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Le traitement de la forme en -ría dans la Grammaire et observations de la langue espagnolle recueillies & mises en françois de César Oudin (1597)

Sophie Sarrazin
p. 129-152

Résumés

Cet article s’intéresse au traitement de la forme en –ría par César Oudin, qui dès la première édition (1597) de sa Grammaire espagnole, se démarque de ses contemporains par son refus d’intégrer ce paradigme, rebaptisé par lui temps incertain, à un cadre descriptif calqué sur le latin. Il s’agit de montrer que l’originalité du regard d’Oudin résulte avant tout de la prise en compte des compétences sémantico-syntaxiques authentiques de la forme en –ría, prise en compte favorisée par la finalité didactique de l’ouvrage. Ayant perçu les capacités ultériorisantes du conditionnel, Oudin propose une description qui n’élude pas les problèmes posés par le fonctionnement du paradigme et qui trouvera un écho au début du xviiie siècle chez Claude Buffier, un des auteurs de référence des grammairiens rationalistes.

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Texte intégral

1S’intéresser à la façon dont est traitée, à la Renaissance, une forme linguistique romane revient toujours à s’interroger sur les modalités d’intégration de la forme en question à des cadres descriptifs largement hérités de l’Antiquité tardive, et principalement des traités grammaticaux de Donat et Priscien. S’agissant d’un tiroir verbal que les grammaires actuelles nomment généralement condicional, et auquel que je préférerai me référer par le terme de forme en -ría, la question des stratégies d’adaptation se pose avec une acuité particulière, tant ce paradigme verbal semble rétif à toute tentative d’assimilation à un tiroir verbal du latin classique. Issue, comme on le sait, d’un tour périphrastique du bas latin, la forme en -ría n’a aucun lien génétique avec une forme synthétique latine. Mais, surtout, aucun paradigme du système verbal latin n’est à même d’embrasser l’éventail des emplois déployé par cette création romane. En ne prenant en compte que la référence temporelle du procès, on peut dire en effet qu’à toutes les époques de son histoire, la forme en -ría est capable de situer un procès aussi bien dans l’antériorité (1), la simultanéité (2) ou la postériorité (3) de l’acte d’énonciation que dans l’ultériorité calculée à partir d’un point de repère antérieur à l’acte d’énonciation (4), comme le montrent ces occurrences, contemporaines de Nebrija :

  • 1 Real Academia Española : Corpus diacrónico del español [en ligne]. <http://www.rae.es>.

(1) Y de Florencia se partió el rey Carlos para Roma, y entró en ella con su exército; de que los ciudadanos recibieron harta tristeza, estando como atónitos, por no saber lo que el rey de Francia quería hacer. El qual llevaría quarenta mil honbres de guerra, y la tercia parte de ellos se le avían allegado después que avía entrado en Ytalia (Alonso de Santa Cruz, Crónica de los Reyes Católicos [1491-1516], Corpus CORDE-RAE1).
 
(2) si ella me amase como yo la amo, ¡qué dichoso sería yo! (Antonio de Villegas, Novela del Abencerraje y Jarifa [1560-1565], Corpus CORDE-RAE).
 
(3) y así Nuestro Señor le dexe vivir y reinar, que ya ve cuán justo es, y cuánto somos tenidos de procurar el bien de la serenísima Reina nuestra mujer; y de lo contrario llevaríamos mucho cargo ante Nuestro Señor. (Alonso de Santa Cruz, Crónica de los Reyes Católicos [1491-1516], Corpus CORDE-RAE).
 
(4) Y el rey le respondió que bien tenía conocida su gran fe, y quánto podía su fortaleza, y desto darían testimonio los franceses y aragoneses que avía vencido. (Ibid.).

  • 2 Dans ses Institutiones latinae de 1481 ainsi que dans l’édition proprement contrastive de 1488 (I (...)

2On sait que Nebrija avait perçu l’origine périphrastique de la forme en - et de la forme en -ría, toutes deux désignées comme des formes « por rodeo », construites sur haber. Cependant, la conscience d’une parenté génétique entre les deux paradigmes ne se traduit nullement par un rapprochement des deux formes au sein de la structure modo-temporelle du verbe : Nebrija réserve en effet à amaré la place de futur de l’indicatif (« indicativo », « en el tiempo venidero »), tandis qu’il fait de la forme amaría une forme périphrastique équivalente à amasse, définie comme « passado no acabado » de « subjuntivo » (Nebrija 1989 [1492] : 254-255). Assimilée, de même que amase, à la forme latine amarem, la forme en -ría se trouve logiquement amenée à occuper dans un système classificatoire transposé du latin au castillan une des « cases » dévolues à amarem, en l’occurrence celle de l’imparfait du subjonctif2. Très logiquement la forme composée habría amado occupe la place de plus-que-parfait du subjonctif, de la même façon que le paradigme había amado, classé comme plus-que-parfait de l’indicatif, se trouve corrélé à amaba, imparfait de l’indicatif.

3À l’exception notable de Villallón (1558), qui, partant d’un modèle descriptif minimaliste, n’intègre pas la forme en -ría dans sa liste des temps verbaux, les auteurs de grammaires espagnoles du xvie siècle voient dans amaría un subjonctif, imparfait comme Nebrija (Anonyme de Louvain 1555, del Corro 1590, Stepney 1591, Charpentier 1597 [1596]) ou présent (Anonyme de Louvain 1559) ; d’autres, reconduisent pour amaría les assignations que Priscien réservait à amarem, et en font à la fois un subjonctif imparfait et un optatif présent et imparfait (Alessandri d’Urbino 1560, Miranda 1566) ou encore, influencés par Linacre, un subjonctif imparfait pouvant également correspondre à ce même temps dans le sous-mode potentiel (Percyvall 1591). Tous les auteurs qui traitent de cette forme la rapportent donc soit au subjonctif, soit au subjonctif et à l’optatif et lui font correspondre un ou plusieurs temps (imparfait et/ou présent). Aucun d’entre eux, notons-le au passage, ne prend en compte la forme composée habría amado, du fait, sans doute, de la très faible fréquence d’usage de ce paradigme.

  • 3 Sur ce point, voir par exemple Alarcos Llorach (1978 [1970]) et Castronovo (1989).
  • 4 P. Swiggers (1984 : 18-19) parle par exemple, à propos des différents métatermes attribués à la f (...)

4Dans ce contexte, le traitement que propose César Oudin à la fin du siècle (1597) dans sa Grammaire et observations de la langve Espagnolle recueillies & mises en François, ouvrage didactique destiné à un public francophone, mérite qu’on s’y arrête. Non qu’il fasse un sort à la forme composée, car comme les auteurs cités précédemment, Oudin ne tient aucun compte d’un tiroir supplanté dans l’usage par la forme en -ra. Mais en raison du singulier métaterme par lequel le grammairien français désigne la forme en -ría : chez Oudin, en effet, le tiroir amaría correspond modalement au subjonctif et à l’optatif et, temporellement, à ce qu’il baptise le « temps incertain » (Oudin 1597 : 45). Pour Ramajo Caño (1987 : 161), une telle dénomination illustre un certain embarras face à un tiroir verbal que lui-même désigne sous l’étiquette aujourd’hui désuète de « potencial », et il est vrai que l’histoire métaterminologique de la forme en -ría (comme celle de son équivalent français) pourrait illustrer à elle seule la gêne que le paradigme a pu inspirer aux grammairiens3. Il n’en demeure pas moins que l’innovation terminologique introduite par le secrétaire-interprète du Roi et futur traducteur du Quichotte est le signe d’un nouveau regard porté sur la forme en -ría 4et qu’à ce titre elle réclame examen.

5Il s’agira donc dans les pages qui suivent i) d’analyser le traitement que César Oudin réserve à ce paradigme ; ii) de mettre en évidence les facteurs ayant contribué à faire surgir ce regard novateur sur la forme en -ría et, iii), d’en évaluer la portée et la diffusion.

1. La forme en -ría selon César Oudin

1.1. Sur la distinction modale entre « conjonctif » et « optatif »

6On sait que la grande majorité des grammairiens de la Renaissance reprennent une structure modo-temporelle que les auteurs de la latinité tardive avaient eux-mêmes empruntée aux Grecs. Le modèle des cinq modes que Denys le Thrace et Apollonius Dyscole construisent à partir de critères formels est reconduit par des auteurs tels que Donat et Priscien qui le justifient sur la base de critères essentiellement sémantiques. Aussi sont-ils amenés à ranger un même paradigme, celui amarem, à la fois dans le conjunctivus modus (subjunctivus chez certains auteurs) et dans l’optativus modus. Le transfert se poursuit à la Renaissance chez les grammairiens des vernaculaires : pour la plupart d’entre eux, l’existence d’un mode optatif ne saurait être remise en question, et les paradigmes ame, amase, amara et/ou amaría se voient régulièrement attribuer une double assignation modale, subjonctive (ou « conjonctive ») et optative. Au xvie siècle, seuls deux auteurs de grammaires espagnoles rejettent le dogme des cinq modes : l’auteur anonyme de la Grammaire de Louvain de 1559 et César Oudin. Le premier regroupe optatif et subjonctif sous l’étiquette de modo común, au motif que

todos sus tiempos son comunes y dedicados para declarar aquellos dos Modos que los Latinos dizen Optativo, i Subjuntivo, que en la lengua latina todos los gramaticos neciamente han repetido, poniendo unos mesmos Tiempos en diversos Modos, do no era menester. (Anonyme de Louvain 1559 : Cvi r°).

Cependant, l’auteur anonyme ne va pas jusqu’au bout de son raisonnement, puisqu’il continue à faire le départ entre un « modo subjunctivo » (avec les tiroirs amaría et amare) et un « modo común » (amara, amase, ame). (Anonyme de Louvain 1559 : Cvi r°). Oudin, d’emblée, souligne que la valeur subjonctive ou optative relève non de la forme verbale elle-même mais des « dictions adjointes », présentées dans la plupart des traités comme des pré-morphèmes (« o si », « oxalá », « quando », « si ») :

je ne m’amuseray pas tant à distinguer tous les temps, comme les significations, & principalement en l’optatif et conjonctif, lesquels sont quasi semblables, n’ayant autre difference que certaines formules & dictions adjointes qui ont force de demontrer la difference d’iceux. (Oudin 1597 : 38).

  • 5 « Pour les verbes, le mode », dit Sanctius, « n’affecte pas la nature du verbe et par conséquent (...)
  • 6 Voir Padley (1976 : 101).
  • 7 D’après Kukenheim (1974 [1932] : 133-134), repris par Martínez Gavilán (1990 : 203).

7On ne peut manquer de reconnaître ici la conception du mode comme catégorie sémantique extérieure au verbe que défend Sanctius dans son traité de grammaire latine, la Minerva (1587)5. Peut-être Oudin était-il également familier des ouvrages de Pierre de la Ramée, lequel récuse dans son traité de grammaire latine de 1559 comme dans sa Grammaire (française) de 1572, l’existence du mode verbal6 ou peut-être avait-il connaissance du traité de grammaire italienne publié par Girolamo Ruscelli en 1581, dans lequel l’auteur refuse de faire de l’optatif un mode distinct du subjonctif7. Pour Oudin, le mode verbal n’est qu’une modalité d’usage et l’identité signifiante prime sur les traditions descriptives. Mu par un souci constant d’efficacité didactique (il s’agit pour l’apprenant étranger de retenir des morphologies et leur mode d’application, non des catégories abstraites), Oudin préfère donc rassembler, en préambule d’une série de paradigmes rangés sous l’étiquette « optatif & conjonctif », les « formules & dictions adjointes » responsables de l’une ou de l’autre signification modale.

1.2. Le « temps incertain » : préambules

8Le paradigme qui nous intéresse ici prend place à la suite de ce qu’Oudin présente comme le plus-que-parfait du conjonctif / optatif, hubiera/tuviera et hubiesse hubiera tenido/avido, puisque sa description du verbe commence avec les équivalents espagnols du verbe avoir.

9Avant même de donner un nom à la nouvelle « manière de variation », Oudin apporte les précisions suivantes :

Il y a icy encor une maniere de variation qui ne se peut appliquer à certain temps, mais s’use ou ayant un verbe precedent avec Si, ou bien en l’Optatif avec de buena gana, qui signifie volontiers, ou en interrogeant, & aussi ayant devant soy l’adverbe quando. Mettons la forme, & puis nous en donnerons des exemples. (Oudin 1597 : 45).

10Suit la présentation des paradigmes « hauria » et « tendria » sous l’étiquette de « Temps incertain ».

  • 8 Sur ce point, voir Serbat (1975 : 368-370).
  • 9 Le verbe a été très tôt défini dans son rapport au temps, puisque, déjà pour Aristote, il s’agit (...)
  • 10 Rappelons que Priscien justifiait l’existence de trois tempora au passé (praeteritum) contre un s (...)
  • 11 Dans l’édition de 1604, Oudin parle de parfait défini et indéfini. Cette distinction, qu’on ne tr (...)

11Cette dénomination se trouve donc préalablement glosée par « qui ne se peut appliquer à certain temps », à laquelle elle fait écho. La forme baptisée « temps incertain » tirerait son nom de son incapacité à correspondre à un temps certain, déterminé. Mais quelle réalité recouvre le terme de temps chez Oudin ? Comme ses contemporains – et des générations de grammairiens qui lui succéderont – Oudin inscrit sous ce terme deux notions que l’anglais a distingué par les termes de time et tense, à savoir, d’une part, le temps entendu comme un rapport chronologique entre un sujet et un événement et d’autre part, le temps conçu comme contenu spécifique d’un type de variation verbale et qui devient un métaterme appliqué à un paradigme donné (imparfait, futur, présent, etc.). Par temps, Oudin renvoie en effet aux trois temporalités fondamentales, « les temps en première dénomination » explique-t-il en introduction à son chapitre sur le verbe (Oudin 1597 : 36), que sont le passé, le présent et le futur, à savoir les tria tempora des grammairiens latins, idée qui remonte au moins à Platon8. À partir du moment où le temps est regardé comme une dimension fondamentale du verbe9, le khronos devient aussi un accident du verbe et le verbe aura des khronoi et des tempora comme il a des personnes ou des voix (voir Lallot 2012 [1987] : 87). Le caractère polysémique du khronos des Grecs et du tempus des Latins n’est pas fortuit puisque les valeurs temporelles véhiculées par les paradigmes verbaux sont regardées comme des expressions directes du temps philosophique (dans le cas du présent ou du futur) ou comme des subdivisions tout aussi naturelles10 du passé en imparfait, plus-que-parfait ou parfait. Ce sont ces cinq temps, constitutifs de la vulgate grammaticale depuis Donat, qu’Oudin commence par évoquer avant de préciser qu’« ez langues vulgaires il y a encore une subdivision du parfait, en fini, & infini, autrement déterminé & absolu11 » ce qui porte la somme des temps à six, « présent ; passé imparfait ; parfait fini ; parfait infini ; plus que parfait ; futur ou advenir » (Oudin 1597 : 36). Aucun de ces tiroirs ne saurait cependant accueillir la forme en -ría. Par cette remarque, Oudin se distingue, on l’a vu, de ces prédécesseurs mais aussi des auteurs de grammaires du français, tels Meigret (1550) ou Estienne (1557), qui rangent la forme équivalente française dans des cases temporelles (présent ou imparfait).

  • 12 Voir par exemple Lallot (1997, II : 237).
  • 13 Par exemple chez Priscien qui étaye son propos sur le « subinctiuus modus » par les constructions (...)
  • 14 C’est en le faisant précéder de quand qu’Estienne, par exemple, présente le paradigme de j’auroye(...)

12Pourtant, poursuit Oudin, cet étrange paradigme, temporellement inclassable, correspond, bel et bien, modalement parlant, à la catégorie de l’optatif-conjonctif. C’est ce qu’il s’emploie à montrer dans la deuxième partie de sa première remarque, par l’énumération de « dictions adjointes » compatibles avec la forme en -ría et qui sont traditionnellement tenues pour des marques tangibles d’appartenance modale. En évoquant la possibilité d’usage avec un « verbe precedent avec Si », Oudin énonce deux propriétés en quelque sorte canoniques du conjonctif : celle de la dépendance syntaxique et sémantique (« ayant un verbe precedent »), définitoire à l’endroit du subjonctif depuis au moins Apollonius Dyscole, et celle de la combinabilité avec la conjonction conditionnelle (qu’Oudin nomme « particule Si » à partir de l’édition de 1606). Cette dernière propriété, qui elle aussi trouve ses origines dans l’Antiquité grecque12, est reprise dans les grammaires latines de référence où l’on exemplifie le subjonctif-conjonctif par des structures conditionnelles introduites par si13, de sorte que dans les grammaires des langues vulgaires à la Renaissance, la conjonction fait figure d’attribut modal du subjonctif-conjonctif aux côtés de como ou cuando, équivalents de cum, l’autre marque subjonctivale que les auteurs latins utilisent comme pré-morphème dans leurs paradigmes de conjugaison du subjonctif-conjonctif. On se souviendra par exemple que Nebrija choisit la formule « si tú amasses a Dios, Él te amaría » pour illustrer le « subjunctivo modo » (Nebrija 1492 : 197) et qu’il présente les tiroirs du subjonctif précédés systématiquement de como. Chez Oudin, la mention de « l’adverbe quando » en tant qu’élément introducteur possible pour la forme en -ría est donc interprétée à l’époque comme une preuve de fonctionnement subjonctival14. L’allusion à de buena gana, donné comme équivalent de volontiers, rappelle la présentation de la forme en -roye par Meigret (1980 [1550] : 73), Estienne (1557 : 33) ou encore Meurier (1557 : 36 v°), lesquels font de l’adverbe volontiers une marque d’optatif. Au terme de ce petit paragraphe d’introduction, les lecteurs versés dans la grammaire, latine essentiellement à l’époque, sortent donc convaincus que le paradigme qu’on va leur présenter possède effectivement tous les attributs de l’optatif et du conjonctif-subjonctif mais que les propriétés temporelles dudit paradigme restent indéterminées. Les exemples avec lesquels Oudin illustre son propos ont donc vocation à justifier le rattachement modal en même temps que l’impossible classification temporelle.

1.3. La leçon par l’exemple

13Voici les énoncés qu’Oudin fabrique pour étayer son « observation » :

  • 15 Précision ajoutée dans l’édition de 1606 (Oudin 1606 : 57).

Exemple de l’Optatif. O quan de gana ternia yo esso. O que volontiers j’auroy cela. [Du conjonctif.]15 Pregunto me si ternia lugar mañana de velle. Il m’a demandé si j’auroy loisir de le veoir demain. Vine acá por saber quando v.m. tendria dinero para los soldados. Je suis venu icy pour sçavoir quand vous auriez de l’argent pour les soldats (Oudin 1597 : 45).

  • 16 Percyvall (1591 : C3 v°) illustre le « Subiunctive moode and present tense » par les séquences «  (...)
  • 17 « como yo amara, amaria, y amasse » énonce l’auteur anonyme de Louvain (1555 : D4 r°), « como yo (...)
  • 18 Les dialogues en langue vulgaire, héritiers des colloquia latins, permettaient l’apprentissage d’ (...)

14Commençons par remarquer que, en dépit de ce que l’on pouvait attendre après l’allusion à la possibilité d’emploi de la forme en -ría avec « un verbe precedent avec Si », et contrairement à l’habitude de ses prédécesseurs et contemporains, Oudin se garde de mentionner ce qu’une grammaire moderne appellerait l’emploi hypothétique du conditionnel, c’est-à-dire l’usage de la forme en -ría dans l’apodose d’une séquence conditionnelle où si introduit la protase, comme l’exemple de Nebrija cité supra, « si tú amasses a Dios, Él te amaría ». Dans l’exemple d’Oudin, le si du deuxième exemple introduit une interrogative indirecte. Par « ayant un verbe precedent avec si », il fallait donc comprendre : étant précédé d’un verbe et de si. Ce qui s’apparente à une pirouette permet à notre auteur d’éviter les écueils auxquels s’étaient heurtés certains de ses prédécesseurs qui, tel Percyvall, indistinguent dans leurs présentations formes verbales de la protase et formes verbales de l’apodose et font de amaría un allomorphe de amara et amase16. Il en va de même du quando de l’énoncé suivant. Oudin se démarque sensiblement des nombreuses illustrations du subjonctif imparfait où la forme en -ría, précédée de como ou cuando, est présentée comme une variante combinatoire des formes en -se et -ra, tout en étant intégrée à un schéma syntaxique ne permettant pas l’alternance17. Son énoncé est grammatical et l’on voit que ni la forme en -se, ni la forme en -ra ne peuvent se substituer au « temps incertain ». L’exemple de l’usage optatif, O quan de gana ternia yo esso qui, quoique forgé, reste du domaine du vraisemblable discursif, tranche également avec les formules du type oxalá amaría – qu’on trouve par exemple chez Miranda (1566 : 147) – ou O si amaría (on relève par exemple un « O si yo leeria » dans Miranda [1566 : 156]), qui ne sont rien d’autre que des transpositions, totalement agrammaticales, de l’exemple canonique latin utinam amarem. Il est donc évident qu’Oudin n’a pas cherché à calquer des exemples latins canoniques, mais qu’il s’est employé à illustrer le fonctionnement de la forme en -ría de façon crédible, par le recours à des énoncés vraisemblables, sur le modèle des coloquios ou diálogos, très en vogue à l’époque18. Oudin a certes donné, dans la première partie de son « observation », quelques gages à ses lecteurs lettrés, en rattachant, selon les critères les plus répandus à l’époque, la forme en -ría aux modes optatif et conjonctif. Mais, devant choisir entre le respect de la tradition descriptive et la volonté de décrire le fonctionnement des paradigmes « en situation », à partir de leur usage réel, on voit qu’il n’hésite pas à choisir la seconde option.

15Examinons maintenant la teneur des énoncés illustratifs. De quelle manière éclairent-ils la thèse du « temps incertain » ?

  • 19 Rappelons que, selon les critères classificatoires de l’époque, le subjonctif / conjonctif est dé (...)

16Bien évidemment, ces exemples, forgés de toutes pièces, ne doivent rien au hasard et les choix qui s’y manifestent sont signifiants, dans la mesure où ils ont vocation à mettre en évidence un caractère particulier du phénomène décrit. On remarquera par exemple qu’Oudin prend soin d’y convoquer les deux variantes morphologiques de tener, la forme métathétique (« ternia ») et la forme épenthétique (« tendria »). On relève également la présence d’éléments non absolument nécessaires à la compréhension des énoncés et dont la raison d’être est à chercher du côté de leur intérêt didactique, plus exactement dans leur capacité à illustrer la remarque métagrammaticale qui précède. Trois éléments me semblent remplir cette fonction : l’intensification (« O quan ») du premier exemple et les déictiques acá et mañana, chacun d’entre eux étant parfaitement amovible. Concernant l’emphase mise sur la locution adverbiale de gana, sa motivation semble liée à un besoin d’expressivité ; il s’agit en effet de montrer à quel point l’optatif est, comme le définit Oudin, le mode « désidératif ou souhaitant » (Oudin 1597 : 36). On a bien là un souhait qui s’exprime de façon impérieuse, à la première personne, inscrivant l’opération exprimée par la forme en -ría dans la temporalité d’énonciation, celle du hic et nunc. Les deux exemples du « conjonctif » sont, quant à eux, reliés à un contexte passé, sous l’effet des temps des verbes recteurs, « Pregunto me » et « Vine ». Or, si ces verbes recteurs au passé étaient les seuls repères temporels des énoncés, ces derniers présenteraient l’immense inconvénient de ne pas être à même d’illustrer en quoi la forme en -ría se distingue de l’imparfait du subjonctif19. Aussi, la présence du déictique temporel mañana qui projette l’opération exprimée par « ternia lugar » du passé (« Pregunto me ») dans un au-delà du présent et celle du déictique spatio-temporel acá qui lui aussi a pour effet de déplacer le domaine de validité temporelle de « tendria dinero » du passé (« Vine por saber ») vers le présent-futur, permettent-elles de présenter un fonctionnement temporel de la forme en -ría non assimilable à celui d’un imparfait du subjonctif, tiroir dans lequel, on l’a vu, elle s’est trouvée si souvent rangée. Ce qu’Oudin cherche à mettre en avant, c’est donc la capacité pour la forme en -ría de placer l’événement dans l’ultériorité du présent, capacité qui, si elle avait été plus ou moins perçue par certains auteurs, n’avait pas été décrite en tant que telle. La formule de temps incertain peut être regardée comme la traduction de cette prise de conscience : la forme en -ría n’est ni un temps du passé, ni un temps du présent, ni un temps du futur : elle est les trois à la fois, elle peut viser le présent, comme dans l’exemple de l’optatif, elle peut s’inscrire dans un contexte passé, comme dans les exemples illustrant sa valeur subjonctive, tout en projetant l’événement dans l’ultériorité du présent. Bref, elle « ne se peut appliquer à certain temps », elle ne correspond pas à un temps déterminé de la triade passé-présent-futur. Et elle est également le temps de l’incertitude, le temps incertain, par le fait même qu’elle est indifférente aux trois repères temporels intangibles qui font qu’un événement est certain parce que son existence est perçue soit dans l’avant, soit dans la contemporanéité, soit dans l’après de l’instant de locution. La prise en compte des capacités ultériorisantes de la forme en -ría, aux côtés de compétences temporelles qui lui sont déjà reconnues par d’autres auteurs (présent et passé), constitue donc de ce point de vue un apport majeur dans l’histoire du traitement du paradigme en -ría.

2. Des circonstances propices à un nouveau regard sur la forme en -ría

2.1. Lectorat et stratégie didactique

17La Grammaire et observations de la langue espagnolle et la Parfaicte méthode de Charpentier, parue pour la première fois en 1596, sont les deux premières véritables grammaires espagnoles exclusivement destinées à un public francophone. Toutes deux s’inscrivent, comme le souligne B. Lépinette (2006), dans un contexte où les Français lettrés souhaitent pouvoir avoir accès à la culture de la première puissance européenne et, en particulier, lire dans le texte les œuvres littéraires espagnoles. Pour répondre aux attentes spécifiques de ce lectorat, les deux auteurs intègrent un certain nombre de références littéraires et construisent leur stratégie didactique en fonction des besoins particuliers des apprenants, c’est-à-dire, la compréhension, voire la traduction de textes, bref des besoins liés à une pratique érudite de la langue. Mais, ce que des publicitaires appelleraient aujourd’hui le « cœur de cible » du marché des grammaires espagnoles, n’était pas uniquement constitué de litterati, c’est-à-dire d’individus scolarisés en latin, ayant reçu un enseignement grammatical poussé de cette langue et familiers, de ce fait, de la terminologie et des catégorisations d’une tradition héritée de l’Antiquité. On peut en effet imaginer qu’à la fin du xvie siècle, le désir de connaître le castillan était également lié à des motivations pratiques, émanant de voyageurs, qu’ils soient marchands, diplomates ou militaires. Ne s’adressant pas uniquement à des érudits, Oudin peut donc s’autoriser des libertés avec la tradition grammaticale latine, comme il l’énonce en première page de sa Grammaire :

Je n’ay pas estimé fort à propos d’amuser les Lecteurs aux definitions & divisions de grammaire, veu que ceux qui sont versez ez bonnes lettres n’en ont que faire, & ceux qui ne sçavent que leur vulgaire françois, n’en pourroient pas faire leur proffit (Oudin 1597 :1).

18Comme le relève B. Lépinette (2006 : 317), chez Oudin, les étiquettes et les définitions classiques peuvent être conservées (par exemple en ce qui concerne l’optatif et le conjonctif), mais elles ne sont rien d’autre, en somme, que des points de repère pour les litterati. Lorsque l’intérêt didactique l’exige, Oudin n’hésite pas à remettre en cause la doctrine grammaticale. Et c’est ce qui le conduit à glisser une « observation » sur la forme en -ría, dont la finalité n’est pas de mettre en garde le lecteur face à une singularité de la langue cible (tout ce qui est dit de la forme en -ría pourrait l’être de la forme en -roy(e), comme le montrent les traductions proposées), mais de prévenir les lecteurs formés à la grammaire contre une habitude descriptive inadaptée au fonctionnement réel du paradigme.

19Aussi, parce qu’il s’adresse à un public linguistiquement homogène (dans la mesure où il n’est constitué que de francophones) et parce que la contrainte méthodologique du respect de la tradition ne pèse pas sur son entreprise, Oudin jouit-il d’une large liberté pédagogique, une liberté qui, comme on l’a vu, lui permet de garder à distance le paradigme amarem dans sa description de amaría ou de privilégier l’identité morphologique au détriment des catégorisations modales traditionnelles dans le cas de l’optatif et du conjonctif. Débarrassée des liens qui l’unissait indissociablement au subjonctif imparfait (et / ou de l’optatif, présent et/ou imparfait), la forme en -ría peut alors s’autonomiser sous la plume d’Oudin, révélant ce qui la rend apte à s’appliquer à tous les termes d’une triade temporelle, triade traditionnellement conçue comme différenciatrice à l’endroit des tiroirs verbaux.

2.2. La dimension ultériorisante du « conditionnel » : la force du signifiant

20Un autre facteur a été, selon moi, sinon déterminant, du moins relativement puissant, dans l’analyse que fait Oudin de la forme en -ría, et plus particulièrement dans sa prise de conscience des vertus futurisantes de ce paradigme.

21Un faisceau d’éléments, qui apparaissent avec une évidence certaine lorsqu’on confronte les discours des grammairiens francophones à ceux d’autres auteurs, tend à montrer que les premiers se montrent particulièrement sensibles à la relation entre la forme en -ría (ou ses équivalents dans d’autres langues romanes) et, pour le dire d’une façon commode, l’idée de futur.

22Les manifestations de cette tendance sont diverses : rapprochement explicite dans les discours métalinguistiques, rapprochement des paradigmes dans la présentation des variations formelles du verbe, voire confusions entre forme en - et forme en -ría. Ainsi, Meigret fait-il cette remarque dans son Traité de la grammaire française (1550) à propos de la forme en -roy(e) (en -roę si l’on suit les options graphiques de l’auteur) :

Priscien nous allègue utinam legerem heri: que le Français ne saurait recevoir en sa langue: car nous ne disons point je liroę hier. Parquoi cette forme de verbe optatif en roę ne signifie en notre langue qu’en temps présent, déclinant plutôt au futur qu’au prétérit: parce que toute action ou passion qui a continuation, désire toujours le futur pour sa perfection: comme je bátiroę volęntiers une męzon, j’iroę voulęntiers a Paris. (Meigret (1980 [1550] : 73).

23La forme en -ría « optative » est donc naturellement orientée vers le futur. Chez Meurier, grammairien belge wallon, dont l’ouvrage didactique multilingue (1558) se borne à présenter les morphologies verbales des quatre langues cibles, le paradigme en -ría suit immédiatement le paradigme en - ; enfin, chez Charpentier, le rapprochement entre formes de futur de l’indicatif en - et forme en -ría se manifeste à son insu par ce que l’on pourrait appeler une erreur de catalogage. Charpentier en effet croit reconnaître dans certains usages de la forme en -ría une variante formelle de la forme en - :

Il faut ici noter en passant qu’en tous les futurs de cette seconde coniugaison au lieu de leera, ou perdera, nous trouvons dedans les Romans vn i interposé devant a leeria, pour leera perderia, pour perdera. Le roman de antequera.
 
Buen rey si no la socorres
muy presto se perderia
 
Bon roi si ne la secourez, bien tost la perderez. I’eusse pensé que telle maniere d’escrire fut au lieu de perderse ha, sinõ que l’on void le mesme en tant d’endroicts qu’il ne faut nullement doubter. (Charpentier 1597 [1596] : 71 r°).

24Quel pourrait donc être le lien entre la perception des capacités ultériorisantes de ces « conditionnels » et le français, langue maternelle de Meigret, Meurier, Charpentier et Oudin ? Il me semble que les raisons sont à chercher dans les analogies morphologiques qui se manifestent en français entre ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le futur de l’indicatif et le conditionnel présent, notamment dans les formes de première personne du singulier. Aujourd’hui les formes aimerai et aimerais sont parfaitement identiques d’un point de vue phonétique. Le processus par lequel la désinence en -roy(e), originellement diphtonguée – [rwè] –, converge avec la forme monophtonguée – [rè] – du futur, se produit, selon Bruneau & Brunot (1937 : 98-99), au cours du xvie siècle. On peut donc raisonnablement penser que la proximité signifiante entre les désinences [rwè] et [rè] s’est accompagné d’un sentiment de proximité entre les deux signifiés, et que ces deux contiguïtés se sont conjuguées pour déclencher le processus analogique. Et l’on peut également supposer que le rapprochement entre les deux paradigmes n’est pas sans lien avec la sensibilité particulière aux compétences ultériorisantes de la forme en -roy(e) et de ses équivalents que manifestent les auteurs précédemment cités.

3. Portée et prolongements de la description de la forme en -ría par Oudin

3.1. Fortune du « temps incertain » au XVIIe siècle

  • 20 18 rééditions de 1602 à 1686, d’après les informations du BICRES I et II (Niederehe 1995 et 1999)
  • 21 « J’ay observé que les Espagnols usent souvent de tuviera pour ternia ou tendria comme außi en to (...)

25L’ouvrage de César Oudin, comme on sait, a été la grammaire espagnole de référence en France durant tout le xviie siècle. En témoignent ses nombreuses rééditions20, augmentées par Antoine Oudin, fils de César, à partir de 1632. Le discours sur la forme en -ría n’y subira aucune modification, Oudin fils se contentant d’ajouter, à la suite des exemples fournis par son père, que la forme en -ra peut se substituer au temps incertain dans l’apodose des structures hypothétiques21.

  • 22 Remarquons tout de même qu’en ce qui concerne Saulnier, le métaterme devient, dans la Nouvelle gr (...)
  • 23 Voir sur ce point Quijada (2010 : 641-666).

26Le succès de la Grammaire d’Oudin en France incite certains maîtres de langue à s’en inspirer pour composer leur propre matériel didactique. On se s’étonnera donc pas de voir apparaître l’étiquette de temps incertain dans des manuels sans aucune visée théorique, telle l’Introduction en la langue espagnole par le moyen de la française de Jean Saulnier (1608)22 ou la Grammaire espagnole simplifiée de Jean Doujat (1644). En revanche, les auteurs que S. Collet Sedola (1993) range dans la catégorie des « grammairiens espagnols exilés », ne tiennent aucun compte de l’analyse d’Oudin : Salazar (1614) fait de la forme en -ría un présent de l’optatif en même temps qu’un imparfait du subjonctif, se rapprochant en cela de Miranda ; Luna (1623) suit Nebrija en classant la forme en -ría dans la case « imparfait du subjonctif » ; Texeda, peut-être plus sensible aux arguments d’Oudin, fait preuve d’originalité en faisant de amaría un futur du subjonctif, au même titre que amare et six autres paradigmes. Lancelot quant à lui, plus influencé par Charpentier23 que par Oudin, décrit dans sa Nouvelle méthode (1660) amaría comme un paradigme d’imparfait du subjonctif.

  • 24 Ouvrage cité dans le BICRES II (Niederehe 1999 : 85-86).
  • 25 On ne trouve aucune trace du traitement de la forme en -ría par Oudin chez Owen (1605), Sanford ( (...)

27Hors de France, les vues d’Oudin sur la forme en -ría sont reprises ponctuellement. Il était tout à fait prévisible qu’une grammaire didactique de l’espagnol destinée à des francophones n’ait aucune influence sur les grammaires espagnoles autochtones. Ailleurs en Europe, la grammaire espagnole d’Oudin a été diffusée de manière très sporadique. On sait qu’elle a été traduite en anglais par James Wadsworth et publiée à Londres en 162224. James Smith s’est très probablement largement inspiré de cette traduction pour sa description de l’espagnol dans sa grammaire quadrilingue de 1674, puisqu’on y retrouve la dénomination d’« uncertain Tense » face à la forme en -ría. Mais, mis à part ces deux ouvrages, on ne retrouve guère d’écho du temps incertain dans les grammaires de l’espagnol publiées en Grande-Bretagne au xviie siècle25. La Grammaire espagnole a également été traduite en latin à Cologne dès 1607 (Niederehe 1999 : 32) ; elle constitue très probablement le point de départ de la version abrégée de la Linguae Hispanicae Compendiosa Institutio que publie Carolus Mulerius en 1630 et dans laquelle la forme en -ría est dénommée Tempus incertum.

  • 26 Pour la Grammaire italienne, trois causes internes peuvent être invoquées : i) la concurrence, en (...)

28Au xviie siècle, les grammaires du français et de l’italien ne font aucune place, du moins à notre connaissance, à l’étiquette de « temps incertain ». Les Oudin eux-mêmes, d’ailleurs, ne donnent pas l’exemple. Ni César, dans sa Grammaire italienne mise et expliquée en françois (1610), ni Antoine dans sa Grammaire françoise rapportée au langage du temps (1632) ne font usage du métaterme dans des ouvrages didactiques qui, pourtant, rappellent par certains aspects, par la présence de commentaires métagrammaticaux notamment, la Grammaire espagnole. Cette étrange absence peut être rattachée à plusieurs causes26 ; elle semble confirmer le fait que le métaterme n’était pas d’un usage très répandu en dehors de l’hispanisme.

3.2. Le « temps incertain » chez Buffier

29Ce n’est qu’au xviiie siècle que la création terminologique d’Oudin connaîtra un nouveau départ sous l’impulsion de Claude Buffier, lequel réintroduit la dénomination de temps incertain pour la forme en -rois du français dans sa Grammaire françoise sur un plan nouveau publiée en 1709. Or cet ouvrage marque une étape importante dans l’histoire du traitement du « conditionnel » : le père jésuite est le premier en effet à ranger le paradigme J’aimerois, temps incertain, dans le mode indicatif. La réintroduction du métaterme forgé par Oudin accompagne donc une toute nouvelle manière de concevoir la frontière entre indicatif et subjonctif et, conséquemment, l’identité modale du « conditionnel ». Se pose alors la question du rôle joué par l’approche d’Oudin sur l’analyse de Buffier, question qui passe d’abord par celle de la filiation : Buffier s’est-il inspiré de la Grammaire espagnole d’Oudin ? Oui, assurément, mais tout porte à croire que les vues d’Oudin lui avaient été rapportées par un autre grammairien auquel Buffier fait allusion immédiatement après son analyse de la forme en -rois :

Je dois ce dernier raisonnement à un des plus habiles Grammairiens que nous ayons, & qui me l’a fournie de la manière la plus polie et la plus désinteressée ; car c’est après avoir disputé long-temps sur cette matiere & même contre la pratique qu’il observe dans les ouvrages excélens de Grammaire qu’il a faits sur plusieurs langues (Buffier 1709 : 73-74).

  • 27 Source : Académie Française : <http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/louis-de-courcillon-de-dangeau>.
  • 28 Ces éléments biographiques sont réunis par Fournier (1998).

30Il y a tout lieu de croire que cet interlocuteur, grammairien polyglotte, comparatiste avant l’heure et contemporain de Buffier était l’Abbé de Dangeau, élu à l’Académie en 168227, passionné de grammaire, proche du Roi, et que ses voyages avaient formé à de nombreuses langues étrangères28. L’abbé de Dangeau est l’auteur d’une série d’opuscules grammaticaux publiés entre 1694 et 1722 ; dans l’un d’eux, il justifie ainsi sa décision de présenter côte à côte dans sa table de conjugaison le futur de l’indicatif et le « troisième prétérit du subjonctif », c’est-à-dire la forme en -rois :

La Langue Alemande n’a pas come la Langue Fransoise une dèsinance pour marquer le futur. Les Alemans forment leur futur par le moyen du Verbe auxiliaire Werden, & pour dire je chanterai, ils disent ich werde singen. Et par une suite nècessaire ils n’ont point de desinance pour marquer le troisiême tems du Subjonctif, & pour l’exprimer ils se servent du même auxiliaire pris au Subjonctif, & pour dire je chanterois, ils disent ich würde singen.
 
J’ai trouvé quelque chose d’a peu près samblable dans la Granmaire Espagnole (Dangeau 1927 [1694-1722] : 98).

31Certes, Dangeau ne cite pas expressément Oudin, mais les analogies de fonctionnement entre le futur et la forme en -ría qu’Oudin avait mises en évidence par des exemples où le « temps incertain » avait une valeur clairement ultériorisante, ont très probablement contribué à convaincre l’Abbé des affinités entre les deux tiroirs. On remarquera également que, s’il en a certainement soufflé l’idée au Père Buffier, Dangeau ne reprend pas à son compte l’innovation terminologique de temps incertain, préférant suivre, comme il l’explique, « l’usage le plus ordinaire » (Dangeau 1927 [1694-1722] : 104).

  • 29 (…) puisqu’il indique simplement une certaine circonstance de temps dans le verbe, sans aucune au (...)

32Chez Buffier, l’analyse de la forme en -rois s’articule étroitement à la réflexion sur le mode verbal. Définitoire à l’endroit de l’indicatif chez Arnauld et Lancelot, la dimension assertive devient chez Buffier un critère distinctif permettant de distinguer l’indicatif, mode de l’affirmation, du subjonctif, dépourvu de cette capacité. La dépendance syntaxique constitue une preuve du caractère non assertif du second : selon Buffier, le subjonctif est nécessairement introduit par que ou qui, ce qui n’est pas le cas de l’indicatif. À partir de là, la forme en -rois ou temps incertain ne peut être qu’indicative : elle n’est pas nécessairement précédée de qui ou de que et dans l’apodose d’une structure conditionnelle hypothétique, c’est elle qui marque l’affirmation, exactement comme le fait, explique Buffier, le futur de l’indicatif29.

33La dette de Buffier envers Oudin est double : ce dernier, probablement par l’entremise de Dangeau, a contribué à faire apercevoir les analogies sémantiques (ultériorité) et syntaxiques du futur de l’indicatif et de ce qu’on nomme aujourd’hui le conditionnel. Avec l’invention du temps incertain, il a donné à Buffier les moyens terminologiques de faire de la forme en -rois un « temps » de l’indicatif comme les autres, apte à situer un procès dans le temps, mais dans un temps ayant ceci de particulier qu’il n’est réductible à aucune des époques de la triade passé-présent-futur. Si Buffier peut réutiliser ce métaterme, c’est que l’idée d’indétermination temporelle véhiculée par la dénomination de temps incertain n’est en rien incompatible avec sa conception de l’indicatif : à partir du moment où une forme indicative exprime une assertion, c’est-à-dire l’affirmation dans le présent d’énonciation de l’existence d’un procès, l’assignation temporelle dudit procès devient secondaire puisque ce n’est plus par son ancrage temporel qu’un procès est déclaré existant.

  • 30 La forme j’aurois aimé est définie comme le « composé de l’incertain » et classée dans le même en (...)

34Par pragmatisme pédagogique, parce que la composition de son lectorat l’y autorisait et parce qu’il n’était pas tenu de faire un sort au paradigme habría amado, Oudin avait pu se dégager de la contrainte des tria tempora et faire de la forme en -ría une forme atemporelle ou si l’on préfère omnitemporelle. En partie pour les mêmes raisons – Buffier écrit une grammaire française destinée principalement à des étrangers et qu’il déclare conçue « selon un plan nouveau, pour en rendre les principes plus clairs et la pratique plus aisée » –, parce qu’il distingue j’aurois aimé de j’aimerois à partir de critères morphologiques et non pas temporels30, mais surtout parce que sa théorie du mode le dispensait d’affecter un temps « certain » à un tiroir de l’indicatif, Buffier peut lui aussi réunir sous l’étiquette de temps incertain l’ensemble des capacités temporelles de la forme en -rois.

Conclusion

35Les pages qui précèdent ont tenté de mettre en lumière un traitement original de la forme en -ría à la toute fin du xvie siècle, originalité favorisée par la relative indépendance de l’auteur vis-à-vis des schèmes grammaticaux classiques.

36Oudin cherche à montrer i) qu’il n’existe qu’une seule forme en -ría et que les effets de sens, optatifs ou conjonctifs, résultent du cotexte ; ii) que la forme en -ría peut référer au présent, au passé et au futur et que, partant, son identité temporelle doit tenir compte de cette aptitude multiple. Cette vision, sémasiologique et monosémiste, l’oblige à adapter les cadres descriptifs traditionnels, pensés pour le grec et dans une moindre mesure le latin, mais qui font toujours autorité à la Renaissance. Les catégories modales d’optatif et de conjonctif sont maintenues, mais reléguées au rang de modalités d’usage et non de catégories définitoires. La catégorie du temps est elle aussi conservée – le verbe entretient nécessairement un rapport au temps – mais elle est dissociée des tria tempora des auteurs latins : le signifié temporel de la forme en -ría, nous dit implicitement Oudin, n’est réductible à aucun des trois termes qui forment cette triade. À côté des tiroirs au contenu simple (présent, imparfait, futur, etc.) peut donc prendre place un paradigme défini par un contenu temporel complexe, contenu que traduit le métaterme de temps incertain. Ainsi, dans le débat qui, depuis la fin du xviiie siècle, oppose les approches dites modalistes du « conditionnel » (le conditionnel ne permet pas de situer dans le temps et ses valeurs modales sont premières) aux approches dites temporalistes (le conditionnel situe dans le temps à partir d’instructions temporelles complexes), on voit donc que la démarche d’Oudin participerait plutôt du second type, de même que celle de Buffier. Ce qui fait de ces deux auteurs de lointains prédécesseurs d’Andrés Bello et de Gustave Guillaume.

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Notes

1 Real Academia Española : Corpus diacrónico del español [en ligne]. <http://www.rae.es>.

2 Dans ses Institutiones latinae de 1481 ainsi que dans l’édition proprement contrastive de 1488 (Introduciones latinas contrapuesto el romance al latín), Nebrija fait correspondre (utinam) amarem, optatif présent, à (Osi yo) amasse et (cum) amarem, subjonctif imparfait, à (como yo) amaria y amasse (Nebrija 1481 : A2 r° ; Nebrija 1492‑1494 [1488] : A7 v°-A8 v°). L’impossibilité pour amaría d’être associé à la formule optative o si, donnée comme équivalent d’utinam, explique très probablement pourquoi Nebrija ne classe pas la forme en -ría parmi les temps du mode optatif. Sur l’assimilation amaría-amarem, voir Ridruejo (1984 : 267) et Martínez Gavilán (1990 : 205, n. 24).

3 Sur ce point, voir par exemple Alarcos Llorach (1978 [1970]) et Castronovo (1989).

4 P. Swiggers (1984 : 18-19) parle par exemple, à propos des différents métatermes attribués à la forme en -rais du français, de « changement de concept ».

5 « Pour les verbes, le mode », dit Sanctius, « n’affecte pas la nature du verbe et par conséquent n’est pas un attribut du verbe. Fréquemment il s’exprime au sixième cas (…). Il n’est pas rare qu’il soit rendu par des adverbes. » (Sanctius, trad. Geniève Clerico, 1982 [1587] : 142).

6 Voir Padley (1976 : 101).

7 D’après Kukenheim (1974 [1932] : 133-134), repris par Martínez Gavilán (1990 : 203).

8 Sur ce point, voir Serbat (1975 : 368-370).

9 Le verbe a été très tôt défini dans son rapport au temps, puisque, déjà pour Aristote, il s’agit d’un mot qui « embrasse l’idée de temps » (Aristote, Logique [trad. Saint Hilaire 1844 : 132]).

10 Rappelons que Priscien justifiait l’existence de trois tempora au passé (praeteritum) contre un seul présent et un seul futur en s’appuyant sur le fait que le passé, en tant que temporalité de la connaissance opposée aux temps de l’incertitude que sont le présent et le futur, est naturellement enclin à embrasser diverses représentations de l’existence (Keil 1855 : 405).

11 Dans l’édition de 1604, Oudin parle de parfait défini et indéfini. Cette distinction, qu’on ne trouve, à notre connaissance, dans aucune grammaire de l’espagnol avant lui, est inspirée du Traité de la grammaire française de Louis Meigret, lequel fait le départ entre « passé indéterminé » (le passé simple des grammaires modernes) et « passé parfait » ou « passé déterminé » (le passé composé dans la nomenclature actuelle) (Meigret (1980 [1550] : 104).

12 Voir par exemple Lallot (1997, II : 237).

13 Par exemple chez Priscien qui étaye son propos sur le « subinctiuus modus » par les constructions : « facerem, si placuisset », « dicerem, si licuisset » (Keil 1855 : 425).

14 C’est en le faisant précéder de quand qu’Estienne, par exemple, présente le paradigme de j’auroye comme « prétérit imparfait » du « conionctif » (Etienne 1557 : 39).

15 Précision ajoutée dans l’édition de 1606 (Oudin 1606 : 57).

16 Percyvall (1591 : C3 v°) illustre le « Subiunctive moode and present tense » par les séquences « Si lastimara, lastimaría, lastimasse ». Là encore, c’est dans l’assimilation de amaría à amarem qu’il faut chercher l’origine d’une telle incongruité, puisque, comme on sait, en latin, le paradigme amarem apparaît aussi bien dans l’apodose que dans la protase des irréelles du présent.

17 « como yo amara, amaria, y amasse » énonce l’auteur anonyme de Louvain (1555 : D4 r°), « como yo fuera seria, y fuesse » décline del Corro (1590 : 67) pour rendre compte des formes spécifiques d’imparfait du subjonctif, « quando yo adorare, adoraria y adorasse » écrit Stepney (1591 : 10). Le modèle reste le cum amarem des grammaires latines, transposé en como / cuando amaría / amara / amase, comme si les trois formes romanes pouvaient entrer en concurrence dans la suite d’un como ou quando conjonctif.

18 Les dialogues en langue vulgaire, héritiers des colloquia latins, permettaient l’apprentissage d’idiomatismes de la langue usuelle. Le Britannique Stepney intègre sept « Dialogues » à sa Spanish Schole-Master parue en 1591. En 1599 sont publiés à Londres les Pleasant and delightful dialogues in Spanish and English de John Minsheu, qui jouiront d’une grande popularité (sur ce point, voir Sánchez [2006 : 281-287] et Cid 2002). Oudin publie à son tour en 1608 des Diálogos muy apazibles escritos en lengua española y traduzidos en frances (Paris, Marc Orry), largement inspirés de Minsheu.

19 Rappelons que, selon les critères classificatoires de l’époque, le subjonctif / conjonctif est défini par les relations de dépendance par rapport à un autre verbe et le temps imparfait s’applique à des paradigmes situant un procès non achevé dans l’antériorité du présent.

20 18 rééditions de 1602 à 1686, d’après les informations du BICRES I et II (Niederehe 1995 et 1999).

21 « J’ay observé que les Espagnols usent souvent de tuviera pour ternia ou tendria comme außi en tous les autres verbes, prenant le plusqueparfait des Optatifs & Conjonctifs, pour le temps incertain. Exemple : Si v. m. quisiera, lo tuviera agora; Si vous l’eußiez voulu, ou Si vous le vouliez, vous l’auriez à cette heure ». (Oudin 1639 [1597] : 66).

Les historiens de la langue s’accordent en effet à situer le développement du modèle « si tuviera, diera » aux dépens de « si tuviese, daría » au xviie siècle (voir Marcos Marín 1979 ; Luquet 1988 ; Andres-Suárez 1994).

22 Remarquons tout de même qu’en ce qui concerne Saulnier, le métaterme devient, dans la Nouvelle grammaire italienne et espagnole qu’il publie en 1624, le « temps indéfini » de l’optatif/conjonctif.

23 Voir sur ce point Quijada (2010 : 641-666).

24 Ouvrage cité dans le BICRES II (Niederehe 1999 : 85-86).

25 On ne trouve aucune trace du traitement de la forme en -ría par Oudin chez Owen (1605), Sanford (1611), Bense Dupuis (1637), ni Howell (1662).

26 Pour la Grammaire italienne, trois causes internes peuvent être invoquées : i) la concurrence, en italien ancien, des paradigmes en -rei et en -ria comme équivalents possibles de la forme en -ría espagnole, concurrence qui n’engage guère un descripteur à faire preuve d’originalité dans l’analyse, sauf s’il est un parfait connaisseur des subtilités de la langue cible – ce qu’à l’évidence n’était pas Oudin ; ii) l’impossibilité pour la forme simple de ce qu’on appellera ici, par commodité, le « conditionnel italien », de renvoyer à une opération dont le point de départ serait placé dans l’antériorité du présent et la réalisation projetée dans le futur ; autrement dit, l’impossibilité pour la forme simple du « conditionnel » italien de se substituer au « ternia » du deuxième exemple d’Oudin, « Pregunto me si ternia lugar mañana de velle ». (Sur ce point, voir par exemple Begioni & Rochetti 2012) ; iii) la fréquence d’usage de la forme composée qui n’autorise pas, contrairement au habría amado espagnol, la non-prise en compte du paradigme. Si Oudin avait donné à amerei/ameria le nom de temps incertain, qu’aurait-il pu mettre en face de havrei amato ? Mais il faut également prendre en compte les données externes : la Grammaire italienne de César Oudin et la grammaire française pour étrangers d’Antoine ne s’adressaient pas au même public que celui auquel était destinée la Grammaire espagnole. Plus nombreux y devaient être les litterati, de sorte que les cadres d’analyse traditionnels ont dû aisément s’imposer comme les seuls référents possibles dans la description.

27 Source : Académie Française : <http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/louis-de-courcillon-de-dangeau>.

28 Ces éléments biographiques sont réunis par Fournier (1998).

29 (…) puisqu’il indique simplement une certaine circonstance de temps dans le verbe, sans aucune autre observation particulière de la Grammaire, & que souvent même il n’est pas précédé des particules que ou qui je ne voi pas pourquoi nous placerions ce temps incertain j’aurois dans un autre mode que l’indicatif. Ajoutez que la nature des temps subjonctifs semble être de ne point indiquer absolument l’affirmation par eux-mêmes ; mais seulement d’être à la suite & dans la dépendance d’un autre verbe qui indique absolument l’afirmation & actuellement cette afirmation : comme je viendrai si vous voulez : or le temps incertain indique par lui-même l’afirmation, & n’est pas simplement à la suite & dans la dépendance d’un autre verbe : il est donc un temps de l’indicatif et non pas du subjonctif. » (Buffier 1709 : 73).

30 La forme j’aurois aimé est définie comme le « composé de l’incertain » et classée dans le même ensemble que les « composez » du présent, de l’imparfait, du prétérit et du futur (Buffier 1709 : 257-258).

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Pour citer cet article

Référence papier

Sophie Sarrazin, « Le traitement de la forme en -ría dans la Grammaire et observations de la langue espagnolle recueillies & mises en françois de César Oudin (1597) »reCHERches, 14 | 2015, 129-152.

Référence électronique

Sophie Sarrazin, « Le traitement de la forme en -ría dans la Grammaire et observations de la langue espagnolle recueillies & mises en françois de César Oudin (1597) »reCHERches [En ligne], 14 | 2015, mis en ligne le 03 décembre 2021, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/5030 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.5030

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Auteur

Sophie Sarrazin

Praxiling, UMR 5267 CNRS-Université Montpellier 3

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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