Les avis des membres du Conseil des Bâtiments civils relatifs aux constructions de temples protestants et à leur esthétique (XIXe siècle)
Résumés
Le Conseil des Bâtiments Civils, créé en 1795, donne un avis sur les projets de construction de temples. On constate que beaucoup de projets sont médiocres. Mais les membres du comité bannissent également les décorations, ne voyant les temples que comme des auditoires, ce qui explique l’aspect très simple, sans grande ornementation, de la plupart des temples.
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1Les archives propres au domaine des « bâtiments civils » forment une masse considérable, entrée et cotée en vagues successives aux Archives nationales. Une simple consultation du tome II de l’État général des fonds en donne la distribution par groupes de cotes, et fournit un aperçu évocateur de l’ampleur de cette documentation, homogène et présente, malgré des lacunes (1895-1930), jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle. Plusieurs thèses n’en feraient pas le tour, et de nombreux colloques, depuis une quinzaine d’années, ont mobilisé les historiens et historiens d’art sur les multiples aspects du travail des rapporteurs en charge d’un secteur sans cesse renouvelé, celui de l’architecture publique civile et religieuse.
- 1 Voir Jeannine Charon-Bordas, Les sources de l’histoire de l’architecture religieuse aux Archives na (...)
2Il vaut la peine de se lancer à la recherche des avis techniques, mais aussi esthétiques, du Conseil des Bâtiments civils portant sur la construction des temples protestants, au moment où renaît un type de bâtiment longtemps banni du sol français, qui reprend rang dans la famille des objets d’architecture soumis au contrôle de l’administration, puisque les temples appartiennent eux aussi aux « bâtiments civils », créés ou recréés en France après la signature par Napoléon du Concordat du 15 juillet 1801 et des lois organiques du 18 germinal an x [8 avril 1802] redonnant au judaïsme et aux confessions chrétiennes issues de la Réforme du xvie siècle (réformée et luthérienne) droit de cité, et droit de culte public1.
Le Conseil des Bâtiments civils
- 2 Le premier registre des séances du Conseil des Bâtiments civils est commencé le décadi 20 frimaire (...)
3Les tourbillons de la Révolution de 1789, et leur œuvre de destruction ou de redistribution de bâtiments ne sont pas apaisés, quand est créé, en 1795, comme un conseil de sages dont le patrimoine français aurait bien besoin, le Conseil des Bâtiments civils. Il est placé, au départ, sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, entre les mains de trois architectes de renom2, Jean-Baptiste Rondelet, Jean François Thérèse Chalgrin, et Alexandre Théodore Brongniart, tous anciens pensionnaires de l’Académie de France à Rome, prix de Rome, ou membres de l’Institut. Leurs successeurs seront invariablement choisis parmi les mêmes représentants reconnus et confirmés de l’art de l’architecture.
Ill. 1 : Archives nationales-Paris : les registres de délibérations du Conseil des Bâtiments civils (série F/21)
© Martine Plouvier
4L’accès aux registres des délibérations du Conseil demandait, jusqu’à une période récente, un temps considérable (Ill. 1). Depuis plusieurs années, un projet d’indexation dans une base de données était à l’étude entre les Archives nationales, l’Université (Paris IV-Sorbonne), le CNRS (Centre André Chastel, sous la responsabilité de Mme F. Boudon), l’Inventaire général, et l’Institut national de l’histoire de l’art (INHA). Ce projet a abouti en juin 2009, avec la mise à la disposition du public de la base CONBAVIL, accessible sur internet sur le site de l’INHA, dans laquelle sont dépouillés, au sein des 66 premiers registres, 26 900 dossiers soumis au Conseil entre 1795 et 1840. Après cette date, l’écriture et de nombreux ajouts ou phrases barrées au crayon rendent les dépouillements presque impossibles. Ceux qui existent peuvent encore être améliorés (certains temples clairement protestants ont été rangés dans la rubrique « temples païens ») mais la base CONBAVIL n’en constitue pas moins un moyen d’accès très précieux et très efficace au travail des membres du Conseil.
5La consultation cependant ne peut pas se limiter à cette seule série. À côté des registres de délibérations existent en effet les archives des Bâtiments civils (série F 13), une série fermée qui ne va pas au-delà de 1848, dont les dossiers ont été largement dépecés au profit des collections figurées de la Section des Cartes et plans (série N des Archives nationales), mais néanmoins encore riche de documents témoins des périodes transitoires de la Révolution, du Premier Empire, et de la Restauration.
Ill. 2 : Gironde : façade du temple de Bordeaux par Corcelles, 1832, calque (F/13/540)
© Martine Plouvier
Ill. 3 : Gironde : façade est du temple de Bordeaux par Corcelles, 1832, calque (F/13/540)
© Martine Plouvier
Ill. 4 : Gironde : vue latérale du temple de Bordeaux par Corcelles, 1832, calque (F/13/540)
© Martine Plouvier
Ill. 6 : Gironde : plan avec distribution des pièces du temple de Bordeaux (F/13/540)
© Martine Plouvier
- 3 Arch. nat., F 21 / 2528.
- 4 Arch. nat., F 13 / 540 : Ministère du Commerce et des Travaux publics. Gironde, construction d’un t (...)
6Prenons l’exemple du temple de Bordeaux (Gironde) construit en 1832 (Ill. 2 à 8). Son architecte, Arnaud Corcelles (1765-1843), également auteur des temples de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) et de Clairac (Lot-et-Garonne) est en lutte ouverte avec le Conseil, dont les archives permettent de mesurer à la fois le poids et les limites. Le Conseil3 prend acte que l’architecte n’a tenu aucun compte de ses avis, et les documents de la direction des Bâtiments civils4 contenant la protestation du Conseil auprès du ministre explicitent mieux encore les dissensions :
Paris, le 8 mai 1832
Un projet de temple destiné à l’exercice de la religion protestante à Bordeaux avait été soumis le 13 janvier dernier au Conseil des Bâtiments civils qui avait représenté que les motifs de la construction de cet édifice auraient dû être énoncés ; […] que sous le rapport de la salubrité, il eût été convenable que des celliers au-dessus desquels devaient s’établir les localités accessoires du temple, telle que la salle d’assemblée du consistoire, les écoles, […] fussent séparés par une cour, du bâtiment principal.
Le Conseil avait fait observer que d’après la grande largeur de l’enceinte du temple, il serait nécessaire de consolider les murs par des dosserets intérieurs sous toutes les fermes, que les lanternes projetées dans le haut de la voûte ne suffisaient pas pour éclairer le temple et y renouveler l’air, qu’il serait plus convenable de percer des croisées dans les murs latéraux ; qu’un plafond qui faciliterait le percement de ces croisées serait plus avantageux que la voûte proposée […]
Quant au devis, le Conseil a remarqué qu’il n’était pas accompagné des détails estimatifs prescrits par les instructions ministérielles, ni d’explications suffisantes sur plusieurs parties des constructions.
D’après ces observations, vous avez décidé M. le Ministre, que le projet serait renvoyé aux autorités locales pour être modifié, complété, et soumis ensuite avec le PV d’adjudications, à votre approbation. Mais au lieu d’opérer les changements, l’architecte a fait un mémoire pour défendre son projet. Il maintient la largeur du temple par la nécessité de satisfaire au programme qui exige un espace suffisant pour contenir 500 personnes. Il repousse l’établissement de croisées latérales et du plafond proposés par le Conseil et persiste à préférer la voûte percée de trois lanternes qui procureront, dit-il, une lumière suffisante et des moyens de ventilation que l’on n’obtiendrait pas avec des croisées ouvertes sur les côtés. Il répond à la demande d’isolement que, s’il n’a pas séparé du bâtiment principal les celliers qui sont contigus, c’est que le consistoire a exigé la conservation de ces celliers dont il tire un revenu qui lui est indispensable. Enfin il déclare que son projet n’est que la reproduction de celui qu’il a fait exécuter à Clairac (Lot-et-Garonne) et dont les dispositions ont été généralement approuvées […]
Le mémoire de l’architecte n’a pas fait changer l’opinion du Conseil… Le projet sera renvoyé aux autorités locales […]
Commentaire d’une autre main : J’appelle toute votre attention sur cette affaire ; veuillez prendre des mesures pour que des intérêts d’amour propre individuel ne prévalent pas sur l’intérêt public et n’occasionnent pas plus longtemps des retards que les esprits prévenus imputent à une intervention également utile à la société et à la bonne pratique de l’art.
7Cependant le xixe siècle est long et foisonnant, et en 1840-1848, le régime royal est sur le point de s’achever. Le Second Empire, ses pompes et ses ors, ses personnalités et ses idées, ses principes et ses réalisations sont à rechercher dans d’autres sources succédant aux registres premiers ou les complétant, puisque le Conseil exerce toujours les mêmes responsabilités, quelle que soit son institution de rattachement (ministère de l’Intérieur, du Commerce et des Travaux publics, ministère d’État ou de la Maison de l’Empereur, ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts…).
- 5 Arch. nat. F 21 / 6381 à 6390 (de 1860 à 1931). À noter que le Conseil est compétent également dans (...)
- 6 Arch. nat. F 21 / 1839 à 1844 (de 1822 à 1875) et F 21 / 6392 à 6430 (depuis 1857).
- 7 Arch. nat. F 21 / 6501 à 6544 (à partir de 1870).
8Dans les archives provenant de ce dernier ministère (série F 21) sont également conservés, par exemple – et pour autant le tour complet des sources n’est pas ici exhaustif – pour différentes décennies du xixe siècle, aussi bien les ordres du jour du Conseil des Bâtiments civils5 que les procès-verbaux originaux des séances6 avec le brouillon des avis exprimés, ou les rapports classés par département7.
- 8 Arch. nat. F 21 / 1875 à 1908 (classement par départements).
9Le Conseil, réunion d’architectes à Paris, ne pouvait discuter les projets soumis par des communautés de toute la France, que sur pièces. Indispensables, les devis, plans cotés, élévations, détails de façades, idées de sculptures, ou croquis, devaient fonder la réalité des futures réalisations. Ils étaient étudiés, critiqués, voire refaits complètement, crayon à la main, par le rapporteur ou ses collègues, de leur propre initiative ou sur demande, et forment dans les archives du Conseil un ensemble conséquent et parlant de grand intérêt8 (Ill. 9).
10De plus, comme le xixe s. ne connaît pas la séparation des Églises et de l’État, il est tout à fait logique de trouver dans les archives des cultes reconnus (série F 19) des cotes relatives aux temples protestants, au même titre que celles concernant des églises catholiques, et ce d’autant plus que le Conseil des Bâtiments civils n’était pas le seul à exercer sa vigilance dans le domaine des constructions religieuses, cathédrales, évêchés, séminaires, presbytères, écoles, temples, ou synagogues.
Ill. 9 : Archives nationales-Paris : les boîtes de calques et dessins classées par départements (série F/21)
© Martine Plouvier
Les autres instances, sœurs et concurrentes
11La vitalité de la renaissance religieuse française du xixe s. est indéniable : un quart des églises sont alors bâties ou fortement remaniées, la plupart des temples renaissent de leurs cendres. Malgré des tâtonnements, plusieurs instances de contrôle sont mises en place par le gouvernement, souvent avec les mêmes hommes, parfois avec des responsabilités très proches ou trop semblables, pour veiller, toujours avec sérieux et conviction, au bon usage des initiatives et des ressources.
12Ainsi, en même temps que sont mis en place les architectes diocésains, le 7 mars 1848 est créée la Commission des Arts et édifices religieux, qui réunit Charles Frédéric Cuvier, un luthérien (1803-1893), Henri Labrouste, Prosper Mérimée, Léon Vaudoyer (1803-1872), et Viollet-le-Duc, puis qui fera appel à Félix Duban (1797-1870), Hippolyte Fortoul (1811-1856), et d’autres experts selon les besoins, comme Victor Ruprich-Robert ou Charles Auguste Questel (1807-1888).
- 9 Arch. nat. F 19 / 4544.
- 10 Arch. nat., bibliothèque historique, Cultes 190 : ouvrage de l’un de ses membres, Anatole de Baudot(...)
13Elle se réunit 186 fois jusqu’à sa disparition le 10 mars 1853. Ses délibérations sont conservées9 et comportent des décisions principalement, mais pas uniquement, financières ; la Commission veille aux économies, à la solidité et à la sobriété des bâtiments cultuels, elle est particulièrement attentive aux charpentes et aux voûtes, aux clochers et aux flèches10 comme le laisse entendre sa délibération du 20 novembre 1851 relative au temple de Montilly (Orne), dossier rapporté par Victor Ruprich-Robert :
La façade […] gagnerait à être simplifiée […] L’examen de ce travail suggère à plusieurs membres quelques autres observations. Ainsi la hauteur du temple sous plafond paraît trop peu considérable eu égard à la largeur. On ne voit rien qui nécessite la construction du clocher en avant-corps. Le style de l’édifice semble d’ailleurs peu satisfaisant et son aspect extérieur serait plutôt celui d’un monument funéraire que celui d’un temple. En résumé, la Commission est d’avis qu’il y a lieu de demander une nouvelle étude. (142e séance, F 19 / 4544).
14Elle ne garde pas les documents figurés joints aux dossiers, qu’elle renvoie au Conseil des Bâtiments civils, mais elle n’en partage pas moins avec lui des préoccupations de bon sens, de bonne gestion, voire de bon goût, qu’elle exprime exactement de la même façon, mesurée et argumentée.
- 11 Arch. nat. Ibid. Par exemple, le 1er juillet 1851, conclusion au rapport de M. Daly sur le temple d (...)
15Dès le 9 juin 1848, sa décision est prise d’aider les « consistoires » protestants, ces entités que la loi organique liée au Concordat a fait renaître, et qui doivent compter au moins 6 000 âmes ; le 5 juin 1851, la commission émet l’avis qu’il conviendrait de proposer aux communes des projets de temples « tout dressés », tant les dossiers qu’elle reçoit lui paraissent médiocres11 :
La Commission émet l’avis qu’il y a lieu de promettre également un secours pour la reconstruction du temple de Chauray [Deux-Sèvres]. Elle conseille de régulariser le plan de la sacristie et de faire deux portes au lieu d’une seule qu’indique le travail de l’architecte.
L’imperfection que la commission a fréquemment eu lieu de remarquer dans les projets analogues à ceux qui viennent de l’occuper suggère à un membre la pensée que, pour éviter d’avoir soit à autoriser des constructions mal conçues, soit à en faire indéfiniment retoucher les plans avec peu de chances d’obtenir par là des améliorations, il conviendrait peut-être que l’Administration eût à proposer aux communes des projets tout dressés.
Il n’a point oublié que l’adoption d’une pareille mesure pour les églises catholiques a paru présenter assez d’inconvénients pour que l’on n’ait pas cru devoir en accueillir la proposition ; mais il croit que, pour les édifices du culte protestant, dont les dispositions comportent un caractère beaucoup moins arrêté, ce système ne saurait avoir les mêmes inconvénients.
Il voudrait donc que l’Administration fît étudier quelques projets de temples qui, par la diversité de leurs proportions et de leur importance, pussent convenir à des populations plus ou moins riches, plus ou moins nombreuses.
Ces types qu’il ne s’agirait d’ailleurs nullement d’imposer aux communes, pourraient être une ressource précieuse à leur offrir dans le cas où les projets présentés par elles annonceraient de la part de leurs auteurs, une insuffisance notoire de capacité ou d’expérience.
Cette opinion paraît obtenir l’assentiment de la commission » (131e séance, F 19 / 4544).
16Il n’en sera rien fait, mais on voit bien l’envie des membres de ces commissions de fournir des modèles, moins pour imposer une « pensée unique » que pour aplanir des difficultés liées à une culture architecturale jugée fort limitée, surtout en province. Nul ne sait d’ailleurs ce qu’auraient fait les protestants, si individualistes, de modèles ainsi imposés.
- 12 Arch. nat., F 19 / 4546 (1853-54) à F 19 / 4556 (1878-79). Sous la cote F 19 / 4552 (1864 à 1868) p (...)
17En mars 1853, la Commission des arts et édifices religieux est remplacée par le Comité des Inspecteurs généraux des édifices diocésains, et ce sont encore une fois les mêmes hommes qui se sont déjà lancés, dès 1837, dans la reconnaissance, l’inventaire et la restauration des Monuments historiques. S’il peut y avoir divergence de vues, il n’y a pas vraiment conflit d’intérêts, les divers conseils œuvrant dans une même direction12 et se complétant parfaitement.
- 13 Bibliothèque de l’INHA : « Souvenirs des la Commission des Arts et édifices religieux (1849-1855) e (...)
18En revanche, des différences « d’écoles » aptes à susciter quelques controverses esthétiques, se laissent percevoir : autant le Conseil des Bâtiments civils semble fidèle dans les recommandations qu’il prodigue aux modèles inspirés par l’art antique et le néo-classicisme (frontons triangulaires, colonnades sans sculptures, formes géométriques simples, carré, rectangle, style sobre), autant la Commission des arts puis celle des Inspecteurs généraux cherche, non sans quelque romantisme, plus de fantaisie et de liberté dans l’imitation de l’art médiéval, roman (le concept est de l’époque) ou mieux encore, gothique, dont un homme influent comme Viollet-le-Duc, père de l’éclectisme, fera l’expression même du « génie du christianisme » et plus particulièrement du « génie français ». Sur la durée, on peut peut-être voir là un conflit de générations13.
19Les revues d’architecture, et certaines publications imprimées par nature largement diffusées, véhiculent le message de ces architectes, de mieux en mieux formés.
- 14 Arch. nat., bibliothèque historique, Cultes 170 : Gourlier, Biet, Grillon et feu Tardieu : « Choix (...)
20Voici ce que déclare le rapport de la section Architecture de l’Académie royale des Beaux-Arts du 11 mars 1837, publié en tête de l’ouvrage de Gourlier, Biet, Grillon et feu Tardieu14, recueil en deux volumes illustrés de lithographies soignées et détaillées, où figurent les temples de Marseille (1826) et d’Orléans (1836) :
[…] On sait qu’en général, les projets de construction des édifices publics qui doivent s’élever en France sont préalablement soumis à l’examen du Conseil des Bâtiments civils qui, après les avoir approuvés ou modifiés, donne son avis motivé dans un rapport adressé au Ministre qui, d'après cet avis, accorde ou refuse son autorisation.
Un calque et un relevé des devis et projets approuvés restent déposés aux archives du Conseil des Bâtiments civils pour que l’on puisse s’assurer de l’exactitude apportée à l’exécution des plans […]
Le nombre des édifices publics de tous genres érigés en France depuis le commencement de ce siècle étant considérable, les archives du Conseil offrent un riche dépôt qu’il aurait été d’autant plus utile de pouvoir consulter que tous les matériaux précieux qu’il renferme sont, en quelque sorte, le résumé des convenances locales et administratives, mûrement méditées d’après les besoins des services divers, et peuvent être considérés comme des documents devant servir de programme et de guide dans les cas analogues qui se présentent.
MM. Gourlier etc. voyant avec peine que tant de plans d’édifices exécutés, dont les dispositions pouvaient devenir d’une si grande utilité, étaient, pour ainsi dire, enfouis dans les archives en pure perte pour l’art, ont eu l’heureuse idée de prier M. le Ministre de vouloir bien les autoriser à faire un choix dans ces nombreux dessins, pour en former un corps d’ouvrage qui, répandu par la publication, deviendrait un titre de gloire pour la France et ne pourrait manquer d’exciter un intérêt général…
D’après l’examen de l’ouvrage… la section se plaît à reconnaître que la plupart des édifices dont se compose le premier volume sont remarquables, soit par leur belle disposition, soit par une distribution convenable ou par un caractère bien approprié à leur destination. Elle considère ces heureux résultats comme le fruit de la bonne direction donnée à l’enseignement dans les écoles et comme un témoignage satisfaisant de l’état de l’architecture en France…
Signé Percier, Fontaine, Huyot, Vaudoyer, Debret, Leclère, Guénepin, Le Bas.
Les avis du Conseil : forme et contenu
21Obligatoirement consulté dans la chaîne administrative qui relie la commune ou communauté, le sous-préfet ou le préfet, et le Ministère de tutelle, le Conseil des Bâtiments civils est sollicité pour donner des avis qui font autorité et déclenchent ou non les subsides.
22La première remarque qualitative sur leur contenu est que nul jugement de valeur n’est porté sur tel ou tel type de construction, cathédrale, église catholique de campagne, temple protestant, ou synagogue. En cela, les délibérations sont justes et équilibrées, aucun culte n’est favorisé ni défavorisé, alors même que l’architecture de ces bâtiments comporte des différences notoires, ne serait-ce qu’en matière de décoration, ou en poids relatif dans le paysage. Dans leur expression, les avis sont très homogènes, d’un bout à l’autre du siècle.
23La seconde constatation est relative aux aspects des constructions pris en compte dans les délibérations du Conseil, qui rendent la récolte en jugements d’ordre esthétique assez mince : le Conseil en effet porte son attention en premier lieu sur les données objectives qui rendent le bâtiment utilisable : son emplacement dans la ville ou le bourg, son emprise au sol et sa surface en fonction des assemblées qu’il doit abriter, ses proportions, ses chances de durer, sa solidité, l’emploi judicieux ou non, de matériaux si possible locaux, l’épaisseur des murs, suffisante pour qu’il n’y ait pas d’accidents, la pente raisonnable des toits ; toutes choses qui devraient aller de soi, mais qui sont difficiles à contrôler pour peu qu’il manque des documents, des plans, des détails, des relevés, faits par des hommes de l’art, pas forcément savants mais suffisamment compétents. Le Conseil supporte mal les élucubrations douteuses ou pharaoniques d’architectes auto-proclamés et qui plus est, susceptibles !
F/21/2478 p. 475 : temple de Dieulefit (Drôme).
24 août 1809.
(Temple de 24,70 m hors œuvre sur 15 m de largeur. 4 murs supportant un comble à deux égouts. Trois portes sur la face principale et une sur chaque côté).
Un plafond de 15 mètres ou 46 pieds ne peut exister ! L’élévation étant contre toutes les règles de l’art, il y aurait lieu de prier Son Excellence le Ministre de l’Intérieur d’en faire tracer un autre par un architecte instruit. Cette nouvelle élévation donnerait plus de caractère à ce temple […]
24La pénurie d’architectes dignes de ce nom ne fait pas de doutes et se fait sentir longtemps. L’école des Beaux-Arts, héritière de l’Académie royale d’architecture, toute tournée vers le Grand Prix annuel dit de Rome, qui fonctionne, à Paris, depuis 1807 au collège des Quatre-Nations (Institut) formera les plus grands noms de la discipline, mais ce n’est pas, à l’époque, le chemin suivi par les entrepreneurs du fond des provinces françaises, et l’apparition d’hommes de l’art dans les départements n’est pas encore monnaie courante. Quelques artisans locaux (Dandé, maçon à Aigues-Mortes) géomètres (Rouvière à Uzès en 1818, Bergier à La Motte-d’Aigues dans le Var en 1814) ou ingénieurs des Ponts et chaussées sollicités par les communautés, ne semblent guère faire le poids aux yeux des membres du Conseil lorsqu’ils s’adonnent à l’architecture : Charles Etienne et Léon Durand, père et fils, qui deviennent pourtant des « spécialistes » des temples dans le Gard, Granget à Blauzac en 1818, Guillaume Grulet à Calvisson en 1817-1818 et à Valleraugues en 1819, Pierre Etienne Morin au Chambon, comme Jobert à Mulhouse en 1831, reçoivent beaucoup de critiques mais guère de compliments.
25Voici quelques-uns des avis du Conseil :
F/21/2502 p. 11 : temple d’Aiguevives (Gard)
19 avril 1819. Rapport de Gisors.
Devis de restauration de 5280 F. …Travail qui dénote un homme inhabile. Nombreux défauts de cette composition qui, ne pouvant inspirer aucune confiance, lui fait proposer de renvoyer tout au préfet pour le faire recomposer par un homme de l’art. Le Conseil des Bâtiments civils croit nécessaire que M. le Préfet confie ce projet à un architecte qui, pour sa recomposition, pourra s’éclairer des observations contenues dans ce rapport.
F/21/2502 p. 57 : temple de Châtillon-sur-Loire (Loiret)
28 juin 1819. Rapport de Gourlier.
Temple à construire dans un bâtiment acquis à cet effet. Projet si peu satisfaisant qu’après une courte analyse et malgré la modique dépense de 3676 F le Conseil ne peut s’empêcher de renvoyer à une nouvelle étude.
F/21/2511 p. 2 : temple de Camarez (Aveyron)
4 juin 1821. Rapport de Gisors.
(Construction d’un temple dans un petit jardin adossé à une petite montagne, ouvert sur une rue à forte pente).
[…] Production qui annonce l’impéritie absolue de son auteur (M. Rivemale) en fait d’architecture. Comme il y a lieu de douter que dans le département de l’Aveyron, on puisse trouver un homme moins inhabile dans cet art, auquel on peut confier la rédaction d’un autre projet, et que l’on est autorisé à penser que M. Rivemale, qui d’ailleurs peut être un fort bon entrepreneur, n’entendrait pas bien de simples indications qui lui seraient données par écrit pour l’aider à produire une composition moins médiocre, je joins au présent une esquisse qui pourra mieux le guider […]
- 15 Arch. nat., Procès-verbaux du Conseil des Bâtiments civils, 21 mars 1862 (F 21 / 6397).
26Le dossier d’un bâtiment peut faire plusieurs allers-retours entre les divers intervenants, et les délibérations du Conseil témoignent, même à une époque éloignée de ses premiers avis, de la continuité de ses décisions. Ainsi en est-il pour le temple de Mulhouse, pour lequel le Conseil déjà consulté en 1814 et 1832, prend en 186215 la délibération suivante :
Le Conseil des Bâtiments civils, après avoir entendu M. Gilbert
Vu les pièces au dossier
Vu les plans
Considérant que toutes les modifications demandées au projet par suite des observations faites dans un premier examen par MM les Inspecteurs généraux des édifices diocésains sont justifiées soit par les exigences du service, soit par les nécessités de construction ou de salubrité, soit enfin par les convenances de donner à un édifice de cet ordre une apparence monumentale et de lui assurer la durée qu’il comporte,
Considérant néanmoins que malgré les modifications considérables qu’auront à subir les dispositions primitives, l’architecte a cru pouvoir se dispenser de faire une nouvelle étude de son projet et qu’il s’est seulement contenté de produire la façade postérieure qui manque complètement d’harmonie avec la façade principale, et dans la décoration de laquelle il a introduit une richesse outrée,
Considérant qu’au point de vue du goût et de la dépense, le style ogival ne pouvait que gagner à être traité avec plus de simplicité,
Est d’avis
Que le projet dont il s’agit, avec les rectifications demandées par MM les Inspecteurs généraux des édifices diocésains peut être adopté en principe, mais qu’il sera nécessaire qu’une nouvelle étude des façades et des dispositions intérieures soit produite avant l’exécution des travaux conformément aux indications tant du présent avis que du rapport de M. Gilbert.
27Il renvoie le devis au contrôle.
28Évidemment, lorsque un membre du Conseil, exaspéré, a lui-même tracé l’esquisse d’un nouveau projet à la place d’une proposition de temple défectueuse, les délibérations sont courtes. Ainsi en est-il pour le temple de Jarnac :
F/21/2508 p. 191 : temple de Jarnac (Charente-Inférieure)
22 mars 1821. Rapport de Grillon.
(Construction d’un vestibule avec portail et surhaussement de l’édifice).
Nous avons aujourd’hui un devis bien rédigé par M. Abadie, architecte (père, 1783-1868) et une feuille de dessins en rapport avec le devis (plan, coupes, élévation). Aucun sujet de critique dans le nouveau travail.
29Des pressions semblent parfois s’exercer sur le Conseil, intermédiaire entre les autorités locales et le Ministre. Non sans amertume, il est obligé de notifier ses décisions plus rapidement qu’il ne le souhaite :
F/21/2508 p. 83 : temple de Saint-Avit de Moison (Gironde)
15 janvier 1821. Rapport de Grillon.
L’église de Saint-Avit a été cédée aux protestants en l’an XII ; les catholiques la réclament, on se dispose à la leur rendre, mais en même temps, pour arrêter et prévenir tout sujet de trouble, il s’agit de construire un temple pour les protestants, dans la même commune.
(Le préfet a envoyé un devis et deux feuilles de dessins médiocres, il ne peut obtenir mieux dans une commune rurale, mais comme le ministre veut que ce projet soit examiné d’urgence, il l’est).
F/21/2508 p. 230: Saint-Avit
26 avril 1821.
Même dossier. … « Le projet décelait une telle ignorance dans son auteur qu’il suffisait de jeter un coup d’œil… pour le juger au-dessous de la critique la plus indulgente » (mais comme il y avait urgence, le rapporteur avait fait un projet). « On a suivi les données indiquées par mon esquisse », le nouveau projet est admissible…
30Un autre critère qui ne peut être négligé est celui du coût du projet. Soit celui-ci est raisonnable, et l’avis de secours ou de subvention ne soulève aucune discussion, la somme allouée dépassant même parfois ce qui est demandé, soit le budget est considéré comme incomplet, sous-évalué et à revoir, soit les dépenses prévues dépassent inconsidérément les forces attribuées à la commune ou à la communauté à laquelle le temple est destiné, et la demande est renvoyée par l’intermédiaire du Préfet, avec des commentaires parfois peu amènes, pour être réduite. Le Conseil a des responsabilités financières, il est comptable des deniers de l’État dans son domaine d’intervention, et se montre très attentif à leur distribution.
F/21/2508 p. 55-56 : temple de La Tremblade (Charente-Inférieure)
4 décembre 1820. Rapport de Grillon.
(Demande de secours (15 000 F) par le Consistoire de l’Église réformée).
[…] S’il s’agissait de ne considérer ce projet que sous le rapport de l’art, on ne peut disconvenir que les élévations et coupes ont un beau caractère, que la simplicité majestueuse de l’ensemble convient parfaitement à la destination de l’édifice… » mais le Ministre exige des économies, donc :
le 1er moyen de simplification qui se présente est de faire disparaître tous les détails dont l’ensemble, en caractérisant l’édifice, en constituait le principal mérite.
Un autre moyen plus général serait de réduire les dimensions de l’édifice…La volonté du Ministre semble devoir provoquer la suppression des ornements de la façade et la réduction des dimensions de l’ensemble »… il faut attendre de connaître quelle est l’affluence des fidèles. Le Conseil ajoute qu’on peut supprimer le vestibule en avant-corps et terminer le pignon par un fronton de toute la largeur de l’édifice.
F/21/2511 p. 32-33 : temple de La Tremblade
28 juin 1821. Rapport de Grillon.
[…] Les dimensions des fenêtres sont insuffisantes pour bien éclairer la nef… Je crois que des fenêtres demi circulaires par le haut et de dimensions ordinaires seraient préférables, en ce qu’elles donneraient plus de lumière, que la construction en serait moins dispendieuse, et que leurs formes seraient plus décentes que des ouvertures dont les dispositions se rapprochent de baies dont l’usage est fréquent dans les constructions rurales […]
31Le troisième critère du Conseil (ces critères sont toujours présents mais pas toujours dans cet ordre) porte sur la conception du bâtiment en fonction de sa destination.
32L’acoustique – dont l’importance dans le culte protestant est plusieurs fois soulignée – la circulation des personnes et de l’air, le bon éclairage selon la quantité, la disposition et l’ampleur des baies (importantes dans un édifice où se pratiquent nombre de lectures), sont évalués avec soin. La bonne conception d’un temple protestant, si elle est bien établie au départ, répond alors à cette notion si subtile de « convenable » qui est la plupart du temps la seule appréciation explicitement portée dans les avis du Conseil. Elle rappelle à la fois le respect des « règles de l’art », l’architecture étant un art de l’harmonie fonctionnelle et visuelle codifié qui ne s’improvise pas, et la réponse adéquate au besoin exprimé lors de la commande du bâtiment par un consistoire, un conseil presbytéral, ou un conseil municipal.
F/21/2531 p. 150-151 : temple de Dieppe (Seine-Inférieure)
1835. rapport de Grillon.
La disposition du projet paraît simple et bien entendue, et la décoration de façade a le caractère qui convient à un édifice de ce genre.
33Le rapporteur approuve la porte décorée dont le pignon est terminé par un fronton, au lieu d’un porche à arcades.
Le temple serait éclairé par un jour de haut. Ce système d’éclairage ne doit être employé que lorsqu’on est privé du moyen d’obtenir des jours verticaux… tel par exemple pour une galerie de tableaux, une bibliothèque, […] mais dans un temple destiné à contenir un grand nombre de personnes, les jours verticaux sont indispensables pour renouveler l’air…
34La définition de ce « convenable » pourrait sous-entendre une conformité des projets à une image-type du temple protestant, présente dans l’esprit des architectes du Conseil. Il est vrai qu’ils s’accordent facilement pour ôter le superflu, pousser à faire du simple, voire du très simple. Il est fréquent de les voir condamner une voûte (un plafond suffit) des niches (inutiles et coûteuses) les clochers ou clochetons (superflus). Mais finalement, il ne se dessine pas dans leurs délibérations d’autre image que celle du local pratique, clair, simple, destiné à l’écoute de la Parole, pour une population comptée. L’architecture des temples protestants français, qui s’apparente souvent aux édifices judiciaires avec leurs frontons et leurs colonnes, doit par sa solennité, son austérité, sa nudité, correspondre peut-être à l’image suscitée par les protestants eux-mêmes, des gens sérieux et graves.
F/21/2479 p. 352 : temple d’Anduze (Gard) (Ill. 10).
11 juin 1810. Rapport de Bernard Poyet (1742-1824).
(Projet de temple dans une caserne acquise par la ville. Devis de 33000 F.)
Ce projet pourrait être exécuté, mais en engageant son rédacteur qui, dans d’autres circonstances, a donné des preuves réelles de talent, à porter dans la façade de son temple les proportions que la bonne architecture prescrit et dont l’observance, toujours si nécessaire, tourne à la fois au profit des administrés, à l’honneur de l’art, et de l’artiste qui ne s’en est point écarté.
Pour isoler ce temple de deux corps de logis, l’architecte a ménagé deux ruelles de chacune 2 m de largeur, ce qui ne paraît pas suffisant pour éclairer et donner de l’air aux pièces qui les bordent. Il faudrait au moins 3 m. Le temple n’aurait plus alors que 19 m de large au lieu de 21, ce qui le mettrait en meilleure proportion eu égard à sa profondeur.
L’entrée de ce temple est décorée d’un portique composé de quatre pilastres pestum [sic, pour Paestum], couronné par un fronton dans lequel pénètre une arcade de la largeur de l’entrecolonnement du milieu, ce qui ne paraît pas être de bon goût. Il me semble que si l’architecte faisait son entablement dorique, avec des plates-bandes sans arcade, il serait d’un meilleur genre et même, s’il tient à son fronton, il pourrait encore l’établir en lui faisant pénétrer un peu l’éventail qui doit éclairer le devant du temple.
F/21/2508 p. 193-194 : temple de Saint-Jean-du-Gard (Gard).
29 mars 1821. Rapport de Grillon.
(Construction d’un temple à St-Jean, chef-lieu consistorial. Devis de 43 612 F. Restent à trouver 6 256 F).
Le système de décoration et de constructions à l’intérieur du temple me semble s’écarter entièrement du caractère de simplicité qui convient à un temple protestant. Les bas-côtés formés par des piédroits et des colonnes rompent l’unité d’effet général et cette disposition est d’autant moins heureuse qu’elle donne lieu à des voûtes et à des arcs doubleaux dont les mouvements contrarient les formes du parallélogramme que le plafond de la nef devrait accuser.
35L’auteur étant « trop éloigné de la route à suivre pour le ramener à une composition » le rapporteur a fait le projet d’une composition plus simple, plus pure, et en même temps plus économique.
F/21/2478 p. 426-27 : temple de Valleraugues (Gard). (Ill. 11-12)
17 juillet 1809. Rapport de Louis François Petit-Radel (1740-1818).
(Projet de Charles Etienne Durand (1762-1840) architecte à Nîmes, ingénieur des Ponts et chaussées de l’arrondissement de Nîmes, architecte des hospices de la ville. Devis de 33039 F sous évalué).
En général ce temple est bien disposé pour le service du culte auquel il est destiné […] L’auteur doit être invité à trouver le moyen de décorer le portail d’un genre convenable
Le projet présente […] les convenances propres à sa destination.
Le Conseil et ses avis sur l’« esthétique »
36Il est rare que les avis du Conseil quittent une sorte de réserve. Trouver plus souvent des avis moins contrôlés, qui expriment des adhésions ou des rejets plus spontanés de la part de ses membres, n’a guère été possible. Les opinions personnelles sont presque imperceptibles, rares et brèves sinon laconiques, parfois drôles, mais toujours exprimées dans un langage courtois.
37Parmi les critères qui établissent la louable simplicité attendue de l’architecture protestante, il y a le contraire du luxe. Là encore, aucune définition n’en est donnée. Les matériaux ne semblent pas en cause (on ne parle jamais de marbres ou de métaux) mais plutôt tout ornement non fonctionnel donc inutile, qui pourrait distraire le regard, déconcentrer l’attention, ou faire riche.
F/21/2478 p. 450-451 : temple de Gallargues (Gard).
10 août 1809.
Parallélogramme terminé des deux bouts par deux demi-cercles. Le Conseil a donné son assentiment « en insistant pour la suppression de toute espèce d’architecture qui, sans être nécessaire, ne tendrait qu’à augmenter inutilement la dépense » d’où la suppression recommandée de toutes les surfaces rondes, coûteuses, au profit d’éléments carrés ; éviter les anses de panier supportant les tribunes, faire des baies carrées. Le clocheton doit aussi être supprimé, « il ne doit être qu’un meuble et ne doit point faire décoration […]
F/21/2502 p. 69 : temple de Cournonterral (Hérault).
15 juillet 1819. Rapport de Cheussey (1781-1857, architecte de la cathédrale d’Amiens).
Le plan de ce projet est simple, mais les coupes et élévations ne lui ont pas paru satisfaisantes sous le rapport de l’art, outre qu’elles offrent un trop grand luxe, comme l’observe le conseil d’administration lui-même. Pour ces motifs, envoi d’esquisses d’après lesquelles l’architecte pourra étudier son projet.
F/21/2482 p. 248 : temple de Lourmarin (Vaucluse).
20 avril 1812.
(Projet de temple, demandé par les habitants depuis 1806, par Michel Robert Penchaud (1772-1833), architecte à Marseille).
Parallélogramme de 30,50 m de long sur 14,50 m de large, précédé d’un porche et terminé par une niche demi-circulaire où aurait été placée la tribune du ministre […]
La décoration de ce temple est très simple et paraît remplir toutes les convenances.
Le Conseil […] les plans sous les yeux, a adopté le rapport en observant que la tour du clocher sera mieux placée au milieu de la face du fond du temple en supprimant la niche […] suppression d’autant moins à regretter qu’elle serait peu favorable au ministre qui y ferait le prêche.
38L’une des délibérations les plus intéressantes concerne St-Hippolyte-du-Fort (Gard) lors du concours ouvert pour la construction du temple, en 1811. Deux concurrents, Durand et Teissier, qui finissent par se déclarer spécialistes des constructions de temples protestants, sont en lice, et leurs premiers projets n’ont pas enthousiasmé le Conseil.
Ill. 13 : Gard : façade et coupe du temple de St-Hippolyte, 1817, calque (F/21/1883/1045)
© Martine Plouvier
Ill. 14 : Gard : plan, coupe latérale du temple de St-Hippolyte, 1817, calque (F/21/1883/1045)
© Martine Plouvier
F/21/2481 : temple de Saint-Hyppolite (Saint-Hippolyte-du-Fort, Gard). (Ill. 13-14)
26 décembre 1811.
(Projets de temple de Durand et de Teissier à construire à l’intérieur de casernes).
Aucun des deux [projets] n’atteint le but, étant considéré tant sous le rapport des convenances que sous celui de l’art proprement dit.
Il manque tous les plans par niveaux et de détail.
Les concurrents « doivent au surplus être formellement avertis qu’il ne peut être question ici d’un monument, que toute espèce de luxe, de somptuosité architecturale en doit être écartée soigneusement. Ils doivent savoir que ce temple, en son enclave bizarre dans une maison particulière qu’on mutile pour lui faire place, ne peut être considéré tout au plus que comme un simple auditoire, destiné, faute de mieux, à réunir un certain nombre de fidèles, que toutes les cérémonies s’y bornent à assister au prêche, que toute l’attention doit se porter sur la meilleure manière de placer la tribune et l’orateur.
Je mets à telle fin que de raison sur le bureau une esquisse du temple de Charenton, détruit à la révocation de l’édit de Nantes. Par analogie, cette esquisse pourra servir de comparaison pour déterminer la juste mesure de l’édifice qu’on projette. Je pense que l’édification de ce temple, renfermé dans la simplicité qui lui convient, n’est point de nature à donner lieu à un concours […]
39On renvoie tout au préfet qui, selon l’avis unanime du Conseil des Bâtiments civils, est chargé « de choisir dans la ville un local convenable et placé de manière à pouvoir isoler le temple et à lui donner les proportions relatives à la population protestante ».
40On a supprimé la galerie et ses poteaux, qui devait permettre d’admettre 800 personnes de plus, puisqu’on ne sait pas pour combien de personnes ce temple serait édifié.
41L’une des données qui manque aussi sont les « instructions relatives à ce que les concurrents devaient se permettre ou s’interdire dans l’emploi des richesses architecturales ».
42Il est donc difficile de mesurer l’influence des avis du Conseil des Bâtiments civils sur l’architecture et à plus forte raison l’esthétique des temples calvinistes (ou luthériens) en France au cours du xixe siècle, du moins en sa première moitié.
43Il semble que l’on manquait de références, et que l’on n’ait pas cherché à s’inspirer des temples étrangers, hollandais, anglais, américains, ou suisses. Pourtant la formation des pasteurs français à Genève (imposée par la loi organique de 1802) aurait pu permettre d’importer leur image comme source d’inspiration. Il n’y est jamais fait allusion, et les constructeurs de temples paraissent arc-boutés dans leur région et sur ses caractéristiques (tuiles canal ou pierre de taille…) sans éprouver l’envie ni le besoin de regarder ailleurs. Le fameux temple de Charenton de Salomon de Brosses n’est plus qu’un souvenir mythique mentionné une fois, les autres temples souvent très simples des xvie et xviie siècles ont eu le temps d’être non seulement éradiqués, mais aussi totalement oubliés.
44D’ailleurs qu’est-ce qu’un temple protestant sinon, comme le dit la délibération du Conseil sur le temple de Saint-Hippolyte, un « auditoire » où il faut avant tout bien entendre ?
45On aboutit donc à un corpus de temples simplissimes, pour ne pas dire indigents, des salles longues ou rondes où les tentatives d’ornementation sont limitées de façon drastique aux façades, ou se réfugient timidement dans quelques objets mobiliers (chaire à prêcher, table de communion, bancs, orgues, vitrages).
F/21/2503 p. 8-9 : temple de Beauvoisin (Gard).
27 mai 1819. Rapport de Gisors : examen des plans, coupes, élévations.
[…] Je fais remarquer seulement que l’ajustement de la chaire à prêcher est peu convenable à un temple, et qu’il eût été préférable, si on croyait devoir employer de la sculpture, de décorer cette tribune de quelque symbole religieux.
- 16 Dans la première moitié du xixe s. les régions où les temples étaient les plus attendus par les com (...)
46En effet, l’impact d’un temple dans le paysage construit reste faible. Il est destiné à des assemblées réduites, même si les chiffres avancés peuvent étonner aujourd’hui. De plus, toutes les régions françaises ne sont pas également concernées16, ce qui n’est pas le cas des églises catholiques.
- 17 Arch. nat. F 19 / 4552.
47Presque à l’autre bout du xixe siècle, l’analyse, quelque peu cynique, des travaux du Comité des inspecteurs généraux des travaux diocésains pendant leur xve session (1866-67) résume fort bien l’opinion de ces comités d’experts17 :
Parmi les projets relatifs aux édifices protestants [14 projets] et israélites en faveur desquels il était demandé des secours, il en est peu qui, par la manière dont ils étaient conçus, aient été jugés susceptibles d’être positivement approuvés, mais le comité ayant pensé que, vu la faible importance des constructions qui en faisaient l’objet, on pourrait sans inconvénient se borner à s’assurer qu’ils ne présentaient pas de dispositions de nature à inspirer des inquiétudes sous le rapport de la solidité, un seul a été renvoyé à l’étude.
48Si l’architecture des temples français du xixe siècle est si peu spectaculaire, et en général si médiocre, la responsabilité est bien partagée entre les demandeurs, les concepteurs, et les autorités.
Notes
1 Voir Jeannine Charon-Bordas, Les sources de l’histoire de l’architecture religieuse aux Archives nationales de la Révolution à la Séparation, 1789-1905, Paris, Archives Nationales, 1994.
2 Le premier registre des séances du Conseil des Bâtiments civils est commencé le décadi 20 frimaire an IV [11 décembre 1795] et terminé le sextidi 16 thermidor [3 août 1796]. Claude André Cadet de Chambine en est le secrétaire. Les registres forment une série continue à partir de la cote F 21 / 2470, dépouillée jusqu’à la cote F 21 / 2536.
3 Arch. nat., F 21 / 2528.
4 Arch. nat., F 13 / 540 : Ministère du Commerce et des Travaux publics. Gironde, construction d’un temple protestant à Bordeaux.
5 Arch. nat. F 21 / 6381 à 6390 (de 1860 à 1931). À noter que le Conseil est compétent également dans bien d’autres domaines que l’architecture religieuse : alignements, prisons, hôpitaux, asiles, préfectures, sous-préfectures, mairies, lycées, palais de justice, dépôts d’archives, théâtres, casernes, fontaines, statues d’hommes célèbres, etc…
6 Arch. nat. F 21 / 1839 à 1844 (de 1822 à 1875) et F 21 / 6392 à 6430 (depuis 1857).
7 Arch. nat. F 21 / 6501 à 6544 (à partir de 1870).
8 Arch. nat. F 21 / 1875 à 1908 (classement par départements).
9 Arch. nat. F 19 / 4544.
10 Arch. nat., bibliothèque historique, Cultes 190 : ouvrage de l’un de ses membres, Anatole de Baudot, Églises de bourgs et villages, Paris, 2 vol. 1867, qui tempête contre « la manie des voûtes » des églises contemporaines.
11 Arch. nat. Ibid. Par exemple, le 1er juillet 1851, conclusion au rapport de M. Daly sur le temple de Castelmoron (Lot-et-Garonne) : « Ce projet paraît trop radicalement défectueux pour que la Commission croie utile d’en demander le remaniement, et elle propose le rejet pur et simple ».
12 Arch. nat., F 19 / 4546 (1853-54) à F 19 / 4556 (1878-79). Sous la cote F 19 / 4552 (1864 à 1868) par exemple, il est question de 14 temples protestants. Suivent les mesures anticléricales à partir de 1880.
13 Bibliothèque de l’INHA : « Souvenirs des la Commission des Arts et édifices religieux (1849-1855) et du Comité des inspecteurs généraux des édifices diocésains (1853-1871) ». Dessins de Prosper Mérimée (1803-1870), Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) Paul Abadie (1812-1884) Léon Vaudoyer (1803-1872) et Victor Ruprich-Robert (1820-1887).
14 Arch. nat., bibliothèque historique, Cultes 170 : Gourlier, Biet, Grillon et feu Tardieu : « Choix d’édifices publics projetés et construits en France depuis le commencement du XIXe siècle », 1er volume, Paris, Louis Colas, années 1825 à 1836, 2e volume, 1837 à 1844. Charles Pierre Gourlier (1786-1857) est membre du Conseil des Bâtiments civils depuis 1819 puis en devient le secrétaire, avant de devenir inspecteur. Léon Biet (1785-1856) et Edme Grillon (1786-1854) sont également membres du Conseil et inspecteurs.
15 Arch. nat., Procès-verbaux du Conseil des Bâtiments civils, 21 mars 1862 (F 21 / 6397).
16 Dans la première moitié du xixe s. les régions où les temples étaient les plus attendus par les communautés sont le Languedoc et la Provence (Gard), l’Ouest (Charentes, Gironde), et la Normandie.
17 Arch. nat. F 19 / 4552.
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Ill. 1 : Archives nationales-Paris : les registres de délibérations du Conseil des Bâtiments civils (série F/21) |
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Crédits | © Martine Plouvier |
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Titre | Ill. 2 : Gironde : façade du temple de Bordeaux par Corcelles, 1832, calque (F/13/540) |
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Titre | Ill. 3 : Gironde : façade est du temple de Bordeaux par Corcelles, 1832, calque (F/13/540) |
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Titre | Ill. 4 : Gironde : vue latérale du temple de Bordeaux par Corcelles, 1832, calque (F/13/540) |
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Titre | Ill. 5 : Gironde : plan du rez-de-chaussée du temple de Bordeaux (F/13/540) |
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Titre | Ill. 6 : Gironde : plan avec distribution des pièces du temple de Bordeaux (F/13/540) |
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Titre | Ill. 7 : Gironde : coupe profil est / ouest du temple de Bordeaux (F/13/540) |
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Titre | Ill. 8 : Gironde : coupe du temple de Bordeaux (F/13/540) |
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Titre | Ill. 9 : Archives nationales-Paris : les boîtes de calques et dessins classées par départements (série F/21) |
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Titre | Ill. 10 : Gard : plan et coupe du temple d'Anduze, 1816, calque (F/21/1883/1028) |
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Titre | Ill. 11 : Gard : façade du temple de Valleraugues, calque (F/21/1883/1067). |
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Titre | Ill. 12 : Gard : plan du temple de Valleraugues, calque (F/21/1883/1067) |
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Titre | Ill. 13 : Gard : façade et coupe du temple de St-Hippolyte, 1817, calque (F/21/1883/1045) |
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Titre | Ill. 14 : Gard : plan, coupe latérale du temple de St-Hippolyte, 1817, calque (F/21/1883/1045) |
Crédits | © Martine Plouvier |
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Pour citer cet article
Référence papier
Cécile Souchon, « Les avis des membres du Conseil des Bâtiments civils relatifs aux constructions de temples protestants et à leur esthétique (XIXe siècle) », Chrétiens et sociétés, Numéro spécial I | -1, 173-200.
Référence électronique
Cécile Souchon, « Les avis des membres du Conseil des Bâtiments civils relatifs aux constructions de temples protestants et à leur esthétique (XIXe siècle) », Chrétiens et sociétés [En ligne], Numéro spécial I | 2011, mis en ligne le 16 juin 2022, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/2740 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.2740
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