« Savez-vous ce que vous faites ? Ce que fait un médecin qui saigne dans la crise »
Résumés
En septembre 1728, alors que l’accommodement du cardinal de Noailles avec Rome trouve enfin sa réalisation, le pape Benoît XIII s’avise de fixer pour la fête de saint Grégoire VII une nouvelle légende qui met en exergue la soumission de l’empereur Henri IV devant la puissance pontificale. En France, le décret de la Congrégation des Rites s’attire immédiatement les foudres conjuguées des appelants, du Parlement et du ministère. De fait, ce qu’il faut considérer comme une vraie maladresse politique ravive une fois encore l’hostilité jamais tarie entre « maximes romaines » et « maximes françaises » tout en réussissant le tour de force d’unir les différents types d’opposition à Rome. Pour le cardinal de Polignac, chargé d’affaires du roi auprès de Benoît XIII, la tâche n’est pas aisée. Il lui revient en effet de calmer le pontife qui souhaite réagir avec force aux condamnations du Parlement et des évêques et de lui imposer un silence apaisant qui constitue la ligne politique de Fleury avec le Saint-Siège. Il convoque alors le thème de l’infaillibilité pontificale ou celui des excès du Saint-Office et se heurte en retour à l’exaspération face au jansénisme et au gallicanisme supposés tout-puissants. L’étude de cette négociation permet de comprendre à quel point Rome est encore un acteur des crises politico-religieuses du XVIIIe siècle français, alors même que le discours politique des deux cours reprend une rhétorique ancienne sans cesse réactivée.
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Rome, Grégoire VII, Fleury (André Hercule de), Polignac (Melchior de), Benoît XIII, Romanité, Gallicanisme, Noailles (Louis Antoine de), JansénismeKeywords:
Rome, Gregoire VII, Fleury (Andre Hercule de), Polignac (Melchior de), Benedict XIII, Gallicanism, Romanity, Noailles (Louis Antoine de), JansenismChronologie :
Première moitié du XVIIIe sièclePlan
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- 1 Les mots de Michel Antoine sont particulièrement évocateurs : les parlementaires, selon lui, « étai (...)
1Lorsque, en pleine fièvre parlementaire et épiscopale, le pape Benoît XIII permit d’insérer l’office de Grégoire VII dans le bréviaire romain, ce qui n’était peut-être que l’erreur d’appréciation politique d’un pape particulièrement pieux, apparut en France comme une provocation fort malvenue. Si Canossa n’était plus guère à l’ordre du jour que dans l’imagerie gallicane1, l’exaltation publique de son héros crispa un peu plus les positions des uns et des autres, ce qui ne facilita pas la tâche de Fleury, au moment même où l’on trouvait avec Rome un accommodement pour le cardinal de Noailles. Voltaire, quelques années plus tard, fit de l’épisode une anecdote amusée :
- 2 Voltaire, article « Grégoire VII », Dictionnaire Philosophique, Paris, Lequien, 1829, vol. 5, p. 14 (...)
On a donné depuis un beau titre à notre Grégoire ; on l’a fait saint, du moins à Rome. Ce fut le fameux cardinal Coscia qui fit cette canonisation sous le pape Benoît XIII. On imprima même un office de saint Grégoire VII, dans lequel on dit que « ce saint délivra les fidèles de la fidélité qu’ils avaient juré à leur empereur ». Plusieurs parlements du royaume voulurent faire brûler cette légende par les exécuteurs de leurs hautes justices ; mais le nonce Bentivoglio, qui avait pour maîtresse une actrice de l’opéra, qu’on appelait la Constitution, et qui avait de cette actrice une fille qu’on appelait la Légende, homme d’ailleurs fort aimable et de la meilleure compagnie, obtint du ministère qu’on se contenterait de condamner la légende de Grégoire, de la supprimer et d’en rire2.
- 3 Décret du 13 juillet 1684 qui condamne le volume de l’Histoire ecclésiastique comprenant les disser (...)
2Au milieu du xviie siècle, Alexandre VII avait déjà établi, pour les basiliques de Rome, l’office de saint Grégoire VII, canonisé par Grégoire XIII en 1584, sans toutefois l’insérer dans le Bréviaire romain. Déjà, des voix nombreuses s’étaient élevées contre cette mise en avant de Grégoire VII, dont Richer, Bossuet et Noël Alexandre qui s’était même attiré une condamnation de la part d’Innocent XI3. Cependant, en 1705, aucun trouble n’avait entouré la concession du privilège de célébrer l’office de saint Grégoire accordée par Clément XI aux ordres de Cîteaux et de Saint-Benoît. C’est bien le décret de la Congrégation des Rites du 25 septembre 1728, par lequel Benoît XIII ordonna d’insérer la fête de saint Grégoire VII à la date du 25 mai, au missel et au bréviaire, qui fixa la légende du saint et enjoignit à toutes les Églises du monde de la célébrer, qui déclencha les plus vives polémiques, dans un contexte de tension accrue par l’éclat du récent concile d’Embrun.
- 4 « Contre les tentatives impies de l’empereur Henri, [le pape Grégoire VII] s’est montré, en toutes (...)
3C’est surtout le contenu même de la légende tel qu’il est fixé par le pape qui rencontre l’indignation générale. Une formule en particulier va être jugée par de nombreux évêques comme, un peu plus tard, par le Parlement de Paris, comme une atteinte aux maximes françaises les plus ancrées dans leur esprit, d’autant plus qu’elle réveille le souvenir encore douloureux de la condamnation de la 91e maxime de Quesnel contre les excommunications4.
- 5 Albane Pialoux, Négocier à Rome au XVIIIe siècle. Ambassade et ambassadeurs du Roi Très Chrétien da (...)
- 6 Melchior de Polignac (1661-1741) était à la fois un courtisan habile, un habitué des arcanes de Rom (...)
4Dans le cadre d’une étude plus vaste concernant la négociation française en cour de Rome pendant les pontificats de Benoît XIII, Clément XII et Benoît XIV5, il est apparu que cette affaire n’avait pas encore été éclairée sous l’angle des relations entre la France et la Cour de Rome. Agitation des évêques, crispations parlementaires, mandements, arrêts et tentatives d’intervention du ministère sont connus, mais les tractations, les échanges acerbes et les tentatives de pressions sur le pape le sont beaucoup moins. C’est l’objet de la présente enquête, qui, à partir de l’étude des dépêches diplomatiques, mais aussi des autres correspondances échangées entre Paris et Rome, vise à comprendre de quelle façon l’initiative politiquement malhabile d’un pape peu rompu à la diplomatie constitua l’une des « grandes affaires » de la mission diplomatique du cardinal de Polignac, alors chargé des affaires du roi à Rome6 depuis 1724 : comment calmer la situation, comment amener le pape à un « silence apaisant » qui constitue l’objectif principal de la politique romaine du cardinal de Fleury ? L’affaire de la messe de Grégoire VII permet de saisir au plus haut point la grande difficulté de la tâche des diplomates français en Cour de Rome : parvenir à réduire le pape au silence au nom des libertés gallicanes sans passer à Rome pour les défenseurs ni des appelants ni des parlementaires, arracher au pontife un texte pacificateur sans que celui-ci apparaisse à Paris comme un motu proprio ni une ingérence honnie.
- 7 Arrest de la Cour du Parlement portant suppression d’une feuille imprimée commençant par ces mots : (...)
- 8 Laurent-François Boursier, Requête d’un grand nombre de curez de la ville faubourg et banlieue de P (...)
5Avant d’approfondir les arguments des uns et des autres et le rôle des diplomates français, dressons une rapide chronologie des étapes du conflit : le 20 juillet 1729, le Parlement de Paris supprime la feuille contenant la légende7. Le 14 septembre suivant, des curés de Paris dénoncent cette même légende dans une requête à leur archevêque8. Le 30 septembre, l’évêque de Troyes, Jacques-Bénigne Bossuet, publie un long mandement destiné à interdire sa récitation. Il est suivi par les évêques de Montpellier, Metz, Castres et Verdun. De leur côté, les Parlements de Dijon, Rennes, Metz et Toulouse se prononcent dans le même sens. Le pape riposte en annulant par un bref les arrêts des Parlements et par trois autres brefs les mandements des évêques d’Auxerre, Montpellier et Metz. Le Parlement de Paris supprime ces brefs le 23 février 1730, deux jours après la mort du pape. Finalement, Clément XII, nouvellement élu, abandonne la partie, même si la légende est maintenue dans la liturgie romaine. Lors du lit de justice du 4 mars suivant, la bulle Unigenitus est déclarée loi de l’État.
- 9 Sur la difficulté à comparer le jansénisme du XVIIe siècle et celui du XVIIIe, voir Jean-Louis Quan (...)
6Les tensions entraînées par cet événement permettent de creuser la question de l’interférence entre sphère politique et sphère religieuse, mais aussi de mieux comprendre la réalité des relations entre la France et Rome, en montrant à quel point les préjugés politiques réciproques, construits depuis le xvie siècle, continuent d’opposer dans des discours virulents maximes romaines et gallicanisme soupçonneux. Il s’agit d’abord de saisir en quoi cette crise réactive de part et d’autre la crispation sur la défense des « maximes romaines » et des « maximes françaises », dans le contexte particulier des années 1720-1730, qui voit se nouer le rapprochement entre jansénisme et gallicanisme9, tout au moins dans l’esprit des adversaires communs des deux mouvances. Comment, alors, négocier avec le pape pour tenter de calmer la crise depuis Rome ? Le cardinal de Polignac n’a pas une grande marge de manœuvre pour conduire une négociation ardue. Enfin, ce dossier nous permet également d’aborder la question de l’étroit lien entre les décisions romaines et leurs répercussions dans l’Europe entière, celui, en somme, d’une théorie des climats appliquée à la diplomatie.
« L’objet de Rome a toujours été la monarchie universelle. Est-ce le climat ? Est-ce le terroir ? Est-ce la fatalité ? »10
- 10 Archives du Ministère des Affaires étrangères (désormais MAE), Correspondance Politique, Rome, 702, (...)
- 11 Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Bruxelles, 1878, p. 415 et sq.
- 12 Le point de plus sensible était la décision de faire d’Unigenitus une règle de foi.
7L’indignation de Prosper Guéranger, lorsqu’il évoque la messe de Grégoire VII, n’est pas inutile pour cerner le cœur de la question. En affirmant qu’il était alors temps que la voix du Saint-Siège apostolique se fît entendre, il explique que l’Église a eu de tout temps, dans sa liturgie, un « moyen de répression contre les entreprises téméraires qu’on a osées sur sa doctrine ou contre son honneur »11. De son point de vue, Benoît XIII eut donc l’intention de faire un contrepoids aux envahissements du gallicanisme dangereusement aigri par le jansénisme et utilisa pour cela l’une des seules armes dont il disposait de plein exercice, hors du domaine politique. La querelle se noue autour d’un objet qui n’est pas exactement un point de doctrine ni de liturgie proprement dite, mais qui relève bel et bien de la prérogative romaine. La difficulté vient essentiellement de ce que cette prérogative touche ici à la limite entre spirituel et temporel, dans la mesure où les lectures obligatoires le jour de l’office font explicitement référence à la soumission de l’empereur Henri IV devant la puissance pontificale. Si les armes traditionnelles de Rome sont déjà émoussées en ce deuxième quart du siècle, il faut toutefois noter d’emblée – on y reviendra –, la persistance du soupçon gallican sur toute parole venue de Rome, y compris par le biais du bréviaire. Il suffit de rappeler à quel point Paris s’émut préventivement et finalement à tort lorsqu’elle crut à une tentative du même Benoît XIII pour donner une valeur universelle aux décisions du concile provincial de Rome en 172512.
- 13 Voir l’article fondamental de Bruno Neveu, « Juge suprême et docteur infaillible : le pontificat ro (...)
- 14 Henri Grégoire, Essai historique sur les Libertés de l’Eglise gallicane, Paris, 1818, p. 98 : « Au (...)
- 15 MAE, C. P., Rome, 694, f° 47, Polignac à Chauvelin, 15 juillet 1728.
8Dès lors, la crise fait réapparaître de façon exacerbée le vieux conflit entre maximes romaines et maximes françaises, ravivé par les appels et maintenu très actuel par les suites difficiles de l’accommodement entre Rome et le défunt cardinal de Noailles. Il était en effet inéluctable, dans ce contexte, de voir surgir la question de l’infaillibilité pontificale13, à la rencontre de ces deux forces, jansénisme et gallicanisme évoquées plus haut, ce qui est visible dans le discours des appelants14 comme dans celui des constitutionnaires. Polignac soulignait déjà très clairement ce danger d’amalgame dès 1726 : il dénonçait ce qu’il appelait « l’artifice des appelants », qui « a toujours été de mêler si bien leur mauvaise cause avec celle de nos libertés qu’ils pussent faire croire aux simples qu’on ne saurait attaquer ni défendre l’une sans attaquer ou défendre l’autre »15. Pour le cardinal, « cela fait qu’on y est autant offensé de nous voir soutenir ou avouer nos sentiments, que de voir les autres blâmer la Constitution ».
- 16 Lettre de M. l’évêque de Montpellier, au Roy, au sujet de la légende de Grégoire VII, s. l. n. d. [ (...)
- 17 « Travailler, Sire, à vous faire perdre l’indépendance de votre Couronne, à rompre, ou du moins à a (...)
- 18 « V. M. l’aurait-elle crû, Sire, que pendant qu’elle emploie toute sa puissance à faire recevoir da (...)
- 19 Monique Cottret, Jansénismes et Lumières. Pour un autre XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, p (...)
9Les évêques qui publient des mandements vigoureux contre la légende déploient tout à fait ce type d’arguments. C’est le cas de Charles-Joachim Colbert de Croissy, évêque de Montpellier, qui, outre son mandement, rédige en décembre 1729 une lettre adressée au roi16 dans laquelle il justifie sa réaction par le grand risque couru par le pouvoir royal : en imposant la légende, c’est-à-dire en obligeant les fidèles à entendre l’éloge d’un pape ayant fait plier un empereur, autrement dit en les habituant à l’idée d’un pouvoir temporel soumis, dans son propre domaine, à une autorité originellement spirituelle, la papauté a lancé une « conspiration d’autant plus dangereuse, qu’elle se présente sous les dehors de la piété »17. Pour mieux mettre en valeur ses arguments qui visent à faire partager la crainte d’un « nouveau Canossa », l’évêque convoque ce qu’il considère comme un précédent, la Ligue18, de la même façon que les gallicans parlementaires évoqués par Michel Antoine : « la querelle médiévale rejaillit à Paris et l’empereur trouve des défenseurs au xviiie siècle »19.
- 20 Majella, ou Mayella sous la plume de Polignac, était alors secrétaire des Brefs aux Princes et avai (...)
- 21 MAE, C. P., Rome, 702, f° 235-236, Polignac à Chauvelin, 27 novembre 1729.
10L’idée d’infaillibilité apparaît bien comme un écueil que l’ambassadeur doit absolument éviter de rencontrer en ne donnant jamais prise à une interprétation d’un texte en ce sens, ce qui renforcerait les prétentions romaines tout en déclenchant un tollé en France. Cette crainte, que l’on aurait pu croire amoindrie, d’un empiétement de Rome sur l’autre puissance, revient fréquemment dans les dépêches, bien au-delà de la seule affaire Grégoire VII. C’est le cas par exemple au moment de l’examen par Rome d’un mandement du nouvel archevêque de Paris, Vintimille, qui tente de poursuivre l’acceptation de la Constitution entamée dans son diocèse lors des derniers moments du cardinal de Noailles, tout en évitant de froisser les réticents. Le cardinal Mayella20, chargé de rédiger une réponse à l’archevêque, est tout à fait conscient de la nécessité de peser chaque mot : il lui faut satisfaire le prélat sans blesser la délicatesse de Rome sur ses maximes, l’encourager mais pas trop, sinon « la France dira qu’on veut attaquer ses maximes, établir l’infaillibilité du Pape, dégrader l’épiscopat et renouveler peu à peu les anciennes querelles »21.
- 22 Sylvio de Franceschi (dir.), Antiromanisme doctrinal et romanité ecclésiale dans le catholicisme tr (...)
11Au moment du conclave suivant, qui se produit dès 1730, les cardinaux de Rohan, de Polignac et de Bissy reçoivent des instructions pour élire un pape « moins animé de profiter des circonstances malheureuses pour établir les ambitieuses maximes du Saint-Siège qu’occupé du soin de soutenir la religion ». Polignac écrit sur ce point une page tout à fait remarquable parce qu’elle condense en quelques lignes le point de vue de la France sur la Cour de Rome : l’on y retrouve tous les griefs accumulés depuis Louis XIV, d’un côté une volonté de monarchie universelle, de l’autre la tentation de l’infaillibilité spirituelle qui déborde sur le temporel22.
- 23 MAE, C. P., Rome, 702, f° 204, Polignac à Chauvelin, 3 novembre 1729.
12« L’objet de Rome a toujours été la monarchie universelle. Est-ce le climat ? Est-ce le terroir ? Est-ce la fatalité ? », commence Polignac23. Le cardinal dénonce un esprit général de la cour de Rome qui, si elle avait les forces nécessaires, « irait aussi loin dans le temporel, que l’ancienne république » : « faute de ces moyens, elle y tend par la religion ». Réduite par la force des choses à se limiter au domaine religieux, Rome prend ceux qui ne se soumettent pas à son autorité absolue pour des ennemis, comme dans un conflit politique. Plus encore, représentant Dieu lui-même, maître suprême et unique, tantôt rédempteur, tantôt créateur, elle prétend avoir en main toute l’autorité sur tous les hommes : dans la foi, point de partage avec l’Église, dans le droit des gens, point de partage avec les souverains, maximes dont Rome « renouvelle en toute occasion ses efforts pour les établir ». Face à un tel édifice, les puissances européennes et, en leur sein, ceux qui résistent peu ou prou, ont le choix entre lui complaire, lassés, ou bien la traverser à demi, ou bien encore, ne rien lui passer et risquer l’affrontement. C’est d’après Polignac la position française, fondée sur la reconnaissance de la « véritable grandeur » de Rome : « Pour nous, qui ne lui passons rien sans y mettre un obstacle, et qui reconnaissons en elle sa véritable grandeur et voudrions qu’elle s’en contentât, nous pouvons toujours compter sur son estime, et jamais sur son amitié ».
13Dans le cadre des négociations qu’il doit mener, le cardinal chargé des affaires du roi doit donc batailler ferme contre les plus fervents promoteurs de ces maximes, au nom, là encore, des ancestrales maximes gallicanes. Si le débat oppose une rhétorique à une autre, un vocabulaire à un autre, il va lui falloir essentiellement brider cette éloquence pontificale, guidé par Fleury qui, lui, tente de retenir les élans du Parlements comme des évêques.
Le rôle du ministre français : calmer la crise, éloigner le pape du Saint-Office.
- 24 MAE, C. P., Rome, 702, f° 56-61, Fleury à Polignac, Paris, 19 juillet 1729 : « Les principes les p (...)
14Dès le début des tensions en France, Polignac est tenu au courant des événements et, le 19 juillet 1729, soit la veille du premier arrêt du Parlement, Chauvelin lui écrit pour le prévenir de l’imminence de cet arrêt. Ce faisant, il livre une belle leçon de la manière de mener le Parlement en lui laissant plus ou moins d’initiative selon les affaires en cause. En l’occurrence, les récriminations du Parlement paraissent à Fleury suffisamment légitimes pour ne pas chercher à les faire taire : autant, en d’autres occasions, « on est attentif et ferme à le retenir sur des choses sur lesquelles il serait vif si on le laissait agir, et sur lesquelles on le retient pour le bien de la paix et de la religion »24, autant, ici, « il faut convenir qu’il est en droit de demander qu’on le laisse éclater sur choses aussi intéressantes pour le maintien des lois les plus saintes et les plus conformes à l’autorité royale ». Face aux maximes romaines, le ministre français n’a d’autre choix que de défendre encore une fois les maximes gallicanes. Mais il affirme que la date même de l’arrêt aurait été concertée à l’avance entre les parlementaires et les ministres, et déterminée par la date du courrier ordinaire à destination de Rome, afin que le cardinal en soit informé préalablement et prépare donc le pape à l’annonce officielle, avant même l’éclat, rendu inévitable par la publicité de l’affaire.
- 25 MAE, C. P., Rome, 702, f° 148, Polignac à Chauvelin, 19 septembre 1729.
- 26 C’est, quelques années plus tard, le point de vue du Président de Brosses et de ses interlocuteurs (...)
- 27 MAE, C. P., Rome, vol. 702, f° 78, Polignac au garde des Sceaux, 11 août 1729 : « Les entreprises d (...)
15Dès ce moment, Polignac va devoir se lancer dans une médiation difficile, afin d’éloigner le pape des zelanti les plus radicaux accusés de l’entretenir « dans ses idées chagrines »25. La stratégie, comme souvent, est d’accabler en priorité le Saint-Office, voire quelques-uns seulement de ses membres, sans attaquer de front le pape ou ses ministres26. On retrouve alors dans le discours politique français des accents très anciens d’hostilité à une Congrégation où elle n’est jamais parvenue à disposer d’une vraie influence et qu’elle continue à stigmatiser, au point que le parlement apparaît même, aux yeux de Polignac, comme un garde-fou indispensable aux menées du Saint-Office. C’est le point de vue et la ligne de conduite qu’il adopte tout au long de l’affaire. Quelques mois plus tard, au tout début du pontificat de Clément XII, Polignac comme Fleury chercheront à prouver au pape et à son neveu qu’ils se méfient particulièrement du Saint-Office sans paraître penser que le pape puisse adhérer à leurs supposés excès. Pendant plusieurs mois, les lettres échangées par Chauvelin, Fleury et Polignac comportent donc toutes un long développement sur les pensées et attitudes du Pape, des cardinaux membres du Saint-Office27.
- 28 MAE, C. P., Rome, 702, f° 85, Polignac au garde des Sceaux, 18 août 1729.
- 29 Ibid.
16Polignac décrit avec précision les arguments successifs utilisés par ces derniers pour agir sur l’esprit facilement impressionnable de Benoît XIII. Il combat « à outrance » « contre le zèle des principaux du Saint-Office, qui s’est rallumé plus que jamais »28 . Leur premier argument est celui de la défense d’une cause qui doit être d’autant plus chère au pontife qu’il s’agit de sa propre volonté, remise en cause. Plus encore, ils font entendre au pape qu’il a lui-même allumé ce feu en insérant l’office dans le Bréviaire romain sans leur demander leur avis : en le blâmant implicitement de son imprudence, ils font ressortir combien leur appui lui est maintenant bienvenu et absolument nécessaire : « voilà comme ils l’animent contre vous en le blâmant de son imprudence, après l’avoir indirectement et sous main fait donner dans le piège qu’ils lui tendaient », conclut Polignac. Les cardinaux Fini et Olivieri, envoyés auprès du pape pour faire valoir leur point de vue, « ont si bien fait qu’ils lui ont renversé la tête, et le pauvre Pape ne fait que gémir de l’injure atroce qu’il s’imagine que la France vient de lui faire » : non seulement la France lui refuse le droit de régler le Bréviaire, mais elle attribue ce droit à des juges laïques et rejette un saint qui est dans le martyrologue. Toutes ces choses, fausses, l’empêchent, selon Polignac, d’examiner clairement le problème en le dissimulant sous ces phrases emportées. Enfin, le cardinal s’est vu lui aussi menacé, puisqu’il a été question de rompre tout commerce avec la France, de rappeler le nonce, et de s’en tenir fermement aux maximes romaines les plus strictes, en soutenant « la thèse du pouvoir des Papes sur les rois », ce qui n’est pas sans lui rappeler le temps d’Innocent XI29 : tant d’excès lui paraissent venir de la volonté délibérée de « brouiller irréconciliablement » Rome et la France, puisque l’on est allé même jusqu’à lui dire qu’il ne pouvait plus avoir de commerce avec la France.
- 30 Pierre Marcelin Corradini, créé par Clément XI le 18 mars 1712, âgé de 51 ans. Polignac en dressait (...)
- 31 MAE, C. P., Rome, 702, f° 148, Polignac à Chauvelin, 19 septembre 1729.
- 32 Ibid. : « Comme il s’emportait fort contre les mandements de Messieurs de Metz et d’Auxerre, je lui (...)
- 33 Ibid.
17Les difficultés sont alors particulièrement vives avec le cardinal dataire, membre du Saint-Office, Corradini30, si emporté que Polignac le décrit comme le « chevalier errant du Saint-Siège », « grand ouvrier du Saint-Office »31. Les deux cardinaux ont un échange de fond, particulièrement vif, dont Polignac rapporte en détail les arguments : de son côté, il s’agit de démontrer que l’affaire a finalement profité aux jansénistes en leur donnant une cause supplémentaire à défendre32. Face à lui, Corradini va jusqu’à se demander si, au fond, l’ampleur de la polémique n’est pas elle-même un piège des jansénistes français, et soutient l’absolue nécessité d’une réaction romaine à une atteinte à ses « prétentions ». Sans grand espoir de vaincre son interlocuteur, Polignac se réjouit lorsque, à force de contradiction, il parvient à le ralentir. C’est à cette occasion qu’il remarque que dans cette affaire et selon les principes du Saint-Siège, « le Pape a droit sur toutes les couronnes de l’univers mais qu’il n’en a point sur la daterie »33.
- 34 MAE, C. P., Rome, 702, f° 242, Chauvelin à Polignac, 6 décembre 1729. La lettre poursuit en évoquan (...)
18Dans ces conditions et la tension s’accroissant avec l’annulation par le pape des brefs des évêques, Polignac voit se préciser sa mission, dotée dorénavant d’un moyen de pression qui n’est pas très éloigné d’une forme de chantage. En effet, le parlement n’étant pas resté sans réaction devant ces rebuffades à répétitions, le chargé d’affaires doit faire valoir au pape à quel point le roi, tout en n’étant pas loin de partager son indignation, veut lui plaire en maîtrisant son parlement et en l’empêchant de répondre trop vigoureusement aux brefs. La lettre que Chauvelin écrit à Polignac pour lui expliquer sa propre mission est tout à fait explicite sur ce point : la réaction des parlementaires est à la hauteur des attentes. Comme le ministère avait craint des incidents, les gens du roi avaient reçu ordre de ne rien faire sans ordres, mais le parlement veut absolument agir contre les mandements des évêques qui s’insurgent contre celui de l’évêque d’Auxerre. Au sommet de l’État, le problème est plus que délicat tant les intérêts sont liés, et Chauvelin l’exprime ainsi : « les instances du parlement pour agir, ont été d’autant plus vives, qu’elles sont fondées sur un zèle qu’on ne peut désapprouver »34.
- 35 MAE, C. P., Rome, vol. 702, f° 78, Polignac au garde des Sceaux, 11 août 1729 : « En effet, après t (...)
19De fait, les brefs pontificaux qui condamnent les mandements des évêques contre la légende de Grégoire VII, même s’ils sont mesurés, « portent leur effet sur des mandements qui contiennent nos maximes les plus incontestables ». Le roi se trouve donc pris entre accepter une réaction violente de son parlement et des évêques appelants, au risque de passer pour faible à l’égard des jansénistes35, et accepter une intervention pontificale qui va à l’encontre de toutes les maximes gallicanes. La politique de Fleury, comme toujours, est de calmer le jeu : l’avocat général Gilbert de Voisin reçoit donc, le 3 décembre 1729, l’ordre d’annoncer que le roi souhaite que le parlement suspende toutes ses démarches. À Polignac, il est donc ordonné de bien faire entendre au pape qu’il s’agit là d’un grand gage de bonne volonté de la part du roi, « pour contenir tous les esprits les plus échauffés, et à qui dans le fonds l’on ne peut savoir mauvais gré, de vouloir conserver des maximes aussi essentielles pour la monarchie ». Il doit également assurer que cette mesure ne peut mettre en péril l’autorité même du roi, et que celui-ci ne pourra pas longtemps brider ainsi le désir de son peuple de lui exprimer son attachement : la menace d’une grave crise avec le parlement est ainsi exprimée dans les formes, comme le fait pour le roi de « ne plus se refuser aux vœux d’une nation, plus jalouse qu’aucune autre, du respect et de la soumission qu’Elle doit à son Roy ». Le cardinal doit absolument insister sur la tension qui règne dans le royaume et l’état de fureur de toutes les cours du royaume, tout en stigmatisant, comme toujours, les « esprits échauffés » qui attisent les tensions. Polignac doit absolument trouver les mots pour convaincre le pape, sinon le Saint-Office, adversaire trop incompatible, que la politique pacifique de Fleury n’est en rien une politique faible ou hostile à Rome, mais qu’il ne faut pas oublier le contexte de politique intérieure. Le négociateur doit donc insister sur tous les actes du ministre qui prouvent ce souci de paix et ce respect pour Rome, injonction aux parlements ou interdiction d’imprimer et de diffuser les supplications et remontrances éventuelles, pour ne pas attrister le pape qui s’était ému de voir publié l’arrêt sur la légende. Chauvelin formule ainsi cette politique hautement acrobatique :
Il n’était pas possible de ne pas laisser faire au Parlement son devoir, mais il était juste de ne pas lui laisser faire d’une manière contraire aux ménagements que nous voulons bien avoir pour la Cour de Rome, dans l’espérance qu’Elle en aura pour nous. Il restera donc dans les registres secrets du Parlement des monuments de son zèle contre un Bref qui ne pouvait être toléré.
20Cependant, il ne suffit pas de montrer au pape la bonne volonté du roi, il faut aussi, dans la négociation, ne pas négliger d’avoir recours à des menaces à peine voilées : les choses sont dans une telle situation, qu’il faut faire craindre au pape que le roi ne rende au parlement la liberté qu’il a suspendue : ainsi « ce que l’on permettra au Parlement dépendra dorénavant de la conduite même que tiendra la Cour de Rome, et c’est ce que Votre Éminence sera plus capable que tout autre de lui faire fortement sentir ».
21Dès lors, cette tension se trouve de plus en plus dirigée contre le pape lui-même, et Polignac est autorisé à hausser le ton. A partir du mois de novembre 1729, les dépêches de la cour sont à la fois des comptes rendus de la situation en France, des ordres à Polignac pour qu’il se montre ferme et de longues analyses sur la façon qu’a Rome de profiter de la situation pour faire ressortir ses maximes. Les propos se font plus vifs et plus directement tournés contre le pape. « Il est bien certain que nous pouvons moins douter que jamais des vues suivies et ambitieuses de la cour de Rome », écrit Chauvelin : livrée à ses seuls principes, Rome suit son objet sans se soucier des intérêts politiques qui pourraient l’empêcher de se lancer dans des démarches trop outrées. Au contraire, voyant la France divisée et l’un des parti souhaitant son concours, elle imagine que les circonstances lui sont favorables : mais, assure le ministre, « c’est assurément où elle s’abuse ». Le ministère est convaincu, de son côté, du soutien des évêques, qui ne sauraient, in fine, que faire primer le gallicanisme régalien sur toute fidélité romaine. L’idée est que Rome est allée trop loin dans les sanctions apportées aux mandements des évêques hostiles, dans le fond comme dans la forme, et que les seuls qui gagneront vraiment quelque chose dans l’affaire seront les jansénistes qui verront leurs propres idées triompher en France, ou plutôt, non pas leurs idées mais leur attitude défiante envers Rome :
- 36 MAE, C. P., Rome, 709, f° 226, Chauvelin à Polignac, 22 novembre 1729.
Il ne fallait peut-être pas moins que l’excès où l’on a voulu porter les mesures ultramontaines ; mais, enfin, le Seigneur l’a permis, et la vivacité trop excessive de la cour de Rome a fait la sûreté des principes que nous devons soutenir. Il est bien vrai que cette cour prépare par là un triomphe au parti des jansénistes et c’est ce qui afflige véritablement ceux qui ne désirent avec raison que la justice et le maintien de la plus saine doctrine. 36
- 37 MAE, C. P., Rome, 702, f° 252, Polignac à Chauvelin, Rome, 15 décembre 1729 : « son mauvais acharne (...)
- 38 MAE, C. P., Rome, 702, f° 234-235, Polignac à Chauvelin, Rome, 24 novembre 1729.
22De fait, l’action, ou le manque d’action, du pape complique singulièrement une situation déjà bien délicate. Le terme de « faute » apparaît même sous la plume de Polignac37. En effet, au même moment, une autre affaire vient interférer avec celle-ci, parce qu’elle touche aux mêmes enjeux : il s’agit des premières mesures prises par le nouvel archevêque de Paris pour régler définitivement auprès de ses diocésains la question du cardinal de Noailles en publiant un mandement récapitulatif affirmant l’adhésion du diocèse aux maximes romaines. Bien entendu, ce mandement, parce qu’il veut essentiellement apaiser les tensions, ménage les uns et les autres et comprend quelques formules que Rome ne trouve pas assez fermes. Or, cette fois, le pape est personnellement visé dans son manque de rigueur pour séparer et régler ces tensions, à Paris et à Rome. Dans l’unique passage chiffré d’une lettre à Chauvelin, Polignac se laisse aller à des formules très vives, que l’on ne trouve pas si souvent dans ses dépêches. Il vient de raconter un entretien qu’il a eu avec le cardinal Lercari à ce sujet dans lequel il a fait valoir que le nouvel archevêque s’était montré très prudent et très respectueux du Saint-Siège en ne publiant rien contre les leçons de Grégoire VII, alors que plusieurs de ses curés le poussaient violemment à le faire, et malgré le besoin qu’il avait du parlement pour affermir sa nouvelle autorité. Ce silence était une attention notable, pour ne pas déplaire au pape et ne pas mêler deux affaires qui « s’entrenuisent si manifestement »38. Sévir contre l’archevêque serait pour le pape une faute politique, et une action contre ses propres intérêts. C’est la réponse de Lercari qui fait l’objet du passage chiffré, dont la teneur est bien différente de ce à quoi s’attendait Polignac :
- 39 Ibid.
Savez-vous ce que me répliqua Lercari ? Je vous dis ses propres paroles : « Le Pape est comme un enfant, j’ay honte de le dire, mais vous le connaissez aussi bien que moi. Il faut l’assurer par des présents. Si M. l’archevêque de Paris lui avait envoyé quelque chose, Sa Sainteté ne songerait plus à son premier Bref, et lui écrirait tout ce qu’on voudrait sur le mandement. Ce que vous voyez qu’Elle accorde à droite et à gauche, ou d’engagement qu’Elle prend pour le tiers et pour le quart, n’est fondé que sur ces bagatelles. » Malheureusement, Lercari ne dit que trop vrai ; rien n’est plus méprisable que cette faiblesse. Je l’ay souvent dit, mais en la condamnant, pourquoi n’en profiterait-on pas tandis que le bonhomme vit encore, et qu’il se porte bien ?39
- 40 MAE, C. P., Rome, 702, f° 249-251, Polignac à Chauvelin, Rome, 8 décembre 1729.
23Cette fois, c’est bien Benoît XIII qui est attaqué directement et apparaît comme un pontife imprévisible, soumis à un caractère faible et influençable. À plusieurs reprises, Polignac va donc batailler contre la volonté papale d’écrire et, pire, de publier un Bref au sujet du mandement de l’archevêque de Paris. Sans cesse, il va demander que l’on distingue les différentes affaires pour ne pas donner prise aux jansénistes qui, justement, ne demandent qu’à mêler des enjeux décidément voisins. Là encore, c’est essentiellement à Corradini que Polignac se heurte, même s’il n’a de cesse de presser tous les cardinaux influents ; ce sont ses heurts avec le cardinal dataire qu’il retranscrit le plus longuement dans ses lettres, avec quelques dialogues particulièrement vifs. Au sujet de l’archevêque de Paris, il se heurte au refus d’évoquer l’affaire, car « Sa Sainteté avait tellement sur le cœur l’arrêt prononcé contre les leçons de Grégoire VII, qu’elle n’était occupée d’autre chose ». Pour la première fois, Corradini lui concède que Fleury ne pouvait guère agir avec plus de vigueur, mais il fallait bien que Rome publiât quelque chose, pour « repousser l’insulte des laïques »40. « Il sera bien temps, réplique Polignac, quand vous aurez tout gâté. Savez-vous ce que vous faites ? Ce que fait un médecin qui saigne dans la crise. Vous tuerez le malade, et voilà tout. » Ce faisant, il lui présente tout ce qu’un décret du Saint-Office pourrait donner comme armes affûtées aux jansénistes, mais n’obtient que des promesses d’adoucir le plus possible les termes employés et de choisir les formules les plus vagues possibles.
- 41 MAE, C. P., Rome, 711, f° 31, Polignac à Chauvelin, Rome, 12 janvier 1730.
24Pendant cette période, tous les efforts de Polignac portent donc sur chacune de ces deux affaires et sur leur imbrication inévitable. Au total, en janvier 1730, le pape publie tout de même un bref, dont certaines formules ne plaisent guère à Polignac qui s’avoue désolé de n’avoir pu mieux faire ; peu après ce bref, paraît en effet un décret dirigé contre les laïcs qui se sont mêlés de l’affaire Grégoire VII. Polignac fait alors le bilan de ses démarches auprès du Saint-Office, en reconnaissant l’appui que lui ont donné les cardinaux Lercari, Pipia, Prozia et Banchieri, après deux mois de « représentations continuelles »41.
- 42 MAE, C. P., Rome, 702, f° 228, Polignac à Chauvelin, 17 novembre 1729 : « Il vaut mieux, en toute (...)
- 43 MAE, C. P., Rome, 711, f° 129, Fleury à Corradini, Versailles, 1er mars 1730 : « J’eusse bien voulu (...)
25En somme, depuis Rome, Polignac doit à la fois s’informer pour transmettre ces informations à Versailles, tâcher de tempérer la colère du Saint-Office ou, au moins, du pape, en séparant le plus possible les deux, et anticiper une sortie de crise. Sur ce point, très vite, il lui semble d’une part que toute acceptation d’une lecture de l’office, même amputé des formules les plus polémiques, revient à une acceptation de fait de la sainteté de Grégoire VII, donc de la révérence due aux maximes romaines, d’autre part que seul le silence viendra mettre un terme à l’affaire en étouffant la crise. C’est ce qu’il formulait déjà clairement au mois de novembre 1729, alors que le Saint-Office poussait le pape à publier des brefs violents contre les mandements des évêques. Au fil des mois, apparaît dans les dépêches une sorte de théorie du silence progressif, en bref d’étouffement de l’affaire par l’une et l’autre partie, seul moyen pour chacun de camper sur ses positions sans accumuler encore les rebondissements. Il ne s’agit pas de savoir qui dira le dernier mot, mais, ce qui revient au même, mais « qui le premier ne dira mot »42. L’arrêt du Parlement du 22 février 1730 qui supprime tous les brefs pontificaux, sur proposition des gens du roi, est finalement relativement sobre, puisqu’il se contente de rappeler une position de principe fondée sur la séparation des deux puissances, et qu’il est rédigé de manière à montrer que la Cour ne pouvait pas ne pas réagir, au nom du roi, à un empiétement des prérogatives gallicanes, mais sans aller plus loin. Fleury lui-même explique même très clairement, qu’il ne pouvait pas brider davantage le parlement sous peine de passer pour « prévaricateur des droits de la couronne »43.
- 44 MAE, C. P., Rome, 700, f° 433, Crozat à Fleury Paris, 13 juillet 1729 : « Avant l’arrêt que le parl (...)
26Du reste, cette politique du silence s’étend aussi, mutatis mutandis, à d’autres univers. Ainsi, alors que Polignac tempête contre Corradini, le financier et collectionneur Pierre Crozat, s’adresse, lui, à Fleury. En effet, il avait prévu d’insérer dans un recueil une gravure réalisée à partir la fresque de Zuccerro représentant Grégoire VII et Henri IV, réalisée à la fin du xvie siècle dans la Salla Regia du Vatican. Or, dès que la crise éclate Fleury et Chauvelin s’inquiètent immédiatement de ce projet : une telle gravure a valeur de symbole fort et il n’est vraiment pas besoin de faire circuler en Europe de telles images et, là aussi, l’oubli est préférable. Au contraire, tout en acceptant bien volontiers de choisir une autre fresque, Crozat met en avant le risque qu’il peut y avoir à attirer l’attention de simples amateurs et collectionneurs d’art sur des questions religieuses et politiques, alors qu’ils n’y auraient peut-être pas pensé spontanément. En somme, le bruit répandu autour des estampes et de leur suppression risque d’être plus néfaste que la diffusion des gravures comme œuvres d’art représentant des fresques et tableaux vieux de plusieurs siècles, objets d’histoire et non de polémique contemporaine. Au contraire, la gravure ainsi mise en avant peut être transformée en symbole voire objet de propagande par les partisans de la légende, dans toute l’Europe44.
27Or, si le cas français s’est révélé particulièrement douloureux, l’affaire a précisément eu des répercussions dans l’Europe entière, ce qui lui donne une résonnance accrue et fait durer la crise. La Curie comme les diplomates sont fort conscients de cette multiplicité des tensions nées dans les autres pays, qu’il vont également mettre à profit dans leurs argumentations, soit pour montrer l’hostilité générale à la décision de Rome, soit pour souligner le cas particulièrement difficile de la France. On voit alors à l’œuvre une sorte de « théorie des climats » diplomatiques en matière de problèmes religieux.
« Chez l’empereur, on agit plus brutalement, mais on y raisonne moins ». Une théorie des climats appliquée à la diplomatie ?
- 45 Gabriel Hanotaux (éd.), Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France de (...)
- 46 MAE, C. P., Rome, 702, f° 148, Polignac à Chauvelin, 19 septembre 1729.
28La crise, dès ses débuts, touche l’Europe chrétienne en son entier, ce qui suscite très vite des comparaisons entre les différents pays et la façon dont chacun tente d’atténuer les tensions sous-jacentes ou déjà̀ manifestes, en Hollande, dans l’Empire, à Naples. Ainsi, un ordre du cabinet napolitain, du 30 mars 1729, a fait saisir les exemplaires de la légende45. Du côté français, évoquer ces autres manifestations d’une hostilité similaire permet de montrer en quoi la réaction des ministres et surtout du Parlement n’est pas différente de celle des autres pays, et combien, en revanche, l’intransigeance du Pape contre les arrêts du Parlement et les mandements des évêques peut être perçue comme injuste car réservée à la France. Dès sa première audience chez le pape pour évoquer l’affaire, Polignac insistait sur ce point en faisant allusion à la façon hostile dont Vienne avait accueilli la légende, bien plus violente la réaction de la France. La réponse du pape, confirmée par les plus zélés de son entourage, est surprenante parce qu’elle met en avant non pas tant cette violence mais l’absence d’impression et de diffusion immédiate des textes hostiles. Polignac n’a de cesse de traiter cette distinction de « pitoyable »46, mais cela lui permet surtout de mettre en avant l’injustice de la réaction de Rome, dont l’attention est toujours tournée principalement vers la France, « parce que c’est à la France qu’on en veut, comme à la seule et plus savante ennemie des maximes romaines ».
- 47 Ibid.
29La spécificité du gallicanisme, au sens large, aux yeux de Rome, ici caractérisée par la publicité donnée en France à de tels enjeux, est présentée comme une anomalie, voire une injustice inacceptable par le ministre français. Dans une conversation avec le Cardinal Corradini et d’autres membres du Saint-Office après le premier arrêt du Parlement, Polignac se voit opposer l’un des arguments auxquels les diplomates français se trouvent sans cesse confrontés. Marquant son étonnement devant ce qu’il dit être une inégalité de traitement, il demande à ses interlocuteurs pourquoi ils ne disent rien contre les remontrances bien plus vives faites à Vienne et à Naples : « ils m’ont répondu, écrit-il, que chez l’Empereur on agit à la vérité plus brutalement, mais qu’on n’y raisonne point, et que ce sont les discours en France qui déplaisent, parce qu’ils fondent ce qu’on y fait, cela veut dire parce qu’on y met la raison de notre côté »47. Cette idée du caractère français raisonneur et, en somme, d’une plus grande dangerosité de la raison par rapport à la force, participe d’un discours tout à fait classique que l’on retrouve dans la bouche et sous la plume des Romains en général et des zélés en particulier. C’est aussi pourquoi, à Rome, les ambassadeurs doivent apprendre à manier l’éclat et le coup de force autant que le raisonnement, du moins sont-ils tous unanimes sur ce point.
30Quelques années plus tard, le président de Brosses se livre à un récit de l’affaire tout à fait précis et d’autant plus intéressant qu’il est généralement admis par les commentateurs que son interlocuteur n’est autre que le cardinal Lambertini, futur Benoît XIV. Pour lui, c’est la publicité donnée à la légende par la France qui a entraîné de tels développements, alors que la discrétion impériale, sans être moins efficace dans le fond de l’affaire, réussit à limiter l’ampleur de la crise. Il rapporte un extrait d’une conversation qu’il a eue avec « un homme qui a infiniment d’esprit et de connaissances » :
- 48 Président de Brosses, Lettres à M. l’abbé Cortois de Quincey, Paris, Club des Libraires de France, (...)
Imitez les Allemands, qui gardent le silence sur ce que nous leur envoyons, quand il n’est pas de leur goût. Je puis vous citer pour exemple la légende de Grégoire VII. Le feu pape Benoît XIII était un bonhomme, fort pieux, fort faible et fort sot ; il n’avait pas de plus grand amusement au monde que de faire des saints. On lui proposa Grégoire VII, qu’il adopta tout aussitôt. Il fallut faire un office au nouveau saint dans le bréviaire […]. Le nouvel office fut envoyé dans toute l’étendue des pays catholiques. L’empereur, que la chose regardait plus personnellement que nul autre, ayant été informé de ce qu’il contenait, envoya défense à tous les évêques d’Allemagne d’en permettre la récitation ; ce qui fut exécuté sans que personne en fît désormais la moindre mention. L’on ignora ou l’on fit semblant d’ignorer à Rome l’ordre donné par l’empereur. En France, le parlement fit un éclat ; cet éclat attira quelques nouveaux mouvements de la part de la cour de Rome, qui en effet ne peut pas trop rester dans l’inaction quand elle voit condamner les choses émanées d’elle par le tribunal le plus considérable d’un royaume.48
- 49 MAE, M. D., Rome, 91, f° 454 et sq.
31En somme, pour le président de Brosses aussi, le problème vient surtout de l’éclat suscité par le Parlement, ce qu’aurait su éviter l’empereur en agissant sans plus de justification et de publicité. On retrouve les mêmes idées dans les documents diplomatiques et l’analyse portée sur les événements. En effet, dès la fin de l’année 1730, l’affaire est archivée et analysée dans les bureaux du secrétariat d’État des Affaires Étrangères, grâce aux soins de Le Dran, commis des Affaires Étrangères. On retrouve dans le dossier, outre les étapes de la crise, des pages qui s’attachent essentiellement à l’aspect international de l’affaire et à ce qui s’est passé dans chaque pays concerné. Comme à son habitude, Le Dran cite les dépêches les plus éclairantes tout en les analysant brièvement. Le titre du dossier lui-même montre bien la perspective adoptée d’emblée : « Sur la politique de la Cour de Rome à se prévaloir de la prééminence du Pape dans les choses spirituelles de la religion, pour étendre de plus en plus l’autorité directe ou indirecte de la suprématie, sur les choses temporelles dans les divers royaumes et Etats de la catholicité »49.
- 50 « Vous saurez mieux que personne faire valoir ces succès pour le bien de la Religion et faire senti (...)
- 51 Sur Utrecht et la petite Église des Pays-Bas, sur le séminaire de Rijnwick et l’abbé d’Étemare, voi (...)
- 52 Ibid. Le Cardinal de Polignac avait eu une audience du pape le 16 novembre. On voit dans sa lettre (...)
32Tout en résumant l’affaire à l’aide des dépêches, Le Dran opère un choix révélateur parmi les documents et, pour l’année 1730, sélectionne ceux qui montrent les répercussions de l’affaire dans les autres pays européens et le nouveau rôle joué par la France à l’échelle européenne et par Polignac à celle de la cour de Rome : une même fonction de médiateur. Dans les Provinces-Unies, les États Généraux ont imposé des règlements aux missionnaires catholiques, leur interdisant entre autres l’utilisation de la fameuse légende. Le Dran cite alors une dépêche de Chauvelin à Polignac : celui-ci doit obtenir du pape qu’il ne montre pas une colère trop violente qui serait malvenue si elle touchait les « véritables catholiques »50. Encore une fois, c’est l’éclat qui effraie Rome, et, même si la situation est alors différente, parce qu’il s’agit de la Hollande51, parce que le Pape est désormais Clément XII, et parce que le roi a fait recevoir, par la déclaration du 24 mars 1730, malgré le Parlement, la bulle Unigenitus comme loi du royaume, les mêmes exigences apparaissent dans le règlement du problème et le négociateur ne manque pas de rappeler au nouveau pape les tensions des mois passés. Surtout, Polignac explique que le Souverain Pontife l’a chargé de demander au roi de France sa médiation dans le conflit qui l’oppose aux États Généraux de Hollande52.
33Cet appel à la médiation française constitue pour le ministère français une victoire certaine, d’autant qu’enfin, apparaît une limite plus conforme aux vues de la France entre les domaines spirituel et temporel. Louis xv y apparaît comme le bras de la papauté, paré des armes toutes laïques de la négociation. Ainsi, le 7 décembre 1730, Polignac écrivait à Chauvelin qu’il n’était pas désagréable de voir que le Saint-Siège se recommandait à la France pour avoir une sorte de paix ou de trêve avec la Hollande sur l’office de Grégoire VII : « cette conduite des Romains fait bien voir, qu’ils ne sont pas si merveilleux qu’ils le prétendent, et qu’on leur épargnerait bien des fautes, s’ils n’étaient pas si pleins d’eux-mêmes et de leur autorité ». À Rome, il y aurait selon lui plus d’astuce que de prudence, plus d’ambition que de vrai zèle.
Conclusion
- 53 Voir aussi la déclaration de l’Assemblée du clergé de septembre 1730, qui fait remarquer au roi qu’ (...)
34L’étude de cette affaire, vue de Rome, permet donc de comprendre la permanence au xviiie siècle de l’utilisation incessante d’une argumentation fondée sur l’opposition entre « maximes romaines » et « maximes françaises », opposition en réalité réactivée sans cesse. Chaque camp dispose d’un arsenal argumentatif qui permet d’aborder tout point d’achoppement supplémentaire comme la preuve d’une persistance de l’autre dans une voie erronée suivie depuis des lustres. À Paris comme à Rome, il est bien commode de ressortir ainsi sans cesse tout un ensemble de représentations, contre toute ingérence romaine d’un côté, contre un antiromanisme politique comme ecclésiastique volontiers taxé de janséniste de l’autre. Prosper Guéranger, en se situant clairement dans l’un des partis, avait cependant bien saisi cette particularité de Rome qui peut utiliser la liturgie comme « moyen de répression », ce qui est bien le cas ici, même si l’intentionnalité du fait peut être discutée, au moins chez le pape. Si Clément XII laissa l’affaire de côté, la légende fut maintenue dans la liturgie romaine53.
- 54 « Mémoire pour servir d’instructions au sieur duc de Saint-Aignan », Versailles, 7 septembre 1731, (...)
35En 1730, la France doit bien admettre qu’elle a encore besoin de la papauté, non plus d’une papauté ferme, capable de donner l’Unigenitus, mais d’une papauté silencieuse. La tâche des diplomates français à Rome ne vise pas autre chose, obtenir du pape un silence rendu nécessaire par le contexte français, un silence qui fût apaisant à défaut d’être pleinement volontaire. L’affaire de la légende constitue assurément l’un des épisodes dans lequel la conjonction entre toutes les formes de gallicanisme se trouve la plus forte, en témoignent les discussions préalables entre le ministère et le Parlement pour concerter les arrêts nécessaires. Mais en même temps, si Fleury considéra ensuite cette crise comme particulièrement funeste, c’est précisément parce que Rome donnait ainsi des arguments imparables à ceux qui fustigeaient la permanence des ambitions romaines. L’appropriation par la France de l’Unigenitus devenue loi du royaume par la déclaration du 24 mars 1730 ne dit pas autre chose, demandant à tous la soumission due « aux jugements de l’Église universelle en matière de doctrine », alors même que le duc de Saint-Aignan, chargé de représenter le roi auprès du nouveau pontife, se voyait prier d’éviter que Rome se laisse aller à un « zèle indiscret » dans les affaires de France54.
36Cette incursion dans les dépêches diplomatiques permet elle aussi de rendre à Rome ce qui est à Rome, mais sur un tout autre plan, en plaidant pour un élargissement de la perspective jusqu’à présent adoptée pour l’étude des crises dites jansénistes et parlementaires, au-delà de la seule affaire de la légende. Au delà de la réalité ou de l’efficacité de négociations difficiles qui ne se jouent pas que dans un face-à-face entre l’ambassadeur et le pape, on peut affirmer que Rome n’est pas absente des polémiques politico-religieuses du xviiie siècle, bien au contraire.
Notes
1 Les mots de Michel Antoine sont particulièrement évocateurs : les parlementaires, selon lui, « étaient comme hantés par la menace d’un nouveau Canossa, par la résurgence d’une autre Ligue. Aveuglés par un passé mythique, ils se faisaient une vue fausse des réalités de leur temps et vivaient une sorte de rêve éveillé » (Michel Antoine, Louis XV, Paris, Fayard, 1989, p. 281).
2 Voltaire, article « Grégoire VII », Dictionnaire Philosophique, Paris, Lequien, 1829, vol. 5, p. 145-147.
3 Décret du 13 juillet 1684 qui condamne le volume de l’Histoire ecclésiastique comprenant les dissertations sur Grégoire VII.
4 « Contre les tentatives impies de l’empereur Henri, [le pape Grégoire VII] s’est montré, en toutes choses, un athlète courageux et intrépide : il n’a pas hésité à se dresser en personne comme rempart de la maison d’Israël ; et ce même Henri tombé dans un abîme de turpitudes, il l’a excommunié, dépouillé de son royaume, et il libéra les peuples qu’il avait assujettis du serment qu’ils lui avaient juré ».
5 Albane Pialoux, Négocier à Rome au XVIIIe siècle. Ambassade et ambassadeurs du Roi Très Chrétien dans la cité pontificale (1724-1757), thèse (dir. Lucien Bély), Paris IV-Sorbonne, 2009.
6 Melchior de Polignac (1661-1741) était à la fois un courtisan habile, un habitué des arcanes de Rome où il avait été auditeur de Rote et conclaviste, et un négociateur rodé, après Utrecht et la succession de Pologne. Voir Ulysse Rouchon, La mission du cardinal Melchior de Polignac à Rome (1724-1732), Paris, Honoré Champion, 1927 ; Chrysostome Faucher, Histoire du cardinal de Polignac, 1777, 2 vol. ; Pierre Paul, Le cardinal Melchior de Polignac (1661-1741), Paris, Plon-Nourrit, 1922 ; André Beucler, Melchior, marquis de Polignac, Monte- Carlo, Imprimerie monégasque, 1966 ; Lucien BÉly, « Le cardinal de Polignac, courtisan ou négociateur ? », Cahiers Saint-Simon, n°22, 1994.
7 Arrest de la Cour du Parlement portant suppression d’une feuille imprimée commençant par ces mots : Le 25 May fête de Saint Grégoire VII pape et confesseur. Du 20 Juillet 1729, Paris, Pierre Simon, 1729.
8 Laurent-François Boursier, Requête d’un grand nombre de curez de la ville faubourg et banlieue de Paris à Monseigneur l’archevêque, dans laquelle ils dénoncent le nouvel office de Grégoire VII, s. l. n. d. [Paris, 1729], 3 p. La lettre est signée par vingt-cinq curés parisiens. Sur l’implication des curés de Paris, voir Ségolène de Dainville-Barbiche, Devenir curé à Paris. Institutions et carrières ecclésiastiques (1695-1789), Paris, PUF, 2005.
9 Sur la difficulté à comparer le jansénisme du XVIIe siècle et celui du XVIIIe, voir Jean-Louis Quantin, « Avant et après l’Unigenitus : sur les mutations du jansénisme dans la France du XVIIIe siècle, in Daniel Tollet (dir.), Le jansénisme et la Franc-maçonnerie en Europe centrale aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, PUF, 2002, p. 159-182. Sur la réception des textes pontificaux en France, voir les pistes lancées par Ségolène de Dainville-Barbiche, « Autour du gallicanisme politique. La réception en France des bulles, brefs et autres expéditions de la Cour de Rome, de Louis XV à Bonaparte (XVIIIe siècle-1802) », in Jean-Louis Quantin et Jean-Claude Waquet (dir.), Papes, princes et savants dans l’Europe moderne. Mélanges à la mémoire de Bruno Neveu, Paris, Droz, 2007, p. 143-160.
10 Archives du Ministère des Affaires étrangères (désormais MAE), Correspondance Politique, Rome, 702, f° 204, Polignac à Chauvelin, 3 novembre 1729.
11 Prosper Guéranger, Institutions liturgiques, Bruxelles, 1878, p. 415 et sq.
12 Le point de plus sensible était la décision de faire d’Unigenitus une règle de foi.
13 Voir l’article fondamental de Bruno Neveu, « Juge suprême et docteur infaillible : le pontificat romain de la Bulle In eminenti (1643) à la Bulle Auctorem fidei (1794) », Mélanges de l’École française de Rome, Moyen-âge-Temps modernes, XCIII, 1, 1981, p. 215-275.
14 Henri Grégoire, Essai historique sur les Libertés de l’Eglise gallicane, Paris, 1818, p. 98 : « Au premier coup d’œil, on saisit la connexité de doctrine entre les brefs d’Innocent XI et d’Alexandre VIII, contre l’assemblée de 1682, la Proposition quatre-vingt-onze, concernant l’excommunication, censurée par la Bulle Unigenitus, et cette légende contraire aux vérités révélées qui enjoignent aux papes comme aux autres individus de la société, la soumission à l’autorité civile. »
15 MAE, C. P., Rome, 694, f° 47, Polignac à Chauvelin, 15 juillet 1728.
16 Lettre de M. l’évêque de Montpellier, au Roy, au sujet de la légende de Grégoire VII, s. l. n. d. [31 décembre 1729], 25 p.
17 « Travailler, Sire, à vous faire perdre l’indépendance de votre Couronne, à rompre, ou du moins à affaiblir les liens sacrés qui vous attachent à vos sujets : leur faire envisager qu’il y a des cas où ils ne pourraient vous regarder comme leur Roy : les obliger de rendre un culte religieux au premier pape qui a entrepris de déposer les Empereurs : leur faire trouver dans l’entreprise de ce pape la matière des actions de grâces les plus solennelles envers Dieu, voilà, Sire, ce que j’appelle conspirer contre V. M. et contre l’État ; conspiration d’autant plus dangereuse, qu’elle se présente sous les dehors de la piété. Quiconque en prévoit les suites et ne frémit pas, est déjà séduit ; et Dieu veuille que le nombre n’en soit pas grand dans un Royaume où les opinions ultramontaines font tous les jours de nouveaux progrès ! » (Ibid.).
18 « V. M. l’aurait-elle crû, Sire, que pendant qu’elle emploie toute sa puissance à faire recevoir dans son royaume une Bulle, qui y cause encore de si grands troubles, Rome dût porter l’ingratitude jusqu’à vouloir s’assujettir votre Empire, vous donner en ce qui concerne le temporel un autre supérieur que Dieu, et faire révérer sous vos yeux des maximes qui ont enfanté la Ligue, qui ont coûté la vie à deux de nos rois, et qui vous auraient enlevé l’héritage de vos pères, si Dieu pour le bonheur de la France n’avait béni les armes de Henry le Grand ? » (Ibid.).
19 Monique Cottret, Jansénismes et Lumières. Pour un autre XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 1998, p. 15.
20 Majella, ou Mayella sous la plume de Polignac, était alors secrétaire des Brefs aux Princes et avait déjà travaillé avec Polignac au sujet de l’accommodement du cardinal de Noailles. Polignac l’appréciait beaucoup et cette collaboration lui permettait de contourner le cardinal Coscia, secrétaire d’État plus que contesté.
21 MAE, C. P., Rome, 702, f° 235-236, Polignac à Chauvelin, 27 novembre 1729.
22 Sylvio de Franceschi (dir.), Antiromanisme doctrinal et romanité ecclésiale dans le catholicisme tridentin (XVIe-XXe siècles), Lyon, RESEA, coll. Chrétiens et sociétés, Documents et Mémoires n°7, 2008 et le colloque organisé par Philippe Levillain et l’Institut Universitaire de France, « Rome, l’unique objet de mon ressentiment ». Le territoire disputé de l’Eglise de Rome, de la « gifle » d’Agnani (1303) à la controverse de Ratisbonne (2006), Paris, 3-4 octobre 2008, actes à paraître. Sur la notion de romanité, voir Yves Congar, « Romanité et catholicité. Histoire de la conjonction changeante de deux dimensions de l’Église », Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, t. LXXI, 1, 1987, p. 161-190. Voir aussi Hilaire Multon et Christian Sorrel (dir.), L’idée de Rome : pouvoirs, représentations, conflits. Actes de la XIIe Université d’été d’histoire religieuse, Rome, 10-15 juillet 2003, Chambéry, 2006.
23 MAE, C. P., Rome, 702, f° 204, Polignac à Chauvelin, 3 novembre 1729.
24 MAE, C. P., Rome, 702, f° 56-61, Fleury à Polignac, Paris, 19 juillet 1729 : « Les principes les plus certains et les plus sûrs sont trop ouvertement attaqués dans ces leçons pour que le Parlement eût pu les laisser échapper à son juste zèle pour la consommation des maximes. (…) L’on eut pourtant souhaité n’être pas obligé de faire l’éclat d’un arrêt, et d’abord la suppression secrète des exemplaires avait paru suffire ; mais il s’était distribué un si grand nombre de ces feuilles, elles avaient été imprimées dans tant de villes différentes, que tout le royaume en est inondé. Il s’agit d’ailleurs de faire connaître aux personnes qui disent le Bréviaire romain, et qui se croient obligées d’y insérer cet office, quelle est et quelle doit être sur cela leur soumission aux ordres du Roy, qui ne peut consentir à de pareilles leçons. Il n’y avait donc pas moyen de ne pas rendre publique la volonté du roi, et on ne le pouvait autrement ; l’on a seulement toute l’attention possible pour que cela se fasse dans les termes les plus modérés et les plus doux qu’il sera possible ; l’on a empêché que cela se fît avant cet ordinaire-cy afin que S. E. en soit prévenue et puisse en parler auparavant au Pape et à qui Elle jugera à propos ».
25 MAE, C. P., Rome, 702, f° 148, Polignac à Chauvelin, 19 septembre 1729.
26 C’est, quelques années plus tard, le point de vue du Président de Brosses et de ses interlocuteurs romains : « Il est vrai que pour la légende de Grégoire VII, qui a fait tant de bruit, il n’y a aucun dessein marqué de la part du pape. Elle ne fut point faite dans le temps de la canonisation ; c’était une ancienne légende qui depuis longtemps se récitait en Sicile, par les moines de son ordre. La faute n’a été que de l’avoir adoptée trop légèrement, sans examiner d’assez près tout ce qu’elle contenait » (Lettres du Président de Brosses, Paris, Mercure de France, 1986, vol. 2, p. 206).
27 MAE, C. P., Rome, vol. 702, f° 78, Polignac au garde des Sceaux, 11 août 1729 : « Les entreprises du Saint-Office, ou pour mieux dire, de 4 ou 5 cardinaux qui le mènent par la terreur, ne manqueraient pas de causer à la fin de très grands maux à l’Eglise et à la France, si on n’y opposait de temps en temps une autorité capable de les réprimer […]. Il est inutile de songer à leur plaire, on ne les contentera jamais par des oeuvres que la prudence aura suggérées. Il faut les imiter pour en être loué ».
28 MAE, C. P., Rome, 702, f° 85, Polignac au garde des Sceaux, 18 août 1729.
29 Ibid.
30 Pierre Marcelin Corradini, créé par Clément XI le 18 mars 1712, âgé de 51 ans. Polignac en dressait un portrait un peu plus nuancé dans un mémoire sur les cardinaux papables en 1729 : « Sa droiture, son désintéressement, sa régularité, son zèle pour la justice et pour le bien public, son application et son expérience auraient fait de lui un homme tout propre à remplir le 1er siège de l’Eglise, s’il était plus traitable dans les affaires, plus soumis à la raison, et s’il ne voulait pas emporter de hauteur tout ce qu’il veut, mais il est naturellement si brusque, et il devient tous les jours avec l’âge si difficile et si rude, que les grands et les petits en sont rebutés » (MAE, C. P., Rome, 702, f° 141).
31 MAE, C. P., Rome, 702, f° 148, Polignac à Chauvelin, 19 septembre 1729.
32 Ibid. : « Comme il s’emportait fort contre les mandements de Messieurs de Metz et d’Auxerre, je lui demandai s’il comprenait à présent l’avantage que ce nouvel office donnait aux adversaires de la bonne cause et s’il était prudent de l’augmenter par de nouvelles fautes ? Il m’avoua que ce qu’il voyait lui faisait naître la pensée que c’étaient les jansénistes qui avaient tendu le piège au Pape, afin de le mettre aux prises avec la France, et de se sauver dans le désordre. ‘Faites-le donc cesser’, lui dis-je, ‘et ne servez pas vos ennemis’. ‘Mais nous ne voulons pas perdre pour cela notre prétention’, ajouta-t-il. Je lui répliquai, ‘Vous voulez donc les servir’ ».
33 Ibid.
34 MAE, C. P., Rome, 702, f° 242, Chauvelin à Polignac, 6 décembre 1729. La lettre poursuit en évoquant une autre affaire, voisine, qui constitue en quelque sorte une seconde épée de Damoclès au dessus de la Curie, celle des quatre-vingt docteurs de Sorbonne exclus qui « ont présenté une requête pour être reçus appelants d’une conclusion qui nomme des commissaires pour faire rendre à la Constitution la soumission qui lui est due ». L’affaire a été arrêtée par les gens du roi, mais Chauvelin menace Rome de lui laisser libre cours.
35 MAE, C. P., Rome, vol. 702, f° 78, Polignac au garde des Sceaux, 11 août 1729 : « En effet, après tout ce que les jansénistes ont si souvent publié qu’eux seuls défendaient l’inébranlable fidélité que les sujets du roi lui doivent, contre les attentats de Rome tant de fois éprouvés, pouvait-on rien faire ici de plus extravagant, que de confirmer cette prétention injurieuse, en introduisant au milieu du Royaume parmi les prières d’obligation, des maximes qui font croire qu’en effet cette Cour n’a d’autre vue que celle qui lui est imputée ? La ligue ne commença-t-elle pas sur l’unique fondement qu’Henry III ménageait trop les hérétiques et ne portait pas avec tant de zèle que Charles IX l’intérêt de la religion ? ».
36 MAE, C. P., Rome, 709, f° 226, Chauvelin à Polignac, 22 novembre 1729.
37 MAE, C. P., Rome, 702, f° 252, Polignac à Chauvelin, Rome, 15 décembre 1729 : « son mauvais acharnement à vouloir soutenir la faute qu’il a faite de publier sans réflexion et sans conseil les leçons de Grégoire VII ».
38 MAE, C. P., Rome, 702, f° 234-235, Polignac à Chauvelin, Rome, 24 novembre 1729.
39 Ibid.
40 MAE, C. P., Rome, 702, f° 249-251, Polignac à Chauvelin, Rome, 8 décembre 1729.
41 MAE, C. P., Rome, 711, f° 31, Polignac à Chauvelin, Rome, 12 janvier 1730.
42 MAE, C. P., Rome, 702, f° 228, Polignac à Chauvelin, 17 novembre 1729 : « Il vaut mieux, en toute manière, quelque chose qu’on fasse icy pour soutenir une si mauvaise gageure, que l’affaire tombe dans l’oubli […]. Cette guerre ne finira point par la considération de celle que vous avez à soutenir contre les réfractaires mais seulement par le silence réciproque, et la question est de savoir qui le premier ne dira mot ».
43 MAE, C. P., Rome, 711, f° 129, Fleury à Corradini, Versailles, 1er mars 1730 : « J’eusse bien voulu empêcher le Parlement de relever ce dernier Bref, mais après en avoir conféré plusieurs fois et disputé contre M. premier Président et les gens du Roy, je n’aurais pu m’opposer à ce qu’ils demandaient sans passer pour prévaricateur des droits de la Couronne et l’indépendance de nos rois ».
44 MAE, C. P., Rome, 700, f° 433, Crozat à Fleury Paris, 13 juillet 1729 : « Avant l’arrêt que le parlement vient de prononcer, personne n’aurait pu prévoir qu’il pût y avoir quelque inconvénient à faire paraître l’estampe de cette peinture ».
45 Gabriel Hanotaux (éd.), Recueil des instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu’à la Révolution française. XX. Rome. Tome troisième (1724-1791), Paris, Alcan, 1913, p. 52, n. 1.
46 MAE, C. P., Rome, 702, f° 148, Polignac à Chauvelin, 19 septembre 1729.
47 Ibid.
48 Président de Brosses, Lettres à M. l’abbé Cortois de Quincey, Paris, Club des Libraires de France, 1958, p. 204-205.
49 MAE, M. D., Rome, 91, f° 454 et sq.
50 « Vous saurez mieux que personne faire valoir ces succès pour le bien de la Religion et faire sentir combien il est important de se conduire avec beaucoup de ménagement dans un pays où le gouvernement est si jaloux de ce qu’il croit intéresser les droits et l’exercice de sa souveraineté » (Ibid, f°457). Le Dran (1730) : « Sur ce qui s’est passé à Rome, par rapport aux placards publiés en Hollande les 20 et 21 septembre 1730 à l’occasion de la légende de Grégoire 7 ». Le Dran cite ici une lettre du Chauvelin au cardinal de Polignac du 21 septembre 1730.
51 Sur Utrecht et la petite Église des Pays-Bas, sur le séminaire de Rijnwick et l’abbé d’Étemare, voir Pontien Polman, Katholiek Nederland achttiende Eeuw, Hilversum, Paul Brand, 1968, 3 vol. ; J. A. G. Tans, « L’influence des jansénistes français en Hollande », Revue des sciences religieuses, t. XXXIX, 1965, p. 268-284. Sur ces problématiques vues à travers le parcours de l’abbé d’Étemare, voir Bruno Neveu, « Port-Royal à l’âge des Lumières. Les Pensées et les Anecdotes de l’abbé d’Étemare (1682-1770) », Érudition et religion aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Albin Michel, 1994, p. 277-331.
52 Ibid. Le Cardinal de Polignac avait eu une audience du pape le 16 novembre. On voit dans sa lettre du 23 novembre sur ce qui s’y était passé, ce qui suit : « Le pape me parla de ce que les Etats de la Province de Hollande ont fait contre la légende et du trouble que cette affaire lui causait […]. Je fis remarquer à Sa Sainteté, que si Elle usait de rigueur dans cet engagement, il n’y aurait bientôt plus en Hollande que des prêtres ennemis du Saint-Siège. Elle m’assura que sa résolution était d’user dans cette conjoncture de tout le ménagement possible et de fermer les yeux à beaucoup de choses pour empêcher un plus grand mal. Sur le fondement de cette modération, le pape me témoigna souhaiter ardemment qu’il plût au roi de l’assister en Hollande, et d’y employer son crédit pour faire en sorte que les choses ne fussent pas poussées si vivement contre la Cour de Rome ».
53 Voir aussi la déclaration de l’Assemblée du clergé de septembre 1730, qui fait remarquer au roi qu’aucun évêque n’a adopté la légende ni n’en a permis l’usage dans son diocèse (Collection des Procès-verbaux des Assemblées générales du clergé de France depuis l’an 1560 jusqu’à maintenant, Paris, Desprez, 1774, t. VII, p. 1074).
54 « Mémoire pour servir d’instructions au sieur duc de Saint-Aignan », Versailles, 7 septembre 1731, reproduit dans Gabriel Hanotaux (dir.), Recueil des instructions, op. cit., p. 90.
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Référence papier
Albane Pialoux, « « Savez-vous ce que vous faites ? Ce que fait un médecin qui saigne dans la crise » », Chrétiens et sociétés, 18 | 2012, 67-90.
Référence électronique
Albane Pialoux, « « Savez-vous ce que vous faites ? Ce que fait un médecin qui saigne dans la crise » », Chrétiens et sociétés [En ligne], 18 | 2011, mis en ligne le 17 juillet 2012, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/2973 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.2973
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