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Langues et professions en Russie au xviiie siècle

Introduction
Vladislav Rjéoutski
p. 255-280
Traduction(s) :
Languages and professions in eighteenth‑century Russia [en]

Notes de l’auteur

L’article a été préparé dans le cadre du projet de recherche n° 4653879 sur les langues de la diplomatie russe du xviiie siècle, soutenu par la Fondation allemande pour la recherche (Deutsche Forschungsgemeinschaft ou DFG). Le projet est géré par le réseau Europe de l’Est de la Fondation Max Weber (MWN Osteuropa). Je profite de l’occasion pour remercier la DFG, ainsi que l’Institut historique allemand à Paris et le réseau Europe de l’Est de la fondation Max Weber pour leur soutien. Je voudrais aussi exprimer ma reconnaissance aux collègues qui ont accepté de lire une première version de ce texte et de partager avec moi leurs remarques : Igor Fedyukin, Anna Joukovskaïa, Gleb Kazakov, les auteurs des articles publiés ici, ainsi que les collègues du département de l’époque moderne de l’Institut historique allemand à Paris. Un grand merci à Kumar Guha d’avoir relu ce texte.

Texte intégral

L’histoire sociale des langues

1L’importance de la langue en tant que moyen de communication dans la vie professionnelle est indéniable : acquérir une nouvelle profession, progresser dans sa carrière, s’intégrer dans une communauté et dans un environnement professionnel, tout cela est impossible sans certaines compétences linguistiques. Pourtant, si, comme nous, les gens du xviiie siècle reconnaissaient l’importance des langues dans la vie professionnelle, leur pratique différait à bien des égards de la nôtre, comme nous le montrent les articles publiés dans ce numéro spécial de la revue Cahiers d’histoire russe, est-européenne, caucasienne et centrasiatique.

2Du point de vue des approches disciplinaires, les études publiées ici ne relèvent pas de la linguistique, mais de l’histoire sociale des langues. Cette branche de la recherche historique est née du désir de considérer la langue non pas comme un phénomène ayant sa propre histoire indépendante de l’activité humaine, mais comme un reflet des relations sociales, ethniques, de classe, de genre, etc.

  • 1 Ma traduction de l’anglais. Peter Burke, « Introduction », in Peter Burke & Roy Potter, eds., The S (...)

3Parmi les précurseurs de ce mouvement, on peut citer les linguistes Ramón Menéndez Pidal et Ferdinand Brunot dans la première moitié du xxe siècle, ainsi que des sociolinguistes tels que William Labov et Peter Trudgill, dans la seconde moitié du siècle. Leurs recherches ont permis de reconstruire la dimension sociale des pratiques linguistiques. Dans les années 1980, Peter Burke, dans un livre intitulé Social History of Language, a appelé les historiens à accorder une attention plus soutenue au rôle de la langue dans l’histoire de la société, soulignant que la langue est étroitement liée aux processus de changement social. Burke a forgé cette formule : « La langue est trop importante du point de vue historique pour la laisser aux linguistes »1. En mettant l’accent sur le caractère novateur de l’approche de Burke, José Del Valle écrit que l’objectif principal de l’histoire sociale de la langue n’est pas l’identification des variations linguistiques et de leurs corrélats sociaux. La langue doit être considérée

  • 2 Ma traduction de l’anglais. José Del Valle, « Language, politics and history », in José Del Valle, (...)

non pas comme une entité isolée dont la nature doit être identifiée et expliquée, mais comme faisant partie intégrante d’un objet défini sociologiquement […] au travers duquel on peut mieux appréhender les dimensions ethnographiques et sociologiques d’une communauté donnée.2

4Les études de l’histoire sociale des langues nous permettent de mieux comprendre comment la communication était construite dans divers environnements professionnels par le passé. Elles nous éclairent sur les stratégies utilisées, la manière dont la langue était liée à l’identité, qu’elle soit sociale ou professionnelle, les modes linguistiques qui influençaient les pratiques de langue au sein de différents groupes et les causes des conflits linguistiques… Dans le monde professionnel, la langue était un véhicule permettant d’accéder au savoir professionnel. Elle pouvait souligner la distance sociale et les relations de subordination ou, inversement, atténuer les différences de rang et de statut social.

5L’histoire sociale des langues s’intéresse à de nombreux sujets, des plus traditionnels à de relativement nouveaux, tels que le discours politique sur la langue, le rôle des langues en tant que facteur des relations interethniques ou marqueur social et professionnel, les caractéristiques individuelles, familiales ou générationnelles de l’usage des langues, entre autres. Certains sont explorés dans les articles de ce numéro thématique. Évidemment, ces études s’appuient sur des corpus de sources qui déterminent une certaine direction des recherches. Ainsi, la rareté des commentaires métalinguistiques dans les sources diplomatiques du xviiie siècle limite les possibilités de développement de l’histoire politique des pratiques linguistiques en diplomatie.

  • 3 Le projet est soutenu par la Fondation scientifique russe (Rossijskij naučnyj fond) et par la Fonda (...)
  • 4 Étant donné ce lien avec notre projet de recherche portant sur la diplomatie, cette introduction se (...)

6La plupart des articles sont consacrés à la diplomatie, car ce numéro thématique a été préparé en lien avec un projet de recherche international sur l’utilisation des langues dans la diplomatie russe du xviiie siècle 3. Nous les présentons dans l’ordre chronologique des périodes étudiées. Il s’agit des articles de Yana Larina, sur l’usage des langues au congrès de paix d’Åland (1718-1719) ; de Sophie Holm et de Vladislav Rjéoutski, sur les pratiques de langue dans la communication diplomatique interne dans les diplomaties suédoise et russe des années 1720-1740 ; de Maksim Shikulo, sur l’apprentissage des langues par les « élèves d’ambassade » et les « gentilhommes d’ambassade » russes dans les années 1720-1740 ; et, enfin, de Maria A. Petrova, sur le rôle de la maîtrise des langues comme facteur de la politique du personnel du collège des Affaires étrangères russe dans les années 1740-1780. Trois autres articles, qui portent sur les pratiques linguistiques des militaires, des artistes et des médecins, complètent cet ensemble, ceux de Denis Sdvizhkov sur la langue militaire dans la Russie du xviiie siècle ; d’Hugo Tardy sur les pratiques de langue dans les études et l’activité professionnelle des artistes à la même époque ; et de Wladimir Berelowitch et Rodolphe Baudin sur le curriculum, et notamment les langues d’apprentissage des étudiants russes, à Strasbourg, dans les années 1770‑1780, qu’ils analysent en distinguant deux groupes principaux : les aristocrates d’un côté et la petite noblesse et d’autres étudiants de milieux moins privilégiés de l’autre4.

7La diversité des thèmes abordés et la richesse des documents sur lesquels ces études s’appuient ne peuvent pas être résumées dans cette introduction dont l’objectif est de contextualiser certaines idées discutées par les auteurs et les autrices des articles, en mettant l’accent principalement sur la diplomatie.

Peut-on parler de « professions » dans la Russie du xviiie siècle ?

  • 5 Je ne suis pas au courant de l’existence d’études spécialement consacrées à l’origine des professio (...)
  • 6 Voir : https://ruscorpora.ru/; https://krp.dhi-moskau.org (consulté le 4.03.2024).
  • 7 AVPRI (Arhiv vnešnej politiki Rosijskoj imperii – Archives de la politique extérieure de l’empire d (...)

8Une question générale qui sert de cadre à toutes ces études est celle du concept même de « profession »5. Pouvons-nous réellement parler de « professions » au sens moderne du terme pour la Russie du xviiie siècle ? Les termes utilisés en russe pour décrire les occupations que nous qualifierions aujourd’hui de « professionnelles » offrent un aperçu de la difficulté d’appliquer ce concept aux réalités de l’époque. En effet, plusieurs termes étaient utilisés en russe pour traduire les mots « profession » ou « Beruf ». Dans la première moitié du xviiie siècle, les équivalents russes tels que sostojanie, zvanie, nauka, promysel, remeslo se référaient davantage à l’état, à la science ou encore à l’artisanat et étaient, de fait, très éloignés du sens moderne du mot professija. Cependant, le terme professija commençait à être utilisé en russe à partir du milieu du siècle environ, mais, dans la prose des Russes de cette époque, ce mot revêtait parfois un sens spécifique. Ainsi, Mihail Lomonosov l’utilisait systématiquement dans le sens de « science »6. Parmi les diplomates russes, le terme n’est pratiquement jamais utilisé à l’époque. Quand, en 1753, le futur diplomate russe Pavel Levašev adresse sa supplique à l’impératrice Elisabeth, il utilise ce mot dans le sens de « voie de carrière civile ou militaire »7. C’est surtout dans les traductions de langues occidentales en russe que le sens du mot se rapproche le plus de son sens moderne. Puisqu’il s’agit de traductions, il est plausible que ce qu’on appelait déjà « profession » dans certains pays européens ne correspondait alors à aucun phénomène observable dans la société russe.

  • 8 Abbott, The System of Professions ; Freidson, Professionalism.

9Ces réserves se confirment lorsqu’on confronte les métiers du xviiie siècle en Russie avec les critères mentionnés pour les professions modernes, tels qu’une hiérarchie claire, des voies de carrière bien identifiées, une expertise acquise dans le cadre d’une éducation formelle, etc.8 De plus, dans son acception actuelle, le terme « profession » ne suppose pas de lien étroit entre le type d’activité et l’origine sociale, lien qui était bien présent à l’époque en Russie, même si les études publiées dans ce numéro montrent que les limites entre les groupes sociaux (soslovija) et les professions n’étaient pas impénétrables.

10Pour cette raison, il est difficile de parler d’une « éducation professionnelle » dans la Russie du xviiie siècle : les établissements d’enseignement de l’époque étaient généralement destinés aux enfants d’un certain groupe social, qui y recevaient une éducation socialement appropriée et étaient également préparés à une activité « professionnelle ». Des exemples de tels établissements en Russie sont les corps des cadets nobles et les séminaires pour les fils de prêtres.

11Il n’est donc pas surprenant que la plupart des travaux de sociolinguistique historique sur la Russie du xviiie siècle considèrent les pratiques linguistiques de groupes sociaux et non de groupes professionnels. En partant de cette observation, il convient de souligner qu’il ne semble ni possible ni productif, pour le xviiie siècle russe, de séparer l’étude du rôle des langues dans la vie sociale et dans le monde « professionnel ». Dans la suite, nous utiliserons les mots « profession » et « professionnel » la plupart du temps sans guillemets afin de faciliter la lecture, tout en gardant à l’esprit l’anachronisme de ce concept par rapport à l’époque que nous explorons. Nous reviendrons à cette question plus loin au sujet du terme « professionnalisation », mais commençons par dégager quelques thèmes forts qui traversent les articles publiés dans ce numéro.

Langues, mobilité et politique

  • 9 Pour une récente mise au point sur le recrutement de spécialistes étrangers (particulièrement franc (...)

12Un trait général, qui se dégage immédiatement à la lecture de ces articles, est le lien entre les pratiques de langue dans le contexte professionnel et la mobilité, en particulier la mobilité géographique. Cette dimension est évidente dans la diplomatie dont les représentants effectuent des séjours souvent prolongés dans d’autres pays et ont ainsi des possibilités de contacts avec des cultures étrangères. Cependant, M.A. Petrova nous montre un autre aspect de la mobilité professionnelle avec le recrutement des étrangers qui a été une constante pour la diplomatie russe au xviiie siècle. Ce mouvement est l’une des manifestations d’une tendance générale dans la société russe de cette époque, déjà en cours avant le règne de Pierre Ier, mais qui s’est particulièrement accentuée à partir de son règne et consistait à recruter des spécialistes étrangers pour servir en Russie9.

13Les étrangers apportaient leur expertise, qui ne se limitait évidemment pas au domaine linguistique. En ce qui concerne l’expertise linguistique proprement dite, les études de M.A. Petrova et de Y. Larina mettent clairement en évidence son importance, voire son caractère crucial pour la diplomatie russe à une époque où la Russie sortait de son isolement et s’engageait de façon plus déterminée dans les affaires de l’Europe. La présence des étrangers posait aussi avec acuité des problèmes de compréhension, d’autant que le nombre d’étrangers dans certaines professions était plus que considérable, comme le montre D. Sdvizhkov pour le domaine militaire.

14Utiliser les compétences des étrangers n’était nullement une pratique originale à l’époque en Europe. Les diplomaties suédoise et espagnole, l’armée des rois de France et celle des Habsbourg ou encore l’Académie des sciences prussienne ont toutes bénéficié d’un apport, parfois massif, d’étrangers. La Russie compte parmi les pays qui ont le plus mobilisé ce genre de ressources dans des domaines très divers, tels que la diplomatie, l’armée, la marine, la science ou l’éducation nobiliaire.

  • 10 A.V. Beljakov, Služaščie Posol´skogo prikaza 1645-1682 g. [Le personnel de la Chancellerie des amba (...)
  • 11 Vladislav Rjéoutski, « Les écoles étrangères dans la société russe au siècle des Lumières », Cahier (...)
  • 12 Anna Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle. Genèse et fonctionnement du collè (...)

15Les historiens ont mis en évidence à quel point la diplomatie russe, plus précisément la traduction diplomatique, était dépendante des étrangers au xviie siècle10, et comment le personnel enseignant étranger a influé, durant des décennies, sur les formes et le contenu de l’enseignement dans les établissements éducatifs pour la noblesse russe11. Dans son article, M.A. Petrova montre les difficultés qui pouvaient surgir quand la Russie engageait un diplomate étranger ne maîtrisant pas le russe et comment ces difficultés pouvaient être résolues. Le rôle des étrangers dans la formation du personnel diplomatique russe au xviiie siècle mériterait d’être examiné de près, d’autant que, sous le règne de Pierre Ier, les affaires étrangères russes continuaient de s’appuyer sur ces étrangers pour leurs besoins en traduction12.

  • 13 Voir par exemple : Dan Altbauer, « The diplomats of Peter the Great », Jahrbücher für Geschichte Os (...)

16La mobilité des sujets russes envoyés dans différents pays européens pour étudier ou travailler, était tout aussi significative. Ils acquéraient des compétences dans divers domaines professionnels et, bien sûr, en langues. M. Shikulo démontre que les envois de l’époque pétrovienne, bien connus des historiens13, n’ont pas cessé après la disparition du monarque et qu’ils sont devenus la base d’une pratique importante dans la formation du personnel diplomatique.

  • 14 Cette étude prolonge celles qui sont déjà devenues classiques : Jürgen Voss, « Les étudiants de l’E (...)

17Ce phénomène, qui concernait la noblesse et les roturiers, mais aussi parfois les fils de prêtres, dépassait d’ailleurs largement le domaine de la diplomatie, touchant plusieurs autres secteurs, dont certains sont explorés par W. Berelowitch et R. Baudin dans leur étude du séjour des sujets du tsar à Strasbourg, l’un des centres les plus importants accueillant des étudiants de l’empire de Russie au xviiie siècle14.

  • 15 Mais il y a aussi quelques exemples de nobles qui se rendaient à l’étranger de leur propre gré : Vl (...)
  • 16 Notons cependant que toutes les traductions dans les domaines spécialisés n’étaient évidemment pas (...)
  • 17 Voir Offord, Rjéoutski, Argent, The French Language in Russia, ch. 2.

18Cette mobilité, qu’elle soit dans un sens ou dans l’autre, était souvent initiée par l’État, acteur central de l’histoire des pratiques linguistiques dans le domaine professionnel en Russie15. Les initiatives de l’État dans ce domaine sont le prolongement de sa politique à différents niveaux : le recrutement de spécialistes européens et la mise en place du système de voyages et de séjours à l’étranger pour de nombreux Russes, déjà mentionnés, mais également bien d’autres projets qui ne sont pas explorés ou sont simplement mentionnés par les auteurs, tels que la traduction d’ouvrages « professionnels » de langues occidentales en russe16 ou le soutien institutionnel de l’allemand, du russe ou du latin dans les établissements éducatifs russes17.

19Toutefois, dire que l’État porte la responsabilité de ces initiatives ne nous avance pas beaucoup dans la compréhension de ce phénomène. Qui se trouve derrière ces mesures et pour quelles raisons sont-elles prises ? Il est raisonnable de supposer qu’il s’agit principalement de hauts fonctionnaires appartenant aux élites sociales et bureaucratiques du pays, tels que les dignitaires du collège des Affaires étrangères. Certains d’entre eux étaient issus de la noblesse des provinces baltes ou des étrangers recrutés pour servir en Russie, comme le comte Heinrich Johann Friedrich Ostermann qui, de fait, dirigeait la politique extérieure russe dans les années 1720-1730, ou Burkhard Christoph von Münnich, général feld-maréchal et homme d’État russe.

  • 18 S.V. Pol´skoj, V.S. Ržeuckij, « Perevod i razvitie političeskogo jazyka v Rossii XVIII veka » [La t (...)

20Il faudrait aussi se poser la question de l’origine des idées concernant les besoins linguistiques de différents milieux professionnels, qu’il s’agisse de la diplomatie, de l’armée ou encore du milieu académique. Ce processus est relativement peu exploré dans les articles publiés ici, alors qu’il présente un fort potentiel pour comprendre comment ces idées pénétraient en Russie, y étaient débattues, assimilées et mises en pratique. Nous pouvons certes supposer que la mobilité a joué un rôle primordial dans ce processus, peut-être ensemble avec la traduction, qui constituait une part importante du marché du livre russe de cette époque18. Cependant, des études plus approfondies et précises pourraient nous aider à mieux comprendre les mécanismes en jeu.

  • 19 Ingrid Cáceres Würsig, Historia de la traducción en la administración y en las relaciones internaci (...)
  • 20 Sur l’Académie politique, voir : H. Keens-Soper, « The French Political Academy : A School for Amba (...)

21L’étude de M. Shikulo suggère en effet l’importance que pourrait avoir la recherche sur la circulation et la réception de ces idées. Le système des « élèves » et des « gentilhommes d’ambassade » mis en place par les Affaires étrangères russes était-il original ou bien suivait-il des modèles connus, notamment celui des giovani di lingua instauré par les Vénitiens, ou encore celui des secrétaires d’ambassade introduit par les Suédois19 ? De la même manière, nous pourrions nous demander si les écoles diplomatiques russes, notamment celles de Schwimmer et de Glück, antérieures à la fameuse Académie politique en France, étaient des établissements originaux ou si elles suivaient des modèles déjà connus20. Bien entendu, les historiens sont souvent dépendants des archives qui peuvent, comme dans le cas du système russe décrit par M. Shikulo, garder le silence sur les possibles influences des modèles étrangers.

22Les mesures prises par les autorités russes suggèrent que, tout au long du xviiie siècle, il y avait, au sein des structures bureaucratiques russes, une réflexion sur la nécessité d’une formation ciblée non seulement pour le personnel diplomatique, mais également pour les clercs de collèges, les marchands, et que cette formation devait systématiquement inclure les langues étrangères.

  • 21 Kozlova, Rossijskij absoljutizm i kupečestvo, p. 215, 336, 343, 345, etc. ; Joukovskaïa, Le service (...)

23Cependant, ces initiatives du gouvernement témoignent également d’une méconnaissance des besoins et de la culture de certains groupes sociaux et professionnels. Cette méconnaissance est manifeste, par exemple, dans les tentatives répétées mais avortées d’envoyer des fils de marchands étudier à l’étranger, ou encore d’enrôler des nobles dans les collèges pour les préparer à une carrière civile21. Ces échecs engendraient des problèmes que le gouvernement voulait soit ignorer, soit contourner plutôt que résoudre, comme le montre encore l’étude de M. Shikulo.

La formation des diplomates : vers la « professionnalisation » du service diplomatique ?

  • 22 Voici seulement quelques exemples : Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle ; D (...)
  • 23 Parmi les études qui abordent cette question, citons aussi : Didier Ozanam, Les diplomates espagnol (...)

24Doit-on parler de « professionnalisation » quand on étudie la formation du personnel diplomatique russe au xviiie siècle ? Le terme est souvent utilisé tant par rapport à la diplomatie russe, y compris par M.A. Petrova et M. Shikulo dans leurs articles publiés dans ce numéro, que par rapport aux diplomaties occidentales de cette époque22. La discussion sur la possibilité d’appliquer ce concept à la diplomatie de l’époque moderne nous aide à mieux comprendre les évolutions qu’on observe en Russie23.

  • 24 Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, p. 160, 164-165 ; sur une image « uniforme » d’un diplomate chez (...)
  • 25 Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle, p. 208-209. Cependant, ces réflexions (...)

25Les historiens ont avancé de nombreux arguments pour appuyer l’idée de la progressive « professionnalisation » de la diplomatie de cette époque : l’apparition de la diplomatie résidentielle et des voies de carrières diplomatiques, les efforts pour mettre en place un système de formation du personnel diplomatique, etc. Les théoriciens de cette époque donnaient déjà une description idéalisée des diplomates en soulignant l’importance de l’expertise et de la carrière et proposaient des mesures concrètes pour améliorer la préparation des diplomates. Des critiques ont également été formulées à l’égard de la pratique consistant à préférer des aristocrates pour les premiers postes diplomatiques, alors que souvent ceux-ci méconnaissaient le travail de diplomate24. En Russie, on observe la même prise de conscience des difficultés rencontrées par les diplomates, faute de formation appropriée, et de la nécessité d’une formation spécialisée25.

  • 26 Tracey A. Sowerby, « Early Modern Diplomatic History », History Compass, 14 (9), 2016, p. 441-456, (...)
  • 27 Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, p. 163.
  • 28 Jan Hennings, Tracey A. Sowerby, « Introduction. Practices of diplomacy », in Tracey A. Sowerby, Ja (...)
  • 29 Voir sur cette question et sur le tournant culturel dans la récente histoire diplomatique en généra (...)

26Cependant, comme le souligne Tracey A. Sowerby, la recherche des traits « professionnels » dans la diplomatie de l’époque moderne n’a peut-être pas beaucoup de sens car elle s’attache à la mesurer à l’aune de la politique internationale d’aujourd’hui, appliquant des concepts anachroniques à un phénomène historique dans le contexte de la « société des princes »26. Heidrun Kugeler souligne également le risque d’anachronisme et de focalisation téléologique27. La difficulté de parler de la diplomatie en tant que « profession » à cette époque est soulignée par l’idée que les contours de la diplomatie ne sont pas nets étant donné la multiplicité des acteurs et des pratiques28. Cette position est liée à la conceptualisation des pratiques socio-culturelles en diplomatie comme la base même de la politique extérieure et non pas comme sa conséquence29.

  • 30 Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, p. 167.

27Tout en mesurant l’importance d’éviter l’application des critères d’aujourd’hui à la diplomatie de l’époque moderne, on peut se demander si certains systèmes diplomatiques de cette époque étaient plus spécialisés que d’autres. Pour la Russie du xviiie siècle, le profil des diplomates semble assez clair parce que le phénomène d’acteurs diplomatiques informels est moins caractéristique pour la diplomatie russe de cette époque que pour certaines diplomaties occidentales ; parce qu’on faisait déjà une distinction assez nette entre les différentes catégories du personnel diplomatique ; parce qu’on voit, dès l’époque de Pierre Ier, l’apparition de beaucoup de diplomates de carrière ; et, enfin, parce qu’il y avait un vrai effort pour mettre en place une formation pour le personnel diplomatique. H. Kugeler met l’accent sur ce dernier aspect en soulignant la compréhension progressive par des élites bureaucratiques de différents pays de la nécessité de former des diplomates30.

  • 31 Hillard von Thiessen, « Diplomatie vom type ancien: Überlegungen zu einem Idealtypus des frühneuzei (...)
  • 32 Cependant, certains pays avaient des pratiques différentes dans ce domaine, comme les Pays-Bas, la (...)

28La distinction entre ceux qui étaient destinés à occuper les postes de haut niveau en diplomatie et le personnel des ambassades de niveaux moyen et bas est importante pour comprendre quelles qualités étaient recherchées pour ces deux catégories de personnel et dans quelle mesure la maîtrise des langues en faisait partie. En proposant le concept de « diplomate de type ancien »31, mettant l’accent sur la capacité des diplomates à socialiser dans la société de cour, Hillard von Thiessen souligne la spécificité de la diplomatie de cette époque, où les chefs de postes diplomatiques, typiquement des aristocrates, accédaient à ces hauts échelons grâce à leur position sociale et au patronage32.

  • 33 C’est ce que note aussi A. Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle, p. 205.

29Analysant les exigences et les caractéristiques invoquées lors de la nomination des chefs de postes dans la diplomatie russe en 1740-1780, M.A. Petrova remarque que la maîtrise des langues n’y figure pratiquement jamais. En revanche, elle souligne qu’à un niveau plus bas, les exigences, y compris linguistiques, étaient bien réelles33.

  • 34 Ržeuckij, « Meždu Rossiej i Zapadnoj Evropoj ».

30Ce système, à première vue assez bancal, semble avoir fonctionné plutôt bien. Il est vrai que, dans la première moitié du xviiie siècle, la méconnaissance de certaines langues par les diplomates haut placés pouvait les handicaper dans l’exercice de leurs fonctions, comme en témoigne le cas d’un diplomate russe devant collecter des informations à la cour d’Espagne dans les années 1720 : l’ignorance de l’espagnol l’a apparemment désavantagé dans sa mission34.

31Cependant, à mesure que le siècle avançait, le français devenait de plus en plus suffisant pour les chefs de postes diplomatiques, les interactions orales entre les diplomates de haut niveau et la cour à laquelle ils se trouvaient pouvaient se faire exclusivement en français. Toutes les traductions de ou vers la langue du pays dans lequel se trouvait le poste, quand elles étaient nécessaires, pouvaient être faites par le personnel subalterne. C’est pour cette raison que, à la différence des ambassadeurs et des ministres, le personnel subalterne attaché aux missions russes en Europe apprenait beaucoup de langues, comme le montrent les études publiées ici : l’anglais, le danois, l’espagnol, le hollandais, le suédois, le turc ottoman, etc.

  • 35 Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle, p. 209.

32Faut-il en conclure que, pour le personnel diplomatique supérieur, les qualités recherchées étaient surtout celles qu’un aristocrate était censé posséder, à savoir un nom, un titre, un style raffiné de communication et des capacités de socialisation à la cour, sans oublier une excellente maîtrise du français qui était une chose si naturelle dans ce milieu qu’il n’était nul besoin de la mentionner ? Ce n’est sans doute pas un hasard si, dans la seconde moitié du siècle, quand les diplomates russes de haut niveau abordaient la question de leurs compétences, ils ne mentionnaient généralement pas les langues, mais parlaient des connaissances des affaires internationales : ainsi, le conseil que l’ex-ambassadeur comte Ivan Černyšev donne à son jeune collègue comte Andrej Razumovskij, qui commence une carrière diplomatique à un poste élevé, est de lire Wicquefort et Grotius et non d’apprendre des langues35.

33Pourtant, les recherches présentées dans ce numéro démontrent que les programmes de formation mis en place par les Affaires étrangères russes ne se limitaient pas au personnel diplomatique des niveaux moyen et bas. Mais les aristocrates aspirant à des postes haut placés s’initiaient-ils aux mêmes matières que le personnel subalterne ?

34Prenons à nouveau l’exemple des « élèves d’ambassade » et des « gentilshommes d’ambassade », étudiés par M. Shikulo. Alors que les deux groupes apprenaient le français, leurs objectifs étaient différents : pour les premiers, cette langue était un outil dans leur travail à l’ambassade en qualité de traducteurs ou de secrétaires, pour les seconds, elle constituait le fondement de leur éducation noble.

  • 36 AVPRI, f. 2/6, d. 1676.

35Cela est illustré par les documents relatifs aux examens qu’un groupe de gentilshommes d’ambassade a passés au Corps des cadets nobles à Saint-Pétersbourg, en 1746, à leur retour de l’étranger36. Si le nombre des langues présentées à cet examen variait d’un étudiant à l’autre, tous apprenaient le français, la langue de la noblesse, qui était la seule base commune entre eux. Les contenus des textes qu’ils écrivaient ou traduisaient lors de ces épreuves, ainsi que les matières dans lesquelles ils voulaient se faire examiner (et qui ne leur étaient pas imposées) témoignent de leur adhésion au modèle aristocratique de l’éducation plutôt que de la préparation ciblée au métier de diplomate. Les matières apprises dans les années 1770-1780 par les jeunes aristocrates russes à Strasbourg, notamment les « parties historiques et politiques », étaient plus proches du domaine diplomatique, comme le montrent W. Berelowitch et R. Baudin. Les obligations des élèves d’ambassade, comme le souligne M. Shikulo, demeurent relativement peu documentées, mais il semble que leur formation était davantage axée sur les tâches quotidiennes de l’ambassade, y compris les traductions et la correspondance, par rapport à celles des gentilshommes d’ambassade.

36Qu’en est-il d’autres structures destinées à la formation du personnel pour les Affaires étrangères russes ? S’agit-il d’écoles offrant un programme spécifiquement axé sur les activités diplomatiques ? La plupart de ces établissements ont laissé relativement peu de traces dans les archives. Cependant, en analysant le programme d’une des écoles les plus connues, ouverte à Moscou en 1703 par le pasteur Ernst Glück, il est difficile de le qualifier de manière univoque comme un grand pas dans la préparation spécialisée des diplomates.

  • 37 Sur l’orientation nobiliaire de l’école de Glück, voir : Vladislav Rjéoutski, « Die französische Sp (...)
  • 38 Il est aussi pertinent de noter que très peu d’élèves formés à l’école de Glück ont ensuite travail (...)

37Cette école était financée par la Chancellerie des Ambassades, ce qui semble montrer que les dirigeants de la Chancellerie avaient conscience de la nécessité d’avoir un vivier de personnel diplomatique. Toutefois, le cursus de cette école ne semble pas être basé sur une observation des besoins réels du travail de diplomate. Bien que l’école propose un large éventail de langues, certaines semblent n’avoir aucune utilité pratique pour les affaires étrangères de l’époque, reflétant peut-être les intérêts personnels de Glück, polyglotte exceptionnel. De plus, son programme était en partie axé sur l’éducation noble, sans cette spécialisation qu’on voit, par exemple, dans le projet de l’Académie politique en France qui, par ailleurs, était destinée surtout à la préparation des basses et moyennes charges diplomatiques37. En proposant des matières qui intéressaient en priorité la noblesse, Glück semblait répondre au goût nouveau pour une éducation « noble » au sein de la noblesse moscovite38. Il n’est pas exclu que Glück suivait aussi l’idée du diplomate axée sur les qualités propres aux diplomates de haut niveau.

  • 39 Sur l’allemand dans les collèges et le recrutement de clercs maîtrisant l’allemand à l’époque de Pi (...)
  • 40 Sur le rôle de l’allemand dans les relations diplomatiques entre la Russie et la Suède, voir l’arti (...)
  • 41 V. Ržeuckij, I. Fedjukin, V. Berelovič [V. Rjéoutski, I. Fedyukin, W. Berelowitch], dir., Ideal vos (...)
  • 42 Par exemple au théâtre de la cour : Alexei Evstratov, Les Spectacles francophones à la cour de Russ (...)

38Dans l’éducation nobiliaire en Russie, qu’elle soit publique ou privée, nous observons un passage de l’apprentissage de l’allemand vers une préférence pour celui du français. Ce qu’on peut voir comme des « modes linguistiques » se révèle un processus complexe résultant d’un certain nombre d’éléments en jeu. La transition de l’allemand au français, clairement perceptible non seulement dans l’éducation de la noblesse russe, mais aussi dans son orientation culturelle et dans son activité professionnelle, ne peut être véritablement comprise que si l’on tient compte d’une série de facteurs dont le poids et l’influence ont changé avec le temps : le rôle de la noblesse germanophone des provinces baltes et d’autres Allemands dans la bureaucratie de l’État russe39, la présence dans les établissements éducatifs russes de nombreux enseignants étrangers, majoritairement germanophones, les liens multiples de la Russie avec des pays germanophones ou ayant une forte tradition de l’usage de l’allemand, comme la Suède40, le contexte européen changeant avec une ascendance progressive du français dans divers domaines, l’intérêt grandissant de la noblesse russe pour un idéal d’éducation nobiliaire fortement lié à la maîtrise et à la pratique du français41, le rôle plus important du français à la cour de Russie42, pour ne citer que les plus évidents.

39Pour autant, l’allemand restait un élément important de l’éducation et de la culture professionnelle des militaires en Russie, mais même là, le nouveau statut du français lui conférait un rôle particulier dans les stratégies de carrière des officiers russes, comme le souligne D. Sdvizhkov.

Langues, politiques, identités

  • 43 Le décret du 9 septembre 1773 prescrit aux établissements d’enseignement de donner la préférence à (...)

40Cette réorientation culturelle et linguistique de la noblesse russe allait à l’encontre de la politique linguistique des élites bureaucratiques russes qui entendaient d’une part soutenir l’allemand43, regardé comme l’une des langues de l’Empire russe importantes pour maintenir une certaine cohésion entre les principaux groupes ethniques des élites et, d’autre part, propulser de façon plus énergique le russe, qui était de plus en plus regardé non seulement comme la principale langue de la nation, mais aussi comme un important marqueur identitaire.

  • 44 Ce qui est reflété dans le nouveau règlement du Corps des cadets : [Beckoj], Ustav imperatorskogo š (...)

41En effet, le désir de donner une place plus grande au russe dans le domaine éducatif et dans le monde professionnel était une tendance marquante durant toute l’époque que nous considérons : si à l’époque pétrovienne cette idée était sous-jacente (on la retrouve par exemple dans la volonté de traduire en russe des ouvrages utiles pour certaines professions), elle commence à s’exprimer de plus en plus clairement dans la seconde moitié du siècle quand la nécessité de mettre en place l’enseignement de toutes les matières en langue russe était discutée dans la société et devenait une priorité pour le gouvernement44.

42Dans ce contexte, l’histoire des pratiques linguistiques dans la diplomatie russe suscite un intérêt particulier en ce qu’elle semble aller à contre-courant du désir de russification de l’éducation nobiliaire en Russie. Si c’est le cas, la raison principale de cette évolution est probablement à voir dans une certaine autonomie des stratégies linguistiques des nobles russes.

43En développant leurs propres stratégies, les nobles russes construisaient un lien fort entre leur choix des langues et leur identité sociale, comme le démontrent W. Berelowitch et R. Baudin à travers l’exemple des enfants issus des familles de la haute noblesse russe, qui étudiaient à l’école connue dans la recherche comme l’École diplomatique de Strasbourg.

  • 45 Sur le français comme un marqueur social pour la noblesse russe, voir : Offord, Rjéoutski, Argent, (...)

44Ces nobles pouvaient légitimement considérer que le français était devenu un moyen universel d’apprentissage et de communication. Cependant, si leur choix se portait sur le français, ne serait-ce pas plutôt parce que, dans leur imaginaire, cette langue était devenue un marqueur social important pour leur milieu, un élément essentiel de l’identité nobiliaire45? En effet, le concept même de la noblesse était de plus en plus associé à un style de sociabilité courtois et élégant, pour lequel la maîtrise et l’utilisation du français étaient considérées comme indispensables.

  • 46 I. Fedjukin [I. Fedyukin], « «Ot oboih istinnoe šljahetstvo» : Suhoputnyj kadetskij korpus i konstr (...)

45De manière similaire, dans les établissements éducatifs russes destinés à la noblesse, tels que le Corps des cadets nobles de l’armée de terre, le processus éducatif était imprégné de l’idéal de l’éducation nobiliaire. Bien que des éléments de formation professionnelle apparaissent dans ces institutions préparant les futurs officiers militaires, ils ne constituent pas le centre du programme scolaire46.

46Si les nobles n’étudiaient pas les langues avec des visées professionnelles précises, leur expertise linguistique était souvent utilisée ensuite dans leurs activités professionnelles. Étaient-ils handicapés dans leur vie professionnelle par leurs compétences linguistiques de plus en plus axées sur le français et le russe ? M.A. Petrova donne dans son article quelques pistes intéressantes pour répondre à cette question.

  • 47 M.A. Petrova, « Jazykovye praktiki rossijskih i avstrijskih diplomatov vo vtoroj polovine XVIII v.  (...)

47Nous pouvons supposer que, dans les professions exercées par les nobles, les besoins linguistiques suivaient une évolution similaire. C’est ce que suggère M.A. Petrova dans un article récent. En analysant le choix des langues dans la correspondance des diplomates russes de la seconde partie du xviiie siècle, elle attire l’attention sur le fait que leur éducation et leur expérience de vie à l’étranger influençaient leurs choix de langue dans leur correspondance diplomatique. Ainsi, le comte (plus tard, prince sérénissime) Aleksandr Andreevič Bezborodko, qui avait une grande influence sur les affaires diplomatiques russes dans les années 1780 – début des années 1790, ne maîtrisait pas le français aussi bien que certains diplomates russes de familles aristocratiques, ce qui détermine apparemment son choix de langue dans ses échanges avec les plus hauts dignitaires du collège des Affaires étrangères. Cependant, plus fréquents semblent avoir été des cas similaires à celui des diplomates Nikolaj (1754-1826) et Sergej Rumjancev (1755-1738), fils du général feld-maréchal Pjotr Aleksandrovič Rumjancev-Zadunajskij (1725-1796), qui avaient beaucoup voyagé en Europe pendant leur jeunesse, avaient étudié à l’université de Leyde et échangeaient avec le Collège essentiellement en français47. Une meilleure compréhension des stratégies d’apprentissage des langues et des orientations professionnelles à différents niveaux, impliquant des familles et des individus, est nécessaire pour obtenir une vision plus nuancée et équilibrée de l’histoire sociale des langues en Russie, moins axée sur les politiques gouvernementales.

  • 48 Vladislav Rjéoutski, « Native Tongues and Foreign Languages in the Education of the Russian Nobilit (...)
  • 49 Ekaterina Kislova, « Latin as the language of the orthodox clergy in eighteenth-century Russia », i (...)
  • 50 Buck, « The Russian Language Question in the Imperial Academy of Sciences, 1724‑1770) ».

48Si les nobles russes voulaient apprendre le français, ils rechignaient à apprendre le latin, comme le montre encore l’exemple des jeunes aristocrates russes à Strasbourg étudiés par W. Berelowitch et R. Baudin, ainsi que d’autres recherches portant sur des institutions telles que le Corps des cadets de l’armée de terre ou l’université de Moscou48. C’est tout à fait naturellement aussi que le français, et non le latin, est devenu la langue d’enseignement principale pour les aristocrates russes à Strasbourg, comme le montrent les auteurs. En revanche, le clergé apprenait le latin, même si cette langue n’était pas directement utilisée dans le travail pastoral quotidien49. Pour les savants50 et pour les médecins, le latin demeurait également une langue importante, étroitement liée à leur identité professionnelle, comme nous le rappellent encore les mêmes auteurs. Ainsi, les études et la pratique linguistique des nobles étaient, sur ce point, à l’opposé de celles du clergé et des savants.

  • 51 Même dans le milieu du clergé : Kislova, « Le français et l’allemand dans l’éducation religieuse en (...)

49Cette opposition devenait-elle moins nette avec le temps, à mesure que de plus en plus de personnes issues de groupes sociaux autres que la noblesse apprenaient aussi le français51 ? C’est ce que suggère l’étude de H. Tardy qui montre que les étudiants de l’Académie des beaux-arts à Saint-Pétersbourg, généralement issus des milieux modestes, apprenaient systématiquement le français. Cependant, pour les futurs artistes, la maîtrise du français revêtait principalement une dimension pratique. Elle leur donnait accès à la littérature professionnelle, aux cours (certains professeurs de l’Académie des beaux-arts dispensaient leurs enseignements en français) et facilitait leur vie et leurs études lors des voyages à l’étranger. Autrement dit, les artistes n’utilisaient pas le français comme marqueur social, contrairement aux nobles.

  • 52 Sur l’asymétrie du pouvoir dans les pratiques linguistiques et en général sur le pouvoir et la lang (...)

50Cette observation est illustrée dans l’article par l’exemple de la correspondance entre le prince Aleksandr Mihajlovič Golicyn, diplomate et vice-chancelier de l’Empire, et le sculpteur Fedot Ivanovič Šubin à propos du buste du prince. Bien que les deux hommes maîtrisent le français, son utilisation dans leur correspondance est impossible, car cela aurait impliqué que Golicyn s’adresse à Šubin comme à un égal. Nous voyons donc que les positions des acteurs, mais aussi les rôles des langues se caractérisent souvent par une grande asymétrie de pouvoir52.

51Dans la correspondance diplomatique, l’usage des langues était aussi associé à des hiérarchies sociales et professionnelles, comme nous le verrons dans la section suivante.

Langues, hiérarchies et pouvoir

52Si l’usage du français dans la communication externe était prévisible, étant donné la grandissante prédominance de cette langue en diplomatie, son rôle dans la correspondance interne des diplomates russes soulève des questions.

53Dans leur article, S. Holm et V. Rjéoutski mettent en lumière les tensions générées par l’utilisation du français dans ce type de correspondance. En Suède, durant l’Ère de la liberté (1719-1772), le rôle du Parlement a augmenté, alors que certains de ses membres, lecteurs potentiels des rapports diplomatiques, ne maîtrisaient pas le français, ce qui faisait du suédois la langue préférée dans les rapports diplomatiques. Mais ces tensions étaient également liées à la symbolique du langage et à la politique linguistique. En Suède comme en Russie, les rapports diplomatiques destinés au monarque devaient être rédigés dans la langue du pays. De plus, dans la période que les auteurs explorent, les années 1720-1740, les diplomates russes respectaient généralement la règle tacite de l’utilisation du russe dans leur correspondance interne.

54Au collège des Affaires étrangères, le choix du russe comme langue de communication interne était en effet associé à une conception de la hiérarchie professionnelle, et sans doute aussi sociale. Le passage du russe au français permettait de se libérer symboliquement de ces relations hiérarchiques. Il est remarquable que, dans les années 1720-1730, les rares cas où le français remplaçait le russe dans la correspondance interne des diplomates russophones, comme le notent les auteurs, concernaient les lettres de diplomates de rang et d’origine sociale modestes, adressées à leurs collègues de rang supérieur. Le choix des langues devient ainsi un moyen de négocier les positions des interlocuteurs, mais aussi de distinguer les sphères professionnelle et sociale.

  • 53 Sur les attitudes différentes à l’égard de l’adoption du français comme langue des échanges interne (...)

55Dans le dernier tiers du siècle, l’usage du français dans les échanges internes des diplomates russes s’est étendu à un point tel que cette langue commence à être perçue comme la principale langue professionnelle des diplomates russes. Ceci  s’explique-t-il par le contexte européen dans lequel le français était devenu une lingua franca internationale ? Ce n’est pas du tout certain, car nous observons des approches différentes en Europe : les diplomates espagnols et britanniques utilisaient presque exclusivement leur propre langue dans la correspondance interne ; en Prusse, à partir des années 1740, le roi avait imposé le français à ses diplomates ; les diplomates danois échangeaient souvent en allemand, puis fréquemment en français…53

  • 54 Offord, Rjéoutski, Argent, The French Language in Russia, p. 123, 166, 170, 195, 214, 225, 573.
  • 55 Petrova, « Jazykovye praktiki rossijskih i avstrijskih diplomatov », p. 46-47 ; sur la discussion d (...)

56Nous devrions plutôt expliquer la montée du français dans la diplomatie russe par la francophonie de la haute société russe de l’époque. De nombreux diplomates étaient issus de cette société où les nobles correspondaient souvent en langue française qu’ils utilisaient même comme langue intime et familiale54, ce qui devait avoir un impact sur leur communication professionnelle. L’exemple de la correspondance du prince Dmitrij Mihajlovič Golicyn (1721-1793) qui a longtemps représenté la Russie à la cour de Vienne, avec son cousin le prince Aleksandr Mihajlovič Golicyn (1723‑1807), vice-chancelier de l’Empire russe, analysé par M.A. Petrova, est éclairant à cet égard. Leurs échanges se situent entre le personnel et le professionnel, les deux sujets étant souvent abordés dans une même lettre. La langue de D.M. Golicyn se distingue par des changements de code fréquents même à l’intérieur de la lettre et par l’absence de lien clair entre le choix de langue et le sujet abordé, à l’exception peut-être de deux sujets : la gestion des domaines, traitée habituellement en russe, et l’éducation des neveux de ces diplomates, toujours discutée en français55. Il est probable que beaucoup de diplomates perdaient une vision claire des fonctions des deux langues dans la correspondance diplomatique.

  • 56 Petrova, « Jazykovye praktiki rossijskih i avstrijskih diplomatov », p. 49-53.

57De ce point de vue, dans la seconde moitié du siècle, il existe une différence nette entre les pratiques de langue des diplomates russes et celles des diplomates autrichiens, comme le montre encore M.A. Petrova. Ces derniers écrivent leurs rapports officiels de préférence en allemand, alors qu’ils utilisent souvent le français dans leurs missives semi-officielles adressées à Joseph II, au chancelier Wenzel Anton, prince von Kaunitz, ou au vice-chancelier Johann Ludwig, comte von Cobenzl56. De cette façon, la frontière entre les différents types de correspondance diplomatique est délimitée par le choix de langue, tout comme dans la diplomatie suédoise dans la première moitié du siècle, comme le montre S. Holm.

  • 57 N.I. Himina, Gosudarstvennost´ Rossii. Slovar´-spravočnik [La souverainteté de la Russie. Dictionna (...)

58L’utilisation plus fréquente du français par certains diplomates russes même dans les rapports adressés au monarque a suscité une réaction virulente de Catherine II. En 1787, l’impératrice émet un oukase exigeant que ces rapports diplomatiques soient soumis dans la langue maternelle du diplomate57. Autrement dit, les diplomates russophones devaient dorénavant les rédiger en russe et non en français. Ce n’est sans doute pas une coïncidence si cet oukase fut promulgué à une époque où les autorités russes soutenaient la langue russe, notamment dans les établissements d’enseignement, et où l’Académie russe fut créée (1783) sur le modèle de l’Académie française afin de défendre et de promouvoir la langue du pays. Malgré ces mesures, vers la fin du siècle, le russe céda ses positions en tant que langue de correspondance interne dans la diplomatie russe, laissant le français devenir la langue professionnelle par excellence des diplomates russes.

  • 58 Sur la relation entre « langue » et « nation » en Europe avant le xixe siècle, voir par exemple : B (...)
  • 59 Même si on peut voir à cet égard quelques changements au début du xixe siècle, comme en témoigne l’ (...)

59Vers la fin de cette période, on observe donc, d’une part, l’affirmation des idées qui associent la pratique linguistique à l’identité nationale, préfigurant ainsi le nationalisme du xixe siècle58 ; d’autre part, l’attachement traditionnel d’une partie de la noblesse russe à une idée de la langue qui ne liait pas l’usage d’une langue, fût-il public ou intime, aux sentiments patriotiques. Cette noblesse perpétuait ainsi le rôle prédominant du français comme principale langue d’accès au savoir et reléguait le russe au second plan dans l’éducation59. Les auteurs des études publiées dans ce numéro ne constatent pas de rejet de l’usage des langues étrangères dans la correspondance interne des diplomates, même si force est de constater que, dans les années 1720-1740, les diplomates russophones de haut rang évitaient généralement d’utiliser le français dans ce genre de communication.

  • 60 Ekaterina Basargina, Proekty akademičeskoj reformy 1855-1917 gg. [Les projets de la réforme de l’Ac (...)

60Même à l’ère des nationalismes, la pratique de langue dans certains milieux professionnels en Russie échappe à cette idéologisation. Au xixe siècle, cela se manifeste par l’usage continu du français dans le domaine diplomatique, y compris dans la correspondance interne des diplomates russes. Cette pratique persistait à cause de la position toujours dominante du français dans l’éducation nobiliaire et dans la vie sociale de la grande noblesse, mais certainement aussi parce que le français était dorénavant considéré comme la langue professionnelle par excellence de la diplomatie russe. De même, l’allemand connaissait un renouveau à l’Académie des sciences et dans le monde universitaire russe, reflétant à la fois l’influence croissante de la science allemande et la présence de savants originaires des provinces baltes60.

La traduction et la genèse de la langue professionnelle

  • 61 Citons à titre d’exemple une étude sur le transfert des termes architecturaux du français vers le r (...)
  • 62 G.I. Smagina, « Publičnye lekcii Sankt-Peterburgskoj Akademii nauk vo vtoroj polovine XVIII v. » [L (...)
  • 63 « Nauki perenesutsja na naš jazyk ». RGIA (Rossiskij gosudartvennyj istoričeskij arhiv – Archives h (...)

61L’apparition et l’assimilation des terminologies spécialisées jouent un rôle important dans la formation des professionnels et le fonctionnement de différentes professions61. Au xviiie siècle, plusieurs Russes ressentaient un manque flagrant de termes spécialisés dans leur langue. Ainsi, dans les années 1780, l’académicien Nikolaj Jakovlevič Ozereckovskij déclina la proposition de la directrice de l’Académie des sciences, la princesse Ekaterina Daškova, de donner des conférences publiques de botanique en russe, invoquant l’absence de la terminologie nécessaire dans la langue russe62. La transition vers l’enseignement en russe, notamment à l’université, dans la seconde moitié du xviiie siècle, avait probablement pour objectif non seulement d’améliorer l’efficacité de l’enseignement et d’élargir la base sociale de l’éducation universitaire, mais aussi de former une terminologie russe dans les principales disciplines scientifiques. En écrivant que « les sciences s’exprimeront dans notre langue »63, Ekaterina Daškova parlait sans doute aussi du développement de la terminologie scientifique dans la langue russe.

  • 64 Voir le site internet du projet : https://krp.dhi-moskau.org/ (consulté le 6.04.2024).
  • 65 Il convient de noter que ces textes étaient traduits presque exclusivement à partir des langues d’E (...)

62La formation de la terminologie était étroitement liée à l’activité de traduction. Comme l’a démontré le projet de l’Institut historique allemand à Moscou sur la traduction des textes socio-politiques64, les traducteurs introduisaient régulièrement de nouveaux termes par le biais de leurs traductions. La formation du vocabulaire professionnel par la traduction était en quelque sorte un produit annexe de cette activité, les principaux objectifs des traducteurs et des éditeurs étant de familiariser le public avec les œuvres d’auteurs étrangers ou de pallier le manque d’œuvres originales en russe65.

  • 66 N.A. Smirnov, Zapadnoe vlijanie na russkij jazyk v Petrovskuju epohu [L’influence occidentale sur l (...)

63L’époque de Pierre Ier a été marquée par une traduction et une adaptation massive de nouveaux termes66. Comme le montre D. Sdvizhkov dans son article, de nombreuses traductions de la littérature militaire sous le règne de Pierre Ier s’expliquent par les besoins pressants de la Russie qui s’ouvrait au monde occidental et avait besoin des technologies européennes. À cette époque, la grande majorité des publications russes sur les affaires militaires étaient en effet des traductions. Cependant, nous dit D. Sdvizhkov, avec l’apparition d’auteurs russes écrivant sur ce sujet, à l’époque de Catherine II, ce ratio change et environ 15% seulement des publications militaires (au sens large) sont des traductions.

  • 67 Voir pour plus de détails : S.V. Pol´skoj, « Rukopisnyj perevod i formirovanie svetskogo političesk (...)
  • 68 Juste un exemple concernant le domaine diplomatique, mentionné plus haut : Petrova, « P.A. Levašev (...)

64La forme et la signification des concepts créés dans le processus de traduction étaient largement influencées par la culture générale et par l’expérience sociale du traducteur. En Russie à cette époque, nous voyons une grande diversité de cultures de traduction : le clergé, les clercs des collèges, les nobles ne traduisaient pas de la même manière, mais choisissaient des mots dans des sphères de langue qui leur étaient plus familières67. Les traductions de textes importants pour telle ou telle profession n’étaient pas toujours faites par des personnes exerçant ces professions, mais de tels cas n’étaient pas non plus très rares et peuvent nous donner un aperçu du travail des professionnels réfléchissant sur l’emploi de la terminologie dans leur domaine68.

  • 69 Il existe beaucoup d’études sur les emprunts dans la langue russe, particulièrement dans la période (...)
  • 70 Quelques exemples tirés de leur correspondance : akceptacija, akcessija, aprobacija, difikulty, kor (...)

65Les terminologies professionnelles n’ont pas été créées uniquement dans le processus de traduction, mais aussi dans l’acte même de rédaction de textes en russe. Les diplomates russes, qui rédigeaient des rapports en russe (pratique courante dans la diplomatie russe au début du siècle), faisaient largement usage de termes empruntés69. Par exemple, le prince Ivan Andreevič Ščerbatov, représentant la Russie en Espagne, et Aleksej Vešnjakov, consul de Russie à Cadix, parsemaient leur correspondance des années 1720 de nombreux emprunts au français70. Seuls certains de ces termes faisaient référence à des concepts diplomatiques, autrement dit, le processus d’emprunt dépassait la sphère strictement professionnelle. Certains de ces mots n’existaient sans doute pas dans la langue russe de l’époque et étaient créés par les diplomates eux-mêmes lors de la rédaction de leurs lettres.

66Les langues professionnelles, comme le fait remarquer D. Sdvizhkov, s’appuient sur des modèles terminologiques différents. Ainsi, les terminologies militaire et diplomatique dans la langue russe étaient nourries principalement par des termes allemands dans le premier cas et français dans le second. Elles fournissent donc un bon exemple de la variété des orientations culturelles, même si, dans la sphère militaire, l’apport français a aussi augmenté avec le temps, notamment par le canal des traductions. L’auteur souligne également que le vocabulaire militaire russe du xviiie siècle se caractérise par un eurocentrisme prévalent par rapport à la langue du xviie siècle, bien que certains emprunts aux langues asiatiques de l’époque antérieure se soient maintenus longtemps dans la langue. Les emprunts des termes étrangers n’étaient pas toujours acceptés par les professionnels et provoquaient parfois le rejet des puristes même avant la vague du patriotisme linguistique de la seconde moitié du xviiie siècle qui se caractérisait par l’entrée dans la langue militaire de plusieurs termes russes, comme le montre l’auteur.

67Certaines des études présentées ici abordent d’autres aspects de la traduction en diplomatie. Ainsi, Y. Larina examine comment la situation avec les traducteurs aux Affaires étrangères russes à l’époque du congrès d’Åland a influencé le choix de la langue des négociations et a imposé des contraintes qui ont compliqué le travail des négociateurs, d’autant plus que ceux-ci attachaient une grande importance à l’exactitude de la traduction de certains termes et de la titulature. Cette étude pose avec acuité la question de l’organisation du travail des traducteurs et du recrutement au département des Affaires étrangères russe de cette époque, mais montre aussi la capacité des diplomates à contourner ces difficultés en faisant des concessions sur le plan du cérémonial diplomatique.

68M.A. Petrova aborde une autre question importante en relation avec la traduction diplomatique. La présence de plusieurs étrangers, souvent germanophones, à des postes élevés dans la diplomatie russe entraînait une augmentation du volume des traductions car certains de ces étrangers ne maîtrisaient pas le russe ou n’en avaient pas une connaissance suffisante. La chercheuse montre que, pendant les années 1740-1780, on évoque le besoin de réduire le volume de telles traductions ou de s’en passer complètement en écrivant toutes les dépêches en russe. Ce désir s’explique probablement par le fait que, dans la seconde moitié du siècle, comme nous l’avons indiqué plus haut, l’allemand était moins connu dans le milieu de l’aristocratie russe et, de plus, la traduction constante des rapports surchargeait les traducteurs et pouvait potentiellement introduire des erreurs et des imprécisions. Le collège des Affaires étrangères voulait-il faire du russe la principale, voire la seule langue de la correspondance interne ? Ce n’est pas clair, mais il est évident que la tendance allait dans le sens de l’usage plus fréquent du français dans ce type de correspondance ce qui avait de nombreux avantages, le français étant dorénavant très bien maîtrisé par tout le personnel diplomatique supérieur en Russie. L’étude de M.A. Petrova suggère donc que les questions des compétences linguistiques du personnel diplomatique, des politiques linguistiques et de la traduction diplomatique ne doivent pas être étudiées séparément.

Conclusion

69Les études publiées dans ce numéro montrent que, tant les professions traditionnelles pour la noblesse russe, telles que la diplomatie et l’armée, que celles embrassées par des représentants des couches plus modestes, médecins ou artistes, étaient, au xviiie siècle, confrontées à la nécessité de maîtriser et de pratiquer, d’une façon ou d’une autre, les langues étrangères. Cependant, ce numéro thématique ne se limite pas au rôle des langues étrangères. Il pose aussi la question de la place du russe dans l’éducation et dans la vie professionnelle et sociale.

70Les aristocrates, la petite noblesse et les roturiers, tous valorisaient certaines langues et développaient des liens entre ces langues et leurs identités sociale et professionnelle, comme W. Berelowitch, R. Baudin et H. Tardy le montrent dans leurs articles. Les idées sur l’utilisation des langues étaient rarement explicitement exprimées à l’époque, cependant, les choix linguistiques des acteurs créaient des oppositions socio-professionnelles, tout en maintenant des canaux d’interaction entre différents groupes. La mesure dans laquelle ces oppositions étaient ressenties et cultivées par les professionnels de l’époque mérite une exploration plus approfondie.

71Analysé sous le prisme de l’usage des langues, le cas de la diplomatie est particulièrement intéressant. Ce métier a un caractère double. D’une part, le diplomate est tourné vers le monde extérieur et, à ce titre, il est sujet aux influences de la cour à laquelle il se trouve et de la culture diplomatique, régionale ou pan-européenne. Mais, d’autre part, la diplomatie est, on l’oublie parfois, une branche de l’administration d’État qui dépend de la culture de gouvernance de son pays et porte l’empreinte des structures sociales de celui-ci.

  • 71 Sur les langues qui pouvaient être utilisées en fonction du destinataire et du type de correspondan (...)

72Cette double nature se reflète dans l’usage des langues par les diplomates. Alors qu’ils sont poussés à interagir avec leurs collègues étrangers et leur cour d’accueil dans les langues préférées par ceux-ci, ils sont contraints de communiquer avec leurs supérieurs hiérarchiques et leur monarque en utilisant la ou les langues traditionnelles pour ce genre de communication, et la langue du pays, en l’occurrence le russe, est souvent le médium préféré pour ce genre d’échanges71.

73Les auteurs suggèrent que, face au système bureaucratique qui leur dictait certaines règles du jeu, les acteurs développaient leurs propres stratégies linguistiques. W. Berelowitch et R. Baudin, mais aussi M.A. Petrova, S. Holm et V. Rjéoutski montrent l’action de ces stratégies dans l’éducation et dans la vie professionnelle. L’abandon progressif de l’allemand, le refus du latin et l’engouement pour le français dans le milieu de la noblesse russe sont autant d’exemples des politiques linguistiques propres à ces acteurs, qui allaient parfois à l’encontre de celles affichées par les autorités. Si la francophonie poussée à l’extrême de la grande noblesse russe ne faisait pas partie des politiques linguistiques de l’État, elle a indéniablement contribué au succès du projet impérial russe, particulièrement dans la création d’une grande diplomatie répondant au nouveau statut de la Russie sur la scène internationale.

74La mise en place, par les Affaires étrangères russes, des programmes de formation à l’étranger comme à l’intérieur de la Russie présuppose une circulation d’idées exprimées, entre autres, dans les traités sur le « parfait ambassadeur », dont ceux de Wicquefort et de Callières étaient connus en Russie. Nous en savons encore relativement peu sur la circulation de telles idées, alors que, comme nous pouvons le supposer, la traduction et la correspondance diplomatiques pouvaient en être des canaux privilégiés.

75Mais il semble clair, comme le montre M. Shikulo, que ces politiques étaient le fruit d’une réflexion sur les besoins du service diplomatique, dont la portée nous est encore relativement peu connue. Sans vouloir appliquer à ce processus le terme de « professionnalisation », anachronique par rapport aux réalités du xviiie siècle russe, et qui nous fait juger les phénomènes du passé avec des critères de notre époque, il faut souligner l’existence de cette réflexion sur la préparation du diplomate à son métier, qui, comme le montrent les auteurs, concerne en Russie plutôt le personnel de niveau moyen et bas.

  • 72 Les traducteurs et interprètes ont parfois été assimilés aux diplomates : Ruth A. Roland, Interpret (...)

76Si le haut personnel diplomatique est moins touché par ces exigences, c’est, nous semble-t-il, parce que la figure de l’aristocrate – avec son éducation souvent assez vaste quoique peu spécialisée, ses bonnes capacités de socialisation dans les cercles de la cour et sa maîtrise du français – convenait plutôt bien aux types de contacts que l’emploi d’ambassadeur ou de ministre présupposait à cette époque. Le personnel subalterne pouvait se charger des tâches spécifiques qui incluaient bien sûr la traduction, mais aussi certains contacts, voire la correspondance diplomatique, sans qu’on comprenne bien pour l’instant le degré d’implication de ce personnel dans ces différentes fonctions72.

77La traduction reste, tout au long du siècle, une activité essentielle pour nombre de professions. Elle est au cœur du métier du diplomate, comme le rappellent Y. Larina et M.A. Petrova : elle est le gage d’une bonne compréhension lors des négociations ; elle est aussi un outil de communication à l’intérieur du corps diplomatique russe qui se caractérise, pendant tout le siècle, par un certain degré de multilinguisme et de multiculturalisme ; elle est, enfin, l’un des principaux outils de constitution de terminologies professionnelles. Ce dernier phénomène n’est évidemment pas limité à la diplomatie : D. Sdvizhkov rappelle l’importance de la traduction dans l’évolution, y compris terminologique, de la langue militaire en Russie, liée à la spécialisation des domaines professionnels.

78Il reste encore beaucoup à apprendre sur le rôle des acteurs dans la constitution des terminologies professionnelles. Sont-ce les professionnels ou les traducteurs qui ont le plus contribué à l’enrichissement de la terminologie professionnelle de leur domaine ? L’intensité de cette activité dépendait-elle de la culture des acteurs ou des normes linguistiques et professionnelles de l’époque, plus ou moins permissives quant aux emprunts à d’autres langues ? La part des néologismes était-elle particulièrement importante dans la correspondance diplomatique des premières décennies du xviiie siècle ? Quand peut-on parler de la consolidation des terminologies dans tel ou tel domaine professionnel ? Par leur orientation culturelle et linguistique, les terminologies diplomatique et militaire dans la langue russe étaient-elles similaires aux terminologies correspondantes dans les principales langues européennes ? Ce sont autant de voies d’exploration futures que les articles publiés ici permettent de tracer.

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Notes

1 Ma traduction de l’anglais. Peter Burke, « Introduction », in Peter Burke & Roy Potter, eds., The Social History of Language, Cambridge, 1987, p. 18.

2 Ma traduction de l’anglais. José Del Valle, « Language, politics and history », in José Del Valle, ed., A Political History of Spanish. The Making of a Language, Cambridge : Cambridge University Press, 2013, p. 11.

3 Le projet est soutenu par la Fondation scientifique russe (Rossijskij naučnyj fond) et par la Fondation allemande pour la recherche (Deutsche Forschungsgemeinschaft). Il a été coordonné du côté russe par Igor Fedyukin (2022-2023, ShanghaiTech University), et, depuis 2023, par Aleksandr Kamenskii (Haute École d’économie, Moscou) ; du côté allemand par Vladislav Rjéoutski (2022-2025, Institut historique allemand à Paris).

4 Étant donné ce lien avec notre projet de recherche portant sur la diplomatie, cette introduction se concentrera principalement sur cette « profession ». Pour les pratiques de langue d’autres professions importantes pour le xviiie siècle russe, qui ne sont pas explorées dans les articles publiés ici, telles que le clergé, les marchands ou les savants, les lecteurs peuvent se reporter aux études suivantes : (le clergé :) E. Kislova, «Le français et l’allemand dans l’éducation religieuse en Russie au xviiie siècle», ВИВЛIОθИКА: E-Journal of Eighteenth-Century Russian Studies, 1, 2013, p. 48-74 ; Idem, « Polish language and literature in Russian seminaries in the 18th century », in Rubio E. Gutierrez, M. Falkowska, E. Kislova, M. Stepien, Hg., Beiträge zum 18. Arbeitstreffen der Europäischen Slavistischen Linguistik (Polyslav), Wiesbaden : Otto Harrassowitz, 2015, S. 88-96 ; Idem, « “Latin” and “Slavonic” Education in the Primary classes of Russian 18th century seminaries », Slověne = Словѣне. International Journal of Slavic Studies, 4(2), 2015, p. 72-91 ; Idem, « Francuzskij jazyk v russkih seminarijah XVIII veka : iz istorii kul´turnyh kontaktov [La langue française dans les séminaires russes du xviiie siècle : histoire des contacts culturels] », Vestnik Pravoslavnogo Svjato-Tihonovskogo Gumanitarnogo Universiteta, série Philologie, 2015, no. 4 (44), p. 16-34 ; Idem, « Deutsch als Sprache der Aufklärung an den russischen Seminarien im 18. Jahrhundert: zur Geschichte der kulturellen Kontakte », in Albrecht von Beutel, Martha Nooke, Hg., Religion und Aufklärung. Akten des Ersten Internationalen Kongresses zur Erforschung der Aufklärungstheologie, Münster, 30. März bis 2. April 2014, Tübingen : Mohr Siebeck, 2016, S. 327-336 ; Idem, « Iz istorii lingvističeskoj kompetencii duhovenstva XVIII v. : učitelja jevropejskih jazykov v russkih seminarijah » [De l’histoire des compétences linguistiques du clergé du xviiisiècle : les enseignants des langues européennes dans les séminaires russes], Vestnik Moskovskogo universiteta, série 9, Philologie, 2016, n° 2, p. 61-76 ; Idem, « Latin as the language of the orthodox clergy in eighteenth-century Russia », in Vladislav Rjéoutski, Willem Frijhoff, eds., Language Choice in Enlightenment Europe, Amsterdam : AUP, 2018, p. 191-224 ; Ekaterina Kislova, Tatiana Kostina, Vladislav Rjeoutski, « Learning Grammar in Eighteenth-Century Russia », in Simon Coffey, ed., The History of Grammar in Foreign Language Teaching, Amsterdam : AUP, 2020, p. 133–154. Voir aussi le blog: https://churchlang.hypotheses.org/ (consulté le 4.03.2024). (Les savants :) Christopher Buck, « The Russian Language Question in the Imperial Academy of Sciences, 1724–1770) », in Riccardo Picchio and Harvey Goldblatt, eds., Aspects of the Slavic Language Question, New Haven : Yale Concilium on International and Area Studies, 1984, p. 187-233 ; Derek Offord, Vladislav Rjéoutski, Gesine Argent, The French Language in Russia : A Social, Political, Cultural, and Literary History, Amsterdam, AUP, 2018, p. 312‑326. (Les marchands :) N.V. Kozlova, « Organizacija kommerčeskogo obrazovanija v Rossii XVIII veka » [L’organisation de l’éducation des commerçants au xviiisiècle], Istoričeskie zapiski, n° 19, М. : Nauka, 1989, p. 288‑314 ; Idem, Rossijskij absoljutizm i kupečestvo v XVIII veke [Absolutisme russe et marchands au xviiisiècle], М. : Arheografičeskij centr, 1999.

5 Je ne suis pas au courant de l’existence d’études spécialement consacrées à l’origine des professions et à la genèse de la notion de « profession » en Russie au xviiisiècle. Pour le monde occidental, parmi les études importantes de cette branche de recherche, citons : Magali Sarfatti Larson, The Rise of Professionalism : A Sociological Analysis, Berkeley : University of California Press, 1979 ; Andrew Abbott, The System of Professions : An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, IL : University of Chicago Press, 1983 ; Eliot Freidson, Professional Powers : A Study of the Institutionalization of Formal Knowledge, Chicago, IL : University of Chicago Press, 1986 ; et, plus récemment, un ouvrage axé plus spécialement sur l’Allemagne : Jörg-Peter Pahl, Berufe, Berufswissenschaft und Berufbildungswissenschaft, Bielfeld : W. Bertelsmann Verlag, 2017.

6 Voir : https://ruscorpora.ru/; https://krp.dhi-moskau.org (consulté le 4.03.2024).

7 AVPRI (Arhiv vnešnej politiki Rosijskoj imperii – Archives de la politique extérieure de l’empire de Russie), f. 32, op. 1, d. 4a, f. 50 (1753). Je remercie Maria A. Petrova d’avoir attiré mon attention sur ce document.

8 Abbott, The System of Professions ; Freidson, Professionalism.

9 Pour une récente mise au point sur le recrutement de spécialistes étrangers (particulièrement francophones) par la Russie sous le règne de Pierre Ier, on peut se reporter à : V. Ržeutskij, D. Guzevič [V. Rjéoutski, D. Gouzévitch], dir., Inostrannye specialisty v Rossii v epohu Petra I. Biografičeskij slovar’ vyhodcev iz Franciii, Švejcarii i drugih frankojazyčnyh regionov Evropy [Les spécialistes étrangers en Russie à l’époque de Pierre Ier. Dictionnaire biographique des ressortissants de France, Suisse et d’autres régions francophones d’Europe], M. : Lomonossov, 2019. Sur le rôle des étrangers dans l’enseignement des langues en Russie à la même époque, voir : Vladislav Rjeoutski, « Migrants and language learning in Russia (late seventeenth–first part of eighteenth century) », Paedagogica Historica, 54 (6), 2018, p. 691-703, URL : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1080/00309230.2018.1521848 (consulté le 9.03.2024).

10 A.V. Beljakov, Služaščie Posol´skogo prikaza 1645-1682 g. [Le personnel de la Chancellerie des ambassadeurs en 1645-1682], SPb. : Nestor-Istorija, 2017 ; A.V. Beljakov, A.G. Gus´kov, D.V. Lisejtsev, S.M. Šamin, Perevodčiki Posol´skogo prikaza v XVII v. : materialy k slovarju [Les traducteurs de la Chancellerie des ambassadeurs, matériaux pour un dictionnaire biographique], M. : Indrik, 2021 ; Daniel C. Waugh, Ingrid Maier, Cross-Cultural Communication in Early Modern Russia : Foreign News in Context, Seattle – Uppsala, 2023, et d’autres travaux.

11 Vladislav Rjéoutski, « Les écoles étrangères dans la société russe au siècle des Lumières », Cahiers du monde russe, 46 (3), 2005, p. 473-528 ; I. Fedjukin, M. Lavrinovič, « Reguljarnaja akademija učreždena budet… »: Obrazovatel´nye proekty v Rossii v pervoj polovine XVIII veka [« Une académie régulière va être fondée… » : les projets éducatifs en Russie au xviiie siècle], M. : Novoe izdatel´stvo, 2015 ; Vladislav Rjéoutski, dir., Quand le français gouvernait la Russie. L’éducation de la noblesse russe 1750-1880, P. : L’Harmattan, 2016.

12 Anna Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle. Genèse et fonctionnement du collège des Affaires étrangères, thèse de doctorat, Paris : EHESS, 2002, p. 200-201.

13 Voir par exemple : Dan Altbauer, « The diplomats of Peter the Great », Jahrbücher für Geschichte Osteuropas, Neue Folge, 1980, Bd. 28, H. 1, S. 1-16.

14 Cette étude prolonge celles qui sont déjà devenues classiques : Jürgen Voss, « Les étudiants de l’Empire russe à l’université de Strasbourg au xviiie siècle », in C. Grau, S. Karp, J. Voss, hrsg., Deutsch-russische Beziehungen im 18. Jahrundert. Kultur, Wissenschaft und Diplomatie, Wiesbaden : Harrasowitz, 1997, S. 353-373 ; Wladimir Berelowitch, « La France dans le « Grand Tour » des nobles russes au cours de la seconde moitié du xviiie siècle », Cahiers du monde russe et soviétique, XXXIV (1-2), 1993, p. 193-209 ; A.Ju. Andreev, Russkie studenty v nemeckih universitetah XVIII – pervoj poloviny ХIХ v. [Les étudiants russes dans les universités allemandes au xviiie – première moitié du xixe siècle], M. : Znak, 2005.

15 Mais il y a aussi quelques exemples de nobles qui se rendaient à l’étranger de leur propre gré : Vladislav Ržeuckij [Rjéoutski], « Meždu Rossiej i Zapadnoj Evropoj ; diplomatičeskie jazyki rossijskogo predstavitelja pri ispanskom dvore knjazja Ivana Ščerbatova » [Entre la Russie et l’Europe occidentale : les langues diplomatiques du représentant russe à la cour d’Espagne, le prince Ivan Ščerbatov], Quaestio Rossica, 11 (4) 2023, p. 1215-1231. URL : https://qr.urfu.ru/ojs/index.php/qr/article/view/qr.843/3616 (consulté 9.03.2024).

16 Notons cependant que toutes les traductions dans les domaines spécialisés n’étaient évidemment pas initiées par l’État. Voir à titre d’exemple sur les initiatives privées de traduction dans les domaines militaire, diplomatique et juridique : O. Rusakovskij, « Dva perevoda “Taktiki” imperatora L´va v Rossii rubeža XVII-XVIII vekov » [Deux traductions de la « Tactique » de l’empereur Léon en Russie au tournant du xviiie siècle], in S.V. Pol´skoj, V.S. Ržeutskij, eds., Laboratorija ponjatij : perevod i jazyki politiki v Rossii XVIII veka [Laboratoire des concepts : la traduction et les langues de la politique en Russie au xviiie siècle], M. : NovoeLiteraturnoe Obozrenie, 2022, p. 376-404 ; Marija A. Petrova, « P.A. Levašev i ego perevod traktata Fransua de Kal´jera “Kakim obrazom dogovarivat´sja s gosudarjami” » [P.A. Levašev et sa traduction du traité de François de Callières « De la manière de négocier avec les souverains »], ibid., p. 444-468 ; Elena Borodina, Mišel Tis´e [Michel Tissier], « “Ko blagu moih sootečestvennikov i ko usoveršenstvovaniju poznanij” sudej: inostrannaja literatura o justicii v perevodah Vasilija Novikova » [« Pour le bien de mes compatriotes et pour l’amélioration du savoir » des juges : la littérature étrangère sur la justice dans les traductions de Vasilij Novikov], ibid., p. 501-535.

17 Voir Offord, Rjéoutski, Argent, The French Language in Russia, ch. 2.

18 S.V. Pol´skoj, V.S. Ržeuckij, « Perevod i razvitie političeskogo jazyka v Rossii XVIII veka » [La traduction et le développement de la langue politique dans la Russie du xviiie siècle], in Pol´skoj, Ržeutskij, dir., Laboratorija ponjatij, p. 60-61.

19 Ingrid Cáceres Würsig, Historia de la traducción en la administración y en las relaciones internacionales en España (s. XVI-XIX), Vertere, Monosgráficos de la revista Hermeneus, 2004, ch. 5; Heidrun Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’. The Theory and Practice of Diplomacy in the Century following the Peace of Westphalia, PhD, Magdalen College, 2006, p. 168‑169.

20 Sur l’Académie politique, voir : H. Keens-Soper, « The French Political Academy : A School for Ambassadors », European Studies Review, 2, 1972, p. 329-355 ; Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, p. 169-184. Sur l’éducation des diplomates occidentaux en général, voir aussi : Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, P. : Fayard, 1990, p. 322‑330 ; Guido Braun, « La formation des diplomates à l’époque moderne », Revue d’histoire diplomatique, n° 128, 2014, p. 231-249.

21 Kozlova, Rossijskij absoljutizm i kupečestvo, p. 215, 336, 343, 345, etc. ; Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle, p. 197, 203-204.

22 Voici seulement quelques exemples : Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle ; Diana Carrió-Invernizzi, « A new diplomatic history and the networks of Spanish diplomacy in the Baroque Era », The International History Review, 36 (4), 2014, p. 603-618 ; Birgit Tremml-Werner, Dorothée Goetze, « A Multitude of Actors in Early Modern Diplomacy », Journal of early modern history 23, 2019, p. 407-422 ; André J. Krischer, Hillard von Thiessen, « Diplomacy in a Global Early Modernity : The Ambiguity of Sovereignty », The Internatonal History Review, 41 (5), 2019, p. 1100–1107, URL: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.1080/07075332.2018.1536674 (consulté le 12.3.2024) ; Matthias Pohlig, « Gender and the Formalisation of Diplomacy in Early Modern Europe », The International History Review, 44 (5), 2022, p. 1062-1076, URL : https://0-www-tandfonline-com.catalogue.libraries.london.ac.uk/doi/full/10.1080/07075332.2021.1924830 (consulté le 12.3.2024) ; Julia Gebke, « New Diplomatic History and the Multi-Layered Diversity of Early Modern Diplomacy », in Dorothée Goetze, Lena Oetzel, eds., Early Modern European Diplomacy : A Handbook, Berlin – Boston, Walter de Gruyter GmbH, 2023, p. 27-47 ; Petrova, « The Diplomatic Service in Early Modern Russia », in ibid., p. 272-290, etc.

23 Parmi les études qui abordent cette question, citons aussi : Didier Ozanam, Les diplomates espagnols du xviiie siècle. Introduction et répertoire biographique (1700-1808), Madrid – Bordeaux : Casa de Velasquez – Maison des Pays Ibériques, 1998 ; Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, Part IV ; H.M. Scott, « Diplomatic Culture in Old Regime Europe », Cultures of Power in Europe during the Long Eighteenth Century, Cambridge : Cambridge University Press, 2007, p. 58-85, particulièrement section V ; Christian Jörg, Michael Jucker, Hg., Spezialisierung und Professionalisierung. Träger und Foren städtischer Aussenpolitik während des späten Mittelalters und der frühen Neuzeit, Wiesbaden : Reichert (Trierer Beiträge zur den historischen Kulturwissenschaften, 1), 2010.

24 Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, p. 160, 164-165 ; sur une image « uniforme » d’un diplomate chez les théoriciens de la diplomatie, voir : Scott, « Diplomatic Culture in Old Regime Europe », p. 62-65, 73.

25 Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle, p. 208-209. Cependant, ces réflexions se rapportent à une période bien plus tardive, la seconde moitié du xviiie siècle.

26 Tracey A. Sowerby, « Early Modern Diplomatic History », History Compass, 14 (9), 2016, p. 441-456, ici p. 443 ; Lucien Bély, La société des princes, xvie-xviiie siècles, P. : Fayard, 1999.

27 Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, p. 163.

28 Jan Hennings, Tracey A. Sowerby, « Introduction. Practices of diplomacy », in Tracey A. Sowerby, Jan Hennings, eds., Practices of Diplomacy in the Early Modern World c. 1410‑1800, London – New York : Routledge, 2019, p. 1-21, ici p. 2 ; Lisa Hellman, Birgit Tremml-Werner, « Translation in Action : Global Intellectual History and Early Modern Diplomacy », Journal of the history of the ideas, 82 (3), 2021, p. 453-467, ici p. 454, 462.

29 Voir sur cette question et sur le tournant culturel dans la récente histoire diplomatique en général : Hennings, Sowerby, « Introduction. Practices of diplomacy ».

30 Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, p. 167.

31 Hillard von Thiessen, « Diplomatie vom type ancien: Überlegungen zu einem Idealtypus des frühneuzeitlichen Gesandtschaftswesens », in Hillard von Thiessen, Christian Windler, Hrsg., Akteure der Außenbeziehungen. Netzwerke und Interkulturalität im historischen Wandel, Köln : Böhlau Verlag, 2010, p. 471-503.

32 Cependant, certains pays avaient des pratiques différentes dans ce domaine, comme les Pays-Bas, la Grande Bretagne ou la Prusse : Scott, « Diplomatic Culture in Old Regime Europe », p. 74.

33 C’est ce que note aussi A. Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle, p. 205.

34 Ržeuckij, « Meždu Rossiej i Zapadnoj Evropoj ».

35 Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle, p. 209.

36 AVPRI, f. 2/6, d. 1676.

37 Sur l’orientation nobiliaire de l’école de Glück, voir : Vladislav Rjéoutski, « Die französische Sprache in der Adelserziehung der Regierungszeit Peters I.: Professionelle Sprache oder Charakteristikum der sozialen Identität? », in Helmut Glück, Mark Häberlein, Andreas Flurschütz da Cruz, Hg., Adel und Mehrsprachigkeit in der Frühen Neuzeit: Ziele, Formen und Praktiken des Erwerbs und Gebrauchs von Fremdsprachen, Wiesbaden : Harrasowitz, S. 179‑201. Sur Ernst Glück et son école en général, voir : Helmut Glück, Ineta Polanska, Johann Ernst Glück. (1654–1705). Pastor, Philologe, Volksaufklärer im Baltikum und in Russland, Wiesbaden : Harrasowitz, 2005. Sur la formation du futur personnel diplomatique de niveau bas et moyen à l’Académie politique, voir Kugeler, ‘Le Parfait Ambassadeur’, p. 166‑184 ; Braun, « La formation des diplomates à l’époque moderne », p. 238.

38 Il est aussi pertinent de noter que très peu d’élèves formés à l’école de Glück ont ensuite travaillé pour les Affaires étrangères. Joukovskaïa, Le service diplomatique russe au xviiie siècle, p. 199.

39 Sur l’allemand dans les collèges et le recrutement de clercs maîtrisant l’allemand à l’époque de Pierre Ier, voir : Kristine Koch (Dahmen), Deutsch als Fremdsprache im Ruβland des 18. Jahrhunderts. Ein Beitrag zur Geschichte des Fremdsprachenlernens in Europa und zu den deutsch-russischen Beziehungen, Berlin – New York: De Gruyter, 2002, S. 56-57.

40 Sur le rôle de l’allemand dans les relations diplomatiques entre la Russie et la Suède, voir l’article de Yana Larina dans ce numéro.

41 V. Ržeuckij, I. Fedjukin, V. Berelovič [V. Rjéoutski, I. Fedyukin, W. Berelowitch], dir., Ideal vospitanija dvorjanstva v Evrope XVIIXIX veka [L’idéal d’éducation de la noblesse en Europe, xviie-xixe s.], M. : Novoe Literaturnoe Obozrenie, 2018.

42 Par exemple au théâtre de la cour : Alexei Evstratov, Les Spectacles francophones à la cour de Russie (1743–1796) : l’invention d’une société, Oxford : Voltaire Foundation, 2016. Sur le français à la cour de Russie en général, voir Offord, Rjéoutski, Argent, The French Language in Russia, ch. 3.

43 Le décret du 9 septembre 1773 prescrit aux établissements d’enseignement de donner la préférence à l’allemand par rapport aux autres langues. Polnoe sobranie zakonov [Recueil complet des lois], vol. 19, p. 818-819, n° 14036.

44 Ce qui est reflété dans le nouveau règlement du Corps des cadets : [Beckoj], Ustav imperatorskogo šljahetnogo suhoputnogo kadetskogo korpusa [Règlement du Corps impérial des cadets nobles], SPb. : Tip. Suhoputnogo kadetskogo korpusa, 1766, 2e pagination, p. 50.

45 Sur le français comme un marqueur social pour la noblesse russe, voir : Offord, Rjéoutski, Argent, The French Language in Russia, p. 214, 215, 243, 582.

46 I. Fedjukin [I. Fedyukin], « «Ot oboih istinnoe šljahetstvo» : Suhoputnyj kadetskij korpus i konstruirovanie poslepetrovskoj elity, 1731–1762 » [La véritable noblesse des deux: Le Corps des cadets nobles de l’armée de terre et la création des élites à l’époque postpétrovienne, 1731‑1762], in Ržeuckij, Fedjukin, Berelovič, dir., Ideal vospitanija dvorjanstva v Evrope, p. 245-273.

47 M.A. Petrova, « Jazykovye praktiki rossijskih i avstrijskih diplomatov vo vtoroj polovine XVIII v. » [Les pratiques de langue des diplomates russes et autrichiens dans la deuxième partie du xviiie siècle], Central´no-evropejskie issledovanija [Études centre-européennes], 2019, 2 (11), p. 35-60, ici p. 41-42, 45.

48 Vladislav Rjéoutski, « Native Tongues and Foreign Languages in the Education of the Russian Nobility: The Case of the Noble Cadet Corps (the 1730s–1760s) », in Nicola McLelland and Richard Smith, eds., The History of Language Learning and Teaching, 16th–18th Century Europe, Legenda, 1, 2018, p. 129-144 ; idem, « Latin in the education of nobility in Russia: The history of a defeat », in Rjéoutski, Frijhoff, eds., Language Choice in Enlightenment Europe, p. 169-189 ; T. Kostina, « Prepodavanie v rossijskih universitetah XVIII v. : ne “tokmo na latinskom i russkom” » [L’enseignement dans les universités russes du xviiie siècle : non seulement « en latin et en russe »], Cahiers du monde russe, 63 (2), 2022, p. 527-542.

49 Ekaterina Kislova, « Latin as the language of the orthodox clergy in eighteenth-century Russia », in: Rjéoutski, Frijhoff, eds., Language Choice in Enlightenment Europe, p. 191-224.

50 Buck, « The Russian Language Question in the Imperial Academy of Sciences, 1724‑1770) ».

51 Même dans le milieu du clergé : Kislova, « Le français et l’allemand dans l’éducation religieuse en Russie au xviiie siècle », p. 48-74.

52 Sur l’asymétrie du pouvoir dans les pratiques linguistiques et en général sur le pouvoir et la langue, voir : Rosita Rindler Schjerve & Eva Vetter, « Historical sociolinguistics and multilingualism : Theoretical and methodological issues in the development of a multifunctional framework », in Rosita Rindler Schjerve, ed., Diglossia and Power. Language Policies and Practice in the 19th Century Habsbourg Empire, Berlin – New York: Mouton de Gruyter, 2003, p. 35-66, ici p. 38, 40, 42-43, 48, etc. Sur l’asymétrie du pouvoir dans la traduction diplomatique, voir : Hellman, Tremml-Werner, « Translation in Action », p. 454.

53 Sur les attitudes différentes à l’égard de l’adoption du français comme langue des échanges internes des diplomates européens, voir Scott, « Diplomatic Culture in Old Regime Europe », p. 68-69.

54 Offord, Rjéoutski, Argent, The French Language in Russia, p. 123, 166, 170, 195, 214, 225, 573.

55 Petrova, « Jazykovye praktiki rossijskih i avstrijskih diplomatov », p. 46-47 ; sur la discussion de l’éducation et les choix linguistiques dans la correspondance aristocratique russe de cette époque, voir : Wladimir Berelowitch, « Les gouverneurs des Golitsyne à l’étranger : les exigences d’une famille (années 1760-1780) », in Vladislav Rjéoutski, Alexandre Tchoudinov, dir., Le Précepteur francophone en Europe, P. : l’Harmattan, 2013, p. 139-150.

56 Petrova, « Jazykovye praktiki rossijskih i avstrijskih diplomatov », p. 49-53.

57 N.I. Himina, Gosudarstvennost´ Rossii. Slovar´-spravočnik [La souverainteté de la Russie. Dictionnaire], M. : Nauka, 2009, t. 6/2, p. 241. Merci à Maria Petrova de cette information.

58 Sur la relation entre « langue » et « nation » en Europe avant le xixe siècle, voir par exemple : Béatrice Guion, « Langues et nations xiiie-xviiie siècles », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques 36 (2), 2012, p. 227-232.

59 Même si on peut voir à cet égard quelques changements au début du xixe siècle, comme en témoigne l’exemple de la famille des comtes Stroganov : Vladislav Rjéoutski, Vladimir Somov, « Language Use among the Russian Aristocracy : The Case of the Counts Stroganov », in Offord, Ryazanova-Clarke, Rjéoutski and Argent, eds., French and Russian in Imperial Russia, vol. 1, p. 61-83.

60 Ekaterina Basargina, Proekty akademičeskoj reformy 1855-1917 gg. [Les projets de la réforme de l’Académie des sciences, 1855-1917], SPb. : Nestor-istoriia, 2013, p. 46-47 ; Offord, Rjéoutski, Argent, The French Language in Russia, p. 320-321.

61 Citons à titre d’exemple une étude sur le transfert des termes architecturaux du français vers le russe à cette époque : Sergei Klimenko, Iuliia Klimenko, « The Role of French in the Formation of Professional Architectural Terminology in Eighteenth-Century Russia », in Derek Offord, Lara Ryazanova-Clarke, Vladislav Rjéoutski, Gesine Argent, eds., French and Russian in Imperial Russia, Edinburg : EUP, 2015, vol. 1, p. 209-227.

62 G.I. Smagina, « Publičnye lekcii Sankt-Peterburgskoj Akademii nauk vo vtoroj polovine XVIII v. » [Les conférences publiques de l’Académie des sciences dans la seconde moitié du xviiie s.], Voprosy istorii estestvoznanija i tehniki, 1996, n° 2, p. 16-26, ici p. 20-22.

63 « Nauki perenesutsja na naš jazyk ». RGIA (Rossiskij gosudartvennyj istoričeskij arhiv – Archives historiques d’État de Russie), f. 17, op. 1, d. 35, fol. 11, publié dans : E.R. Daškova, O smysle slova «vospitanie». Sočinenija, pis´ma, dokumenty [Sur le sens du mot « éducation ». Œuvres, lettres, documents], éd. par Galina Smagina, SPb., 2001. URL : https://ru.wikisource.org/wiki/Письма_и_документы_(Дашкова) (consulté le 9.03.2024).

64 Voir le site internet du projet : https://krp.dhi-moskau.org/ (consulté le 6.04.2024).

65 Il convient de noter que ces textes étaient traduits presque exclusivement à partir des langues d’Europe occidentale, principalement du français, de l’allemand et du latin. Pol´skoj, Ržeutskij, « Perevod i razvitie političeskogo jazyka », p. 63-76.

66 N.A. Smirnov, Zapadnoe vlijanie na russkij jazyk v Petrovskuju epohu [L’influence occidentale sur la langue russe à l’époque de Pierre Ier], SPb. : Tip. Imp. Akad. Nauk, 1910.

67 Voir pour plus de détails : S.V. Pol´skoj, « Rukopisnyj perevod i formirovanie svetskogo političeskogo jazyka v Rossii (1700-1760-e) [La traduction manuscrite et le développement de la langue politique civile en Russie (1700e-1760e)] », in Pol´skoj, Ržeuckij, dir., Laboratorija ponjatij, p. 258-261, 275-276, 284-285 ; Pol´skoj, Ržeuckij, « Perevod i razvitie političeskogo jazyka », p. 41-47.

68 Juste un exemple concernant le domaine diplomatique, mentionné plus haut : Petrova, « P.A. Levašev i ego perevod traktata Fransua de Kal´jera ».

69 Il existe beaucoup d’études sur les emprunts dans la langue russe, particulièrement dans la période pétrovienne, en voici une sélection : Wilhelm A. Christiani, Über das Eindringen von Fremdwörtern in die russische Schriftsprache des 17. und 18. Jahrhunderts, PhD, Berlin : P. Stankiewicz’ Buchdruckerei, 1906 ; Smirnov, Zapadnoe vlijanie na russkij jazyk; Gerta Hüttl-Worth, Foreign Words in Russian, Berkeley – Los Angeles : University of California Press, 1963. Sur le transfert de la terminologie diplomatique, voir : Miklós Fogarasi, « Europäische Lehnwörter im Spiegel einer russischen diplomatischen Urkundensammlung (1488-1699) », Studia Slavica Academiae Sciencierum Hungaricae, 4 (1–2), 1958, p. 57-62 ; A. Voloskova, « Inojazyčnye slova v diplomatičeskoj terminologii načala XVIII v. » [Mots étrangers dans la terminologie diplomatique du début du xviiie siècle], Učenye zapiski, Université de l’Oural, 1969, n° 8, série Philologie, p. 31-44 ; Offord, Rjéoutski, Argent, The French Language in Russia, p. 287-290 ; Petrova, « Jazykovye praktiki rossijskih i avstrijskih diplomatov », p. 43-44.

70 Quelques exemples tirés de leur correspondance : akceptacija, akcessija, aprobacija, difikulty, korrešpondencija, livrans, mediteranskoe more, preferal´man, rezonementy, testament, trezorija, publičnyj, magnifisencija, ženerozita, etc. (en français : acceptation, accession, approbation, difficultés, correspondance, livraison, Méditerranée, préférablement, raisonnements, testament, trésorerie, public, magnificence, générosité, etc.). Bibliothèque nationale de Russie (NLR), Mss, f. Erm., d. 76. Sur les emprunts dans la correspondance du diplomate prince Boris Kurakin et en général sur son rapport aux langues, on peut utilement consulter cette récente étude : Ernest A. Zitser, « ‘Il parlait assez bien français et plusieurs langues’: Foreign Language Acquisition and the Diplomatic Self-Fashioning of Prince Boris Ivanovich Kurakin », Quaestio Rossica, 11 (4), 2023, p. 1232-1247.

71 Sur les langues qui pouvaient être utilisées en fonction du destinataire et du type de correspondance diplomatique, voir Petrova, « The Diplomatic Service in Early Modern Russia », p. 283-284.

72 Les traducteurs et interprètes ont parfois été assimilés aux diplomates : Ruth A. Roland, Interpreters as Diplomats : A Diplomatic History of the Role of Interpreters in World Politics, Ottawa : University of Ottawa Press, 1999. Sophie Holm va aussi dans le sens de l’interprétation élargie du rôle des traducteurs en diplomatie : Sophie Holm, « Language and Diplomatic Culture in the Early Modern Period », in Goetze, Oetzel, eds., Early Modern European Diplomacy : A Handbook, p. 613-630, ici p. 625-626.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vladislav Rjéoutski, « Langues et professions en Russie au xviiie siècle »Cahiers d’histoire russe, est-européenne, caucasienne et centrasiatique, 65/2 | 2024, 255-280.

Référence électronique

Vladislav Rjéoutski, « Langues et professions en Russie au xviiie siècle »Cahiers d’histoire russe, est-européenne, caucasienne et centrasiatique [En ligne], 65/2 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/chreecc/14670 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/123l9

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Auteur

Vladislav Rjéoutski

Institut historique allemand, Paris
vrjeoutski[at]dhi-paris.fr

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