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Médecine et religion

Sommeil et rêve en France : entre médecine et religion (1700-1850)

Guillaume Garnier
p. 65-86

Résumés

La présence du religieux dans la pratique et dans la réflexion de la médecine est évidente. Tout cela, au nom du bien et de la santé publique, de même que l’église agissait pour le salut des hommes. Le sommeil et les songes n’échappent pas à cette emprise. Il est frappant, lors de la lecture de traités de médecine rédigés jusqu’au milieu du XIXe siècle, de remarquer combien ils se rejoignent sur la question de la durée du sommeil et de la position que le corps doit adopter lorsqu’il est temps de dormir. Sur ces points, les médecins ne se démarquent qu’à de très rares occasions des règles religieuses et lorsqu’ils s’expriment dans un contexte bien particulier (Philibert Chabert par exemple). La question inhérente à la durée du repos nocturne amène souvent un consensus : la règle est à un sommeil court. Des quatre positions que l’homme peut adopter (le dos, le ventre, ou l’un des deux côtés), le coucher sur le côté droit est la plus recommandée et souvent d’ailleurs la seule, puisqu’elle favorise la digestion, mais aussi parce qu’elle éloigne les risques de pollution nocturne. Par ailleurs, l’imprégnation de la pensée chrétienne dans la science du sommeil est bien plus profonde, puisqu’elle constitue l’élément central des réflexions sur les origines du sommeil et du songe. Au XVIIIe siècle particulièrement, la nature des songes est au cœur des préoccupations, notamment l’oniromancie. Les érudits qui vont lutter contre les superstitions véhiculées par cette étrange manifestation, sont généralement des ecclésiastiques qui comprennent l’analyse physiologique du songe comme un argument démontant les interprétations. Il faut aussi noter que dans la première moitié du XIXe siècle, les débats s’amplifient et les préoccupations théologiques restent prégnantes quand il s’agit de comprendre l’essence même du sommeil et des songes. L’opposition vive entre matérialistes et vitalistes en est une illustration parfaite.

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Texte intégral

  • 1 Robert James, Dictionnaire universel de médecine, Paris, Traduit de l’anglais de M. James par Mrs D (...)
  • 2 Guillaume Buchan, Médecine domestique, ou traité complet des moyens de se conserver en santé, de gu (...)
  • 3 Ibid.
  • 4 Modeste Lefevre, Dissertation sur le sommeil, Paris, tome 3, 1817, p. 13.

1« La nuit est faite pour dormir ». Cette maxime récurrente se retrouve dans pratiquement tous les dictionnaires ou traités de médecine qui parlent du sommeil depuis le Moyen Age. Le temps que la nature a marqué pour la veille est donc le jour et pour le sommeil la nuit1. L’opinion du médecin Robert James (1703-1776) n’est pas originale. D’autres confrères comme Guillaume Buchan (1729-1805), célèbre médecin écossais, la répètent à l’envi : c’est évidemment « la nature [qui] a voulu que la nuit soit le temps du sommeil. Rien de plus contraire à la santé que de veiller la nuit. »2. Le sommeil est plus tranquille et plus doux la nuit, d’autant plus que l’air est moins échauffé par les rayons du soleil, la chaleur de ces derniers pouvant être néfaste et empêcher une bonne qualité de repos. Ce que le dormeur recherche surtout, c’est l’éloignement de la lumière du soleil. Le sommeil coïncide donc avec la nuit pour deux raisons : « I. De ce que pendant le jour, la lumière et les autres stimulants ont fatigué les organes ; II. De ce que la nuit écarte de nous tous les divers moyens d’excitation. »3. Encore au début du xixe siècle, de nombreux médecins et auteurs qui se sont intéressés au sommeil, jugent nécessaire de commencer par rappeler que l’époque de l’espace nycthémère la plus favorable au sommeil, est sans doute la nuit à cause du peu de lumière et du silence : « Le silence et l’obscurité en enlevant à l’oreille et à l’œil les excitants qui les mettent en action, favorisent et entretiennent leur assoupissement : c’est la nuit que la plupart des animaux choisissent pour leur repos »4. La lumière n’est pas la seule raison qui fait de la nuit le temps de sommeil. Le corps doit récupérer ses forces et la nuit, par la privation de l’excitation de certains sens, ralentit l’organisme humain comme on peut le constater chez d’autres êtres vivants.

  • 5 Exercices de la vie chrétienne où l’on donne des Instructions pour remplir tous les devoirs de la r (...)
  • 6 Par exemple : Olivier Faure, Les Français et leur médecine au xixe siècle, Paris, Belin, 1993 ; Pie (...)

2Ces différents conseils médicaux ne rappellent pas seulement une évidence ou le rapport de l’homme à la nature, mais ils culpabilisent aussi le lecteur à la manière des traités de piété. En effet, ces derniers insistent eux aussi sur le fait que le chrétien doit absolument dormir la nuit, pour ne pas donner au jour ou à la nuit, ce qui est contre l’ordre établi par Dieu. L’auteur des Exercices de la vie chrétienne où l’on donne des Instructions pour remplir tous les devoirs de la religion, prescrit de respecter ce que Dieu a voulu et d’éviter de « faire de la nuit le jour, la passer aux veillées, aux jeux, à la table, aux spectacles », ni « faire du jour la nuit, prendre mollement son repos pendant que les autres travaillent et sont occupés5 ». Pour un dévot, la nuit, mais aussi le sommeil et les rêves, sont des questions essentielles de la vie religieuse. Cette morale chrétienne imprègne irréductiblement les réflexions physiologiques et philosophiques sur le sommeil. Il n’est pas question ici de rappeler les liens prégnants entre l’Église et la médecine française que d’autres historiens ont déjà très bien rappelés auparavant6. La présence du religieux dans la pratique et dans la réflexion de la médecine est évidente. Tout cela, évidemment, au nom du bien et de la santé publique, de même que l’église agissait pour le salut des hommes. Il est alors question dans cet article, de rendre compte de ce phénomène de projection et de transfert de contenu religieux dans les démonstrations médicales du sommeil et du songe et ceci à deux échelles.

3La première traite des comportements « naturels » à adopter lorsqu’il est temps de gagner son lit : position du corps et durée de repos. La question semble physiologique au premier abord, mais elle déborde vite du côté de la morale chrétienne. Si les médecins ne font pas systématiquement état de références théologiques dans leurs propos, prétextant suivre une approche « naturelle », leur discours entretient un lien indéniable avec la littérature de piété qui enseigne les mêmes références. La deuxième échelle d’analyse est plus générale et conceptuelle. Elle se rapporte surtout à la définition même des origines physiologiques du sommeil et du songe. L’état de ces deux manifestations nocturnes ont entraîné les théologiens à s’emparer de la question, sans doute dans le but de contraindre les dormeurs à respecter la volonté divine, mais aussi parce que l’activité onirique présentait à leurs yeux un danger pour la foi catholique. Comprendre le songe permet sans aucun doute de fixer des frontières entre la spiritualité et les manifestations corporelles. L’oniromancie n’est pas conforme au dogme chrétien et la justification de la place que joue l’âme pendant les songes (mais aussi durant le sommeil), nécessite d’être définie en accord avec les principes de la foi chrétienne. À ce titre, travailler sur le xviiie siècle et la première moitié du xixe siècle, dans une approche diachronique qui mettrait tout de même en valeur certains éléments de changement, permet de capter cette lente affirmation des habitudes de sommeil nécessaire à la préservation de la santé et les efforts entrepris dans la lutte contre les interprétations abusives. Dans cette période, peu de médecins remettent en cause ce « dogme » sur les temps et les positions définies en accord avec la nature. C’est aussi au cours du xviiie siècle que des ecclésiastiques se focalisent sur la lutte contre les interprétations abusives, s’appuyant entre autres sur une démarche physiologique. Cette dernière évolue assez peu jusqu’au milieu du xixe siècle, mais elle reste au cœur des débats, dominés par la place qu’occupe « l’âme » dans la naissance du sommeil et des songes.

Durée de sommeil et position du corps endormi : des règles établies et durables

  • 7 Philibert Chabert, Du sommeil, Paris, Imprimerie d’Egron, 2ème édition, 1800.

4Il est frappant, lors de la lecture de traités de médecine rédigés jusqu’au milieu du xixe siècle, de remarquer combien ils se rejoignent sur la question de la durée du sommeil et de la position que le corps doit adopter lorsqu’il est temps de dormir. Sur ces points, les médecins ne se démarquent qu’à de très rares occasions des règles religieuses et lorsqu’ils s’expriment dans un contexte bien particulier. On peut effectivement penser à la réflexion du citoyen Philibert Chabert (1737-1814), auteur d’un opuscule sur le sommeil qui paraît pour la première fois en 1796 chez l’imprimeur Egron à Paris7, qui est un des premiers à conseiller au lecteur d’écouter son corps et à s’émanciper des contraintes religieuses. À sa suite, quelques étudiants en médecine lors de leur soutenance de thèse se risquent parfois à sortir de la ligne de conduite officielle, mais il faut surtout attendre la deuxième moitié du xixe siècle pour connaître une certaine forme de « libéralisation » du temps de sommeil et du positionnement à adopter dans le lit.

« Moins on dort, plus le sommeil est doux et fortifie8 »

  • 8 Citation de M. Lewis dans Samuel-Auguste Tissot, L’onanisme : essai sur les maladies produites par (...)
  • 9 Sur ce point voir notamment Alain Cabantous, Histoire de la nuit, xviie-xviiie siècles, Paris, Faya (...)
  • 10 Philippe Martin, « Corps en repos ou corps en danger ? Le sommeil dans les livres de piété (seconde (...)
  • 11 Modeste LefèvreDissertation sur le sommeil, Paris, tome 3, n° 86, 1817, p. 11.

5La société préindustrielle encore fortement christianisée rejetait en grande partie la vie nocturne9. Les règles de durée du sommeil sont conçues sur le maintien d’une bienséance comportementale largement influencée par la doctrine chrétienne, et d’une hygiène de vie qui doit assurer un repos nécessaire. Au siècle des Lumières et jusqu’au milieu du xixe siècle, les réflexions entourant le temps de repos nécessaire au corps humain n’évoluent quasiment pas, trait caractéristique d’une culture de sommeil d’Ancien Régime où théologiens et médecins se rejoignent presque totalement en prescrivant des durées de sommeil très proches et déterminées par les mêmes facteurs : l’âge et le sexe. En se penchant sur près d’une trentaine de livres de piété datant du xviiie siècle, Philippe Martin faisait d’ailleurs en 2000 ce constat : « Le lecteur retrouve dans les livres de piété les durées moyennes de sommeil conseillées dans les ouvrages de médecine : 10 à 11 heures pour les enfants, 9 à 10 heures pour les femmes et les personnes faibles, 6 à 7 heures pour les hommes. Le gros dormeur risque de sérieux ennuis de santé10. » L’analyse est tout à fait pertinente et justifiée. Dès la naissance, les enfants sont considérés comme ceux qui nécessitent le plus de sommeil. À l’époque moderne, les médecins estimaient déjà que dès le moment de sa naissance et dans le premier âge, l’enfant dort dix-neuf à vingt heures. Les enfants dorment davantage et d’autant plus qu’ils sont moins éloignés du terme de la naissance. On attribue ce besoin de sommeil par l’habitude qu’ils ont de l’assoupissement, état dans lequel ils ont passé tout le temps qui a précédé leur naissance11. De deux à quatre ans, l’enfant dort presque autant qu’il veille. Et lorsque les théologiens évoquent la durée de sommeil de l’enfant, ils parlent particulièrement de la catégorie d’âge qui va de quatre à quinze ans. Le temps de sommeil baisse donc, lorsque l’enfant passe du stade où il est jeune et de constitution faible, au moment où il acquiert une bonne constitution qui augmente ses forces et sa résistance au sommeil. Ce dernier est d’autant plus nécessaire aux enfants qui se donnent communément beaucoup de mouvements, qui passent beaucoup de temps à courir, sauter, s’agiter, et qui ne sont jamais en place. La fatigue qui les gagne les dispose évidemment à un long sommeil.

  • 12 Ibid., p. 12.
  • 13 Nicolas-Pierre Amédée Lefebvre, Dissertation sur le sommeil, Paris, tome 1, n° 4, 1811, p. 29.
  • 14 Encyclopédie méthodique, Paris, chez H. Agasse, Imprimeur-Libraire, rue des Poitevins, 1798, p. 88.

6Ce n’est pas sans une certaine forme de misogynie propre à cette époque, que médecins et auteurs de traités de piété partagent les mêmes vues sur le sommeil des femmes et des personnes de constitutions fragiles. Dans sa dissertation sur le sommeil de 1871, Modeste Lefèvre reprend les mêmes conclusions, comme s’il s’agissait d’une évidence ou d’un adage vérifié : les femmes dorment plus que les hommes. Toutefois, il est sans doute le premier à avancer, sans apporter plus de justifications, que les femmes vivant en ville dorment plus que celles des campagnes12. Quelques années plus tôt, l’étudiant en médecine Nicolas-Pierre Lefebvre, avait quant à lui synthétisé les raisons qui prédominaient à la fin du siècle des Lumières et au début du xixe siècle, et qui ont poussé les érudits, chrétiens ou non, à suivre ce raisonnement. Selon lui, la femme est à peu près soumise aux même lois que l’enfant (sur la durée de sommeil) ; elle en partage la constitution, qui est la faiblesse et l’irritabilité ; « ses forces ne peuvent point comme celles de l’homme, résister à des fatigues réitérées ; elle doit donc dormir plus que lui »13. L’auteur de l’article « sommeil » dans l’Encyclopédie méthodique, fait quant à lui encore confiance à la question des tempéraments, en affirmant que les femmes ont en général plus de propension au sommeil en raison de leur tempérament phlegmatique et sanguin ou phlegmatique et nerveux14.

  • 15 C. M., Frain, Dissertation sur le sommeil, Paris, tome 18 n° 169, an IX (1800), p. 63.
  • 16 A. E. Boffinet, Dissertation physiologique sur le sommeil, Paris, tome 5, n° 148, 1820, p. 8.
  • 17 Jean-Baptiste Blanchard, L’école des mœurs ou réflexions morales et historiques sur les maximes de (...)
  • 18 Maurice Martin Antonin Macario, Du sommeil, des rêves et du somnambulisme dans l’état de la santé e (...)

7La question de la durée de sommeil à l’âge adulte offre elle aussi un quasi consensus. En règle générale, la plupart des auteurs s’accordent sur l’idée qu’un sommeil de sept heures est suffisant pour les personnes bien portantes (notion rarement définie par les médecins et qui correspond aussi aux traités de piété). Sans originalité, le tout jeune médecin C.M. Frain déclare, comme ses collègues, que, chez l’homme adulte, le sommeil est ordinairement de sept heures. Néanmoins, il se laisse aussi une marge d’erreur, estimant qu’il est d’usage de dormir entre le tiers et le quart de la journée15. Une minorité de médecins, généralement des jeunes thésards comme A. E. Boffinet ou encore Modeste Lefevre vont jusqu’à diagnostiquer seulement cinq heures de sommeil, reprenant ainsi le modèle chrétien du sommeil court, mesuré et modéré. Les médecins sont indéniablement imprégnés de morale chrétienne. Le repos nocturne ne doit jamais se prolonger au-delà de huit heures, car « passé ce terme, il pourrait être considéré jusqu’à un certain point comme un état maladif »16. La correspondance est ici encore très frappante avec l’idée qu’en avaient les écrivains catholiques à savoir que paresse et maladies sont liées. En 1772, le père Blanchard (1731-1791), célèbre pédagogue jésuite, écrit d’ailleurs qu’un sommeil prolongé « énerve les forces au lieu de les réparer » et qu’il nuit « aux nécessités de la vie »17. On voit bien ici comment un acte naturel essentiel est devenu un acte culturel codifié, largement influencé par la stigmatisation chrétienne du repos trop long. Au milieu du xixe siècle, cette pression se ressent encore chez Maurice-Martin-Antoine Macario, médecin et surtout spécialiste de l’hydrothérapie qui, lorsqu’il évalue la durée du sommeil de six à huit heures, se trouve contraint de citer des exemples illustres de sommeil court, symboliques et à imiter, sacralisant un modèle conservateur de sciences du sommeil : Jules II, grand pape, grand homme de guerre et grand patriote à la fois, ne dormait que deux heures sur vingt-quatre ; Napoléon ne dormait souvent qu’une demi-heure, et se sentait reposé comme s’il avait dormi »18.

  • 19 P.F.L.M., Du sommeil, 1779, p. 39.
  • 20 À partir de la deuxième moitié du xviiie siècle, l’origine du sommeil est attribuée à un épuisement (...)
  • 21 Ibid., p. 42.

8En revanche, les auteurs de littérature pieuse semblent ignorer l’âge de la vieillesse. PFLM, un auteur anonyme de la deuxième moitié du xviiisiècle, défend l’idée que la décrépitude replace les personnes âgées au même état où ils étaient durant l’enfance, sauf que le processus est inverse : les organes des enfants gagnaient chaque jour, alors que ceux des vieillards se détériorent chaque jour, engendrant pour le sommeil le schéma inverse de celui des enfants19. De plus, l’homme âgé réduit fortement les mouvements extérieurs et le plus petit surcroît d’action qui lui arrive alors suffit à épuiser les fibrilles qui permettent le sommeil20. Pourquoi donc, si le moindre effort provoque une distension des fibrilles et donc le sommeil, les personnes âgées ne dorment-elles pas plus longtemps ? La raison est simple, c’est qu’elles se retendent rapidement pendant le sommeil ce qui a pour conséquence de réveiller rapidement le vieillard. « Ainsi, le dernier moment de la vie n’est qu’un mélange d’assoupissement et d’insomnie »21.

  • 22 S. Heller, Essai sur le sommeil, Paris, tome 3, 1818, p. 22.

9Cette assertion sur la courte durée du sommeil des vieillards ne doit pourtant pas être acceptée d’une manière absolue. Modeste Lefevre rappelle qu’elle peut être fausse si on l’applique à la dernière période de la vieillesse, c’est à dire de la décrépitude. En effet, les vieillards décrépits dorment presque toujours ; leurs périodes de sommeil sont courtes, mais très multipliées, et leur somme générale pour l’espace diurne dépasse de beaucoup celle du sommeil des adultes. Dans la vieillesse jusqu’à la décrépitude, un individu ne dort que trois à quatre heures ; mais dans la décrépitude, il est dans une somnolence continuelle, triste présage de sa fin proche22. Il en est même qui ne jouissent que de quelques heures de veille. Le mathématicien Antoine Le Moivre, dans les derniers jours de sa vie, si l’on en croît le médecin Heller, dormait les cinq sixièmes du temps.

10Ces différentes considérations médicales, qui se joignent aux sermons théologiques sur la durée de sommeil, paraissent figées, parfois dogmatiques. Dans la période qui nous intéresse, peu de voix discordantes s’élèvent. Les amateurs de sommeil et de grasse matinée sont rares et marginaux dans le débat. Tout juste peut-on citer l’opinion de Philibert Chabert, qui fut l’un des seuls pendant la Révolution à s’émanciper de cet héritage. En fait, la lecture de son traité amène à croire que son approche physiologique du sommeil s’est déchristianisée. Il s’émancipe des préceptes moraux qui dominaient la société pré-révolutionnaire. Si le citoyen Chabert propose des moyennes de sommeil identiques à ses confrères, il se permet tout de même une ouverture très intéressante, qui sans que l’on puisse l’attribuer entièrement aux événements de son temps, intègre une observation des mœurs et des habitudes humaines :

  • 23 Philibert Chabert, op. cit., p. 34.

Combien de modifications diverses, momentanées et accidentelles dérangent encore ce mouvement régulier de la nature, pendant la durée de chacune de ces époques de la vie de l’homme ; et donnant à la fibre plus de tension et de relâchement qu’elle n’en devrait avoir, désordonnent plus ou moins les fonctions animales, désorganisent plus ou loin les parties collaborantes dans leurs points de correspondance et de rapports23.

11Lorsqu’il s’exprime par ces termes, Chabert sous-entend évidemment que l’activité humaine n’est pas uniquement diurne. Des moments de veille nocturne, accidentels pour la plupart et ponctuels, structurent le quotidien des Français du xviiie siècle. Chabert ne propose rien en réponse à ces dérangements exceptionnels, ni sujets de méditation, ni temps de prières. Les règles de la nature qui fixent des durées souhaitables de sommeil, peuvent être violées sans que le métabolisme de la personne qui en use ne soit en danger.

12Finalement, l’approche de Chabert demeure isolée et toutes les considérations restrictives autour de la durée de sommeil n’évoluent vraiment qu’à partir du milieu du xixe siècle, lorsque l’hédonisme s’impose. Dans la deuxième édition de son- Dictionnaire de médecine, Nicolas-Philibert Adelon (1782-1862), professeur à la Faculté de médecine de Paris, membre de l’Académie de médecine, en charge de l’article du sommeil, présente un discours qui semble aussi se libéraliser. Il remet en avant la physiologie et l’expérimentation. Puisque le sommeil a pour but de réparer les pertes nerveuses qui ont été faites pendant la veille, sa durée doit être en rapport avec la fatigue de la veille qui a précédé : plus prolongé si la veille a été plus active, plus court dans le cas contraire. Le degré de fatigue est donc un facteur permettant de déterminer la durée de sommeil au cas par cas. Néanmoins, au-delà des grandes règles limitant le temps de sommeil aux alentours de sept à huit heures, on sent bien que les particularismes des dormeurs ont donné des alternatives difficilement vérifiables à ceux qui dépassaient cette recommandation. La question de constitution et de tempérament permet de relativiser un acte plutôt social que réellement médical.

Le positionnement du corps : bien dormir ou éviter les tentations ?

  • 24 Dictionnaire des Sciences médicales, Paris, Panckoucke éditeurs, 1813, vol. 7, p. 170-176.

13La position du corps qu’il faut adopter pendant le sommeil, répond bien entendu à des exigences physiologiques – la lecture des traités de médecine paraît très claire – mais il faut aussi y voir une influence très large de la pensée chrétienne du contrôle à exercer sur les gestes du quotidien. Ce que craignent les théologiens et les médecins, ce sont les positions qui favoriseraient les tentations, même si des gênes respiratoires ou de digestion sont aussi souvent évoquées comme des empêchements à certaines dispositions corporelles. Le volume 7 du Dictionnaire des Sciences médicales – qui a tenté de 1812 à 1822 de faire la synthèse du savoir médical de l’époque et qui rencontra un grand succès commercial – présente à l’article « coucher », fidèle en tout point à la ligne éditoriale de l’ouvrage, les différentes postures qu’il faut adopter ou éviter24. On y retrouve toutes les considérations que l’on pouvait rencontrer chez les médecins du xviiie siècle et qui d’ailleurs se prolongent parfois jusqu’à la fin du xixe siècle.

  • 25 Ibid., p. 171.
  • 26 Friedrich Hoffmann, La médecine raisonnée, Paris, Traduite par M. Jacques-Jean Bruhier, Tome 2, che (...)
  • 27 Jean Baptiste La Salle, Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, Reims, Cahiers la (...)
  • 28 Dictionnaire des Sciences médicales, op. cit., p. 173.
  • 29 Théodore Tarczylo, Sexe et liberté au siècle des Lumières, Paris, Presses de la Renaissance, Collec (...)

14Ainsi, des quatre positions que l’homme peut adopter (le dos, le ventre, ou l’un des deux côtés), le coucher sur le côté droit est la plus recommandée et souvent d’ailleurs la seule. Pour Anthelme Richerand (1779-1840), physiologiste, chirurgien, membre de l’Académie de médecine et auteur de l’article « coucher », seul un petit nombre d’hommes se couchent sur l’autre côté et souvent parce qu’un vice organique les y oblige. La préférence des médecins pour le côté droit se fonderait sur deux motifs. D’abord, parce que se positionner sur l’autre côté entraînerait le foie, « viscère volumineux, très-lourd et mal assujetti dans l’hypocondre droit » qui pèserait de tout son poids sur l’estomac, entraînant le diaphragme et il en résulterait une forte gêne et des tiraillements », voire troublerait le sommeil par des songes pénibles25. Dans un deuxième temps, coucher sur le côté droit favoriserait la descente des aliments. Ce principe permettrait d’ailleurs de faciliter la digestion, surtout si l’on a mangé avant de se coucher, parce que « le chyle descend plus aisément dans les intestins et que cette situation empêche le poids du foie de se rendre à l’estomac, et de le comprimer »26. Déjà au xviie siècle, et par la suite dans les nombreuses rééditions de Les régles de la bienséance et de la civilité chrétienne, Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719) conseillait de dormir sur le côté, indifféremment le droit ou le gauche : « Il n’est pas séant d’y retirer ses jambes, mais il faut les étendre, et il est à propos de se coucher tantôt sur un côté, tantôt sur l’autre ; car il n’est pas honnête de dormir étant couché sur le ventre »27. En conseillant de dormir sur le côté, l’argument de civilité chrétienne rejoint celui du travail de la digestion. Cette position conseillée n’a pas pour but unique de faciliter le sommeil, mais d’éviter de dissimuler des actes répréhensibles, notamment les pollutions nocturnes. Comme nous l’indique Jean-Batiste de La Salle, dormir sur le ventre est la position la plus répréhensible pour les auteurs, qu’ils soient médecins, théologiens, moralisateurs. En bon physiologiste, Anthelme Richerand y voit surtout une position inconfortable, puisque la dilatation de la poitrine est empêchée et, parce que le dormeur se sentira oppressé, il sera gêné dans sa respiration. Certaines personnes très fortes pourraient tenter de s’endormir dans cette position, mais elles se réveilleraient bientôt d’un sommeil troublé par des songes pénibles, éprouvant ce sentiment d’angoisse appelé incube, figure cauchemardesque toujours présente dans les discours scientifiques après la Révolution28. Il faut noter toutefois que ce sont surtout les médecins spécialistes de l’onanisme qui sont les détracteurs les plus farouches de cette habitude, reprenant à leur compte les arguments des théologiens. En s’attaquant à la position du sommeil sur le ventre, ils fustigent surtout les jeunes gens et les jeunes filles, alors que les adultes peuvent se maîtriser. Sans revenir sur la question de la pollution nocturne qui a été très bien traitée29, il semble intéressant de donner rapidement la parole à François Lallemand (1790-1853) qui résume assez bien les risques encourus par les enfants qui voudraient dormir sur le ventre :

  • 30 François Lallemand, Des pertes séminales involontaires, Montpellier 1838, p. 458.

J’ai déjà parlé du danger de laisser les enfants dormir sur le ventre ; je dois ajouter ici que plusieurs de mes malades ont contracté de cette manière les habitudes qui ont ruiné leur santé. Indépendamment des inconvénients de ce cubitus pour la respiration, la digestion, etc., il favorise les érections ; le moindre frottement éveille des sensations nouvelles, et l’on marche vite quand on est une fois en pareille voie30.

  • 31 Friedrich Hoffmann, op. cit., p. 297.
  • 32 Dictionnaire des Sciences médicales, op. cit., p. 173.
  • 33 Jacques-Louis Doussin-Dubreuil, Nouveau manuel sur les dangers de l’onanisme, Paris, Librairie ency (...)
  • 34 Journal de médecine et de chirurgie pratiques : à l’usage des médecins praticiens, Paris, vol. 7, 1 (...)

15Pour des raisons analogues, dormir sur le dos n’est pas non plus une position irréprochable. Les défenseurs des bonnes mœurs ne l’approuvent pas complètement, affirmant en priorité le recours au sommeil de côté, tout comme les médecins qui restent prudents. Pour Friedrich Hoffmann (1660-1742), célèbre médecin allemand, surnommé parfois le deuxième Hippocrate, il n’est pas sain de dormir sur le dos « parce que les vaisseaux qui sont couchés le long de l’épine s’échauffent, et que la compression des muscles releveurs de la poitrine rend la respiration plus difficile31. » Richerand ne la déconseille pas complètement car elle semble pouvoir permettre dans certains cas la respiration. Le médecin est aussi conscient qu’elle est souvent préférée par les enfants très jeunes et les personnes avancées en âge32. Toutefois, il semble qu’au cours du xixe siècle, l’on rencontre plus d’opposition au dormir sur le dos au moment où la lutte contre la pollution nocturne se renforce. Par exemple, Jacques-Louis Doussin-Dubreuil (1762-1831) connu pour son Nouveau manuel sur les dangers de l’onanisme est, on le comprendra, un fervent opposant du sommeil sur le dos33. Et la tâche n’est pas simple, car il faut lutter contre les coutumes. François Lallemand rapporte l’exemple d’un malade qui ne réussissait pas à se défaire de l’habitude de dormir sur le dos, et il fût contraint d’utiliser une sorte de ceinture de peau (ceinture de chasteté) qu’il se liait tous les soirs avant de coucher34.

  • 35 Denise Glück, Dormir : rituels du sommeil, Paris, Editions Bonneton, 1997, p. 179-180. À noter qu’u (...)
  • 36 Ibid., p. 28.
  • 37 Ibid., p. 29.
  • 38 Ibid., p. 30.

16Quand à la position en chien de fusil, elle n’est guère évoquée. Denise Glück estime qu’on a du souvent y recourir si l’on considère la dimension des lits à deux places du xixe siècle « plus courts que les nôtres, à peu près 1,80m et beaucoup plus étroits, 1,20m, ils ne permettaient aux dormeurs que cette position semi-assise favorisée par l’usage de gros oreillers. À en croire les conseils des médecins, la position en chien de fusil génère des cauchemars »35. Mais une fois encore, Philibert Chabert est pratiquement le seul à s’indigner de ce déterminisme imposé par des contraintes médicales, théologiques ou de savoir-vivre. Selon lui, c’est à la nature de dicter l’attitude du dormeur. La meilleure position est donc pour Chabert la même pour les hommes que pour les animaux. « Tous rapprochent du tronc la tête et les extrémités, en sorte que le corps décrit un croissant, dont la grande courbure est à l’extérieur, du côté de l’épine dorsale ; la petite, celle qui lui est parallèle dans l’intérieur, répond à ce qu’on appelle la ligne blanche »36. Le corps ainsi plié prend son point d’appui sur le côté droit, et il faut remarquer que cette position est à peu près la même que celle du fœtus, et selon Chabert elle est la plus avantageuse pour permettre le relâchement. C’est dans cette position que les hommes et les animaux dorment plus longtemps et plus tranquillement puisque « les mouvements du cœur, les mouvements des poumons, ainsi que ceux des muscles abdominaux, ont infiniment plus de jeu que dans toute autre situation »37. Il n’est pourtant pas question pour Chabert de suivre à son tour des positions dogmatiques, et sa prudence naturelle vient souvent nuancer ses propos : « il n’est que trop vrai que cette position n’est pas toujours celle de tous les individus dans l’état du sommeil »38 déclare-t-il. Le dormeur devra placer son corps dans la position la plus agréable et la moins gênante. Cette vision libérale de la position du corps endormi (qui exclut toute influence moraliste et théologique) est assez isolée pour l’époque, car elle s’appuie essentiellement sur un constat naturel et une comparaison avec le monde animal, que l’on comprendra aisément par rapport à la carrière de vétérinaire de l’auteur Du Sommeil. En effet, il fut directeur de l’école vétérinaire d’Alfort et plus tard inspecteur des écoles vétérinaires.

Une approche physiologique qui ne remet pas en cause les dogmes de l’Église

17Les lignes qui précédent ont démontré que les traités de piété avaient influencé les pratiques corporelles du sommeil. La durée et la position à adopter pendant le repos, appartiennent à l’époque, autant au domaine de la physiologie (combien notre corps nécessite de sommeil et quelles sont les conditions à remplir pour atteindre cet objectif) que de la piété, voire de la bienséance, les deux étant très liées (quelle image devons-nous donner de nous même et de notre corps lorsque nous dormons). Pour autant, l’imprégnation de la pensée chrétienne dans la science du sommeil ne s’arrête pas là. Elle est bien plus profonde, puisqu’elle constitue l’élément central des réflexions sur les origines du sommeil et du songe. Deux exemples permettront de le prouver. Au xviiie siècle particulièrement, la nature des songes est au cœur des préoccupations, notamment l’oniromancie. Et les érudits qui luttent contre les superstitions véhiculées par cette manifestation parfois étrange, sont généralement des ecclésiastiques qui comprennent l’analyse physiologique du songe comme un argument dans leur combat. Dans un deuxième temps, il faut aussi noter que dans la première moitié du xixe siècle, les débats s’amplifient et les préoccupations théologiques restent prégnantes quand il s’agit de comprendre l’essence même du sommeil et des songes. L’opposition vive entre matérialistes et vitalistes en est une illustration parfaite.

Une mission pour l’Église : lutter contre les superstitions

  • 39 Ces flux de liquide pouvaient aussi être appelés « éther nerveux » par les mécanistes. Ces processu (...)
  • 40 Roy Porter, Georges Vigarello, « Corps, santé et maladies » in Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, (...)
  • 41 Hendrick De Wit, Histoire du développement de la biologie, Lausanne, Presses polytechniques et univ (...)
  • 42 Cité par Pierre Brunet, Dissertation médico-philosophique sur le sommeil et les songes, Paris, tome (...)
  • 43 Il faut aussi citer Lenglet Dufresnoy, qui fit des études de théologies avant de se lancer dans la (...)

18Dans la deuxième moitié du siècle des Lumières, pour expliquer le sommeil, mais aussi le principe de vie, les médecins privilégient principalement la théorie des fibres. Rejetant les modèles antérieurs « d’horlogerie » de Descartes comme trop grossiers, Herman Boerhaave (1668-1738), le père de la clinique, traitait le corps comme un réseau de vaisseaux et de tuyaux, contenant les fluides corporels, les mettant en communication et les contrôlant39. La santé était expliquée par les mouvements des fluides dans le système vasculaire, la maladie par l’empêchement ou la stagnation de ce mouvement40. Le sommeil n’est alors que l’épuisement d’un fluide nécessaire aux fonctions du système nerveux. Albrecht von Haller (1708-1777), élève de Boerhaave et spécialiste des propriétés des nerfs, n’a eu lui aussi aucune difficulté à expliquer les phénomènes de vie (notamment le sommeil) de façon mécaniste, sans pour autant devoir remettre en cause la conception divine du monde41. Selon lui, la nécessité du sommeil résulte du manque de quantité et de mobilité des esprits vitaux, « occasionné par la pression des nerfs et le collapsus des parties nerveuses qui charrient ces esprits de leur source au sensorium commun pour circuler de là dans toutes les parties du corps ; et cette nécessité devient plus urgente en raison de la fatigue »42. Cette démonstration physiologique du sommeil, – qui d’ailleurs se complexifie tout au long du xviiie siècle – au-delà de son inscription dans les recherches médicales de l’époque, est essentielle pour des théologiens qui la reprennent pour affirmer leur combat contre les interprétations des songes au siècle des Lumières. Si, bien entendu, les médecins s’y sont aussi intéressés, il faut noter que les deux principales réflexions sur le sujet sont le fait d’ecclésiastiques (Samuel Formey et l’abbé Jérôme Richad43).

  • 44 Samuel Formey, « Essai sur les songes », Mélanges philosophiques, Leyde, Elie Luzac, Tome 1, 1754.
  • 45 Pour Jérome Richard il n’y a aucun doute sur cet état : « L’âme est perpétuellement occupée de quel (...)

19Samuel Formey (1711-1797), pasteur allemand, fut le premier à définir l’existence des songes naturels à travers sa réduction physiologique dans son Essai sur les songes44, repris en grande partie pour composer l’article « songe » de l’Encyclopédie. C’est que la question est importante – et le succès de son interprétation physiologique le prouve – dans la mesure où le corps n’est pas le seul à intervenir dans la production du songe. Pour ces auteurs, sa nature est indissociable de la nature même de l’être humain, composée de deux éléments distincts : le corps et l’âme. L’âme serait spirituelle (capable de contrôler tous les mécanismes comme les sens et l’imagination) alors que le corps serait matériel. L’âme est le moteur principal à l’origine des pensées, de l’imagination, de l’action (et donc à l’origine aussi des songes) et selon les mêmes auteurs, elle doit rester active, même pendant le sommeil. Ces spécialistes de l’onirisme s’impliquent ainsi dans le débat autour de la nature de l’âme et de son action, dont dépend leur démonstration sur le rêve. Depuis de nombreuses années, des savants s’opposent sur la question de savoir si l’âme pense continuellement ou non. Au contraire de Formey ou de Richard, certains pensent, comme John Locke, qu’il n’est pas assuré que l’âme soit toujours en activité, notamment pendant le sommeil45.

  • 46 Samuel Formey, op. cit., p. 185.

20Quoi qu’il en soit, si l’âme intervient particulièrement, il faut, pour Formey, prendre en compte le fait que le stimuli qui la pousse à produire des images est avant tout dû à une action du corps. Il suffit ainsi que l’extrémité intérieure d’un nerf soit ébranlée (celui de l’œil, de l’oreille par exemple) par un fluide nerveux. Ce principe est le même que l’état de veille qui provoque des actes d’imagination. Indéniablement, sans nier la spiritualité de l’âme, Formey affirme que songer n’est autre que de se rappeler des songes et du coup : « Ce sont des causes purement physiques et machinales ; c’est l’état du corps qui décide seul de la perception des songes ; les circonstances ordinaires qui les accompagnent concourent toutes à nous en convaincre. Quelles sont ces personnes qui dorment d’un profond sommeil, et qui n’ont point ou presque point songé ? Ce sont les personnes d’une constitution vigoureuse, qui jouissent actuellement d’une bonne santé, ou celles qu’un travail considérable a comme accablées46 ».

  • 47 À ce sujet voir l’article de Caroline Jacot-Grapa, « Rêve et identité. Autour de la Théorie des son (...)
  • 48 Jérôme Richard, op. cit., p. 13.
  • 49 Caroline Jacot-Grapa, art. cit., p. 237.

21Si Samuel Formey ne fait pas de lien direct avec l’oniromancie, sa démonstration physiologique parle d’elle même. En matérialisant les productions oniriques, le pasteur allemand décrédibilise les croyances populaires. Mais c’est surtout Jérôme Richard dans sa Théorie des songes qui porte les plus vives attaques contre ce qu’il appelle une « maladie invétérée », reprenant d’ailleurs en préambule les mêmes propos que Formey. L’attitude rationaliste adoptée par l’abbé Richard est complétée d’un long plaidoyer contre « la science divinatoire ». Cet ouvrage charismatique marque l’apogée de la lutte contre les superstitions. Son auteur opère un coup de force en marquant que tout songe est naturel, même s’il peut apparaître comme confus et il peut même renseigner sur les replis de l’activité de l’âme, sur le travail de la mise en scène de l’imagination47. En ce sens, la théorie de Richard est avant tout spirituelle, puisqu’elle repose sur une définition du rêve comme « activité de l’âme », cette dernière restant toujours active pendant le sommeil. Il n’est donc pas possible de nier que l’abbé Richard présente un sujet métaphysique, mais aussi médical par la place qu’occupe la physiologie, tout en conservant sa place à la théologie. Comme il le rappelle très justement dès les premières lignes de son œuvre, l’oniromancie est pour lui « une science justement proscrite par les décrets de l’Église et les lois civiles »48. À juste titre, Caroline Jacot-Grapa définit la volonté de Richard de lutter contre les songes comme étant conforme à « la doxa religieuse, comme à la doxa philosophique »49.

Le début du xixe siècle : les débats entre vitalistes et matérialistes

  • 50 Jacques Léonard, Médecins, malades et société dans la France du xixe siècle, Paris, Sciences en sit (...)
  • 51 Olivier Faure, « Le regard des médecins », in Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarell (...)

22Si l’origine physiologique du songe semble partagée par les médecins et les théologiens, chacun l’utilisant pour ses propres démonstrations, il semble qu’après la Révolution, la question de la place de l’âme pendant le sommeil demeure encore difficile à trancher. Comme le souligne Jacques Léonard dans un article sur la pensée médicale au xixe siècle, il est difficile de bien résumer l’histoire de la pensée médicale à cette époque. Il caractérise la période du premier dix-neuvième siècle comme une « situation confuse et ancienne où s’affrontent des doctrines médico-philosophiques, assez carrées et plutôt stériles dans leurs aboutissements thérapeutiques, opposant par exemple le vitalisme montpelliérain et le matérialisme parisien50 ». Olivier Faure précise par ailleurs, que la médecine n’était pas tout entière matérialiste, pas plus qu’elle n’était divisée en deux camps hostiles et bien tranchés, celui des vitalistes spiritualistes et celui des matérialistes athées51.

  • 52 Olivier Faure, art. cit., p. 40.
  • 53 Pour le détail voir Louis Lélut, « Du sommeil envisagé au point de vue psychologique », Séances et (...)
  • 54 Albert Lemoine, Du sommeil, Paris, J.B. Baillière, 1855, p. 7.
  • 55 Pour Louis Lélut en 1854, cette question est essentielle « Il n’y pas de philosophes, pour peu qu’i (...)
  • 56 Christophe Opoix (1745-1840), pharmacien député à la Convention et érudit.

23Quoi qu’il en soit, dans le domaine du sommeil et du songe, la pensée vitaliste domine les débats. Les vitalistes voient dans la force vitale, qui n’est ni définie ni localisée, le moteur de la vie aussi bien que la source de la maladie et de la santé52. L’interprétation vitaliste, fortement ancrée dans la médecine d’observation, couronne tout de même les réflexions antérieures soutenues par l’Église même si elle abandonne la notion d’âme, trop connotée religieusement. Aussi, il est évident que l’Église y apporte son adhésion même si cela n’implique pas de liens privilégiés entre elle et les sciences médicales. En expliquant l’état de veille qui fait le principe de vie, sans s’opposer à la création divine, les vitalistes doivent aussi expliquer l’état de sommeil et ils représentent dans ce domaine, la pensée dominante, notamment lorsque l’Académie des sciences morales et politiques lance un concours sur le thème suivant : « Du Sommeil, envisagé au point de vue psychologique. » Plus précisément, trois grands axes sont définis. Il faut tout d’abord réfléchir sur la place de l’âme pendant le sommeil, sur la différence entre rêver et penser, et enfin sur le somnambulisme53. Le philosophe Albert Lemoine (1824-1874), le gagnant de ce concours qui voit son mémoire publié, s’inscrit particulièrement dans le courant vitaliste. Ainsi, dans ce schéma de pensée, pour qu’une définition du sommeil soit complète, il faut que l’âme y figure comme le corps et que son état y soit représenté, comme celui du corps. Pour Lemoine, l’explication corporelle du sommeil est assez réduite et succincte : « les fonctions de la vie de relation ou des organes des sens extérieurs sont empêchés, sinon suspendues complètement, tandis que les fonctions de la vie intérieure, végétative ou nutritive, acquièrent au contraire une nouvelle activité ». Il définit le sommeil comme « la suspension des fonctions de la vie en relation54 ». Pour Lemoine et pour d’autres, proches du vitalisme, ce n’est pas cette question qui est essentielle car elle a été assez bien traitée par les physiologistes, c’est plutôt l’influence qu’exerce l’âme sur le sommeil55. On assiste donc à une reconnaissance d’une origine organiciste lorsqu’il s’agit de décrire les origines du sommeil et du songe, mais qui doit être complétée par une approche vitaliste, afin notamment d’expliquer les images oniriques. À ce titre, une grande partie des médecins, qui se déchirent encore sur la question après la Révolution, penchent pour l’axiome de l’abbé Richard : « L’âme est perpétuellement occupée de quelques images ». Si cette dernière est à l’origine de l’activité de l’imagination entraînant les songes, elle ne peut se reposer et être inactive comme certains le suggéraient. Beaucoup suivent ce raisonnement et il leur est tout naturel de penser, comme Christophe Opoix56 en 1821, que les songes sont le fruit de l’imagination produite par l’âme qui, lors de l’état de veille, agit avec raisonnement :

  • 57 Christophe Opoix, L’âme dans la veille et dans le sommeil, Paris, s. éd. 1821, p. 5.

Mais quand nous dormons, la raison sommeille, et par la suite du relâchement dont nous allons parler, et de la dilatation des fibres intellectuelles qui, comme nous le dirons, ont lieu dans le sommeil, l’imagination livrée à toute sa vivacité et à toute sa fougue, vient augmenter le désordre qui règne alors dans l’organisation mentale. Un philosophe a dit que l’imagination était la folle de la maison ; ce qui peut s’appliquer ici57.

  • 58 Il n’est pas utile de plus développer les arguments vitalistes sur la continuité de l’activité de l (...)

24Dans ce désordre, il ne faut pourtant pas voir une passivité de l’âme, ce qui pourrait réfuter la thèse de l’activité continue de l’âme58. Ainsi, encore au milieu du xixe siècle, la pensée médicale sur le songe demeure imprégnée d’une volonté de définir les origines du songe, par la double action du corps et de l’activité continue de l’âme, marquant ici sans doute l’affirmation d’un discours qui n’est pas encore émancipé de la pensée chrétienne, notamment dans son but réaffirmé de lutter contre l’oniromancie.

La disparition des rêves divins dans les traités de médecine

  • 59 Journal général de Médecine, de chirurgie et de pharmacie, Paris, tome 27, 1806, p. 153.
  • 60 Ibid.
  • 61 Encyclopédie méthodique de médecine, Paris, Panckoucke, 1818, p. 57.

25Si la pensée vitaliste est la plus reconnue dans la médecine du sommeil et du songe – et, rappelons-le, elle n’est pas la plus hostile à l’Église chrétienne – il faut toutefois noter que les rêves divins, qui apparaissaient dans les traités de médecine au siècle des Lumières, tendent à disparaître après la Révolution, ou du moins à ne plus trouver leur place dans ce genre de littérature. Effectivement, il n’était pas rare au xviiie siècle de voir certains médecins définir les songes naturels, avant de s’intéresser aux songes surnaturels et de reconnaître qu’il était une force qui échappait à la médecine. Après la Révolution, les médecins mettent en doute les « songes surnaturels ». Le médecin François Joseph Double (1776-1842), auteur des Considérations séméiotiques sur les songes, émet beaucoup de réserves sur les songes nommés divins. Sans doute tient-il cette prudence de sa volonté de collationner des expériences nouvelles, souvent issues de sa pratique hospitalière. Certes, les médecins observent bien des songes étonnants – que beaucoup aimeraient qualifier de surnaturels – comme la perte d’un parent, d’une maladie plus ou moins éloignée… mais, selon François Joseph Double, la plupart de ces songes, « dont les détails offrent rarement la seule vérité, se dépouilleraient facilement de tout leur merveilleux, si on les étudiait avec plus d’attention59. » En fait, son analyse va bien plus loin puisque les songes divins ne seraient simplement que le résultat de l’imagination et ne se rattacheraient donc qu’à des songes naturels. Et si les images ne sont pas le résultat des images de la veille, ce qui est très rare, ce n’est alors que le fait du hasard60. L’analyse de Double n’est pas isolée et certains poursuivent les mêmes idées, allant même jusqu’à accuser les prophètes d’instrumentaliser leur interprétation, comme on peut le lire dans L’Encyclopédie méthodique : « Les songes étaient censés venir des dieux, et cette doctrine absurde a servi plus d’une fois à justifier le crime ou à flatter la folie des princes61. »

  • 62 Aubin Gauthier, Histoire du somnambulisme chez tous les peuples, Paris, vol. 1, Félix Malteste, 184 (...)
  • 63 Ibid.

26Dans d’autres traités de médecine de la même époque, les auteurs vont même jusqu’à ignorer le songe divin, s’intéressant uniquement à la physiologie de l’activité onirique. La médiatisation des songes surnaturels n’est donc plus relayée par les traités de médecine et il faut à nouveau se tourner vers les écrits des théologiens catholiques. Pour eux, le manque de médiatisation de ces manifestations oniriques viendrait plutôt du fait que les sciences de l’époque s’évertuent à vouloir prouver ou expliquer ce qui n’est pas de leur ressort. Pour Aubin Gauthier, auteur de traités sur le somnambulisme, la pensée sur les songes divins a peu progressé et même périclité, puisque les penseurs du xixe siècle sont indifférents en matière de religion. Selon lui, « l’excès d’application de leur esprit aux sciences et aux arts a sur eux le même empire que l’ambition et la gloire des armes sur le peuple romain ; bien plus, en retrouvant les traces de la civilisation des Egyptiens, en les imitant dans leur admiration pour les beautés de la nature, ils se sont égarés par des voies contraires : les Egyptiens divinisaient, les modernes matérialisent »62. Pourtant, pour le même auteur, cette foi reposant sur la science a été bénéfique dans l’étude des songes : les connaissances physiques ont permis d’écarter pour toujours « ces suppositions d’esprits, de démons, de divinités inférieures intermédiaires entre Dieu et les hommes »63.

27Il est encore difficile de comprendre le sommeil et ses manifestations. Pendant la période que nous avons choisie, ce comportement universel n’a pas échappé à la surveillance de l’Église, qui a réussi à insinuer dans la pensée médicale des préceptes qui se sont perpétués pendant longtemps. Même s’il est difficile de mesurer à quel point la pensée chrétienne a influencé la médecine du sommeil, il est indéniable que le schéma du sommeil court, prôné par les dévots, a connu une postérité notable que les apports physiologiques nouveaux qui se sont constitués au cours du xixsiècle n’ont pas fait disparaître.

  • 64 Sur la pensée de Morin voir notamment Jacqueline Lalouette, « La Séparation avant la Séparation. Pr (...)

28La science des rêves reste elle aussi imprégnée de ce discours pieux et ce jusqu’à la fin du xixe siècle, au moment où des anticléricaux comme André-Saturnin Miron (1807-1888), pamphlétaire anticlérical, jugent inacceptable cette cohabitation. Pour ce dernier, il est absurde de vouloir séparer les songes naturels et divins. S’il n’est pas un spécialiste de la question, Miron est un penseur anticlérical, favorable à la séparation du spirituel et du temporel, et le songe divin est pour lui une preuve de l’obscurantisme religieux64. La critique porte plus sur le rêveur « élu » que sur l’objet même du songe. Un récit de songe divin ne provient que d’une seule personne qui en est directement l’objet, et on ne peut exiger raisonnablement des hommes de donner crédit au témoignage de celui qui viendrait raconter son rêve, aussi extraordinaire puisse-t-il être :

  • 65 André-Saturnin Morin, (dit Miron), Examen du christianisme, Bruxelles/Leipzig, Lacroix verboeckeven (...)

Un seul témoignage est toujours d’un faible poids, surtout quand il s’agit d’une chose aussi importante que la communication d’une volonté divine, et il est à craindre que l’homme qui, à son réveil, veut retracer ce qu’il a éprouve en dormant, n’en retrouve qu’un souvenir confus et ne défigure le discours qu’il dit avoir entendus. À plus forte raison, doit-on se défier d’imposteurs qui pourraient simuler des songes pour faire parler Dieu suivant leurs vues ambitieuses.65

29En d’autres termes, si Dieu avait pris la voie de se manifester dans le sommeil d’une personne, il n’aurait produit qu’un effet individuel, alors que le but que lui supposent les théologiens est d’éclairer le genre humain.

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Notes

1 Robert James, Dictionnaire universel de médecine, Paris, Traduit de l’anglais de M. James par Mrs Diderot, Eidous & Toussaint, 1747, p. 1565.

2 Guillaume Buchan, Médecine domestique, ou traité complet des moyens de se conserver en santé, de guérir & de prévenir les maladies, par le régime & les remèdes simples. Paris, 1783, Tome 1, p. 241.

3 Ibid.

4 Modeste Lefevre, Dissertation sur le sommeil, Paris, tome 3, 1817, p. 13.

5 Exercices de la vie chrétienne où l’on donne des Instructions pour remplir tous les devoirs de la religion, Bruyères, 4e édition, 1780, p. 35.

6 Par exemple : Olivier Faure, Les Français et leur médecine au xixe siècle, Paris, Belin, 1993 ; Pierre Guillaume, Médecins, Église et foi, xixe-xxe siècle, Aubier, 1990 ; Jacques Léonard, La médecine entre les pouvoirs et les savoirs, Paris, Aubier Montaigne, 1981.

7 Philibert Chabert, Du sommeil, Paris, Imprimerie d’Egron, 2ème édition, 1800.

8 Citation de M. Lewis dans Samuel-Auguste Tissot, L’onanisme : essai sur les maladies produites par la masturbation, Paris, Nouvelle édition revue et augmentée de la traduction des citations latines, Garnier Frères, éd. de 1905, p. 136.

9 Sur ce point voir notamment Alain Cabantous, Histoire de la nuit, xviie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 2009.

10 Philippe Martin, « Corps en repos ou corps en danger ? Le sommeil dans les livres de piété (seconde moitié du xviiie siècle) », Etudes théologiques et religieuses, tome 75, 2000, p. 249.

11 Modeste LefèvreDissertation sur le sommeil, Paris, tome 3, n° 86, 1817, p. 11.

12 Ibid., p. 12.

13 Nicolas-Pierre Amédée Lefebvre, Dissertation sur le sommeil, Paris, tome 1, n° 4, 1811, p. 29.

14 Encyclopédie méthodique, Paris, chez H. Agasse, Imprimeur-Libraire, rue des Poitevins, 1798, p. 88.

15 C. M., Frain, Dissertation sur le sommeil, Paris, tome 18 n° 169, an IX (1800), p. 63.

16 A. E. Boffinet, Dissertation physiologique sur le sommeil, Paris, tome 5, n° 148, 1820, p. 8.

17 Jean-Baptiste Blanchard, L’école des mœurs ou réflexions morales et historiques sur les maximes de la sagesse, Lille, 1836, p. 345. La première édition date de 1772, elle est parue sous le titre : Le poète des mœurs ou Les maximes de la sagesse.

18 Maurice Martin Antonin Macario, Du sommeil, des rêves et du somnambulisme dans l’état de la santé et de maladie, Paris, 1857, p. 7.

19 P.F.L.M., Du sommeil, 1779, p. 39.

20 À partir de la deuxième moitié du xviiie siècle, l’origine du sommeil est attribuée à un épuisement du fluide nerveux qui entraîne un relâchement des fibres nerveuses. À ce sujet voir Guillaume Garnier, « L’oubli des peines ». Dormir et rêver (1700-1850) : pratiques, perceptions, conflits, Poitiers, thèse de doctorat soutenue publiquement le 3 octobre 2011, p. 66-68.

21 Ibid., p. 42.

22 S. Heller, Essai sur le sommeil, Paris, tome 3, 1818, p. 22.

23 Philibert Chabert, op. cit., p. 34.

24 Dictionnaire des Sciences médicales, Paris, Panckoucke éditeurs, 1813, vol. 7, p. 170-176.

25 Ibid., p. 171.

26 Friedrich Hoffmann, La médecine raisonnée, Paris, Traduite par M. Jacques-Jean Bruhier, Tome 2, chez Briasson, 1739, p. 297.

27 Jean Baptiste La Salle, Les règles de la bienséance et de la civilité chrétienne, Reims, Cahiers lasalliens, Reproduction anastatique de l’édition de 1703, p. 54.

28 Dictionnaire des Sciences médicales, op. cit., p. 173.

29 Théodore Tarczylo, Sexe et liberté au siècle des Lumières, Paris, Presses de la Renaissance, Collection « Histoire des Hommes », 1983 ; Sara Matthews-Grieco, « Corps et sexualité dans l’Europe d’Ancien Régime », in Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, Tome 1, 2005, p. 167-234.

30 François Lallemand, Des pertes séminales involontaires, Montpellier 1838, p. 458.

31 Friedrich Hoffmann, op. cit., p. 297.

32 Dictionnaire des Sciences médicales, op. cit., p. 173.

33 Jacques-Louis Doussin-Dubreuil, Nouveau manuel sur les dangers de l’onanisme, Paris, Librairie encyclopédique de Rodet, 1839.

34 Journal de médecine et de chirurgie pratiques : à l’usage des médecins praticiens, Paris, vol. 7, 1836, p. 252.

35 Denise Glück, Dormir : rituels du sommeil, Paris, Editions Bonneton, 1997, p. 179-180. À noter qu’un psychanalyste américain, S. Dunkel a établi quatre positions du sommeil auxquelles il a attribué des noms poétiques. Les quatre positions de base sont la position fœtale (recherche de protection), à plat ventre (désir de contrôler le monde), sur le côté (position du bon sens), sur le dos position royale (assurance en soi). Ces définitions coïncident avec un proverbe : « Le roi dort sur le dos, l’homme sage sur le côté, et l’homme riche sur le ventre ».

36 Ibid., p. 28.

37 Ibid., p. 29.

38 Ibid., p. 30.

39 Ces flux de liquide pouvaient aussi être appelés « éther nerveux » par les mécanistes. Ces processus vitaux ont été théorisés par le médecin libertin Julien Offray de La Mettrie (1709-1751) dans son ouvrage L’Homme-machine (1747). Il étend alors à l’homme le principe de « l’animal-machine » de Descartes et rejette par là toute forme de dualisme animal-homme au profit du monisme. Ce déterminisme mécaniste l’amène à rejeter toute idée de Dieu, même celui des déistes, avec lequel il refuse de confondre la nature.

40 Roy Porter, Georges Vigarello, « Corps, santé et maladies » in Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Seuil, Tome 1, 2005, p. 354.

41 Hendrick De Wit, Histoire du développement de la biologie, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1993, vol. II, p. 15.

42 Cité par Pierre Brunet, Dissertation médico-philosophique sur le sommeil et les songes, Paris, tome 6, n° 182, 1820, p. 10.

43 Il faut aussi citer Lenglet Dufresnoy, qui fit des études de théologies avant de se lancer dans la politique et la diplomatie. Il est l’auteur d’un ouvrage accordant une place assez importante aux songes : Recueil de dissertations anciennes et nouvelles sur les apparitions, les visions et les songes, 4 vol. , Paris, Jean-Noël Leloup, 1751-52.

44 Samuel Formey, « Essai sur les songes », Mélanges philosophiques, Leyde, Elie Luzac, Tome 1, 1754.

45 Pour Jérome Richard il n’y a aucun doute sur cet état : « L’âme est perpétuellement occupée de quelque image ; son état de spiritualité ne lui permet aucun instant d’inaction […] elle est dans une action continuelle […] même dans le sommeil le plus profond. » (Abbé Richard, La théorie des songes, Paris, Edition Frères Estienne, 1766, p. 120). Cette idée de l’activité continue de l’âme est fondamentale parce qu’elle prouve la différence de nature entre l’âme et le corps, mais aussi leur rapport étroit qui est à l’origine de l’activité onirique : « L’âme, intelligente et active de sa nature est étroitement unie à un corps organisé. Tant que cette union dure, elle ne peut exercer cette double faculté que dépendamment du corps. L’âme agit sur le corps et le corps sur l’âme. » (Ibid., p. 59).

46 Samuel Formey, op. cit., p. 185.

47 À ce sujet voir l’article de Caroline Jacot-Grapa, « Rêve et identité. Autour de la Théorie des songes de Jérôme Richard (1766) », p. 237, in Nathalie Dauvois, Jean-Philippe Grosperrin (dir.), Songes et songeurs (xiiie-xviiie siècle), Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2003.

48 Jérôme Richard, op. cit., p. 13.

49 Caroline Jacot-Grapa, art. cit., p. 237.

50 Jacques Léonard, Médecins, malades et société dans la France du xixe siècle, Paris, Sciences en situation, 1992, p. 217. (Textes réunis par Claude Bénichou)

51 Olivier Faure, « Le regard des médecins », in Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps. De la Révolution à la Grande Guerre, Paris, Seuil, 2005, p. 44. Pierre Guillaume au contraire affirme qu’il est indéniable que les médecins français du premier xixe siècle se sont clairement réclamés des deux écoles rivales, celle de Paris et de Montpellier. Pierre Guillaume, Médecins, Église et foi (xixe-xxe siècles), Aubier, 1990, p. 31.

52 Olivier Faure, art. cit., p. 40.

53 Pour le détail voir Louis Lélut, « Du sommeil envisagé au point de vue psychologique », Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, 1854, 3ème série, vol. 9, p. 375-424.

54 Albert Lemoine, Du sommeil, Paris, J.B. Baillière, 1855, p. 7.

55 Pour Louis Lélut en 1854, cette question est essentielle « Il n’y pas de philosophes, pour peu qu’il ait tenté de pénétrer ces mystères de notre vie, qui n’ait reconnu cette nécessité, et n’en ait fait une des conditions de ses réflexions ou de ses recherches », Louis Lélut, op. cit., p. 398. Trois hypothèses vont émerger : l’activité constante de l’âme, perte totale d’activité de l’âme ou bien dérèglement de l’âme encore active).

56 Christophe Opoix (1745-1840), pharmacien député à la Convention et érudit.

57 Christophe Opoix, L’âme dans la veille et dans le sommeil, Paris, s. éd. 1821, p. 5.

58 Il n’est pas utile de plus développer les arguments vitalistes sur la continuité de l’activité de l’âme. Voir à ce sujet Yannick Ripa, Histoire du rêve : regard sur l’imaginaire des français au xixe siècle, Paris, Olivier Orban, 1988, p. 155-177.

59 Journal général de Médecine, de chirurgie et de pharmacie, Paris, tome 27, 1806, p. 153.

60 Ibid.

61 Encyclopédie méthodique de médecine, Paris, Panckoucke, 1818, p. 57.

62 Aubin Gauthier, Histoire du somnambulisme chez tous les peuples, Paris, vol. 1, Félix Malteste, 1842, p. 22.

63 Ibid.

64 Sur la pensée de Morin voir notamment Jacqueline Lalouette, « La Séparation avant la Séparation. Projets et propositions de loi (1866-1891) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 87, 2005/3, p. 41-51.

65 André-Saturnin Morin, (dit Miron), Examen du christianisme, Bruxelles/Leipzig, Lacroix verboeckeven, 1862, t. 1, p. 101.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guillaume Garnier, « Sommeil et rêve en France : entre médecine et religion (1700-1850) »Chrétiens et sociétés, 19 | 2012, 65-86.

Référence électronique

Guillaume Garnier, « Sommeil et rêve en France : entre médecine et religion (1700-1850) »Chrétiens et sociétés [En ligne], 19 | 2012, mis en ligne le 09 juin 2022, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/3319 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.3319

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Auteur

Guillaume Garnier

Université du Mans Centre de recherche historique de l’Ouest (CERHIO UMR 6258)

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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