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Dossier bibliographique
Recensions

Hugues Daussy,Un royaume en Lambeaux. Une autre histoire des guerres de religion (1555-1598),

Pierre-Jean Souriac
p. 221-226
Référence(s) :

Hugues Daussy,

Un royaume en Lambeaux. Une autre histoire des guerres de religion (1555-1598)

Un royaume en Lambeaux. Une autre histoire des guerres de religion (1555-1598), Genève, Labor et Fidès, 2022, 272 p., ISBN : 9782830917932

Texte intégral

1Hugues Daussy, déjà bien connu pour ses recherches sur les penseurs huguenots du xvie siècle et son étude qui a fait date sur le parti protestant, propose ici un livre de synthèse sur sa lecture des évènements français de la deuxième moitié du xvie siècle. Cette « autre histoire » des guerres de Religion se veut une réflexion personnelle d’un historien familier de cette période, de ses sources et de son historiographie. Le lecteur ne trouvera pas dans ce livre d’études de cas développées sur plusieurs pages, il ne découvrira pas non plus d’éléments inconnus sur les conflits civils. Ce livre s’adresse a un public averti, suffisamment connaisseur de la période pour adhérer à une approche thématique dans laquelle la chronologie est bien présente, mais nécessite d’être maîtrisée. La grande force d’Hugues Daussy pour un tel projet est de maîtriser parfaitement l’historiographie des conflits religieux et d’offrir ainsi une mise en ordre très personnelle de cet héritage.

2Ce livre, c’est aussi un choix narratif. Le titre, ce « royaume en lambeaux », place le lecteur dans un parti pris assumé d’étudier les tenants et aboutissants d’une crise majeure. Les titres de chapitre sont à l’avenant : un corps démembré (chap. 1), une crise d’ampleur internationale (chap. 2), une France désolée (chap. 5) pour ne citer que les plus représentatifs. L’influence de Ronsard ou d’Agrippa d’Aubigné est ici prégnante. Hugues Daussy interroge les formes d’un défi multiforme que durent affronter les Français, celui du risque d’explosion du royaume en raison d’une altérité religieuse nouvelle. Le risque est partout dans cet ouvrage, tant dans les forces en présence qui ne cessent de menacer l’intégrité du territoire que dans les tentatives souvent vaines de colmater des brèches immaîtrisables. Dans cette problématique de la désolation, l’illustration de couverture offre un contre-pied suggestif : Henri IV sur son cheval blanc à la bataille d’Arques, peinture du premier quart du xviie siècle. Ici le roi, rapière à la main, défie ses ennemis, brise les lances et piétine ses adversaires. Ici le roi est victorieux et ce tableau s’inscrit dans l’iconographie classique du triomphe henricien. Plutôt qu’un tableau sur les désastres de la guerre, inspiré de Jacques Callot, cette couverture met en avant celui qui va recoudre ces « lambeaux ». En ce sens, si ce livre s’attarde sur les désordres et les risques encourus par le royaume, il montre aussi que le royaume sut résister, s’adapter et sortir péniblement des conflits.

3Le premier chapitre aborde les guerres de Religion sous l’angle des acteurs du conflit. Hugues Daussy cherche ici à expliquer les mécanismes qui ont conduit hommes et femmes à choisir un engagement confessionnel, et partant de là, un engagement partisan. Premier de ces acteurs, les nobles. Cible des réformateurs genevois, ils furent l’objet de pratiques d’approche et de persuasion par les réseaux tissés depuis Genève. Hugues Daussy met en avant le rôle des femmes dans ces processus, rôle bien identifié depuis les travaux de Nancy Roelker. Milieu féminin noble et lettré, il fut très tôt identifié par Calvin et servit ensuite de passerelle vers les maris dont certains, comme Louis de Condé, époux d’Eléonore de Roye ou Jean de Parthenay-L’Archevêque, époux d’Antoine Bouchard d’Aubeterre, franchirent le pas de la conversion. Ces conversions nobles qui furent nombreuses entre 1555 et 1562 débouchèrent aussi sur des fractures au sein des parentèles qui conduisirent, au moment où la guerre finit par s’imposer, à des engagements contradictoires. Deuxième strate dans cette archéologie de l’engagement, celle des territoires, et plus précisément le morcellement territorial entre théâtres autonomes de conflits. Si certains furent plus actifs que d’autres – Languedoc, Guyenne, Ouest… –, il n’y a pas de région en France qui ne fut épargnée par un climat anxiogène et une hausse palpable d’actions violentes. Hugues Daussy parle d’un « mitage territorial » incarné par les engagements des villes du royaume. Sur ce plan, l’engagement des bourgeoisies urbaines est moins développé que celui des nobles même si leur impact fut tout aussi déterminant. À côté de ces acteurs nobiliaires et régionaux, Hugues Daussy présente aussi l’éclosion des partis. Ligueurs et protestants se dotent de structures très différentes mais qui soutiennent leur engagement militaire et participent à la division du royaume. Les systèmes se constituent de manière empirique, ils répondent à la conjoncture, mais ils s’avèrent efficaces pour déchirer le royaume en partis antagonistes, pour armer les sujets du roi. Quelques-uns de ces acteurs furent des hommes de l’entre-deux, des catholiques modérés qui finirent par faire le choix de la coexistence.

4Le deuxième chapitre est probablement le plus novateur de ce livre, car il offre pour la première fois une synthèse des implications internationales des conflits français. Hugues Daussy propose ici une mise en perspective à la fois du contexte européen de constitution des blocs confessionnels et du champ de bataille international qu’a été le royaume de France. Il mentionne le passage en France de pas moins de 350 000 soldats étrangers sur 36 ans de guerre, tant soldats réguliers levés par des princes que mercenaires recrutés au fil des conflits. Dans le contexte d’un art de la guerre dégradé caractéristique des guerres civiles, cette mobilisation s’avère considérable et le présent chapitre permet d’en avoir une pesée globale. La France ne fut cependant pas le théâtre d’affrontement de deux blocs unis, un catholique et l’autre protestant. Au contraire, Hugues Daussy évoque des ensemble « lézardés », entre Espagne, Angleterre, Saint-Empire et États pontificaux qui n’arrivent pas à dessiner des fronts cohérents. France et Espagne, malgré deux monarchies catholiques, finissent par s’opposer. Les calvinistes français font peur aux luthériens allemands et si Élisabeth fut initialement encline à soutenir les huguenots, leur comportement lui fit prendre ses distances. Dans ce contexte, royaux, catholiques et protestants français cherchèrent à trouver auprès des puissances étrangères des soutiens militaires et financiers. Une véritable diplomatie partisane fut mise en place à destination des différentes puissances européennes et c’est grâce à elle que des reîtres ou des lansquenets, des Suisses ou encore des fantassins espagnols purent sillonner les routes du royaume de France. Hugues Daussy revient sur les principales opérations militaires montées par ces troupes étrangères et souligne combien, sans leur intervention, le sort des armes en aurait été changé, notamment du côté protestant dans la première moitié des guerres. Il nous promène sur les principaux champs de bataille – Dreux, Moncontour… – mais aussi dans les provinces où ces troupes furent les plus nombreuses comme la Bretagne pendant la Ligue où Anglais et Espagnols ne cessèrent de se faire face.

5Le troisième chapitre emmène le lecteur sur les sentiers des imaginaires politiques à l’œuvre durant ces conflits. En fin connaisseur des écrits polémiques du temps, l’auteur part d’un discours contestataire somme toute classique, celui du roi mal conseillé qu’il faut secourir, y compris par la prise d’armes, pour arriver à des discours plus radicaux desquels émerge la notion de contrat et donc une révision radicale des fondements de la souveraineté royale. À la lecture de ce chapitre, on mesure combien le temps des conflits religieux fut celui d’une remise en question des évolutions de la monarchie depuis le début du xvie siècle et surtout les modèles théoriques développés par Claude de Seyssel ou Charles Dumoulin. L’idéal de monarchie mixte fondé sur le roi, l’aristocratie et les États-Généraux était bien présent et son non-respect justifia une partie des prises d’armes. Le temps des guerres fut cependant plus innovant concernant la définition de la souveraineté. Le milieu protestant œuvra à dissocier la sphère religieuse de la sphère politique, en défendant une obéissance au prince qui ne passerait pas par une unité confessionnelle. Les catholiques radicaux s’y opposèrent, mais c’est bien cette dissociation qui finit par s’imposer en offrant des solutions de paix grâce aux édits de pacification. La théorie politique du contrat connut elle aussi un regain d’intérêt sous la plume d’abord de ce que la tradition a retenu sous le nom d’auteurs « monarchomaques » puis ensuite sous celle des ligueurs. Ce fut peut-être l’aspect le plus transgressif du débat politique lié aux guerres de Religion car il remettait en cause les fondements de la monarchie absolue de droit divin. Cette théorie du contrat montre clairement que le cheminement de la monarchie française vers son renforcement ne fut pas linéaire et qu’il y eut des alternatives, notamment en temps de conflits, qui furent finalement délaissées.

6Le quatrième chapitre pose la question du pouvoir monarchique et de son évolution durant ces années de crise. Hugues Daussy s’inscrit en faux contre une tradition qui fait des règnes de Charles IX et d’Henri III un temps d’affaiblissement de l’appareil d’État par rapport aux règnes plus prestigieux de leurs père et grand-père. Crise et guerre civile ne riment pas nécessairement avec démembrement de l’État. Il présente d’abord la politique de Catherine de Médicis qui chercha à ménager les lignages pour assurer l’autorité de ses fils. Il montre aussi comment se mit en place le choix d’un accord politique promouvant la coexistence confessionnelle de préférence à la guerre civile. Ce projet se construisit sur une acceptation assumée d’un dialogue politique palpable dans la pratique des remontrances et des négociations autour des pacifications, avec les huguenots mais aussi avec les catholiques les plus radicaux. Si les derniers Valois surent faire montre de modération politique, ils surent aussi agir avec violence et user des coups de majesté, comme le 24 août 1572 ou lors de l’assassinat des Guise en 1588. Les réformes curiales d’Henri III allèrent dans le sens d’un renforcement de l’autorité du roi, que ce soit par l’usage de la faveur, le développement d’un cercle proche, la mise en place d’une étiquette stricte et la transformation de la cour en véritable lieu de représentation politique permanente. La création de l’ordre du Saint-Esprit en 1579 et la sortie de la République de Jean Bodin en 1576 donnent corps à cette démonstration qui place le roi en arbitre pleinement souverain. Ainsi, si le temps des guerres fut celui d’une remise en question de l’autorité du roi privé d’une partie de son pouvoir arbitral, il n’empêcha pas les institutions monarchiques de continuer à promouvoir la figure royale.

7Dans l’avant-dernier chapitre, Hugues Daussy explore les stigmates de la France telle que décrite dans les Tragiques. Les malheurs du temps rivalisent avec la mobilisation militaire pour planter le décor d’une France dévastée. Il revient sur les pratiques de violence qui depuis Denis Crouzet et Olivier Christin, tant du côté catholique que protestant, relèvent d’une historiographie incontournable des guerres de Religion. Entre rituels de violence et pratiques iconoclastes, le lecteur touche du doigt toute l’horreur qu’a pu connaître le royaume et les cruautés que ces habitants ont subies et faites subir. L’effort de guerre relève aussi de cette France en ruine. Ici, Hugues Daussy reprend une historiographie un peu plus récente qui a cherché à quantifier l’engagement dans les conflits, en termes d’hommes mais aussi d’argent. La mort au combat ou dans les rangs des armées sont le quotidien de ces soldats. Hommes de guerre et civils en armes se côtoient sur des théâtres d’opération limités mais qui s’appuient sur les ressources locales qu’ils participent à affaiblir. La guerre est palpable, proche, meurtrière. Les mercenaires étrangers ne sont pas en reste quant il s’agit de piller et de vivre sur le pays. Le tout contribue à affaiblir des finances locales et royales déjà fragiles au début des conflits et que les dérèglements économiques vont encore enfoncer dans la crise. Le portrait du royaume est particulièrement sombre et Hugues Daussy explore tous les volets d’une conjoncture problématique. Il est dommage qu’il n’ait pas posé la question de la résistance du système, du moins l’existence d’un seuil de tolérance de ces sociétés confrontées à la crise. Si les désastres sont bien réels, la guerre réussit à se survivre à elle-même pendant près de 40 ans et le royaume put se relever de cette conflagration dès le début du xviie siècle. Il y eut probablement une intelligence du ravage, une science de la destruction, empirique, non formulée mais bien réelle et qui permit aux acteurs des conflits de ruiner le royaume sans l’anéantir.

8Le dernier chapitre ouvre alors la réflexion sur la temporalité de ces guerres de Religion. Hugues Daussy souhaite casser les usages en cours et ce sur deux plans. D’abord, il cherche le début des conflits et convainc son lecteur quand il montre que choisir le massacre de Wassy comme début de la séquence n’a pas de sens. C’est au milieu des années 1550 qu’il voit poindre une conflictualité qui conduisit progressivement à la prise d’armes et c’est ici qu’il situe la genèse du drame. Le titre de son ouvrage fait commencer son étude en 1555. Pour le terme, il se montre moins sourcilleux. Surtout, il démontre que diviser la séquence en huit conflits n’a finalement que peu de lien avec le vécu des Français qui pour la plupart eurent le sentiment que la guerre ne s’arrêtait jamais. De fait, il critique le chrononyme « guerres de Religion » au pluriel inventé au xixe siècle pour préférer une seule et unique guerre, des années 1550 à la fin du xvie siècle, avec quelques tentatives de résolution mais toujours trop limitées et éphémères pour donner le sentiment de sortir véritablement du conflit. Le raisonnement est séduisant et cette réflexion sur le temps de la guerre pose la question d’un temps de désolation sans fin qui entre parfaitement dans la problématique globale de l’ouvrage. On pourrait opposer à ce raisonnement les périodes de plus grand effort de pacification – 1563-67, 1570-72, 1581-1584 – et surtout le fait que les édits de pacification ont eux-mêmes toujours introduit une temporalité dans la définition de l’épisode militaire. Ces paix ordonnant des amnisties pour les actes de violence mais aussi pour les détournements financiers et autres levées illégales de troupes, elles fixaient toujours le moment où commençait cette amnistie. Les acteurs des conflits religieux se sont eux-mêmes posés la question de la durée des guerres et ne désespérèrent probablement jamais d’y mettre un terme. Hugues Daussy ouvre ici une discussion prometteuse sur le rapport au temps des contemporains, mais aussi de tous ceux qui cherchèrent à mettre en récit ces évènements.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre-Jean Souriac, « Hugues Daussy,Un royaume en Lambeaux. Une autre histoire des guerres de religion (1555-1598), »Chrétiens et sociétés, 30 | 2023, 221-226.

Référence électronique

Pierre-Jean Souriac, « Hugues Daussy,Un royaume en Lambeaux. Une autre histoire des guerres de religion (1555-1598), »Chrétiens et sociétés [En ligne], 30 | 2023, mis en ligne le 28 mars 2024, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chretienssocietes/10909 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/chretienssocietes.10909

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