Dialogue interreligieux et dialogue œcuménique, différences et similitudes
Résumés
Le dialogue interreligieux, entre plusieurs traditions religieuses, est différent du dialogue œcuménique, qui recherche une unité entre des Églises. Les deux se sont développés tardivement, en raison de l'affrontement entre les religions. Ils supposent une confiance entre les partenaires. Mais, selon qu'il fait se rencontrer des théologiens, des responsables religieux ou des personnes dans la vie de tous les jours, les sujets abordés sont très différents.
Plan
Haut de pageNotes de la rédaction
Conférence donnée dans le cadre des Séminaires de formation de l’École Doctorale Lettres, de l’Université Lyon 3, le 4 mars 2004, publiée in Proche-Orient Chrétien 54, 2004, pp. 98-117.
Texte intégral
Introduction
- 1 Les communautés chrétiennes sont : maronite, grecque catholique, arménienne catholique, syriaque c (...)
1Le Liban est un petit pays, extrêmement complexe avec ses dix-huit communautés1 : cinq musulmanes, douze chrétiennes et la communauté juive (la dernière existant surtout sur le papier, peu de juifs étant demeurés au Liban). Le pays est donc directement concerné tant par le dialogue œcuménique entre les diverses communautés chrétiennes que par celui entre chrétiens et musulmans. Il constitue de ce fait un bon observatoire pour le sujet qui nous préoccupe.
2L’État libanais se situe au-dessus de cette mosaïque de communautés ; il leur assure la liberté, sans s’identifier à aucune d’entre elles. Cet idéal ne se traduit pourtant que difficilement dans la réalité. Contrairement en effet aux pays européens, le Liban est très peu sécularisé, et sa structure particulière entraîne une forte présence des institutions religieuses, qui interviennent dans tous les secteurs de la vie. Une des particularités du pays est que les lois sur le statut personnel relèvent de chaque communauté reconnue. Il existe ainsi un réseau de tribunaux religieux, aux législations différentes. Le mariage civil n’existe pas, même si sa création a été demandée et refusée à plusieurs reprises. Quoique fortement critiqué par de nombreux Libanais, le système dit du « confessionnalisme » assure à chaque communauté une part des postes-clés, proportionnelle à son importance dans le pays telle qu’elle a été évaluée dans les années trente. Depuis lors il n’y a pas eu de recensement officiel, de peur que ne soit menacé le fragile équilibre entre les communautés.
3Ces quelques remarques permettent de poser une question de fond pour notre sujet : s’agit-il de dialogue interreligieux et œcuménique dans toutes ces questions d’équilibre libanais ou faut-il parler plutôt d’un partage de pouvoir entre les divers groupes nationaux qui composent le pays ? Religion et nation constituent deux concepts différents, tout en étant profondément liés l’un à l’autre.
- 2 Pour une bonne analyse et présentation du dialogue interreligieux, on peut consulter le livre de (...)
4Il faudra donc admettre que le dialogue interreligieux puisse traiter de thèmes proprement religieux aussi bien que de questions et de problèmes que les croyants de différentes religions ont en commun, le premier étant celui de la coexistence pacifique. Si le Liban a, malgré les très nombreux problèmes auxquels il est confronté et la terrible guerre qu’il a connue, toujours fait figure de modèle pour d’autres, c’est que le fondement même de son existence est cette possibilité de faire vivre en paix ses dix-huit communautés, représentant deux traditions religieuses, chrétienne et musulmane. Nous aurons donc à garder à l’esprit qu’il n’est pas seulement question de « religion » dans les dialogues interreligieux2.
Une distinction importante
5Pour mieux cerner notre sujet, il importe de distinguer entre les trois éléments suivants.
- 3 Les druzes et les alaouites sont issus de l’islam chi’ite. Des différences importantes entre les (...)
6La tradition religieuse. J’entends par là l’identité commune, entre les diverses communautés ou religions instituées appartenant à une même famille. C’est cette tradition religieuse qui est le plus souvent concernée lorsque l’on parle de religion. La religion chrétienne est ainsi une tradition que les catholiques, les grecs orthodoxes, les orientaux orthodoxes (souvent oubliés !) ou les diverses dénominations protestantes ont en commun. Ils se considèrent tous “chrétiens” tout en reconnaissant des différences plus ou moins importantes entre eux. De la même façon, il existe une tradition musulmane qui regroupe les sunnites, les chi’ites, les ismaélites, et, quoique certains contestent leur appartenance à l’islam, les druzes et les alaouites3. Le propre d’une telle tradition est de ne pas se traduire en une institution. Aucun organe institutionnel n’a pouvoir sur l’ensemble des chrétiens ou l’ensemble des musulmans. Seuls existent quelques organes de concertation, tels que le Conseil Œcuménique des Églises ou l’Organisation de la Conférence Islamique pour les pays musulmans. Ces organismes sont des lieux d’échange et parfois d’action, mais non d’autorité.
7La religion instituée est l’organisation que chaque religion se donne. Il y a une autorité, un cadre juridique, des règles qui déterminent qui en est membre et comment on peut y entrer ou éventuellement en sortir. Ces institutions peuvent être très diverses, étendues ou restreintes. Certaines ont un caractère fortement national (l’Église arménienne, l’Église grecque orthodoxe de Grèce, l’islam chi’ite d’Iran ou l’islam wahhabite d’Arabie Saoudite). Parfois une grande institution en comprend elle-même plusieurs autres qui en relèvent. Les diverses Églises catholiques orientales (byzantine, maronite, arménienne etc.) font partie intégrante de l’Église catholique. Ce sont des institutions à l’intérieur d’un grand organisme dont elles sont membres.
- 4 Grace Davie, La religion des Britanniques de 1945 à nos jours, Genève, Labor et Fides, 1996.
8Quant à la religiosité, elle désigne les pratiques et coutumes religieuses, les croyances plus ou moins proches d’une ou de plusieurs traditions religieuses, sans que ceux qui les pratiquent se considèrent comme appartenant à une institution religieuse précise. Ce cas est bien décrit par la sociologue anglaise, Grace Davie, par la formule : « believing without belonging »4 : croire sans appartenir. On peut également ranger dans cette rubrique les pratiques empruntées à d’autres religions : méditation, recherche de guérison, recherche de prévision d’avenir, etc. Ces pratiques ont souvent une origine religieuse, mais elles ont été séparées de leur contexte originel et empruntées par des personnes qui peuvent avoir par ailleurs leur propre appartenance religieuse.
9La distinction entre ces trois éléments me semble essentielle pour situer les dialogues entre religions ou entre Églises. Cette remarque préliminaire nous fait comprendre l’impossibilité de traiter notre sujet sans tenir compte des situations particulières dans lesquelles ces deux types de dialogue se pratiquent.
- 5 Grace Davie, The Exceptional Case, « Sarum Theological Lectures », London, Darton, Longman et Todd (...)
10Ainsi, en des pays fortement sécularisés, ces dialogues n’ont que relativement peu de répercussion sur la vie de la société politique, ce qui leur donne une très grande liberté. Il n’en va pas de même au Liban où les institutions religieuses et politiques sont fortement liées. Aussi ce pays ne peut-il servir de modèle à une réflexion globale sur notre sujet. Bien qu’il présente un cas particulier, je le prendrai pourtant comme point de départ, puisque je connais mieux cette situation, vivant depuis longtemps dans ce pays. Je le fais d’autant plus volontiers que le modèle des pays sécularisés est souvent pris comme norme par les auteurs qui y vivent. Grace Davie a publié récemment un livre intéressant sous le titre Europe : The Exceptional Case5, montrant par l’analyse d’autres continents combien la situation de l’Europe est unique dans le monde.
Deux dialogues différents
- 6 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Le Seigneur Jésus, Paris,Centurion/ Cerf/Fleurus-Mame, 2 (...)
11Il y a de bonnes raisons de traiter ensemble les deux types de dialogue. À titre d’exemple : le 6 août 2000, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publiait un document intitulé Dominus Jesus6 qui a fait couler beaucoup d’encre. Peu importent ici les raisons des réactions mais, ce qui est intéressant est qu’un même document d’Église traite des relations entre Églises chrétiennes et de la théologie des religions non chrétiennes.
- 7 Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale « Une espérance nouvelle pour le Liban », Cité (...)
12L’exhortation apostolique Une nouvelle espérance pour le Liban7 consacre un chapitre aux relations entre les Églises, et un autre aux relations entre chrétiens et musulmans.
13Durant la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, un pasteur protestant organise, depuis plusieurs années, dans son temple à Beyrouth, une rencontre avec des intervenants chrétiens et musulmans, dans le désir de les rapprocher les uns des autres, dépassant ainsi le cadre du dialogue œcuménique proprement dit.
14Traiter les deux sujets ensemble relève d’un seul et même désir : la compréhension de l’autre et le respect de la diversité. Si ce désir est le même, qu’il s’agisse de « coreligionnaires » ou pas, il ne faudra cependant pas oublier leur différence fondamentale.
15Le dialogue œcuménique a pour objectif explicite l’unité entre les Églises chrétiennes. Ce but semble difficile à réaliser pour des raisons sur lesquelles je reviendrai. Il ne semble pourtant pas impossible, puisque ces Églises en dialogue ont déjà beaucoup de choses en commun. Elles font partie d’une même tradition religieuse au point de pouvoir le plus souvent réciter ensemble le symbole de la foi chrétienne dit « de Nicée-Constantinople ». Du point de vue théologique, la division entre les chrétiens est un scandale qu’il faut éliminer. Elle n’est pas acceptable, seule la diversité peut être admise.
16Dans le cadre musulman, on pourrait imaginer un dialogue analogue entre les diverses dénominations musulmanes désirant mettre fin à la division entre elles. Cependant, ce type de dialogue est jusqu’ici très rare du fait qu’il n’y a pas, à l’intérieur de la tradition musulmane, un mouvement comparable au mouvement œcuménique dans les Églises chrétiennes. Traiter de cet « œcuménisme » musulman serait donc purement théorique.
17Par ailleurs, si un désir réel d’unité pointe à l’horizon du dialogue œcuménique, il n’en va pas de même pour celui entre les diverses religions, où la base d’unité est très faible. Il y a peu de dialogue entre les théologiens des diverses religions. Ce qui existe est plutôt la réflexion de chaque théologien sur la place qu’il peut reconnaître à l’intérieur de sa propre conception théologique aux autres religions. Les théologiens chrétiens du continent indien ont beaucoup réfléchi sur ce sujet. Le dialogue entre les religions se passe dans ce cas surtout dans la tête d’un théologien qui connaît bien d’autres traditions religieuses et cherche à rencontrer les croyants de ces religions. Il s’agit alors surtout d’une réflexion proprement chrétienne sur la place des autres religions dans le plan du salut. Tout au plus il comparera cette réflexion à celle des théologiens d’autres religions sur la place du christianisme dans leur théologie à eux.
18Lorsque des chefs religieux de diverses religions se rencontrent, il y a respect mutuel, désir d’ouverture, et parfois même d’action commune face aux graves problèmes de notre monde. Leur but n’est pas la recherche d’une quelconque unité.
- 8 Nous pensons à divers courants ésotériques, aux publications dans la mouvance du “Nouvel Âge” ou à (...)
19En fait, le seul cas de recherche d’unité entre les religions est celui de tendances gnostiques ou d’autres pensées apparentées, qui considèrent que toutes les religions du monde constituent un trésor commun, à partir duquel chaque personne peut tirer ce qui lui semble bon8. Ces chercheurs se situent toutefois en dehors des religions instituées, auxquelles ils reprochent d’ailleurs leur fermeture dogmatique. Il ne s’agit donc plus d’un dialogue entre religions, mais d’une réflexion sur la diversité religieuse aboutissant à des formes de syncrétisme dans lesquelles aucune religion instituée ne se reconnaît.
20Ainsi les deux types de dialogue ne se placent pas au même niveau. Le dialogue œcuménique se situe sur le plan des religions instituées. Chaque Église a ses chefs, sa tradition, ses théologiens, sa législation, son clergé, sa liturgie, etc. Les rencontres se réalisent ainsi aux divers niveaux des institutions : entre chefs d’Églises qui signent des accords, entre théologiens qui réfléchissent sur les questions litigieuses, entre historiens qui cherchent à comprendre l’origine des divisions, ou entre hommes d’action qui désirent, malgré les différences, s’atteler à des réalisations communes.
21Le dialogue interreligieux, par contre, se situe sur le plan des traditions religieuses, La grande diversité qui peut exister au sein d’une même tradition est une invitation à ne pas considérer trop vite un interlocuteur particulier comme représentant de toute une tradition. De nombreux musulmans sont ainsi gênés par l’assimilation rapide entre ce qu’on appelle les « islamistes » et l’islam. De la même façon on ne peut considérer n’importe quel groupement chrétien comme représentatif de l’ensemble de la tradition chrétienne.
Pourquoi ces deux dialogues se développent-ils seulement aujourd’hui ?
- 9 Je pense aux divers accords bilatéraux entre l’Église catholique d’une part, et les Églises copte, (...)
22Sans nier les efforts sérieux de dialogue entrepris dans le passé, on peut estimer qu’au lieu de dialoguer, une partie voulait s’imposer à l’autre. À côté de raisons d’ordre politique et commercial – qu’il ne faut pas sous-estimer –, cette manière de faire s’explique pour des raisons d’ordre théologique et culturel. Il était alors difficile de distinguer entre l’expression de la foi, qui peut être diverse, et son contenu. Nous avons tous à la mémoire ces dates tragiques qui sont à l’origine de la division entre chrétiens. Les grands conciles ont beaucoup travaillé pour exprimer de façon claire le contenu essentiel de la foi chrétienne. Or cette clarification s’est faite en grec, et les Églises d’autres cultures – syriaque, arménienne et copte –, ne s’y sont pas retrouvées, car il n’y avait pas de termes équivalents dans leur langue. Si aujourd’hui, après de longs siècles, les théologiens sont parvenus à des accords sur ces questions litigieuses, leur explication consiste généralement à dire : « Nous avons dans nos diverses traditions cherché à exprimer de façons différentes un même contenu de la foi »9. Les formulations retenues dans ces accords permettent à chaque tradition de conserver celles héritées du passé, qui font partie de son identité même, tout en reconnaissant une unité dans la foi. De nos jours, ce consensus est possible, parce que la diversité d’expression est admise dans nos Églises. Nous avons dépassé le principe qu’il n’y aurait qu’une formulation conforme à la vérité à l’exclusion de toutes les autres.
- 10 Voir par exemple l’édition récente du journal du concile d’un des évêques grecs catholiques, Mgr N (...)
- 11 Fin juin 2000, peu de temps avant la publication de la note Dominus Jesus, la Congrégation pour la (...)
23Ce changement d’attitude est assez récent, car le mouvement œcuménique n’a repris de la vigueur qu’autour des années cinquante. Lorsque, enfant, j’ai appris à prier pour l’unité, le souhait était que tous les chrétiens reviennent à l’unique bercail, qui était Rome, bien entendu. Il n’y avait pas encore place pour la diversité dans nos Églises catholiques. Le concile Vatican II a changé cette vision. La présence active des Églises orientales catholiques y a été pour beaucoup.10 On a développé la thématique des « Églises sœurs » plutôt que de parler de l’Église « mère ». Les sœurs peuvent être en parfaite communion sans que l’une soit absorbée par l’autre11.
24Néanmoins la situation antérieure a laissé de nombreuses blessures. Les Églises orientales orthodoxes ont toujours vu d’un mauvais œil la constitution d’Églises orientales catholiques. L’intention initiale était effectivement d’aboutir à l’unité entre les Églises en ramenant les Églises orthodoxes à l’Église catholique romaine.
- 12 Voir le texte et des commentaires à ce document dans Proche-Orient Chrétien 43, 1993, pp. 82-137.
25Cette tendance a été dénoncée par la Commission internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe dans le « Document de Balamand » de 1993, qui a pour titre L’uniatisme, méthode d’union du passé, et la recherche actuelle de la pleine communion12. L’élaboration de ce document a été longue et laborieuse, à cause des blessures de l’histoire. Et sa réception est loin d’être achevée : de nombreuses résistances existent aussi bien dans plusieurs Églises orthodoxes que dans certains milieux du Vatican.
26Il est clair qu’un authentique dialogue ne peut exister tant que l’un des partenaires désire éliminer l’autre, quels que soient les moyens envisagés. C’est pourquoi le dialogue était presque impossible dans le passé. S’il est devenu possible aujourd’hui, cela ne veut pas dire que toutes les résistances et obstacles aient disparu. D’ailleurs la situation s’avère très différente d’une région à l’autre. Dans le patriarcat d’Antioche, les relations entre grecs catholiques et grecs orthodoxes sont aujourd’hui cordiales. Il y a une réelle reconnaissance entre les deux Églises et les rapports personnels entre les patriarches sont très fraternels. Ce n’est pas le cas dans les pays de l’Europe de l’Est où les relations entre catholiques et orthodoxes se sont tendues après la disparition du régime soviétique ; la méfiance mutuelle y est encore grande.
- 13 Nous appelons « pays traditionnels » les pays où le poids de la tradition est encore fort, contrai (...)
27Ce qui est valable pour le dialogue entre Églises l’est tout autant pour le dialogue entre religions. Là encore le passé a donné de nombreux exemples d’intolérance : guerres et prosélytisme agressif sous diverses formes. Dans la mesure où les grandes nations étaient identifiées à leur religion, les diverses formes de colonialisme ont été perçues comme des attaques contre les religions autochtones. Jusqu’à aujourd’hui le monde arabe identifie encore souvent Occident et christianisme, et l’Occident lui-même a souvent de la peine à distinguer entre islam et monde arabe. À cela s’ajoute le fait que dans les pays traditionnels13, le lien entre religion et politique est encore fort. Pour ceux qui y vivent, il va de soi que la représentation de l’autre suit le même modèle : ils conçoivent difficilement l’Occident comme religieusement « neutre », et s’ils le comprennent, ils ne considèrent pas ce fait comme un progrès, mais comme un grave défaut. Ils conçoivent l’Occident comme un ensemble chrétien, qui a perdu la fidélité à sa tradition et est désormais prêt à tout genre de compromis.
28Il en ressort que c’est surtout dans le monde moderne, où s’est rompue cette identification entre religion et État, ou ensemble d’États, que le terrain est favorable au dialogue.
Des situations de dialogue
29Les nombreuses blessures de l’histoire rendent, encore aujourd’hui, les rencontres difficiles entre religions et entre Églises. Trop souvent une puissance a cherché à s’imposer à un pays ou même à un continent plus faible. Colonialisme et expansion missionnaire se sont souvent accompagnés. L’empire ottoman était un empire musulman, dans lequel les Églises chrétiennes n’ont pu subsister qu’avec difficulté.
- 14 Thom Sicking, « Minorités religieuses et dialogue œcuménique », Proche-Orient Chrétien 37, 1987, (...)
30Ce qui est vrai sur le plan mondial l’est aussi sur le plan local. Une rencontre dans un rapport de majorité à minorité est très différente d’une rencontre entre partenaires égaux. Dans le dialogue œcuménique, l’existence, de nos jours, de plusieurs textes affirmant l’unité de la foi sur les points fondamentaux, cause de litiges dans le passé, est sans doute un progrès considérable dans la recherche de l’unité. Cependant, ces accords n’ont que très peu changé la situation concrète : malgré les accords, les chrétiens restent divisés. Cela nous rappelle que le désaccord théologique n’est qu’un aspect de la division. Les raisons culturelles, sociales et politiques sont aussi importantes. Il ne suffit pas d’une signature au bas d’un texte pour éliminer la division et rétablir la confiance. Il serait donc intéressant de faire une étude sur les rapports entre majorité et minorité pour les deux types de dialogue14. Il me manque ici le temps pour l’analyser. Je me contente de quelques exemples pour signaler le problème.
- 15 Les livres de Jacques Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris,Cerf, (...)
31Le thème théologique de la place des religions non chrétiennes dans la foi chrétienne s’est particulièrement développé dans le sous-continent indien15. Ce n’est sans doute pas par hasard, les chrétiens s’y trouvant en situation de minorité au sein d’une culture fortement marquée par le bouddhisme et l’hindouisme. Leur situation minoritaire les rend sensibles à ces traditions religieuses au sein desquelles ils doivent trouver leur place. Il est fréquent que la minorité s’intéresse à la majorité, tandis que la majorité manifeste souvent une certaine indifférence à l’égard des minorités. Par ailleurs il est facile pour ceux qui se savent les plus nombreux d’afficher une grande ouverture d’esprit et d’accueil, car une telle ouverture ne menace en rien leur existence. Par contre, pour ceux qui sont peu nombreux, une telle ouverture risque d’être suicidaire : ils vont se perdre dans la masse et cesseront d’exister. C’est pourquoi les minorités sont souvent conservatrices et attachées aux détails de leurs traditions.
32Dans le contexte du monde arabe, des chrétiens surtout prêtres et religieuses se sont retrouvés régulièrement à Rome dans le cadre des « Journées romaines » pour échanger leurs expériences. Ayant quelques fois participé à ces rencontres, j’ai été frappé de la grande différence d’attitude entre les participants venant d’Afrique du Nord et ceux du Proche-Orient. En Afrique du Nord il y a très peu de chrétiens, et ceux qui y vivent sont souvent des étrangers. Ils avaient un regard plein de compréhension et parfois d’admiration pour l’islam. Quant à ceux qui venaient du Liban, de Syrie ou d’Égypte, ils n’étaient pas en désaccord avec ces positions respectueuses, mais les trouvaient souvent trop iréniques. Ils venaient de pays où le christianisme est né et a toujours existé. Ce n’était pas une religion venue d’ailleurs. Aussi n’avaient-ils pas à justifier la présence du christianisme dans le monde arabe, ce qui les rendait plus libres dans leur position envers l’islam, et de ce fait plus critiques.
33Dans le dialogue théologique entre les Églises catholique et copte orthodoxe d’Égypte, la situation est particulière. D’une part l’Église catholique a un potentiel de théologiens bien plus développé que l’Église copte. D’autre part, l’Église copte est une grande Église qui jouit d’une longue tradition. Dans sa lutte pour son existence au milieu d’une majorité musulmane, elle tient bon, notamment par un réflexe de rigueur. C’est une Église traditionnelle et fière de l’être. Affirmer qu’elle n’a pas changé depuis les premiers siècles du christianisme est pour elle un titre de gloire. Elle estime avoir conservé la tradition chrétienne intacte, ce qui, selon elle, n’est pas le cas de l’Église catholique. Le dialogue est donc difficile mais il existe. L’Église copte cherche à y démontrer la pureté de sa foi et la justesse de sa tradition. Comme pour l’Église catholique dans le passé, le dialogue signifie pour elle qu’elle espère que l’autre vienne vers elle sans qu’elle aille vers l’autre. Elle n’est pas prête à céder.
- 16 Plusieurs des textes d’accord ont été publiés dans Pour la communion des Églises, l’apport du Grou (...)
34Si l’on compare ces situations, rapidement esquissées, au dialogue entre catholiques, orthodoxes et protestants en France, la différence saute aux yeux. Par exemple dans les échanges entre théologiens dans le Groupe des Dombes, les personnes discutent sur un pied d’égalité, dans une atmosphère de bienveillance, prêtes à tout examiner, à reconnaître les erreurs faites au cours de l’histoire. Ils aboutissent alors à une meilleure compréhension de leurs positions réciproques, et se rendent compte par là que leurs divergences sont moins grandes que le durcissement au cours des luttes du passé ne l’avait laissé entendre16.
35Des réflexions analogues peuvent être avancées pour le dialogue entre chrétiens et musulmans. Lorsqu’une délégation du Vatican engage un dialogue avec les responsables de l’Université al-Azhar du Caire, l’atmosphère est bien différente de celle qui règne lorsque des religieux coptes discutent avec eux. Dans ce dernier cas, ce sont des égyptiens chrétiens qui se trouvent au milieu d’une grande majorité musulmane. Tandis que dans le premier cas, la partie chrétienne peut se présenter avec une certaine assurance représentant le poids de toute l’Église catholique. Cela ne veut pas dire cependant que dans le dialogue à l’intérieur de l’Égypte, les deux parties ne soient pas respectueuses l’une envers l’autre !
36Mais dans les réunions du GRIC (Groupe de recherche islamo-chrétien), organisme existant en Afrique du Nord, en France et en Belgique et, récemment, au Liban, ce sont des universitaires des deux religions qui se rencontrent. Ils s’y trouvent à égalité et étudient ensemble des thèmes convenus d’avance.
37Ces quelques exemples suffisent pour illustrer le fait qu’un dialogue peut être très différent d’un autre, et qu’il faudrait de longs développements pour passer en revue chacune de ces situations particulières. Aussi faut-il se garder de conclusions générales qui se voudraient partout valables.
Des positions théologiques conditionnent le dialogue
- 17 Voir, par exemple, Jean-Claude Basset, Le dialogue, op. cit., qui passe en revue un bon nombre de (...)
38Lorsque l’on examine la liste des diverses rencontres interreligieuses17, on constate que l’initiative en revient souvent aux chrétiens. C’est que les théologiens chrétiens de nos jours étudient la place des religions non chrétiennes dans le plan du salut avec une grande ouverture. Lorsque des croyants de ces autres traditions religieuses sont invités à prendre part aux échanges, ils le font facilement, ne se sentant nullement menacés par cette attitude chrétienne. Il n’en va pas de même en d’autres traditions. L’islam considère le judaïsme et le christianisme comme des étapes antérieures à l’islam, qui vient en quelque sorte couronner la révélation. Il y a dans cette conception une place réelle pour les autres traditions religieuses, qui sont cependant vues à travers le prisme du Coran. Les traditions bouddhistes ou hindoues sont largement ouvertes à d’autres traditions, interprétées dans le cadre de leur vision du monde. La possibilité de dialogue est ainsi déterminée par la conviction des partenaires : ce qui est possible dans un cas ne l’est pas dans un autre. Schématiquement on peut résumer les diverses positions de la façon suivante :
-
ma religion est la seule vraie, donc les autres ne le sont pas (position exclusiviste) ;
-
ma religion est vraie, mais d’autres peuvent l’être également ou elles peuvent – au moins – contenir des éléments de vérité et être des moyens de salut (position ouverte) ;
-
toutes les religions sont des voies de sagesse (position syncrétiste).
39La première position entraîne l’apologétique : dans la discussion avec l’autre on cherche à lui faire admettre son tort. La deuxième est une voie médiane : à partir d’une conviction ferme, il y a une place réelle donnée à l’autre, sans qu’on cherche à le ramener à son propre point de vue. La troisième est la plus ouverte, mais il ne s’agit plus d’un dialogue entre religions, puisque cette position se situe au-delà de l’appartenance à une tradition religieuse donnée.
40Ce qui est dit ici des relations interreligieuses est également valable pour les relations œcuméniques. Les trois positions deviennent :
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mon Église est l’unique Église, les autres sont dans l’erreur ;
-
mon Église est vraiment l’Église du Christ, les autres Églises sont également des Églises chrétiennes, mais la mienne a mieux conservé la totalité de la foi chrétienne ;
-
toutes les Églises sont également valables, il n’y a pas de différence importante entre elles.
-
Les partenaires dans le dialogue
41Nous parlons beaucoup de dialogue entre Églises ou entre religions. En fait ce sont toujours des hommes qui dialoguent, non des institutions. C’est pourquoi il convient de distinguer entre différents niveaux de dialogue.
42Dans les grandes rencontres il s’agit généralement d’un dialogue entre théologiens ou entre responsables religieux, représentant leurs Églises respectives : des réunions au sommet en quelque sorte. Ces rencontres, importantes et intéressantes, concernent peu la population qui vit les rapports avec l’autre dans sa vie quotidienne.
43Il y a aussi la sphère des séminaires et colloques, de plus en plus nombreux dans la région où je vis. Les participants sont le plus souvent de formation universitaire et parlent en connaissance de cause. Ils ne représentent pas pour autant les points de vue officiels des communautés ou Églises auxquelles ils appartiennent.
44Il y a enfin le dialogue quotidien des hommes et des femmes dans leur vie de tous les jours. Il n’est pas fréquent qu’ils soulèvent des questions proprement religieuses. Ils communiquent plutôt sur les faits de la vie quotidienne.
45La grande majorité des rencontres interreligieuses se font entre personnes « compétentes », c’est-à-dire de formation académique qui les rend capables d’une étude objective des faits et des traditions. Elles sont sans doute importantes et font avancer la compréhension mutuelle entre les croyants des diverses religions. Elles ne touchent cependant pas la grande majorité des croyants, qui n’ont pas le bagage intellectuel nécessaire pour s’engager dans ce type d’échange. Pour que les résultats de tels échanges touchent la majorité des croyants, il faut des changements de mentalité qui sont souvent difficiles à obtenir et lents à se mettre en place. On ne peut cependant nier que, malgré des tensions toujours présentes, et parfois violentes, le climat des relations interreligieuses est devenu de nos jours plus serein que par le passé. Ce changement est sans doute dû au fait que les croyants des diverses traditions, qui s’ignoraient autrefois, se rencontrent aujourd’hui souvent. Les réunions interreligieuses de haut niveau aident aussi à favoriser ce climat de sérénité.
Les sujets d’échange
46Mises à part les rencontres où il s’agit de parler explicitement des convictions religieuses de chacun, il est beaucoup plus fréquent que les échanges visent des prises de position communes face à des événements ou des situations particulières. Si je prends pour exemple les rencontres d’Assise, le thème proposé était la paix. Le but que les participants désirent atteindre est la fin de la violence entre les croyants de diverses religions. Ils sont convaincus que toute religion aspire à la paix, et que la violence va à l’encontre de l’essence même de leur foi. Ils ont ainsi un terrain d’entente qui rend le dialogue fructueux. Ces rencontres sont aussi un moyen pour chercher à guérir les blessures du passé et relire l’histoire de façon sereine.
- 18 L’Institut d’Études Islamo-Chrétiennes (IEIC) de l’Université Saint-Joseph a publié deux volumes c (...)
47Dans le contexte du Proche-Orient, nombreuses sont les conférences regroupant chrétiens et musulmans qui prennent ensemble position dans les conflits qui déchirent la région. Là encore ils ne parlent pas tant de l’islam ou du christianisme que des sujets de préoccupation qu’ils ont en commun, et aboutissent ainsi souvent à des prises de position communes18.
48Il convient donc de distinguer, d’après le but recherché, trois types de dialogue :
-
Celui qui vise à mieux se connaître. Chaque participant y expose son point de vue. Il est écouté avec attention par l’autre. Ce type de dialogue permet d’éliminer les préjugés, la désinformation ou l’ignorance. On y procède souvent par thèmes : les participants cherchent à les présenter selon les données de leur conviction religieuse.
Dans ce cadre il faut signaler le dialogue par l’intermédiaire des publications. Je pense à la série Ce qu’en disent les religions, publiée par les éditions de l’Atelier. Autour d’un thème – la prière, le corps, la mort – des auteurs appartenant à diverses traditions exposent les idées essentielles de leur religion. Des encyclopédies ou des ouvrages de synthèse sur les grandes religions mondiales sont aujourd’hui très nombreux. S’ils sont de valeur variable, le fait même de leur nombre manifeste l’intérêt croissant en Occident pour la connaissance des autres religions. Ce phénomène semble toutefois limité à l’Occident. Les efforts en vue d’une telle connaissance sont plus timides ailleurs et se limitent à quelques institutions qui désirent promouvoir le dialogue. -
Celui qui vise à rapprocher des points de vue. C’est surtout le cas du dialogue œcuménique. Ses acteurs sont essentiellement des théologiens ou des chefs religieux. Ce type de dialogue est difficile et délicat, et le risque est grand qu’il se transforme en autodéfense et discours apologétique. Si une telle évolution a lieu, les rencontres renforcent les frontières au lieu de les faire disparaître. Passer de l’attitude du « j’ai raison et donc l’autre a tort » à « nous avons peut-être raison tous les deux, regardons de plus près ce que dit l’autre » est un processus difficile qui demande souvent beaucoup de temps. De bonnes relations personnelles entre les participants peuvent faire beaucoup pour rendre possible un vrai dialogue.
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Celui qui vise l’action commune en face de problèmes et de situations partagés. Les sujets traités ne sont pas d’ordre proprement religieux, mais l’échange et l’action commune créent des liens entre les participants et font de ce fait avancer la compréhension mutuelle. Ce genre de dialogue est le plus facile des trois, mais parfois on n’échappe pas à l’impression que l’on s’y réfugie pour éviter les difficultés du deuxième type de dialogue, ou parce que l’on a été découragé par le peu de résultat dans cette recherche d’un point de vue unifié.
49Il est clair que, de ces trois genres de dialogue, le deuxième est l’essence même de l’œcuménisme, tandis que le premier et le troisième conviennent bien au dialogue interreligieux.
La convivialité
50Le thème de la convivialité et de la coexistence revient très souvent dans l’actualité libanaise. Ce thème relativise l’importance des réunions académiques. Il s’agit d’abord de vivre ; en travaillant ensemble, il se crée de bonnes relations humaines. Sur cette base, d’autres échanges peuvent avoir leur importance, mais sans cette vie commune, les grandes rencontres ont peu d’effet sur le terrain. Ainsi on peut considérer que la guerre qui a ravagé le Liban durant de longues années a eu des conséquences catastrophiques pour la vie en commun. De nombreuses personnes ont été déplacées de gré ou de force ; des régions mixtes sont devenues plus ou moins homogènes et par là le dialogue a beaucoup régressé. C’est une des raisons de l’importance accordée à la question du retour des personnes déplacées dans leur région d’origine.
51Les mêmes constatations peuvent être faites sur le plan international. Le Conseil Œcuménique des Églises accorde dans ses projets beaucoup d’importance à des prises de position communes face à la justice, la paix, le développement, les droits de l’homme, la place de la femme, etc., au point que notamment les délégations des Églises orthodoxes ont protesté contre ces orientations trop politiques à leurs yeux. Sur le plan local, un développement analogue a eu lieu dans le Conseil des Églises du Moyen-Orient. Le département « Foi et Unité » organise des rencontres de nature théologique, mais son travail est plutôt stagnant. Par contre des activités de soutien aux populations défavorisées de la région sont fréquentes. Ce qui est recherché positivement est de créer des projets communs favorisant une intense collaboration ; c’est une autre forme de cette convivialité qui semble un préalable indispensable pour tout dialogue. La sympathie, la bienveillance et l’intérêt envers l’autre y prennent naissance. Sur cette base le dialogue devient possible.
Quelques conclusions
52Dans tout ce qui précède, je n’ai fait qu’effleurer de nombreuses questions, sans avoir l’occasion de les approfondir ou de parler avec toutes les nuances que le sujet impose. Il me paraît cependant possible de tirer quelques conclusions de ce trop rapide survol.
53Constatons d’abord que les deux types de dialogue, œcuménique et interreligieux, sont devenus aujourd’hui fréquents, parce que le climat d’opposition entre Églises et entre religions, religions instituées surtout mais aussi entre traditions religieuses, a beaucoup diminué. Cela est dû entre autres au fait que les religions ne sont plus tellement des affaires d’État, notamment en Occident. Là où elles le sont toujours, le dialogue est beaucoup plus difficile, comme le montrent notamment les difficultés entre diverses Églises de l’Europe de l’Est et le Vatican. Il va de soi que l’impressionnant développement des moyens de communication a également contribué à créer un climat favorable pour la connaissance de l’autre. Aucune religion n’est restée confinée dans la région où elle a pris naissance.
54Les difficultés du dialogue viennent dans les deux cas du poids de l’histoire des guerres de religion et du refus du pluralisme. C’est pourquoi une relecture de l’histoire de façon plus objective que par le passé permet de reconnaître les erreurs et les torts commis. Cette reconnaissance mutuelle rend possible un échange en profondeur.
55Dans beaucoup d’Églises chrétiennes, le droit à la différence est aujourd’hui reconnu. Le but de l’unité entre les Églises n’est plus de les réunir toutes en une seule Église dans le sens de religion instituée décrit plus haut ; l’unité n’est plus considérée comme contraire à la diversité. Au contraire, une théologie de l’Église comme communion favorise la reconnaissance de la différence comme un bien.
56Le cas des diverses traditions religieuses est différent. Les instances de dialogue ne cherchent pas l’unité entre les religions. Ce qui est recherché est la connaissance de l’autre, non pas pour le convertir, mais pour s’enrichir de son expérience spirituelle. Le véritable dialogue ne cherche pas à imposer un point de vue, mais à découvrir les valeurs positives présentes dans la conviction de l’autre.
57Un bon exemple est la méthode suivie dans plusieurs centres d’études islamo-chrétiennes. On n’y engage pas une discussion sur des thèmes donnés pour chercher qui a raison et qui a tort, mais on demande à un chrétien et à un musulman d’exposer de façon sereine le point de vue de sa tradition religieuse à propos d’un sujet donné. Le résultat en est que chacun apprend à mieux connaître l’autre et à se situer dans sa propre conviction par rapport au point de vue de l’autre. Paradoxalement la découverte du point de vue de l’autre peut permettre à celui qui l’écoute d’approfondir sa conviction propre . Ce qui lui a toujours semblé évident ne l’est plus lorsqu’il se rend compte que d’autres possibilités existent. Il va donc se demander les raisons d’être de sa conviction ou de ses pratiques religieuses.
58Le dialogue interreligieux comme le dialogue œcuménique sont souvent pratiqués pour aboutir à des prises de position communes sur des thèmes et des questions que les participants ont en commun. Le partage de soucis ou l’action entreprise ensemble favorisent un climat de coexistence pacifique.
59Chaque dialogue doit être compris dans les circonstances particulières où il se situe. Ces circonstances – rapport entre majorité et minorité, entre forts et faibles, entre pays traditionnels (où religion et nation sont fortement liées l’une à l’autre) et pays modernes souvent fortement sécularisés – influencent profondément le caractère du dialogue et modifient les méthodes à utiliser.
Notes
1 Les communautés chrétiennes sont : maronite, grecque catholique, arménienne catholique, syriaque catholique, chaldéenne, latine, grecque orthodoxe, arménienne apostolique, syriaque orthodoxe, copte orthodoxe, assyrienne et protestante. Les communautés musulmanes sont : sunnite, chi’ite, druze, alaouite, et ismaélite.
2 Pour une bonne analyse et présentation du dialogue interreligieux, on peut consulter le livre de Jean-Claude Basset, Le dialogue interreligieux. Histoire et avenir, Paris, Cerf, 1996.
3 Les druzes et les alaouites sont issus de l’islam chi’ite. Des différences importantes entre les doctrines et les pratiques existent, au point que l’on peut les considérer comme des religions à part. Au Liban, ils sont cependant considérés comme faisant partie de l’ensemble des communautés musulmanes.
4 Grace Davie, La religion des Britanniques de 1945 à nos jours, Genève, Labor et Fides, 1996.
5 Grace Davie, The Exceptional Case, « Sarum Theological Lectures », London, Darton, Longman et Todd, 2002.
6 Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Le Seigneur Jésus, Paris,Centurion/ Cerf/Fleurus-Mame, 2000 ; La Documentation catholique 97, 2000, pp. 821-822.
7 Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale « Une espérance nouvelle pour le Liban », Cité du Vatican, 1997. Le chapitre IV traite de la communion au sein des Églises catholiques, entre catholiques et orthodoxes et entre catholiques et communautés ecclésiales issues de la Réforme. Le chapitre V est intitulé : « L’Église catholique au Liban engagée dans le dialogue interreligieux », La Documentation catholique, 1997, pp. 501-549.
8 Nous pensons à divers courants ésotériques, aux publications dans la mouvance du “Nouvel Âge” ou à certaines obédiences de la franc-maçonnerie.
9 Je pense aux divers accords bilatéraux entre l’Église catholique d’une part, et les Églises copte, syriaque, arménienne, et assyrienne d’autre part. Les textes et les circonstances de ces accords peuvent être trouvés dans Service d’information, du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens, dans Le courrier œcuménique, du Conseil des Églises du Moyen-Orient, ou dans les chroniques de Proche-Orient Chrétien.
10 Voir par exemple l’édition récente du journal du concile d’un des évêques grecs catholiques, Mgr Néophytos Edelby, Souvenirs du Concile Vatican II, Texte établi par Nagi Edelby, Centre Grec Melkite Catholique de Recherche – 2, 2003.
11 Fin juin 2000, peu de temps avant la publication de la note Dominus Jesus, la Congrégation pour la Doctrine de la foi a envoyé aux évêques catholiques une note sur l’usage approprié de l’expression « Églises sœurs », cherchant à limiter l’utilisation du terme de peur de trop relativiser la notion d’une seule Église catholique universelle (La Documentation catholique, 97, 2000, pp. 823-825).
12 Voir le texte et des commentaires à ce document dans Proche-Orient Chrétien 43, 1993, pp. 82-137.
13 Nous appelons « pays traditionnels » les pays où le poids de la tradition est encore fort, contrairement aux pays dits « modernes », où l’argument d’autorité n’est plus recevable. Les pays traditionnels sont plutôt orientés vers la conservation d’un modèle hérité du passé, tandis que les pays modernes s’orientent plus vers l’invention d’un avenir nouveau.
14 Thom Sicking, « Minorités religieuses et dialogue œcuménique », Proche-Orient Chrétien 37, 1987, pp. 38-51, et 39, 1989, pp. 60-90.
15 Les livres de Jacques Dupuis, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Paris,Cerf, 1997, et Jésus-Christ à la rencontre des religions,Paris, Desclée, 1989, font une excellente présentation des positions de ces théologiens. Voir aussi Michel Fédou, Regards asiatiques sur le Christ, Paris, Desclée, 1998.
16 Plusieurs des textes d’accord ont été publiés dans Pour la communion des Églises, l’apport du Groupe des Dombes, 1937 – 1987, Paris, Centurion, 1988.
17 Voir, par exemple, Jean-Claude Basset, Le dialogue, op. cit., qui passe en revue un bon nombre de ces dialogues.
18 L’Institut d’Études Islamo-Chrétiennes (IEIC) de l’Université Saint-Joseph a publié deux volumes contenant les déclarations officielles de rencontres entre chrétiens et musulmans. Déclarations Communes Islamo-Chrétiennes. Volume 1 de 1954 à 1995, Volume 2 de 1995 à 2001, présentés par Juliette Nasri Haddad, Beyrouth, 1997 et 2003. On y aborde le thème de la coexistence, des thèmes communs traitant de la justice, de la paix, du développement, ou de thèmes politiques. La revue du Patriarcat grec orthodoxe de d’Antioche (en arabe) rend régulièrement compte de conférences et de séminaires autour de points chauds de la région, réunissant des dignitaires chrétiens et musulmans.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Thom Sicking, « Dialogue interreligieux et dialogue œcuménique, différences et similitudes », Chrétiens et sociétés, 11 | 2004, 49-60.
Référence électronique
Thom Sicking, « Dialogue interreligieux et dialogue œcuménique, différences et similitudes », Chrétiens et sociétés [En ligne], 11 | 2004, mis en ligne le 14 octobre 2011, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/2542 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.2542
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