Jean-Pierre Gutton, Dévots et société au XVIIe siècle. Construire le Ciel sur la Terre, Paris, Belin, 2004, 218 p.
Texte intégral
1Le dernier livre de Jean-Pierre Gutton, trente ans après, répond en écho à La société et les pauvres en Europe XVIe-XVIIIe siècles, paru en 1974. Même taille, même écriture simple et sobre, même science sûre et précise, même inspiration profondément humaniste qui nourrit toute son oeuvre. La connaissance intime des sources lui permet de dresser enfin le portrait, de groupe mais aussi de quelques figures révélatrices, de ces hommes et de ces femmes qu’il avait rencontrés d’abord lorsqu’il s’était penché sur l’étude de la pauvreté et qu’il n’a plus guère quitté depuis : ces dévots dont le rêve si bien exprimé par le sous-titre du livre inspiré par Lucien Febvre – « contruire le Ciel sur la Terre » – allait bien au-delà du seul soulagement de la misère et visait une conversion de la société dans son ensemble.
2Le point de départ est politique : l’échec de la Journée des Dupes oriente les dévots vers l’action sociale, de la même manière que l’édit de Nantes avait conduit les Ligueurs à recourir au combat mystique puisque le roi imposait la trêve des armes. Au cœur du système construit par les dévots, bien sûr, on retrouve la Compagnie du Saint-Sacrement, mais si c’est bien son action, ou du moins celle de ses membres, qui est retracée au fil de ces pages, l’auteur prend le temps de rappeler qu’elle ne rassemble pas à elle seule tous les dévots. On les retrouve aussi dans les groupements plus préoccupés de spiritualité ou de piété, tels que les AA et les confréries nouvelles, souvent liées aux ordres religieux. Mais c’est autour de la Compagnie, puis des sociétés qui apparaissent ici ou là lorsqu’elle est supprimée, que se développe l’action sociale des dévots, dans les directions les plus diverses. Maîtrisant parfaitement toute la bibliographie à ce sujet, Jean-Pierre Gutton livre ici une synthèse magistrale et parfaitement à jour, éclairée par un choix de documents particulièrement significatifs extraits de ses dossiers, en l’organisant autour des trois préoccupations majeures (sécuriser, éduquer, moraliser) qui articulent la représentation que les dévots se forgent du monde, et qui se situe à la confluence de la réforme catholique et de l’idéal policé de l’honnête homme.
3Sécuriser en agissant contre les duels par l’intermédiaire de la confrérie de la Passion, en essayant de réduire l’arbitraire dans l’application des peines de galère, en apportant une aide judiciaire aux pauvres, en tentant de faire évoluer la prison vers une peine correctrice et rédemptrice tout en portant secours et assistance aux prisonniers, en luttant contre les marginaux (en particuliers contre les Tsiganes dont la surveillance et la répression est souvent oubliée), en enfermant les mendiants et vagabonds dans les hôpitaux généraux, enfin – selon une perspective originale – sécuriser en appuyant l’effort missionnaire au Canada comme en Syrie.
4Éduquer d’abord le dévot lui-même dont la vie est faite d’un va-et-vient entre retraite et distanciation du monde d’une part, observation et action dans celui-ci d’autre part, pour remplir la mission sociale qui incombe aux notables de secourir par l’action charitable et de contribuer au salut spirituel des pauvres. La multiplication des petites écoles, soutenue par la création de congrégations spécialisées, vise une nouvelle évangélisation de la société, mais aussi à préserver les enfants des ravages sociaux et moraux de la mendicité, et à inculquer aux filles la conscience de leurs devoirs de futures mères chrétiennes. Dans les collèges se forme l’élite qui servira l’État monarchique et l’Église, associés dans une même responsabilité devant Dieu. Éduquer aussi le couple par le développement d’une pastorale de la vie conjugale qui sacralise le mariage et y réhabilite le rôle de la femme et parfois de la sexualité. Réhabiliter aussi la femme – tout en la contrôlant – par l’exaltation de la mission qui incombe aux veuves.
5Moraliser en exaltant le travail comme protection contre le vice, comme prière et participation à l’œuvre divine, en luttant contre la prostitution à laquelle les dévots et plus spécialement les dévotes accordent une attention toute particulière en créant des établissements spécialisés, en rappelant aux maîtres leur responsabilité sur les plans matériel et spirituel à l’égard de leurs domestiques, en essayant d’établir des structures d’encadrement pour les ouvriers aptes à les soustraire à l’influence des compagnonnages recyclés en confréries professionnelles, en inspirant aux riches une morale économique qui refuse le prêt à intérêt au profit du prêt charitable et encourage à payer un juste salaire.
6La cohérence de cette vision du monde ne suffisait pas à garantir, l’auteur le montre bien, celle d’une action sociale efficace. Si l’influence des dévots a été durable, en particulier dans le domaine de l’éducation, elle se solde néanmoins par un échec global. Jean-Pierre Gutton montre bien que cette histoire fut d’abord celle d’une génération, celle qui parvint aux responsabilités entre les années 1630 et la fin des années 1660, génération qui n’avait pas encore à sa disposition l’outil statistique ou la science administrative, mais qui développa des intuitions fécondes en matière d’analyse et d’action sociale qui profitèrent à la construction de l’homme et de l’État modernes.
Pour citer cet article
Référence électronique
Bernard Hours, « Jean-Pierre Gutton, Dévots et société au XVIIe siècle. Construire le Ciel sur la Terre, Paris, Belin, 2004, 218 p. », Chrétiens et sociétés [En ligne], 12 | 2005, mis en ligne le 29 mars 2010, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/2292 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.2292
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