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Politiques sociales, législation et cohésion nationale

Une constitution à éclipses ou un phénix constitutionnel ?

La constitution roumaine du 29 mars 1923
An Eclipsing Constitution or a Constitutional Phoenix? The Romanian Constitution of 29 March 1923
Vlad Constantinesco
p. 157-175

Résumés

Cet article tente d’évaluer la Constitution dont la Grande Roumanie s’est dotée en 1923. Son sort n’a pas été paisible. Maintes fois suspendue, abrogée, ou violée, elle n’aura connu qu’une existence mouvementée et qu’une application intermittente. Elle n’en demeure pas moins une référence et aurait pu servir à rassembler les Roumains sous l’égide d’un roi au lendemain des événements de 1989. Mais le choix d’une forme républicaine de gouvernement par les nouveaux constituants et le refus de revenir à la constitution de 1923 et aux sources du constitutionnalisme roumain – solution que le droit semblait pourtant imposer – a montré peut-être que l'histoire retourne rarement en arrière.

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Texte intégral

  • 1 Cette constitution prend place après l’abdication de Alexandru Ioan Cuza, remplacé par un prince (...)

1La fin de la Grande Guerre consolide l’unité géographique de la Grande Roumanie, qui récupère ainsi une forte population roumanophone, restée jusque-là hors de ses frontières. En effet le territoire de la Roumanie – le Vieux Royaume, héritier des Provinces Unies – s’agrandit au sud par l’acquisition de la Dobroudja du Sud, à l’est et au nord par la Bessarabie et sa voisine la Bucovine, et enfin à l’ouest par l’entrée du Banat et de la Transylvanie. Ces profonds bouleversements territoriaux et personnels – il faut accueillir tous ces nouveaux citoyens roumains dans un même cadre constitutionnel – ont des répercussions et se traduisent sur le plan juridique par la nécessité ressentie par toutes les forces politiques d’aller vers une nouvelle constitution qui remplacerait l’ancienne, celle des Principautés Unies des 1er et 13 juin 18661.

  • 2 București, Humanitas, 1992, 4e de couverture : « Constituția din 1923 rămâne și astăzi în vigoare (...)

2Le sort de cette nouvelle constitution est heurté : elle n’est en vigueur que pour de courtes périodes, elle est maintes fois violée, souvent suspendue, parfois abrogée. Finalement, la vie de cette constitution reflète le caractère chaotique de la vie politique roumaine de l’entre-deux guerres, puis des années de guerre qui finissent par la mainmise du parti communiste sur l’ensemble de la vie politique du pays. Pourtant, un auteur informé et documenté comme Eleodor Focșeneanu n’hésite pas à soutenir, dans son livre Istoria constituțională a României. 1859-1991, que la Roumanie se caractérise par sa continuité constitutionnelle en estimant que « la constitution de 1923 reste encore aujourd’hui en vigueur2 ».

  • 3 L’article de Marian Enache et Marieta Safta, « Arcul constituțional al României 1866-2016. Repere (...)

3Il y a donc matière à discussion autour de cette constitution, qui sera examinée sous deux aspects. En premier lieu, il faudra rendre compte de la procédure constituante : comment, dans quelles conditions cette constitution a-t-elle vu le jour ? Puis il conviendra d’examiner la vie mouvementée de cette constitution, qui a oscillé depuis sa promulgation, entre suspension, abrogation et volonté de rétablissement3.

4Le lecteur voudra bien comprendre et accepter que nous n’ayons pas pu entrer dans tous les détails de la vie politique roumaine depuis 1923 dans le cadre limité de cet article, qui souffre, de ce fait, d’omissions qu’il n’a pas été possible d’éviter.

La Constitution de 1923, une nouvelle constitution, mais avec des éléments de continuité

5Dans la doctrine juridique roumaine l’interrogation demeure pour savoir ce que représente ce texte par rapport à la constitution précédente, celle de 1866 ? Est-ce un texte complètement nouveau, issu de la volonté du pouvoir constituant originaire ou, plus modestement, ce texte n’est-il qu’une révision de la précédente constitution, dont il a été gardé l’essentiel ? On s’interrogera ensuite sur la manière dont les travaux constituants ont été menés, ainsi que sur le contenu de cette « nouvelle » constitution.

Une nouvelle constitution ou une révision de la constitution de 1866 ?

6La précédente constitution – celle de 1866 – fut adoptée par une assemblée législative élue – le suffrage n’étant pas encore alors universel – qui s’est transformée en assemblée constituante au moment de la montée sur le trône du roi Carol Ier.

  • 4 Les femmes reçoivent le droit de vote en 1948. Le suffrage universel masculin a été introduit par (...)

7Au lendemain de la Grande Guerre, un décret du 22 janvier 1922 dissout le Parlement et appelle à la formation d’une assemblée constituante, par de nouvelles élections au suffrage universel masculin, libre, égal, obligatoire et secret4. C’est cette assemblée qui doit discuter et adopter la nouvelle constitution, promulguée par le roi et publiée le 29 mars 1923.

  • 5 Question abordée par Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 56, qui estime que, « en un mot, la nouvelle (...)

8On doit se demander, comme une question préalable, s’il n’eût pas été plus conforme au texte de la constitution de 1866 de procéder à sa simple révision, en mettant en œuvre le pouvoir constituant dérivé5. L’article 129 de cette constitution prévoit les modalités de sa révision :

9Le pouvoir législatif a le droit de déclarer qu’il y a lieu à la révision de telle disposition de la Constitution qu’il désigne.

  • 6 « Art. 129. – Puterea legiuitoare are dreptul de a declara că este trebuință a se supune revisiun (...)

Après cette déclaration, lue trois fois de quinze jours en quinze jours, en séance publique et approuvée par les deux Assemblées, celles-ci sont dissoutes de plein droit, et il en sera convoqué de nouvelles dans le délai prescrit par l’article 95.
Les nouvelles Assemblées statuent de commun accord avec le Prince sur les points soumis à la révision.
Dans ce cas, les Assemblées ne pourront délibérer si deux tiers au moins des membres qui composent chacune d’elles ne sont présents, et nul changement ne sera adopté s’il ne réunit au moins les deux tiers des suffrages6.

  • 7 Paul Negulesco et George Alexianu observent, dans leur Tratat de drept public, tomul I, București (...)
  • 8 Anéantissement de l’État à la suite d’une conquête militaire.
  • 9 Voir le maître ouvrage de Guy Héraud, L’ordre juridique et le pouvoir originaire, Paris, Sirey, 1 (...)
  • 10 C’est ce qu’écrivent Ioan Muraru et Elena Simina Tănăsescu, op cit. p. 87 : « Adoptarea acestei c (...)

L’initiative de la révision incombe aux assemblées : après trois lectures espacées de quinze en quinze jours, la dissolution des deux assemblées est de plein droit. Les nouvelles assemblées arrêtent le texte des points soumis à révision d’un commun accord avec le prince, puis roi. Cette procédure a été suivie à plusieurs reprises, en 1879, 1884, 19177, et on peut se demander pourquoi, cette fois-ci, il a été fait recours au pouvoir constituant originaire et pas au pouvoir constituant dérivé, qui aurait présenté des garanties similaires puisqu’aucune des dispositions de la constitution de 1866 n’était insusceptible de révision. En effet le recours au pouvoir constituant originaire ne se produit, en général, que si pour des raisons diverses (révolutions, debellatio8, etc.), l’application de la constitution en vigueur se révèle être impossible9. Or l’agrandissement de la Roumanie n’a pas entraîné de tels troubles qui auraient justifié le recours au pouvoir constituant originaire10.

  • 11 Cf. Paul Negulesco et George Alexianu, op. cit. loc. cit.

10Une autre explication, complémentaire, se réfère à la nécessité de disposer d’un nouveau cadre constitutionnel pour fonder l’unification législative qui devrait désormais unir toutes les parties du territoire de la Grande Roumanie et leurs populations. Enfin, une nouvelle constitution permettrait d’incorporer au pacte fondamental les engagements résultant des traités internationaux, et en particulier des traités de paix11.

11Quoi qu’il en soit, un choix différent a été fait, davantage du point de vue procédural que du fond puisque la procédure de révision obligeait aussi à convoquer une assemblée constituante, mais liée – et limitée – cependant, à se prononcer, en accord avec le roi, sur les seules dispositions qui avaient fait l’objet de l’initiative des Chambres. La procédure de révision débouche en principe sur une révision partielle du texte constitutionnel, alors qu’il a peut-être semblé nécessaire à ce moment-là, compte tenu des circonstances exceptionnelles que venait de traverser le pays, de procéder à une modification générale – ce qu’on appelle parfois, de manière inappropriée, une « révision totale » – du pacte constitutionnel.

  • 12 Observation faite par Dimitrie Gusti, président de l’Institut social roumain, qui a organisé une (...)

12Un regard sur d’autres pays dont l’existence dans de nouvelles limites a été causée par la reconstruction de la carte politique européenne issue de la Grande Guerre montre qu’ailleurs qu’en Roumanie, en Tchécoslovaquie, en Allemagne, en Autriche, en Pologne, en Russie soviétique de nouvelles constitutions ont vu le jour. La Roumanie serait même en retard sur ces pays12.

  • 13 On comprendra immédiatement la raison de ces guillemets.
  • 14 Le célèbre Codul de Audiență adnotat, publié par C. Hamangiu, Edit. Libr. “Universală” Alcalay & (...)
  • 15 La Constitution et le régime politique (Éléments de droit constitutionnel) in H. Lévy-Ullmann et (...)

13Ces observations de nature procédurales doivent cependant aussi tenir compte du contenu de la « nouvelle13 » constitution par rapport à la précédente. Si l’on compare le texte de la nouvelle constitution au texte qui la précède, on constate facilement que la nouvelle constitution innove en réalité assez peu et se contente de reprendre une grande partie de la constitution précédente Notamment, les droits des citoyens, les institutions et le régime politique de la monarchie constitutionnelle demeurent identiques à ce qu’ils étaient sous l’empire de l’ancienne constitution. En ce sens l’adjectif de « nouvelle » mérite d’être, pour le moins, nuancé14, comme le remarquait Paul Negulesco15 :

  • 16 Selon Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 62, cinquante-sept articles de la constitution de 1866 sont (...)

Cette nouvelle Constitution n’est en réalité qu’une adaptation de la Constitution de 1866, dont elle conserve littéralement un très grand nombre d’articles. […] La Constitution de 1923 admet tous les grands principes proclamés dans la Constitution de 1866, ainsi que les lois constitutionnelles ultérieures, mais elle édicte aussi des dispositions différentes16.

  • 17 Encore faudrait-il ne pas oublier que la réalité du suffrage, dans les villes comme dans les camp (...)
  • 18 Selon Eleodor Focșeneanu, op. cit., p. 55, cette révision aurait été à la fois imparfaite (la mod (...)
  • 19 Ainsi son article 5 dispose-t-il : « Les Roumains, sans distinction d’origine ethnique, de langue (...)

Quelles sont-elles ? On peut les énumérer de manière succincte :
 la constitutionnalisation du suffrage universel égal, libre, secret et obligatoire17 (mais exclusivement masculin) – non pas vraiment nouvelle car déjà décidée en 191718 ;
 la création de « sénateurs de droit », censés apporter leurs compétences techniques au Sénat ;
 le droit de propriété, et l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
 l’affirmation d’un domaine public comprenant les voies de communication, les eaux navigables, les eaux susceptibles de produire une force motrice ;
 l’introduction d’une série d’articles reflétant des préoccupations sociales nouvelles : par exemple, à l’art. 21, l’égale protection assurée à tous les facteurs de production, l’intervention possible de l’État pour prévenir les conflits économiques et sociaux ;
 le renforcement de l’État de droit par l’instauration d’un contrôle de constitutionnalité - a priori et a posteriori - des lois remis soit au Conseil législatif, soit aux juges ; de même l’instauration d’un contrôle de légalité des actes de l’administration, incombant aux juges, et le principe de l’inamovibilité des magistrats renforcent l’État de droit ;
 enfin, des dispositions relatives aux droits des minorités, imposées par les traités de paix et qui se traduisent notamment par l’inscription dans la nouvelle constitution du principe de non-discrimination19.

Les travaux constituants

  • 20 Cf. Paul Negulesco et George Alexianu, op. cit. p. 227. Ces auteurs estiment qu’« aucun de ces pr (...)

14L’assemblée constituante était en présence de quatre projets émanant soit des partis politiques (parti libéral, parti paysan), soit de juristes universitaires. On estime que c’est le projet présenté par le parti libéral qui est devenu la nouvelle constitution20.

  • 21 Nous avons largement suivi ici les indications précises données par Eleodor Focșeneanu, op. cit. (...)

15Ouverts par le roi le 27 mars 1922, les travaux de l’Assemblée nationale constituante commencent par la désignation des membres d’une commission constitutionnelle qui termine ses premiers travaux le 23 novembre 1922. Ceux-ci se poursuivent dès le 28 novembre, non pas en plénière mais au sein d’une Grande commission constitutionnelle qui comporte outre les parlementaires, des membres du gouvernement et des juristes renommés. Le 26 janvier 1923, le projet de constitution est déposé devant chaque chambre, un comité mixte, avec des membres du gouvernement étant chargé d’aboutir au texte définitif présenté le 5 mars aux chambres21.

16Le 9 mars, les leaders des partis d’opposition : Iuliu Maniu pour le parti national et Ion Mihalache pour le parti paysan, auxquels se joignent des députés de la Bessarabie et de la Transylvanie, présentent une protestation dans laquelle ils contestent le caractère constituant originaire de cette assemblée :

  • 22 Constituțiunea însăși la obîrșia ei nu poate izvorî decât dintr-o delegație directă și expresă da (...)

La Constitution elle-même, à son origine, ne peut provenir que d’une délégation directe et expresse donnée par la Nation à un Constituant : soit nous sommes sous le régime de la Constitution de 1866 et elle doit être révisée conformément à l’article 128, soit (dans) un État nouvellement né de l’union de l’Ancien Royaume avec les provinces émancipées puis la constitution de la loi fondamentale (…et elle doit l’être) uniquement par délégation donnée par la Nation à une Assemblée constituante. Sont-elles des ‘chambres de révision’ ou des ‘Constituantes’22 ?

La majorité dont dispose le parti libéral et ses alliés fait que cette protestation ne prospère pas. Elle montre cependant que l’incertitude sur la nature de la procédure constituante est encore présente et pèse certainement tout au long sur l’assemblée, sans pourtant obtenir sa mise en cause. La suite est rapide : la discussion générale commence le 12 mars et la constitution est adoptée le 20 par les députés et le 27 par les sénateurs, le roi promulgue ce texte le 28 mars. Il est publié le 29 au Moniteur Officiel.

17En une année donc, la nouvelle constitution était rédigée et adoptée, cette rapidité s’expliquant par la reprise de nombreux articles de la constitution précédente, qui a servi d’armature à la nouvelle, d’où la confirmation que sous le couvert de la nouveauté, c’est bien l’ancienne constitution qui demeure, un peu modernisée certes, mais non pas remplacée par un texte totalement différent.

Le contenu de la constitution

  • 23 La traduction en français de la constitution a été publiée dans la Revue du Droit Public (RDP) 19 (...)
  • 24 Notons que les articles suivants évoquent le défaut de descendance masculine et la vacance du trô (...)

18Il suffit ici de rappeler que la forme monarchique23 est bien sûr conservée, ainsi que l’exprime l’article 7724 :

  • 25 Le roi Carol Ier aussi bien que son successeur, son neveu le roi Ferdinand, n’ont quant à eux jam (...)

Les pouvoirs constitutionnels du roi sont héréditaires dans la descendance directe et légitime de Sa Majesté le Roi Charles Ier de Hohenzollern-Sigmaringen, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, et à l’exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance.
Les descendants de Sa Majesté seront élevés dans la religion orthodoxe d’Orient25.

Cette disposition est évoquée bien plus tard, lorsque se pose, après les événements de 1989, la question de savoir s’il convenait de revenir à la monarchie. Le roi Michel n’ayant eu que des filles, cet argument de fait peut être utilisé par ceux qui ne souhaitent pas le retour à la constitution de 1923, ni une restauration (voir ci-après).

  • 26 La position institutionnelle du monarque est forte. Cf. l’article précité de Paul Negulesco, op. (...)
  • 27 Il doit évidemment tenir compte de la majorité aux assemblées au moment de nommer les ministres. (...)
  • 28 Selon l’article 35 § 1, « L’initiative des lois appartient à chacune des trois branches du pouvoi (...)
  • 29 Son organisation et son fonctionnement sont régis par la loi du 26 février 1925.

19Le roi26 et ses ministres – qu’il nomme et révoque librement27 – forment le pouvoir exécutif, la Chambre des députés et le Sénat le législatif. L’adoption d’une loi exige le consentement du roi et des deux assemblées28. Le Conseil législatif, qui doit être consulté avant promulgation de la loi, est avant tout un organe de technique législative29 et son avis ne lie pas les pouvoirs publics.

  • 30 Cf. Alexandre-Radu F. Radulesco, Le contrôle de la constitutionnalité des lois en Roumanie, Paris (...)

20Le pouvoir judiciaire reçoit une mission importante, qui n’existe pas en France à la même époque, celle de vérifier la constitutionnalité d’une loi. Selon l’article 103, cette compétence appartient à la Cour de cassation toutes chambres réunies, qui statue sur la décision d’un tribunal d’écarter l’application d’une loi contraire à la constitution. Ainsi est posé un épilogue constitutionnel à une décision de la Cour de cassation du 26 mars 1912, dans laquelle la haute juridiction confirmait le jugement du tribunal d’Ilfov refusant d’appliquer une loi au motif qu’elle était contraire à la constitution30.

  • 31 Voir par exemple les deux notes de Henry Berthélemy, note sur le jugement du Tribunal d’Ilfov (Bu (...)
  • 32 5 U.S. (1 Cranch) 137 (1803). On trouvera le texte original en anglais et la traduction en frança (...)
  • 33 On trouvera des renseignements sur cette procédure dans Vlad Constantinesco et Stéphane Pierré-Ca (...)

21La décision du tribunal d’Ilfov et sa consécration par la Cour de cassation ont eu un écho certain en France, puisque quelques grands juristes français de l’époque ont été mobilisés à l’appui des prétentions des parties au litige initial (ville de Bucarest / Compagnie des tramways)31. En fait, les décisions roumaines s’inspiraient de la fameuse jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis, l’arrêt Marbury v. Madison, rendu en 1803 sous l’autorité du juge Marshall32, qui avait, pour la première fois, estimé que tout tribunal fédéral pouvait apprécier la conformité d’une loi votée par le Congrès à la Constitution fédérale. La version française de la séparation des pouvoirs interdisait à l’époque aux tribunaux ordinaires de déclarer inapplicable une loi estimée contraire à la constitution. La jurisprudence roumaine a provoqué en France une discussion nourrie mais il fallut attendre la Ve République et la révision de 2003 pour introduire un tel contrôle de constitutionnalité en France, sous la forme de la question prioritaire de constitutionnalité33.

Postérité et destin de la constitution de 1923

  • 34 L’histoire de la Roumanie à travers les coups d’État qu’elle a connus a été tentée par Alex Mihaï (...)

22La vie de cette constitution a été plutôt agitée. La période interbelică – comme la nomment les Roumains – a vu cette constitution abrogée à la suite de divers coups d’État. Mais elle a failli ressusciter après les événements de 1989, abusivement autoproclamés « révolution », alors qu’il s’agissait en réalité là encore d’un coup d’État34.

23Si l’on s’en tient seulement à la stricte chronologie, cette période de l’entre-deux-guerres peut se résumer assez vite : la Constitution de 1923 a été abrogée par la Constitution du 27 février 1938, puis rétablie par un décret royal n° 1626 du 31 août 1944, publié au Moniteur Officiel n° 202 du 2 septembre 1944. Elle a été définitivement abrogée par la loi n° 363 du 30 décembre 1947, qui proclame la République populaire roumaine.

24Plus intéressante que cette alternance entre périodes de validité et périodes d’abrogation serait la recherche des raisons de ces abrogations et de ces rétablissements, ce qui renverrait non seulement à un examen de la vie politique de cet entre-deux-guerres mais obligerait aussi à compléter l’examen des événements par une analyse de science politique portant sur les conditions dans lesquelles la constitution de 1923 a été appliquée, correctement ou non. Ceci dépasse bien entendu les limites de cette contribution, ainsi que les capacités de son auteur. On essayera donc seulement de se concentrer sur les épisodes qui ont scandé la vie (et la mort momentanée, avant la mort définitive) de cette constitution.

L’épisode des 7-13 juin 1930 : coup d’État et violation de la constitution

  • 35 Ce parti détient en 1930 une forte majorité à la Chambre des députés : 348 députés sur 387, circo (...)
  • 36 Comme il a refusé de participer au couronnement du roi Ferdinand et de la reine Marie, on a pu ra (...)

25Le fils aîné du roi Ferdinand, le prince Carol, renonce formellement, et à deux reprises, à sa qualité d’héritier de la couronne. En dépit de ces renonciations, explicites et validées par le Parlement, et de son engagement de ne pas revenir au pays, il y revient clandestinement et aidé par des circonstances turbulentes, auxquelles ne sont pas étrangers le parti national-paysan35 et son illustre chef Iuliu Maniu36, celui-là même qui avait exprimé son rejet de la constitution de 1923 (cf. la note 18, ci-dessus). À la mort du roi Ferdinand, le 20 juillet 1927, est mis en place, selon la constitution, un Conseil de régence, puisque le successeur du roi Ferdinand est son petit-fils, Mihai, le fils du prince Carol, âgé seulement de six ans.

26Le retour au pays de celui qui ne peut plus se nommer que Carol Caraiman, qui a abandonné ses droits sur le trône, et qui a promis de se tenir à l’écart de son pays, débouche sur plusieurs violations de la constitution : la destitution du roi mineur Michel, la violation des dispositions relatives au Conseil de régence, l’abrogation par le Parlement de l’acte par lequel il renonce au trône. Le 8 juin a lieu son couronnement, qui constitue une autre violation de la constitution dont l’article 77 & 1er disposent que

  • 37 Souligné par nous.

Les pouvoirs constitutionnels du Roi sont héréditaires en ligne descendante directe et légitime37 de Sa Majesté le Roi Carol Ier de Hohenzollern Sigmaringen, de mâle en mâle et par ordre de primogéniture et avec exclusion perpétuelle des femmes et de leurs descendants.

Il est clair que la condition de légitimité faisait ici défaut, puisque celui qui était devenu simplement M. Carol Caraiman avait, par sa libre volonté, perdu tout titre lui permettant d’être considéré comme légitime héritier de son père, le défunt roi Ferdinand. De plus, l’article 85 de la constitution de 1923 qui prohibait toute modification de la constitution pendant la période de régence est lui aussi violé.

27Une autre remarque peut encore être faite : le nouveau roi fait partir son règne de la date de la mort du roi Ferdinand, et non de celle de son couronnement, ce qui permet d’effacer la période de régence, ainsi que les lois intervenues durant cette période, qui pour produire à nouveau leurs effets devront être reconfirmées par le parlement et surtout par le roi, qui reçoit de ce fait le pouvoir d’éliminer celles des lois antérieures à son coup d’État qu’il souhaite. Notamment, est ainsi effacée par la suite la loi qui avait reconnu son divorce d’avec la reine Elena, en le plaçant du coup en situation de bigamie, puisqu’il contracte plus tard un mariage civil et religieux avec sa maîtresse.

28Manifestement, les institutions mises en place par la constitution de 1923 n’ont pas pu empêcher ces violations : on en revient, cette fois-ci encore, au constat d’évidence que les institutions ne sont que ce que les hommes en font. Leur prêter une vertu supérieure est certainement illusoire.

  • 38 On peut citer les assassinats de Ion G. Ducă (1933), premier ministre en exercice ; Corneliu Codr (...)

29La décennie qui suit ce retour est marquée par une grande instabilité politique et par une violence accrue envers les hommes politiques et notamment par des assassinats38. En effet, quatorze gouvernements se succèdent de 1930 à 1938 – date à laquelle la constitution de 1923 est « suspendue » et remplacée par un nouveau texte dans des conditions de légalité discutables.

Les années 1937-1938 : suspension de la constitution de 1923 et nouvelle constitution

  • 39 On trouvera d’utiles précisions sur les événements politico-constitutionnels de ces années dans P (...)

30Ces deux années sont cruciales pour le sort de la constitution de 1923. Sans entrer dans les détails, nous ne pouvons que les résumer39. Le roi Carol II, à la suite des élections perdues par le parti libéral, ne confie pas le soin de former le gouvernement au chef du parti national-paysan Iuliu Maniu, parti arrivé en tête, mais sans avoir cependant obtenu la prime majoritaire prévue par la loi électorale. C’est le poète Octavian Goga qui est désigné, dont le parti national-chrétien n’a obtenu que 9,15 % des suffrages. Ceci est contraire à la pratique constitutionnelle qui s’était installée depuis 1923. De plus, ce gouvernement n’étant pas viable, le roi décide de dissoudre le corps législatif et convoque de nouvelles élections pour le début de mars 1938. Avant même qu’elles aient eu lieu, l’état de siège est proclamé par un décret royal du 11 février et pour une durée illimitée. Le 20 février, le roi s’adresse à la nation, lui fait part de son intention de donner une nouvelle constitution au pays, qui serait ratifiée par référendum. Celui-ci a lieu le 24 février et son résultat donne plus de quatre millions de voix en faveur du nouveau texte constitutionnel, et seulement 5 803 contre. La nouvelle constitution est promulguée par décret royal du 27 février.

  • 40 À cet égard, une certaine parenté peut être établie entre ce qui s’est passé en 1923 vis-à-vis de (...)

31Du point de vue juridique, nous sommes en présence d’une claire violation de la constitution de 1923, car aucun usage n’a été fait de la procédure de révision qu’elle instituait de manière impérative40. De plus, cette constitution du 27 février 1938 est une constitution concédée, qui n’a pas été discutée ni votée par une Assemblée constituante. Le référendum ne permettait qu’un choix binaire et a été en réalité un plébiscite pour le roi. Enfin, cette nouvelle constitution, dans son article 98 alinéa 5, abroge la constitution de 1923. On s’est demandé si le terme d’« abrogation » était correct et si une nouvelle constitution pouvait, purement et simplement, abroger la précédente, sans qu’ait été fait usage de la procédure de révision prévue par l’ancienne constitution ? Une chose est claire, le roi n’a pas reçu du texte constitutionnel en vigueur au moment où cette décision est prise le droit de le supprimer, ni celui de fabriquer une nouvelle constitution. N’ayant même pas le pouvoir d’abroger une simple loi, comment aurait-il pu avoir celui d’abroger une constitution ?

  • 41 « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvo (...)

32On n’examinera pas ici la « constitution » nouvelle qui installe une monarchie autoritaire et qui renonce à la séparation des pouvoirs. Or celle-ci, comme le rappelle l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen des 16 et 24 août 1789, est une condition d’existence d’une constitution41. Tout au moins dans les régimes de démocratie libérale. Le régime nouveau cesse donc d’obéir aux paradigmes de la démocratie libérale, ce que démontrent aussi d’autres de ses traits, par exemple le fait que le roi est tout puissant, exerçant la fonction législative par l’intermédiaire du Parlement bicaméral, qui reçoit un caractère corporatiste, ainsi que la fonction exécutive exercée par son gouvernement, qui n’est responsable que devant lui et qu’il peut nommer et révoquer à sa guise sans tenir compte du parlement.

1940-1944 : « suspension » de la « constitution » de 1938, installation d’un régime autoritaire

  • 42 La Bessarabie est envahie et occupée par l’URSS, le soi-disant arbitrage de Vienne (du 30 juin 19 (...)
  • 43 Si cette constitution avait été véritablement suspendue, ne serait-on pas revenu à la constitutio (...)
  • 44 Ce texte ne lui donnait pas ce pouvoir de le suspendre. L’art. 97, relatif à la révision, disposa (...)
  • 45 Pour plus de détails, se référer à l’ouvrage d’Eleodor Focșeneanu, précité p. 79 sq.
  • 46 Ce même jour est publié le décret n° 3072 qui énumère les seuls pouvoirs dévolus au roi : « Art. (...)

33Le début de la Seconde Guerre mondiale ainsi que son retentissement en Roumanie42, conduisent le roi, le 5 septembre 1940, à dissoudre les Assemblées et à « suspendre »43 la constitution de 193844, qui lui conférait pourtant de très larges pouvoirs. Les événements se succèdent à un rythme précipité45. Le même jour, le général Ion Antonescu est nommé président du Conseil des ministres, avec les pleins pouvoirs. Le monarque qui voit ses pouvoirs se réduire, devient de plus en plus impopulaire et, dépourvu de soutien politique, se voit contraint d’abdiquer le 6 septembre 1940, à la demande du nouveau dirigeant : les démembrements territoriaux qu’il n’a pu empêcher, sa légitimité déjà douteuse, sa popularité inexistante le conduisent à cette décision. Il s’enfuit de Roumanie le 7 septembre46, après un parcours funeste pour le pays. Il a bafoué puis mis à bas la constitution de 1923, dévalué la monarchie.

  • 47 Cette courte période a été bien analysée par A. Simion, Regimul politic din România în perioada s (...)
  • 48 Observation faite par Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 85, qui conclut cependant que « […] outre d (...)
  • 49 Cf. Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 88.

34Toujours est-il que le jour même de l’abdication de Carol II, son fils Mihai – qui fête ses ans le 25 octobre – est désigné comme roi par un décret signé par le général, décret fondé sur les dispositions des constitutions de 1866 et 1923, et constatant sa succession au trône. Il redevient roi et prête serment, non devant le parlement dissous, mais devant le chef du gouvernement, le patriarche de l’Église orthodoxe et le président de la Cour de cassation. Ainsi commence son court et tragique règne, dans lequel il ne possède que des pouvoirs de façade, de caractère formel et protocolaire, la constitution de 1938 ayant été suspendue et le seul et véritable chef de l’exécutif étant Antonescu. La présence d’un monarque aux pouvoirs réduits a pu donner un semblant de légitimité au régime autoritaire que met en place le général, d’abord en associant le mouvement légionnaire à la direction du pays – l’État national légionnaire, qui ne dure que cinq mois47, est aboli par le décret royal du 15 février 1941, ses partisans ayant été physiquement éliminés –, puis en gouvernant seul à la tête d’un régime qu’il est difficile de définir du point de vue constitutionnel48. On a essayé de rattacher ce régime à la constitution de 1923, plus précisément à son article 128 alinéa 2 qui prévoit la possibilité de déclarer l’état de siège, en cas de péril d’État, permettant au pouvoir exécutif de prendre des mesures exceptionnelles49. On ne voit cependant pas très bien comment et en vertu de quelle opération juridique cet article et cette constitution auraient pu servir de base aux textes qui établissent ce régime, textes qui d’ailleurs ne mentionnent nullement la constitution de 1923. Régime autoritaire ou régime dictatorial ? La question demeure discutée.

23 août 1944-30 décembre 1947

  • 50 On lira avec intérêt des récits de témoins de ce coup d’État royal. Voir Mircea Ionnițiu, Amintir (...)
  • 51 Remis aux forces soviétiques par les autorités roumaines, emprisonné en URSS pendant deux ans, il (...)

35La première date50 est celle où le roi Mihai, en accord avec les chefs des partis politiques – qui ont donc pu continuer à fonctionner sous le régime autoritaire du maréchal –, procède à son arrestation51. La seconde est celle de l’abdication du roi Mihai, abdication forcée par les menaces des dirigeants communistes et par la présence de l’armée rouge autour du palais royal.

  • 52 Ce qui renforce la thèse selon laquelle la constitution de 1923 n’est pas due au pouvoir constitu (...)

36Rapidement après le 23 août, jour où se produit, par un « coup d’État royal », l’arrestation du Maréchal Antonescu, un décret royal du 31 août rétablit les droits des Roumains reconnus par la constitution de 1866 telle que modifiée en 192352, tout en rétablissant cette dernière constitution, qui redevient donc la charte fondamentale de la Roumanie après quelque quatorze années de mise entre parenthèses ou d’interruptions. Mais ce retour s’accompagne de conditions dues à la situation particulière et difficile du pays, sous emprise soviétique : il n’existe plus ni Parlement ni conseils municipaux et le roi exerce le pouvoir législatif jusqu’à l’élection des futures assemblées. En droit, mais sans doute non pas complètement en fait, il y a donc bien rétablissement de la constitution de 1923. Celle-ci ne fait cependant pas obstacle à la mise en place d’un régime – le régime communiste – qui l’abroge sans tarder après le départ forcé du roi.

37Le 6 mars 1945, le pays étant occupé par les troupes soviétiques, le roi est contraint de nommer un communiste, Petru Groza, à la tête d’un nouveau gouvernement dominé par le parti communiste et dont sont exclus les représentants des partis traditionnels : libéraux et nationaux-paysans. Les élections législatives du 19 novembre 1946, falsifiées par les vainqueurs, donnent la victoire au Bloc des partis démocratiques, conduit par le parti communiste. S’ensuit l’élimination des leaders des partis traditionnels, emprisonnés.

  • 53 On trouvera reproduite dans l’ouvrage précité de Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 108 la déclarati (...)
  • 54 Selon le même auteur, le Parlement n’a pas pu se réunir ce jour-là, étant en période de vacances (...)

38Le 30 décembre 1947 le roi est contraint d’abdiquer, sa décision n’étant en aucun cas « un acte de volonté libre », comme l’ont prétendu les communistes53. La violence employée rend cette abdication juridiquement inexistante et inopposable au roi et à la nation. La soi-disant loi54 du même jour abroge la constitution de 1923 et indique que la dénomination du pays sera désormais : République Populaire roumaine. Mais cette simple loi ordinaire, à supposer même qu’elle ait pu être votée, ne pouvait en aucun cas procéder à de telles mesures. Les violations de la constitution de 1923 ont donc été multiples, ce qui permet de dire que pendant la période communiste qui suit, où trois constitutions sont adoptées, la constitution de 1923 demeure, en droit, la constitution légale et légitime, même si en fait elle ne s’applique plus jamais.

  • 55 Des indications précises dans Eleodor Focșeneanu, op. cit. pp. 115 à 137.

39Nous n’examinerons pas ici les trois constitutions (1948, 1952 et 1965) dont s’est dotée la République populaire roumaine (puis la République socialiste de Roumanie) pendant les quarante-deux années passées sous le régime communiste55.

La constitution de 1923 ressuscitée ?

40Les événements de décembre 1989, dénommés le plus souvent révolution – alors qu’il s’agissait d’un coup d’État – ont renouvelé la problématique constitutionnelle. En effet, assez rapidement s’est posée la question de savoir comment organiser le pouvoir de fait issu de ces événements. Fallait-il rédiger une nouvelle constitution ? ou bien n’était-il pas plus correct, du point de vue juridique, de revenir à la constitution de 1923, si malmenée depuis les années 1930, mais dont les multiples violations et suspensions n’avaient pas, pour les tenants de cette solution, altéré l’autorité et la légitimité ? Le choix était donc entre le rétablissement de la constitution de 1923, avec ce que cela impliquait, à savoir le retour du roi et la restauration d’un régime monarchique ou la mise à l’écart du roi et de la monarchie constitutionnelle, lui préférant un régime républicain.

  • 56 Voir par exemple Alexandru Muraru, « Constituţia din 1923 vs Constituţia din 2003. Ce ar câştiga (...)
  • 57 De plus, ce retour à la constitution de 1923 présentait pour ses partisans de nombreux avantages  (...)
  • 58 « Sunt şi rămân dizolvate structurile de putere ale fostului regim dictatorial ».

41Les voix n’ont pas manqué56 pour soutenir que la seule solution correcte, du point de vue du droit constitutionnel, serait le retour à la constitution de 1923, la seule démocratiquement adoptée, qui instituait un régime politique libéral, fondé sur la séparation des pouvoirs dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle57. Et les arguments ne manquent pas. L’un des premiers actes des gouvernants issus des événements de décembre 1989 a bien été l’abrogation de la dernière constitution du régime communiste, celle du 21 août 1965 par l’article 10 du décret-loi n° 2/1989 du 27 décembre 1989 qui indiquait expressément que : « Les structures du pouvoir du régime dictatorial précédent sont et demeurent dissoutes58 ».

  • 59 « Forma de guvernamant a țării este republica ».

42On en revenait alors inévitablement, et presque mécaniquement, si les mots ont un sens, à la constitution de 1923, expressément abrogée par la soi-disant loi de 1947, examinée plus haut. Sauf que ce même texte, dans son article 1er, disposait que : « La forme du gouvernement du pays est la république59 ».

43On le voit, ce texte, édicté par le Front de Salut national (Frontul Salvării Naţionale), instance autoproclamée et gouvernement de fait, comportait une contradiction majeure, qui a été par la suite résolue par l’affirmation par l’article 2 de la constitution de 1991 du caractère républicain du régime qu’elle instituait.

44Mais le peuple, s’il a bien été sollicité pour approuver la constitution de 1991, n’a pas été consulté pour savoir s’il souhaitait le rétablissement de la constitution de 1923. Cette omission traduit la volonté des détenteurs du pouvoir de l’époque d’interdire sans contestation possible le retour de la monarchie constitutionnelle.

  • 60 Élue sur la base du décret-loi n° 92 du 14 mars 1990 cette assemblée se proclame constituante, co (...)

45Au lieu que l’assemblée constituante60 procède à une copie de la constitution française de la Ve République, il eût été plus conforme aux principes démocratiques que le peuple soit interrogé à l’image du référendum qui a eu lieu en France en 1945, selon les dispositions de l’ordonnance du 17 août 1945. Deux questions étaient alors posées :
1. voulez-vous que l’assemblée élue ce jour soit constituante ?
2. si le corps électoral a répondu oui à la première question, approuvez-vous que les pouvoirs publics soient, jusqu’à la mise en vigueur de la nouvelle Constitution, organisés conformément aux dispositions du projet de loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics dont le texte figure au verso du bulletin de vote ?
Cette double question permettait le choix entre un retour à la IIIe République ou la rédaction et l’adoption d’une nouvelle constitution, solution choisie alors par les électeurs français. Un tel choix ne fut pas offert aux électeurs roumains car d’emblée le pouvoir en place et le constituant de 1991 avaient décidé d’instaurer la république et d’écarter ainsi toute restauration monarchique.

46En guise de conclusion, on soulignera que la durée de vie limitée de la constitution de 1923 n’est pas imputable à ses déficiences ou à ses imperfections, mais bien plutôt à l’attitude des responsables politiques qui ne l’ont pas respectée. Il faut aussi mentionner, pour résumer les causes de ce qui peut apparaître comme l’échec de cette constitution, une situation politique interne compliquée et violente, ainsi qu’une situation extérieure menaçante, la combinaison de ces facteurs conduisant à priver d’effectivité le texte constitutionnel.

47Sans doute ces multiples violations de cette constitution justifient-elles l’idée selon laquelle elle est toujours en vigueur, tous les textes ayant fondé ces violations étant nuls et de nul effet, et même inexistants en vertu de la maxime Quod nullum est, nullum producit effectum. Il n’en demeure pas moins que privée d’effectivité depuis si longtemps, la constitution de 1923 garde surtout aujourd’hui une force symbolique : symbole de la Grande Roumanie reconstituée, symbole d’une monarchie constitutionnelle d’importation, mais qui avait réussi à se rendre légitime et populaire, symbole enfin de la nostalgie d’un passé glorieux du pays roumain.

48Ainsi c’est plutôt vers le conte La Belle au bois dormant qu’il faut se tourner pour l’apprécier aujourd’hui. Y aura-t-il un jour un prince charmant pour la réveiller ?

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Bibliographie

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Notes

1 Cette constitution prend place après l’abdication de Alexandru Ioan Cuza, remplacé par un prince allemand de la maison des Hohenzollern, Carol Ier, et est imitée de la constitution belge de 1831, qui passe à l’époque pour une constitution moderne et libérale Cf. Ioan Muraru et Elena Simina Tănăsescu, Drept constituțional și instituții politice, ed. 12, Volumul I, București, Editura All Beck 2005, p. 85.

2 București, Humanitas, 1992, 4e de couverture : « Constituția din 1923 rămâne și astăzi în vigoare » (cette traduction est la nôtre, comme toutes les autres dans cette contribution). Nous ferons à maintes reprises référence à cet ouvrage qui, par ses références et ses analyses, demeure à notre connaissance le seul à aborder l’histoire constitutionnelle de la Roumanie dans son ensemble et en profondeur. Nous partageons à peu près toutes ses conclusions, sauf celles relatives à la continuité constitutionnelle que ce pays aurait connu et au maintien en vigueur encore aujourd’hui de la constitution de 1923.

3 L’article de Marian Enache et Marieta Safta, « Arcul constituțional al României 1866-2016. Repere pentru revizuirea Constituție », examine à grands traits l’histoire constitutionnelle de la Roumanie, <https://www.ccr.ro/wp-content/uploads/2020/05/Arcul-constitutional-al-Romaniei2016_2.pdf>.

4 Les femmes reçoivent le droit de vote en 1948. Le suffrage universel masculin a été introduit par la révision de la constitution de 1866, intervenue le 19 juillet 1917. Voici le nouvel art. 57 de la constitution de 1866 tel que révisé en 1917 : « Adunarea deputaţilor se compune din deputaţi aleşi de cetăţenii români majori, prin votul universal, egal, direct, obligatoriu şi cu scrutin secret pe baza reprezentării proporţionale » (« La Chambre des députés se compose de députés élus par les citoyens roumains, par suffrage universel, égal, direct et obligatoire »). Auparavant, le système électoral était censitaire.

5 Question abordée par Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 56, qui estime que, « en un mot, la nouvelle situation sociale, économique et politique du pays imposait un nouveau pacte fondamental » (« într-un cuvînt, noua situație socială, economică și politică a țării impunea un nou pact fundamental »).

6 « Art. 129. – Puterea legiuitoare are dreptul de a declara că este trebuință a se supune revisiunea dispozițiunilor din Constituție anume arătate. După această declarație, citită de trei ori din 15 în 15 zile în ședința publică și primită de ambele Adunări, acestea sunt dizolvate de drept și se convoacă altele în termenul prescris de art. 95. Adunările cele noi proceed în acord cu Domnul la modificarea punturilor supuse revisiunei. În acest caz Adunările nu pot delibera decât cel puțin două treimi a membrilor din care se compun nu sunt prezenți, și nici o schimbare nu se poate adopta decât nu va întruni cel puțin două treimi ale voturilor ».

7 Paul Negulesco et George Alexianu observent, dans leur Tratat de drept public, tomul I, București, Casa școalelor, 1942, p. 226, en évoquant les révisions de la constitution de 1866 : « Acest cadru fusese grav trunchiat printr-o serie de modificări, făcute în pripă, mai toate în forma nelegală, pe cale excepțională a decretul lege » (« Ce cadre avait été sérieusement tronqué par une série de modifications, faites à la hâte, le plus souvent sous une forme illégale, par la voie exceptionnelle du décret-loi »).

8 Anéantissement de l’État à la suite d’une conquête militaire.

9 Voir le maître ouvrage de Guy Héraud, L’ordre juridique et le pouvoir originaire, Paris, Sirey, 1946.

10 C’est ce qu’écrivent Ioan Muraru et Elena Simina Tănăsescu, op cit. p. 87 : « Adoptarea acestei constituții a fost considerată nelegală deoarece nu s-au respectat întru tot regulile de revizuire a constituției stabilite prin. art. 129 al constituției din 1866 » (« L’adoption de cette constitution a été considérée comme illégale, car les règles relatives à la révision de la constitution de 1866, établies par son article 129, n’ont pas été parfaitement respectées »). Il eût fallu peut-être dire « inconstitutionnelle » et non illégale. Les auteurs n’en disent pas plus. Mais Paul Negulesco et George Alexianu, dans l’ouvrage précité, p. 227, observent que la convocation de l’assemblée constituante qui allait rédiger la nouvelle constitution de 1923 ne respectait pas les dispositions de l’art. 128 de la constitution de 1866 et notamment l’exigence de définir les points sur lesquels porterait la révision. Il ne s’agissait donc pas d’une simple révision – même générale –, mais d’une nouvelle constitution fondée sur l’exercice du pouvoir constituant originaire.

11 Cf. Paul Negulesco et George Alexianu, op. cit. loc. cit.

12 Observation faite par Dimitrie Gusti, président de l’Institut social roumain, qui a organisé une série de conférences au moment où se discutait la nouvelle constitution. Une réédition du recueil de ces conférences a paru sous le titre : Constituția din 1923 în dezbaterea contemporanilor, București, Humanitas, 1999. L’observation de D. Gusti se trouve à la page 21.

13 On comprendra immédiatement la raison de ces guillemets.

14 Le célèbre Codul de Audiență adnotat, publié par C. Hamangiu, Edit. Libr. “Universală” Alcalay & C°, București, Ediția IV-a, 1932, présente les deux constitutions de manière superposée, ce qui permet de comparer facilement leurs articles.

15 La Constitution et le régime politique (Éléments de droit constitutionnel) in H. Lévy-Ullmann et B. Mirkine-Guetzevitch (dir.), La Vie Juridique des Peuples IV. Roumanie, Bibliothèque de droit contemporain, Paris, Librairie Delagrave, 1933, p. 11. Ce volume de près de cinq cents pages présente en huit chapitres rédigés en français par des professeurs roumains, les principaux éléments du système juridique de la Roumanie.

16 Selon Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 62, cinquante-sept articles de la constitution de 1866 sont demeurés intacts, onze n’ont subi que de légères modifications rédactionnelles, dix-neuf ont subi des omissions non-significatives, vingt articles anciens ont été supprimés, vingt-et-un articles ont connu une modification radicale et vingt-quatre articles nouveaux ont été introduits. La nouvelle constitution comporte donc quatre-vingt-sept articles anciens, vingt-et-un articles substantiellement modifiés et vingt-quatre articles nouveaux sur un total de 130 articles. De ce point de vue, la constitution de 1923 est plus ancienne que nouvelle.

17 Encore faudrait-il ne pas oublier que la réalité du suffrage, dans les villes comme dans les campagnes, se déroulait souvent dans un climat de violence qui affectait sûrement son caractère libre. Voir par exemple Alex Mihai Stoenescu, Istoria loviturilor de stat în România. 1821-1999. volum 3. Cele trei dictaturi, București, Editura RAO, 2002, p. 23 : « Orașele și satele României interbelice erau, practic, devastate de valul electoral, bătăile, abuzurile de tot fel, falsificarea rezultatelor fiind nu numai mereu identificate și reclamate, dar și recunoscute » (« Les villes et villages de la Roumanie de l’entre-deux-guerres ont été pratiquement dévastés par la marée électorale, les bagarres, les exactions de toutes sortes, la falsification des résultats étant non seulement toujours identifiée et dénoncée, mais aussi reconnue »).

18 Selon Eleodor Focșeneanu, op. cit., p. 55, cette révision aurait été à la fois imparfaite (la modification de l’art. 19 de la constitution de 1866 aurait comporté des dispositions relevant de la loi et non de la constitution) et incomplète (le constituant n’aurait pas tiré toutes les conséquences de l’instauration du suffrage universel, notamment en ce qui concerne l’élection du Sénat).

19 Ainsi son article 5 dispose-t-il : « Les Roumains, sans distinction d’origine ethnique, de langue ou de religion, jouissent de la liberté de conscience, de la liberté d’enseignement, de la liberté de la presse, de la liberté de réunion, de la liberté d’association, et de tous les droits et libertés établis par la loi. »

20 Cf. Paul Negulesco et George Alexianu, op. cit. p. 227. Ces auteurs estiment qu’« aucun de ces projets ne se hausse à la hauteur des besoins de notre nation reconstruite dans sa grande unité, aucun d’entre eux n’ouvre des possibilités élargies de vie pour le travail et pour le développement à venir de l’État nouveau ». (« Niciunul din ele nu se ridică însă la înălțimea nevoilor neamului nostru ; niciunul din ele nu deschide posibilitățile largi de viață pentru munca si pentru dezvoltarea de viitor a Statului nou ».)

21 Nous avons largement suivi ici les indications précises données par Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 58 et 59.

22 Constituțiunea însăși la obîrșia ei nu poate izvorî decât dintr-o delegație directă și expresă dată de către Națiune unei Constituante : ori suntem sub regimul Constituții din 1866 și trebuie revizuită conform articol 128, ori un stat nou născut din Unirea Vechiului Regat cu provinciile emancipate și atunci alcătuirea așezământului fundamental […] zuire” sau “Constituantă” ?

23 La traduction en français de la constitution a été publiée dans la Revue du Droit Public (RDP) 1924, p. 279.

24 Notons que les articles suivants évoquent le défaut de descendance masculine et la vacance du trône. Nous y reviendrons.

25 Le roi Carol Ier aussi bien que son successeur, son neveu le roi Ferdinand, n’ont quant à eux jamais abjuré la religion catholique, mais cette disposition constitutionnelle ne s’appliquait qu’à leurs enfants.

26 La position institutionnelle du monarque est forte. Cf. l’article précité de Paul Negulesco, op. cit. p. 13 : « Dans un pays qui n’a pas une opinion publique puissante ou dont le corps électoral n’a pas une indépendance suffisante, le Roi a une influence considérable. Il apparaît comme un organe modérateur ; il plane au-dessus des passions politiques ; il représente le principe de la collaboration des pouvoirs. En effet, le Roi est co-législateur avec la Chambre et le Sénat ; il a le droit d’initiative et de sanction, le droit de dissolution des assemblées législatives, de prorogation et de prolongation ; il est le chef du pouvoir exécutif et, en cette qualité, il représente le pays vis-à-vis des États étrangers, nomme et révoque les ministres ; il promulgue les lois ; il nomme à toutes les fonctions publiques ; il fait les règlements d’intérêt général en application des lois ; il conclut les conventions internationales ; il est le chef de l’armée ; confère les décorations ; frappe les monnaies ; il a le droit d’amnistie en matière politique, le droit de grâce. »

27 Il doit évidemment tenir compte de la majorité aux assemblées au moment de nommer les ministres. Ceux-ci sont responsables devant lui et non, en principe, devant les Chambres, ce qui fait que l’on peut parler d’un régime parlementaire moniste avec la seule responsabilité des ministres devant le roi.

28 Selon l’article 35 § 1, « L’initiative des lois appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif. »

29 Son organisation et son fonctionnement sont régis par la loi du 26 février 1925.

30 Cf. Alexandre-Radu F. Radulesco, Le contrôle de la constitutionnalité des lois en Roumanie, Paris, Les Presses Modernes, 1935, <https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k9805621j/f18.item.texteImage>. Pour une synthèse : Daniela Cristina Valea, « 100 Years of Constitutionality Control in Rumania », Law Review VIII-2 2019, p. 45, <https://www.internationallawreview.eu/article/100-years-of-constitutionality-control>.

31 Voir par exemple les deux notes de Henry Berthélemy, note sur le jugement du Tribunal d’Ilfov (Bucarest), 2 février 1912, Sirey 1912, IV, p. 12 ; et note sur la décision de la Cour de cassation du 16 mars 1912, Dalloz, 1912. 2. p. 201. La Cour de cassation a en effet confirmé le jugement du tribunal d’Ilfov au motif que « tout comme en cas de contradiction entre deux lois ordinaires il est du droit et du devoir du juge de les interpréter et de décider laquelle des deux doit être appliquée et qu’il est tout autant de son devoir d’agir de même au cas où l’une de ces deux lois est la constitution » (RDP), 1912, p. 365. Voir aussi l’article des professeurs Henry Berthélemy et Gaston Jèze : « La vérification de la constitutionnalité des lois par les tribunaux en Roumanie », (RDP), 1912, p. 138 sq.

32 5 U.S. (1 Cranch) 137 (1803). On trouvera le texte original en anglais et la traduction en français de cet arrêt dans Élisabeth Zoller, Grands arrêts de la Cour suprême des États-Unis, Paris, PUF (collection Droit fondamental), 2000, p. 73.

33 On trouvera des renseignements sur cette procédure dans Vlad Constantinesco et Stéphane Pierré-Caps, Droit constitutionnel, Paris PUF (Collection Thémis), 2017, p. 506 sq.

34 L’histoire de la Roumanie à travers les coups d’État qu’elle a connus a été tentée par Alex Mihaï Stoenescu, Istoria loviturilor de stat în România, en trois volumes parcourant les années 1821 à 1999, parus à Bucarest aux éditions RAO. Nous nous servirons de ce travail.

35 Ce parti détient en 1930 une forte majorité à la Chambre des députés : 348 députés sur 387, circonstance évidemment favorable à la réussite de ce coup d’État. Le chef du gouvernement, du 13 juin au 9 octobre 1930, est Iuliu Maniu.

36 Comme il a refusé de participer au couronnement du roi Ferdinand et de la reine Marie, on a pu rappeler à son égard la formule de Goethe : « Er ist der Mann der stets verneint ». Cf. Constantin C. Giurescu, Amintirii, Bucuresti, 2000, ed. All, p. 121, cité par Alex Mihaï Stoenescu, op. cit. volumul 2, p. 309. Cet auteur considère que Carol Caraiman et Iuliu Maniu ont comploté pour organiser ce retour.

37 Souligné par nous.

38 On peut citer les assassinats de Ion G. Ducă (1933), premier ministre en exercice ; Corneliu Codreanu, chef du Mouvement légionnaire devenu Garde de fer (1938) ; Armand Călinescu, premier ministre en exercice (1939) ; Nicolae Iorga (1940), le plus connu des historiens roumains, qui exerça aussi les fonctions de Premier ministre, de quoi partager la vision pessimiste d’Alex Mihaï Stoenescu, op. cit., vol. 1 (4e de couverture) : « […] națiunea a cunoscut în 180 de ani de existență 3 revoluții, 2 răscoale majore, 15 lovituri și tentative de lovitură de stat, nenumărate revolte populare și tulburări civile, insurectie și atentate, 7 prim-miniștri asasinați, 6 mineriade […] » (« La nation a connu en 180 années d’existence, deux révolutions, deux émeutes majeures, quinze coups d’État ou tentatives de coup d’État, d’innombrables révoltes populaires, troubles civils et attentats, sept premiers ministres assassinés, six minériades ». Le terme de « minériade » étant, selon Wikipédia, « le terme générique employé pour désigner les six interventions violentes des mineurs roumains à Bucarest, à l’appel du pouvoir ex-communiste, officiellement pour « empêcher l’opposition de droite de livrer le pays aux capitalistes étrangers et de le dépecer au profit des nationalistes hongrois ») Voir <https://www.google.com/search?q=mineriade&oq=mineriade&aqs=chrome..69i57.4423j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8>. Lire aussi de Paul Ștefănescu, Asasinatele politice în istoria României, București, Editura Vestala, 2000.

39 On trouvera d’utiles précisions sur les événements politico-constitutionnels de ces années dans Paul Negulesco et George Alexianu, op. cit., p. 228 sq. et surtout dans Eleodor Focșeneanu, op. cit., p. 72 sq.

40 À cet égard, une certaine parenté peut être établie entre ce qui s’est passé en 1923 vis-à-vis de la constitution de 1866, et ce qui se passe en 1938 vis-à-vis de celle de 1923 : dans les deux cas on peut soutenir que la manifestation d’un pouvoir constituant originaire ne rendait pas utile de recourir à la révision. Se pose aussi la question plus délicate de savoir si le pouvoir constituant originaire pourrait être limité – ce qui serait contraire à son caractère souverain – et d’ailleurs limité par quelle disposition de droit positif ?

41 « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

42 La Bessarabie est envahie et occupée par l’URSS, le soi-disant arbitrage de Vienne (du 30 juin 1940), imposé à la Roumanie - qui parle de diktat - par les puissances de l’Axe et non pas sollicité par elle, par lequel le nord de la Transylvanie est cédé à la Hongrie, traumatisent le pays et expliquent le recours à l’homme providentiel que le général Ion Antonescu paraît être.

43 Si cette constitution avait été véritablement suspendue, ne serait-on pas revenu à la constitution de 1923 ?

44 Ce texte ne lui donnait pas ce pouvoir de le suspendre. L’art. 97, relatif à la révision, disposait : « Constituția de față nu poate fi revizuită în total sau în parte decât din inițiativa Regelui și cu consultarea prealabilă a Corpurilor Legiuitoare care urmează a indica și textele de revizuit. Consultarea Adunărilor Legiuitoare se face prin mesaj Regal și se exprimă cu majoritate de două treimi ale Adunărilor întrunite într-una singură sub președinția Președintelui Senatului. Rezultatul consultației se aduce la cunoștință Regelui de președinții celor două Adunări însoțiți de o Comisie specială. Textele noi, urmand a înlocui pe cele revizuite, se votează cu majoritate de doua treimi, de fiecare Adunare în parte » (« La présente Constitution ne peut être révisée en tout ou en partie qu’à l’initiative du Roi et après consultation préalable des Corps législatifs qui indiqueront également les textes à réviser. La consultation des Assemblées législatives se fait par message royal et s’exprime à la majorité des deux tiers des Assemblées réunies sous la présidence du Président du Sénat. Le résultat de la consultation est porté à la connaissance du Roi par les présidents des deux Assemblées accompagnés d’une Commission spéciale. Les nouveaux textes, destinés à remplacer les textes révisés, sont votés à la majorité des deux tiers, par chaque Assemblée individuellement »).

45 Pour plus de détails, se référer à l’ouvrage d’Eleodor Focșeneanu, précité p. 79 sq.

46 Ce même jour est publié le décret n° 3072 qui énumère les seuls pouvoirs dévolus au roi : « Art. II : Regele exercită următoarele prerogative regale : a) El este Capul Oştirii ; b) El are dreptul de a bate monedă ; c) El conferă decoraţiunile române ; d) El primeşte şi acrediteaza ambasadorii şi miniştri plenipotenţiari ; e) El numeşte pe Primul-ministru, însărcinat cu depline puteri ; f) El are dreptul de amnistie şi graţiere. Art. III : Toate celelalte puteri ale Statului se exercită de Preşedintele Consiliului de Miniştri » (Art. II : « Le roi exerce les prérogatives royales suivantes : a) Il est le chef des armées ; b) Il a le droit de battre monnaie ; c) Il confère les décorations roumaines ; d) Il reçoit et accrédite les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires ; e) Il nomme le Premier ministre ; f) Il a le droit d’amnistie et de grâce. Art III : Tous les autres pouvoirs d’État sont exercés par le président du Conseil des ministres »), <https://lege5.ro/Gratuit/ge2damjqgu/decretul-nr-3072-1940-privind-investirea-presedintelui-consiliului-de-ministri-si-prerogativele-regale>.

47 Cette courte période a été bien analysée par A. Simion, Regimul politic din România în perioada sept. 1940-ian. 1941, Cluj-Napoca, Editura Dacia, 1976.

48 Observation faite par Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 85, qui conclut cependant que « […] outre des traits de dictature militaire, mais sans excès, [le régime] a conservé quelques réminiscences, sinon d’un gouvernement démocratique, du moins d’une conduite démocratique » (« […] pe lângă unele trăsături de dictatură militară, dar fără excese, [regimul] a păstrat unele reminiscențe dacă nu de guvernare, cel puțin de conduită democratică »).

49 Cf. Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 88.

50 On lira avec intérêt des récits de témoins de ce coup d’État royal. Voir Mircea Ionnițiu, Amintiri si reflecțiuni, Editura Enciclopedică, 1993, p. 44 sq. Et aussi : Mémorial Antonesco, le IIIe homme de l’Axe, Paris, éditions de la Couronne, 1950 (sans mention d’auteur). Cet ouvrage était dû à Gheorghe Barbul, et fut publié en roumain sous le titre Memorial Antonescu. Al Treilea Om al Axei, București, Editura Pro Historia, 2001. Lire aussi de Liviu Valenas, Mareșalul Ion Antonescu și frontul secret. Convorbiri cu Gheorghe Barbul, Bucureşti, Editura Vremea, 2001.

51 Remis aux forces soviétiques par les autorités roumaines, emprisonné en URSS pendant deux ans, il est jugé par un « tribunal du peuple », – dont la création paraît contraire à l’art. 101, alinéa 2 de la constitution –, puis condamné à mort et fusillé le 1er juin 1946. Le roi aurait-il pu faire usage du droit de grâce et d’amnistie, comme la constitution de 1923 lui en donnait le pouvoir ? La question demeure controversée.

52 Ce qui renforce la thèse selon laquelle la constitution de 1923 n’est pas due au pouvoir constituant originaire, mais ne serait qu’une révision de l’ancienne constitution.

53 On trouvera reproduite dans l’ouvrage précité de Eleodor Focșeneanu, op. cit. p. 108 la déclaration que le roi a faite lors d’une conférence de presse à Londres le 4 mars 1948 : « Cet acte m’a été imposé par la force par un gouvernement installé et maintenu au pouvoir par un pays étranger, un gouvernement totalement non représentatif de la volonté du peuple roumain. Le renversement de la monarchie constitue un nouvel acte de violence des politiciens pour asservir la Roumanie. Dans ces conditions, je ne me considère en aucun cas lié par cet acte qui m’a été imposé » (« Acest act Mi-a fost impus cu forța de un guvern instalat și menținut de către o țară străină, guvern întru totul nereprezentativ pentru voința poporului român. Înlăturarea monarhiei constituie un nou act de violență al politicii de înrobire a României. În aceste condiții Eu nu Mă consider nicidecum legat în niciun fel, prin acest act care Mi-a fost impus »). On trouvera dans le livre de Stelian Tănase, Conversatii cu Regele Mihai, București, Corint, 2018, le témoignage du roi sur cette période tourmentée et difficile.

54 Selon le même auteur, le Parlement n’a pas pu se réunir ce jour-là, étant en période de vacances parlementaires.

55 Des indications précises dans Eleodor Focșeneanu, op. cit. pp. 115 à 137.

56 Voir par exemple Alexandru Muraru, « Constituţia din 1923 vs Constituţia din 2003. Ce ar câştiga şi ce ar pierde politicienii ? », article du 9 décembre 2011, <https://www.romaniaregala.ro/atitudini/constitutia-din-1923-vs-constitutia-din-2003-ce-ar-castiga-si-ce-ar-pierde-politicienii> ; et Flavius Boncea, « Constituția din 1923, la 95 de ani. Ultima constituţie a României Mari revine în actualitate », article du 31 mars 2018, <https://www.ziarultimisoara.ro/special/4008-constitutia-din-1923-la-95-de-ani-ultima-constitutie-a-romaniei-mari-revine-in-actualitate>.

57 De plus, ce retour à la constitution de 1923 présentait pour ses partisans de nombreux avantages : une impartialité du chef de l’État, au-dessus des partis et des luttes politiques et politiciennes, un renoncement à l’élection présidentielle qui clive inévitablement partisans et adversaires, l’abolition de la Cour constitutionnelle - source permanente de luttes politiques, un Sénat représentatif, composé de sénateurs élus et de sénateurs de droit, etc.

58 « Sunt şi rămân dizolvate structurile de putere ale fostului regim dictatorial ».

59 « Forma de guvernamant a țării este republica ».

60 Élue sur la base du décret-loi n° 92 du 14 mars 1990 cette assemblée se proclame constituante, conformément aux dispositions de son article 80, qui dispose : « Adunarea Deputaților și Senatul, în ședința comună, se constituie, de drept, în Adunare Constituantă pentru adoptarea Constituției României. Prezidarea lucrărilor Adunării Constituante se face de către președintele Adunării Deputaților și președintele Senatului, prin rotație » (« L’Assemblée des députés et le Sénat, en une séance commune, se constituent de droit en Assemblée constituante pour l’adoption de la Roumanie. La présidence des travaux de l’Assemblée constituante sera exercée par le président de l’Assemblée des députés et le président du Sénat, par rotation »). Voir le texte de ce décret-loi : <https://legislatie.just.ro/Public/DetaliiDocumentAfis/20050>.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vlad Constantinesco, « Une constitution à éclipses ou un phénix constitutionnel ? »reCHERches, 30 | 2023, 157-175.

Référence électronique

Vlad Constantinesco, « Une constitution à éclipses ou un phénix constitutionnel ? »reCHERches [En ligne], 30 | 2023, mis en ligne le 15 juin 2023, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/15250 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.15250

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Auteur

Vlad Constantinesco

Professeur émérite de l’Université de Strasbourg, spécialiste en droit de l’Union européenne et en droit constitutionnel.

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