordellier, « Un modèle de Dubreuil pour les portraits de la Petite Galerie du Louvre », (...)
6Cette mise en scène de la royauté participe au processus de réaffirmation de l’État monarchique après les troubles de la seconde moitié du XVIe siècle. Le roi est montré dans une posture d’autorité sans que les regalia ne soient nécessaires à la reconnaissance de son pouvoir ni qu’un appareil mythographique, symbolique ou fabuleux accompagne la démonstration de sa puissance ou suggère ses vertus15. En dépit de leur proximité, la distance est certaine entre les portraits dits en majesté, hérités des « grands capétiens » du XIIIe siècle – et, avant eux, des grand sceaux royaux du XIe siècle – et ceux ressortant de la catégorie des « portraits d’État ». Dans le débat relatif autour du portrait du roi qui, dès les années 1600-1605, annonce les discussions aboutissant au tournant historiciste versaillais de 1679-1680, Antoine de Laval, avec son opuscule sur les Peintures convenables aux basiliques et Palais du Roy, mesmes à sa Gallerie du Louvre à Paris, prend nettement position pour rejeter l’usage de la mythologie dans la représentation du souverain en tant qu’elle porte le mensonge et qu’elle excite l’impudicité16. Il défend l’idée d’une représentation historique et naturelle du souverain contre les travestissements de sa dignité et de sa personne sous des costumes empruntés aux figures antiques et païennes ou rendue méconnaissable sous la forme d’un hiéroglyphe énigmatique dans le vocabulaire emblématique. Ce qu’il propose consiste en la substitution à ces masques et autres subterfuges d’un portrait en majesté recentré sur le corps du roi, réceptacle du « sang de France », comme dans la Petite Galerie du Louvre qui peut avoir servi de prototype aux portraits bourboniens17. Si elle a disparu dans l’incendie de 1661, une esquisse de Jacob Bunel nous renseigne sur sa forme et son sens probables18.
7Quand est dévolu aux voûtes le spectacle des divinités et des héros grecs, des astres et des personnages des Métamorphoses d’Ovide – soit l’imaginaire mythologique et la fiction poétique –, il appartient aux parois, selon les vœux d’Antoine de Laval, de soutenir alors la fragilité de ces songes fabuleux à l’aide des puissantes réalités dynastiques figurées dans la représentation la plus fidèle possible de :
- 19 Jacques Thuillier, « Peinture et politique… », art. cit., p. 199. Le décor dynastique fut néanmoins (...)
l’antre-suite des effigies des LXIII. Roys de France » qui se sont succédés depuis Pharamond, « logées chacune an un Portique de differante structure, avec les ornemens d’Architecture, Amblêmes, Devises, Figures, Titres, Vers, Eloges & Inscriptions […] métant prés de chacun des Roys, les grands Princes ou Capitaines François qui ont été de leur tans, & ont achevé quelque chose de grand & glorieux qui les a randus celebres19.
Jacob Bunel, Portrait du roi Henri IV, roi de France et de Navarre
(cliché de l’APRMN, n° 90-003852)
- 20 Alain Mérot, « Mise en scène du portrait royal en France au XVIIe siècle », Chantal Grell et Benoît (...)
- 21 « Ce Roÿ seul semblable à soÿmesmes / L’Amour du Ciel, l’honneur des Roÿs / A passé des perils extr (...)
- 22 Je ne partage pas ici l’analyse d’Alain Mérot dont la description force artificiellement la similit (...)
- 23 Ibid., p. 111.
- 24 Ibid., p. 109.
8S’opèrerait un échange – toutefois incertain tant sur le plan esthétique que symbolique comme l’ont déploré plus tard certains commentateurs comme Henri Sauval vers 1655 – entre le « programme mythologico-épique de l’esprit humaniste de la Renaissance et un programme historique et dynastique plus moderne et direct20. » Le Portrait en pied d’Henri IV de Jacob Bunel prend ainsi ses distances vis-à-vis de la fiction héroïque et antique dont la qualité distractive et la force divertissante affaibliraient la fonction édificatrice de l’image royale. Il figure ainsi le resserrement du sens politique sur un roi qui est « seul semblable à [lui]-mesmes » pour reprendre le premier vers du quatrain accompagnant, en 1595 déjà, un portrait lyonnais d’Henri IV21. Ce modèle, vrai, sérieux et convenable et non « inconvenant ou insignifiant », est jugé plus digne et plus efficace pour témoigner de la grandeur du roi qu’un homme couvert d’une peau de bête, luttant et suant contre une créature hideuse qu’il écrase à grands coups de massue, ou bien encore ce même homme, mais envieilli, la langue tirée et percée par une chaîne au bout de laquelle sont accrochés d’autres hommes par les oreilles… S’il y manque les regalia, l’esquisse de Jacob Bunel entretient une parenté formelle certaine avec les grands portraits en majesté de Louis XIII à Louis XVIII. Mais elle joue un rôle plus fondamental encore. Elle ne peut être limitée à sa seule dimension de source dans une perspective généalogique des formes. Elle rappelle à notre attention, en effet, par cette absence des « signes » du pouvoir, choquante, ou du moins remarquable, à nos yeux accoutumés à un type pictural immédiatement reconnaissable et dont le portrait de Louis XIV en habits de sacre par Hyacinthe Rigaud en 1701 constitue le modèle à la fois achevé et atypique, que les portraits d’apparat dans lesquels les rois figurent tout en majesté et entourés des objets de leur souveraineté sont d’abord la représentation, frontale, d’un corps singulier et extraordinaire22. Un corps qui ne se confond pas, dans le même captivant éclat, avec les signes du pouvoir exhibés par l’art même du peintre attaché à rendre la solennité des marbres, la richesse des étoffes, l’éclat des pierreries et la pureté des métaux. Source formelle d’un type pictural peut-être, mais plus assurément témoin conceptuel, symbole essentiel, au sens fort du terme, d’un genre happé, comme le relève avec justesse Alain Mérot, par la mise en scène grandissante des vêtements et des accessoires dans la seconde moitié du XVIIe siècle23. Je ne crois pas, en revanche, que l’on puisse affirmer que l’efficacité du visage ou du corps royal représenté par le peintre ne tire sa puissance que des vêtements, des attributs et des autres accessoires : comme si le corps du roi pour prendre sens devait nécessairement être mis en scène et bénéficier de l’énergie symbolique et spectaculaire du cadre dans lequel il se trouve et tenir l’efficace de sa représentation majestueuse des attributs de majesté qu’il porte ou dont il se trouve proche24. C’est sous-estimer la valeur propre de ce corps singulier dont l’exceptionnalité retrouvée avec Henri IV renverse à son profit les influences et les sujétions symboliques ; les « accessoires » prenant sens à partir de lui parce qu’ils font partie de lui. Cette énergie du corps royal est alors fondée sur une invention visuelle singulière qui est le sujet de cette étude car je la pense au cœur de la transformation idéologique de la monarchie moderne en donnant une figure à l’absolutisme bourbonien dans la représentation de son dé-vouement.
… et que ce corps est un nu
- 25 Michel Rousse, « Le pouvoir royal et le théâtre des farces », Jean Dufournet, Adelin Fiorato et Aug (...)
9Henri IV partage avec François Ier la particularité d’être un roi représenté souriant quand bien même le dernier est connu pour avoir particulièrement réprimé dans son royaume farces et soties25. Un sourire placé pour certains des thuriféraires du roi Bourbon au cœur de l’efficacité politique du dessillement ligueur comme le suggère Pierre Constant en 1592 pour lequel seuls les traits bienveillants et souriants du roi sont capables, par leur puissance propre, de surmonter l’obstacle de la « nature perverse » de celui qui refuse d’écouter la voix de Raison et de Justice. Le portrait du roi, placé au regard de la dédicace de son ouvrage, parle en ces termes :
- 26 Pierre Constant, Portraict du tres-auguste Henry IIII Roy de France et de Navarre, Dedié à sa tres- (...)
Je veux, Ligueur, te depeindre / Le Monarque des François, / Pour te forcer à le craindre / Et fléchir dessoubs ses loix, / Puis que ce Prince sublime, / Ton vray Roy & legitime, / Ne peut entrer en ton cœur, / Je feray par ma peinture / Que ta perverse nature / Regorgera ton erreur […]. Or vois tu sa face peinte / D’un vermillon Jovial, / Toute notoire, & non feinte / Soubs un front hault & royal, / Et ce nez Persan encore / Qui, comme un beau mont, decore / Entre deux soleils riants, / Ceste genereuse face, / Et dont l’agreable audace / Domte les plus foudroyants26.
- 27 Henri IV en Jupiter, Barthélemy Prieur (reproduit dans le catalogue Henri IV et la reconstruction d (...)
10Mais parmi les différentes manifestations littéraires et iconographiques de cette bienveillance et amabilité royales, il en est une qui doit être plus particulièrement remarquée. Perdue parmi les autres sourires du roi, une petite sculpture de bronze de Barthélemy Prieur est, effectivement, déroutante27. L’étonnement est proportionnellement aussi grand que le relatif silence critique manifesté au sujet de cette œuvre par les historiens de l’art et les spécialistes d’Henri IV alors qu’elle constitue pourtant l’une des expressions les plus spectaculaires et étranges de la refondation de l’autorité monarchique et de la redéfinition du portrait royal – la recharge ou la réinitialisation de son énergie politique – par le premier Bourbon. Aussi est-il nécessaire de s’interroger sur cette représentation originale prise entre la proximité et l’écart, partagée entre la familiarité du thème et sa mise en œuvre exceptionnelle, sur cette incarnation de l’absolutisme dans la figure d’un dénuement singulier : précisément celle dans laquelle le roi est chair, dans laquelle le roi est nu.
Barthélemy Prieur, Henri IV, roi de France et de Navarre, en Jupiter
(cliché de l’APRMN n° 90-005970)
- 28 Bronzes reproduits dans Paola Bassani Pacht, Thierry Crépin-Leblond, Nicolas Sainte Fare Garnot et (...)
- 29 Il paraît, en effet, exclu a priori d’adopter un parti interprétatif en termes chrétiens de cette n (...)
- 30 Antoine Le Clerc, Stations faictes pour l’entrée de la Royne, à Paris, après son Coronnement, Paris (...)
- 31 Paola Bassani Pacht et alii (sd.), Marie de Médicis. Un gouvernement par les arts, op. cit., p. 164
11Cette pièce est associée à un autre petit bronze représentant Marie de Médicis en Junon28. L’identification est aisée grâce à leurs attributs respectifs : l’aigle et le foudre pour le souverain des dieux ; les chaînes conjugales et le paon pour la reine de l’Olympe. Ces symboles semblent exclure immédiatement une interprétation de cette nudité royale selon le registre de l’humiliation de la chair chrétienne. Spontanément lui attribue-t-on les valeurs héroïques liées à l’idéalisation du corps antique29. La datation joue ici un rôle considérable dans l’interprétation de cette nudité, partielle pour la reine, totale pour le roi. Signé par Barthélémy Prieur, ce bronze d’Henri IV en Jupiter est antérieur à la mort du sculpteur survenue en 1611, la réalisation de Marie de Médicis en Junon pouvant être cependant achevée par son gendre Guillaume Dupré. Ce thème olympien est, par ailleurs, privilégié dans la représentation du monarque durant les dernières années de son règne, notamment dans le programme des festivités parisiennes prévues en mai 1610 pour le couronnement de la reine et annulées par l’assassinat d’Henri IV le 14 de ce mois30. Cet élément, à lui seul, ne peut cependant rendre compte de cette exceptionnelle nudité du roi. Aussi Thierry Crépin-Leblond, dans sa notice du catalogue de l’exposition consacrée à Marie de Médicis. Un gouvernement par les arts, propose-t-il de la comprendre comme une commande de la reine dans les premiers mois de sa régence : « la nudité complète de Henri IV […] se justifierait ainsi par son caractère d’apothéose divine consécutive aux funérailles31. » La taille légèrement plus grande de la statue de la reine, 67 cm contre 63,5 pour celle du roi, témoignerait de cette commande personnelle et, si l’on retient l’idée de l’articulation des deux bronzes, le roi semble, en effet, s’avancer droit devant lui quand son épouse ne peut, semble-t-il, que tourner son regard vers sa direction et esquisser, en vain, un mouvement du bras pour le retenir.
- 32 Françoise Bardon, Le portrait mythologique…, op. cit., p. 30 et p. 239. Lors de l’entrée d’Henri IV (...)
- 33 Jean-François Dubost avance la date de 1604, « Le corps de la reine, objet politique : Marie de Méd (...)
12Toutefois, l’autre association des deux statues – le roi placé à gauche de la reine cette fois-ci – rend une signification très différente : celle d’un couple uni, regardant dans le même sens, témoignant d’une harmonie conjugale que plastiquement la symétrie des animaux emblématiques et celle des attributs divins viendraient redoubler. Par ailleurs, référer cette œuvre au début de la régence de Marie de Médicis en s’appuyant sur l’émergence tardive du thème olympien dans la représentation henricienne n’est pas entièrement convaincant puisque l’on trouve, dans la littérature, cette thématique jupitérienne bien avant les seules années 1607-1610 comme il existe également une iconographie propre à ce sujet dès les années fondatrices de son règne, soit 1591-160132. En outre, d’autres chercheurs soutiennent l’idée que la sculpture de Marie de Médicis est postérieure de quelques mois ou de quelques années seulement à son mariage ou à la naissance du dauphin33. Ces ambiguïtés ne semblent donc pas toutes levées avec cette seule interprétation apothéotique. Au contraire, elles autorisent et provoquent une autre approche critique où la nudité du roi ne serait pas à comprendre comme la conséquence de la représentation mais bien la cause de celle-ci, autrement dit non pas tant l’effet mais la raison et le sujet de celle-ci.
Barthélemy Prieur, Henri IV en Jupiter et Marie de Médicis en Junon
(clichés de l’APRMN nos 90-005970 et 90-006200)
- 34 BNF Rés. Lb35 23, fol.17. (reproduite dans La gravure française à la Renaissance à la Bibliothèque (...)
- 35 Cette absence d’identification directe est d’autant plus nécessaire que dans le texte Junon est réf (...)
- 36 Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu…, op. cit., T.II, p. 592-593.
- 37 BNF, Cbt. des estampes, Qb1, M 88290 (reproduit dans Françoise Bardon, Le portrait mythologique…, o (...)
13La figure du roi-Jupiter n’est pas un motif fréquent de l’imagerie d’Henri IV ; les artistes lui préfèrent généralement les thèmes herculéen et martial et les assimilations héroïques avec Persée, Alexandre ou Achille. Si une gravure « popularise » toutefois cette identification, il n’est pas sans intérêt de noter que cette image d’Henri IV en Jupiter est associée à des œuvres complexes, singulières ou inabouties. Dans la gravure, datée de 1607, de L’Olympe des François de Léonard Gaultier et Nicolas de Mathonières où sont représentés, « au naturel », le couple royal et ses quatre enfants, Henri IV trône sur un nuage, en tenue de sacre, tenant de la main droite un sceptre tandis que sous son bras est étrangement glissée la massue d’Hercule quand la peau du lion de Némée, la fameuse léonté, est elle aussi comme négligemment rangée en boule sous lui34. Dans son dos, l’aigle porte-foudre semble se poser sur la nuée. Le geste de la main gauche place le roi en ordonnateur d’une scène à laquelle il ne participe plus en tant qu’acteur essentiel. Comme en retrait, il semble laisser à d’autres le soin de prolonger son œuvre. Celle-ci doit d’abord être comprise comme sa descendance dont l’importance est bien mise en évidence ; le jeune Nicolas de France, âgé seulement de quelques mois, se tenant même debout sur les genoux de sa mère, elle-même placée en vis-à-vis du roi, en grande tenue et tenant également un sceptre, mais dépourvue cependant d’attributs mythologiques qui directement la feraient participer de la sphère éthérée35. Car à elle appartient le soin – le devoir – de transformer, dans le monde, le sublime olympien de son époux en d’autres figures de sa personne. Elle constitue la matrice dans laquelle le Verbe royal se fait Chair et Histoire. Le dauphin, placé sous son père, en robe infantile, tient une lance quand est ceinte, discrètement, à son côté gauche une épée virile. Sa sœur, Élisabeth, l’aide à soutenir un globe entouré d’une palme et d’un rameau d’olivier, lui-même descendu des cieux jusqu’en terre par une chaîne qui se fond dans les rayons d’un soleil éclatant placé dans la partie supérieure de la gravure, au centre de la composition. À droite du jeune Louis, des hommes d’armes agenouillés viennent lui remettre les enseignes prises aux infidèles dont la défaite est suggérée par la fuite d’une armée pourchassée par des cavaliers rangés sous le signe de la croix. À leur opposé, un roi et un prince viennent offrir à Élisabeth et à Christine de France des couronnes, des rameaux d’olivier et de gramen. La dimension prophétique de l’œuvre, placée au cœur de ce soleil, renforce ce retrait du roi dont les exploits sont rangés du côté de l’histoire dans le long texte associé à la gravure comme dans la composition poétique signée Jacques de Fonteny où la victoire des enfants doit succéder aux exploits de leur père. Le présent et l’avenir ne lui sont plus véritablement familiers. C’est au dauphin, à la descendance, qu’il revient d’accomplir les prophéties : « son dauphin guydé d’heur yra en terre turque aveq’armee aydé du ciel y vaincqra ». Si ce présage puise sa vérité dans l’anagramme quatre fois répété du nom du roi, Henri IV est bien l’origine d’une histoire qu’il ne fait plus36. La figure olympienne est ici ambiguë : elle est comme l’écho d’une sorte de mélancolie indéfinie. Le roi n’est déjà plus dans ce monde et l’aigle jupitérien peut être vu comme celui qui, déjà, ravit le héros pour d’autres cieux. La reine tient le sceptre. À elle revient l’éducation des enfants ; à elle est lié le pouvoir. À ce premier exemple où la référence jupitérienne n’est donc pas sans ambiguïté, s’ajoutent d’autres figures d’Henri IV en roi de l’Olympe dont la signification complexe et les réalisations incertaines témoignent des équivoques possibles quant à ce choix iconographique. Parmi elles, se trouve l’étrange roi dansant d’un Jupiter chorégraphique, connu seulement à travers le dessin anonyme d’un projet de sculpture pour déplorer sa mort et qui ne fut pas réalisé37. La figure est surprenante, inattendue. Le roi-Jupiter semble esquisser un pas de danse, prêt à une volte peut-être, la main droite tenant le foudre quand celle de gauche est dans son dos au niveau de la taille comme un élégant mouvement de bras accompagnant celui du buste et le croisement des jambes, propices aux envols d’une cape tourbillonnante et de transparents tissus. Rien de plus opposé ici que la convenance, l’histoire et la clarté promues par Antoine de Laval quand triomphent dans ce projet le « style », le « trait » – la manière –, la fantaisie mythologique, l’érudition allusive et le divertissement dénoncés par le géographe du roi comme par Charles Paschal dans leurs traités respectifs comme indignes de la grandeur du roi et du caractère « adulte » de son État.
- 38 Amaury Lefébure, « L’atelier de Barthélemy Prieur et l’imagerie royale sous le règne d’Henri IV » e (...)
- 39 Par exemple, ceux reproduits dans Georges Lemoine, Jacques Sallois, Didier Deschamps (dir.), 1594. (...)
- 40 Jean-François Dubost, « Le corps de la reine… », art. cit., p. 241.
- 41 Géraldine A. Johnson, « Marie de Médicis : mariée, mère, méduse », Kathleen Wilson-Chevalier et Eli (...)
- 42 Regina Seelig-Teuwen, « Barthélemy Prieur, portraitiste d’Henri IV et de Marie de Médicis », art.ci (...)
- 43 « Henri IV en figure antique », Jacob de Weert, Histoire des derniers troubles de France. Sous les (...)
14Que signifient alors ces deux petits bronzes aussi singuliers que provocateurs ? Si l’on écarte l’interprétation de Thierry Crépin-Leblond et sa référence apothéotique trop tributaires d’une datation incertaine, leur nudité est généralement comprise par les commentateurs comme une citation directe de l’Antiquité. Quoi qu’il en soit, la perspective demeure similaire : la nudité est la conséquence d’une référence, l’attribut d’une qualité, le vêtement paradoxal d’une identité, et non une fin en elle-même. Amaury Lefébure évoque une nudité héroïque et divine, caractéristique d’une « audace typique du maniérisme » et des comparaisons mythologiques familières à l’imagerie du roi. Regina Seelig-Teuwen souligne d’abord, quant à elle, le caractère très « insolite » de ces œuvres mais elle les rapporte ensuite à l’ordinaire, en quelque sorte, d’une diffusion de l’image d’Henri IV dans le cadre de « la propagande royale » dont l’originalité tiendrait plus, in fine, au support – la sculpture de petits bronzes – qu’à leur sujet même38. Soit une singularité matérielle, physique et non d’intention. Il y a loin cependant d’une diffusion, par la sculpture de bustes et de figures en pied ou par la médaille, de l’image du roi à l’antique ou en armure moderne, conformes aux représentations traditionnelles du souverain, et ce roi nu, le manteau qui couvrirait sa nudité étant même plié sur son bras gauche39. On ne peut pas faire alors l’économie d’une interrogation sur ce que veut dire cette nudité ; on ne peut pas l’imaginer comme secondaire dans l’intention. On ne peut ne pas voir que le roi est nu ! Son association à celle de la reine aide à la comprendre mais elle fait aussi courir le risque de s’arrêter à la conclusion que l’on en tirerait qui serait d’équipoller les deux nudités quand le corps nu du roi n’est pas la nudité de la reine. Marie de Médicis est à moitié nue seulement. Conforme à la formule du portrait mythologique, « la nudité est signe d’héroïsation de la souveraine identifiée à une divinité olympienne », soit Junon ici40. L’idéalisation de ce beau corps de femme, associée à l’adoption, à partir de ces mêmes années 1604-1605, par la reine d’un masque pour sortir dans Paris, rend compte de la volonté royale de rendre visibles, par les « dons » de nature et de grâce, les hautes vertus morales et politiques de la souveraine. Si je souscris sans réserve à la réfutation faite par Jean-François Dubost de l’interprétation de Géraldine A. Johnson qui fait du sein nu de la reine le signe d’un pouvoir séducteur et potentiellement dangereux et qui dresse, malgré le talent de Rubens, celle-ci dans une figure ambivalente – soit une trilogie au large spectre symbolique, « mariée, mère, Méduse » –, je ne pense pas que la référence conjugale et maternelle puisse être aussi rapidement écartée au bénéfice seul de ce langage des vertus par le biais de la physiognomonie41. Tout d’abord parce que les vertus politiques de la reine sont celles-là même que porte la référence olympienne : chasteté, fidélité, fécondité. Ensuite parce que cette nudité est liée, précisément, aux chaînes conjugales de l’hymen qu’elle tient de sa main droite. Sa poitrine révélée témoigne de son rôle de mère féconde et nourricière dont témoignent dans ces années 1601-1605, les naissances du dauphin et de sa sœur Élisabeth. Sa nudité est bien un attribut de sa fonction ; non un signe visible, dans ce dépouillement spectaculaire de la poitrine de la reine, de sa nature et certainement pas de son « corps propre ». Et c’est là que ces deux corps nus ne se confondent pas quand on comprendrait pourtant d’abord celui du roi comme le témoignage de sa vertu générative et la promesse de la fondation dynastique. Cette singularité de la nudité du roi se trouve renforcée par l’existence d’un buste d’Henri IV, torse nu, qui n’est pas accompagné de celui de la reine comme la formule du couple de petits bronzes, sinon complétement inventée par Barthélemy Prieur du moins largement employée par celui-ci, nous y avait habitués42. Ce dernier bronze peut être rapproché immédiatement d’un portrait du roi à l’antique le représentant en buste sur un piédouche circulaire, une tunique nouée en dessous de la poitrine et passée sur son épaule gauche. Ce buste coiffe un arc triomphal et surmonte les allégories de la Vertu et de l’Honneur dans le frontispice de l’Histoire des derniers troubles de France… de Pierre Matthieu parue en 1605. Il s’agit là d’une représentation assez rare du roi de guerre triomphant qui emprunte son inspiration à la figure – stoïcienne ? – du sage antique en lieu et place du gendarme invaincu bousculant ses ennemis43.
- 44 Ce geste constitue une citation de la statue équestre de Marc-Aurèle dont se sont notamment inspiré (...)
- 45 Paul Mironneau souligne seulement un roi « divinisé dans sa nudité » sans que cette représentation (...)
- 46 Regina Seelig-Teuwen, « Barthélemy Prieur, portraitiste d’Henri IV… », art. cit., p. 349‑350.
- 47 Hugo Soly (dir.), Charles Quint, 1500-1558, Arles, Actes Sud, 2000, p. 392 et Fernando Checa Cremad (...)
- 48 Herbet Keutner, « Uber die Entstehung und die Formen des Standbildes im Cinquecento », Münchner Jah (...)
- 49 Maurice Brock, « Andrea Doria en Neptune de Bronzino », Olivier Bonfait et Brigitte Marin (éd.), Le (...)
- 50 Au premier rang desquelles figure la raison même de ce tableau, commandé par Cosme Ier pour sa fian (...)
- 51 André Chastel (dir.), La Vie de Benvenuto Cellini, fils de Maître Giovanni, florentin écrite par lu (...)
15Qu’est-ce qu’a représenté et saisi Barthélemy Prieur avec cette sculpture d’Henri IV en Jupiter ? Il s’agit d’un homme nu, au corps athlétique, enjambant un aigle aux ailes à moitié déployées. Sa tête est légèrement tournée vers la droite ; il semble marcher. De la main gauche, il tient le foudre et sur son avant-bras plié contre son corps repose son manteau. De la droite, paume tournée vers le sol, s’avançant devant lui symétriquement à sa jambe gauche, il fait un signe à l’oiseau comme pour retenir son envol44. Tout est reconnaissable : le visage du roi, les symboles jupitériens, le sens de la sculpture. Henri IV, comme le roi des dieux, possède la puissance foudroyante ; il est puissance. Une lecture évidente, sans problème donc. Le mécanisme de l’identification fonctionne ; la nudité référentielle opère, elle réalise son objet. L’esthétique antique soutient l’efficacité de la démonstration visuelle et apporte à la sculpture le prestige et la valeur attachés à sa propre grandeur. Cette lecture d’historien de l’art est d’autant plus à prolonger que celui-ci semble précisément aveugle à la nudité du roi. Ainsi en est-il, par exemple, du regard de Paul Mironneau ou de Regina Seelig-Teuwen. Pour ne pas reconnaître que cette nudité est centrale, première peut-être dans l’œuvre, celle-ci cherche à l’inscrire dans une généalogie où elle ne constituerait plus qu’une forme particulière d’un genre qui ne le serait pas45. Or, elle mobilise à cet effet des exemples qui fonctionnent plutôt à rebours de sa démonstration. Elle affirme que « la représentation d’un souverain à l’image d’un dieu antique nu est, au XVIe siècle, déjà connue dans la sculpture monumentale, par exemple la statue en bronze de Charles Quint terrassant la fureur à Madrid (1549-1553), par Leone Leoni, ou bien la statue d’Andrea Doria en Neptune à Carrare (1534-1538), par Baccio Bandinelli46. » Soit. Mais l’empereur n’est pas explicitement représenté en divinité olympienne et ni lui ni Andrea Doria ne sont véritablement nus. La sculpture madrilène, achevée par Pompeo Leoni en 1564, montre Charles Quint en armure. Si elle peut être enlevée pour montrer l’empereur nu, son mode d’exposition ordinaire est celui de l’homme cuirassé et non pas une épiphanie héroïque continue47. Pour la statue de l’amiral génois, il s’agit d’une œuvre inachevée, à l’histoire complexe qui transforme le projet initial, en 1529, d’un bronze non allégorique prévu pour le salone du Palais de la République de Gênes en fontaine monumentale placée au sud de la place du Dôme dans la ville de Carrare en 1538 ; itinéraire symbolique, formel et géographique dans lequel se perd le sens comme la nudité de l’œuvre48. Sur le dessin originel de Baccio Bandinelli conservé au British Museum, l’amiral est ceint d’un baudrier qui retient sur son côté gauche une épée au pommeau ouvragé dans son fourreau, une cape recouvre son dos, sa main droite tient un trident et la gauche un dauphin. Inspiré thématiquement de ce projet, il existe un tableau représentant Andrea Doria en Neptune dans lequel cette parenté pourrait être établie. Il s’agit de l’œuvre de Bronzino peinte à la fin des années 1540 pour la galerie des hommes illustres constituée par Paolo Giovio dans sa villa de Côme. L’amiral est à moitié nu également, une partie de la voile du navire sur lequel il se tient venant couvrir le bas de son bassin, la toile s’arrêtant elle-même à mi-cuisse. Son sexe est en partie visible, comme celui du roi, mais la nudité d’Andrea Doria est bien distincte de celle d’Henri IV car son visage tient davantage de l’allégorie que du portrait, la caractérisation l’emportant sur la similitude ; il s’agit ici d’un portrait « plus véridique que ressemblant »49. S’il faut chercher à tout prix une généalogie, une autre œuvre de Bronzino pourrait être mieux mobilisée : celle représentant Cosme Ier de Médicis en Orphée, peinte vers 1539. Cependant les différences l’emporteraient encore largement sur la proximité50. Si l’on persiste néanmoins dans cette voie, en la resserrant sur la tradition artistique française, c’est au même constat d’extrême singularité qu’il faut conclure. Le seul précédent d’une statue d’un roi de France représenté à travers la figure d’une divinité mythologique nue semble alors être le projet inabouti de Benvenuto Cellini qui avait offert à François Ier, en 1542, de le représenter en Mars – la sculpture devant mesurer entre 17 et 20 mètres – au milieu d’une fontaine monumentale cantonnée des allégories des Arts et des Sciences51.
- 52 D’ordinaire, le roi « nu » n’est visible que dans son monument funéraire depuis la tradition mise e (...)
- 53 C’est cette réinvention du regard et cette volonté de l’écart quant aux sources afin de s’affranchi (...)
16Il faut donc renoncer à cette recherche des sources pour revenir à l’objet lui-même et au mode de la représentation car à l’incertitude des influences et des références répond la faible pertinence ici de la démarche. Œuvre inscrite dans l’espace, ce petit bronze en ronde bosse offre le roi aux yeux de tous. L’artiste a choisi de ne rien cacher de son sujet. Plus énergiquement encore qu’une représentation peinte, le roi est bel et bien non seulement nu mais vulnérable. Offert à un regard omnipotent, nulle partie de son corps ne peut échapper à l’œil qui le scrute52. Cette qualité politique de l’œuvre doit dessiller le regard esthétique et faire trembler la certitude généalogique portée traditionnellement sur elle53. Autrement dit, l’effet de la référence antique – le portrait mythologique – ne doit pas se substituer à l’efficacité et au sens politiques produits par le choix premier de la nudité royale. Comme je l’ai dit plus haut, il faut retrouver une nudité cause de la représentation et non conséquence du choix iconologique. Pour essayer de restituer le sens politique de l’œuvre derrière ou avant celui produit par sa forme, il faudra partir d’un jeu pratiqué alors par les enfants et très populaire à la fin du XVIe siècle. Un vagabondage ensuite dans l’art du conte dessinera les voies d’une autre compréhension de cet étrange roi, nu et fulgurant.
- 54 Maurice Brock, Bronzino, op. cit., p. 174.
- 55 Annie Duprat, « La caricature, arme au poing : l’assassinat d’Henri III », Sociétés & Représentatio (...)
17Analysant le portrait évoqué précédemment de Cosme Ier en Orphée, Maurice Brock affirme que ce « tableau ne saurait répondre à une visée de propagande : on ne célèbre pas le prince en le montrant nu, cette nudité fût-elle héroïque ». Si le terme de « propagande » est contestable, je ne crois pas cette analyse pertinente par ailleurs pour comprendre la statuette de Barthélemy Prieur54. Il s’agit moins ici, en effet, de célébrer le roi, de l’illustrer – au sens étymologique du terme – par l’intermédiaire de l’allusion antique puisée à l’extérieur de lui-même, et de lui donner une grandeur supplémentaire qu’au contraire de révéler sa vérité royale unique et essentielle qui ne peut être, dans la refondation henricienne de l’autorité et de l’imaginaire monarchiques, que le spectacle extraordinaire du corps du roi. À la fin du XVIe siècle, les enfants jouent au « roi dépouillé » ; un jeu dont Annie Duprat précise ainsi la nature : « La règle du jeu veut qu’un enfant, vêtu des attributs de la monarchie, en soit successivement dépouillé par les autres qui continuent à l’appeler « Sire » en fléchissant le genou »55. Jusqu’où s’arrête la passion de l’enfant-roi ? Jusqu’à quel point de dénuement le roi est-il enfin nu ? Peut-on comme ex-ténuer la royauté du roi ? Pourquoi continue-t-on à appeler « Sire » celui qui n’a plus qu’une chemise sur le dos et qui sera contraint, dans un instant, d’abandonner peut-être ses chausses ? La royauté ne se porte-t-elle qu’avec les habits qui la constituent ou, comme ce jeu en témoignerait, est-elle moins attachée aux attributs de la majesté qu’articulée à une nomination ? La royauté est moins une réalité du visible que l’effet d’une Parole et d’une reconnaissance. Son essence n’est pas de l’ordre des sens mais elle est participante d’un discours primitif. Quand bien même l’enfant serait nu, il n’en demeure pas moins le roi que désignent ses camarades par leur parole et par leur geste. Cette humiliation continue doit être rapprochée du Christ de la Passion. Dans le travestissement de Jésus, humilié et battu, couronné et désigné comme le roi par les soldats, se jouent le mystère d’un Dieu révélé et l’aveuglement de ceux qui ne le voient pas. Derrière le jeu est dite la vérité d’un roi que la Providence a désigné et qu’elle reconnaît à travers son destin singulier.
- 56 Marie-José Mondzain, Le Commerce des regards, Paris, Éd. du Seuil, 2003, p. 17-18.
- 57 Dans la pièce d’Evguéni Schwartz, Le Roi nu, de 1934, cette expression gagne encore en âpreté démys (...)
- 58 Marie-José Mondzain, Le Commerce des regards, op. cit., p. 182. Il existe également un épisode dans (...)
- 59 Dans sa pièce, Schwartz accentue cette dimension libératrice puisqu’il fait dire au père de l’épous (...)
- 60 « On ne peut rien comprendre à l’image et au regard sur elle, en faisant l’économie de la doctrine (...)
18Si avec le début du XVIIe siècle, on est loin des « stratégies de l’exténuation imaginale qui, par l’abus du visible, condamne la vitalité du regard et sa liberté » dénoncées par Marie-José Mondzain, ses analyses sur les régimes de visibilités excitent pourtant la réflexion sur le statut et le sens de ce roi nu donné à voir56. Avant le conte d’Andersen, « Les habits neufs de l’empereur », qui en popularise les leçons et qui invente l’expression aphoristique – « le roi est nu » –, il existe, depuis la fin du XIIIe siècle en Europe un récit, probablement transmis d’une tradition orientale ou indienne, mettant en scène de faux peintres ou de faux tailleurs abusant des crédules et des vaniteux en promettant des tableaux ou des vêtements si merveilleux qu’ils ne sont visibles, affirment-ils, que seulement par ceux qui en sont dignes57. Dans « l’exemple XXXII » du Comte Lucanor de Don Juan Manuel de 1335 – « de ce qui advint à un roi maure avec trois hommes trompeurs » – dont s’est inspiré Noël du Fail en 1548 dans ses Baliverneries avec « Le couturier qui fit une cape au gentilhomme d’un drap invisible, fors à ceux qui étaient fils de putain », comme dans sa reprise théâtrale ensuite par Cervantès dans Le Retable des merveilles en 1615, est interrogée avec cruauté la réalité sociale et politique du regard car « faire voir est plus que montrer, plus qu’exhiber, puisque cela implique le partage d’un espace et d’une parole »58. Cruelle expérience, en effet, que la lâcheté d’une société tout entière et l’imposture de ces princes que révèle et dévoile la parole de l’enfant, du fou ou du nègre. À rebours donc du conte moralisateur et politique, ce n’est pas un roi trompé et trompeur qui est représenté dans sa nudité révélée loin des artifices du paraître. Elle n’est pas ici le signe de la fausseté mais elle fonctionne au contraire comme la marque de la vérité la plus absolue. À la dimension critique sinon révolutionnaire des mots véridiques dénonçant l’illusion de l’invisible, le simulacre et la fiction trompeuse d’autres discours, s’opposent, dans ce petit bronze, à l’évidence d’un roi franc59 : le mystère politique de l’Incarnation bien plus que la dramatisation traditionnelle des deux corps du roi dans l’économie eucharistique du signe60. Car ce que l’image du roi nu donne à voir, c’est la révélation de sa royauté. Le témoignage de sa majesté unique qui fait de lui seul le souverain comme Charles VII, alors dauphin sans couronne ni royaume, ne pouvait qu’être le roi de Jeanne d’Arc qui le reconnut bien qu’elle ne l’avait jamais vu auparavant et alors même qu’il s’était dépouillé des signes ostentatoires de son état. Henri IV peut être nu car son corps, mortel et faillible, est transformé par la dignité de son statut unique. Est révélé un corps sursacralisé où la corruption de la chair est sublimée par la pureté absolue de l’élu providentiel. Et l’écart avec la référence antique traditionnellement avancée est important. Le spectateur n’a nul besoin ici des artifices d’Ulysse pour reconnaître Achille travesti parmi les filles de Lycomède. Au contraire, en éprouvons-nous la nécessité pour reconnaître ici Jupiter.
- 61 Denis Crouzet, Le haut cœur de Catherine de Médicis. Une raison politique aux temps de la Saint-Bar (...)
19Cette figure de bronze témoigne ainsi avec le règne d’Henri IV du passage d’une « monarchie sacrale » – éprouvée durant les guerres de religion autant par la prétention des papistes à conditionner « la sainteté du souverain à sa soumission à un devoir biblique de violence et d’éradication de tous ceux qui ont rompu avec l’Église », que par le refus protestant « de voir dans le roi une image vive de la divinité, un prince mystérieusement participant du Christ » – à une royauté fondée sur le corps sursacralisé du roi où se confondraient la Dignité de sa Couronne et la réalité de sa chair dans l’éblouissement d’un absolutisme de droit divin fondé sur l’élection providentielle d’une incarnation de la Raison61. Pour reprendre les analyses de Marie-José Mondzain, dont il faudrait préciser les conditions de pertinence à la royauté de la fin du Moyen Âge et de la première modernité, les deux corps du roi achèvent avec Henri IV leur relation nouée sur l’inégalité de leur nature. Il n’y a plus qu’un vrai corps, verum corpus : celui d’une chair faite réalité ecclésiale et mystique sublimée. Il n’est plus besoin de dérober ce corps au regard ou le recouvrir de vœux pour fonder le pouvoir dans l’imagination d’un être visiblement majestueux puisque c’est ce corps qui porte seul l’autorité de son élection. Et loin de dire la sexualité et donc la mort du roi, sa nudité est promesse de salut et d’éternité – la vis generativa –, plus encore que la braguette emphatique du portrait de Guidolbaldo della Rovere par Bronzino en 1530-1532. Son corps est légion. Il est celui de tous les rois à venir. En 1684, Brice Bauderon de Sénecé témoigne de cette poétique royale perpétuant à l’infini ce corps unique doté des vertus les plus accomplies en écrivant dans son Apollon français qu’il :
- 62 Cité par Jean-Marie Apostolidès, Le roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Pari (...)
est véritable de dire que les perfections du Grand Henri ont passé à Louis le Juste, celles de Louis le Juste à Louis le Grand, et celles de Louis le Grand à son digne successeur : comme si c’était toujours le même roi, non seulement par représentation, mais encore par continuation qui ne meurt que pour revivre en ses descendants62.
- 63 Georges Didi-Huberman, Ouvrir Vénus…, op. cit., p. 56-57 ; Giorgio Agamben, Nudités, Paris, Payot-R (...)
- 64 Dès son avènement, cette figure providentielle est constituante de l’économie du discours de la lég (...)
- 65 Jacques-Auguste de Thou, Histoire universelle de Jacques-Auguste De Thou, depuis 1543 jusqu’en 1607 (...)
- 66 Jean Céard, « Les visages de la royauté en France, à la Renaissance », Emmanuel Le Roy Ladurie (dir (...)
20Aussi s’agit-il de revenir avec cette nudité, triomphante et incarnée dans sa légitimité providentielle, sur l’interprétation chrétienne peut-être trop rapidement écartée comme a priori précédemment. Davantage de prudence est nécessaire et à l’opposition construite entre la référence « basse » de l’œuvre – le modèle antique et l’illustration mythologique – et son sens primitif révélé au terme de sa critique – une Dignité incarnée –, une solution sinon de continuité du moins dialectique peut être proposée dans la double dimension apothéotique de cette représentation. Un sens final en accord avec l’interprétation de Thierry Crépin-Leblond citée plus haut, mais non pas antéposé à la réflexion et dans lequel subsiste la tension entre l’encomiastique mondaine et la signification mystique de cette nudité partagée. Barthélemy Prieur, fidèle protestant, ne pouvait pas ignorer que le nu qu’il ciselait était chargé d’une tradition mystique qui, de saint Jérôme à la devotio moderna, fait de la nudité une condition de la vision divine et l’état glorieux du corps avant son dénuement hors de l’Eden63. Le roi est représenté nu car il est l’élu de Dieu : il est celui qui se sait choisi de Dieu64. Il est celui qui voit et qui nomme les signes de Dieu dans les gouttes de sang sur la table d’une partie de dés65. Il est le roi image de Dieu et non plus le souverain médiéval et renaissant à l’image de la divinité pour reprendre l’analyse stimulante de Jean Céard66. Ainsi s’abolit avec Henri IV l’iconoclasme politique protestant quand se taisent les monarchomaques du même camp.
- 67 Au-delà de l’espace balkanique auquel sont empruntés ces exemples, ces légendes de fondations « viv (...)
- 68 Denise Turrel, Le Blanc de France. La construction des signes identitaires pendant les guerres de R (...)
21À l’image, l’idée de sacrifice en moins, des suppliciés des murailles primitives de villes, de monastères, de tours, de ponts ou de forteresses, historiques ou légendaires, comme les pont d’Arta en Epire et de Mostar en Bosnie, le monastère roumain d’Arges de la « Ballade de Maître Manole », la ville hongroise de Deva ou encore la citadelle serbe de Scutari (ou Skadar) dont les légendes ont inspiré Ivo Andric, Ismaïl Kadaré et, plus connu du public francophone, « Le lait de la mort » des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar, à l’égal donc de ces sacrifiés, emmurés vifs dans leur enceinte ou leur fondation pour les doter d’une âme et d’un corps et conjurer la menace de leur écroulement, il est possible de considérer le bronze de Barthélemy Prieur comme cette représentation véritable car exténuée jusqu’à sa limite de la royauté fondant la légitimité des autres portraits royaux67. Une image enfouie et « cachée » en quelque sorte, un palimpseste d’imaginaire exceptionnel, à l’origine ontologique des simulacres contemporains du prince et qui anime les attributs énervés de sa puissance après les troubles de religion. Cette faculté d’Henri IV à rétablir la gravité des symboles royaux, à les inspirer et les rendre participants de sa personne et donc à les tirer de leur mutisme ou de leur confusion également impuissants est similaire, en termes de dynamique imaginaire, à l’invention, sous son règne, d’un attribut supplémentaire de la royauté, l’écharpe blanche dont Denise Turrel a étudié la généalogie et l’évolution complexe68.
- 69 Henry IIII Roy de France et de Navarre, Léonard Gaultier et Jean Le Clerc (BNF, Cbt. des estampes N (...)
22Il n’est pas totalement surprenant de constater alors que l’un des rares portraits d’Henri IV accompagnés de vers émanant directement de sa bouche en lieu et place de l’éloge prononcé généralement par un rimailleur anonyme prêtant ses mots au spectateur de l’œuvre soit chronologiquement très proche des bronzes de Barthélemy Prieur si l’on retient la datation basse qui en a pu être proposée, soit les années 1600-1605. Quand, traditionnellement, l’efficacité du portrait versifié tient à ce que celui qui le regarde actualise l’éloge du roi en lisant les vers qui accompagnent son image, devenant le relais singulier d’une suite indéfinie, dans l’espace et le temps, de thuriféraires anonymes, c’est bien ce roi souriant qui parle et qui prend à témoin, au sens fort du terme, celui qui l’écoute sommé dès lors de prendre acte de la déclaration royale69. C’est le portrait, l’image, le roi qui parle :
De la France deffaicte ayant refaict la France / Miracle de mon bras, je l’ay mise en repos, / Pour conserver son heur, j’ay faict une alliance, / D’où naistront des caesars qui seront ses suppos.
23Allusion au mariage du roi avec Marie de Médicis et vœu d’une descendance féconde, ce portrait témoigne pleinement de la réaffirmation politique de la souveraineté : les sujets d’Henri IV ne sont que les spectateurs de l’action du roi et les auditeurs de ses paroles. L’image royale n’est plus défaillante. Refondée sur un corps, elle agit et elle parle. La royauté est de nouveau au cœur de la monarchie.
- 70 Michel Senellart, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, Éd. (...)
- 71 Comme l’affirment les vers d’un dizain adressé au roi par Passerat dans les pièces poétiques acheva (...)
24Aussi est-ce comme naturellement que renaît avec Henri IV le portrait dit en majesté du roi de France évoqué au début de ce développement. Cependant, cette renaissance est avant tout une réinvention qui, sous couvert de continuité formelle, manifeste d’abord son originalité profonde dans l’inversion des dynamiques symboliques tissées entre le corps du roi et les regalia qui l’entourent. Alors que précédemment, la Dignité du corps mystique de la royauté était supportée par ces dernières – le corps du roi étant à leur service en tant que le monarque se considérait selon la formule de Louis XII, comme le premier officier de la Couronne –, lesquelles illustraient comme en retour le corps réel du monarque, c’est désormais du corps naturel du roi que procèdent la légitimité et la majestas de ces attributs matériels de la souveraineté. Et c’est une nouvelle fois le vocabulaire de l’incarnation, plus précisément celui d’une incorporation, qui s’impose pour décrire la refondation monarchique dans laquelle les attributs du pouvoir royal sont moins les symboles d’une charge à accomplir et les signes d’une fidélité à respecter – soit le regimen médiéval et sa conception subordonnée et ministérielle du pouvoir séculier – que les caractères d’un roi singulier qui fait de son corps l’incarnation de l’État – le regnum moderne pour emprunter ces termes au travail de Michel Senellart70. Si ces insignes rendent invisibles le corps charnel et véritable du roi, celui-ci est comme Dieu dans la Création : partout présent mais visible nulle part. Il est à leur origine comme un prototype paradoxal. Il est, en vérité, ce qui les justifie, soit la quintessence de leurs fragiles existences spectaculaires et matérielles comme l’expérience des guerres de religion l’a démontré avec la nécessité d’en fondre de nouveaux exemplaires pour le sacre de Chartres en 159471. Aussi, quand le pouvoir robin et les ambitions politiques de la magistrature parisienne semblent trouver leur compte dans le redéploiement des images royales qui exhibent les signes de la Loi et du Droit, il n’en demeure pas moins que ces derniers restent fondamentalement subordonnés à la Parole et au Corps du roi qui les animent et les vivifient. Ils n’ont plus alors de raison d’être que tant qu’ils servent comme ces parlements qu’Henri IV, dans le grand discours de janvier 1599, rappelait qu’ils pouvaient être cassés s’ils ne lui étaient plus utiles.
Francisco de Guzmán, Triumphos morales, dirigidos al felicissimo Rey don Phelippe, Segundo deste nombre, nuestro señor, fol.176v°,
(gravure reproduite dans Sylvène Edouard, L’empire imaginaire de Philippe II. Pouvoir des images et discours du pouvoir sous les Habsbourg d’Espagne au XVIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 263)
- 72 Cette image se trouve au folio 176v. des Triumphos morales, dirigidos al felicissimo Rey don Phelip (...)
25Pour conclure, je voudrais terminer sur le contraste entre cette royauté dé-vouée, réduite à son corps éloquent, incarnée, et l’autre grande figure royale contemporaine, celle de Philippe II, mort en 1598. Quand Henri IV n’est rien qu’un corps, mais cela est tout, le « Roi prudent » est d’abord une armure. Cette nudité du roi où le corps vaut pour lui-même doit être rapportée, en effet, à une conception très différente du pouvoir royal que donne à voir une gravure illustrant les Triumphos morales… de Francisco de Guzmán, publiés en 1565, montrant Philippe II « en compagnie des Vertus qui l’habillent puis ailleurs guident encore ses actions »72.
- 73 Sylvène Edouard, L’empire imaginaire de Philippe II. Pouvoir des images et discours du pouvoir sous (...)
26Les vertus habillent le roi catholique : « La Force couvre le corps du roi d’une cuirasse devant le rendre invincible. Une seconde allégorie lui met un heaume en signe de défense. La justice lui remet l’épée justicière et une troisième allégorie le pare du drap blanc de la modestie et de la chasteté. L’empire « particulier » de Philippe II est mis en représentation par le langage des vertus. Elles sont les garantes de son empire, lui assurant le pouvoir par la force et la légitimité par la justice. Prudence et Tempérance couronnent cette construction emblématique en conduisant le char de Triomphe du roi qui évoque autant le triomphe de sa dignité de roi chrétien que celui de son esprit vertueux » commente Sylvène Edouard dans son étude de L’empire imaginaire de Philippe II73.
- 74 Un choix méthodologique fidèle en ce sens au « brouillage » de l’intentionnalité que Michel Jeanner (...)
- 75 Gérard Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Paris, Albin Michel, 1999, p.565.
27La figure nue d’Henri IV paraît bien l’image architectonique de la représentation absolutiste française. Plutôt que d’élire une interprétation comme la seule garante du sens de l’œuvre, qu’elle soit d’ordre esthétique, mythologique, politique ou ontologique, ou de les ranger dans une hiérarchie discriminante, il apparaît plus juste de les faire jouer ensemble et ainsi d’essayer d’être fidèle aux effets de réception que l’œuvre a pu susciter d’autant plus quand on ignore les raisons de sa réalisation74. Ce roi nu doit ainsi être rapproché de l’analyse proposée par Gérard Sabatier des statues de Coysevox pour l’Hôtel de ville parisien et de Desjardins pour la place Louis-le-Grand de la capitale, qui parle à leur sujet de « fantasme de l’absolutisme »75. Comme celles de Louis XIV, le bronze de Barthélemy Prieur montre :
[…] un corps donc, mais harmonieux, puissant, opaque, n’exprimant aucun sentiment, aucune passion, disant la disponibilité et surtout la maîtrise de soi […]. Cette figure n’est rien d’autre qu’un corps, un corps adulte, puissant, harmonieux, contrôlé, maîtrisé, disponible, corps en majesté, corps d’autorité […] Ce qui se passe ici relève de bien autre chose que de l’orgueil, aussi immense fût-il. C’est en réalité de la formulation la plus achevée de l’absolutisme qu’il s’agit. Toute gémellité des deux corps a disparu. Tout l’État, toute la monarchie, tous les principes d’autorité, d’ordre, de souveraineté, d’unicité, sont contenus dans ce corps de ce roi.
- 76 Dans le Dictionnaire de Furetière sur lequel s’appuie notamment le travail de Louis Marin, à côté d (...)
28C’est parce qu’il se possède tout entier qu’Henri IV se donne aux autres sans se perdre, nu sans vulnérabilité, et qu’il se présente comme ne représentant rien d’autre que lui-même car il est Royauté. L’exhibition de la représentation, pour reprendre des termes chers à Louis Marin, ne découvre rien d’autre que ce corps. Il fait retour sur lui-même dans sa propre institution76. À la différence d’un Marcus Curtius qui, dévoué au salut de Rome, se jette dans le gouffre infernal surgi au milieu du Forum selon le récit de Tite-Live dans le VIIe livre de son Histoire romaine, le corps du roi absolu au seuil du XVIIe siècle ne disparaît pas dans l’abîme, sacrifié à meilleur que lui et voué à autrui. S’il disparaît quelque chose durant le règne du premier Bourbon, c’est bien plutôt la symbolique sacrificielle et passionnée du Pélican qui accompagnait, au début du règne, les efforts de l’Hercule gaulois pour pacifier son royaume. Une autre figure occupe désormais la scène : celle du Phénix, sacrifié et sacrificateur, suffisant à lui-même et immuable, absolu. La petite statue de bronze reflète la lumière et le roi marche dans l’éternité vers lui-même. Henri IV, ou une fois encore, le corps unique de l’absolutisme.
Notes
1 Victorine de Chastenay, Deux révolutions pour une seule vie. Mémoires, 1771-1855, Raymond Trousson (éd.), Paris, Tallandier, 2009, 891 p., p.135. Elle commence la rédaction de ses Mémoires en 1810.
2 Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Éd. du Seuil, 2000 (1990), 304 p., chap.VI. Ce processus est nuancé dans Hélène Becquet et Bettina Frederking (dir.), La Dignité de roi. Regards sur la royauté au premier XIXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009.
3 Jules Michelet, Histoire de France, T.VII, La Renaissance, Paris, Editions des Equateurs, 2008 (1855), p. 304.
4 La Vertu au Roy, Pierre Daret, 1650 (Bibliothèque nationale de France [BNF], Cbt. des estampes, Hennin 3612, G 154 405) ; sur ce thème, Erwin Panofsky, Hercule à la croisée des chemins et autres matériaux figuratifs de l’Antiquité dans l’art plus récent, Paris, Flammarion, 1999 (1930).
5 Isabelle Cogitore et Francis Goyet (dir.), Devenir roi. Essais sur la littérature adressée au prince, Grenoble, ELLUG-Université Stendhal, 2001, Ran Halévi (dir.), Le savoir du prince, du Moyen Âge aux Lumières, Paris, Fayard, 2002, Pascale Mormiche, Devenir prince. L’école du pouvoir en France, XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, CNRS Editions, 2009. Cette idée de performance de soi à soi est un lieu commun de l’idéologie contemporaine sommant l’individu de devenir ce qu’il est… Dans ce registre, il est intéressant, par exemple, de voir comment les personnalités historiques sont présentées comme se révélant progressivement fidèles à elles-mêmes et qu’elles arrivent à devenir ce qu’elles devaient être comme l’illustre le livre de Jean-Luc Barré, Devenir de Gaulle, 1939-1943. D’après les archives privées et inédites du général De Gaulle, Paris, Perrin, 2009 (2003).
6 Les miroirs du prince n’échappent pas au paradoxe, en effet, d’enseigner au futur souverain ce qu’il est le seul à pouvoir éprouver ou actualiser avant que l’on observe à la fin du XVIIe siècle une vulgarisation progressive de cette science politique souveraine. Jacques Krynen remarque également que le roi est rarement juriste quand la justice est au cœur de la fonction royale (L’État de justice. France (XIIIe-XXe siècle), T.1, L’idéologie de la magistrature ancienne, Paris, Gallimard, 2009). On pointera également le peu d’appétence de ces traités éducatifs pour la connaissance théologique quand un roi comme Jacques Ier a montré toute l’importance de cette maîtrise dans l’affirmation théologico-politique de la monarchie absolue du début du XVIIe siècle (outre le travail de Bernard Bourdin, La genèse théologico-politique de l’État moderne. La controverse de Jacques Ier d’Angleterre avec le cardinal Bellarmin, Paris, PUF, 2004, et son édition critique du livre de Jacques VI d’Ecosse publié en 1598, The Trew Law of Free Monarchies / La vraie loi des libres monarchies, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2008, voir la synthèse critique de Sylvio de Franceschi, « Ambiguïtés historiographiques du théologico-politique. Genèse et fortune d’un concept », Revue historique, CCCIX/3, 2007, p. 653-685).
7 Jacques Le Brun, Le Pouvoir d’abdiquer. Essai sur la déchéance volontaire, Paris, Gallimard, 2009, 278 p. ; voir également Yves-Marie Bercé, Le Roi caché. Sauveurs et imposteurs : mythes politiques populaires dans l’Europe moderne, Paris, Fayard, 1990.
8 Jules Michelet, Histoire de France, T. X, La ligue et Henri IV, Paris, Editions des Equateurs, 2008 (1857), p.228. Les paroles du fou Chicot au roi, rapportées par Michelet, sont les suivantes : « Allons, mon ami, va à Rome, baise les pieds du pape, prends un clystère d’eau bénite qui te lave de tes péchés. Le métier de roi est bon ; on peut y gagner sa vie… Je sais bien que, pour être roi, tu donnerais de bon cœur les huguenots et papistes aux protonotaires du Diable. Vous autres rois, votre ciel, c’est la royauté. Pour l’honneur divin, autre affaire ; vous dites : Dieu est homme d’âge ; il saura bien y pourvoir » (p.270).
9 Max Weber, Le Savant et le politique, Catherine Colliot-Thélène (éd. et trad.), Paris, Editions La Découverte, 2003. Dans la préface, est soulignée l’équivocité du terme allemand beruf utilisé par le sociologue allemand dans le titre de ces communications de novembre 1917 et janvier 1919 et traduit par le terme vocation - profession. Catherine Colliot-Thélène rappelle également la dimension religieuse qui innerve ce mot depuis son emploi par Luther dans la traduction de la Bible (p.13) : une généalogie précisée dans le troisième chapitre du premier livre de L’éthique du protestantisme et l’esprit du capitalisme). Ce travail religieux de la vocation du savant et du politique est renforcé par ailleurs par l’emploi de don de soi ou « dédication » (hingabe), de foi (glauben), et de dévouement à la cause (sache).
10 L’élection royale à Senlis du duc des Francs comme roi de France a lieu en juillet 987 ; sur ce célèbre échange, Edmond Pognon, Hugues Capet. Qui t’a fait roi ?, Paris, Stock, 1987.
11 Claude Chappuys, Discours de la court, 1543 (dédié à François Ier). « La digne vocation du roi consiste à ne rien faire qui puisse « déroger » à la « déité » du roi. Cette « déité » ne se limite pas simplement à la loi divine et aux commandements bibliques, mais comprend aussi la justice, la prudence, la « vérité », et la « droicture », c’est-à-dire qui est selon le droit, les lois, etc. En d’autres mots, il s’agit pour les rois de régner « en bon ordre & pollice », assurant l’ordre et incarnant les principes dont cet ordre découle. La digne vocation royale, tout en conférant aux rois un statut de lieutenant de Dieu sur terre, les soumet à l’ordre de la justice » (Ullrich Langer, Vertu du discours, discours de la vertu. Littérature et philosophie morale au XVIe siècle en France, Genève, Droz, 1999, p. 58).
12 Par ailleurs, cette étude entend contribuer à éclairer les fondations de la « modernité classico-baroque » identifiée pour les années 1598-1685 par Hélène Merlin-Kajman, notamment dans « Classicisme vs Modernité : le théâtre « classique » comme genre de la différence ou l’anti-exception française », Marc Dambre et Richard J. Golsan (éd.), L’exception et la France contemporaine. Histoire, imaginaire, littérature, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2010, p. 85-96, note 1 p. 95, et développée dans L’absolutisme dans les lettres et la théorie des deux corps. Passion et politique (Paris, Honoré Champion, 2000) particulièrement aux pages 342-344.
13 Voir sur ce sujet l’étude classique de Marianna D. Jenkins, The State Portrait : its Origine and Evolution, New York, College Art association of America, 1947.
14 Peintre du roi à partir de 1609, ses portraits d’Henri IV et de Marie de Médicis, de petit format, sont très estimés et copiés. Sur ce peintre, Blaise Ducos, Frans Pourbus le Jeune (1569-1622). Le portrait d’apparat à l’aube du Grand Siècle. Entre Habsbourg, Médicis et Bourbons, Dijon, Editions Faton, 2011.
15 Cette absence des regalia est d’autant plus nécessaire que les circonstances du sacre d’Henri IV ont contraint le nouveau souverain à certaines innovations en termes de lieux et d’objets rendant incertaine la continuité des gestes et des usages dynastiques.
16 Gérard Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Paris, Albin Michel, 1999, p. 221-233 ; Jacques Thuillier, « Peinture et politique : une théorie de la galerie royale sous Henri IV », Albert Châtelet et Nicole Reynaud (éd.), Etudes d’art français offertes à Charles Sterling, Paris, PUF, 1975, p. 175-205.
17 Gérard Sabatier, « Politique, histoire et mythologie : la galerie en France et en Italie pendant la première moitié du XVIIe siècle », Jean Serroy (éd.), La France et l’Italie au temps de Mazarin, Grenoble, PUG, 1986, p. 283-301 ; Guillaume Fonkenell, « La Petite Galerie avant la galerie d’Apollon », et Dominique Cordellier, « Le décor intérieur de la Petite Galerie sous Henri IV. La plus magnifique chose que l’on ait faite depuis que la terre est créée », Geneviève Bresc-Bautier (dir.), La galerie d’Apollon au palais du Louvre, Paris, Gallimard-Musée du Louvre, 2004, p. 24-31 et p. 32-38.
18 Dominique Cordellier, « Un modèle de Dubreuil pour les portraits de la Petite Galerie du Louvre », La revue des musées de France. Revue du Louvre, 1990, n°6, p. 484-488. En s’appuyant sur les visages du dauphin et de sa sœur Élisabeth dans les médaillons, les historiens datent ce portrait de l’année 1607. L’auteur émet cependant quelques réserves quant au lien traditionnellement établi depuis Louis Dimier entre ce dessin et l’appareil décoratif des parois.
19 Jacques Thuillier, « Peinture et politique… », art. cit., p. 199. Le décor dynastique fut néanmoins réduit à la lignée des rois de France depuis saint Louis tandis que les reines étaient rangées en vis-à-vis. Encore cette continuité fut-elle imparfaite puisqu’il y manquait six rois et un nombre plus important de reines. Par ailleurs, le complexe dispositif emblématique et épigraphique proposé par Laval ne fut pas retenu finalement ; la visibilité immédiate l’emportant avec les vingt-huit portraits grandeur nature de rois et de reines, chacun entouré de seize bustes de personnages emblématiques de leur temps.
20 Alain Mérot, « Mise en scène du portrait royal en France au XVIIe siècle », Chantal Grell et Benoît Pellistrandi (éd.), Les Cours d’Espagne et de France au XVIIe siècle, Madrid, Casa de Velázquez, 2007, p. 101.
21 « Ce Roÿ seul semblable à soÿmesmes / L’Amour du Ciel, l’honneur des Roÿs / A passé des perils extremes / Pour sauver le sceptre François » (reproduit dans Françoise Bardon, Le Portrait mythologique à la cour de France sous Henri IV et Louis XIII. Mythologie et politique, Paris, Editions A. et J. Picard, 1975, planche n°XIV).
22 Je ne partage pas ici l’analyse d’Alain Mérot dont la description force artificiellement la similitude avec ces portraits classiques en parlant d’un roi « en costume de sacre » alors que la demi-armure est bien visible sur son buste et ses bras, quand sont absents aussi bien la couronne fermée que la main de justice et le sceptre, et que le collier des ordres du roi est presque totalement caché par le drapé du manteau fleurdelisé (« Mise en scène du portrait royal en France au XVIIe siècle », art. cit., p. 102).
23 Ibid., p. 111.
24 Ibid., p. 109.
25 Michel Rousse, « Le pouvoir royal et le théâtre des farces », Jean Dufournet, Adelin Fiorato et Augustin Redondo (éd.), Le pouvoir monarchique et ses supports idéologiques aux XIVe-XVIIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne Nouvelle, 1990, p. 185-197.
26 Pierre Constant, Portraict du tres-auguste Henry IIII Roy de France et de Navarre, Dedié à sa tres-chrestienne Majesté, A Chaalons, chez Claude Guyot, Imprimeur ordinaire du Roy, 1592, in-8°, 6 ff. [BNF, Rés. YE 3756 ; je souligne].
27 Henri IV en Jupiter, Barthélemy Prieur (reproduit dans le catalogue Henri IV et la reconstruction du royaume, Paris, Ed. de la Réunion des musées nationaux et Archives nationales, 1989, p. 211 ; cliché de l’APRMN n° 90-005970).
28 Bronzes reproduits dans Paola Bassani Pacht, Thierry Crépin-Leblond, Nicolas Sainte Fare Garnot et Francesco Solinas (dir.), Marie de Médicis. Un gouvernement par les arts, Paris, Somogy Editions d’art, 2004, p. 165, cat.33 et cat.34. En l’absence de renseignements davantage précis quant à l’origine de ces deux statuettes, il est fait mention, par Stéphane Castelluccio, de leur appartenance probable à la collection des petits bronzes par le roi et son épouse (Les collections royales d’objets d’art. De François Ier à la Révolution, Paris, Editions de l’Amateur, 2002, p. 31).
29 Il paraît, en effet, exclu a priori d’adopter un parti interprétatif en termes chrétiens de cette nudité dont visuellement et symboliquement l’écart est manifeste avec l’injonction ascétique et mystique de saint Jérôme – nudus nudum Christum sequi (« suivre nu le Christ nu ») – qui fonde une voie de l’imitation du Christ dans la suprême humiliation du corps que constitue la nudité.
30 Antoine Le Clerc, Stations faictes pour l’entrée de la Royne, à Paris, après son Coronnement, Paris, 1611, ff.1-4, cité par Katherine B. Crawford, « The Politics of Promiscuity : Masculinity and Heroic Representation at the Court of Henri IV », French Historical Studies, 2003, vol.26, n°2, p. 225-252, p. 249, note 77 ; Léon Le Grand (éd.), Histoire générale de Paris. Registre des délibérations du Bureau de la Ville de Paris, T.XIV (1605-1610), Paris, Imprimerie nationale, 1909, p. 473-474.
31 Paola Bassani Pacht et alii (sd.), Marie de Médicis. Un gouvernement par les arts, op. cit., p. 164.
32 Françoise Bardon, Le portrait mythologique…, op. cit., p. 30 et p. 239. Lors de l’entrée d’Henri IV à Lyon en septembre 1595, on trouve également ce thème jupitérien dès le premier arc triomphal (L’Entree de tres-grand, tres-chrestien, tres-magnanime, et victorieux prince. Henry IIII. Roy de France et de Navarre, en sa bonne ville de Lyon, le IIII. Septembre l’an M.D.XVC. de son regne le VII. de son age le XLII. Contenant l’ordre et la description des magnificences dressees pour ceste occasion. Par l’ordonnance de Messieurs les Consuls et Eschevins de ladicte ville, à Lyon, de l’Imprimerie de Pierre Michel, avec privilège, s.a. [Pierre Matthieu], s.d. [1595], in-4°, p. 30 [BNF, Gallica, NUMM 49738]). Lors de l’entrée de Marie de Médicis à Avignon en 1601, la comparaison entre Henri IV et Jupiter est explicite dans le livret du jésuite André Valladier et une fresque sur la voute de la Petite Galerie du Louvre, commencée cette même année 1601, figure allégoriquement Henri IV en Jupiter vainqueur de la Gigantomachie (Sylvie Béguin, « Toussaint Dubreuil. Premier peintre de Henri IV », Art de France, Paris, Hermann, 1964, IV, p. 98-99 ; Paola Bassani-Pacht et Nicolas Sainte Fare Garnot, « La peinture parisienne de 1600 à 1630 », Paola Bassani-Pacht et alii (sd.), Marie de Médicis. Un gouvernement par les arts, op. cit., p. 77 ; Denis Crouzet, La Violence au temps des troubles de religion (vers 1525 – vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1990, T.II, p. 589-591 ; Jean-François Dubost, Marie de Médicis. La reine dévoilée, Paris, Payot & Rivages, p. 92).
33 Jean-François Dubost avance la date de 1604, « Le corps de la reine, objet politique : Marie de Médicis », Isabelle Poutrin et Marie-Karine Schaub (sd.), Femmes & pouvoir politique. Les princesses d’Europe, XVe-XVIIIe siècle, Paris, Editions Bréal, 2007, p. 235-266. Regina Seelig-Teuwen estime « une date peu après la naissance du dauphin […] probable » (« Barthélemy Prieur, portraitiste d’Henri IV et de Marie de Médicis », Les arts au temps d’Henri IV. Avènement d’Henri IV. Quatrième centenaire. Volumes des actes du colloque de Fontainebleau, octobre 1992, Pau, J&D Editions-Association Henri IV 1989, 1992, p. 349).
34 BNF Rés. Lb35 23, fol.17. (reproduite dans La gravure française à la Renaissance à la Bibliothèque nationale, Los Angeles-Washington-Paris, Grunwald Center for the Graphic Arts, University of California, 1994, p. 431).
35 Cette absence d’identification directe est d’autant plus nécessaire que dans le texte Junon est référée à la geste herculéenne du roi dans laquelle la déesse ne figure pas sous ses traits les plus glorieux.
36 Denis Crouzet, Les guerriers de Dieu…, op. cit., T.II, p. 592-593.
37 BNF, Cbt. des estampes, Qb1, M 88290 (reproduit dans Françoise Bardon, Le portrait mythologique…, op. cit., planche VIII).
38 Amaury Lefébure, « L’atelier de Barthélemy Prieur et l’imagerie royale sous le règne d’Henri IV » et Regina Seelig-Teuwen, « Barthélemy Prieur, portraitiste d’Henri IV et de Marie de Médicis », Les Arts au temps d’Henri IV. Avènement d’Henri IV. Quatrième centenaire. Volumes des actes du colloque de Fontainebleau, octobre 1992, Pau, J&D Editions-Association Henri IV 1989, 1992, p. 263-268 et p. 346-349. Au mode privilégié de diffusion de la gloire du roi par la médaille – cette supériorité étant notamment définie par Rascas de Bagaris en 1608 – s’affirme donc l’originalité de la démarche de l’atelier dirigé par Barthélemy Prieur et son gendre qui associe aux médailles de ce dernier, qui en possède le quasi monopole, la production de ces petits bronzes. Pour la période antérieure, les travaux archéologiques menés au Louvre au milieu des années 1980 ont permis de rappeler le rôle de Bernard Palissy dans la production de médailles illustratives en terre cuite entre 1567 et 1572, réalisées par surmoulage de modèle en bronze, soit des modèles de collection qui témoignent de la tension de cet objet entre sa finalité politique et sa réception esthétique. Une tension qui interroge le sens même du mot propagande donné communément à ce type d’entreprise (Yves de Kisch, « Bernard Palissy, images archéologiques et littéraires du roi et de la cour », Joël Blanchard (éd.), Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen Age, Paris, Picard, 1995, p. 305).
39 Par exemple, ceux reproduits dans Georges Lemoine, Jacques Sallois, Didier Deschamps (dir.), 1594. Le sacre d’Henri IV à Chartres, Chartres, Musée des Beaux-Arts, p. 328-329.
40 Jean-François Dubost, « Le corps de la reine… », art. cit., p. 241.
41 Géraldine A. Johnson, « Marie de Médicis : mariée, mère, méduse », Kathleen Wilson-Chevalier et Eliane Viennot (dir.), Royaume de fémynie. Pouvoirs, contraintes, espaces de liberté des femmes, de la Renaissance à la Fronde, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 115‑116.
42 Regina Seelig-Teuwen, « Barthélemy Prieur, portraitiste d’Henri IV et de Marie de Médicis », art.cit., p. 345. Cette spécialisation de Prieur dans ces petits bronzes trouve une partie de son inspiration dans les pratiques italiennes qu’il a pu fréquenter lors de son séjour à la cour du duc de Savoie à Turin entre 1564-1568 (Regina Seelig-Teuwen, « Barthélemy Prieur, contemporain de Germain Pilon », Geneviève Bresc-Bautier (dir.), Germain Pilon et les sculpteurs français de la Renaissance, Paris, La Documentation française, 1993, p.365-385). Ce buste est reproduit dans Regina Seelig-Teuwen, « Barthélemy Prieur, portraitiste d’Henri IV et de Marie de Médicis », art.cit., p. 343 (il s’agit d’un bronze fait au XIXe siècle d’après un modèle attribué à Barthélemy Prieur ou à son gendre, Guillaume Dupré).
43 « Henri IV en figure antique », Jacob de Weert, Histoire des derniers troubles de France. Sous les Regnes des Rois Tres-Chrestiens Henry III. Roy de France et de Polo. Et Henry IIII Roy de France et de Navarre, 1605 (BNF, Cbt. des estampes, collection Hennin 1292, G 151686).
44 Ce geste constitue une citation de la statue équestre de Marc-Aurèle dont se sont notamment inspirés Guglielmo della Porta pour la tombe de Paul III et le Titien pour le portrait du doge Francesco Venier au milieu du XVIe siècle. Il est traditionnellement interprété comme un symbole de justice avant que la Renaissance ne mette davantage en avant sa relation à la Clémence et à la Paix qu’apporte ce symbole d’autorité (Michael P. Mezzatesta, « Marcus Aurelius, Fray Antonio de Guevara, and the Ideal of the Perfect Prince in the Sixteenth Century », The Art Bulletin, 1984, vol.66, n°4, p. 620-633).
45 Paul Mironneau souligne seulement un roi « divinisé dans sa nudité » sans que cette représentation soit clairement étudiée, sans que l’illustration mythologique soit davantage interrogée (« Images d’un bon roi », Georges Lemoine, Jacques Sallois, Didier Deschamps (dir.), 1594. Le sacre d’Henri IV à Chartres, Chartres, Musée des Beaux-Arts, p. 290).
46 Regina Seelig-Teuwen, « Barthélemy Prieur, portraitiste d’Henri IV… », art. cit., p. 349‑350.
47 Hugo Soly (dir.), Charles Quint, 1500-1558, Arles, Actes Sud, 2000, p. 392 et Fernando Checa Cremades, Carlos V. La imagen del poder en el Renacimiento, Madrid, Ediciones El Viso, 1999, p. 281-287 ; Los Leoni (1509-1608). Escultores del Renacimiento italiano al servicio de la corte de España, Madrid, Museo del Prado, 1994, p. 102-109 (notice de Rosario Coppel Areizaga). Ce principe de l’armure amovible est repris par son fils, Pompeo, pour les manteaux des dix personnages du grand retable de San Lorenzo exécuté pour le cénotaphe de Philippe II quelques jours avant sa mort. Il s’agit alors davantage d’une prouesse technique que d’un véritable dessein politique. Dans sa thèse que je n’ai pas pu consulter, Michael P. Mezzasteta consacre de nombreuses pages aux sources et aux influences de cette figure de Charles V (« Imperial Themes in the Sculpture of Leone Leoni », Ph.D. diss., New York University, Institute of Fine Arts, 1980).
48 Herbet Keutner, « Uber die Entstehung und die Formen des Standbildes im Cinquecento », Münchner Jahrbuch der bildenden Kunst, 1956, T.VII., p. 138-168, plus particulièrement p. 141-149.
49 Maurice Brock, « Andrea Doria en Neptune de Bronzino », Olivier Bonfait et Brigitte Marin (éd.), Les Portraits du pouvoir, Paris-Rome, Somogy éditions d’art / Académie de France à Rome, 2003, p. 54 (le dessin de Bandinelli est reproduit p. 53).
50 Au premier rang desquelles figure la raison même de ce tableau, commandé par Cosme Ier pour sa fiancée ou sa jeune épouse, Eléonore de Tolède, qui érotise le corps du prince dans lequel l’homme d’État cède la prééminence au mari fidèle et à l’amant ardant (Robert B. Simon, « Bronzino’s Cosimo I de’ Medici as Orpheus », Philadelphia Museum of Art Bulletin, 1985, T.81, n°348, p. 17-27 ; Maurice Brock, Bronzino, Paris, Edition du regard, 2001, p. 158 et p. 171-174).
51 André Chastel (dir.), La Vie de Benvenuto Cellini, fils de Maître Giovanni, florentin écrite par lui-même (1500-1571), Paris, Editions Scala, 1986, p. 261-262. L’idée générale de ce modèle est reprise pour la statue – achevée vers 1615 et attribuée à Nicolas Cordier ou plus généralement à Giovanni Bologna – représentant le Grand Maître de l’Ordre des chevaliers de Saint-Jean, Alof de Wignacourt, en Neptune nu, élevée au centre d’une fontaine monumentale à La Valette (Herbet Keutner, « Uber die Entstehung… », art. cit., p. 150).
52 D’ordinaire, le roi « nu » n’est visible que dans son monument funéraire depuis la tradition mise en place par François Ier pour le tombeau de son prédécesseur Louis XII : sous le portique repose le corps mortel et mort du roi, nu et couvert d’un drap et pris dans le marbre. Dans les rites funéraires, ce corps nu est invisible, enfermé dans une bière de plomb à l’intérieur du cercueil de chêne.
53 C’est cette réinvention du regard et cette volonté de l’écart quant aux sources afin de s’affranchir du discours de l’histoire de l’art et de ses mécanismes d’« isolations » pour redonner aux images leur visibilité réelle que soutient Georges Didi-Huberman (Ouvrir Vénus. Nudité, rêve, cruauté, Paris, Gallimard, 1999, p. 14-20). Quand « on a fait du nu lui-même l’habillage, le vêtement, le tenant-lieu de quelque chose d’autre », il faut retrouver la nudité scandaleuse du roi (p. 22). Il ne s’agira pas pour autant de substituer une référence à une autre mais d’envisager la liaison dialectique du modèle héroïque à une expression primitive de la souveraineté.
54 Maurice Brock, Bronzino, op. cit., p. 174.
55 Annie Duprat, « La caricature, arme au poing : l’assassinat d’Henri III », Sociétés & Représentations, décembre 2000, p. 105. Une évocation de ce jeu se trouve dans la définition du mot « roi » dans le Dictionnaire universel de Furetière (1690) : « On appelle, Joüer au Roy despouillé, quand plusieurs personnes sont après quelqu’un pour le piller, le ruiner, pour en tirer chacun sa piece ». Ce jeu ne figure pas dans la centaine de jeux cités par Gargantua avant que Ponocrates ne le prenne en charge et il n’est malheureusement pas non plus mentionné dans l’étude de Jean-Michel Mehl, Les jeux au royaume de France. Du XIIIe au début du XVIe siècle, Paris, Fayard, 1990. La caricature révolutionnaire fera fond sur sa popularité dans une eau-forte coloriée intitulée Au roi dépouillé : Louis le dernier et sa famille conduits au Temple le 13 aoust 1792 (Musée Carnavalet, Hist. G 26227 ; analysée par Annie Duprat dans Repique est Capet : Louis XVI dans la caricature, naissance d’un langage politique, Université de Rouen, 1991, T.1, p. 124-125). Enfin, il faut distinguer la qualité royale mise en œuvre dans ce jeu des autres royautés éphémères analysées par Anne‑Marie Le Bourg-Oulé, Roi d’un jour. Les Métamorphoses d’un rêve dans le théâtre européen (Paris, Albin Michel, 1996).
56 Marie-José Mondzain, Le Commerce des regards, Paris, Éd. du Seuil, 2003, p. 17-18.
57 Dans la pièce d’Evguéni Schwartz, Le Roi nu, de 1934, cette expression gagne encore en âpreté démystificatrice quand le « petit garçon » s’écrie à la fin de l’acte II : « Tout nu, et gros ! » (André Markowicz (trad.), Besançon, Ed. Les Solitaires Intempestifs, 2004).
58 Marie-José Mondzain, Le Commerce des regards, op. cit., p. 182. Il existe également un épisode dans la version saxonne de Till Eulenspiegel qui témoigne de la large diffusion de ce schème narratif (Jean-Marie Moeglin « Till l’Espiègle chez le landgrave de Hesse. Représentation généalogique et fondement symbolique du pouvoir à la fin du Moyen-Age », Le Moyen-Age, 1996, T. CII, p. 289-310).
59 Dans sa pièce, Schwartz accentue cette dimension libératrice puisqu’il fait dire au père de l’épousée la peur éprouvée par un pouvoir brutalement désacralisé : « Fuyons ! Regarde ces yeux qu’ils ont, les gens derrière la clôture ! Ils ont vu le roi nu. Moi aussi, ils me déshabillent des yeux ! Ils vont se jeter sur moi ! ».
60 « On ne peut rien comprendre à l’image et au regard sur elle, en faisant l’économie de la doctrine christologique de l’Incarnation et de l’Eucharistie, en oblitérant ce que doivent les images du pouvoir à la notion complexe et ambiguë de corps mystique » (Marie-José Mondzain, « Le roi nu », Le Nouveau Commerce, 1993, nos 86-87, p. 90). Sur les enjeux épistémologiques de l’image cachée et au sujet des chantiers critiques autour des crypto-images, voir notamment les contributions rassemblées dans un numéro spécial de la revue Degrés. Revue de synthèse à orientation sémiologique, printemps-été 1992, n°69-70.
61 Denis Crouzet, Le haut cœur de Catherine de Médicis. Une raison politique aux temps de la Saint-Barthélemy, Paris, Albin Michel, 2005, p. 563 et p. 566. Pour Nicolas Le Roux, « La figure du souverain, parfaitement identifiée au principe impérissable de l’État et investie d’une autorité directement instituée par Dieu, offrait désormais l’image même d’un royaume réunifié. Les deux corps du prince de la Renaissance – sa dignité immortelle et son corps organique – se fondaient en un seul : celui du monarque de droit divin » (Un régicide au nom de Dieu. L’assassinat d’Henri III. 1er août 1589, Paris, Gallimard, 2006, p. 343).
62 Cité par Jean-Marie Apostolidès, Le roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris, Les Editions de Minuit, 1988 (1981), p. 12.
63 Georges Didi-Huberman, Ouvrir Vénus…, op. cit., p. 56-57 ; Giorgio Agamben, Nudités, Paris, Payot-Rivages, 2009.
64 Dès son avènement, cette figure providentielle est constituante de l’économie du discours de la légitimité du nouveau souverain comme en témoigne un jeton représentant une colline sur laquelle tombe du ciel une couronne avec pour âme ces paroles inspirées verset 6 du Psaume II, Constitutus Rex Super Sion – « Mais moi j’ai été roi par lui / Sur Sion, sa montagne sainte ».
65 Jacques-Auguste de Thou, Histoire universelle de Jacques-Auguste De Thou, depuis 1543 jusqu’en 1607. Traduite sur l’édition latine de Londres, [1596-1601], T.XIII, A Londres, M.DCC.XXXIV, in-fol., livre CXXII, p. 375.
66 Jean Céard, « Les visages de la royauté en France, à la Renaissance », Emmanuel Le Roy Ladurie (dir.), Les monarchies, Paris, PUF, 1986, p. 81. Moins un roi qui s’efforce d’imiter Dieu que d’être comme une image visible de Dieu sur terre, de manifester sur terre la présence du divin : une rupture, la nature en lieu et place de la fonction comme renvoi à la souveraineté divine, qu’illustre Claude d’Albon en 1575 : « Il nous convient […] adorer le grand et souverain Dieu en eux, duquel ils sont le vray type, pourtrait et image » (De la majesté Royalle, institution et preeminence et des faveurs divines particulieres envers icelle, Lyon, Benoist Rigaud, 1575, fol.31).
67 Au-delà de l’espace balkanique auquel sont empruntés ces exemples, ces légendes de fondations « vives » se retrouvent en Angleterre, en Russie, en Bretagne et en Arménie notamment tandis que de manière plus générale ce thème du sacrifice de construction est un archétype des récits civilisateurs – comme en témoigne la fondation de Rome établie sur le meurtre de Remus – dont la force mythique irrigue encore la poésie contemporaine (Gisèle Vanhese, « Le sacrifice de construction : I. Kadaré, M. Yourcenar », Travaux, 1994, n°84, p. 117-129 et « Le mythe du sacrifice de construction dans la poétique d’Yves Bonnefoy », Christine Van Rogger Andreuci (éd.), Les nouveaux courants poétiques en France et en Grèce, 1970-1990, Pau, Publications de l’Université de Pau, 1995, p. 111-114 ; plus largement, Mircea Eliade, De Zalmoxis à Gengis-Khan. Etudes comparatives sur les religions et le folklore de la Dacie et de l’Europe orientale, Paris, Payot, 1970, p. 162-185 et Commentaires sur la Légende de maître Manole, Paris, Editions de l’Herne, 1994, p. 65‑110).
68 Denise Turrel, Le Blanc de France. La construction des signes identitaires pendant les guerres de Religion (1562-1629), Genève, Droz, 2005, p. 120. On notera que cette couleur, inventée par le parti protestant en opposition à la croix blanche des armées royales, est pensée dès son origine comme austérité et dépouillement ; un « sémiophore », selon l’expression de Krzysztof Pomian, parallèle au roi nu du protestant Barthélemy Prieur ?
69 Henry IIII Roy de France et de Navarre, Léonard Gaultier et Jean Le Clerc (BNF, Cbt. des estampes N2, vol.812, D 164287).
70 Michel Senellart, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, Éd. du Seuil, 1995.
71 Comme l’affirment les vers d’un dizain adressé au roi par Passerat dans les pièces poétiques achevant la Satyre Ménippée, « […] Quand tu commanderois sans sceptre et sans couronne, / Pour cela toutesfois moins Roy tu ne serois : / C’est la vertu qui sacre et couronne les Roys » (Martial Martin (éd.), Satyre Menippée…, op. cit., p. 151 ; également note 932, p. 400) ; voir aussi Daniel Ménager, « Dieu et le roi », Frank Lestringant et Daniel Ménager (éd.), Etudes sur la Satyre Ménippée, Genève, Droz, 1987, p. 201-226, particulièrement p. 216-217. Sur la couronne impériale, le sceptre et la main de justice fabriqués pour Henri IV, voir les descriptions de l’inventaire de 1634 et les illustrations du recueil de Gagnières reproduites dans 1594. Le sacre d’Henri IV…, op. cit., p. 251-253.
72 Cette image se trouve au folio 176v. des Triumphos morales, dirigidos al felicissimo Rey don Phelippe, Segundo deste nombre, nuestro señor ; Sylvène Edouard, « Le messianisme de Louis XIV : un modèle espagnol ? », Gérard Sabatier et Margarita Torrione (dir.), Louis XIV espagnol ? Madrid et Versailles, images et modèles, Centre de recherche du château de Versailles, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2009, p. 264.
73 Sylvène Edouard, L’empire imaginaire de Philippe II. Pouvoir des images et discours du pouvoir sous les Habsbourg d’Espagne au XVIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 264.
74 Un choix méthodologique fidèle en ce sens au « brouillage » de l’intentionnalité que Michel Jeanneret a reconnu comme l’une des caractéristiques de la Renaissance, et qui anime, par exemple, le travail de Camille Grand-Dewyse sur les Emaux de Limoges au temps des guerres de Religion (Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011, en particulier p. 432).
75 Gérard Sabatier, Versailles ou la figure du roi, Paris, Albin Michel, 1999, p.565.
76 Dans le Dictionnaire de Furetière sur lequel s’appuie notamment le travail de Louis Marin, à côté de la représentation entendue comme ce qui donne à voir l’objet absent (le représentant à sa place), celle-ci est définie également comme la monstration d’une présence (un redoublement de présence en quelque sorte) et, cela a évidemment toute son importance ici, elle est dotée d’une force probatoire dans le domaine judiciaire : « représentation, se dit au Palais de l’exhibition de quelque chose ».
Haut de pageTable des illustrations
Légende | Frans Pourbus, le Jeune, Henri IV, 1610 |
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Légende | Jacob Bunel, Portrait du roi Henri IV, roi de France et de Navarre |
Crédits | (cliché de l’APRMN, n° 90-003852) |
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Légende | Barthélemy Prieur, Henri IV, roi de France et de Navarre, en Jupiter |
Crédits | (cliché de l’APRMN n° 90-005970) |
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Légende | Barthélemy Prieur, Henri IV en Jupiter et Marie de Médicis en Junon |
Crédits | (clichés de l’APRMN nos 90-005970 et 90-006200) |
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Légende | Francisco de Guzmán, Triumphos morales, dirigidos al felicissimo Rey don Phelippe, Segundo deste nombre, nuestro señor, fol.176v°, |
Crédits | (gravure reproduite dans Sylvène Edouard, L’empire imaginaire de Philippe II. Pouvoir des images et discours du pouvoir sous les Habsbourg d’Espagne au XVIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2005, p. 263) |
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Pour citer cet article
Référence papier
Yann Lignereux, « Henri IV dévoilé. Le corps dé-voué du souverain ou la royauté sans sacrifice », Chrétiens et sociétés, Numéro spécial II | -1, 85-120.
Référence électronique
Yann Lignereux, « Henri IV dévoilé. Le corps dé-voué du souverain ou la royauté sans sacrifice », Chrétiens et sociétés [En ligne], Numéro spécial II | 2013, mis en ligne le 16 juin 2022, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/3473 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.3473
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