La femme forte
Résumés
A travers quatre auteurs ecclésiastiques, Bautain, Dupanloup, Gay et Landriot, cet article montre comment l’Église envisage les relations entre mari et femme dans le mariage, et ce qu’elle pense du domaine propre de la femme : soin des enfants et souci de la maison. La femme est présentée comme pieuse, devant sanctifier son époux généralement sceptique, elle doit se prémunir contre les dangers de la vie mondaine, notamment les bals et les mauvaises lectures. La vision de la femme est globalement traditionnelle, mais ces auteurs prennent leurs distances avec la « faiblesse » féminine et mettent au contraire en avant une femme forte, capable d’exercer une certaine influence sur la société.
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femme, genre, Bautain (Louis), Dupanloup (Félix), Gay (Charles), Landriot (Jean-François)Keywords:
Woman, Gender, Bautain (Louis), Dupanloup (Felix), Gay (Charles), Landriot (Jean-François)Géographie :
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1Le XIXe siècle français est marqué, comme on le sait, par une forte féminisation de la pratique religieuse. Certains prêtres ont perçu ce phénomène comme un changement profond mettant les femmes à la première place dans la tâche d’évangéliser (juste derrière les prêtres). Aussi se sont-ils adressés à elles pour tracer, au nom de la religion, leurs devoirs. Les ouvrages qui nourriront cette réflexion ont pour point commun de faire explicitement référence à l’image biblique de « la femme forte ».
2C’est à deux reprises que l’image de « la femme forte » apparaît dans l’Écriture, avant tout dans le dernier chapitre du livre des Proverbes (Pr 31, 10-31), et aussi dans le Siracide (ou Ecclésiastique), mais mêlée au portrait de « la femme méchante » (Si 26, 1-18). À ces passages, on associe également la figure de Judith, héroïne d’un récit biblique montrant une petite ville assiégée, Béthulie. Une pieuse veuve, Judith, se rend au camp ennemi, séduit le commandant en chef, Holopherne, l’enivre et lui tranche la tête, provoquant la déroute des assaillants.
Quatre auteurs
- 1 Louis Bautain, La Chrétienne de nos jours. Lettres spirituelles, 1859, 3e éd., Paris, Hachette, 186 (...)
3Louis Bautain (1796-1867), ancien professeur à Strasbourg, est vicaire général de Paris et enseigne la théologie morale à la faculté de théologie de la Sorbonne. Dans le livre étudié ici1, il a rassemblé des lettres de direction spirituelle, un peu adaptées, qu’il a adressées à des dames de la haute société parisienne. La référence biblique est plus implicite que dans les autres livres.
- 2 Mgr Dupanloup, Conférences aux femmes chrétiennes, publiées par l’abbé F. Lagrange, Paris, Jules Ge (...)
4L’ouvrage de Mgr Félix Dupanloup (1802-1878), évêque d’Orléans, académicien, député et sénateur, est un recueil posthume des conférences qu’il a adressées à l’Association des femmes chrétiennes d’Orléans, au cours de l’Avent et du Carême, entre 1860 et 18682.
- 3 Mgr Charles Gay, Conférences aux mères chrétiennes, tome I, La Femme forte, 1877, 2e éd., Poitiers- (...)
- 4 C’est peut-être sur ce point que Mgr Gay, catholique intransigeant, diffère des trois autres auteur (...)
5Mgr Charles Gay (1815-1892) parle dans une occasion identique. Prédicateur et directeur spirituel, il est auprès de Mgr Pie, évêque de Poitiers. C’est à l’intention de l’Association des mères chrétiennes qu’il commente, verset après verset, la parabole de la femme forte3. Dans l’ouvrage, s’exprime le sentiment que l’Église est une sorte de citadelle assiégée et l’auteur lance un appel aux hommes politiques en faveur de l’éducation chrétienne, alors que se préparent les lois de laïcisation de l’école publique et la légalisation du divorce4.
- 5 Mgr Landriot, La Femme forte. Conférences destinées aux femmes du monde, 3e éd., Poitiers, Oudin – (...)
6Ancien supérieur du petit séminaire d’Autun auquel il a donné un certain essor, Mgr Jean-François Landriot (1816-1874) est évêque de La Rochelle lorsqu’il compose ses conférences à l’usage d’une Société de Dames de charité de la ville5. Ancien supérieur du petit séminaire d’Autun, il apparaissait comme relativement érudit et avait donné un nouvel essor aux études dans cet établissement. Bien que versé lui aussi dans l’étude de la patristique, il a polémiqué avec l’abbé Gaume dans la querelle des classiques chrétiens, soucieux qu’il est d’une éducation ouverte aux réalités du monde.
- 6 L’abbé Bautain est le seul à prendre en considération l’éventualité de la femme célibataire. Consci (...)
7La lecture de ces ouvrages nous invite à aborder particulièrement trois questions : celle des relations entre mari et femme6, celle du rôle de la femme dans ce que tous les auteurs – catholiques ou non – lui attribuent comme domaine – la maison – et enfin celle de la difficile harmonisation entre piété et vie mondaine.
Les relations entre mari et femme
Le mariage
- 7 « Le mariage-contrat est une convention par laquelle un homme et une femme se donnent l’un à l’autr (...)
- 8 « Les deux parties doivent s’engager de leur pleine volonté et par un consentement libre à vivre en (...)
- 9 Bautain, tome 1, p. 144.
- 10 Dupanloup, p. 349. Il définit le dévouement par l’oubli de soi.
8Le mariage est présenté dans le droit canonique comme un contrat7, sanctifié par un sacrement. S’adressant aux femmes du monde, l’abbé Bautain croit de son devoir de donner des conseils pour réaliser (pour leurs enfants) « un bon mariage ». Tout en convenant des graves inconvénients suscités par les disparités de statut social ou d’âge, il souligne l’importance de « l’union des cœurs » et de « l’affection réciproque », qu’il estime nécessaires. Il place la communauté de sentiments avant même le devoir de procréation8. Outre celui-ci, la femme en a un autre : « travailler de toutes [ses] forces au bonheur de [son] mari dans ce monde et dans l’autre »9. Mgr Dupanloup tient une position semblable, insistant toutefois davantage sur le devoir d’éducation chrétienne des enfants. Rappelant que la dignité du mariage, rabaissée dans le paganisme, a été relevée par Jésus-Christ, il se place dans la ligne de Bourdaloue pour mentionner trois vertus nécessaires pour remplir les devoirs du mariage : « le dévouement, la constance, la patience »10. Bautain propose une trilogie assez proche : amour, force et patience et exalte avant tout la dernière de ces vertus.
- 11 Dupanloup, p. 417.
9NN.SS. Dupanloup et Gay fondent aussi leur compréhension du mariage sur l’alliance du Christ et de l’Église. Le premier en déduit l’idée que l’amour conjugal doit se traduire dans le dévouement11, tandis que le second se place dans une perspective plus religieuse encore :
- 12 Gay, p. 64.
« C’est la beauté et l’honneur du mariage qu’y entrant si avant et par tant de côtés dans le saint et délicieux mystère de l’union de Jésus avec l’Église, on y participe aussi pratiquement à cette abnégation, à cette immolation en laquelle elle a son principe et sur laquelle elle est toute fondée12. »
Faiblesse et force de la femme dans le couple
- 13 En droit romain, la fragilitas est un motif de protection d’une personne mineure. Voir : Nicole ARN (...)
10Si le droit français (Code civil de 1804) a consacré l’idée de la faiblesse de la femme13, nos auteurs, qui commentent l’image de « la femme forte », ne peuvent que prendre de la distance par rapport à l’idée reçue dans leur temps, tout en ne pouvant la récuser totalement.
- 14 Dupanloup, p. 139.
11S’appuyant sur Bossuet et Fénelon, Mgr Dupanloup affirme que la Genèse montre que « si l’homme est le roi de la création, la femme en est la reine »14. Il commente ainsi Proverbes Pr 31 :
- 15 Dupanloup, p. 29.
« Votre faiblesse est plus apparente que votre force. Et pourtant, ce que Dieu a mis en vous de sainte énergie, de fermeté, de constance, de courage, est admirable. Bien des fois, dans le cours de mon ministère, j’ai rencontré de grandes tristesses, des douleurs poignantes, des renversements effroyables, et j’ai souvent vu alors ceci : l'homme écrasé et la femme debout15. »
- 16 Dupanloup, p. 296.
12Aussi souhaite-t-il parler, pour la femme, de « force dans la douceur ». Il lui attribue le rôle du conseil et au mari celui de la décision. Pourtant, la faiblesse de la femme, Dupanloup ne la nie pas. Il y voit une conséquence de la faute d’Ève et estime que seule la pudeur peut la protéger : « le respect que vous vous devez à vous-mêmes, et la force qui impose aux autres le respect que vous avez droit d’exiger d’eux16 ».
13Mgr Gay soulignant aussi le rôle de conseil dévolu à l’épouse, lui ajoute celui de médiatrice entre le père et les enfants, tirant de ce mot toutes les conséquences :
- 17 Gay, p. 333.
« La femme est le trait d’union naturel entre le père et ses enfants ; aussi, comme tous les médiateurs, elle tient des deux qu’elle doit unir. […] La femme tient du père par le complément qu’elle lui apporte, le concours qu’elle lui prête et l’autorité qu’elle partage avec lui ; elle tient de l’enfant, parce que, comme lui, elle est subordonnée et doit être dans la maison le modèle de l’obéissance. Du père, elle a la dignité ; de l’enfant, elle a la tendresse, la délicatesse et jusqu’à un certain point la faiblesse17. »
- 18 Landriot, p. 89.
14Mgr Landriot s’attache à différencier les tempéraments masculin et féminin, soulignant les qualités naturelles de la femme : « la finesse de son esprit, la ductilité de son caractère, la souplesse de sa nature, la perspicacité de son intelligence, la faculté divinatrice de son cœur18 ». Il invite les époux à accepter ces différences (sévérité d’un côté, douceur de l’autre) et n’en pas faire une source de reproches. La complémentarité se marquera dans l’éducation des enfants, où la femme ajoutera de la douceur à la fermeté du mari. Dans cette ligne, Mgr Dupanloup tient à souligner comment douceur et tendresse ne sont pas mollesse et comment l’obéissance à l’égard du mari ne doit pas être silence, mais conseil et persuasion :
- 19 Dupanloup, p. 31.
« N’intervertissez pas les rôles. N’usurpez pas. N’oubliez pas que le chef de la famille, ce n’est pas vous, mais le mari ; vous devez obéir. Votre empire à vous est dans la persuasion et la douceur. Ce devoir, ce grand devoir de l’obéissance, je le proclame bien haut ; mais j’ajoute qu’il y en a pour vous un autre, c’est celui du conseil. Vous devez parler, ni trop, ni trop peu, mais vous devez parler et ne pas retenir la vérité captive. Vous le devez à votre mari ; il a droit de l’attendre de vous. [...] Il faut savoir parler à propos, sinon, vous n’êtes pas pour votre mari l’aide, l’appui que vous devez être : son cœur ne peut se reposer en vous19. »
- 20 « La femme n’est pas faite pour commander ; les fonctions de son sexe et les infirmités qu’il entra (...)
15Face à un mari qui n’exerce pas son autorité, l’abbé Bautain invite la femme à ne pas céder à l’envie de commander, laissant entendre qu’elle risque de se laisser gouverner plus par le sentiment que par la raison20. Toutefois, dans cette occurrence, il lui demande d’agir avec réserve de façon à sauvegarder les apparences.
16C’est Mgr Gay qui va le plus loin en reconnaissant un partage d’autorité entre l’homme et la femme :
- 21 Gay, p. 112-113.
« L’autorité. Vous en êtes investies comme d’un manteau divin et couronnées comme d’un diadème. Sans doute chacune de vous la partage avec son époux ; l’époux a même ici la part première et principale ; mais après lui et avec lui, vous avez cette autorité ; et c’est sur elle avant tout qu’est fondée la famille. Il y a là un mandat sacré sur lequel Dieu vous jugera ; et là se trouve aussi votre premier secret pour former vos fils et vos filles. Il faut certainement exercer ce mandat en toute humilité, discrétion et sagesse, tenant compte, par exemple, du caractère, de l’âge et de l’ensemble des circonstances ; mais l’exercice en est indispensable. Vous devez exiger que l’on vous obéisse, faisant réellement plier la volonté de vos enfants sous la vôtre, après avoir plié la vôtre sous celle de Dieu, dont vous tenez la place et au nom de qui vous commandez21. »
La femme dans son domaine
17Tous nos auteurs le disent et le répètent : tandis que les activités du mari le mènent dans la cité, le domaine de la femme, c’est la maison. Il lui revient notamment de veiller sur les domestiques et les enfants.
Le soin des enfants
18La femme a un devoir impératif d’éduquer ses enfants à la vertu. Cette responsabilité vient, selon Mgr Gay, de ce que Dieu l’a associée, par la maternité, à son œuvre de création :
- 22 Gay, p. 69-70.
« Les enfants que Dieu vous a donnés sont une autre marque de sa confiance, et, à certains égards, plus grande que la première, puisque, au lieu d’une seule âme, il y en a ici plusieurs que Dieu remet entre vos mains. Assurément ces âmes étant maîtresses d’elles-mêmes, maîtresses jusqu’à pouvoir se soustraire et à votre influence et à celle même de Dieu, vous ne répondez pas d’elles comme de la vôtre. Mais il demeure que, dans l’édifice de leur vie morale et chrétienne, c’est à vous surtout qu’appartient le soin de poser les fondements. […] Considérez qu’il vous a lui-même, quant à eux, associées comme causes secondaires, mais causes réelles et maintenant indispensables, à l’œuvre de sa création, à l’œuvre de son incarnation, à l’œuvre de sa rédemption22. »
- 23 « Je l’ai dit souvent, après saint François de Sales, aux jeunes femmes qui étaient dans l’attente (...)
19Mgr Dupanloup, rappelant que ce devoir d’éducation commence dès le plus jeune âge de l’enfant, voire même avant la naissance23, rappelle avec insistance qu’il se poursuit même à l’âge adulte, sans que l’affection puisse jamais se changer en mollesse.
- 24 Dupanloup, p. 47.
« Une mère est toujours mère, et elle en conserve toujours les devoirs et les droits. Quand elle les oublie et qu’elle abdique, et qu’elle dit à son fils : "Maintenant, tu es libre, je n’ai plus rien à te dire, tu sais ce que tu as à faire", elle trahit son titre auguste de mère24. »
- 25 Gay, p. 343.
- 26 Confier l’enfant à une nourrice permet notamment de continuer à aller au bal et au spectacle, ce qu (...)
20Mgr Gay est du même avis : il faut que l’enfant sente l’autorité aussi bien que la tendresse de sa mère. « Que pas même un instant il ne puisse croire qu’il est le maître25 ». Mgr Gay et l’abbé Bautain mettent en garde contre l’apparente facilité qui consiste à se décharger sur une nourrice26 en montrant comment celle-ci peut acquérir une autorité indue sur l’enfant et lui donner une mauvaise éducation. Il en est de même, mutatis mutandis, à l’égard des précepteurs qui lui seront affectés. L’évêque auxiliaire de Poitiers met également en garde contre les instituteurs publics. Mgr Landriot, qui a été supérieur de petit séminaire, est, pour sa part, peu tendre sur la jeunesse :
- 27 Landriot, p. 384-385.
« Le génie du mal surveille aussi l’âme de votre enfant, et il a malheureusement une intelligence dans la place : cette intelligence, c’est la perversité inhérente à la nature humaine, et qui est souvent d’une précocité effrayante chez les enfants ; c’est cette corruption native qui déjoue les plus habiles efforts, et qui inspire à la jeunesse des moyens à elle connus d’échapper à la vigilance la plus attentive. […] Surveillez spécialement les lectures de vos enfants ; nous insistons sur ce point27. »
- 28 Dupanloup, p. 259.
- 29 Les auteurs catholiques ne sont pas les seuls à mettre en valeur l’affection comme caractéristique (...)
21La mère doit être présente dans l’éducation chrétienne de son enfant, même quand les catéchistes en portent la plus grande part. Mgr Gay insiste sur le devoir, pour la mère, de former la conscience de son enfant et, particulièrement, de le préparer à sa première confession (vers l’âge de sept ans). Il présente l’éducation chrétienne comme la continuation du baptême. En retour, les mères doivent inspirer à leurs enfants « tendresse et respect, amour et vénération »28. Il est de leur devoir de leur donner de l’affection29.
- 30 Bautain, tome 1, p. 59.
22L’abbé Bautain, s’adressant à des membres de la haute société parisienne, se montre très sévère à l’égard des bals qui visent à préparer les mariages, qu’il qualifie de « bazars matrimoniaux30 ». Comme les parents – particulièrement les pères – souhaitent réussir cette difficile entreprise du mariage de leur fille, ils vont lui inculquer des principes tout différents de ceux qui ont marqué sa première éducation. Après lui avoir appris la simplicité et l’honnêteté, on lui inspire le goût de la toilette et de la coquetterie, voire la jalousie à l’égard de ses rivales potentielles. La précaution que propose l’abbé Bautain, c’est de trouver pour la jeune fille un bon directeur spirituel, qui sache conjuguer fermeté et charité, de façon à gagner sa confiance.
- 31 Bautain, p. 84-85.
« Par-dessus, ou plutôt au milieu de tout cela, pour remplir les vides de la journée et empêcher les moments de rêverie, de mélancolie et de vague tristesse, […] employez-la activement aux soins du ménage, aux ouvrages de femme, aux travaux domestiques31. »
Le souci de la maison
23L’épouse est avant tout, au sens fort du terme, « maîtresse de maison ». Elle doit donc développer les qualités qui l’aideront à tenir ce rôle:
- 32 Dupanloup, p. 108-109.
« Occupez-vous de votre ménage, de vos affaires, veillez sur votre intérieur, ayez l’œil à tout, voyez tout, tenez vos comptes avec exactitude, sachez où vous en êtes de vos dépenses ; […] faites des économies, dont vous trouverez facilement l’utile emploi ; et surtout pas de dettes32. »
24Mgr Gay souligne comment une maison bien tenue contribuera au bonheur du mari, et, par voie de conséquence, entretiendra son attachement à sa femme :
- 33 Gay, p. 246.
« Ni une piété sincère, ni une fidélité parfaite, ni même une vraie tendresse ne suffisent à vous conserver dans son intégrité ce bien sans prix [l’affection du mari] que vous craignez, à juste titre, de vous voir échapper. […] Si, en même temps qu’il vous retrouve aimable et cordialement aimante, il ne trouve pas dans sa maison les preuves et les fruits de votre industrieuse sollicitude, et par exemple, un appartement en bon ordre, des vêtements vérifiés et en bon état, des enfants bien tenus, des comptes en règle, des repas bien commandés et convenablement apprêtés, il en sera certainement et très justement contristé33. »
- 34 Cité dans : Dupanloup, p. 219.
- 35 Landriot, p. 53.
25Le soin de la maison, c’est, naturellement, l’attention à porter aux domestiques, ce que Mgr Dupanloup, reprenant Fénelon, résume ainsi : « avoir avec eux une autorité ferme et douce34 ». Mgr Gay, quant à lui, se montre intransigeant sur le choix des domestiques, en tenant le plus grand compte de leurs sentiments religieux. Mgr Landriot reprend ici l’image de la femme forte pour souligner qu’elle sera alors « comme le soleil dans l’intérieur de la maison35 ».
26Nos auteurs s’attachent unanimement à stigmatiser les femmes oisives qui ne s’occupent pas de leur maison et, à l’extérieur, s’adonnent aux bavardages inconsidérés. Alors, continue-t-il :
- 36 Landriot, p. 47.
« Tout est livré aux domestiques, affaires et enfants ; tout se détériore au physique et au moral, le mari est mécontent ; rien ne marche, tout va à la débandade ; et l’intérieur de la famille, qui devrait être un nid d’amour et de repos, devient insupportable à tous. Les mauvaises pensées prennent aussi très facilement naissance dans une âme livrée à l’oisiveté36. »
- 37 Dupanloup, p. 110-111.
- 38 Landriot, p. 69-70.
- 39 Gay, p. 95-96.
27Les femmes doivent donc travailler. Mais, leur objecte-t-on, ces dames ne peuvent-elles pas s’adonner exclusivement à l’exercice de la charité ? Mgr Dupanloup s’y refuse et les invite à se cultiver par des lectures sérieuses, au lieu de se dissiper en visites dans les magasins37. Mgr Landriot développe particulièrement les avantages de l’étude qui permet à l’âme de « s’agrandir » et « attache [la femme] à son foyer et la délivre d’une multitude de dangers38 ». Toutefois, elle ne doit pas devenir excessive et nuire ainsi au soin du ménage. Il faut, estime Mgr Dupanloup, lui conjoindre une occupation manuelle. Mgr Gay se fondant sur un verset du livre des Proverbes, est du même avis, mais donne à la femme toute liberté pour choisir ce travail. Celle pour qui cet emploi n’est pas économiquement nécessaire, pourra tirer l’aiguille pour les pauvres et pour l’Église (« pourvoir les églises et orner les autels »). Mais elle ne devra pas en tirer vanité39.
28Tout en s’adressant à une élite sociale, nos auteurs envisagent ouvertement le cas où il devient nécessaire à une femme de travailler et rappellent alors qu’on peut se sanctifier dans n’importe quel état :
- 40 Gay, p. 260.
« Ce n’est point votre état social, ni l’emploi obligé de votre vie qui vous empêcheront d’être une femme forte : le contraire serait plus vrai. On dit communément : il n’y a pas de sot métier, mais seulement de sottes gens. Nous ne sommes pas moins fondés à dire : il n’y a pas de petit état, mais seulement de petites âmes40. »
Piété et vie mondaine
L’épouse croyante d’un mari sceptique
- 41 Bautain, tome 1, p. 156.
- 42 Bautain, tome 2, p. 106.
29Dans ces pages, le mari est souvent présenté comme non pratiquant, même s’il laisse sa femme aller à l’église : « C’est pour lui la plus sûre garantie de votre vertu et de son repos41 ». Mais le mari « esprit fort, libre penseur, [...] fils de Voltaire42 » sera choqué si sa femme montre trop de dévotion. Il est à l’image de la société :
- 43 Bautain, tome 2, p. 309.
« On échappe à l’influence cléricale en la refoulant sans cesse dans ses limites, ce qui préserve de ses empiètements, et l’on constitue une société laïque ou sécularisée, comme on dit aujourd’hui, où l’esprit de Dieu n’a presque plus rien à voir43. »
- 44 « Un homme grave me disait l’autre jour : Ce qu’on peut retirer du plus heureux des cercles, c’est (...)
30Mgr Dupanloup met en cause les cercles où se réunissent les hommes de la bourgeoisie44. D’ailleurs, l’absence de pratique religieuse des pères encourage les jeunes gens à l’impiété, de même que le détachement religieux des maîtres dans les collèges :
- 45 Bautain, tome 2, p. 144.
« On prescrit aux jeunes gens de se présenter à certaines époques au tribunal de la pénitence, on leur recommande de remplir le devoir pascal ; mais ceux qui sont chargés d’en surveiller l’accomplissement, s’en dispensent la plupart, ou au moins ne l’observent pas devant leurs élèves, qui en concluent ce que vous savez45. »
31La démission des maris de leur devoir de « chefs de famille » sur le plan religieux est bien la raison qui invite nos auteurs à accorder aux femmes un plus grand rôle, ainsi que le reconnaît Mgr Dupanloup :
- 46 Dupanloup, p. 417.
« L’homme est le maître, mais aussi le protecteur et le sanctificateur et le sauveur de sa compagne. Mais il y a ici un renversement effroyable ! Où sont les maris qui aident leurs femmes à se sanctifier ? qui cherchent à les élever jusqu’à eux, et à s’élever eux-mêmes avec elles jusqu’à Dieu ? Tout au contraire, à qui l’Église a-t-elle recours pour la sanctification, pour la conversion des maris ! Cette force morale, sans laquelle il n’est pas de vie chrétienne, combien peu d’hommes la possèdent46 ! »
32La femme doit donc travailler à la sanctification de son époux. L’abbé Bautain et l’évêque d’Orléans, adepte de la piété du « Grand Siècle », la mettent en garde devant la multitude des petites dévotions du XIXe siècle qui ne feront que susciter l’ironie du mari :
- 47 Bautain, tome 1, p. 159.
« Ne lui donnez pas à penser, en vous voyant agir, que la dévotion affaiblit l’esprit, ôte le bon sens, et que, quand on a soumis son intelligence à la foi et sa volonté à l’obéissance, on devient, en s’abêtissant, incapable de penser par soi-même et d’agir suivant sa conscience47. »
33Nos auteurs estiment que, face à l’esprit du siècle, l’épouse ne doit pas renoncer trop facilement et qu’elle peut conduire son mari à la prière. Mgr Dupanloup imagine le dialogue suivant dans le couple, qui fait de la femme un véritable témoin de la foi pour son mari :
- 48 Dupanloup, p. 319.
« Un mari vous dira quelquefois : je crois en Dieu ; répondez-lui : mais tu ne le pries jamais ; dis au moins quelquefois le Pater. Ils ont tous plus de foi qu’ils ne pensent. Ce n’est pas en vain qu’ils ont une femme chrétienne, qu’ils vivent dans un pays chrétien, et qui sait ? Vous serez peut-être ainsi la cause du salut éternel de celui qui vous est si cher. Car souvent ce qui leur manque, c’est le courage de faire le premier pas. Faites-le pour eux48. »
34Dans cette ligne, il recommande la prière commune du soir et, si possible, la communion en couple. Il pense même que mari et femme peuvent s’entraider dans la sanctification mutuelle en se signalant l’un l’autre leurs défauts, en vue d’un perfectionnement commun.
La femme forte
35La « force » de la femme, ainsi que l’indiquent nos auteurs, est de nature morale. elle lui permet de trouver chaque jour l’énergie nécessaire pour faire face aux difficultés de l’existence et pour tenir d’une main ferme sa maison. Mais, explique Mgr Landriot, dès le début de ses conférences, cette force ne peut qu’être un don de Dieu :
- 49 Landriot, p. 14.
« La religion seule pourra donner à votre caractère cette fixité, cette supériorité d’énergie et cette persévérance qui couronnent l’usage de nos plus belles facultés. En dehors de Dieu et de son assistance surnaturelle, la nature est trop faible et bien souvent trop misérable, pour amener et surtout mûrir ce fruit de vertu, cette exquise production d’un arbre divin, que l’Esprit Saint cherche partout sous le nom de femme forte49. »
- 50 Landriot, p. 219.
36S’inscrivant explicitement dans la ligne de Fénelon, il présente cette fermeté comme « douce, humble et tranquille50 » :
- 51 Landriot, p. 353.
« La femme forte a dans le maintien, l’attitude, la physionomie, le regard, une dignité pleine de charmes : ce n’est point une beauté efféminée qui s’adresse principalement aux sens ; c’est un rayon du ciel dont la beauté extérieure ne sert qu’à couvrir une noble et mâle vertu51. »
- 52 Dupanloup, p. 373.
- 53 Gay, p. 125.
37Mgr Dupanloup n’hésite pas à reprendre la promesse de Jésus à Pierre (« tu es pierre ») et à l’appliquer à la femme forte52. Pour devenir ainsi, la femme, fuyant l’oisiveté, doit, estiment les évêques de La Rochelle et Orléans, se donner un règlement de vie, dont le premier article est le lever matinal et le coucher point tardif. Mgr Gay consacre, lui aussi, plusieurs pages à cette question, admettant le sommeil comme une nécessité, mais qui peut tourner en occasion de chute : « la loi bienfaisante du repos devient trop fréquemment pour nous une occasion de paresse et comme une invitation à nous y abandonner53 ». Mgr Landriot, qui tient des propos semblables, invite en outre à pratiquer la méditation sur le sommeil comme préparation à la mort.
38Le règlement de vie prôné par l’évêque d’Orléans intègre naturellement la piété :
- 54 Dupanloup, p. 83-84.
« Aussitôt votre lever, la prière ; la prière vocale, et à genoux ; vous la faites assurément ; mais je voudrais de plus une lecture méditée, dont le temps fût réglée ; et, d’ordinaire, la plume à la main, pour éviter les distractions et surtout pour noter ce qui frappe dans la lecture et les lumières que Dieu y donne54. »
39L’évêque d’Orléans donne des conseils de lecture et préconise une méditation au lever durant entre un quart d’heure et une demi-heure. En sus du dimanche, la femme pieuse ira à la messe une ou deux fois dans la semaine, durant l’Avent et le Carême. Une visite au Saint Sacrement trouvera place dans l’après-midi ainsi qu’une seconde lecture spirituelle. La journée se terminera par la récitation de quelques dizaines de chapelet. La prière du soir se fera, autant que possible, en famille. S’ajoutera à cela la confession au moins mensuelle, et si possible hebdomadaire ; une retraite annuelle est conseillée. La fréquence de la communion sera à décider avec le directeur spirituel.
40Nos auteurs soulignent la nécessité que la piété soit vraie. L’abbé Bautain souligne les travers d’une piété mondaine qui n’a de la vraie dévotion que les apparences, unie à une confession qui n’est qu’occasion de parler de soi (et un peu des autres) en passant à côté des points importants. Les œuvres sont alors accomplies plus par recherche de soi que par esprit de charité. En contrepoint, il brosse une autre image de la femme chrétienne :
- 55 Bautain, tome 2, p. 333.
« Vous vous attacherez à des œuvres modestes, obscures […]. Vous irez visiter des pauvres honteux, les plus intéressants et les plus malheureux de tous, des ouvriers honnêtes sans travail, des malades sans ressources, parce qu’ils ne sont point inscrits au bureau de bienfaisance, et qu’il leur répugne d’aller à l’hôpital. Vous vous occuperez des enfants abandonnés, des orphelins, des écoles, des asiles. La misère ne manquera point à votre charité, qui s’accroîtra en s’exerçant par la surabondance de la grâce divine, excitée par l’abondance du mal. Je vous assure qu’alors vous ne vous ennuierez plus55. »
- 56 Gay, p. 196.
41Mgr Gay invite la femme forte à pratiquer l’aumône, mais en la considérant comme un précepte et pas seulement comme une « pratique de perfection56 ». Il la prémunit contre le ressentiment qu’elle pourrait tirer de l’éventuelle ingratitude de ceux envers qui elle pratiquerait la charité :
- 57 Gay, p. 204.
« N’y recherchez même pas votre consolation humaine. Elle pourra s’y trouver ; en ce cas, goûtez-la simplement, faisant tout remonter à Dieu, à qui tout bien doit revenir. Mais s’il advient que cette consolation vous manque, soit parce que Dieu ne vous donne point l’onction de votre bonne œuvre, soit parce que votre charité, peu sentie ou même mal comprise, n’excite pas dans le cœur du pauvre le retour que vous attendiez, n’en devenez ni morose, ni froide, ni surtout irritée. Regardez si Jésus, en visitant le monde, y a trouvé d’ordinaire ce retour qui vous fait défaut57. »
42La femme forte doit se défendre contre les opinions qui attaquent la religion et, éventuellement, affirmer sa foi quand il le faut. Mais elle doit aussi surveiller sa langue et être discrète :
- 58 Landriot, p. 269-270.
« Ne vous glorifiez pas ordinairement devant le public des choses les meilleures et les plus incontestablement vraies : vous auriez pu le faire impunément et avec utilité dans le paradis terrestre, où le bien de chaque créature était pour l’autre un sujet de joie et un moyen d’aller à Dieu. Mais dans le monde actuel, où la jalousie, la malignité, la perfidie sont chez plusieurs les principales qualités de leur nature, qualités mises à la disposition d’un esprit étroit et malveillant, je vous conseille la plus sévère prudence et la plus grande discrétion. […] Cachez vos succès ou du moins faites-vous les pardonner par une grande modestie58. »
Les dangers de la vie mondaine
- 59 Il reprend à son compte des paroles dures de Bossuet sur la recherche des parures, Dupanloup, p. 44 (...)
- 60 Mgr Dupanloup dénonce explicitement les jeux d’argent, où l’on dissipe ce qui est destiné au soin d (...)
43Nos auteurs, qui s’adressent, pour une bonne part, à des dames de la haute société, sont bien conscients de la difficulté de concilier la vraie piété avec les obligations de la vie mondaine qui promeuvent un système de valeurs que nos auteurs jugent dangereux. Mgr Dupanloup dénonce vigoureusement l’oisiveté et l’attirance pour les futilités. Il blâme le temps excessif passé à la toilette59 et le peu de temps consacré à la méditation et aux occupations sérieuses. Il n’hésite pas ici à agiter la menace de la condamnation divine : on devra rendre compte à Dieu des heures consacrées aux futilités60. Reconnaissant, à la suite de saint François de Sales, la nécessité du divertissement, il met tout de suite en garde contre les excès :
- 61 Dupanloup, p. 277.
« Il ne faut pas y mettre son cœur, son âme, sa joie, sa vanité, son repos : si vous le faites, vous dépravez votre âme. Pour jouer et danser loisiblement – c’est-à-dire innocemment – il faut que ce soit par récréation et non par affection ; pour peu de temps et non jusqu’à se lasser et s’étourdir, et que ce soit rarement61. »
44Tant Mgr Dupanloup que Mgr Gay rappellent la condamnation portée par Jésus contre le monde, comme lieu où règne la convoitise. Le second va même jusqu’à mettre en garde contre les risques que peuvent receler, dans certains cas, les productions artistiques du temps :
- 62 Dupanloup, p. 272.
« Il y a […] une chose que nous ne devons pas oublier, Mesdames, c’est que Jésus-Christ a maudit le monde, Jésus-Christ a refusé de prier pour le monde. […] Voilà la grande question : vivre dans le monde et n’être pas du monde, ne point ressembler au monde. Toute mère chrétienne, avant de permettre à sa fille un divertissement, doit donc se demander : ce plaisir est-il du monde ? est-ce là que se trouve la concupiscence62 ? »
- 63 « La triple concupiscence signalée par saint Jean, la concupiscence de la chair, la concupiscence d (...)
45Si l’évêque d’Orléans demande à la femme chrétienne d’opposer aux œuvres des ténèbres les préceptes évangéliques et de rompre de manière décidée avec la concupiscence63, il invite aussi au discernement à l’égard de certaines valeurs du monde :
- 64 Dupanloup, p. 485-487.
« Il y a des choses dans le monde qui, sans être précisément mauvaises, conduisent au mal, ou bien deviennent mauvaises par l’abus et l’excès. Ici, Mesdames, il n’y a pas de règle précise et uniforme à donner ; il faut s’inspirer de l’esprit général de l’Évangile : c’est surtout une question de tact chrétien, de prudence et de mesure64. »
46Il résume en quelques mots sa position :
- 65 Dupanloup, p. 492.
« Se prêter ici au monde, non s’y donner, s’y absorber ; et s’élever au-dessus, le dominer par des pensées, par des occupations sérieuses65. »
- 66 Bautain, tome 1, p. 71.
47Tous nos auteurs dénoncent plus particulièrement certaines composantes de la vie mondaine qu’ils jugent dangereuses pour la vertu. À Orléans, Mgr Dupanloup a mené une véritable campagne contre la trop grande fréquence des bals, rappelant qu’à Paris, dans la haute société, les jeunes filles ne s’y rendaient que deux ou trois fois l’an, en présence de leur mère. L’abbé Bautain dénonce le danger de la valse, qui a fait de la danse une école de sensualité, et qu’il oppose aux danses traditionnelles. Le théâtre, selon lui, ne sert qu’à donner en exemple ce qui est contraire à la vérité et à la charité : « le faux, le factice, l’exagéré, l’illusoire, ou ce qui est piquant, malicieux, sardonique, ironique, ridicule66 ». Par ailleurs, nos auteurs mettent en garde contre l’heure tardive de la fin des divertissements. Ils dénoncent également les mauvaises lectures et Mgr Dupanloup – rejoint sur ce point par Mgr Landriot – n’hésite pas à déclarer :
- 67 Dupanloup, p. 505-506.
« En général, les romans sont mauvais, à très peu d’exceptions près ; ceux qui ne le sont pas pour vous, je le répète, le sont pour vos enfants, et encore, s’ils ne sont pas mauvais pour vous, ils ne sont pas bons non plus. Fénelon, saint François de Sales, ces maîtres de la vie spirituelle, les plus indulgents que je connaisse, parlent dans ce sens. […] Mais il est des romans tellement célèbres qu’il faut bien les connaître ! Voilà une raison qu’on m’a souvent donnée. Eh bien ! elle est détestable : c’est une raison de pur respect humain67. »
- 68 Sophie Soymonov (1782-1857), baptisée orthodoxe, de grande culture, épouse du général Nicolas Swetc (...)
48S’adressant, dans l’une de ses lettres, à une femme qui se propose de tenir un salon, l’abbé Bautain lui a montré la vanité de ses motivations : donner de l’animation à une vie monotone et s’affirmer face à son mari. Il brosse en contrepoint le portrait de Mme Swetchine68, dont nombre d’hommes du monde – dont il était – ont fréquenté le salon et ont été ainsi menés à la conversion. Elle peut ainsi apparaître, pour ces femmes de la bonne société, comme un modèle.
- 69 Bautain, tome 2, p. 339-341.
« L’extérieur de ces réunions semblait être pour le monde, on y retrouvait toutes les délicatesses qu’il a l’habitude d’y mettre, et qui flattent les sens, l’imagination et la vanité. Mais l’intérieur était à Dieu par l’âme pure et élevée qui y régnait, par le cœur profondément chrétien qui le remplissait des émanations de sa foi et de sa charité. [… Les hommes] étaient attirés et fixés par une bonté presque maternelle, qui leur donnait avec une grande réserve, et sans jamais rien imposer, les plus sages conseils, atténuait par de bonnes paroles ce qu’il y avait de trop rude ou d’excessif dans leur jeune âge, dans leur inexpérience, et tempérait par le calme d’une haute raison les ardeurs de leurs aspirations et de leurs discours69. »
49Les propos de ces quatre auteurs importants du XIXe siècle français portent témoignage de la société bourgeoise de leur temps. Nourris d’une piété classique, ils cherchent à adapter leur discours aux nouvelles réalités du temps et, particulièrement, à l’émergence de la femme catholique comme responsable de l’évangélisation, aux côtés du clergé, du fait de la sortie des maris hors de la sphère d’influence de l’Église. S’ils ont repris sans le discuter l’axiome qui fait de la femme la gardienne du foyer, ils ont pris leurs distances avec celui de sa « faiblesse » congénitale. Les différences de tempérament, ils invitent, non à les nier, mais à les reconnaître et à en faire une richesse, dans la complémentarité. On doit reconnaître la responsabilité de la mère dans l’éducation de ses enfants et lui conférer l’autorité nécessaire à son exercice. L’épouse, pour sa part, doit développer les qualités qui lui permettront d’exercer dignement son rôle de maîtresse de maison, se donner un strict règlement de vie, bannissant l’oisiveté et le goût des futilités, dangers premiers des femmes du monde. C’est la foi, mais une foi solide et non mièvre, qui lui donnera la force morale nécessaire pour exercer ses responsabilités. Si elle doit satisfaire à ses obligations mondaines, elle ne doit pas y mettre son cœur et demeurer chrétienne avant tout, exerçant un vrai discernement quant à ce qui sera compatible avec sa foi. Nos auteurs, qui paraissent intransigeants dans certains domaines – les bals, le théâtre et les lectures – ont le souci de former des chrétiennes solides dans leur foi et capables d’exercer une certaine influence sur la société de leur temps.
Annexe
La femme vaillante (Si 26, 1-4, 13-18) (trad. TOB éd. 1979)
Femme bonne fait un mari heureux et double le nombre de ses jours.
Femme vaillante fait la joie de son mari qui passera dans la paix toutes ses années.
Femme bonne signifie un bon lot ; c’est la part accordée à ceux qui craignent le Seigneur.
Pauvres ou riches, ils ont le cœur content et, en toute occasion, le visage joyeux. […]
Le charme d’une femme fait la joie du mari et son savoir-faire assure son bien-être.
Une femme qui parle peu est un don du Seigneur, et rien ne vaut une personne bien éduquée.
C’est la grâce des grâces qu’une femme pudique et rien qu’on puisse estimer davantage qu’une personne chaste.
Semblable au soleil qui s’élève dans les hauteurs du ciel est la beauté d’une femme parfaite dans sa maison bien tenue.
Comme une lampe qui brille sur le chandelier sacré, tel apparaît un beau visage sur un corps bien planté.
Des colonnes d’or sur une base d’argent, ainsi de belles jambes sur des talons solides.
La femme forte (Pr 31, 10-31) (trad. Ch. Gay)
Qui trouvera la femme forte ? Son prix est celui des objets rares qui viennent de loin, et qu’on apporte des derniers confins de la terre.
Le cœur de son époux s’est reposé sur elle avec confiance, et il n’aura nul besoin de chercher des dépouilles.
Elle lui rendra le bien, et non le mal, durant tous les jours de sa vie.
Elle a cherché la laine et le lin, et elle les a travaillés avec des mains intelligentes.
Elle a été semblable au navire d’un marchand, apportant des pays lointains le pain qui lui est nécessaire.
Elle se lève quand il est encore nuit, et partage entre ses serviteurs le travail et la nourriture.
Elle a considéré un champ et l’a acheté ; du fruit de ses mains elle y a planté une vigne.
Elle a fait de la force une ceinture à ses reins, et augmente ainsi la vigueur de son bras.
Elle a goûté et elle a vu qu’elle fait un bon commerce : sa lampe ne s’éteindra pas tant que durera la nuit.
Elle a mis la main aux fortes entreprises et ses doigts ont saisi et manié le fuseau.
Elle a ouvert sa main à l’indigent, et elle a tendu ses mains aux pauvres.
Elle ne craindra pas pour sa maison la rigueur des temps de neige, parce que tous ceux dont cette maison se compose sont pourvus de doubles vêtements.
Elle a fait, pour se vêtir, des tapisseries et des broderies ; son habillement est de lin et de pourpre.
Son mari sera illustre dans les lieux où se rend la justice, quand il siègera parmi les anciens de son pays.
Elle a fait une pièce de toile et elle l’a vendue ; elle a livré une ceinture aux marchands de Chanaan.
La force et la splendeur lui forment un vêtement, et elle sera dans la joie lorsque viendra son dernier jour.
Elle a ouvert sa bouche à la sagesse.
Et la loi de clémence est sur ses lèvres ; sa langue sert d’organe à cette loi.
Elle a considéré les sentiers de sa maison.
Et elle n’a pas mangé son pain dans l’oisiveté.
Ses fils se sont levés et l’ont proclamée bienheureuse ; son mari s’est levé à son tour et l’a comblée d’éloges.
Beaucoup d’autres femmes ont amassé des richesses ; vous, vous les avez toutes surpassées.
La grâce est trompeuse et la beauté est vaine : la femme qui craint Dieu est celle qui sera louée.
Donnez-lui du fruit de ses mains, et que ses œuvres la louent dans les lieux où se rend la justice.
Notes
1 Louis Bautain, La Chrétienne de nos jours. Lettres spirituelles, 1859, 3e éd., Paris, Hachette, 1861, 2 vol., XIV-396+392 p. Les lettres sont classées selon les différents âges de la vie. Après la première communion et le catéchisme de persévérance, elles abordent les questions des jeunes filles : l’entrée dans le monde, le projet de mariage ou de vie religieuse, avant d’en venir au mariage, à l’éducation des enfants et à la vie mondaine. Le propos se tourne ensuite vers les femmes de quarante ans, dont les enfants s’établissent, avant d’évoquer « la vieillesse chrétienne ».
2 Mgr Dupanloup, Conférences aux femmes chrétiennes, publiées par l’abbé F. Lagrange, Paris, Jules Gervais – Orléans, Herluison, 1881, VIII-571 p. Après un chapitre liminaire sur les sources de son enseignement (avant tout l’Écriture), l’auteur brosse un portrait de la femme forte, avant de développer l’idée de la dignité de la femme chrétienne. Il traite ensuite de points particuliers, notamment l’attitude à adopter à l’égard des plaisirs mondains.
3 Mgr Charles Gay, Conférences aux mères chrétiennes, tome I, La Femme forte, 1877, 2e éd., Poitiers-Paris, Oudin, 1878, XXXIV-526 p. Mgr Gay éprouve le besoin de justifier, aux yeux de ses auditrices, le fait de chercher dans l’Ancien Testament la source de son enseignement en rappelant l’unité de la Bible.
4 C’est peut-être sur ce point que Mgr Gay, catholique intransigeant, diffère des trois autres auteurs de tendance libérale. Tous quatre, cependant, ont été nourris des mêmes auteurs, particulièrement François de Sales, Bourdaloue, Bossuet et Fénelon. Les dévotions ultramontaines ne sont présentes que de manière discrète dans leurs livres étudiés ici.
5 Mgr Landriot, La Femme forte. Conférences destinées aux femmes du monde, 3e éd., Poitiers, Oudin – Paris, Palmé, 1863, 424 p. Le livre se présente comme un commentaire suivi des passages vétéro-testamentaires touchant « la femme forte ».
6 L’abbé Bautain est le seul à prendre en considération l’éventualité de la femme célibataire. Conscient de l’image négative de « la vieille fille » en société, il l’invite à avoir une piété vraie et non hypocrite, pour exercer la charité autour d’elle, mais aussi à apprendre un métier, pour acquérir son indépendance.
7 « Le mariage-contrat est une convention par laquelle un homme et une femme se donnent l’un à l’autre le droit exclusif et perpétuel aux actes nécessaires à la procréation des enfants et aux secours de la vie commune. Le mariage-sacrement est un signe sensible institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour sanctifier l’union légitime d’un homme et d’une femme qui ont reçu le baptême (c. 1012 §1). », Adrien CANCE, Le Code de droit canonique. Commentaire succinct et pratique, 6e éd., tome II, Paris, Lecoffre-Gabalda, 1942, p. 410.
8 « Les deux parties doivent s’engager de leur pleine volonté et par un consentement libre à vivre ensemble dans la communauté la plus intime, pour constituer une famille et élever les enfants qui naîtront de leur alliance. », Bautain, tome 1, p. 112.
9 Bautain, tome 1, p. 144.
10 Dupanloup, p. 349. Il définit le dévouement par l’oubli de soi.
11 Dupanloup, p. 417.
12 Gay, p. 64.
13 En droit romain, la fragilitas est un motif de protection d’une personne mineure. Voir : Nicole ARNAUD-DUC, « Les contradictions du droit », in Histoire des femmes en Occident, tome 4, Geneviève FRAISSE et Michelle PERROT (dir.), Le XIXe siècle, Paris, Plon, 1991, p. 87-116.
14 Dupanloup, p. 139.
15 Dupanloup, p. 29.
16 Dupanloup, p. 296.
17 Gay, p. 333.
18 Landriot, p. 89.
19 Dupanloup, p. 31.
20 « La femme n’est pas faite pour commander ; les fonctions de son sexe et les infirmités qu’il entraîne la rendent plus passive qu’active, et elle n’a en général ni la santé, ni la force ni la raison suffisante pour exercer un gouvernement bien ordonné. En outre, sensible et passionnée comme elle l’est, ce qui est un charme quand elle est à sa place, elle met trop de sentiment, d’entraînement et d’imagination dans ce qu’elle fait, et toutes les affaires deviennent pour elle des questions de personnes, qu’elle apprécie surtout par ses impressions, c’est-à-dire par ses sympathies ou ses antipathies ; ce qui fausse souvent son jugement et son action. », Bautain, tome 1, p. 330.
21 Gay, p. 112-113.
22 Gay, p. 69-70.
23 « Je l’ai dit souvent, après saint François de Sales, aux jeunes femmes qui étaient dans l’attente de la maternité : Ne communiez jamais sans demander à Notre-Seigneur qu’il purifie, sanctifie et baptise à l’avance, si je puis dire ainsi, cet enfant dans votre cœur. Et vous, baptisez-le, dans toutes les vertus chrétiennes, par plus de pureté, de respect de vous-mêmes, de douceur d’âme, de sainteté de vie, de religion que jamais. », Dupanloup, p. 189-190.
24 Dupanloup, p. 47.
25 Gay, p. 343.
26 Confier l’enfant à une nourrice permet notamment de continuer à aller au bal et au spectacle, ce qui est important pour les femmes auxquelles s’adresse l’abbé Bautain.
27 Landriot, p. 384-385.
28 Dupanloup, p. 259.
29 Les auteurs catholiques ne sont pas les seuls à mettre en valeur l’affection comme caractéristique du tempérament féminin. Auguste Comte fait de même : pour lui, les femmes représentent « le sexe affectif ». Geneviève FRAISSE, « De la destination au destin. Histoire philosophique de la différence des sexes », Histoire des femmes en Occident, op. cit., p. 69.
30 Bautain, tome 1, p. 59.
31 Bautain, p. 84-85.
32 Dupanloup, p. 108-109.
33 Gay, p. 246.
34 Cité dans : Dupanloup, p. 219.
35 Landriot, p. 53.
36 Landriot, p. 47.
37 Dupanloup, p. 110-111.
38 Landriot, p. 69-70.
39 Gay, p. 95-96.
40 Gay, p. 260.
41 Bautain, tome 1, p. 156.
42 Bautain, tome 2, p. 106.
43 Bautain, tome 2, p. 309.
44 « Un homme grave me disait l’autre jour : Ce qu’on peut retirer du plus heureux des cercles, c’est de ne pas s’y perdre. » (Dupanloup, p. 120)
45 Bautain, tome 2, p. 144.
46 Dupanloup, p. 417.
47 Bautain, tome 1, p. 159.
48 Dupanloup, p. 319.
49 Landriot, p. 14.
50 Landriot, p. 219.
51 Landriot, p. 353.
52 Dupanloup, p. 373.
53 Gay, p. 125.
54 Dupanloup, p. 83-84.
55 Bautain, tome 2, p. 333.
56 Gay, p. 196.
57 Gay, p. 204.
58 Landriot, p. 269-270.
59 Il reprend à son compte des paroles dures de Bossuet sur la recherche des parures, Dupanloup, p. 442.
60 Mgr Dupanloup dénonce explicitement les jeux d’argent, où l’on dissipe ce qui est destiné au soin de la famille ou à celui des pauvres.
61 Dupanloup, p. 277.
62 Dupanloup, p. 272.
63 « La triple concupiscence signalée par saint Jean, la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux, l’orgueil de la vie. »
64 Dupanloup, p. 485-487.
65 Dupanloup, p. 492.
66 Bautain, tome 1, p. 71.
67 Dupanloup, p. 505-506.
68 Sophie Soymonov (1782-1857), baptisée orthodoxe, de grande culture, épouse du général Nicolas Swetchine, se convertit au catholicisme (1815) au contact des jésuites français et de Joseph de Maistre présent à Moscou. Le couple se fixe à Paris en 1826 et Mme Swetchine tient un salon réputé dans la capitale, qui a un grand rayonnement religieux.
69 Bautain, tome 2, p. 339-341.
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Référence électronique
Daniel Moulinet, « La femme forte », Chrétiens et sociétés [En ligne], 15 | 2008, mis en ligne le 16 juin 2022, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/1852 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.1852
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