Navigation – Plan du site

AccueilNuméros11ArticlesFéministes ou notables ? Les dame...

Articles

Féministes ou notables ? Les dames de la Providence à Lyon

Laurence Pioch
p. 33-48

Résumés

L’œuvre de la Providence, créée à Lyon en 1707, présente une forme originale de pouvoir féminin dans l’Église. L’initiative revient à quatre dames pieuses, sans doute sous l’influence de la Compagnie du Saint-Sacrement. L’œuvre est ensuite largement sous la direction de femmes de l’élite sociale qui peuvent ainsi développer leur aspiration à un apostolat laïque féminin. Mais peu à peu les hommes prennent le contrôle de l’institution au fur et à mesure qu’être membre du Bureau représente un enjeu social et à la suite de l’entrée de sœurs dans la maison, ce qui transforme l’œuvre en communauté religieuse et enlève aux dames pieuses la gestion de l’institution.

Haut de page

Texte intégral

1L’œuvre de la Providence est créée à Lyon en 1707 au carrefour de trois influences : la logique de moralisation de la société largement diffusée par la Réforme catholique, le vaste mouvement d’éducation né au XVIIe siècle et la politique d’enfermement des pauvres encouragée par la royauté. Elle se donne pour but de retirer des jeunes filles lyonnaises de leur environnement familial jugé néfaste et de les élever dans la vertu. Les fillettes sont recueillies entre sept et neuf ans et enfermées dans la maison jusqu’à l’âge de vingt-et-un ans. L’enseignement dispensé met l’accent sur l’instruction religieuse et apprend aux élèves les travaux féminins pour à la sortie de l’institution, les préserver de toute forme de perversion et leur permettre de trouver un travail.

  • 1  Archives départementales du Rhône (A.D.R.) 44H101.
  • 2  Déclaration contenant règlement sur l’administration des hôpitaux et maladreries, Versailles, 12 d (...)

2Au départ simple œuvre charitable, l’augmentation du nombre de filles recueillies dans la maison contraint ses fondateurs à lui donner une existence légale et à la réglementer. Le 15 juin 1711, l’archevêque de Lyon érige la maison en communauté séculière. Son ordonnance1 prévoit que l’éducation des enfants sera confiée à des sœurs de la Trinité agrégées à la maison, elles-mêmes placées sous la direction d’une administration laïque. Cet établissement est définitivement confirmé par les lettres patentes du 17 décembre 1716 qui en lui donnant pour la première fois le titre d’hôpital de la Providence, lui confèrent une orientation particulière. Ce qualificatif est particulièrement intéressant pour la gestion future de la maison même s’il revêt au XVIIIe siècle des réalités bien différentes. Ainsi, il la place théoriquement parmi les établissements concernés par la déclaration royale du 12 décembre 16982 qui règle l’administration des hôpitaux par des laïcs. Dans les faits, l’organisation de la Providence ne coïncide pas avec celle ordonnée par la déclaration royale, les administrateurs se cooptent et sont nommés à vie. Il a d’ailleurs été démontré que peu d’hôpitaux se sont réellement conformés à cette déclaration. Mais, en plaçant la maison dans cette catégorie, la pérennisation de l’administration laïque de l’œuvre est rendue possible. Dès l’obtention des lettres patentes, la Providence est donc régie, à l’image des hôpitaux, par un bureau d’administrateurs laïques dont l’autorité ecclésiastique est quasi-absente jusqu’en 1758. Considérée à la fois comme un hôpital et comme une maison religieuse, l’histoire de la Providence de Lyon se construit tout au long du siècle autour de ce paradoxal statut entre établissement de charité géré par des laïcs et communauté séculière. D’autres communautés religieuses à but charitable à Lyon étaient déjà organisées de cette façon comme les Filles pénitentes et les Recluses qui sont administrées par des dévots. Cependant, la grande originalité de la Providence est d’associer des femmes à cette administration.

3Après avoir présenté les origines de cette œuvre, nous nous proposons de montrer l’originalité de la gestion féminine de la maison dans les premières décennies de son existence et comment elle fut remise en cause à la fois à travers la confiscation de son administration par les notables lyonnais et une évolution de la communauté séculière vers la régularité.

Origine et fondation de la Providence, une œuvre de la Compagnie du Saint-Sacrement ?

4L’origine de la maison ou hôpital de la Providence de Lyon est mal connue. Les documents qui relatent sa fondation sont en effet postérieurs à celle-ci et ont souvent pour unique but d’en justifier l’existence.

  • 3  Anne Dugas, fille de Louis, Conseiller du roi, élu en l'Élection de Lyon, échevin en 1658-1659 et (...)

5En 1711, quatre dames pieuses de la ville de Lyon toutes issues de familles d’officiers royaux3, requièrent auprès de l’archevêque, l’érection de cette œuvre de piété jusque là totalement inconnue par les textes, en communauté séculière. Dès 1707, ces quatre femmes appartenant à la haute société lyonnaise, inquiètes quant à

« l’extrême danger ou elles remarquoient avec douleur depuis long temps que plusieurs jeunes filles d’artisans de cette ville estoient de se perdre, les unes estant sans parens, elles n’avoient personne qui veillasse à leur éducation, les autres avoient des parens negligens qui y veilloient peu et qui estans sans biens, eux mêmes sans éducation n’en pouvoient donner aucune à leurs filles et les laissoient tomber dans le libertinage et dans la débauche, et d’autres qui par eux mêmes les y portoient par leurs exemples et par leurs sollicitations »,

  • 4  A.D.R. 44H125 : 28 avril 1708 Contrat d'acquisition de la maison Beaulieu par Gaspard l'abbé de Sé (...)

6ont retiré quelques unes de ces jeunes filles dans une maison particulière avec l’autorisation de l’archevêque. En 1711, trente à quarante fillettes sont ainsi éduquées dans la maison acquise dans ce but par l’abbé de Séve, prête-nom pour l’institution qui n’a toujours pas d’existence légale4. L’érection de la maison en communauté séculière, accordée par l’archevêque de Lyon le 15 juin 1711, répond avant tout, face à l’accroissement du nombre de jeunes filles, à une volonté de pérenniser l’œuvre en lui permettant de recevoir donations, legs et fondations et d’acquérir des biens en particulier la maison dans laquelle elles sont logées. La communauté de pauvres filles prend alors le titre de Maison de la Providence. Elle est placée sous la direction de l’Archevêque et reste administrée par des dames laïques et des pères temporels chargés de les conseiller et de passer les contrats. Le 17 décembre 1716, les lettres patentes confirment cette ordonnance.

  • 5  Il s'agit peut-être de Gaspard de Sève lui-même mais aucun document ne peut confirmer cette hypoth (...)
  • 6  A.D.R. 44H107.

7On ignore qui est véritablement à l’origine de la maison, une « personne dévote, d’une piété solide et d’une vie édiffiante », dont le nom n’est pas divulgué5, aurait, d’après un mémoire datant des années 17206, joué un rôle clef dans cette fondation en sollicitant les quatre dames fondatrices pour s’en occuper. Aucun autre document ne vient conforter cette thèse et différents éléments tendent à prouver que la Compagnie lyonnaise du Saint-Sacrement a œuvré pour la naissance de cette institution. Les buts de l’institution s’inscrivent pleinement dans les actions menées par la Compagnie mais contrairement aux maisons des Filles Pénitentes et des Recluses établies à Lyon dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, aucun document n’y relie directement la fondation de la maison de la Providence. L’érection de l’oeuvre de la Providence en communauté séculière en 1711 et plus exactement la  demande d’obtention de lettres patentes auprès du roi en 1716, s’appuient sur des exemples de maisons similaires créées à Paris, Grenoble et Marseille et semblent donc s’inscrire dans les réseaux de la Compagnie. De plus, dans un document postérieur à la fondation, la création de la Providence en 1707 apparaît comme une réponse à l’inefficacité des maisons ayant pour vocation de retirer les filles adultes du péché :

  • 7  A.D.R. 44H107.

« Des Dames et des Demoiselles de piété se trouvant (…) rebutées de l’inutilité des soins quelles prenoient depuis longtems pour retirer du désordre plusieurs filles qui y étoient malheureusement tombées, et voyant que leur premier péché étoit une source presque inévitable de beaucoup d’autres, et d’une vie toute déréglée, Elles crurent qu’elles employeroient plus utilement leur tems, leurs aumônes, et leurs soins si elles essayoient de les empêcher de tomber dans le péché en les retirant dès les premières années de leur vie pour les préserver de toute corruption »7.

8Cette référence directe aux communautés de filles pénitentes et plus particulièrement à la communauté des Recluses, tend à prouver que la maison de la Providence émane non seulement de la même volonté mais aussi des mêmes personnes que ces établissements dont les liens avec la Compagnie du Saint-Sacrement ont été démontrés.

  • 8  Pierre Terrasson est en effet présenté comme un des initiateurs de l'œuvre de la Providence mais s (...)
  • 9  Cf. note 3 et « Registre de réception des membres de la Compagnie de Lyon », Georges GUIGUE, Les p (...)
  • 10  Georges Guigue, Les papiers…, op. cit. Laurent Dugas est le neveu de Anne Dugas, une des quatre da (...)

9Il existe bien des liens entre la Compagnie et les premiers administrateurs de l’œuvre. Pierre Terrasson vicaire général de l’Église de Lyon, membre de la Compagnie depuis 1680, est considéré dans des mémoires postérieurs à la fondation comme l’un des principaux artisans de l’œuvre et son directeur spirituel8. Les dames fondatrices, qui appartiennent à de grandes familles lyonnaises, comptent toutes parmi leurs proches des confrères de la Compagnie9. Enfin, deux des Pères temporels nommés à la direction de la maison par l’archevêque en 1717, Laurent Dugas et Alexandre du Soleil, ont été reçus dans la Compagnie deux ans plus tôt10.

  • 11  Jean-Pierre Gutton, « Administrateurs d'hôpitaux et compagnie du Saint-Sacrement », Les administra (...)

10Tous ces éléments tendent à confirmer l’hypothèse selon laquelle la Compagnie lyonnaise du Saint-Sacrement a supervisé la fondation de la Providence. La présence de certains de ses membres dans l’administration de l’œuvre lui permet sans aucun doute de garder un contrôle sur son action. Cependant, la naissance de l’œuvre de la Providence correspond à la période de déclin de la Compagnie11. Les premières délibérations du bureau qui ont été conservées datent de décembre 1729, deux ans seulement avant que la Compagnie lyonnaise ne disparaisse. En 1729, Laurent Dugas et Alexandre Du Soleil sont toujours actifs au sein du Bureau de la Providence et un seul autre confrère, Pierre Jonquet, fait alors partie des administrateurs. Aucun document ne permet d’appréhender l’influence concrète qu’ont pu avoir les membres de la Compagnie sur les décisions prises par le Bureau de la Providence.

  • 12  Cf. note 3.

11Quel que soit le rôle joué par la Compagnie du Saint-Sacrement dans la naissance de la maison de la Providence, l’œuvre apparaît dans la majorité des documents comme le fruit de la volonté de quatre dames pieuses qui appartiennent à des familles lyonnaises d’officiers royaux12. Son originalité réside dans le rôle joué par les femmes non seulement dans cette création mais surtout dans l’administration de la maison.

L’administration de la Providence : une expérience originale de gestion féminine

  • 13  Jacqueline Basset, fille de Léonard, Receveur général des Etapes du Lyonnais et épouse de Jean-Bap (...)

12En 1717, l’archevêque de Lyon établit le premier Bureau de la Providence. Aux quatre premières dames fondatrices, il en ajoute huit issues du même milieu social13. L’ordonnance de l’archevêque affirme le rôle prédominant que doivent jouer les femmes dans l’administration de la maison :

« Nous avons crû que, comme cette maison de Providence étoit uniquement destinée à l’éducation des pauvres filles, rien n’étoit plus convenable pour avoir la conduite et l’entière administration de la maison et que lesdites dames seules étoient propres à veiller à la nourriture, entretien et éducation desdites filles et à se donner les soins nécessaires pour les placer, loger et établir et pour avoir la vigilance qu’exigent des personnes de leur sexe destituées de tous secours ».

  • 14  Dans un état des biens de l'institution datant du 21 février 1722 (A.D.R. 44H101), il est question (...)

13La première contribution des dames administratrices à l’institution est bien entendu financière14. Lors de la création de l’œuvre, avant même sa reconnaissance par les autorités, la maison fonctionne grâce à leurs libéralités. Au-delà de cette fonction, elles s’occupent concrètement de l’œuvre en organisant le recrutement des enfants. Elles se chargent de proposer des fillettes, qu’elles connaissent ou qui leur ont été recommandées, que leurs parents sont jugés susceptibles de pervertir. Une fois proposées, les familles font l’objet d’une information ou enquête menée par des membres du bureau députés à cet effet afin de vérifier que les enfants sont bien dans le cas d’être reçues. Selon les résultats, elles sont acceptées ou refusées. Ce choix des pauvres à secourir est significatif de l’assistance sous l’Ancien Régime, la Providence s’adresse d’abord aux filles d’artisans lyonnais avant de s’ouvrir plus largement à l’ensemble des enfants jugées en danger. De plus, les jeunes filles recueillies doivent être en bonne santé, comme le montre l’examen médical systématique auquel elles sont soumises avant d’être accueillies dans la maison. Leur santé ou plus exactement l’absence d’infirmité conditionne leur placement une fois devenues adultes comme domestiques, placement qui est organisé par les dames administratrices. Surtout, la gestion quotidienne de l’œuvre est placée sous la vigilance des administratrices qui veillent à ce que rien ne manque pour le soin des enfants en se chargeant par exemple de l’achat du linge pour la maison. Enfin, elles surveillent l’éducation des filles autant d’un point de vue religieux que pratique.

  • 15  Jacqueline Roubert, « Les recteurs des hôpitaux lyonnais avaient-ils une politique de l'enfance ?  (...)
  • 16  A.D.R. 44 H 101.

14Cette reconnaissance des compétences de dames laïques dans l’éducation d’enfants de leur sexe n’est pas un cas isolé à Lyon puisque l’Aumône Générale fait appel à des femmes de notables pour inspecter les adoptives élevées à la Charité15. L’originalité de la Providence réside dans le fait, qu’au moins dans les premières décennies d’existence de l’institution, le rôle des femmes apparaît comme essentiel à son fonctionnement. L’archevêque leur donne en effet « tout pouvoir nécessaire pour l’administration du temporel (…) régir, gouverner et aquerir » sous son autorité. Il nomme également quatre Pères temporels laïques mais uniquement « pour ayder les dames de leur avis (…) et entrer dans les contrats pour les signer »16, ceux-ci ont un rôle secondaire puisque ce sont les dames qui en cas de décès d’une d’entre elles ou d’un Père temporel proposeront un remplaçant qui sera agréé par l’archevêque.

15À l’égal des hommes administrateurs d’hôpitaux, ces femmes utilisent leurs cercles de sociabilité pour collecter des dons et intercéder en faveur de la communauté. Ainsi, une délibération du bureau en 1732, nous apprend que l’une d’entre elles, Jacqueline Basset, épouse de Jean-Baptiste De Lafont seigneur de Curis, Conseiller du roi en la Sénéchaussée et siège présidial de Lyon, s’est chargée d’intervenir afin que la maison soit exemptée des droits d’entrée sur le vin. Au même titre que les Pères temporels, elles représentent la maison auprès des autorités, par exemple ce sont deux dames qui en 1733 sont députées auprès de l’archevêque pour le convier à participer au Bureau. Elles interviennent donc à la fois dans le détail de l’œuvre mais également comme représentantes de l’institution à l’extérieur.

  • 17  A.D.R. 3E3055 : Notaire Bouvier : testament de Marie Pianelli de la Valette, 29 décembre 1736.

16La rareté des documents rend difficile une connaissance précise de leur état d’esprit et de leurs motivations. Les douze femmes membres du premier Bureau sont pour la plupart des filles majeures ou des veuves, seulement trois sont mariées. Leurs testaments, quand ils ont pu être retrouvés, laissent percevoir une dévotion marquée et une grande générosité. Le testament de Marie Pianelli de la Valette en 173617, est tout de même significatif car les legs prévus sont clairement orientés vers les œuvres lyonnaises à but charitable, jugées utiles (Hôtel-Dieu, Aumône Générale, Œuvre  de la miséricorde de la paroisse d’Ainay, Providence) au détriment des communautés religieuses, puisqu’un seul legs est envisagé pour les Clarisses, ordre réputé particulièrement pauvre.

  • 18  A.D.R. 44 H 107.

17Un projet de règlement pour la Providence qui peut être daté des années 1720 et émane certainement de ces femmes si l’on en considère la teneur, nous éclaire sur le rôle qu’elles entendent jouer dans l’administration de la maison18. Il apparaît comme un véritable plaidoyer en faveur d’une gestion féminine de l’œuvre. Le Bureau des dames fait l’objet des premiers articles du projet avant même ceux concernant le but de l’œuvre, les pauvres filles qui composent la communauté et bien sûr le Bureau des Pères temporels qui apparaît comme accessoire. Reprenant l’ordonnance de l’archevêque de 1717, le premier article tend à justifier la présence des dames à la tête de la maison et leur qualification pour tenir ce rôle :

« on ne pourroit confier le soin, l’inspection, la visite d’une maison destinée pour l’Education des pauvres filles d’un age peu avancé qu’à un bureau de dames, qui ont les lumières, l’expérience, la patience, et les talens nécessaires pour cette bonne œuvre ».

18Elles évoquent ensuite dans le troisième article leur motivation :

« il n’y a parmy ces Dames d’autre rang que celuy que leur inspire une charité humble, vuide de toute recherche d’elles mêmes et uniquement occupées de l’œuvre de Dieu dont elles sont chargées et qui les a unies entrelles pour y travaille ».

19Elles placent leur dévotion au premier rang de leur motivation mais n’en oublient pas pour autant les considérations matérielles dues à leur qualité sociale puisqu’il est jugé nécessaire

« de faire attention que la Dame qu’on veut choisir soit en état de fournir par ses aumônes a la subsistance des enfants élevés dans ladite maison et de donner ses soins pour le détail des besoins desdits enfans ».

20Les qualités requises pour faire partie du Bureau sont : la piété, l’éloignement du monde et «  un caractère d’Esprit capable de conserver la paix et l’union dans ledit Bureau ». Les dames mettent en garde contre toute dérive vers un type de salon mondain qui pourrait fournir des arguments à leurs opposants, elles rappellent ainsi

« que pendant qu’une Dame parlera les autres Dames auront la charité de l’écouter en silence sans l’interrompre sans s’amuser ou parler avec une ou plusieurs desdites dames de l’assemblée ».

21Elles affirment enfin la primauté de leur rôle dans le détail de l’œuvre sur celui des Pères temporels nommés par l’archevêque « pour l’établissement solide et temporel de cette maison ».

  • 19  A.D.R. 44H107.

22Ainsi, ce projet de règlement exprime clairement l’idée que les dames se font de leur place dans le gouvernement de la Providence. Elles en revendiquent la direction intérieure donc la gestion de la partie pieuse et charitable et laissent aux hommes le soin de passer les contrats (acquisitions, constitutions de rente, prix faits), chose à laquelle en tant que personne du sexe elles ne peuvent prétendre. Leur motivation est certes avant tout liée à la charité mais on ne peut ignorer, à l’image des hommes recteurs d’hôpitaux, une certaine ambition personnelle. Il ne semble pas exagéré d’y voir une certaine volonté d’affirmation. Dans un mémoire vantant les bienfaits de l’institution certainement rédigé par une des dames, l’objectif est clair, au-delà d’une participation à une œuvre utile, « les veuves et les filles qui sont riches et libres doivent par leurs charités faire honneur à leur sexe »19. Ces dames pieuses souhaitent donc démontrer non seulement leur capacité à assumer pleinement la gestion d’une œuvre mais aussi le rôle qu’elles entendent jouer en tant que femmes et laïques dans l’action charitable.

  • 20  Archives Municipales de Lyon 744WP079 : Lettre à Messieurs les Maire et officiers municipaux de Ly (...)

23Cependant, si l’on aperçoit à travers cette gestion originale, le combat de certaines femmes pour leur reconnaissance sociale, il est nécessaire de rappeler que les administratrices n’entendent pas y inclure l’ensemble de la gente féminine. En effet, nous avons vu que ces dames de famille se considèrent comme dotées de qualités particulières qui ne font pas de toutes les personnes de leur sexe leurs égales. Différents éléments laissent entrevoir une vision très réduite qu’elles mêmes ont de la femme. Au-delà des perversions féminines qu’elles condamnent, le premier but de l’œuvre est en lui-même opposé à une reconnaissance de la femme-mère puisqu’il se propose d’enlever définitivement les enfants de l’amour de leur génitrice pour les placer dans la maison. Ce fait sera d’ailleurs dénoncé au moment de la Révolution par un groupe de citoyennes20 qui voit dans les buts de la Providence « un vice radical ». Elles estiment en effet que retirer les fillettes des soins de leur mère condamne à jamais celle-ci « Toute inconduite peut-être réparée, effacée, oublié ou enfin niée, celle d’une mère dont la fille est à la Providence est ineffacable, authentique, prouvée, incontestable ».

24Les fillettes y sont également considérées comme souillées par leur passage à la Providence. En manquant de gratitude à leur mère, elles commettent un péché, si elles s’en rendent compte « ils n’ont fait qu’une infortunée » sinon « ils n’ont fait qu’une dénaturée et une impie ».

  • 21  A.D.R. 44H106 : Mémoire des directrices anciennes et modernes de la Providence à l'Evêque d'Autun, (...)

25Une autre vision de la femme apparaît au travers l’image que véhiculent les administratrices, des sœurs de la maison. Alors même que celles-ci ont été pour la plupart retirées de leur cellule familiale dès leur plus jeune âge pour être élevées dans la vertu, elles sont jugées très durement par les administratrices. Elles demeurent considérées comme « sans usage du monde, sans expérience, […] uniquement propres à veiller à l’éducation et au travail des autres pauvres filles » et doivent être placées « sous les ordres de personnes plus entendues et plus intelligentes qu’elles »21.

26Les dames administratrices revendiquent donc une place dans la société mais uniquement réservée aux femmes des milieux aisés dont la moralité et la capacité sont exemplaires.

  • 22  Ibidem.

27Cette gestion féminine est de courte durée. Même si peu de documents ont été conservés pour les premières années de l’administration de la Providence, il semble que celle-ci soit quasi-exclusivement dirigée par les dames. D’ailleurs, avec l’arrivée des messieurs dans le Bureau, l’administration de la maison se formalise, il n’est pas étonnant qu’elle produise alors plus de documents. Les dames se réunissent tous les mois alors que le Bureau des Pères temporels est moins régulier (dans le projet de règlement que nous avons évoqué, il est proposé une assemblée trimestrielle pour les directeurs). Dès 1726, elles prennent l’initiative, d’après un mémoire postérieur22, de députer certaines d’entre elles pour assister à l’assemblée des messieurs. L’administration de l’hôpital commence à leur échapper, les messieurs se réunissant plus régulièrement. Les délibérations d’administrateurs conservées qui commencent en décembre 1729 ne font état que d’un seul Bureau qui réunit tous les mois l’ensemble des dames directrices et des Pères temporels.

Le déclin de la gestion féminine

28Ce déclin est tout d’abord perceptible d’un point de vue purement quantitatif, le nombre des administrateurs tend à s’aligner sur celui des administratrices avant de le dépasser. Comme nous l’avons vu en 1717, l’archevêque établit un bureau composé de douze dames et de quatre hommes. En août 1729, le Bureau, réuni pour la réception de plusieurs filles de la maison, est composé de douze femmes et dix hommes. Enfin en 1734, le Bureau délibère que désormais le nombre des administrateurs sera fixé à quinze femmes et quinze hommes. Nous possédons la liste des membres du Bureau présents à chaque réunion entre 1746 et 1751. Pour cette période, le nombre moyen d’administrateurs est d’environ dix-huit tandis que celui des dames est de cinq mais elles assistent de moins en moins aux assemblées qui se tiennent parfois sans qu’aucune d’entre elles ne soit présente. Enfin, en 1758, les femmes sont totalement absentes du Bureau démissionnaire. Que faut-il en déduire ? La première hypothèse consisterait à penser que les femmes délaissent volontairement les réunions du Bureau mais gardent tout leur pouvoir au sein de la direction intérieure de la maison. Mais, d’après plusieurs mémoires rédigés à l’attention de l’archevêque en 1758, les femmes ne jouent plus aucun rôle dans l’administration de la maison depuis environ dix ans. D’ailleurs en 1750, le Bureau délibère que chaque mois l’un des administrateurs visitera la maison, preuve que les dames se sont détournées de l’administration du détail de l’œuvre qu’elles revendiquaient dans les années 1720. Dès lors, si l’on admet ce désengagement des femmes dans l’administration de la Providence, il faut s’interroger sur les causes de celui-ci, est-il délibéré ou subit ?

29Tout porte à croire que les dames ont tenté de conserver la gestion du détail de l’Œuvre mais que celui-ci leur a petit à petit échappé. En effet, dès lors que le Bureau des administrateurs devient régulier, les femmes prennent l’initiative d’y assister pour conserver leur influence. Si les hommes sont de plus en plus impliqués dans l’administration de la Providence, c’est avant tout parce que celle-ci joue un rôle croissant dans la sociabilité des notables lyonnais. Être membre du Bureau de la Providence tend à devenir, à l’image de l’administration des hôpitaux, un faire valoir et un enjeu local pour les notables. Cependant, à la différence des hôpitaux pour lesquels il a été démontré que le Rectorat joue un rôle déterminant dans la carrière (accès à l’échevinage), le Bureau de la Providence apparaît comme un moyen de maintenir son influence après une carrière réussie. Ceci explique le nombre croissant des administrateurs qui sont recrutés parmi les marchands ou négociants de la ville (60 %) et les officiers (40 %). Environ un quart des administrateurs entre 1729 et 1751 ont d’ailleurs déjà exercé la fonction de recteur dans l’un des hôpitaux de la ville.

30En outre, la maison de la Providence est une communauté séculière placée sous la direction théorique de l’archevêque de Lyon. Malgré les sollicitations régulières du bureau, les représentants des autorités ecclésiastiques en restent totalement absents. L’arrivée tardive des sœurs dans la maison coïncide avec le déclin de la gestion féminine de l’œuvre à laquelle elle est étroitement liée. En effet, l’effacement des dames de la maison est une conséquence de la prise de fonction des religieuses parce qu’elles doivent à cette occasion revoir leur rôle. En même temps, le recul de la gestion féminine contribue à accroître les fonctions des religieuses, le Bureau est désormais obligé de se reposer sur elles pour l’organisation quotidienne.

  • 23  A.D.R. 44H119.
  • 24  A.D.R. 44H108.

31La première sœur n’est reçue dans la maison que le 30 septembre 1726. Son acte d’engagement23, repris dans un contrat entre l’ensemble des sœurs et le Bureau en 172924, spécifie que les Filles de la Trinité engagées dans la maison ne pourront jamais l’ériger en communauté séparée et indépendante. Avec l’entrée de sœurs dans la maison, même si elle était prévue dès la fondation, deux problèmes se posent. Tout d’abord, celui de leur direction spirituelle en particulier après le décès en 1728 de Pierre Terrasson qui faisait office de directeur spirituel. Mais surtout, un problème non moins important et surtout plus urgent est celui de la direction intérieure de la maison au quotidien qui est déterminant dans l’administration du détail de l’œuvre. À partir du moment où la maison accueille des sœurs spécifiquement chargées de veiller à l’éducation des jeunes pensionnaires, le rôle des dames est secondaire et leur autorité peut être contestée.

  • 25  A.D.R. 44H107.
    « Priere des filles de la Providence pour leurs bienfaicteurs et bienfaictrices.
    Vei (...)
  • 26  A.D.R. 44H119.

32Nous ignorons comment était organisée la maison avant la prise d’habit de la première religieuse. Tout laisse supposer que l’instruction des pensionnaires revenait à des maîtresses laïques et l’intendance à des domestiques employées à cet effet. L’autorité des dames était donc naturelle. Les sœurs de la Providence élevées dans la maison ont du respect pour ces dames charitables qui leur sont présentées depuis leur enfance comme les personnes à qui elles doivent toute leur éducation et donc leur salut. Les pensionnaires récitent des prières pour les membres du Bureau dans lesquelles ils sont considérés comme leurs bienfaiteurs et bienfaitrices25. Mais la direction des sœurs ne se fait pas sans heurt. Ainsi, la première sœur engagée demande à se retirer deux ans après ses vœux. Dans une lettre adressée aux dames directrices et pères temporels26, elle évoque des raisons de famille et une santé fragile, mais la déclaration faite par les administrateurs à l’intention de l’archevêque ne laisse aucun doute. En effet, ils y affirment qu’elle a abusé de leur confiance et des pouvoirs qui lui avaient été confiés en tant que supérieure et demande à l’archevêque de consentir à sa sortie

« à condition neantmoins que sous aucun prétexte elle ne pourra avoir aucune liaison directement ni indirectement avec la maison de la providence ni avec aucunes des personnes qui y sont a peine d’être renfermée dans un couvent ou mise hors de la ville ».

  • 27  A.D.R. 44H119.

33L’affaire semble grave, l’archevêque lui donne la permission de sortir de la maison par son ordonnance du 5 février 172927 mais des documents postérieurs évoqueront sans équivoque son renvoi.

  • 28  A.D.R. 44H109.

34Même si l’archevêché intervient lors de la réception des sœurs ou de problèmes graves comme celui que nous avons évoqué, le Bureau des directeurs et directrices, une autorité laïque, dirige de façon quasi-autonome la maison. Ainsi, c’est le Bureau qui propose que telle ou telle fille élevée ou non dans la maison y devienne religieuse. Pour preuve, selon « la formule des vœux des filles du tiers ordre de la sainte Trinité qui s’engagent dans la maison où hôpital de la Providence »28 , la prétendante doit demander à prononcer ses vœux de la façon suivante

« le Bureau de Messieurs les Pères Temporels et Mesdames les Directrices de cette maison ayant agréé l’épreuve que j’y ay faite depuis que je porte l’habit du tiers ordre de la sainte Trinité. Je vous supplie de m’admettre à l’engagement de porter toujours cet habit ».

35Les sœurs prononcent des vœux simples : chasteté et obéissance et promettent stabilité dans la maison. Mais le vœu de stabilité prononcé par les sœurs est révocable. La première sœur est partie deux ans après ses vœux et le règlement définitif de la maison en 1758, officialise la démarche en permettant que des sœurs quittent la maison « pour de bonnes et justes raisons » avec l’agrément du Bureau et le consentement de l’archevêque pour les dispenser de leur vœu de stabilité.

  • 29  A.D.R. 44H110.
  • 30  Ibidem.
  • 31  A.D.R. 44H106.

36Après l’échec rencontré avec la première religieuse à qui le Bureau avait donné la qualité de supérieure de la maison, aucune autre sœur n’est censée avoir autorité sur les autres. En mars 1729, le Bureau nomme une demoiselle laïque, économe de la maison.  Imposée par les administrateurs celle-ci fait office de relais entre les laïcs et les sœurs. Après son décès en 1740 une autre demoiselle âgée de près de soixante-dix ans lui succède pendant un an avant d’être remplacée par une dernière qui meurt en septembre 1749. Jusque là les relations entre les administrateurs et les sœurs paraissent maîtrisées, la présence régulière des dames dans la maison contribue sans doute à légitimer ce gouvernement laïque. Cependant à partir de 1749, au moment où le recul de la gestion féminine semble largement entamé, une des religieuses est nommée pour assurer l’intérim, le climat va alors totalement se dégrader. En janvier 1750, il est décidé qu’elle n’assistera plus au bureau et sera simplement appelée pour « rendre raison de ce qu’il se passe dans la maison »29. Les relations entre les administrateurs et les sœurs de la maison sont difficiles. En mai suivant, le Bureau envisage de nouveau de choisir pour économe une étrangère de préférence à l’une d’entre elles30, les raisons débattues pendant l’assemblée ne sont pas précisées sur le registre des délibérations. Ce n’est cependant qu’en 1756, face au désordre observé dans la maison que le Bureau décide de nommer « un sujet au dehors capable de conduire sous les ordres du Bureau cette maison »31. Une demoiselle laïque dirige alors la maison pendant un an. Cependant, pour la remplacer en cas de nécessité,

  • 32  Ibidem.

« l’on choisit peu de tems après une demoiselle d’une famille, d’un esprit et d’un caractère à pouvoir dans ces différents cas représenter la demoiselle économe et gouverner une maison qui exige d’avoir à sa tête des sujets plus capables que des sœurs »32.

37Un projet de relation destiné à l’archevêque fait alors état d’une véritable coalition des sœurs contre cette étrangère. À partir du moment où les dames se sont retirées de l’administration quotidienne de l’œuvre, la demoiselle économe n’a plus d’autorité dans la maison. Le Bureau a bien tenté de pallier à l’effacement des dames dans l’administration. Pourquoi a-t-il échoué ? Nous avons vu que l’autorité des dames même si elle pouvait être contestée était légitime mais dès lors qu’il s’agit d’une inconnue, l’équation n’est plus la même. Si les sœurs peuvent considérer comme naturelle l’autorité des dames administratrices, il n’en va pas de même pour des étrangères. Leur autorité sur les sœurs est vécue par celles-ci comme une intrusion dans la maison, elle est à la fois l’occasion et l’excuse qui permettent de dénoncer la main mise des laïcs sur la Providence et de tenter de s’en émanciper.

  • 33  Règlements pour la maison de la Providence par S.E. Mgr. le Cardinal de Tencin, Archevêque et Comt (...)

38L’effacement des femmes au profit des hommes dans le Bureau, mais aussi le rôle des sœurs dans la maison (à la fois cause et conséquence) conduisent au recul de la gestion féminine qui plonge la maison dans une crise particulièrement douloureuse. En juillet 1757, les sœurs s’adressent directement à l’archevêque de Lyon, pour dénoncer ce gouvernement laïc de la maison passant ainsi outre l’autorité du Bureau. Le cardinal de Tencin vient lui-même écouter les plaintes des sœurs et refuse d’entendre les membres du Bureau. Il reprend en main la maison et lui donne enfin un règlement le 13 février 175833. Ainsi, l’archevêque limite le rôle du Bureau désormais placé sous la direction d’ecclésiastiques et tend à organiser la communauté comme une communauté régulière. En premier lieu, les sœurs seront reçues par le Supérieur et agréées par le Bureau. Après une année, les prétendantes seront soumises au suffrage des sœurs, le Bureau leur donnera leur agrément et le représentant de l’archevêque l’approuvera. Dans le choix des sœurs, le Bureau prend désormais une place formelle et non plus essentielle. Il en choisira une pour « l’exercice de l’économie du temporel », supérieure ou économe, après avoir écouté la communauté et si aucune n’est apte à s’en charger, le choix d’une étrangère laïque reste possible. Il conserve la gestion temporelle de la Providence et le choix des filles pauvres qui y seront élevées.

  • 34  A.D.R. 44H106.

39Opposés à la décision de l’archevêque qui selon eux vise à transformer la Providence de maison de charité en communauté régulière, les membres du Bureau choisissent de se retirer. L’archevêque nomme alors un nouveau Bureau composé de quinze administrateurs. Après la mort du Cardinal de Tencin peu de temps après la publication du règlement, les « directrices anciennes et modernes » de la maison adressent un mémoire34 à l’évêque d’Autun, nommé par le Roi pour assurer l’administration provisoire du diocèse, afin d’infléchir la position de l’archevêché. On peut s’étonner de l’intervention de ces femmes, alors que le Bureau démissionnaire était composé uniquement de directeurs. Un mémoire émanant des services de l’archevêché dénonce une manipulation de l’ancien Bureau pour récupérer l’administration de l’œuvre. Il y a certainement une part de vérité mais l’on doit y voir également une occasion pour les dames de reprendre leur place dans cette administration. Ce mémoire est significatif de l’idée qu’elles avaient de la gestion idéale de la Providence et de ses dérives. Tout d’abord, elles dénoncent l’évolution vers la régularité de la communauté. Le fait que l’archevêque ait donné le nom et la qualité de Supérieure à une des sœurs et que celles-ci aient un règlement est pour les anciennes administratrices le signe d’une trahison de l’esprit de l’œuvre. Selon elles,

« les sœurs disent depuis ce tems non seulement qu’elles sont religieuses sans être tenües à garder la clôture, mais encore qu’elles sont chez elles, ce qui est bien démenti par l’établissement de cet hôpital ».

40L’entrée d’ecclésiastiques dans le Bureau est également préjudiciable à l’œuvre puisqu’il

« donne aux citoyens le plus grand regret des aumônes considérables qu’ils ont faites pour le soutien et le progrès d’un établissement qu’ils voyoient régi à l’instar des deux hôpitaux de cette ville ».

41Elles demandent que soit rétabli l’ancien Bureau et que soit ordonné aux sœurs

« de reconnoitre lesdites dames et demoiselles directrices modernes et ceux des Messieurs qui s’étoient retirés au mois de janvier pour administrateurs, leur obéir concernant le temporel, la police et discipline intérieure dudit hôpital ».

  • 35  En 1759, l'ancien trésorier du Bureau est l'objet d'une faillite personnelle qui éclabousse la Pro (...)
  • 36  Jean-Baptiste Martin, Histoire des églises et chapelles de Lyon, Lyon, 1908, vol. 1, p. 124.

42Le règlement donné par l’archevêque en 1758, laissait la possibilité d’y recruter des femmes, mais dans les faits elles n’y participeront plus. Cette expérience de gestion féminine d’un établissement au statut particulier entre œuvre charitable et communauté séculière est exemplaire. Si la direction des dames a été brève pour les différentes raisons que nous avons évoquées, son recul conduit la Providence à une crise d’administration doublée d’un scandale financier35. Cet échec montre que les dames avaient réussi à mettre en place une gestion équilibrée et rigoureuse de la maison. Leur lutte contre l’ordre établi pour que cette maison conserve son caractère original, même si leur combat a en grande partie échoué, illustre de façon concrète l’action de dames de piété du XVIIIe siècle. À travers l’exemple de la gestion de la Providence, se dessine l’aspiration des femmes à une forme d’apostolat laïque féminin. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’au début du XIXe siècle, l’œuvre renaisse sous l’impulsion de « quelques dames, distinguées par le rang et la vertu »36.

Haut de page

Notes

1  Archives départementales du Rhône (A.D.R.) 44H101.

2  Déclaration contenant règlement sur l’administration des hôpitaux et maladreries, Versailles, 12 décembre 1698.

3  Anne Dugas, fille de Louis, Conseiller du roi, élu en l'Élection de Lyon, échevin en 1658-1659 et membre de la Compagnie du Saint-Sacrement.
Jeanne-Françoise Durand, épouse de Hugues de Siry, chevalier baron de Couches.
Marie Pianello (ou Pianelli) de la Valette, fille de Laurent, Président du Bureau des finances, prévôt des marchands en 1687-1688, membre de la Compagnie du  Saint-Sacrement.
Jeanne Gallat (ou Gaillat), fille de Mathieu, Conseiller du roi et premier avocat en la Sénéchaussée et siège présidial de Lyon, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement.

4  A.D.R. 44H125 : 28 avril 1708 Contrat d'acquisition de la maison Beaulieu par Gaspard l'abbé de Séve, reçu par Me Renaud notaire. Une note au dos du contrat précise « pour servir à l'hôpital de la Providence ». La maison est vendue à l'abbé de Séve par Monsieur Gueston, conseiller secrétaire du Roi pour la somme de 15400 livres. Elle est composée de plusieurs corps de bâtiments, terrasses et jardins situés sur la montagne Saint-Barthélemy. Dès l'été 1708, des travaux d'aménagement sont réalisés pour l'accueil des enfants. Il sont commandités par l'avocat en Parlement Guérin désigné comme trésorier « pour les petites filles de la Providence » (A.D.R. 44H127). Le 7 août 1717, la maison est acquise par les administrateurs de la Providence. Le contrat, reçu par Me Théve notaire, précise que l'abbé de Séve se réserve la jouissance de la grande maison et cède l'ensemble de la propriété à la Providence pour la somme de 18000 livres payable après son décès. En fait, lorsque le paiement intervient en 1723, un legs de 3000 livres de Gaspard de Séve rapporte le coût de la maison à 15 000 livres. Une grande partie de cette propriété existe toujours au 27 de l'actuelle montée Saint-Barthélemy, elle est aujourd'hui occupée par La Villa Florentine.

5  Il s'agit peut-être de Gaspard de Sève lui-même mais aucun document ne peut confirmer cette hypothèse.

6  A.D.R. 44H107.

7  A.D.R. 44H107.

8  Pierre Terrasson est en effet présenté comme un des initiateurs de l'œuvre de la Providence mais son nom n'apparaît pas dans les premiers documents concernant la maison. Il est cependant certain qu'il n'est pas la « personne dévote, d’une piété solide et d’une vie édiffiante » présentée comme le fondateur.

9  Cf. note 3 et « Registre de réception des membres de la Compagnie de Lyon », Georges GUIGUE, Les papiers des dévots de Lyon : Recueil de textes sur la Compagnie du Saint-Sacrement, ses statuts, ses annales, la liste de ses membres. 1630-1731, Lyon, Librairie ancienne Vve Blot, 1922, pp.76-99.

10  Georges Guigue, Les papiers…, op. cit. Laurent Dugas est le neveu de Anne Dugas, une des quatre dames fondatrices et le beau-frère de Jacqueline Basset qui fait partie des premières dames administratrices.

11  Jean-Pierre Gutton, « Administrateurs d'hôpitaux et compagnie du Saint-Sacrement », Les administrateurs d'hôpitaux dans la France de l'ancien régime, Actes des Tables-rondes des 12 décembre 1997 et 20 mars 1998, Lyon, P.U.L., 1999, pp. 171-181.

12  Cf. note 3.

13  Jacqueline Basset, fille de Léonard, Receveur général des Etapes du Lyonnais et épouse de Jean-Baptiste Bay de Curis, Conseiller du roi en la Sénéchaussée et siège présidial de Lyon.
Elisabeth de Billy, fille de Pierre, Conseiller secrétaire du roi, prévôt et receveur du comté de Lyon, peut-être membre de la Compagnie du Saint-Sacrement et épouse de Nicolas Bourgeat, marchand bourgeois de Lyon.
Elisabeth Chervin Rivière, veuve de Mathieu de La Font (dit le jeune), marchand bourgeois de Lyon, échevin de Lyon en 1705-1706.
Jeanne Detournon, veuve de Charles-Joseph Demazenot, Conseiller du roi en la Sénéchaussée et siège présidial de Lyon.
Marie Dumarest, fille de Martial, bourgeois de Lyon, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement et veuve de Mathieu Durand, avocat en Parlement et cours de Lyon.
Jeanne Gaultier, veuve d'Antoine Bathéon, Conseiller du roi en la Sénéchaussée et siège présidial de Lyon.
Elisabeth Randon et Marie Ressort, filles de bourgeois de Lyon.

14  Dans un état des biens de l'institution datant du 21 février 1722 (A.D.R. 44H101), il est question des « aumônes que les douze dames chargées du soin dudit hôpital sont engagées de donner chaque année » soit 100 livres chacune. Il faut y ajouter les libéralités exceptionnelles ainsi que les sommes qu'elles  ne manquent pas dans leur testament de léguer à la maison.

15  Jacqueline Roubert, « Les recteurs des hôpitaux lyonnais avaient-ils une politique de l'enfance ? », Les administrateurs d'hôpitaux dans la France de l'ancien régime, op. cit., p. 187.

16  A.D.R. 44 H 101.

17  A.D.R. 3E3055 : Notaire Bouvier : testament de Marie Pianelli de la Valette, 29 décembre 1736.

18  A.D.R. 44 H 107.

19  A.D.R. 44H107.

20  Archives Municipales de Lyon 744WP079 : Lettre à Messieurs les Maire et officiers municipaux de Lyon, s.d.

21  A.D.R. 44H106 : Mémoire des directrices anciennes et modernes de la Providence à l'Evêque d'Autun, s.d., [mars 1758].

22  Ibidem.

23  A.D.R. 44H119.

24  A.D.R. 44H108.

25  A.D.R. 44H107.
« Priere des filles de la Providence pour leurs bienfaicteurs et bienfaictrices.
Veillés sur nos besoins aimable providence
qui avés soin de nous dès notre tendre enfance
vous inspirés ce zele a des genereux cœurs
comblés les ô grand Dieu de vos rares faveurs
que touiours leurs bienfaits soient dans notre memoire
ornés les de vos dons donnés leur votre gloire
on ne peut desirer rien de plus precieux
que de vous posseder au royaume des Cieux ».

26  A.D.R. 44H119.

27  A.D.R. 44H119.

28  A.D.R. 44H109.

29  A.D.R. 44H110.

30  Ibidem.

31  A.D.R. 44H106.

32  Ibidem.

33  Règlements pour la maison de la Providence par S.E. Mgr. le Cardinal de Tencin, Archevêque et Comte de Lyon, du 13 février 1758, Lyon, imp. Chavance, 1775, 16 et 12 p.

34  A.D.R. 44H106.

35  En 1759, l'ancien trésorier du Bureau est l'objet d'une faillite personnelle qui éclabousse la Providence. N'ayant pas tenu des comptes rigoureux de ses avances faites à l'institution, ses créanciers réclament une somme colossale aux nouveaux administrateurs. Cependant, la décision de l'archevêque de reprendre en main la Providence est antérieure à ce scandale que les autorités ecclésiastiques font tout pour étouffer.

36  Jean-Baptiste Martin, Histoire des églises et chapelles de Lyon, Lyon, 1908, vol. 1, p. 124.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Laurence Pioch, « Féministes ou notables ? Les dames de la Providence à Lyon »Chrétiens et sociétés, 11 | 2004, 33-48.

Référence électronique

Laurence Pioch, « Féministes ou notables ? Les dames de la Providence à Lyon »Chrétiens et sociétés [En ligne], 11 | 2004, mis en ligne le 02 mai 2011, consulté le 30 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/2521 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.2521

Haut de page

Auteur

Laurence Pioch

RESEA - UMR 5190, LARHRA

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search