Du droit de révolte au devoir d'obéissance : les formes d'acculturation politique dans l'Italie du XVIe siècle, autour de la révolte d'Urbino (1573)
Résumés
Cet article examine la révolte de la ville d’Urbino contre son duc en 1573. En apparence simple protestation contre l’augmentation des impôts, elle révèle en réalité l’existence d’un débat public se manifestant par la mobilisation de la foule. C’est la foule qui confisque l’autorité municipale au nom du bien commun, tout en affirmant sa fidélité au duc. Se révèlent deux conceptions de la souveraineté, contractualisme et devoir absolu d’obéissance, qui reposent sur deux théologies politiques : communion directe avec Dieu et légitimité divine du souverain. C’est finalement le devoir d’obéissance qui triomphe, grâce au soutien donné par le pape et les cardinaux au duc d’Urbino.
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- 1 Voir par exemple I Della Rovere nell'Italia delle Corti. Atti del Convegno di Studi, Urbania, 16 - (...)
- 2 En 1631, le duché d’Urbino repasse sous le gouvernement direct du souverain pontife, entraînant un (...)
- 3 Archivio di Stato di Firenze [désormais ASF], Ducato di Urbino, voir notamment classe III.
- 4 AS Pesaro, Ducato di Urbino.
1La révolte constitue un temps paradoxal de destruction ou surproduction d’archives et de mémoire : elle peut donc aussi bien conduire vers un silence, souvent pudique, de l’histoire, que vers une surabondance discursive. La révolte d’Urbino de 1573 que j’entends étudier ici est un événement sans histoire. D’abord parce qu’elle s’intègre à l’histoire d’un duché périphérique, dépendant du Saint Siège, un duché étudié essentiellement sous l’angle culturel et curial1. Plus largement, la région italienne des Marches est un espace peu étudié par les historiens, en raison notamment de la dispersion des archives ; celles d’Urbino, par exemple, sont conservées en partie au Vatican2, en partie à Florence3, et en partie à Pesaro même4. Surtout, cette révolte est sans histoire car elle ne marque aucun tournant majeur : révolte non violente, interrompue sitôt commencée, elle s’apparente à un face à face dérisoire entre le duc d’un micro-État et une cité qui n’ose se rebeller.
- 5 Le noyau secret initial des archives pontificales, aujourd’hui intégré aux Archives vaticanes comme (...)
- 6 Archivio Segreto Vaticano (désormais ASV), Archivum Arcis (désormais AA), Arm. E, n° 127 à 130.
- 7 Voir par exemple Natale Conti, Delle Historie de’ suoi tempi, 2 vol., Venise, D. Zenaro, 1589, ou M (...)
- 8 « Diario della ribellione d’Urbino nel 1572», éd. par Filippo Ugolini, Archivio Storico Italiano, n (...)
- 9 ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 1r-f° 4r : Narratione del successo d’Urbino, qui est sans doute le brou (...)
- 10 Les très nombreux avvisi conservés à la Biblioteca Apostolica Vaticana (désormais BAV), initialemen (...)
- 11 ASF, Duc. d’Urbino, classe III, f. 2, en particulier les f° 215r-221r et 300r-301r.
- 12 Je reprends cette estimation à Mario Ginatempo et Lucia Sandri, L’Italia delle città. Il popolament (...)
2Pourtant, son statut même de demi-révolte (une prise d’armes, suivie d’une reddition rapide) est prometteur : il laisse soupçonner un grouillement du politique, une hésitation entre droit de révolte et devoir d’obéissance, ou plutôt un basculement progressif vers une impérieuse fidélité au prince. Quatre liasses conservées dans les Archives du Château Saint-Ange5 contiennent non seulement les procès consécutifs à la révolte, mais aussi les délibérations des conseils urbains, les correspondances des autorités municipales et ducales6. S’y ajoutent une série de mentions de la révolte dans les histoires et rapports du temps7, un récit de la révolte par un témoin oculaire8, des récits officiels rédigés sous l’égide du duc9, différents avis manuscrits sur l’ombre portée de l’affaire10, ainsi que différents documents versés dans les archives privées des ducs, aujourd'hui aux Archives de Florence11. L’on dispose ainsi d’une série de points de vue souvent contradictoires, et surtout extrêmement détaillés ; grâce, en particulier, aux interrogatoires des accusés, transparaissent les formes concurrentes de circulation du politique. Cette micro-révolte, dans un espace urbain de petite taille (environ 5000 habitants12) mais naguère capitale permet alors de repérer les cheminements de perceptions politiques concurrentes, de mesurer les formes de circulation et d’acculturation du politique, ou, plus largement, de deviner la diffusion conflictuelle d’un absolutisme princier centré sur le devoir d’obéissance.
La conjuration introuvable
- 13 Cette politique financière espagnole visait d’une part à placer dans son orbite un duché d’Italie c (...)
- 14 Je m’appuie ici sur les estimations de Luigi Celli, Storia della sollevazione di Urbino contra il D (...)
- 15 Sur ce point, voir M. Zane, op. cit., p. 321, qui estime que la pression fiscale aurait cru, à la s (...)
- 16 Le texte ducal créant cet impôt indirect est dans ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 110r.
- 17 L. Celli, op. cit., p. 48.
- 18 Ibid., p. 28 et suiv.
- 19 ASV, AA, Arm. E, b. 27, f° 2v [interrogatoire de Gabriele de’Beni, 23 mars 1573].
- 20 Voir ASV, Misc Arm. II, b. 91, Relatione…, op. cit., f° 206r, et Diario della ribellione…, op. cit.(...)
- 21 Sur la difficile émergence d’un patriciat fermé à Urbino, voir Bandino Giacomo Zenobi, Ceti e poter (...)
3La prise d’armes d’Urbino s’apparente à un tumulte fiscal non violent, tiraillé entre un désir de révolte et une aspiration aux négociations. En 1572, le duché connaît une situation financière déplorable, notamment provoquée par le non paiement, par l’Espagne, des subsides13 qu’elle avait promis au duc Guidubaldo II (12 000 écus, auxquels il faut ajouter 23 000 écus pour payer les troupes du duché14, dans un duché aux revenus d’environ 40 000 écus15). Le duc impose alors une taxation de divers produits alimentaires16 (céréales, légumes, vin, viande), en septembre 1572, alors même que le duché, et particulièrement son arrière pays montagneux (dont fait partie Urbino) est frappé par des difficultés économiques et démographiques. Certaines cités, comme Gubbio, réagissent rapidement : une ambassade de cette ville au duc lui permet d’obtenir un fort dégrèvement fiscal17. C’est que le niveau de taxation dans ce duché était généralement bas, du fait que le duc tirait traditionnellement le gros de ses revenus de ses conduites militaires ; en outre, l’imposition était soumise à l’accord du souverain pontife – et Grégoire XIII avait autorisé Guidubaldo II à lever 20 000 écus supplémentaires18. Dès l’automne 1572, les notables d’Urbino (notamment les Prieurs, c’est-à-dire les principaux magistrats citadins, mais aussi le conseil permanent de 40 membres, élu pour deux ans) pensent recourir au Duc contre cette crue fiscale et se concertent dans ce sens. La ville de Gubbio comme sa négociation précédente avec le Duc servent de modèle19. La question fiscale, loin de se résoudre par la négociation, conduit à un dialogue de sourds : les propositions ducales successives sont refusées par une série de conseils généraux agités20. Ce conseil général est le lieu d’élection aux différentes magistratures, et fixe les grandes lignes d’un gouvernement citadin, ensuite conduit par le couple Prieurs – Conseil permanent. Il s’agit d’une institution très ouverte et informelle : l’ensemble de la population présente (y compris celle du contado, de la campagne environnante, y compris ceux qui n’ont pas le privilège de citoyenneté) est appelée sur la grande place, où les décisions se prennent par acclamation21.
- 22 Sur cette rumeur, voir par exemple le témoignage judiciaire de Severo Paltroni, dans ASV, AA, Arm. (...)
- 23 ASV, Segreteria dei Brevi, vol. LXIV(Grégoire XIII, diversorum lib II), f° 271r-272r, bref du 7 fév (...)
4Cet impossible dialogue se poursuit jusqu’au 25 janvier 1572 – date à laquelle court la rumeur à Urbino selon laquelle le duc masserait des troupes pour mettre à sac la cité22. Ceci conduit à une prise d’armes générale ainsi qu’à la mise en défense de la ville. Les habitants décident, le lendemain, de recourir à la médiation et à la protection du pape (comme suzerain du duc) : Grégoire XIII répond par un bref impérieux daté du 7 février23, ordonnant aux habitants d’Urbino de déposer les armes et de demander pardon à leur souverain – et Urbino obtempère, après une courte période de flottement. S’ensuit une répression sévère, qui fournit la principale source sur cette affaire.
5Les procès qui sont conduits à l’issue de cette sédition permettent de voir à l’œuvre des formes encadrées comme des formes spontanées de débats publics, s’appuyant sur un usage manifestement ordinaire des échanges sur la politique. Ainsi, Vincenzo Buffi, patricien d’Urbino qui était une figure de premier plan de la révolte, avoue-t-il avoir attisé la colère populaire, en favorisant l’émergence de petits débats parmi la population urbaine ; il s’était décidé, avec quelques autres, à tout faire pour éviter cette nouvelle taxation :
- 24 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 66v-67r [interrogatoire de Vincenzo Buffi, 29 mars 1573, juste après av (...)
[il s’était décidé] tra noi altri cittadini non comportare che fossero tali dacij, perche saria la ruina della città, et del contà, et che s’udiva che quelli del contà volevan riccorrere al sig.r duca, se quei della Città non riccorrevano, et tra noi più volte fù trattato accioche la cosa passasse in modo all’orecchie del sr Duca che gli havesse fa provedere di parlar per la città ciascun di noi à nostri amici cittadini artigiani cosi a poveri come a richi che si dolescero et riclamessero di questi aggravi si che ben, ben il dispiacere d’essi aggravi passasse all’orecchie di ciascuno, come cosi fù fatto, che in poco tempo la Citta mormorava di questo, onde fù fatto un conseglio perpetuo nel quale fù concluso di far un memoriale à sua ecc.a et chieder la remissione di tal gravezze cosi delle nuove, come delle vecchie, il qual memorial poi fù dato24.
6L’essentiel est ici dans le bref aveu (intervenu après un long interrogatoire, incluant notamment le recours à la torture) d’avoir fait parvenir le mécontentement aux oreilles ducales par le truchement du peuple lui-même : un petit groupe de notables a circulé dans la cité, s’entretenant avec toutes leurs connaissances (quelle que soit leur position sociale) pour susciter un rejet de la nouvelle fiscalité. Toujours d’après Vincenzo Buffi, ces agitateurs, en utilisant cette facile communication politique à Urbino, ont eu un rôle-clef dans l’intransigeance de la population :
- 25 Ibid., f° 69v-70r.
Io credo che se noi tali, et altri non nominati ch’io non mi ricordo, i quali pero non possono esser molti havessimo proposto, et consigliato di domandar perdono à sua Ecc.a et di non pigliar l’armi, si come consultassimo, et persuadessimo il contrario credo dico non si sariano prese l’armi, et si saria chiesto il perdono, perche havea il popolo, et la plebe gran fede in noi25.
7En outre, ces notables influents ont pris soin, dit notre homme, de répartir, lors du conseil générale réuni le 26 décembre 1572 (contre l’avis du Lieutenant ducal) pour réfléchir au problème fiscal, des personnes de confiance parmi le peuple, pour lancer les cris d’approbation ou de désapprobation :
- 26 Ibid., f° 70v-71r.
[liste de personnes] i quali stavano in piede la di dietro tra la multitudine delle persone, et quando era proposto qualche cosa perche sapevano la intentione per lo ordinario di noi altri, et anco alle volte alcuni di noi altri si levava sù, et tra le persone cacciandosi s’accostava all’orecchie loro, et gli diceva quello c’havessero à dire, et essi sopranominati, et anco, che mi suvien hora Giannino Pucci dicevano alla plebe tra quali erano sparti che dicesse si, si, et no, no, in conformità del negocio, che si trattava per pigliar il fine, che prese26.
- 27 Ibid., f° 10v [interrogatoire de Gabriele de’ Beni, 24 mars 1573].
- 28 L. Celli, op. cit.
8Tout laisserait donc croire qu’il s’agit d’un tumulte suscité par quelques patriciens influents, désireux d’obtenir le retrait d’impôts qui leur pèsent. D’autres accusés, notamment le chancelier de la commune (qui se confond par ailleurs en protestation de fidélité envers le duc, et qui fait plus figure de témoin à charge que d’accusé), martèlent que le peuple d’Urbino a suivi comme un seul homme quelques acteurs d’influence, qui faisaient mine d’être emportés par la furie populaire, mais qui manipulaient discrètement ces naïfs27. C’est d’ailleurs la thèse retenue par le seul ouvrage portant sur la révolte28 : rédigé peu après l’ouverture des Archives vaticanes, il reprend fidèlement la vision qui émerge progressivement du procès, induit en erreur sans doute par les délices de la nouveauté.
- 29 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 137v-138r : « Interrogatus an sciat quod predicti, seu plerique ac alij (...)
9En soi, les éléments fournis par ces aveux ne manquent pas d’intérêt, et il n’est pas impossible que certains citoyens d’importance aient préféré se mêler aux clameurs de la foule ; de même, il est probable que certains « notables » aient incité la foule à participer aux différents conseils généraux, comme l’admet Gentile Becci. Ce dernier, soupçonné d’être l’un de ces patriciens comploteurs, ignore tout d’éventuels agitateurs, mais admet volontiers qu’il a incité la plèbe à participer aux conseils et à demeurer unie29. De telles informations révèlent plus la rapidité de circulation de l’information politique, au travers de discussions informelles, qu’un complot orchestré par un groupe de citoyens éminents.
- 30 Gentile Becci est ainsi torturé à de nombreuses reprises, en raison de la brièveté de ses réponses (...)
- 31 Nombre de prisonniers livrent aux juges des informations ou des bruits qu’ils ont entendus en priso (...)
- 32 ASV, AA, Arm. E, b. 128, Narratione.., op. cit. : ce texte de justification de la politique ducale (...)
- 33 Voir par exemple supra, note 29.
- 34 Voir ASV, Misc. Arm. II, b. 91, Relatione, op. cit., f° 206v.
- 35 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 301r, réinterrogatoire du 3 juin 1573.
10Fondamentalement, la thèse d’un complot contre le duc tient d’une manipulation judiciaire qui, justement, permet de passer sous silence cette intense circulation du politique, en mettant en avant une foule ignorante qui hurle derrière des agitateurs organisés. Certes, les accusés finissent par établir une liste presque cohérente de « comploteurs », mais ils sont fréquemment torturés30, ils sont enfermés ensemble (et leurs versions sont vraisemblablement concertées, ceci transparaît dans certains aveux31). En outre, cette thèse du complot relève d’une simple instrumentalisation du procès : vraisemblablement avant même le début des interrogatoires, le duc d’Urbino dénonçait un groupe d’hommes néfastes qui avait trompé Urbino et l’avait entraînée dans une révolte déraisonnable32. Les juges eux-mêmes, dans leurs interrogatoires, insistent lourdement sur la thèse du complot33, la seule crédible à leurs yeux. Le récit officiel des événements, rédigé probablement par la chancellerie ducale, accentue encore cette lecture myope du procès – puisqu’il y apparaît explicitement que cette révolte populaire n’était, en réalité, qu’une conjuration de mécontents34. Un des accusés Felice Corbolo, qui sous la torture avait avoué cette manipulation des patriciens, se rétracte ensuite, et refuse de signer sa confession, sur ce point précis de la pseudo-conjuration des notables35.
- 36 ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 143r-148r : estimation des biens des personnes emprisonnées ; à côté de (...)
- 37 Voir supra, note 24.
11La révolte d’Urbino n’est donc en rien la conjuration de quelques patriciens de mauvaise vie : il s’agit là d’une thèse formée par le souverain pour pouvoir réprimer la révolte tout en pardonnant à une ville aveuglée. Les condamnations prononcées trahissent d’ailleurs le caractère introuvable de ce complot de patriciens : parmi les condamnés figurent certaines figures éminentes d’Urbino, mais aussi des personnes démunies, qui ne possèdent aucun bien confiscable36. En outre, le témoignage cité de V. Buffi laissait entendre une agitation dans le contado antérieure à la mobilisation urbaine37. Le soulèvement d’Urbino ne saurait donc être autre chose qu’une révolte, et cette manipulation judiciaire permet de relire les témoignages contraires à la thèse de la conjuration qui émergent, de ci de là, au fil des aveux, même si les juges n’y donnent bien souvent pas suite. Certes, la discussion sur l’insupportable taxation a pu partir de certains membres du conseil permanent d’Urbino, mais ils ont simplement servi de relais pour une information politique qui, rapidement, les dépasse, ou du moins ne passe plus par leur truchement.
Acculturations politiques
- 38 Voir les aveux de Iseppe de Gio Paolo Martinelli da Cagliema, tenancier d’auberge, dans ASV, AA, Ar (...)
- 39 Le jour de la prise d’armes, le 25 janvier 1573, à Urbino, se tient un conseil général qui, de l’av (...)
- 40 La rumeur joue notamment un rôle clef dans le basculement d’une agitation politique vers la révolte (...)
12En effet, à l’hypothèse officielle d’une simple conjuration (qui révèle d’ailleurs, en creux, certaines formes de circulation du politique) s’oppose la multiplication de rumeurs, de conciliabules, de lieux de parole qui manifestent, eux, l’émergence rapide d’un débat public au sein de la population. Le premier de ces lieux est le conseil général, qui mobilise manifestement la grande majorité des habitants masculins, désireux frénétiquement de s’y rendre dès que la cloche d’appel résonne38 : qu’ils se tiennent dans le palais ou dans l’église, ils débordent toujours sur la place publique39, indice d’une mobilisation massive de la population. En outre, ce temps de contestation est aussi un moment de multiplication des rumeurs, indice d’une réactivité de la foule, capable de colporter la nouvelle, et les témoignages insistent sur l’importance des rumeurs qui couraient40. Surtout, les témoignages (y compris ceux de témoins à charges, proches du duc) insistent sur la multitude de conciliabules spontanés. Un officier ducal, parfaitement étranger à la révolte, rapporte ainsi :
- 41 Ibid., interrogatoire de l’officier qui a la garde des munitions ducales à Urbino, f° 370r.
et tal volta si facevano due consegli il giorno, et ogni giorno se ne facevano de generali, et (…) esso Testimonio vedeva continue conventicole d’huomini à dieci, à quindeci, à venti à più, et à meno in varij et divers luoghi della Città così in piazza come nelle chiese nelle contrade in pian di merchato41.
- 42 Voir par exemple ibid., f°152v-153r : Felice Corbolo évoque des discussions devant des boutiques, d (...)
13Plusieurs révoltés confirment cette frénésie de discussions informelles, qui touchent manifestement l’ensemble de la population : des boutiques aux confréries, des portes de la ville aux corps de garde, de la promenade aux palais, des églises à l’évêché, la liste des lieux possibles de cette sociabilité politique désorganisée est longue, telle qu’elle émerge du moins des procès42.
14D’où en définitive une possible inversion de la lecture ducale du complot : l’abondante circulation du politique aboutit au contraire à une mobilisation de la foule, qui déborde ses élites traditionnelles pour imposer le durcissement du conflit. C’est ce qui apparaît dans les premiers aveux de Vincenzo Buffi (le même qui, ensuite, avoue un « complot » des notables), concernant le début de l’agitation lors du conseil général du 26 décembre 1572 :
- 43 Ibid., f° 52r-v.
dopo il Cancelliero secondo il solito domandò se vi era nisuno, che volesse proponere cosa alcuna per il ben publico, (…) et all’hora uno domandato Zibetto disse che saria ben fatto per la povertà di trattare col sig.r Duca di levar via i dacij, et dopo lui fù mormorato tra plebei perche si taceva, che i cittadini non voleano dir niente loro, perche venderiano le robbe loro tanto piu, et all’hora fù detto, ma non so da cui se volevano, che si rimettesse la cosa al consiglio perpetuo, il qual è di centoventi cittadini, ma si fà alle volte con quaranta, et cinquanta, et piu secondo che vi si trovano, et all’hora cominciò la plebe à gridare nò, nò, ma che si facesse elettione d’ambasciatori al sig.r Duca a narrar le lor miserie(…) et fatta detta elettione saltò un contadino in renghiera, et disse che saria anco bene dir delle miserie del contà, et chiamar anco di quelli del contà43.
- 44 Ibid., f° 52v.
- 45 La réalité de leur intervention comme de leur rôle décisif apparaît nettement dans les délibération (...)
- 46 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 85r-v : [le paysan est torturé, car] « Magnificus Dominus Commissarius (...)
15Dans ce premier récit, les attitudes populaires semblent beaucoup plus spontanées, et les élites urbaines (Vincenzo Buffi, en l’occurrence) paraissent jouer un rôle plutôt modérateur, en proposant la célébration d’une messe du saint Esprit pour faire appel à Dieu44. La contradiction entre les deux récits de V. Buffi permet de mettre en lumière la réalité complexe des pratiques politiques du moment, de percevoir à la fois les mécanismes d’acculturation (comme transmission verticale de modèles politiques) et leurs conséquences (la forte pénétration d’un langage politique du bien commun au sein de groupes sociaux pourtant radicalement étrangers aux affaires politiques). Les deux héros du jour, Zibetto et le paysan, sont deux personnes du petit peuple, le premier n’a pas même de patronyme : ils osent tous deux intervenir au sein de l’assemblée municipale, introduisant le débat sur l’état de nécessité d’Urbino, sur l’urgence de l’action pour éviter la destruction matérielle de la cité45. Pressé par les juges de révéler qui lui avait dicté ses propos (tant les juges soutiennent qu’il est invraisemblable qu’un homme simple et rustique ait osé intervenir spontanément à la tribune46), le paysan affirme et répète qu’il a agi seul, face au constat du risque d’un épuisement de la campagne, de sa dépopulation :
- 47 Ibid., f° 83v.
Io dissi che pensassero le lor signorie à quel, che facevano lor, che intendevano à far le cose, che stessero bene, perche noi contadini non sapevamo quel, che si dicessimo, ne conoscevemo quel che stesse ne bene, ne male, et ch’al peggio che noi potessimo venire, noi si giressimo con Dio, et laciaressimo le lor possessioni47.
16Ces aveux révèlent la fluidité de la discussion politique, des échanges (y compris entre personnes socialement très différentes) concernant le bien commun : il existait des supports simples, facilement identifiables comme tels, capables de véhiculer une parole politique, de transmettre discours et contestations. Si, aussi rapidement, la cité peut se mobiliser, c’est que, de façon souterraine (qu’il y ait eu manipulation ou non) avaient circulé des discours politiques rapidement popularisés, car ils entraient en écho avec le langage politique connu, liminal, du bien commun comme droit à la survie matérielle et spirituelle de la communauté.
17Un autre acteur important de cette révolte, Gentile di Giorgio Becci, confirme cette rapide mobilisation d’Urbino, en raison des innombrables supports de prise de parole politique : il avoue (après de nombreuses questions destinées à savoir s’il avait influencé la population et à connaître les noms des meneurs) avoir souvent répété, et souvent entendu dire, qu’il fallait tout faire pour éviter la hausse fiscale, ce qui inclut un possible changement de souverain :
- 48 Ibid., f° 138r-v.
Io, et de gli altri molti, et prima che fossero eletti gli ambasciatori per Roma, et dopo habbiamo detto più volte, et alla presenza d’essi, che furno eletti ambasciatori, et d’altri, et lo hò detto io, et udito altri à dirlo, che ci bisognava, et dovevamo per ogni modo operare d’esser sgravati dalle gravezze, et fosse signure chi si volesse pur che fossimo sgravati, et questo s’è detto et per le piazze, per il pallazzo, per le chiese, et per tutta la Città, et si è detto dove era la gente assai, et dove erano pochi secondo che s’imbatevano, ma non saprei già dir particolarmente con quai habbia cio detto, perche era quasi ogni giorno, et credo d’haverlo detto quasi con tutti gli predetti disopra, et lo ho detto con altri della plebe assai, si come parimente da altri, et da gli predetti ho udito dirsi48.
18L’évocation qu’il fait des discussions politiques spontanées dans la cité est particulièrement riche, dans ce désir qu’il a de souligner la multitude des contestataires en présence, non réductible à quelques meneurs mal intentionnés : les circonstances du débat politique sont multiples, non codifiées, et c’est leur grande diversité, leur caractère profondément accidentel qui en font l’invisible évidence. Coexistent ainsi des influences politiques, des actions d’information conscientes et des discussions informelles et spontanées : ces différentes présences du politique aboutissent alors à une transmission large des langages politiques, à une diffusion qui dépasse de loin le seul groupe social dépositaire de la souveraineté, ou touchant, même de loin, à la pratique du pouvoir. Certes, il est difficile de percevoir le savoir politique des classes non dirigeantes ; mais, à l’aide de certaines mentions ou de figures étonnantes, comme celle du paysan précédemment évoqué, il est possible de pressentir l’efficacité de ces multiples supports d’une pénétration du politique.
- 49 Le chancelier de la commune, chargé donc de noter les délibérations des conseils, souligne cette pr (...)
- 50 Ibid., f° 12r-v ; cette affirmation du chancelier est confirmée par les délibérations du conseil gé (...)
- 51 Voir ASV, AA, Arm. E, b. 129, en particulier f° 69r-73r.
- 52 Dès le 5 janvier 1573, au retour des ambassadeurs envoyés à Pesaro pour demander (en vain) la suppr (...)
- 53 Cette aspiration à l’unanimisme transparaît dans les délibérations (ibid., f° 71v) ; le 20 janvier, (...)
- 54 ASV, AA, Arm. E, b. 127, interrogatoire de Severo Paltroni, f° 113v : « Anzi era il popolo che dice (...)
- 55 Ibid., f° 16r-17r.
19C’est donc une foule politisée et anonyme qui a, en partie, orchestré la révolte et confisqué à son profit l’autorité municipale : certains témoignages dénoncent cette emprise de la « canaille49 » ; le chancelier dénonce un certain Bichio, vraisemblablement un maçon, qui s’enfermait dans le clocher pour sonner l’appel au conseil général, sans l’accord des prieurs50 ; d’autres insistent sur la multitude des cris poussés par la foule pour faire pression. Plus généralement, la moindre rumeur, le moindre courrier venu de Pesaro (la nouvelle capitale du duché) semble être le signal d’un vaste rassemblement51, et la pression populaire contraint les élites traditionnelles à renoncer aux institutions intermédiaires (les conseils restreints) au profit du seul conseil général52, dont on a présenté la dimension théoriquement unanimiste53. La foule semble d’ailleurs se méfier de ses élites traditionnelles, ce qui va également dans le sens d’une révolte authentiquement portée par une culture politique populaire : certains dénoncent à la tribune des nantis qui ne se soucient guère de la hausse fiscale54, d’autres estiment que les autorités ont trahi la volonté du conseil général, en demandant aux ambassadeurs envoyés au duc de faire appel à la clémence ducale, alors que leur revendication n’était pas du registre de la grâce mais du droit55.
- 56 Le chancelier de la commune rapporte l’excitation de la plèbe contre les citoyens qui boudent les c (...)
- 57 Ibid., f° 10r.
- 58 Le 2 avril 1573 est interrogé Alessandro Veterano, l’un des 27 ambassadeurs envoyés par Urbino à so (...)
- 59 Cette menace serait intervenue pour contraindre les Prieurs à rassembler le conseil général traditi (...)
- 60 Ibid., f° 249v : quand les Prieurs reçoivent la lettre ducale enjoignant Urbino d’envoyer une ambas (...)
20Cette diffusion du politique, d’un socle commun de représentation du bien commun (et de son contraire, la tyrannie), nourrit même une violence latente. Dans cette logique du bien commun, de la nécessaire survie d’une cité menacée dans son existence même, s’impose l’identification de l’ennemi, du fauteur de troubles qui conduit la cité à sa perte. Cette tentation violente, qui renforce le schéma d’une foule imposant la radicalisation du conflit, est perceptible, mais demeure inaboutie. Ainsi, à plusieurs reprises, les élites municipales insistent-elles sur la terreur que fait régner le peuple56 ; des rumeurs circulent, selon lesquelles certains porteraient des arquebuses sous leurs manteaux pendant les assemblées57. Les menaces ont été fréquentes, dans l’excitation des mobilisations urbaines, et la simple rumeur, plus que de réels passages à l’acte, a manifestement suffi à imposer la crainte58 ; le tableau de cette violence contenue permet aux juges de dénoncer cette terreur comme fictive, d’y voir l’invention de notables soucieux de se disculper de leur « conjuration ». Pourtant, plus nettement encore, la foule fait pression physiquement contre le palais des Prieurs, lorsqu’il semble que ces derniers soient prêts à céder aux prétentions ducales – et cette meute vociférante, menaçant de jeter ces magistrats citadins par la fenêtre59 ou tambourinant à la porte60 semble provoquer l’effet voulu.
- 61 Le chancelier de la commune comme le gonfalonier affirment avoir craint pour leur vie, respectiveme (...)
21Plus clairement, certains tièdes, ou partisans du Duc, disent avoir été menacés, ne fût-ce que dans leurs biens61 – mais aucun cas avéré de passage à l’acte n’existe. Pareillement, si certains témoignages rapportent, en petit nombre, des appels au meurtre de partisans du duc, voire des appels au massacre de tous les ‘becs jaunes’ (surnom péjoratif donné aux partisans du souverain), cette violence reste inaboutie, de l’ordre du fantasme ou de l’insulte, en tout cas toujours d’une rumeur inquiétante. Gentile Becci rapporte ainsi les propos qu’il entendit chez le barbier, tenus par Bagarozzo, un des meneurs du mouvement :
- 62 Ibid., f° 136r.
bisognava risolversi di far un grande acchiacho, (…) ma ben mi imaginai io che volessero intendersi non solo amazzar gli officiali del sig.r Duca ma anco quelli, che tenivano seco62.
22Ce propos est doublement révélateur : d’une part, il souligne le désir de violence, d’une révolte devant s’assumer comme telle, qui traverse, au moins en partie, la foule ; d’autre part, il montre l’inquiétude sanglante qui règne, puisque G. Becci interprète aussitôt l’agitation souhaitée par Bagarozzo comme l’annonce d’un massacre généralisé. Il y a donc violence latente, née de la rumeur, née d’un imaginaire de la révolte (contre un tyran) qui, normalement, ne devrait pouvoir faire l’économie de meurtres. Dans le même temps, cette violence presque attendue n’arrive pas, loin de là, c’est-à-dire que le langage tyrannicide est loin d’être mené à son terme.
- 63 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 201r-203v.
- 64 Ibid., f° 74v-75v.
23C’est dire l’ambiguïté de la démarche des révoltés : d’un côté, ils reprennent à leur compte un discours du bien commun, de dévoilement du tyran et de la menace qu’il fait peser sur la cité ; de l’autre, ce discours n’est pas conduit jusqu’au bout, et il se coupe de sa conséquence logique que serait la violence, parce qu’il est tempéré, nuancé par un discours concurrent, celui de l’absolue fidélité au Duc, tyran malgré lui. Émergent peu de radicaux prêts réellement à en découdre ; de même, le discours tyrannique n’est pas conduit, à de rares exceptions prêts, dans toute sa logique monstrueuse : certes, le Duc trahit sa ville pourtant fidèle, mais l’assimilation du duc au tyran s’arrête bien souvent à ce stade, sans s’engager dans la voie plus périlleuse d’une remise en cause générale de la personne ou de la politique ducale, voire du tyrannicide. Par exemple, Vincenzo di Vincenzi, dit Cincinnus, avoue le 16 avril qu’il est l’auteur d’un texte très violent contre le duc, texte reproduit dans les actes du procès. Ce pamphlet, contemporain de la révolte et nettement destiné à souffler sur les braises, insiste lourdement sur la ruine qui menace Urbino du fait de la politique menée par un duc mal conseillé ; mais il conduit simplement l’auteur à rappeler au souverain l’éternel dévouement d’une ville qui a conservé, par son sang, le duché d’Urbino63. C’est d’ailleurs ce que mettent en avant les ambassadeurs envoyés ensuite au pape, pour tenter d’obtenir sa médiation, voire son soutien : ils soulignent les abus fiscaux, voire judiciaires, du duc, et leur conséquence logique, le dépeuplement d’Urbino, malgré la fidélité de la cité64.
24Rarissimes sont donc les argumentaires dénonçant violemment le duc comme tyran, et ils s’inscrivent aux marges chronologiques de la révolte. Ainsi, dans une mise en accusation générale du duc adressée au pape (incitant le pape à priver le duc de son fief, comme vassal pontifical), l’informateur anonyme détaille (vraisemblablement peu après la révolte, puisqu’il est fait allusion au « don » forcé qu’offre Urbino pour retrouver la faveur ducale) les caractéristiques tyranniques d’un prince qui
- 65 ASF, Duc. d’Urbino, III, b. 2, f° 300r.
si sforzi d’impoverire, spegnere, et ruinare (…) molti huomeni di spirito, et de i principali di quella Città (…), effetti à punto naturali, et proprij del tiranno, quale (come sà la S.ta V.ra) hà per suo principale oggeto et mira d’avilir et impoverire et disunire li suoi sudditi 65.
- 66 ASF, Misc. Medicea, b. 109-II, f° 720v-723r.
25Il s’agit là d’un discours comparable à celui des révoltes sur l’inévitable ruine urbaine, du fait de la politique princière : mais, là où les révoltés plaidaient l’éternelle fidélité d’Urbino, ce texte va jusqu’au bout de sa logique, et reconnaît dans ce gouvernement ducal les signes d’une indubitable tyrannie – qui, comme telle, doit être renversée. Près d’un an après la révolte, une série de placards violents dénoncent une réconciliation entre le duc et Urbino, présentée comme un jeu de dupes ayant permis au souverain d’être plus encore tyrannique ; le vrai souhait des citoyens, proclament ces textes, serait d’être libérés de ce gouvernement inique66 : dans ce cas également, après l’échec de la révolte, le discours se durcit, glisse de la fidélité à la libération. En creux, ces discours « tyrannicides », périphériques par rapport à la révolte, soulignent la modération de révoltés qui, globalement, n’ont pas fait usage d’un argumentaire tyrannique pourtant banalisé : alors que le glissement, de la pression fiscale vers l’identification du tyran, était facile (d’autant que les révoltés insistent sur la lente mort d’une cité), les révoltés ne l’ont pas opéré – ou, plus simplement, les révoltés n’ont pas osé basculer vers la révolte.
Fidélités et désobéissance
- 67 Ce rapide récit de l’événementiel du début de la révolte s’appuie sur Diario della Ribellione, op. (...)
26L’affaire aurait ainsi pu se résoudre simplement, si n’était pas intervenue une forme de divorce affectif entre Urbino et son duc, un jeu d’honneur – déshonneur qui facilite la cristallisation du conflit. L’élément central de ce désamour est le transfert récent de la capitale du duché d’Urbino vers Pesaro : le duc se tourne alors vers la face maritime de ses États, tournant le dos à la ville éponyme de sa principauté. En outre, Guidubaldo II tente de désamorcer le conflit d’Urbino en interdisant la traditionnelle tenue, à la Saint-Étienne, d’un des trois grands conseils urbains. Un commencement d’émeute conduit à la réunion, le 26 décembre 1572, de ce conseil, contre l’interdiction du lieutenant ducal ; la question fiscale y paraît vite prépondérante, et le conseil décide d’envoyer une très vaste ambassade (27 membres, auxquels devaient s’ajouter des représentants du contado) au duc, pour demander la suppression de toutes les taxes contraires aux statuts urbains. Le duc fait demander une réduction à quatre personnes de l’ambassade, et fixe le jour de sa réception ; à nouveau, un tumulte populaire, sous la forme d’un grand conseil spontané, conduit au refus de cette solution67.
- 68 Dès le début des tumultes, la ville ressort les conventions qui la lient au prince, voir ASV, AA, A (...)
27La question du nombre d’ambassadeurs peut sembler triviale, mais elle est le reflet de cette lutte symbolique entre Urbino et son duc : le duc exige une ambassade venue le supplier, qui demanderait comme une grâce l’exemption fiscale, que le duc paraît prêt à accorder à cette condition. À cette exigence, les habitants d’Urbino répondent par une démarche contractuelle : l’ambassade doit obtenir le retrait des nouveaux impôts au nom des conventions entre le duc et Urbino68. Elle s’inscrit donc comme un rappel à l’ordre, presque menaçant dans sa mobilisation massive, destiné à souligner les limites du pouvoir ducal. Intervient donc un conflit d’honneur et de fidélité : au duc qui considère qu’Urbino lui manque de respect, la ville répond que le duc, lui, trahit sa parole donnée comme la coutume – d’où, chez certains, le désaveu d’un souverain qui se coupe de ses sujets en refusant d’entendre leurs justes revendications, qui répond par de vagues mémoires à des requêtes légitimes : bref, un duc absent, distant, qui se détourne d’une vision paternelle de la souveraineté au profit d’un corps immatériel du prince. C’est du moins l’opinion d’un des accusés lors du procès, Vincenzo Buffi, qui l’aurait énoncée en ces termes, lors d’un conseil général à l’occasion duquel il est décidé de faire appel à la médiation pontificale :
- 69 Ibid., f° 60v.
ch’essendosi riccorso al signor Duca con tante ambasciarie humanissimamente à pregarlo, et farlo pregare, et con tante sommissioni, per sgravare i suoi fedelissimi popoli dalle angarie, et dacij, che sempre era stato indurato, et ch’un cor di sasso si sarebbe spezzato, che pero non s’essendo potuto mai havere altro, che memoriale, memoriale, si come scriveva il Principe, all’hora il popolo cominciò à gridare à Roma, à Roma69.
- 70 Ibid., f° 9v.
28D’où la multiplication, à Urbino, de grands conseils spontanés, destinés notamment à refuser l’une après l’autre les propositions ducales : le duc propose, par différentes truchements, une exemption fiscale, sous réserve qu’Urbino vienne d’abord lui demander pardon. La foule massée aux grands conseils répond alors majoritairement que la ville d’Urbino n’a pas commis d’erreur ou de faute, et qu’elle n’a par conséquent pas à supplier son souverain70.
- 71 Est en question notamment l’essoufflement économique de la cité, qui paraît délégitimer l’action du (...)
- 72 Un des révoltés, Giovan Battista Bianchoni, reconnaît avoir refusé de demander pardon au duc, car l (...)
- 73 Ibid., f° 174v : « io dissi che si potea dir d’esser stato et esser fedele, ma non c’havessimo da e (...)
- 74 Ibid., f° 202v.
- 75 Ibid., f° 273r-v : « La verità è ch’io ero di parere ches se gli dovesse domandar perdonanza, se be (...)
29La lecture la plus évidente d’une telle agitation est de nature juridique, contractuelle. D’un côté, le Duc s’estime de fait détenteur de la pleine souveraineté, ou du moins se place-t-il dans une supériorité politique face à des cités sujettes, d’autant qu’il a reçu l’aval du souverain pontife pour lever cet impôt. En retour, Urbino reprend le pacte, à la fois implicite et juridique, qui lie la ville à son prince : la fidélité est due au prince si ce dernier, en retour, dispense sa faveur71 et respecte les privilèges urbains, d’autant que le prince peut sembler, dans certains discours radicaux, devoir sa place au sang versé par Urbino. Le conflit est alors entre une fidélité impersonnelle, due au souverain en raison de sa nature même, et une fidélité/amitié posée comme personnelle, par analogie avec des liens humains72. Urbino agit comme une personne juridique et morale qui défend sa survie et son honneur : il s’agit donc de refonder la fidélité par la relance du contrat moral qui lie le Duc et sa ville, par le retour à un lien personnel et égalitaire de clientèle entre Urbino et son maître73. Un manifeste très violent dirigé contre les erreurs ducales met en avant le rôle essentiel d’Urbino dans le maintien au pouvoir de la dynastie des della Rovere au début du XVIe siècle74. L’annonce de la venue des troupes ducales confirme le sentiment que la ville n’a pas offensé le duc (contrairement au duc), mais que manifestement le duc se sent offensé, indice supplémentaire, à Urbino, d’une impossible communication avec le souverain75.
- 76 ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 80v.
- 77 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 56v.
- 78 Ibid., f° 57r-v.
- 79 ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 74v, et infra, note 94.
- 80 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 143v.
30C’est pourquoi Urbino tente, à tout prix, de manifester son éternelle fidélité : même lorsque la ville s’empare de l’artillerie ducale, elle le fait au nom de la défense des intérêts du prince76. De même, la première motivation du recours au pape résulte-t-elle d’une rumeur selon laquelle circulerait à Rome le bruit de l’infidélité de la ville77 – et les ambassadeurs réclament au souverain pontife l’envoi d’un commissaire chargé de constater la fidélité de la cité78. Mieux encore, le jour où Urbino prend les armes contre l’éventuelle venue de troupes ducales, elle le fait toujours au nom d’une fidélité au duc : le conseil lors duquel se produit cette émotion militaire s’accompagne en effet d’un serment collectif de fidélité au duc et à la cité, accompagné d’une promesse de concorde générale79. Cette application d’une culture du point d’honneur au corps civique apparaît plus nettement encore dans le conflit qui oppose, lors de la révolte, Urbino à un habitant de Senigaglia. Le bruit courut, à Urbino, qu’un habitant de la cité voisine (et située, elle, sur la face côtière du duché, dans l’amitié du prince) avait dénoncé publiquement (lors d’un conseil tenu à Senigaglia) Urbino comme une ville rebelle. Aussitôt, le grand conseil décide l’envoi de Felice Corbolo pour démentir l’accusation, devant notaire : en l’absence du ‘coupable’, Felice Corbolo proclame son démenti à l’auberge des postes80.
- 81 G. B. Bianchoni, dit Starna, interrogé à plusieurs reprises sur la légitimité de l’ambassade envoyé (...)
- 82 Alessandro Veterano, ibid., f° 93r, Severo Paltroni, ibid., f° 108v, défendent tous deux l’idée qu’ (...)
- 83 Vincenzo Buffi, ibid., f° 55v, affirme nettement que l’ambassade trop nombreuse était une forme de (...)
- 84 C’est le cas par exemple du surnommé Starna, ibid., f° 163v, qui admet qu’Urbino a eu tort d’envoye (...)
31Ce corps civique, jaloux de son honneur, est désireux de restaurer le contrat d’amitié et de fidélité qui le lie au souverain : la dynamique de contrat fait figure de juste milieu, voire de transition, entre le droit de révolte et le devoir absolu d’obéissance. C’est dire que cette culture politique urbaine, circulant par capillarité à travers la cité, est une culture mixte : d’un côté, elle s’appuie sur le registre tyrannique, sur la défense d’un bien commun nécessaire à la survie urbaine, de l’autre elle intègre le devoir de fidélité, s’interdisant d’avance une violence tyrannicide apparemment obsolète. Manifestement, le droit de révolte a été progressivement rogné par une notion de fidélité qui ne s’est pas encore établie comme un devoir absolu d’obéissance ; il est en réalité extrêmement imprécis, indice supplémentaire d’une culture politique en mutation. Ainsi, nombre d’accusés ignorent s’il est juste ou non de prendre les armes contre le prince81 ; beaucoup reconnaissent un devoir d’obéissance au duc, mais arguent d’un droit à l’autodéfense qui légitimerait la prise d’armes82, puisqu’elle était tournée contre des armées ducales venues saccager la cité. D’autres, au contraire, peut-être plus complaisants à l’égard des juges, reconnaissent un devoir absolu d’obéissance au prince83, ou à tout le moins qu’Urbino a eu tort84.
- 85 Voir par exemple ibid., f° 204r, l’interrogatoire très insistant que subit Vincenzo di Vincenzi, à (...)
- 86 Severo Paltroni rapporte ainsi les discussions informelles qui animent la cité, centrées sur la pos (...)
32Les magistrats chargés de juger les révoltes ne parviennent pas eux-mêmes à lever cette ambiguïté. Ainsi, pour dénoncer l’infidélité des habitants d’Urbino, ils tentent de fabriquer de toutes pièces un projet prétendument débattu par les habitants de la ville, qui auraient envisagé de livrer la cité à la souveraineté florentine85. Certes, le temps de la révolte s’accompagne de discussions informelles, reposant sur l’idée d’un duc déchu, et donc d’une souveraineté vacante : circulait manifestement le songe informel de se séparer du duc d’Urbino, pour livrer la cité à n’importe quel autre prince, afin de retrouver le pacte de souveraineté perdu86. Gentile Becci reconnaît avoir sérieusement envisagé de quitter la souveraineté ducale, et que les discussions en ce sens se sont multipliées à travers la ville, avant et après la prise d’armes, au nom d’un pacte nouveau à conclure avec un souverain plus soucieux du bien être matériel de ses peuples :
- 87 Ibid., f° 132v.
E ben vero che da i predetti mi era detto così fatto desiderio, per quanto dicevano haver inteso da più persone, le quali però non mi nominavano, esser universalmente per la terra, et era questo desiderio di darsi più tosto al Duca di Fiorenza ch’al Papa, percioche si discorreva, et faceva giudicio, che si haveria meglior patto seco, che haver per padrone la Chiesa, et questo perche dicevamo, che si vedea l’essentioni concedute à senesi, i quali havea preso per forza87.
- 88 Deux rétractations concernent justement le point de livrer Urbino aux Médicis. Iseppe Martinelli, à (...)
- 89 Vincenzo Buffi, un des ambassadeurs d’Urbino à Rome, affirme ainsi être allé trouver notamment le c (...)
- 90 Voir par exemple ibid., f° 275v, la question du juge à Hettore Serafino : « Interrogatus an credere (...)
- 91 C’est ce que prouve l’inflexibilité ducale : le duc est prêt à concéder une exemption fiscale, avan (...)
33Des noms ont nettement circulé, notamment celui du Grand-duc de Toscane. Mais ces débats politiques, fortement teintés de contractualisme, n’ont pas conduit à un complot réel visant à appeler la Toscane à la rescousse : comme précédemment, les juges arguent de contestations politiques pour construire une trahison, une conjuration. Cette infidélité fabriquée, rapidement décrédibilisée faute de témoignages88 (et du fait que les troupes florentines furent rapidement présentes au côté des troupes ducales89), révèle la difficulté que rencontrèrent les juges pour prouver l’infidélité des habitants. Confrontés à une prise d’armes « légitime » dans la conception politique hybride qui prévaut manifestement à Urbino, les juges croient bon d’inventer une infidélité patente, incontestable, à savoir une trahison en bonne et due forme. Cette position d’entre-deux du juge, manifestement lui aussi porteur de cette culture politique de la fidélité affective, est trahie par les questions même qu’il pose : il demande toujours aux révoltés si, d’après eux, il est licite de prendre les armes contre un prince qui agit justement90. L’ajout de l’adverbe « justement » souligne que, pour le juge, il peut y avoir un droit de révolte contre le prince injuste : le devoir d’obéissance qu’il défend n’est donc en rien absolu, il laisse la porte ouverte à une dénonciation du tyran, à une déposition du prince injuste par la cité sujette. Il est, lui aussi, dans une logique contractuelle du pouvoir, contestant non pas aux révoltés le droit de prendre les armes contre le prince, mais estimant qu’il n’y avait en l’occurrence pas d’injustice patente. Au caractère flou, hybride, de cette fidélité contractuelle, unissant la culture politique du bien commun et celle de la nécessaire obéissance, répond l’inébranlable certitude ducale, celle d’un absolu devoir d’obéissance au souverain, fût-il injuste91.
Des théologies politiques inconciliables
- 92 La comparaison avec la révolte florentine s’impose : après avoir chassé les Médicis en 1527, les Fl (...)
34Ces deux conceptions irréconciliables de la souveraineté (contractualisme et devoir absolu d’obéissance) trahissent en réalité le conflit entre deux théologies politiques : la révolte est en effet puissamment marquée par un désir de lien direct avec Dieu, d’abandon à l’indiscutable souverain comme légitimant la révolte. Le discours de la contestation du duc place Dieu dans le camp des révoltés et du contrat : la légitimité du corps politique d’Urbino, de sa maîtrise conservée du bien commun, s’appuie sur son union avec Dieu. Comme il y a possible communion directe du corps politique avec Dieu, sans le truchement du souverain, la révolte est automatiquement légitime, indépendamment de considérations juridiques. Certes, le devoir d’obéissance s’est manifestement diffusé dans la culture politique urbaine, mais il n’est pas parvenu à enrayer le contractualisme : sans doute du fait de la puissance limitée du duc, mais sans doute aussi en particulier du fait que la commune n’a pas, loin de là, rompu tout lien politique avec Dieu. La commune d’Urbino, pensée comme une personne (et défendant son honneur) s’appuie largement sur ce possible contact direct avec un Dieu protecteur et inspirateur, auquel il faut s’abandonner pour restaurer la concorde : cette intuition repose sur une multitude d’indices ténus, mais qui réunis font sens, montrant la tension sacrée à l’œuvre dans une révolte qui, ici encore hérite du passé communal92 l’idée d’un lien privilégié avec Dieu, un Dieu protecteur de la concorde et de la justice, pourfendeur de tyran.
- 93 Du propre aveu de Vincenzo Buffi, qui lance la proposition, cette messe du Saint Esprit devait fonc (...)
- 94 Voir les délibérations du conseil général du 25 janvier 1573, ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 74v: « In (...)
35Dès le début de l’agitation, en décembre 1572, est célébrée une messe du Saint Esprit destinée à apaiser les esprits, mais aussi à recréer ce lien direct avec Dieu93. L’autre temps fort de l’agitation politique, à savoir la prise d’armes contre les troupes ducales (c’est-à-dire le temps du basculement explicite dans la révolte), s’accompagne d’un vaste serment de fidélité au duc, doublé d’un engagement solennel de concorde urbaine94, indice que la ville entend, par sa concorde retrouvée, manifester tant son attachement au bien commun, que sa volonté de se placer sous l’œil bienveillant de Dieu. L’un des supposés « comploteurs », Giovanbattista Angelini, aurait même confié à Vincenzo di Vincenzi, après la prise d’armes, sa certitude que Dieu est au côté des révoltés, ce qui autorise les résolutions les plus extrêmes :
- 95 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 198v.
essendo una sera io nel corpo di guardia della Vagine, dove era ms Gio. Battista Angelini mio caporale, et dicendogli io, c’havevamo fatto cativa butata à pigliar l’armi, egli rispose che Dio ci aiutaria, et à l’ultimo poi piu presto ch’à rendersi, dopo l’haver mandato fuori i figliuoli, et le Done, poneressimo il fuoco nelle case, et si andaressimo con Dio, ò che s’abbrugiaressimo noi stessi95.
- 96 La substance de ce texte est rapportée par Vincenzio Ridolfi, ibid., f° 63r : « sò ben che fra l’al (...)
- 97 Ibid., f° 203r.
- 98 Ibid., f° 11v.
- 99 Ibid., f° 199v : « in progresso di tempo poi io udì gridare in conseglio à Roma, à Roma, et udi Raf (...)
- 100 Ibid., f° 83v : « Interrogatus an prius existimasset, seu cogitasset quid esser dicturus, respondit (...)
36Pareillement, dans le mémorial que les ambassadeurs d’Urbino à Rome remettent aux cardinaux (pour obtenir un soutien aux révoltés), il est question d’une mission divine confiée aux cardinaux (la pacification), pour éviter en particulier une discorde généralisée à l’échelle péninsulaire96 : la confusion explicite entre mission divine et concorde, aux accents fortement marquée par le discours du bien commun nécessaire, souligne le désir d’un abandon à l’ordre politique voulu par Dieu – un ordre politique potentiellement débarrassé de souverains intermédiaires, dès lors que la discorde gronde. Certains acteurs de la révolte assument d’ailleurs cette volonté divine en se transformant en porte-étendards christiques, voire en prophètes : Vincenzo di Vincenzi, dans le texte très violent qu’il rédige contre le duc, appelle ainsi à défendre conjointement l’honneur de Dieu comme celui du duc, sous forme d’un sermon97. Bagarazzo, pour enflammer les foules en faveur du soulèvement, se serait cousu une croix sur le vêtement, à la manière d’un drapeau98 ; Rafaele Arduino, présenté également comme un des moteurs du soulèvement, aurait prétendu être inspiré par l’Esprit Saint, au moment de refuser toute négociation avec le Duc99. Cette théologie politique communale, qui confond volonté divine et défense de la cité comme de sa concorde, semble avoir circulé au-delà des seuls faiseurs d’opinion : le paysan qui, à la tribune du conseil général, avait déploré les malheurs économiques du monde rural, finit par avouer à ses juges (qui le pressent de savoir qui lui avait dicté son intervention) qu’il n’avait été inspiré que par Dieu100.
- 101 Ibid., f° 200r : « hò udito da Giannino Pucci dire che ms Malatesta Malatesti havea detto ch’il Sig (...)
37Ce désir d’abandon à Dieu, tout en conservant sa fidélité au Duc (puisque cette théologie politique est, comme la fidélité, en pleine tension contradictoire) conduit alors à penser le Duc comme possédé101 : se révolter est donc œuvre divine, et permet en outre de rester dans l’obéissance au vrai Duc, masqué qu’il est par ses démons. Cette inquiétude religieuse inhérente au dévoilement du mauvais prince permet de comprendre les symétries entre prédication et dévoilement, pamphlets et prophéties, infamie et inquiétude des temps : lever le voile qui masquait le tyran est un acte de foi, voire un acte divinement inspiré – puisque dévoiler le gouvernement des vices permettra, peut-être, de rétablir l’amour de Dieu. La lettre anonyme qui suit fut envoyée à un confesseur par l’auteur d’un placard injurieux, rédigé lors de la révolte : elle permet de voir à l’œuvre, dans un cas précis, cette inquiétude religieuse qui préside à la radicalisation politique :
- 102 ASV, AA, Arm. E, b. 130, f° 138 r-v.
Sà la RV ch’io l’hò dato in confessione il mio errore, la prego per l’amore d’Iddio ch’adimandi perdono per me alli sottoscritti Cittadini de l’offesa ch’hio l’hò fatto, et non haveria creso mai. Però merito scusa, et perdono che quella lista ch’io feci la notte di la Pascha la fusse stata batezzata oer Cartello, ne che il male fosse riuscito tanto grande come hò inteso dopo il fatto. Et per questo sarete pregato per la passione de Dio de adimandare perdona à questi Cittadini honoratissimi, (...) che mi truovo tanto pentito, e tanto mal contento che già il nimico mi tenta due notte ch’io mi nasconda in un Pozzo, e per questo prego voi Padrone mio santo e buono che non lassate per l’auttorità ch’havete non lassate infamare nessuno à torto ; (...) si come mi scuso con Dio d’havere fatto questo debito con voi, acciò l’anima mia non vada nelle mani del Nemico, et che le diate quella sodisfattione, e remedio che vi parerà meglio102.
- 103 Ibid., f° 139r, proclamation communale du 26 janvier 1573.
38Ce texte appelle une série de commentaires ; d’abord, il pointe l’efficacité insultante et politique de ces placards injurieux, puisque l’auteur se repent d’avoir eu autant d’écho et d’avoir mal mesuré la portée de son geste – peu après, les autorités d’Urbino font publier un décret, stipulant qu’elles ne furent en rien à l’origine de ce placard103. Surtout, cette demande d’aide au confesseur souligne l’inquiétude de l’auteur de cette lettre : inquiétude judiciaire d’abord, et la demande d’intercession ici formulée vise en partie à atténuer les éventuelles sanctions, mais inquiétude religieuse surtout. En effet, l’auteur du placard s’adresse à son confesseur pour se faire absoudre de ce qu’il reconnaît comme un grave péché ; surtout, il avoue à deux reprises être sur le chemin de l’enfer, être tenté par le démon au point de se cacher dans un puits. Il s’agit ici manifestement d’un esprit torturé par l’inquiétude religieuse, et le placard qu’il rédigea en était une expression ; en même temps, il ne faudrait pas réduire son libelle à une simple angoisse religieuse, s’y retrouvent au contraire conjointement ambition de dévoilement politico-moral, et intention religieuse, les deux ayant partie liée. Il s’agit par conséquent bien à la fois d’un pamphlet politique, et d’un texte d’inspiration religieuse : l’imbrication des deux souligne combien cette logique de dévoilement du mal public est signe d’une inquiétude politique comme d’une angoisse religieuse.
- 104 Voir le bref pontifical, ASV, Segr. dei Brevi, vol. LXIV, f° 271r-272r, bref du 7 février 1573.
- 105 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 197 v : « Bagarozzo essendo un giorno meco nella piazza del pecciolo, m (...)
39Le temps de la crise politique, renforcé par l’excellente circulation de discours, est donc un temps d’inquiétude pour la survie politique ; s’ensuit la nécessité d’un recours (comme d’un retour) à Dieu pour refonder le corps civique, et l’idée d’un possible rapprochement immédiat avec Dieu, qui légitime le corps politique et son action. La fin de la révolte en est alors elle-même plus compréhensible : certes, les révoltés se trouvent privés de tout soutien voisin (la Toscane, le pape), et le suzerain du Duc (Grégoire XIII) les a désavoués ; mais c’est surtout le souverain pontife qui a refusé la validité de cette théologie politique communale, plaçant les habitants d’Urbino devant un choix politique mais surtout religieux (d’autant que plane sur eux, en cas de désobéissance, la menace des armes spirituelles104). Seuls quelques radicaux s’affirment prêts à passer outre le vicaire du Christ, à considérer que la légitimité politico-religieuse d’Urbino dépasse même la compétence pontificale105.
- 106 Ibid., f° 272v.
40À cette implicite sacralité du corps civique, aux tensions prophétiques qui l’animent et légitiment le contractualisme, le Duc répond par un devoir d’obéissance absolu, une théologie politique qui fait du Duc le seul investi d’une responsabilité face à Dieu, l’unique détenteur d’une sacralité de fait. Le duc répond à la révolte par une fermeté toujours renouvelée, par des raidissements successifs : aux ambassadeurs d’Urbino, au tout début de la crise, il réclame des excuses de la cité. Ensuite, face au durcissement du conflit, il joue rapidement la carte militaire, mobilisant des troupes qui, à en croire la rumeur106, avaient un mandat de fermeté. Le duc ne s’en cache d’ailleurs pas, dans une lettre envoyée à Urbino pour que se retirent ceux qui ne veulent pas être rebelles :
- 107 ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 7r.
A noi che habbiamo conosciuto essere disperata la cura di questi sfortunati et infelecissimi che si sono dati al Diavolo, e deliberato di fare ogni altro pessimo effetto siamo stati sforzati contra l’animo nostro di porre mano al ferro et al fuoco107.
- 108 Ibid., f° 18r.
- 109 ASF, Misc. Medicea, b. 109-II, f° 721r.
- 110 Voir la lettre du duc à son lieutenant à Urbino, datée du 23 avril 1573, ASV, AA, Arm. E, b. 128, f (...)
- 111 Ibid., f° 49v-52v, instruction à l’ambassadeur du duc d’Urbino à Rome.
- 112 Ibid., f° 30r-33v, instruction à l’ambassadeur du duc d’Urbino à Rome.
- 113 Ibid., f° 44r-45v et f° 49r-52r.
- 114 Voir par exempe ibid., f° 77r, la lettre du duc à un podestat (de Fossombrone ?), datée du 23 mars (...)
- 115 L’aubergiste Iseppe Martinelli reconnaît s’être caché dans un monastère franciscain avant son arres (...)
41La possession diabolique change de camp, légitimant le devoir de violence. Cette fermeté ducale est maintenue à l’issue du conflit, qui fonctionne comme une occasion rêvée pour marteler ce devoir d’obéissance absolue. Le duc multiplie les vexations : symboliquement, Urbino doit demander deux fois pardon au duc108, verser un don «volontaire »109 ; la ville se voit imposer très rapidement la construction d’une forteresse, par réquisition massive des habitants du duché110 (exception faite de Pesaro et Senigaglia, à l’indubitable fidélité). En outre, le duc pousse à la répression sanglante, contre l’avis du pape qui pousse à la clémence111 : désireux de punir le grand nombre de coupables, le duc choisit de se limiter à vingt-quatre personnes, choisies avec soin112. En outre, pour contourner les réserves de Grégoire XIII, le duc décide de punir les contumaces en les bannissant, avec récompense pour qui les tuerait : l’ambassadeur est chargé de dire que le système ne fonctionne pas, qu’il n’y aura donc pas de massacre entre bannis, lors même que le duc espère explicitement le contraire113. Les arrestations se multiplient114, et les rumeurs les plus folles, les plus terrifiantes surtout, circulent lors de la reprise en main d’Urbino115. Puisque les juges eux-mêmes hésitaient sur l’éventuel droit de résistance contre un prince injuste, puisque nombre d’accusés prétendaient méconnaître les limites de la fidélité et arguaient d’un droit à l’autodéfense, le Duc affirme, par son action répressive, que le devoir d’obéissance est dû à un souverain, fût-il injuste : le spectacle d’une tyrannie ouverte, martelée même, n’est en somme que la touche conclusive du débat entre théologies politiques concurrentes.
- 116 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 75r.
- 117 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 62v.
- 118 ASV, Segr. dei Brevi, b. 64, f° 271r : A la fin de la minute du bref, est consignée cette modificat (...)
- 119 Ivi.
42C’est aussi que le duc avait reçu un soutien de poids, celui du pape comme du sacré collège. En effet, les ambassadeurs d’Urbino, venus à Rome réclamer à Grégoire XIII une médiation, voire un désaveu du duc (son vassal), reçurent au contraire une véritable leçon politique sur le devoir d’obéissance, leçon tant théorique que pratique. Le pape répondit en effet aux différents discours des ambassadeurs que la cité d’Urbino avait mal agi et devait se montrer à nouveau obéissante, malgré tous les argumentaires déployés116. Les ambassadeurs perçurent cette froideur pontificale : le soir de leur départ, ils sont convoqués par le gouverneur de Rome et choisissent de ne pas s’y rendre, par crainte d’être arrêtés117. En réponse à cette ambassade, Grégoire XIII fait rédiger un bref très explicite, ordonnant à Urbino de déposer les armes : la minute du bref contient une modification ordonnée par le pape, révélatrice de cette fermeté. En relisant le brouillon du bref, le pontife a en effet demandé d’ajouter118 « sub indignationis nostra ac rebellionis poenis119 » dans la phrase exigeant la reddition au duc légitime. Les cardinaux insistent eux aussi sur le même devoir d’obéissance, jusqu’au cardinal Morone qui aurait répondu aux ambassadeurs
- 120 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 59v.
che andassimo ad obedire mostrandosi di maravigliare del numero delli ambasciatori, dicendo, ch’il Duca era clementissimo, et che gli dovessimo domandar perdono, et fù uno de noi ma non so quale, che dicendo il Cardinale che fossimo suoi sudditi fedeli, disse ma non come schiavi, et allegò un detto delle scrittura, et il Cardinale replicò, anco come schiavi lo dovete obedire, et ci disse parimente il Papa ch’andassimo ad obedire120.
- 121 Voir par exemple ASF, Misc. Medicea, b. 109-II, f° 720r-725r, les nouvelles d’Urbino (décembre 1573 (...)
- 122 ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 156r-161r : il s’agit des interrogatoires de Thomaso Mazzocchi, qui avo (...)
- 123 L. Celli, op. cit., p. 204 et suiv.
43Le devoir d’obéissance absolu ne saurait être mieux formulé, sur un arrière-plan testamentaire qui manifeste bien la confrontation de deux théologies politiques : au recours à Dieu contre le tyran mis en avant par Urbino répond la légitimité divine du tyran. La concorde n’est plus désormais la conséquence du bien commun, mais le respect total de l’autorité comme reflet de la volonté divine. Cette nouvelle théologie politique, manifestement partagée par les autorités (mais, semble-t-il dans le cas d’Urbino, par elles seules), doit venir gommer le contractualisme précédent. Le spectacle assumé de la tyrannie ducale, malgré les contestations qu’il suscite121 (elles-mêmes réprimées implacablement122), entend prendre le relais des voies antérieures de l’acculturation politique, qu’il s’agisse de la rue, des conversations informelles ou des conseils généraux. Urbino perd, dans la répression, ses franchises communales, les Conseils et réunions sont interdits, les condamnations se multiplient123 – et la nouvelle forteresse prend symboliquement le relais de cette expérience communale.
- 124 Voir M. Zane, op. cit., p. 320-321.
- 125 Cette « ligue » entre souverains paraît si naturelle qu’elle autorise le duc d’Urbino à reprocher i (...)
44Il s’agit bien ici d’une stratégie de la souveraineté, d’acculturation politique accélérée : passé le temps de la terreur et de la violence, Guidubaldo II rétablit Urbino dans sa faveur. C’est surtout son fils, Francesco Maria II, qui achève cette pacification, suivant les conseils d’Ottaviano Farnese, duc de Parme et Plaisance (qui avait lui-même dû se concilier cette dernière ville, pourtant « meurtrière » de son père Pier Luigi Farnese en 1547) : aux exemptions fiscales s’ajoutent le démantèlement de la forteresse et la grâce accordée à nombre de bannis124. Le couple terreur-grâce permet ainsi d’imposer une théologie politique du devoir d’obéissance, de marteler le fait que le duc, bien que vassal du pape, bien que dénué de sacralité institutionnelle, est pleinement souverain. A ce titre, il est le seul lieutenant de Dieu en son duché, ce qui engendre une double monopolisation, de la violence d’abord, de la médiation divine ensuite. A la circulation informelle, grouillante et festive du politique « contractuel » répond donc une acculturation violente du devoir d’obéissance, par les autorités. Ce revirement imposé fonctionne sans doute d’autant mieux qu’il reprend l’identification d’Urbino à une personne : de même qu’Urbino défendait son honneur bafoué, de même le duc impose à la cité le temps de la confession, celui de la rédemption puis celui de la grâce. En outre, ce devoir d’obéissance absolu mis en spectacle par le duc d’Urbino, ce glissement brutal hors du contractualisme (dans un espace urbain marqué par le politique, mais où la fidélité ne pouvait engendrer le déshonneur) est porté par la violence collective des souverains, par la solidarité des princes qui ferment l’espace possible de la délégitimation. Le duc d’Urbino, rapidement soutenu par le pape, les cardinaux, le duc de Florence, guidé ensuite par le duc de Parme, prive ses sujets de tout recours extérieur : cette ligue princière implicite125 fait de la violence un attribut exclusif de la souveraineté. Elle permet à une principauté mineure d’imposer, par la démonstration de force, une nouvelle théologie politique, alors même que le duc d’Urbino ne disposait nullement des ressources institutionnelles nécessaires pour imposer ce devoir d’obéissance absolu.
Notes
1 Voir par exemple I Della Rovere nell'Italia delle Corti. Atti del Convegno di Studi, Urbania, 16 - 19 settembre 1999, dir. par Bonita Cleri, Sabine Eiche, John E. Law e Feliciano Paoli, 4 vol., Urbino, 2002. Sur les quatre courts volumes, seul le premier est consacré à l’histoire du duché, les trois autres à son rayonnement culturel.
2 En 1631, le duché d’Urbino repasse sous le gouvernement direct du souverain pontife, entraînant un transfert partiel des archives à Rome.
3 Archivio di Stato di Firenze [désormais ASF], Ducato di Urbino, voir notamment classe III.
4 AS Pesaro, Ducato di Urbino.
5 Le noyau secret initial des archives pontificales, aujourd’hui intégré aux Archives vaticanes comme fonds autonome de l’Archivum Arcis.
6 Archivio Segreto Vaticano (désormais ASV), Archivum Arcis (désormais AA), Arm. E, n° 127 à 130.
7 Voir par exemple Natale Conti, Delle Historie de’ suoi tempi, 2 vol., Venise, D. Zenaro, 1589, ou Matteo Zane, Relazione di M.Z., tornato da Urbino (1575), dans Relazioni degli Ambasciatori veneti al Senato, éd. A. Segarizzi, vol. 2, Bari, Laterza, 1913.
8 « Diario della ribellione d’Urbino nel 1572», éd. par Filippo Ugolini, Archivio Storico Italiano, nuova serie, vol. III (1), 1856, p. 50-57.
9 ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 1r-f° 4r : Narratione del successo d’Urbino, qui est sans doute le brouillon (vues les nombreuses corrections) d’un récit justifiant l’attitude ducale face aux révoltés. ASV, Misc. Arm. II, b. 91, f° 206r-211v : Relatione de movimenti et tumulti successi in Urbino : il s’agit vraisemblablement du mémorial envoyé par le duc d’Urbino au souverain pontife, pour légitimer une répression que le pape souhaitait modérée.
10 Les très nombreux avvisi conservés à la Biblioteca Apostolica Vaticana (désormais BAV), initialement envoyés aux ducs d’Urbino, font évidemment peu mention de cette révolte : voir notamment Ms Urb. Lat. 1043, f° 212r ; en revanche, certains avis conservés à Florence dépeignent minutieusement la ville d’Urbino après l’échec de la révolte (ASF, Miscellanea Medicea, b. 109, vol. II, f° 720r-725r, Avvisi d’Urbino).
11 ASF, Duc. d’Urbino, classe III, f. 2, en particulier les f° 215r-221r et 300r-301r.
12 Je reprends cette estimation à Mario Ginatempo et Lucia Sandri, L’Italia delle città. Il popolamento urbano tra Medioeo e Rinascimento (secoli XIII-XVI), Florence, Le Lettere, 1990.
13 Cette politique financière espagnole visait d’une part à placer dans son orbite un duché d’Italie centrale, d’autre part à se garantir un recrutement facile de troupes dans une région traditionnellement pourvoyeuse de mercenaires. Sur ce dernier point, voir M. Zane, op. cit., p. 319.
14 Je m’appuie ici sur les estimations de Luigi Celli, Storia della sollevazione di Urbino contra il Duca Guidubaldo II Feltrio della Rovere dal 1571 al 1574…, Turin Rome, L. Roux, 1892, p. 28.
15 Sur ce point, voir M. Zane, op. cit., p. 321, qui estime que la pression fiscale aurait cru, à la suite de l’autorisation pontificale, passant de 40 000 à 80 000 écus.
16 Le texte ducal créant cet impôt indirect est dans ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 110r.
17 L. Celli, op. cit., p. 48.
18 Ibid., p. 28 et suiv.
19 ASV, AA, Arm. E, b. 27, f° 2v [interrogatoire de Gabriele de’Beni, 23 mars 1573].
20 Voir ASV, Misc Arm. II, b. 91, Relatione…, op. cit., f° 206r, et Diario della ribellione…, op. cit., p. 50-51. Les comptes-rendus de ces conseils sont conservés dans ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 58r-87v : entre le 18 et le 28 janvier 1573, on compte pas moins de 8 conseils généraux spontanés, voir ibid., f° 69r-78r.
21 Sur la difficile émergence d’un patriciat fermé à Urbino, voir Bandino Giacomo Zenobi, Ceti e potere nella Marca pontificia. Formazione e organizzazione della piccola nobiltà fra ‘500 e ‘700, Bologne, Il Mulino, 1976, p. 95-97.
22 Sur cette rumeur, voir par exemple le témoignage judiciaire de Severo Paltroni, dans ASV, AA, Arm. E, b. 27, f° 108v.
23 ASV, Segreteria dei Brevi, vol. LXIV(Grégoire XIII, diversorum lib II), f° 271r-272r, bref du 7 février 1573.
24 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 66v-67r [interrogatoire de Vincenzo Buffi, 29 mars 1573, juste après avoir été torturé].
25 Ibid., f° 69v-70r.
26 Ibid., f° 70v-71r.
27 Ibid., f° 10v [interrogatoire de Gabriele de’ Beni, 24 mars 1573].
28 L. Celli, op. cit.
29 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 137v-138r : « Interrogatus an sciat quod predicti, seu plerique ac alij etiam dederint operam in concitando, et suscitando atque sublevando universam plebem, et cunctum populum Urbini ad eundum ad dictas congregationes, et tractandum ea, qua fuerunt tractata sub nomine populi, respondit.
Io non hò dato molta fantasia à questa cosa, ma non puo essere che non sia stata fatta, sò ben io haver sollecitato i predetti à venir al conseglio, con essortargli che stassimo uniti insieme in quelle cose, che se haveano à trattare ».
30 Gentile Becci est ainsi torturé à de nombreuses reprises, en raison de la brièveté de ses réponses : le 7 avril 1573, premier jour de son interrogatoire, il est longuement torturé trois fois, voir ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 125v, 128r, 129v, bien qu’il semble être né en 1501 (ibid., f° 124r) et avoir donc au moins 71 ans.
31 Nombre de prisonniers livrent aux juges des informations ou des bruits qu’ils ont entendus en prison : Vincenzo di Vincenzo (dit Cincinus) rapporte, le 15 avril 1573, la version des faits que lui a racontée un autre prisonnier, Alessandro Veterano (qui avait été précédemment interrogé) : voir ibid., f° 197v. Pietro Fussoni, qui lors d’un interrogatoire précédent avait livré des informations qu’il fondait sur la rumeur urbaine, avoue ensuite qu’il se contentait de répéter ce que le chancelier de la Commune (témoin à charge, demeuré dans la fidélité au duc) lui avait raconté en prison : ibid., f° 236v. Le chancelier, à son tour, rapporte les propos tenus en prison par Vincenzo Buffi (ibid., f° 256r), puis Severo Paltroni confesse ce que lui a raconté Gentile Becci (ibid., f° 264r). Les témoignages « révélant » la conjuration émergent ainsi d’un petit groupe d’hommes enfermés ensemble, qui finissent par établir une version cohérente, fusion de leurs différents aveux largement arrachés sous la torture.
32 ASV, AA, Arm. E, b. 128, Narratione.., op. cit. : ce texte de justification de la politique ducale dénonce, sans se fonder sur les procès, quelques trublions ambitieux ou quelques bandits qui auraient soulevé le peuple.
33 Voir par exemple supra, note 29.
34 Voir ASV, Misc. Arm. II, b. 91, Relatione, op. cit., f° 206v.
35 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 301r, réinterrogatoire du 3 juin 1573.
36 ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 143r-148r : estimation des biens des personnes emprisonnées ; à côté de fortunes honorables, on rencontre deux personnes (le maçon Lanzo, l’aubergiste Iseppe Martinelli) qui ne possèdent rien.
37 Voir supra, note 24.
38 Voir les aveux de Iseppe de Gio Paolo Martinelli da Cagliema, tenancier d’auberge, dans ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 213v ; il va jusqu’à parler d’un conseil général qui aurait rassemblé au moins 3000 personnes, dans une ville d’environ 5000 habitants (ibid., f° 208r).
39 Le jour de la prise d’armes, le 25 janvier 1573, à Urbino, se tient un conseil général qui, de l’aveu même du chancelier (pourtant demeuré fidèle au duc), déborde l’espace civique usuel et rassemble toute la cité ; ibid., f° 48r-v.
40 La rumeur joue notamment un rôle clef dans le basculement d’une agitation politique vers la révolte, par la prise d’armes contre le duc. En effet, cette prise d’armes découle de rumeurs selon lesquelles le duc envoyait une armée pour mettre à sac Urbino : voir par exemple le récit qui en est fait ibid., f° 26v. Le projet de donner Urbino au duc de Florence a manifestement circulé sous forme de rumeur : trois témoignages du procès la formulent en des termes comparables, en insistant sur cette diffusion par capillarité d’informations comme d’intentions politiques. Le chancelier de la commune rapporte, ibid., f° 3v, qu’il entendit parler de ce projet « il che intesi dire per il pallazzo, dove era il concorso di tutto il popolo, per publica voce, et fama ». Vincenzo Ridolfi avoue, à propos du même projet, ibid., f° 71r-v « il che intesi dire per il pallazzo, dove era il concorso di tutto il popolo, per publica voce, et fama, che per il popolo et Città vi era simil voce d’esser bene il mutar patrone per gli aggravi predetti ». Iseppe Martinell rapporte les mêmes rumeurs, auquel il a contribué : « si diceva per publica voce, et fama per la maggior parte di doverse gli dare ».
41 Ibid., interrogatoire de l’officier qui a la garde des munitions ducales à Urbino, f° 370r.
42 Voir par exemple ibid., f°152v-153r : Felice Corbolo évoque des discussions devant des boutiques, devant le Palais, à une porte, devant l’évêché ; de son côté, Giovanbattista Bianchoni, dit Starna (ibid., f° 186v) dresse une liste comparable de lieux de discussions informelles, évoquant boutiques, promenades, maisons, palais et marché.
43 Ibid., f° 52r-v.
44 Ibid., f° 52v.
45 La réalité de leur intervention comme de leur rôle décisif apparaît nettement dans les délibérations de ce conseil du 26 décembre : voir ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 59r-60r. Ce compte-rendu officiel du conseil laisse même entendre que, à la suite de l’intervention du paysan, il est décidé de consulter les privilèges fiscaux d’Urbino, c’est-à-dire d’entrer dans une démarche juridique et contractuelle (ibid., f° 60r).
46 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 85r-v : [le paysan est torturé, car] « Magnificus Dominus Commissarius stante non verisimilitudine quod rusticus ignarus non prius instructus arrengaverit ».
47 Ibid., f° 83v.
48 Ibid., f° 138r-v.
49 Le chancelier de la commune, chargé donc de noter les délibérations des conseils, souligne cette pression exercée par une foule inhabituelle, la canaille ibid., f° 4r-v. Un des notables modérés d’Urbino, Hippolito Giusti, agacé par cette pression, dénonça même à la tribune une foule radicalisée qui ne respecte plus son prince, ibid., f° 291v : « disse canaglia volete far fare il Duca à vostro modo ». L’accusation produisit un début d’émeute, et Giusti, menacé physiquement, fut contraint de s’excuser publiquement de son débordement de langage (ibid., f° 17v).
50 Ibid., f° 12r-v ; cette affirmation du chancelier est confirmée par les délibérations du conseil général du 20 janvier 1573 (ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 71r), qui évoquent un maçon de la paroisse de S. Lucia qui se serait permis de sonner les cloches (et donc de convoquer ce conseil) de sa propre initiative.
51 Voir ASV, AA, Arm. E, b. 129, en particulier f° 69r-73r.
52 Dès le 5 janvier 1573, au retour des ambassadeurs envoyés à Pesaro pour demander (en vain) la suppression des nouvelles impositions, le conseil général décide qu’il sera la seul légitime pour conduire cette crise ; voir ibid., f° 66r.
53 Cette aspiration à l’unanimisme transparaît dans les délibérations (ibid., f° 71v) ; le 20 janvier, il est décidé de sortir le livre des citoyens pour faire appeler au conseil les absents ; ensuite, le conseil se tient dans la cathédrale, pour accueillir la foule.
54 ASV, AA, Arm. E, b. 127, interrogatoire de Severo Paltroni, f° 113v : « Anzi era il popolo che diceva questi ricchi la non gli importa loro perche sono ricchi, ma noi ogni poco che pagamo ci importa assai ».
55 Ibid., f° 16r-17r.
56 Le chancelier de la commune rapporte l’excitation de la plèbe contre les citoyens qui boudent les conseils généraux, manifestant ainsi leur désapprobation, ibid., f° 30r. Pier di Simone, dit Fussone, affirme lui dans son interrogatoire avoir été menacé de mort, dans sa boutique, s’il ne se rendait pas aux conseils, voir ibid., f° 224r. Un autre témoin, lui nettement à charge des accusés (et donc non incriminé), avoue ces pressions physiques, mais en soulignant, comme le chancelier, qu’elles n’ont jamais été suivies d’effet, ibid., f° 389v.
57 Ibid., f° 10r.
58 Le 2 avril 1573 est interrogé Alessandro Veterano, l’un des 27 ambassadeurs envoyés par Urbino à son duc. A une question sur les causes de la terreur qu’il ressentait, il répond par la pression des rumeurs menaçantes qui circulaient dans la foule, ibid., f° 94v.
59 Cette menace serait intervenue pour contraindre les Prieurs à rassembler le conseil général traditionnel de la Saint-Etienne (le 26 décembre 1572), malgré l’interdiction du lieutenant ducal, voir ibid., f° 247v.
60 Ibid., f° 249v : quand les Prieurs reçoivent la lettre ducale enjoignant Urbino d’envoyer une ambassade moins nombreuse (et refusant donc celle expédiée par le conseil général), ils se retirent avec les 27 ambassadeurs initiaux. La foule, craignant que les autorités ne cèdent au duc, tambourine à la porte en vociférant, pour empêcher la confiscation de la crise par les magistrats. Cette pression est confirmée par les délibérations des conseils généraux, ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 61v.
61 Le chancelier de la commune comme le gonfalonier affirment avoir craint pour leur vie, respectivement ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 9r et f° 290r, tandis qu’Alessandro Veterano, cité précédemment, soutient que le peuple menace de brûler les maisons de ceux qui déserteraient la juste cause, et en l’occurrence l’ambassade au duc (ibid., f° 89v).
62 Ibid., f° 136r.
63 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 201r-203v.
64 Ibid., f° 74v-75v.
65 ASF, Duc. d’Urbino, III, b. 2, f° 300r.
66 ASF, Misc. Medicea, b. 109-II, f° 720v-723r.
67 Ce rapide récit de l’événementiel du début de la révolte s’appuie sur Diario della Ribellione, op. cit., p. 50-51. Ce récit affirme que les ambassadeurs d’Urbino, accompagnés de représentants du contado, formaient une foule d’environ 200 personnes.
68 Dès le début des tumultes, la ville ressort les conventions qui la lient au prince, voir ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 52v.
69 Ibid., f° 60v.
70 Ibid., f° 9v.
71 Est en question notamment l’essoufflement économique de la cité, qui paraît délégitimer l’action ducale : voir le témoignage de Vincenzo Ridolfi, ibid., f° 72r, « udivo far doglianze de gli aggravi per varie persone, dir che non si teneva più conto della povertà, che il signor Duca non stava più con noi, come solea fare, et come facevano il Duca Federico, et il Duca Guido, et il Duca Francesco maria, et ch’al tempo del Duca Federico si trionfava, perche era ricco, et che all’hora ci era l’arte del corame, et della lana, et guadi, c’hora non si sono ».
72 Un des révoltés, Giovan Battista Bianchoni, reconnaît avoir refusé de demander pardon au duc, car le lien affectif avec le duc est brisé, ibid., f° 184v-185r : « Io dissi che noi saressimo amorevoli al signor Duca come eramo stati per il passato, s’egli fosse amorevole à noi come era stato per il passato ».
73 Ibid., f° 174v : « io dissi che si potea dir d’esser stato et esser fedele, ma non c’havessimo da essere, perche s’il Duca non saria fedele à noi, noi non saressimo à lui ».
74 Ibid., f° 202v.
75 Ibid., f° 273r-v : « La verità è ch’io ero di parere ches se gli dovesse domandar perdonanza, se ben altri eran di contrario parere, dicendo che non s’era fatto offesa à sua Ecc.a, io percio dicevo che se non fosse stato offeso in altro, io tenevo, che fosse almen stato offeso in non prestargli quella riverenza, che se gli deve in mandar maggior numero di ambasciatori, di quello era mente sua ».
76 ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 80v.
77 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 56v.
78 Ibid., f° 57r-v.
79 ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 74v, et infra, note 94.
80 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 143v.
81 G. B. Bianchoni, dit Starna, interrogé à plusieurs reprises sur la légitimité de l’ambassade envoyée par Urbino au pape, répond, ibid., f° 183r-v, « sono cose de Dottori ». Hettore Serafino, (ibid., f° 270r), à une question sur le gouvernement du duc d’Urbino, répond « Signor si egli è patrone absolutissimo (...) Io credo che stia al Principe [de prendre armes], ma forse se all’hora instava il pericolo, et percio si dovete far tal deliberatione ». Dans le même interrogatoire, il hésite à nouveau sur le droit à l’autodéfense contre le souverain, confessant son ignorance (ibid., f° 275v-276r): « Io so che la difesa è cosa naturale, ma non sò se sia lecito à i sudditi pigliar l’armi contro il principe, ch’esseguisse giustamente, ma credo, che non convenga (...) Io sò quando si fà giustamente non si devono impedire l’essecutioni giuste, ma io non sò dichiarare simil cose ».
82 Alessandro Veterano, ibid., f° 93r, Severo Paltroni, ibid., f° 108v, défendent tous deux l’idée qu’il est permis de défendre sa cité menacée, y compris contre son souverain, dès lors que les armées de ce dernier viennent la mettre à sac.
83 Vincenzo Buffi, ibid., f° 55v, affirme nettement que l’ambassade trop nombreuse était une forme de désobéissance, alors que « Io credo che s’habbia da obedire al superiore, et non la città, et che sia errore à non farlo ». Gentile Becci, de son côté (ibid., f° 140v), savait qu’il était illicite de prendre les armes contre son prince, ce qui l’oblige à avouer que « la intentione principale di pigliar l’armi sia stata per levarsi di sotto la giurisdittione di sua ecc.a et d’andarsi defendendo con dette armi sin tanto che si vedesse quel che volesse far il papa ».
84 C’est le cas par exemple du surnommé Starna, ibid., f° 163v, qui admet qu’Urbino a eu tort d’envoyer une ambassade nombreuse, contre la volonté ducale.
85 Voir par exemple ibid., f° 204r, l’interrogatoire très insistant que subit Vincenzo di Vincenzi, à propos des réunions auxquelles il aurait participé pour préparer la perte de souveraineté du duc – et sur lesquelles il n’a nettement rien à dire, puisqu’elles sont fictives.
86 Severo Paltroni rapporte ainsi les discussions informelles qui animent la cité, centrées sur la possible déchéance ducale, ibid., f° 116 r. Le même Paltroni précise, dans un interrogatoire suivant, la diffusion d’un tel désir de changement, pas nécessairement centré sur le souverain toscan, ibid., f° 212r-v : « et per le guardie, per le botteghe, et per la terra si diceva che si volevano dare al Duca di Fiorenza, al Papa, et al Diavolo, si come hò udito più volte dirsi ciò, et usarsi anco simil parole di Diavolo, et ciò dicevano di fare in proposto se non levava loro il signor Duca le gravezze, et io ragiovano parimente con loro, et dicevo anch’io, ch’era ben fatto che se gli dessimo, et si diceva per publica voce, et fama pet la maggior parte di doverse gli dare ».
87 Ibid., f° 132v.
88 Deux rétractations concernent justement le point de livrer Urbino aux Médicis. Iseppe Martinelli, à deux reprises (ibid., f° 217r et f° 293r), minimise les discussions sur la Toscane, contrairement à ses aveux obtenus sous la torture, et Felice Corbolo agit de même (ibid., f° 301r). Du coup, le « complot » des juges cède la place à une contestation politique dénonçant un duc délégitimé par sa politique fiscale, et appelant de ses vœux un changement de gouvernement.
89 Vincenzo Buffi, un des ambassadeurs d’Urbino à Rome, affirme ainsi être allé trouver notamment le cardinal de Médicis, pour lui reprocher l’engagement militaire de la Toscane aux côtés du duc d’Urbino, ibid., f° 58r.
90 Voir par exemple ibid., f° 275v, la question du juge à Hettore Serafino : « Interrogatus an crederet, vel an sciat non licere etiam arma capere pro se defendendo contra principem iuste exequentem ». Une telle question, insistant sur l’illégitimité d’une révolte contre le prince juste, est récurrente.
91 C’est ce que prouve l’inflexibilité ducale : le duc est prêt à concéder une exemption fiscale, avant la révolte, à condition que sa ville d’Urbino vienne solennellement lui demander pardon : voir par exemple ibid., f° 9v.
92 La comparaison avec la révolte florentine s’impose : après avoir chassé les Médicis en 1527, les Florentins, dans un climat politique encore très marqué par l’ombre portée de Savonarole, font du Christ le roi de Florence.
93 Du propre aveu de Vincenzo Buffi, qui lance la proposition, cette messe du Saint Esprit devait fonctionner tant comme un apaisement que comme un recours à Dieu, ibid., f° 53v : « et io udendo che le cose andavano con furia proposi che si dovesse riccorrere à Dio, et far dir la messa del spirito santo la qual proposta piacque ».
94 Voir les délibérations du conseil général du 25 janvier 1573, ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 74v: « In segno di che fu da tutto il populo con il segno d’alzar la mano giurato espressamente fidelta a s.e. Illsmo et al populo insieme, Tutto il populo a viva voce a maggior fermezza del negocio promise et giurò alzando la mano di non riconoscere alcuna inimicitia particolare che fra particolari si trovasse ».
95 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 198v.
96 La substance de ce texte est rapportée par Vincenzio Ridolfi, ibid., f° 63r : « sò ben che fra l’altre cose che si protestava a Cardinali da parte de Dio ch’operassero, che fossero deposte l’armi intendendoci noi l’armi del signor Duca perche altrimente tumultuaria tutta Italia, et si accenderia un fuoco insetinguibile ».
97 Ibid., f° 203r.
98 Ibid., f° 11v.
99 Ibid., f° 199v : « in progresso di tempo poi io udì gridare in conseglio à Roma, à Roma, et udi Rafaele Arduino dire che lo spirito santo gli havea detto che si potria chiamar il Principe Duca, per quando egli haveria da essere, et mi par che lo dicesse in sù la renga ».
100 Ibid., f° 83v : « Interrogatus an prius existimasset, seu cogitasset quid esser dicturus, respondit :
Signor no io non ci havea pensato, et credo fosse Dio, che mi inspirasse à dir delle cose à favor del signor Duca, che guardassero lor ben quel facevano, et apressero gli occhi ».
101 Ibid., f° 200r : « hò udito da Giannino Pucci dire che ms Malatesta Malatesti havea detto ch’il Signor Duca havea tre spiriti, et che un frate, il qual dispiritava la moglie di detto ms Malatesta havea ciò detto à detto ms Malatesta ».
102 ASV, AA, Arm. E, b. 130, f° 138 r-v.
103 Ibid., f° 139r, proclamation communale du 26 janvier 1573.
104 Voir le bref pontifical, ASV, Segr. dei Brevi, vol. LXIV, f° 271r-272r, bref du 7 février 1573.
105 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 197 v : « Bagarozzo essendo un giorno meco nella piazza del pecciolo, mi disse, ch’il Papa era Vicario di Dio, et che se Dio non ci volea, che si daressimo al Diavolo ».
106 Ibid., f° 272v.
107 ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 7r.
108 Ibid., f° 18r.
109 ASF, Misc. Medicea, b. 109-II, f° 721r.
110 Voir la lettre du duc à son lieutenant à Urbino, datée du 23 avril 1573, ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 86r : il y est précisé que mille hommes travailleront chaque jour à la construction d’une forteresse à Urbino, dont deux cents qui viendront d’Urbino et de son arrière-pays.
111 Ibid., f° 49v-52v, instruction à l’ambassadeur du duc d’Urbino à Rome.
112 Ibid., f° 30r-33v, instruction à l’ambassadeur du duc d’Urbino à Rome.
113 Ibid., f° 44r-45v et f° 49r-52r.
114 Voir par exempe ibid., f° 77r, la lettre du duc à un podestat (de Fossombrone ?), datée du 23 mars 1573.
115 L’aubergiste Iseppe Martinelli reconnaît s’être caché dans un monastère franciscain avant son arrestation, car il aurait entendu dire, par un juif de Pesaro (ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 207v) : « ch’il signor Duca ne volea far apiccare da duecento da Urbino et che volea far far la rocca, et gettar a terra della muraglia, et gli faceva venir mile soldati ».
116 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 75r.
117 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 62v.
118 ASV, Segr. dei Brevi, b. 64, f° 271r : A la fin de la minute du bref, est consignée cette modification pontificale : « Smus D.N.legit minutam et addidit penis prout in margine ».
119 Ivi.
120 ASV, AA, Arm. E, b. 127, f° 59v.
121 Voir par exemple ASF, Misc. Medicea, b. 109-II, f° 720r-725r, les nouvelles d’Urbino (décembre 1573 et janvier 1574) qui décrivent une population qui déplore son humiliation comme les gestes de contrition exigés par le duc.
122 ASV, AA, Arm. E, b. 128, f° 156r-161r : il s’agit des interrogatoires de Thomaso Mazzocchi, qui avoue avoir placardé des pamphlets pour le compte des exilés d’Urbino en mars 1574 ; le pouvoir ducal demande manifestement une répression exemplaire (ibid., f° 182r-183r).
123 L. Celli, op. cit., p. 204 et suiv.
124 Voir M. Zane, op. cit., p. 320-321.
125 Cette « ligue » entre souverains paraît si naturelle qu’elle autorise le duc d’Urbino à reprocher indirectement à la République de Lucques de ne pas y adhérer : en effet, Guidubaldo II, par l’intermédiaire de son ambassadeur, tance la République, car elle avait refusé de livrer des exilés recherchés par le duc d’Urbino pour cette révolte. Voir ASV, AA, Arm. E, b. 129, f° 242r-247v, la relation de Perseo Cataneo au prince de Massa sur sa tentative de faire arrêter à Lucques en mai 1573 certains des meneurs : le conseil des 120 de Lucques refuse l’extradition, malgré le discours de Cataneo en faveur d’une solidarité de tous les souverains, individuels et collectifs, face aux rebelles : f° 244r « era il caso brutto trattandosi di traditori, e ribelli, il che sempre che avvenisse, parea obligasse quei signori gelosi della libertà, et giurisdittion loro à far ogni rigorosa dimostratione contra i perturbatori, et inimici di quelle, sendo le Republiche devono piu che da altra cosa guardarsi da humini tali. Della differenza del Principe solo alla Re p. ca dissi, che se bene quelle sono governate da piu, quei piu però rapprensentano tutti insieme un sol Principe ».
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Référence électronique
Renaud Villard, « Du droit de révolte au devoir d'obéissance : les formes d'acculturation politique dans l'Italie du XVIe siècle, autour de la révolte d'Urbino (1573) », Chrétiens et sociétés [En ligne], 13 | 2006, mis en ligne le 17 septembre 2012, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/2094 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.2094
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