Martial Busuttil, Episcopat français, la fin d’un modèle (1978-1990). De la collégialité à l’individuation, Université Lumière-Lyon 2, 2 volumes, 2005
Texte intégral
1Cette thèse donne d’abord l’occasion de souligner le mérite de ces jeunes chercheurs qui ne craignent pas de s’engager dans une recherche en l’absence de toute aide financière et de toute assurance sur le bénéfice professionnel qu’ils pourront en tirer. Le choix de l’Histoire du temps présent, même si le parcours du candidat en Science politique l’avait préparé à une telle étude, comportait en outre des difficultés d’accès aux sources qui ne facilitaient pas l’entreprise.
2Alors que la décennie des années 1980 est relativement délaissée dans les travaux sur le catholicisme, et encore plus sur l’épiscopat français, sans doute parce qu’elle n’est pas accrochée à des événements qui ont marqué les esprits, Martial Busuttil soutient ici la thèse qu’elle a été un moment décisif, celui du basculement entre deux conceptions de la fonction épiscopale, celui aussi de la marginalisation en douceur de l’épiscopat dont la voix est de moins en moins écoutée (ou entendue) dans les grands débats de société.
3La première difficulté était de délimiter le sujet et d’identifier des sources. Le chercheur a choisi d’étudier les évêques à travers la conférence épiscopale en s’appuyant sur la documentation interne (Snop) et quelques grands périodiques, catholiques ou non. Mais l’étude de la conférence conduisait inévitablement à faire une place particulière à quelques figures épiscopales influentes et à croiser leur action à l’échelle nationale et à l’échelle diocésaine. C’est pourquoi la reconstitution des faits est accomplie à plusieurs niveaux, avec les limites liées à la nature de la source principale. La presse opère en effet des choix qui reflètent imparfaitement les débats réels entre évêques. Le candidat a considéré que la documentation abondante fournie par les périodiques permettait de restituer pour l’essentiel la vie de la conférence épiscopale, d’en comprendre l’action, d’en mesurer l’impact sur les catholiques et l’ensemble de la société. Conscient néanmoins des problèmes posés par l’utilisation et l’interprétation des seules sources imprimées, Martial Busuttil les a complétées par la collecte de précieux témoignages oraux, notamment celui de Mgr Gabriel Matagrin, évêque de Grenoble et acteur central durant cette période, ou du jésuite Paul Valadier, ancien directeur de la revue Études, obligé de démissionner sous la pression de l’autorité romaine.
4La deuxième difficulté touchait au plan. À la fois chronologique et thématique, il permet de hiérarchiser les questions et de montrer leur enchaînement. On y découvre ainsi dans une première partie que la question de la mission de l’Église a été centrale et qu’elle a vu s’opposer deux conceptions concurrentes, d’abord entre l’épiscopat français et Rome, puis au sein de l’épiscopat. La définition du rapport de l’Église catholique au monde, qu’on a trop vite dit réglée par Vatican II, reste en suspens et continue de diviser l’épiscopat. Elle produit des crises symptomatiques de ces divergences. Le conflit qui éclate à propos de la publication d’un nouveau catéchisme en est la meilleure illustration.
5La seconde partie étudie à travers les dossiers les plus sensibles le discours et la pratique épiscopale. Si le grand débat national et international autour de l’arme nucléaire et des conditions de la paix, au début des années 1980, permet encore aux évêques de se faire entendre et d’être une référence pour les hommes politiques, les dossiers éthiques et sociaux postérieurs marquent un recul progressif de leur capacité à peser sur l’opinion. Paradoxalement, à la fin de la décennie, la question de l’immigration, qui devient très vite celle de la place de l’islam et du sens de la laïcité, redonne à l’épiscopat une tribune où il est convoqué comme expert. Pourtant les années 1988-1990, et en particulier le bicentenaire de la Révolution Française et le transfert au Panthéon des cendres de l’abbé Grégoire, donnent le sentiment d’une impuissance de l’épiscopat à exister collégialement, à régler par une démarche commune le conflit fondateur avec les principes de 1789.
6Mais au-delà de cette description d’une évolution qui s’accélère, et confirme « l’exculturation » décrite par Danièle Hervieu Léger dans Catholicisme, la fin d’un monde (publiée au moment où la recherche du candidat s’achevait), cette thèse ouvre aussi des pistes d’interprétation fécondes. En premier lieu elle met l’accent sur le facteur générationnel. La génération conciliaire des Marty, Matagrin, Vilnet, est celle d’un projet épiscopal formulé à travers l’ecclésiologie de Vatican II qui ambitionne de faire triompher une vraie collégialité. Mais la génération suivante, incarnée par le cardinal Lustiger, semble d’abord préoccupée de privilégier la relation au pape, de manifester son adhésion au projet de nouvelle évangélisation, secondairement de faire exister un corps épiscopal français. Tout au long du développement, le travail insiste sur la place centrale des relations avec Rome. Il éclaire les tensions qui traversent la période et met en évidence les divergences d’une partie des évêques avec les options de Jean-Paul II. Dans cette concurrence pour faire entendre la voix du catholicisme, à partir de Paris ou de Rome, la forte personnalité du pape et ses interventions dans la vie épiscopale nationale ne tardent pas à réduire la marge de manœuvre des évêques. Les médias, qui accordent de moins en moins d’importance à la Conférence épiscopale, reflètent cette tendance à réaffirmer que la position catholique est celle du pape. Progressivement les prises de position de Jean-Paul II rejettent dans l’ombre celles des évêques. Dès lors la Conférence épiscopale perd de sa capacité à exister de manière autonome et à se faire entendre, sauf sur des points très particuliers comme le débat franco-français autour de la laïcité.
7Une troisième lecture, dont la thèse ne tire pas toutes les conséquences, met l’accent sur la mécanique médiatique de la communication. Le président de la Conférence épiscopale n’occupe pas une fonction susceptible par elle-même de favoriser la médiatisation. Sa position est fragile parce que l’institution est jeune, et surtout parce que les médias préfèrent se tourner vers l’archevêque de Lyon, primat des Gaules, et celui de Paris, d’autant que l’un et l’autre disposent d’un capital symbolique précieux comme cardinaux. Ils font ainsi une concurrence, non pas déloyale, mais inévitable au président de la Conférence dans une société de la communication qui préfère mettre en avant des individus et non le porte-parole d’un corps épiscopal abstrait qui n’a pas réussi à exister collectivement.
8Enfin la thèse pose la redoutable question du rapport entre catholicisme et modernité. Si la conférence épiscopale tend à être marginalisée dans les débats publics des années 1980, c’est sans doute parce qu’elle n’a pas de message collectif clair à exprimer. C’est aussi parce qu’elle continue à entretenir avec la modernité une relation ambiguë, symbolisée par l’embarras et les divisions des évêques devant la commémoration du bicentenaire de 1789. Le retrait progressif de la scène publique, ou plutôt du débat public dont la presse est le miroir, sanctionne ainsi la difficulté de formuler un discours mobilisateur qui suscite l’intérêt de l’opinion. Il illustre l’effacement de l’influence catholique au cœur de la société française, et du catholicisme français au sein du catholicisme mondial, et le renforcement du poids de la papauté sous Jean-Paul II.
Pour citer cet article
Référence papier
Claude Prudhomme, « Martial Busuttil, Episcopat français, la fin d’un modèle (1978-1990). De la collégialité à l’individuation, Université Lumière-Lyon 2, 2 volumes, 2005 », Chrétiens et sociétés, 12 | 2005, 179-181.
Référence électronique
Claude Prudhomme, « Martial Busuttil, Episcopat français, la fin d’un modèle (1978-1990). De la collégialité à l’individuation, Université Lumière-Lyon 2, 2 volumes, 2005 », Chrétiens et sociétés [En ligne], 12 | 2005, mis en ligne le 14 octobre 2011, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/2255 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.2255
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