L’héritage politique, social et artistique de Carmen Sylva (Élisabeth de Roumanie) dans l’œuvre de la reine Marie de Roumanie
Résumés
Figure plus influente politiquement que la reine Élisabeth de Roumanie, la princesse héritière Maria, devenue reine de Roumanie en 1914, doit plus qu’on ne le pense à sa prédécesseure. Cette étude reconstruit l’histoire de la relation personnelle entre les deux souveraines à partir de la correspondance de la reine Élisabeth avec le roi Carol Ier, publiée dans son intégralité en 2018. Si le rôle de la reine Élisabeth dans la formation et la consécration de la jeune princesse en tant qu’écrivain est largement reconnu, son influence en termes de jeux de rôle, de mise en scène des apparitions, d’élaboration de stratégies de communication et de tout ce qui a trait à la représentation du pouvoir sur la scène publique, telle que Maria devait la pratiquer, a été ignorée. À cet égard, un crédit sans réserve a été accordé aux confessions de Maria dans ses mémoires, qui sont cependant souvent ambivalentes, oscillant entre l’admiration pour Élisabeth et la nécessité d’établir une certaine distance pour mieux définir un profil personnel. L’étude montre quelles sont les attentes auxquelles Marie est confrontée, attentes générées par le travail prodigieux d’Élisabeth, et comment elle parvient à y répondre afin de jouir de la reconnaissance et de consolider son autorité par rapport au modèle précédent.
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Mots-clés :
Reine Elisabeth de Roumanie (Carmen Sylva), Reine Marie de Roumanie, représentation du pouvoir par des souveraines, reines-écrivains, reines-infirmièresKeywords:
Queen Elizabeth of Romania (Carmen Sylva), Queen Maria of Romania, Representation of power by female sovereigns, queen-writers, queen-nursesTexte intégral
1Le centenaire de l’Union de la Transylvanie, de la Bessarabie et de la Bucovine avec le Vieux Royaume de Roumanie, célébré en 2018, a eu son personnage central, et ce personnage est sans conteste la reine Marie, seul membre de la famille royale ayant cru du début à la fin de la Grande Guerre en une victoire aux côtés de l’Entente. Tant le roi Carol Ier, prince de Hohenzollern-Sigmaringen, que la reine Élisabeth, princesse de Wied, son épouse, et que le prince héritier Ferdinand, leur neveu, étaient restés fidèles dans leur for intérieur à leur patrie d’origine, l’Allemagne, et à la Triple-Alliance conclue, dans un but défensif, entre l’Empire allemand, la double monarchie austro-hongroise et le royaume d’Italie, à laquelle la Roumanie avait secrètement adhéré en 1883. Le roi Carol Ier était conscient dès l’année de l’adhésion que l’alliance ne serait pas acceptée par les élites politiques et par l’ensemble de l’opinion publique et qu’elle ne serait jamais fonctionnelle, comme l’atteste l’une de ses lettres, envoyée à la reine Élisabeth le 24 décembre 1893 :
- 1 Silvia Irina Zimmermann (dir.) : „In zärtlicher Liebe Deine Elisabeth“ – „Stets Dein treuer Carl“ (...)
À la Chambre on a commencé une lutte dont les conséquences peuvent devenir un jour pires que celles d’une bataille perdue. Depuis une semaine […] on se livre une bataille sans effusion de sang, mais d’autant plus féroce, concernant la question transylvaine, et qui nous met dans une position extrêmement difficile. Conservateurs et libéraux ont déterré la hache de guerre et ils attaquent sans pitié les Magyars, qu’ils représentent comme des barbares, puisqu’ils persécutent les Roumains ; d’aucuns exigent des interventions de la part du gouvernement ; d’autres enflamment les esprits, beaucoup parlent de la création du Royaume daco-roumain et pensent pouvoir accomplir ce vœu avec de beaux discours, ce qui est pour le moins grotesque. Mais ce qui me paraît le plus inquiétant, c’est de monter les deux nationalités l’une contre l’autre, ce qui ne sera pas corrigé facilement. Les paroles d’un député, qui sont sur les lèvres de tous, qu’« un soldat roumain ne combattra jamais aux côtés d’un soldat magyar » peuvent avoir des conséquences très graves1.
- 2 Marie de Roumanie, Histoire de ma vie. 1875-1918, Paris, Plon, 1937-1938 (1re édition en anglais (...)
2La princesse Marie s’attarde longuement dans ses mémoires, surtout après 1913, sur les difficultés du maintien de la Roumanie comme quatrième membre (secret) de la Triple Alliance2. Mais elle ne s’arroge pas les mérites de ses choix à ce moment-là, montrant que le changement d’attitude par rapport à la France et à la Russie s’était déjà produit durant le règne de Carol Ier :
- 3 Marie, Reine de Roumanie, Povestea vieții mele [Histoire de ma vie], Bucarest, RAO, 2013, p. 346- (...)
Profondément vexé par le fait que sa voix avait si peu d’écho à Berlin, où il était habitué à être écouté, et sentant qu’il était ignoré par les alliés à qui il avait été fidèle, le Roi Carol commença à laisser les choses évoluer à leur guise et il ne s’opposa plus activement à la propagande franco-russe […]. On a pu croire que mon rôle dans les nouvelles orientations de la politique avait été dès cette époque essentiel, mais cela ne correspond pas à la vérité. Je représentais alors un facteur sans importance et je n’aurais jamais imaginé avoir une opinion politique personnelle3.
- 4 La Princesse Marie a noté le contenu de son entrevue avec Emil Costinescu, ministre des Finances, (...)
3L’attentat de Sarajevo et la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie polarisèrent les options de la famille royale roumaine. Devant la possibilité d’une abdication du roi Carol, en son nom propre et pour ses successeurs, la princesse héritière Marie assura les hommes politiques libéraux roumains, ententistes, de son soutien, se déclarant prête, comme elle le montre dans ses mémoires, à rester au pays avec ses enfants4. Le maintien de la Roumanie dans la neutralité au début de la guerre, qui fut une décision de conscience douloureuse pour Carol Ier, la position ferme de Marie, mais aussi la mort du roi, survenue le 10 octobre 1914, firent disparaître le danger imminent d’une crise dynastique. Son rôle exceptionnel dans un moment difficile pour le pays détache la reine Marie du portrait de famille dont elle fait partie.
4Et pourtant, à contre-courant de la mythologie qui associe l’image de la reine Marie au seul moment historique de 1918, et avec la réserve critique des situations qu’elle met elle-même en scène dans ses écrits, il faut rappeler son rôle constant dans le cadre de la dynastie roumaine – fait d’engagement, de courage et de créativité -, dans la mesure de ses possibilités et avec les marges de manœuvre dont elle disposait. Dans ses mémoires publiés sous le titre The Story of My Life – Histoire de ma vie (1934-1936), elle se montre consciente de ce qu’elle doit à « l’ancien palais », comme Ferdinand et elle appelaient la génération dirigeante précédente: Carol Ier et Élisabeth.
- 5 „Cu iubire tandră, Elisabeta” – „Mereu al tău credincios, Carol”. Corespondența perechii regale [(...)
5La reconnaissance de cette continuité est toutefois intermittente dans ses mémoires, parfois ouverte, d’autres fois voilée, et puissamment marquée par des intérêts de promotion de sa propre image. Elle doit donc être soumise à une analyse du discours dans une perspective pragmatique et d’anthropologie sociale. La vérité des faits est, dans les mémoires, une vérité à l’œuvre : il est encore possible de négocier des positions de pouvoir, d’esquisser ou de rejeter des rôles, de tenter de résoudre des conflits, de respecter ou de contester des pratiques discursives et des schémas d’action courants à l’époque, d’enfreindre des tabous, d’obtenir des concessions. Nous consacrerons les pages qui suivent à la relation entre la reine Élisabeth et la princesse héritière Marie (Missy), relation difficile, mais fructueuse pour la seconde. À cette fin, nous nous servirons aussi de la correspondance entre Élisabeth et Carol – éditée dans son intégralité en allemand en 2018, et ensuite en grande partie traduite en roumain5 –, dans la mesure où elle évoque le couple héritier. Au-delà des différences ponctuelles, les ressemblances entre les deux reines sont frappantes. Quelle est alors, sur une durée de plus d’un demi-siècle, la part de l’héritage d’Élisabeth revendiqué par Marie ?
6En janvier 1893, lorsque la princesse Marie d’Édimbourg, devenue après son mariage avec Ferdinand, la princesse héritière, arrive en Roumanie, Élisabeth vivait chez sa mère, la princesse veuve Marie zu Wied, à Segenhaus, dans un exil qui durait depuis août 1891 et qui se prolongea jusqu’en septembre 1894. En 1891, année où avait été célébré le vingt-cinquième anniversaire de l’arrivée de Carol en Roumanie, la maison royale roumaine avait été ébranlée par une crise dynastique brève mais lourde de conséquences, déclenchée par les fiançailles du prince Ferdinand avec la protégée de la reine Élisabeth, la poétesse Hélène Vacaresco (Văcărescu). Ces fiançailles, désapprouvées par le conseil des ministres et annulées par Carol Ier, puisque les membres de la maison royale de Roumanie devaient obligatoirement épouser des descendants de familles régnantes étrangères, selon le principe de l’égalité de rang (Ebenbürtigkeit), entraînèrent l’exil d’Hélène Vacaresco et l’éloignement du pays pour trois ans d’Élisabeth, qui lui était très liée, aussi bien du point de vue affectif qu’intellectuel. La reine avait en effet perdu son seul enfant, une petite fille, la princesse Marie, en 1874, quand cette dernière n’avait que quatre ans, et elle n’avait pas pu donner à la dynastie un autre héritier. Hélène, enfant prodige, était devenue son enfant spirituel. La reine, elle-même poétesse, prosatrice, dramaturge sous le pseudonyme de Carmen Sylva, l’avait encouragée à publier en français de la poésie et des adaptations de textes folkloriques, qu’elle lui traduisit en allemand. Élisabeth aimait sa compagnie et se retrouvait dans cette jeune fille particulièrement intelligente et talentueuse, et qui venait d’entrer dans sa vingt-sixième année. Or, elle-même avait épousé Carol à cet âge. Par le mariage du prince héritier avec sa demoiselle d’honneur, Élisabeth comptait également conserver son influence sur celui-ci et un rôle politique à la Cour, dans l’éventualité d’une grave maladie ou de la mort de son mari. Hélène Vacaresco l’avait encouragé dans cette voie en invoquant certaines révélations mediumniques. En découvrant la tentative de manipulation de la reine et l’abus psychologique auquel elle était soumise par son propre entourage, Carol prit des mesures drastiques, en lui interdisant désormais tout contact avec son ancienne pupille.
7Naturellement, en raison de ces circonstances, le rendez-vous entre la reine et la jeune princesse héritière ne se présentait pas sous les meilleurs auspices, sans parler du fait que la relation d’Élisabeth avec Ferdinand, qui avait renoncé trop facilement, selon elle, aux fiançailles avec Hélène Vacaresco, était profondément altérée. Néanmoins, avant de se laisser convaincre par Hélène des dangers censés guetter le roi et la dynastie, et de l’amour sincère qu’elle aurait éprouvé pour Ferdinand, Élisabeth avait déjà entrepris les premières démarches pour trouver une épouse convenable à son neveu. Ioan Văcărescu, le père d’Hélène, avait attiré l’attention de la reine sur le fait qu’il faudrait que Ferdinand trouvât rapidement une épouse, comme il résulte d’une lettre de la reine au roi Carol du 4 octobre 1889. Élisabeth assura au ministre que la chose la préoccupait sérieusement. À l’occasion d’un voyage à Llandudno, le 10 septembre 1890, elle résuma ses impressions dans une lettre au roi Carol rédigée dans un style d’une franchise déconcertante :
- 6 „Wir erkundigen uns viel nach den Prinzersserchen. Die Wales sind samt & sonders, Söhne & Töchter (...)
Les jeunes princesses suscitent tout notre intérêt. La famille de Galles [celle de l’héritier du trône de Grande-Bretagne, Édouard, prince de Galles (1841-1910)] est, sans exception, garçons et filles, d’une bêtise inégalable. En Angleterre on n’espère plus que la mort les délivre de l’aîné [le prince Albert Victor (1864-1892)], et cela avant la mort de son père ! [ce qui se produisit] – Les filles sont à faire peur. Il paraît que la famille d’Édimbourg [celle du deuxième fils de la reine Victoria, le duc Alfred d’Édimbourg (1844-1900), à partir de 1893, duc de Saxe-Cobourg et Gotha, père de la future Marie de Roumanie] est la plus digne de respect et également fidèle. Mais elle [Marie, duchesse d’Édimbourg (1853-1920), née grande-duchesse Maria Alexandrovna de Russie] garde en permanence ses enfants cloîtrés dans leur chambre, de peur de les voir se marier on ne sait où. Malheureuses comme elle est, ses filles sont son seul réconfort6.
- 7 Le couple princier Alfred et Marie d’Édimbourg et de Saxe-Cobourg a eu quatre filles : Marie, Vic (...)
- 8 Lettre d’Élisabeth à Carol, Sigmaringen, 13 octobre 1890 : „Fritz kann mir Photos von den kleinen (...)
- 9 „Die Königin hätte uns furchtbar gern für Eine ihrer Enkelinnen, natürlich die Aermeren & weniger (...)
- 10 „Helene gewann alle Herzen, wie überall […], die Queen meinte, sie sehen so interessant aus“ (Zim (...)
- 11 „Sie wird historisch bleiben in ihrer Merkwürdigkeit!“ (Zimmermann 2018 : I, 465).
- 12 Povestea vieții mele… op. cit., 1, p. 276.
De ce fait, lors de son séjour en Angleterre, la reine Élisabeth ne put pas voir la fille aînée de la duchesse, Marie, qui n’était pas alors entrée dans sa quinzième année. Au passage à Sigmaringen, le prince Frédéric-Charles de Prusse lui promit des photographies des « petites Édimbourg7 », qu’il présenta comme adorables ; elles « feraient preuve de beaucoup de désinvolture et ne seraient point coquettes8 ». D’autres partis possibles furent abandonnés, soit pour des raisons d’âge, soit à cause de maladies héréditaires dont la reine avait peur. Les négociations en vue du mariage s’annoncèrent donc difficiles dès le départ, car, note Élisabeth, « la reine [Victoria] voudrait bien de nous pour l’une de ses petites-filles, mais, bien sûr, pour l’une des plus pauvres et inintéressantes9 ». Élisabeth lui fit une visite de courtoisie à Balmoral, où elle fut très bien reçue. Hélène Vacaresco, qui l’accompagnait, lui fit une très bonne impression. « Hélène a conquis tous les cœurs, comme partout ailleurs, écrit Élisabeth […] la reine fut d’avis qu’elle présentait très bien10 ». Le voyage en Angleterre de souveraine de Roumanie constitua un grand succès, tant au plan diplomatique que public ; elle fut saluée avec enthousiasme par les cercles intellectuels, par les journaux, les éditeurs et le public ; et Élisabeth s’en montra consciente : ce séjour « restera historique par son importance11 », commente-t-elle. La reine Victoria rappella plus tard à sa petite fille cette visite, « en manifestant beaucoup d’intérêt pour Carmen Sylva, la reine-poète, qui était venue une fois la voir à Balmoral et dont elle se souvenait avec plaisir12 ».
8Le scandale des fiançailles de la cour de Bucarest, devenu public, anéantit sur le moment les efforts de la famille royale pour sceller une alliance matrimoniale avec l’une des maisons régnantes, et ce ne fut qu’avec beaucoup de difficultés qu’ils furent repris quelque temps plus tard. La décision du mariage de Ferdinand avec Marie ne fut prise que vers la fin du printemps de 1892. Bien que les deux jeunes gens se fussent vus à plusieurs reprises à l’occasion de diverses réunions de famille, comme le raconte la future reine de Roumanie dans ses mémoires, le roi Carol ne rencontra la duchesse d’Édimbourg et ses enfants qu’à l’été de 1892, à Munich. Très germanophile, Maria Alexandrovna soutenait l’alliance avec la maison royale de Roumanie. En même temps, elle rendait un service à la famille impériale russe, dont elle provenait, qui voulait s’assurer une certaine influence dans les Balkans. Après la rencontre de Munich, du 15/27 juin au 22 juin/4 juillet 1892 Carol Ier passa par Londres pour discuter avec Victoria des fiançailles de Ferdinand avec Marie. Éloignée de la cour, Élisabeth avait l’impression qu’elle ne recevait pas l’attention qu’elle méritait de la part de la duchesse d’Édimbourg, qui ne lui rendit pas de sitôt une visite de courtoisie, ce qui la mécontenta :
- 13 „Ich habe das Gefühl, wie ein loses Blatt in der Welt herumzuflattern, gleichgültig wo ich mich b (...)
J’ai le sentiment de me laisser emporter par le vent telle une feuille tombée de la branche, et cela où que je sois. L’attitude de la duchesse d’Édimbourg renforce ce sentiment. Bayreuth l’intéresse plus que moi. Elle ne pense pas que je puisse compter d’une façon ou une autre dans la vie de son enfant. […] Même si je ne suis qu’un « poète ! » – donc, pour des princes et des princesses, quelque chose digne de mépris –, je pense que je mériterais un peu plus de respect, d’autant plus que j’ai choisi sa fille et que c’est moi qui ai toujours parlé en sa faveur. Si le trône de Roumanie est devenu à présent désirable, la maison agréable, les relations assurées, elle devrait ne pas complètement oublier celle pour qui les choses ont été tout autres, qui a dû affronter tous les orages et n’a pas eu droit à son confort, qui s’est donnée de la peine pour ses sujets du matin jusqu’au soir et les a habitués à voir dans sa chambre un refuge pour leurs espoirs13 (lettre d’Élisabeth à Carol du 11 août 1892).
Les protestations de la reine en exil ne sont pas restées sans effet, car le 16 août, Maria Alexandrovna alla la voir, avec sa fille, à Segenhaus. La visite, qui n’avait pas été préparée, est racontée tant par Marie, dans ses mémoires, que par Élisabeth, dans sa correspondance avec Carol. Marie ne se souvient plus trop de sa date, à part que c’était en hiver, peu avant le mariage de la fin de décembre 1892. Il est possible que les deux visites se soient superposées dans la mémoire de la princesse. Mais l’évocation a beaucoup plus de couleur dans la version tardive de Marie, la protagoniste de cette scène mémorable n’étant pas Élisabeth, mais la mère de celle-ci, la princesse-veuve Marie zu Wied :
- 14 Povestea vieții mele… op. cit., 1, p. 295.
Au seuil, se tenait une dame très âgée, vêtue d’une robe noire et portant sur la tête un voile blanc. Mais elle ne ressemblait à nulle autre vieille dame. Son front était exceptionnellement haut, rond et lisse comme un globe, un front fier, sous lequel deux yeux enfoncés dans les orbites, aux paupières lourdes et fatiguées, semblaient vous regarder de loin. Les orbites étaient si profondes qu’elles ressemblaient de façon désagréable à celles d’une tête de mort. C’était un être qui vous faisait tressaillir au premier regard, mais dans son sourire brillait le bon accueil. Non moins bizarres étaient les êtres qui venaient après elle, des femmes de tous âges, dont aucune ne paraissait en bonne santé. On aurait cru qu’elle avait abrité sous son toit tous les sourds, tous les boiteux, tous les aveugles, tous les muets et autres pauvres d’esprit qu’évoque la Bible. La vieille dame se tenait parmi ces femmes, telle une douce sorcière dont on aurait attendu des miracles. Mais, comme on peut facilement le comprendre, nous, pauvres gens, nous nous sommes senties quelque peu gênées14.
- 15 Ibid., p. 298.
- 16 Ibid., p. 301.
Avant de rencontrer Élisabeth, Marie fut troublée à la vue, dans le hall de la maison, de panneaux décoratifs en bois, sur lesquels étaient peints de grandes fleurs – une œuvre de la reine –, qu’elle n’apprécia pas ; les différences en matière de goût artistique entre la princesse et la reine persistèrent d’ailleurs tout au long de leur vie. La rencontre fut marquée par les précautions et les avertissements de la mère d’Élisabeth, qui mit en garde ses invités au sujet de la nature « étrange » de sa fille. Elle sembla s’excuser pour la partie du belvédère dans laquelle Carmen Sylva avait emménagé, à la fois chambre à coucher et atelier : « Élisabeth aime les petites pièces et les recoins bizarres15 », dit-elle. Tout cela, loin d’effrayer Marie, l’attira, au contraire. Elle se prit d’affection pour l’atelier, et aussi pour la reine : « J’étais tombée sous son charme : c’était un être plein de mystère romantique et j’aimais tout ce qui était romantique.16 » Des deux pespectives sur la reine, celle de la princesse de Wied et celle de Maria Alexandrovna, qui s’exprimèrent à l’occasion de cette visite, Marie privilégia celle de sa mère, à qui répugnait tout ce qui était excessif, théâtral, mais d’une autre manière que la veuve du prince von Wied, qui considérait tout bonnement Carmen Sylva comme une malade.
9La disponibilité affective et intellectuelle, l’intérêt, la curiosité, l’absence de préjugés de la jeune princesse Marie rendirent possible, après le retour d’Élisabeth à Bucarest, une vraie rencontre entre les deux femmes, qui ne fut pas sans conséquences sur la reine Marie. Dans quatre domaines au moins la présence d’Élisabeth dans la vie de Marie fut importante : tout d’abord, en ce qui concerne la répartition des rôles et les rapports avec l’entourage, à la cour ; ensuite dans l’activité d’infirmière auprès des blessés au front, ainsi que dans l’éducation musicale et dans l’initiation littéraire de celle qui, comme Carmen Sylva, devint une reine-écrivaine.
- 17 Ibid., p. 298.
10Marie, élevée dans une autre culture de cour que celle dont était issue sa tante, Élisabeth, et arrivée en Roumanie à seulement dix-sept ans, privilégiait le naturel, la spontanéité dans ses relations, au départ fort réduites. Carmen Sylva fut celle qui l’initia en ce qui concerne « la mise en scène » des apparitions et des rencontres, quoique ces leçons ne fussent pas du goût de la princesse : « Plus tard, j’ai su comment tante Élisabeth préparait l’effet d’un premier rendez-vous, parfois elle les mettait en scène avec moi et me faisait aussi jouer mon propre rôle, un peu à contrecœur17. » Toutefois, il est difficile de dire si Élisabeth elle-même était consciente de son propre jeu de scène ou si Marie s’appuyait sur cet artifice de compréhension pour se soustraire au charisme de la reine et pour pouvoir se confronter à elle et approcher ainsi les performances de Carmen Sylva, par un effet de « dégonflement de réputation ». Ce double mouvement répétitif, d’admiration-imitation, suivi de réserve et d’expression d’une distance et de concession était typique de la manière dont Marie jouait ses relations avec Élisabeth. Elle lui reprochait le pathétisme, l’exagération, l’absence de critique dans la façon d’encourager ses proches, en leur faisant croire qu’ils étaient plus qu’ils n’étaient. Mais elle finissait toujours par lui reconnaître des mérites, et, qu’elle l’eût vouilu ou non, subissait l’influence :
- 18 Ibid., 2, p. 254.
Ses dons en société étaient sans pareils et sa conversation charmante, intéressante, bien que parfois elle s’aventurait un peu trop haut et se montrait un peu trop poétique pour des gens terre à terre. Mais j’ai beaucoup appris d’elle, bien qu’en ce temps-là sa bienveillance un peu exagérée m’ait gênée parfois. Je n’avais pas toujours envie d’entrer dans son jeu, car les jeunes gens craignent de paraître ridicules, et puis je faisais partie d’une famille où on n’avait pas l’habitude d’exprimer ses sentiments par des mots18.
- 19 Hannah Pakula, Viața Reginei Maria a României [La vie de la Reine Marie de Roumanie], traduction (...)
- 20 Silvia Zimmermann, Elisabeta (Carmen Sylva) și Maria. Reginele scriitoare ale României [Élisabeth (...)
- 21 Ibid., p. 333.
- 22 Ibid., p. 398.
- 23 Ibid., p. 221.
- 24 Comme une curiosité, on peut ajouter ici la passion commune des deux reines pour l’ésotérisme, qu (...)
- 25 Pakula, op. cit., p. 415.
11Mais il est possible que Marie ait mal compris Élisabeth et qu’elle lui ait attribué des ressorts qui étaient étrangers à la reine. Ses mémoires en disent beaucoup plus sur son plaisir de jouer son propre rôle que des supposées stratégies de mise en scène d’Élisabeth. Pour Marie les monarques sont des acteurs ; elle ne les accuse pas d’imposture, mais d’une trop grande adéquation au rôle. Elle-même, qui partageait avec Élisabeth le plaisir du costume et du masque, ne fut pas épargnée par l’accusation de narcissisme, vanité et vedettariat19, même si Élisabeth remarque qu’elle tente de l’imiter par nécessité, mais sans conviction. Par une lettre envoyée à sa famille de Neuwied le 20 avril 1906, on comprend que le jeu joué par la reine n’aurait d’ailleurs pas toujours été en résonance avec ses émotions ou ses penchants réels : « Missy a gagné du terrain, elle s’efforce de m’imiter. Mais ce que je faisais par enthousiasme et le cœur brûlant, en mettant de côté toutes les émotions personnelles, ma santé et mes penchants, elle le fait par calcul froid, sans chaleur, et ainsi l’effet en est tout autre. Enfin ! [en français dans le texte]. »20 Certaines postures de la reine Marie rappellent immanquablement à la biographe Hannah Pakula la reine Élisabeth : « Tout comme sa prédécesseure, Carmen Sylva, la Reine avait adopté l’habitude de lire à haute voix ce qu’elle avait écrit afin de recueillir des éloges de l’auditoire. »21 C’est encore Pakula qui note au sujet de la choréographie et des décors de la cérémonie de couronnement de Alba Iulia que « le théâtralisme de Marie vexait les monarques dans une plus grande mesure que son ambition »22, certains représentants des classes régnantes apparentées voyant d’un mavais œil le fait qu’elle eût stylisé son apparition en se servant de marques médiévales roumaines et byzantines, dans ses tentatives de consolider un imaginaire légitimateur. Et pourtant, toutes les extravagances de Marie – rhétoriques, de comportement ou de costume – passent pour des traits de l’époque23, historiquement datées et on lui pardonne bien plus facilement qu’à sa prédécesseure24. Ce qu’écrit Pakula à propos de Marie pourrait être répété avec la même compréhension et bienveillance à propos d’Élisabeth : « Il est probable que ni les sujets mystiques ni le style pompeux de ses premiers travaux n’émeuvent plus le lecteur moderne »25, si les historiens et les biographes surmontaient leur vision personnelle et subjective quant aux personnages historiques dont ils s’occupent, situés de toute évidence en concurrence dans le combat pour conquérir le public national et international et surtout pour la sauvegarde la plus longue de la fidélité de ces publics.
- 26 Ibid., p. 405. On trouve des références aux jeux d’imitation de la reine Marie dans la biographie (...)
12Et, tout comme Élisabeth avait initié Marie à l’art des apparitions hiératiques et des gestes icôniques, de même Marie essaya de guider Hélène, épouse de son fils Carol II : « Souvent, au beau milieu d’un événement solennel et cérémonieux, la Reine se tournait vers la princesse héritière et lui chuchotait : ‘‘Suis-moi maintenant, tu auras à faire cela plus tard”26. » La position de faiblesse de la princesse héritière, plus tard la reine-mère Hélène, à la cour royale de Bucarest, due à la séparation, ensuite au divorce d’avec le prince Carol II, a fait que celle-ci eut toujours besoin de l’appui de Marie, avec laquelle elle n’entra pas en conflit de représentation politique.
13La contestation du rôle et du style de la reine Marie ne vint donc pas d’Hélène, mais de son propre fils, Carol II. Cependant, du fait de l’inconstance de celui-ci, qui manqua trois fois à ses devoirs dynastiques, la dernière en abdiquant en 1940, elle n’eut pas de suites sérieuses dans la postérité, bien que les conséquences immédiates pour Marie, durant ses dernières années de vie, ne puissent être ignorées du fait de leur caractère dramatique, car elle était complètement isolée. Les dernières années d’Élisabeth avaient été de ce point de vue, celui de la relation avec la génération successeure, sereines, et la relation avec Marie chaleureuse, cette dernière devenue beaucoup plus bienveillante et compréhensive avec la reine-veuve de la Roumanie, comme le montrent ses mémoires. La plus belle évocation posthume de la reine Élisabeth se trouve d’ailleurs chez sa successeure :
- 27 Povestea vieții mele… op. cit., 3, p. 22-23.
Carmen Sylva fut une figure sans pareille, la reine-poète, avec son romantisme merveilleux et naïf, avec sa façon de se conduire toujours avec une noble bienveillance, avec son cœur d’une infinie générosité […]. Une large insouciance par rapport aux formes extérieures et aux conventions étriquées […] établissait entre nous un lien que je ressentais fortement aux heures où les masques tombaient et où ne comptait plus que l’essentiel. Je la comprenais quand d’autres ne pouvaient la comprendre. Il y avait des heures où je sentais le désir ardent de prendre sa défence, lorsque je voyais que ceux qui l’entouraient ne pouvaient point la comprendre. Sa grande générosité d’âme était mal interprétée27.
14Le rôle dans lequel tant Élisabeth que Marie se rencontrèrent et se sentirent le mieux fut celui d’infirmière. Lorsque, durant la seconde guerre balkanique, la princesse Marie alla au front pour soigner les malades du choléra, Élisabeth vivait encore, mais était déjà d’un âge avancé et était malade. Il n’existe pas beaucoup d’informations sur la manière dont les deux femmes collaborèrent dans les œuvres de charité en faveur des soldats. Et pourtant, la correspondance entre Élisabeth et Carol nous dévoile les préoccupations de la reine dans ce sens :
- 28 „Ich werde wohl gar nichts leisten können mi ch auf liebe[v] olle Besuche beschränken und verwöhn (...)
Il paraît que je ne puisse contribuer en rien et me borner à des visites pleines d’affection où j’essaierai de soulager la souffrance là où ce sera possible, écrit la reine à Carol en juillet 1913. À mon âge, je ne suis plus une bonne infirmière. C’est fini. En fait, à ce qu’on dit, une fois passés cinquante ans, on ne peut plus y faire face. Avec ma vue si faible, toute aide est inconcevable et puis il existe des gens plus jeunes qui peuvent beaucoup mieux servir28.
- 29 Apud Pakula, op. cit., p. 210.
- 30 Povestea vieții mele… op. cit., 2, p. 104.
15Néanmoins, dans une lettre envoyée à son beau-frère, Guillaume, prince régnant de Hohenzollern-Sigmaringen, Marie précise qu’Élisabeth n’avait pas tout abandonné : « Ma tante et moi sommes très occupées avec la Croix Rouge.29» Et le modèle de celle qui était alors la princesse de Roumanie, montant sur ses propres deniers durant la guerre d’indépendance de 1877 un hôpital de campagne dans la cour du palais de Cotroceni, où, sans craindre la maladie, elle servit avec un dévouement exemplaire, et qui s’impliquait dans de nombreuses œuvres de charité en faveur des orphelins, des aveugles et qui, même à soixante-dix ans, se trouvait au chevet des malades, ne pouvait qu’être respecté et suivi. Ce qui lie Marie à Élisabeth c’est aussi l’amour pour l’homme du peuple, le désir de quitter le palais et de voir comment vivent les gens, l’absence de réticence au toucher. Élisabeth avait lutté elle aussi dans sa jeunesse pour plus de liberté de mouvement, Marie obtint plus que n’avait réussi à obtenir Élisabeth. Mais sans l’enthousiasme d’origine littéraire d’Élisabeth, il est peu probable que Marie aurait pu imposer le style public qui la caractérisa, une sorte d’hagiographie d’une sainte souveraine qui partageait les souffrances les plus terribles de son peuple. Marie rend une fois de plus hommage à sa prédécesseure : « Je me rends compte aujourd’hui que j’ai beaucoup appris de la Reine-poète. Elle était un splendide modèle de bienveillance, de parfaite courtoisie et d’absence d’égoïsme. […] Elle pensait toujours aux autres et travaillait pour les autres.30»
- 31 Ibid., p. 103-104.
- 32 Ibid., 1, p. 195.
16Ce n’est pas seulement le profil moral d’Élisabeth qui en imposait à Marie, mais aussi son profil intellectuel et artistique. Les goûts artistiques des deux femmes étaient différents, au fond il s’agissait de deux générations successives, mais aussi de la dissemblance des cultures dont elles provenaient : germanique, rhénane, pour la première, anglo-saxonne pour la seconde. L’univers musical d’Élisabeth est souvent décrié par Marie, qui a des mots caustiques à ce sujet et qui aime railler les interprètes fréquentés par la reine. Toutefois, elle doit lui reconnaître le mérite d’avoir découvert le violoniste George Enescu, quand il était enfant, et de l’avoir soutenu avec générosité et sans réserves tout au long de sa vie31. Peut-être Élisabeth avait-elle tort de se montrer trop généreuse avec les médiocrités, mais au moins elle ne commettait pas l’erreur de ne pas déceler le génie. Après des pages d’un comique de situation bouffe où Marie décrit les performances musicales de la cour, elle admet rapidement et sans entrer dans des détails que « la véritable éducation musicale [lui] a été offerte […] par Carmen Sylva, la vieille reine de Roumanie32 ».
- 33 „Mich freut ihr schönes Talent ganz ungemein. Ihre Blumen sind reizend“ (Zimmermann 2018 : II, p. (...)
- 34 Dans sa correspondance, Élisabeth se montre sceptique quant à l’idée de pouvoir encore travailler (...)
- 35 Macrina Oproiu, « Tinerimea artistică » a principesei Maria, Muzeul Național Peleș, 2012, https:/ (...)
- 36 Voir aussi Petre Oprea, Artiști participanți la expozițiile Societății „Tinerimea Artistică” (190 (...)
- 37 Voir aussi Shona Kallestrup : “Romanian ‘National Style’ and the 1906 Bucharest Jubilee Exhibitio (...)
17En ce qui concerne la peinture, Marie avait plus d’aptitudes que Carmen Sylva, ce que la reine reconnaît dès le début : « Je me réjouis beaucoup de son beau talent. Ses fleurs sont charmantes33. » Une tentative d’unir leurs forces pour peindre des miniatures fut vouée à l’échec, le projet n’aboutit pas34. Fraîchement débarquée à Bucarest, en l’absence d’Élisabeth, Marie prend des leçons de dessin et de peinture avec la professeure de la première, l’aquarelliste suisse Ruth Mercier, ainsi qu’avec Ottilia Mihail Oteteleşanu. Un livre peint par Marie pour Ferdinand a obtenu des médailles dans le cadre d’expositions internationales, à Munich, avant la guerre, et à Barcelone, en 1929. À partir de 1902, à l’invitation de son ancien professeur, le sculpteur Oscar Späthe, Marie prend le patronage de la Société Tinerimea Artistică (Jeunesse artistique), composée d’une génération de peintres tels que Ștefan Luchian, Arthur Verona, Kimon Loghi, Jean Al. Steriadi, Alexandru Szathmary, Constantin Artachino et Fritz Storck, en prenant part en qualité d’invitée d’honneur à toutes les expositions que la société organisait chaque année, en exposant et en vendant soit ses propres travaux, des objets de mobilier et des œuvres d’art plastique, soit des travaux réalisés dans les écoles d’arts et métiers de Roumanie, d’après ses indications à la manière des Arts and Crafts, et parfois en acquérant certains des tableaux exposés. Parmi ses artistes préférés, on compte Ştefan Popescu, Arthur Verona et Kimon Loghi, mais aussi Ștefan Luchian, dont elle achète un pastel lors de la première exposition, ou encore Nicolae Vermont35. Le vernissage de la première exposition de la Société, le 1er mars 1902, dans la salle Exarcu de l’Athénée roumain à Bucarest, se déroula non seulement en présence de la princesse héritière, mais aussi de la reine. Malgré un certain nombre de plaintes qui remontèrent jusqu’au roi Carol Ier de la part de peintres académistes, avec à leur tête George Demetrescu Mirea, le roi n’intervint pas dans la question du patronage de la Société par la princesse. Marie fit néanmoins plusieurs gestes de déférence envers le couple royal, et, en premier lieu, elle invita Nicolae Grigorescu, consacré à ce moment-là comme le sommet du canon roumain, et peintre préféré de la reine, à exposer ses œuvres lors de la deuxième exposition de la Société, en 1903. De même, avec l’accord du roi, Élisabeth présenta une coupe décorative et des miniatures bibliques lors de l’exposition de 1904 de la Société à Athènes, mais aussi d’autres travaux, comme des broderies, lors d’expositions itinérantes de la Jeunesse artistique à travers l’Europe dans les années suivantes36. En 1906, à l’occasion de la célébration du jubilé royal – les quarante ans de règne de Carol Ier et le vingt-cinquième anniversaire de la proclamation du Royaume –, la Société obtint le droit d’organiser sa propre salle dans le cadre de l’Exposition nationale au Palais des Arts du Parc Carol, ce qui équivallait à la pleine consécration du mouvement, sous le haut patronage de la maison royale37. Les expositions internationales du groupe – à Athènes, Darmstadt ou Munich – furent organisées avec l’appui de toute la famille royale, donc d’Élisabeth aussi. Par conséquent, il n’y avait pas de différend palpable entre la reine et la princesse en ce qui concernait le parrainage des arts plastiques, et les différences de goût n’étaient pas majeures. Le modernisme de Marie ne s’étendait pas jusqu’à une ouverture à l’avant-garde, qui l’horripilait.
18Mais, davantage qu’Élisabeth, Marie s’impliqua dans la redécoration des résidences princiaires et royales de Cotroceni, Pelișor, Bran, Balcic, Mamaia, Copăceni et Scroviștea, réalisant, pour certaines d’entre elles, des éléments de mobilier, des œuvres d’art plastique et des cadres. L’idée de trouver pour le jeune couple héritier une résidence privée, loin de la capitale, où il aurait bénéficié de plus de calme, de plus d’intimité pendant quelques mois de l’année, revint dès le début à Élisabeth. Mais celle-ci pensait aussi en termes politiques – une telle résidence eût davantage rapproché le couple héritier du peuple :
- 38 „Wir müßten wirklich einen Ort finden, wo man mehr unter den Bauern wäre. Statt den jungen Leuten (...)
Il nous faut coûte que coûte leur trouver un endroit, quelque part où ils pourraient passer plus de temps parmi les paysans. Au lieu de nous étendre pour nos jeunes à Cotroceni, il vaudrait mieux leur acheter quelque chose du côté d’Albești, de Florica, au bord de la Ialomița, quelque chose à la campagne, au milieu des villages. Ce serait bien mieux pour leur popularité38. (Lettre à Carol, 3 septembre 1892, Segenhaus)
19Il n’est pas exclu qu’Élisabeth eût souhaité ainsi éloigner Ferdinand et Marie de la cour pour quelque temps, afin de s’assurer un retour d’exil moins humiliant. Dans la correspondance échangée entre Carol et elle pendant la période où elle expiait la faute d’avoir soutenu la cause d’Hélène Vacaresco et soignait sa santé ruinée par les événements de 1891, on peut clairement déceler tant les craintes de la reine au sujet de son image et de son futur rôle à la cour de Roumanie, que ses illusions :
- 39 „Im Lande sieht man mich auch noch nicht für todt an, wie ich es dachte, & wenn die Dinge sich zu (...)
Dans le pays, les gens ne me croient pas morte, comme je le pensais, et si les choses prennent un chemin abrupt, voire dangereux, alors les enfants ingrats commenceront pourtant à regretter leur vieille reine et se souviendront que la mère des blessés [mama răniţilor, en roumain dans le texte original] se trouve encore quelque part dans le monde. Et par les tristes temps qui courent, la vieille reine sera tout de même plus utile que la nouvelle39 (lettre du 26 juillet 1892, Segenhaus).
- 40 Pakula 2004 : p. 173. Pakula renvoie ici, sans la citer directement, à une lettre de la reine Éli (...)
- 41 Ibid.
- 42 Zimmermann 2018 : II, p. 91. Jeu de mots à partir du prénom féminin roumain Safta (abréviation af (...)
- 43 Ibid., II, p. 255.
- 44 Ibid., I, p. 284.
20Le roi ne retint pas l’idée d’Élisabeth, laissant Marie libre de décorer selon ses goûts les appartements que le couple héritier reçut au palais de Cotroceni. Pakula dramatise la réaction d’Élisabeth face aux plans de réamenagement de Cotroceni d’après les idées de la jeune princesse, parlant de « jalousie ». Or, la reine n’éprouva jamais des sentiments aussi vils. Élisabeth admirait les préférences de Marie, en les mettant au-dessus des siennes : « J’ai des goûts presque tout aussi raffinés que ceux de la Princesse ! », plaisante-t-elle40. En même temps, elle fut enchantée par l’originalité du projet et par sa mise en œuvre : « C’est quelque chose entre temple indien et un décor de conte de fées, si beau… étonnamment beau, et original.41 » Cependant, elle explique que, à la différence de Marie, elle a tenu à rendre hommage au style précédent, celui d’Elena Cuza, épouse du premier prince de Roumanie, qu’elle a préservé, dans sa tentative de ne pas bousculer la société roumaine et d’acclimater ainsi la monarchie allemande à Bucarest, une ville de culture française. D’autre part, Élisabeth n’avait pas au moment de son mariage à sa disposition une somme aussi importante que celle dont disposa Marie. D’ailleurs, dans une lettre à Carol, elle rappelle le sobriquet vexant « Saft[e]a goală42 » qui lui avait été attribué en raison de sa dot considérée comme insatisfaisante par les cercles de Bucarest. Elle estime que la fortune personnelle de Marie dépasse de cinq à six fois la valeur de sa propre dot43. Comme le note Pakula, après la mort de son unique fille, la reine Élisabeth renonça à ses ambitions de représentation et, chose perdue de vue par la biographe de sa successeure, elle continua d’avoir souvent des obligations envers sa famille, Wied, tant durant son séjour à Segenhaus, qu’à cause des difficultés dans lesquelles sa mère se débattait, et pour la solution desquelles elle reçut l’appui de Carol. Élisabeth contribua toutefois à l’aménagement et à la décoration des résidences royales, comme le montrent, par exemple, les lettres envoyées à Carol depuis Amsterdam en 187944.
- 45 « Je sais maintenant pourquoi elle voulait avoir une cabane dans l’arbre. Guillaume m’a dit que d (...)
- 46 Boabe de grâu, nr. 2, avril 1930, traduction de l’anglais par Emanoil Bucuța, p. 65-77.
21Pour ce qui est de la résidence campagnarde du couple héritier, le roi Carol ne tint pas compte de la suggestion de son épouse. Ce ne fut que plus tard, selon le désir de Marie, mais aussi de Ferdinand, que le couple acquit les manoirs de Copăceni – grâce à une donation à la reine Marie de l’ancien maréchal du palais royal, Gheorghe Emanuel Filipescu – et de Scroviștea. À Sinaia le roi Carol laissa les mains libres à Marie, en commençant par la matérialisation des ses rêves d’adolescente d’installer une cabane dans un arbre, comme dans le roman d’Alphonse Daudet, Sapho (1884), une initiative qu’Élisabeth ne comprenait pas45 ; puis dans l’aménagement de la résidence Pelișor, à proximité du château Peleș. Dans un article intitulé « Casele mele de vis » [Mes maisons de rêve]46, les descriptions commencent par les constructions les plus modestes et romantiques : la masure creusée dans la cour du palais de Cotroceni, copie d’une chaumière pauvre, aperçue lors de la traversée du pays ; la cabane dans l’arbre de Sinaia, dans la cour du château Peleș, toutes deux servant comme aires de jeux pour ses enfants ; la hutte de pêcheur de Scroviștea, au plancher et aux rideaux bleus. L’imposant château médiéval de Bran, offert par la communauté locale, fut restauré par la souveraine, tandis que le palais Tenha-Iuvah de Balcic, au bord de la mer Noire fut entièrement construit sur ses instructions.
22Marie partageait en effet avec Élisabeth l’amour de la mer. À l’entrée du port de Constanţa, Élisabeth pouvait souvent être aperçue dans le « Nid de la Reine » (comme le nomma plus tard Marie), une bâtisse modeste, en bois, plutôt une improvisation, érigée en 1900, avec des pièces étroites et une terrasse couverte d’une bâche, placée sur un socle en pierre et béton et soutenue par des consoles métalliques. Cara Dalga, la villa de style moderniste, érigée par la reine Marie, également au bord de la mer, mais à Mamaia, inaugurée en 1926, peu avant la mort du roi Ferdinand, ne fut rapidement plus habitée par Marie, qui la céda à la reine-mère Hélène. Si, au début, Marie créa et aménagea surtout dans le style Art Nouveau, avec des symboles celtiques, scandinaves ou écossais, mais aussi avec des éléments d’inspiration byzantine, dans un style éclectique et emphatique, théâtral, par la suite elle adopta et développa le style néo-roumain, en le soumettant à une réduction et à une simplification accentuées, qui n’en sont pas moins impressionnantes. Tous les bâtiments investis par Marie étaient entourés de jardins, simples ou fastueux, la souveraine partageant la passion pour l’horticulture de son mari. Vers la fin de sa vie, elle les nomma « jardins de la mémoire », en les dédicaçant aux êtres chers, membres de la famille et amis, disparus ou éloignés.
23Si l’initiation précoce de Marie à la peinture et aux arts décoratifs a précédé sa rencontre avec Élisabeth, en ce qui concerne l’écriture, l’impulsion la plus forte fut donnée par cette dernière :
- 47 Povestea vieții mele… op. cit., 2, p. 358. Élisabeth a traduit en allemand l’histoire « Doi frați (...)
Quand Carmen Sylva découvrit que j’écrivais, au lieu de rire de moi et de tourner en dérision mes pauvres tentatives littéraires, elle m’encouragea, dès le début, et par tous les moyens. Elle me poussa à écrire et dès que j’achevais une histoire, elle me la demandait aussitôt pour la traduire en allemand47.
- 48 Maria Queen of Roumania, Why? A Story of Great Longing, Stockholm, Svenska Tryckeriaktiebolaget, (...)
- 49 Four Seasons Out of A Man’s Life. By Marie, Queen of Roumania. Illustrated by Nicolae Grant, Buca (...)
- 50 The Dreamer of Dreams by The Crown Princess of Roumania/Queen of Roumania. Illustrated by Edmund (...)
- 51 Marie, Reine de Roumanie, Ilderim. Poveste în umbră şi lumină [Ilderim. Histoire d’ombre et de lu (...)
- 52 The Stealers of Light: A Legend. By The Queen of Roumania. Illustrated by Edmund Dulac, Londres, (...)
- 53 L’Enfant-de-soleil, Bucarest, Ateliers de L’Independance Roumaine, 1915. En roumain : Copila soar (...)
- 54 The Lily of Life. A Tale by Crown Princess of Roumania with a preface by Carmen Sylva, Bucarest, (...)
- 55 The Lily of Life. A Tale by Crown Princess of Roumania with a preface by Carmen Sylva, illustrate (...)
24Marie rend un vibrant hommage à Carmen Sylva dans la dédicace de son conte fantastique Dor nestins [Nostalgie inextinguible], « Dedicated to my Aunt, Carmen Sylva, The Poet Queen, to whom I owe deep-felt gratitude, for was she not the first to recognise and appreciate a gift that step by step she lovingly encouraged48 ». Élisabeth put lire les contes magiques et les histoires pour enfants Patru anotimpuri din viata unui om [Quatre saisons de la vie d’un homme], écrits entre 1912-191349 ; Visătorul de vise [Le Rêveur de rêves], daté de 1913 et dédié à la petite princesse Ileana50 ; Ilderim, dédié en 1915 au prince Carol51 ; Hoții de lumină [Les voleurs de lumière], écrit la même année et dédié à Ferdinand52 ; ainsi que L’Enfant-de-Soleil, publié en français53. Le récit Crinul vieții [Le Lys de la vie], première histoire de la reine Marie qui soit publiée à Bucarest, en anglais, en 191254, et une année plus tard aux éditions Hodder & Stoughton de Londres, fut préfacé par Carmen Sylva, qui présentait l’auteure au public comme étant « un artiste véritable55 ». À la différence d’Élisabeth, Marie n’a jamais signé sous un pseudonyme, mais en qualité de princesse héritière, ensuite de reine de Roumanie, parfois sans ajouter son nom.
- 56 Silvia Zimmermann étudie ces textes dans la préface au recueil de contes tirés des œuvres des rei (...)
- 57 Voir aussi Zimmermann : 2021, p. 10-11, ainsi que Raluca Dună, “‘Memory, Though, is as Strong as (...)
- 58 Dună rappelle les journaux et les mémoires de Irina Procopiu, Arabella Yarka, Sabina Cantacuzino, (...)
- 59 Il existe deux parutions notables. La première est My Country, by Marie, Queen of Rumania, Londre (...)
- 60 L’édition complète des Notes quotidiennes, en dix volumes, n’est parue qu’en 2006-2014 : Însemnăr (...)
- 61 Virginia Woolf, “Royalty”, dans la publication féministe Time and Tide, decembre 1934, http://www (...)
- 62 Însemnări din ultima parte a vieții [Notes de la dernière partie de la vie], édition, notes, étud (...)
25Il existe certaines ressemblances thématiques et stylistiques dans les œuvres respectives des deux reines – en ce qui concerne les descriptions, certains sujets d’inspiration, voire les titres56 –, mais ce qui compte vraiment, c’est l’ethos qu’elles partagent, puisque toutes deux écrivent non seulement par nécessité intérieure, mais aussi en vue d’une forme spéciale de communication. Grâce à leurs publications, les reines sont présentes dans l’espace public roumain et international, elles établissent un lien émotionnel privilégié avec leurs lecteurs roumains et elles essaient de gagner la sympathie du public étranger en faveur de la Roumanie57. Marie atteint sa maturité artistique dans ses mémoires inachevées, qui se fondent sur ses notes quotidiennes. Bien qu’Élisabeth eût aussi tenu un journal privé, il n’était pas question pour elle de publier une version personnelle des événements. Ce privilège aurait été revendiqué par son mari, le roi Carol Ier. Marie pousse un peu plus avant la liberté d’expression gagnée par Élisabeth, en inspirant toute une pléiade de mémorialistes parmi ses collaboratrices et non seulement58. Les premières notes non-fictionnelles de la reine Marie parurent pendant la guerre, dans les journaux et sous forme de livre, en roumain, français et anglais59, et elles furent reprises dans des éditions successives augmentées60. Mais ce qui surprend surtout par son caractère naturel et sa sincérité, c’est l’autobiographie de la reine, The Story of My Life (1934-1935), parmi les lecteurs de laquelle on compta, dès sa parution, Virgina Woolf61. Ses mémoires tardifs, des années 1937-1938, parurent à titre posthume62.
26Sous un seul aspect, Marie ne parvint pas à dépasser le cadre défini en ce qui concernait la position de la souveraine, tel qu’il avait été négocié pour et par Élisabeth. Tout comme cette dernière après la mort de Carol Ier, Marie, reine-mère après la mort de Ferdinand en 1927 et l’intronisation de son petit-fils, le roi Michel, fut obligée de se retirer de la vie publique, sans participer au conseil de régence et complètement isolée après le retour au pouvoir de son fils, Carol II, de 1930 à sa mort. À la fin de sa vie, Marie, bien que dotée d’une forte personnalité, libre, réfractaire aux conventions, n’obtint rien de plus qu’Élisabeth, sa prédécesseure révoltée. Toutes les figures de style qui la représentent comme le seul et le véritable monarque de la Roumanie s’évanouissent devant cette tragique évidence.
Notes
1 Silvia Irina Zimmermann (dir.) : „In zärtlicher Liebe Deine Elisabeth“ – „Stets Dein treuer Carl“. Der Briefwechsel Elisabeths zu Wied (Carmen Sylva) mit ihrem Gemahl Carol I. von Rumänien aus dem Rumänischen Nationalarchiv in Bukarest. Historisch-kritische Ausgabe. Teil 2: 1891-1913. Exil der Königin Rückkehr auf den rumänischen Thron, Stuttgart: Ibidem Verlag, 2018, p. 357 („seit einer Woche hat sich anlässlich der Adress-Debatte in der Kammer ein zwar unblutiger aber um so bitterer Kampf über die Siebenbürger Frage entsponnen die uns in eine höchst schwierige Lage bringt. Conservative und Liberale haben das Schlachtross bestiegen und greifen schonungslos die Ungarn an, die sie als Barbaren hinstellen wegen ihrer Verfolgung der Rumänen; die einen verlangen Intervention von Seiten der Regierung, die anderen stacheln die Leidenschaften auf, viele sprechen von der Errichtung des daco-rumänischen Reiches und denken mit schönen Reden diesen Wunsch zu erfüllen, dies ist wenigstens noch grotesk, was mir aberfals sehr ernst erscheint, ist die Verhetzung zwischen den beiden Nationalitäten, die nicht so leicht wieder gut zu machen sein wird ; das geflügelte Wort eines Deputirten ,ein Dorobantz wird sich niemals neben einem Honwed schlagen‘ kann von schlimmen Folgen sein“).
2 Marie de Roumanie, Histoire de ma vie. 1875-1918, Paris, Plon, 1937-1938 (1re édition en anglais Marie, Queen of Romania, The Story of My Life, London, Toronto, Melbourne and Sydney, Cassell & Company Ltd., 3 vol., 1934-1935 ; de longs fragments des deux premiers tomes étaient déjà parus dans plusieurs numéros des années 1933-1934 du magazine américain Saturday Evening Post.
3 Marie, Reine de Roumanie, Povestea vieții mele [Histoire de ma vie], Bucarest, RAO, 2013, p. 346-347.
4 La Princesse Marie a noté le contenu de son entrevue avec Emil Costinescu, ministre des Finances, et la promesse faite à celui-ci de ne pas quitter le pays, dans son journal et par la suite dans ses mémoires Din inima mea la a lor, Iași, Imprimeria statului, 1917 (une version française de ces mémoires est parue la même année : À mon peuple ! De mon âme à la sienne, Paris, Jouvre, 1917). Les notes d’alors ont été reprises par la reine dans The Story of My Life, traduits en roumain par Mărgărita Miller-Verghy et parus à Bucarest (Adevărul) en 1934-1936 sous le titre : Povestea vieții mele. Dans l’édition roumaine citée, vol. 2, p. 492.
5 „Cu iubire tandră, Elisabeta” – „Mereu al tău credincios, Carol”. Corespondența perechii regale [„Tendrement, Élisabeth – À toi éternellement fidèle, Carol”], vol. 1 : 1869-1888, vol. 2 : 1889-1913, Bucarest, Humanitas, 2020-2021, introduction, notes et traduction par Silvia Irina Zimmermann et Romanița Constantinescu, d’après le manuscrit en allemand.
6 „Wir erkundigen uns viel nach den Prinzersserchen. Die Wales sind samt & sonders, Söhne & Töchter, von unerreichter Dummheit. Man hofft in England nur, daß der Tod einem von Aeltesten befreien könnte, bevor sein Vater stirbt! – Die Töchter schrecklich. Die Edinburgs sollen allerliebst sein & orthodox. Sie hält sie aber noch ganz in der Kinderstube, aus Angst, man könnte sie ihr wegheirathen. Und die Töchter sind ihr einziger Trost, da sie so furchtbar unglücklich ist“ (Zimmermann 2018 : I, 440).
7 Le couple princier Alfred et Marie d’Édimbourg et de Saxe-Cobourg a eu quatre filles : Marie, Victoria Melita, Alexandra et Béatrice.
8 Lettre d’Élisabeth à Carol, Sigmaringen, 13 octobre 1890 : „Fritz kann mir Photos von den kleinen Edinburghs schicken. Sie seien reizend, & ihre Dame habe mit Fritz so über sie gesprochen , daß es ihm vorkam, als wollte sie uns aufmerksam machen […]. Er sagte, die kleinen Edinburghs hätten sehr viel desinvolture & seien dabei gar nicht coquett“ (Zimmermann 2018 : I, 467).
9 „Die Königin hätte uns furchtbar gern für Eine ihrer Enkelinnen, natürlich die Aermeren & weniger Interessanten“ (Zimmermann 2018 : I, 440).
10 „Helene gewann alle Herzen, wie überall […], die Queen meinte, sie sehen so interessant aus“ (Zimmermann 2018 : I, 464).
11 „Sie wird historisch bleiben in ihrer Merkwürdigkeit!“ (Zimmermann 2018 : I, 465).
12 Povestea vieții mele… op. cit., 1, p. 276.
13 „Ich habe das Gefühl, wie ein loses Blatt in der Welt herumzuflattern, gleichgültig wo ich mich befinde. Das Benehmen der Herz v. Edinbg verstärkt dieses Gefühl. Bayreuth interessirt sie mehr als ich. Sie zählt gar nicht mit mir in ihres Kindes Leben. […] Wenn ich auch ,nur ein Dichter!‘ – bin, also für Fürstlichkeiten etwas ganz Verächtliches, so hätte ich etwas mehr Rücksicht verdient, zumal da ich es war, die ihre Tochter erwählt & immer von ihr gesprochen. Wenn der rumänische Thron jetzt begehrenswerth, das Haus bequem, die Verhältnisse gesichert, so sollte sie nicht so ganz Diejenige vergessen, die es anders gehabt, die alle Stürme ausgehalten & keine Bequemlichkeiten genossen, die sich von Morgens bis Abends für ihre Unterthanen geplagt hat & sie daran gewöhnt, ihre Zimmer als einen Hafen zu betrachten“ (Zimmermann 2018 : II, p. 150). Malgré ses efforts, visibles ici aussi, Élisabeth n’a pas réussi à imposer le narratif selon lequel ce serait elle qui aurait choisi Marie pour Ferdinand, bien qu’il corresponde à la vérité, mis à part l’accident des fiançailles secrètes du prince avec Hélène Vacaresco. Dans ses mémoires, Marie se décrit comme une « mariée que la reine n’avait pas choisie pour son neveu » (Povestea vieții mele… op. cit., 1, p. 300, c’est nous qui soulignons).
14 Povestea vieții mele… op. cit., 1, p. 295.
15 Ibid., p. 298.
16 Ibid., p. 301.
17 Ibid., p. 298.
18 Ibid., 2, p. 254.
19 Hannah Pakula, Viața Reginei Maria a României [La vie de la Reine Marie de Roumanie], traduction de l’anglais par Sanda-Ileana Racoviceanu, Bucarest, Lider, Luceafărul, 2004 (1re édition en anglais, 1984), p. 333, 344.
20 Silvia Zimmermann, Elisabeta (Carmen Sylva) și Maria. Reginele scriitoare ale României [Élisabeth (Carmen Sylva) et Marie. Les Reines écrivaines de Roumanie], Bucarest, Corint Books, 2021, p. 51.
21 Ibid., p. 333.
22 Ibid., p. 398.
23 Ibid., p. 221.
24 Comme une curiosité, on peut ajouter ici la passion commune des deux reines pour l’ésotérisme, qui avait constitué l’un des principaux chefs d’accusation contre Élisabeth. Pakula retient le témoignage de la princesse Irène de Hohenlohe, nièce de Marie, selon laquelle sa tante croyait en la réincarnation.
25 Pakula, op. cit., p. 415.
26 Ibid., p. 405. On trouve des références aux jeux d’imitation de la reine Marie dans la biographie de la princesse héritière Hélène, par Arthur Stanley Gould Lee Helen, Queen Mother of Rumania, Princess of Greece and Denmark: An Authorized Biography, Londres, Faber and Faber, 1956, p. 105.
27 Povestea vieții mele… op. cit., 3, p. 22-23.
28 „Ich werde wohl gar nichts leisten können mi ch auf liebe[v] olle Besuche beschränken und verwöhnen wo ich kann. In meinem Alter is[t] mne keine gute Pflegerin mehr. Da hört das auf. Eigentlich schon mit fünfzig rechnet man dass man das nicht mehr kann. Mit den Augen wär e es ja gan[z] undenkbar, und es giebt Junge dedie das sehr gut machen werden“ (Zimmermann 2018 : II, p. 440). Les fautes présentes dans cette ultime lettre de la reine Élisabeth adressée au roi témoignent de la dégradation de son état de santé.
29 Apud Pakula, op. cit., p. 210.
30 Povestea vieții mele… op. cit., 2, p. 104.
31 Ibid., p. 103-104.
32 Ibid., 1, p. 195.
33 „Mich freut ihr schönes Talent ganz ungemein. Ihre Blumen sind reizend“ (Zimmermann 2018 : II, p. 156.).
34 Dans sa correspondance, Élisabeth se montre sceptique quant à l’idée de pouvoir encore travailler avec la princesse héritière et elle met son échec sur le compte de la différence d’âge. L’expression en est métaphorique, par « tissu » on doit comprendre toute autre entreprise commune. Mais le désir en est vif, et la représentation d’une possible collaboration tout à fait présente : « À la pensée que Missy et moi, nous pourrions filer et tisser ensemble, nous qui ne nous connaissons pas même encore et sommes comme deux étrangères, je me sens émue ! Peut-être cela arrivera-t-il un beau jour ? Je ne le crois pas. Je suis trop éloignée d’elle par mon âge et trop fatiguée. Elle tissera toute seule, moi je file toujours plus lentement » („Rührend ist das gemeinschaftliche Spinnen & Weben von Missy & mir, wo wir uns noch nicht einmal kennen & völlig fremd sind ! Vielleicht wird es einmal so? Ich glaube es nicht. Ich bin zu weit entfernt im Alter & zu müde. Sie wird allein weben, & mein Spinnen ist schwach geworden“, 3 mai 1894, Zimmerman 2018 : II, p. 401).
35 Macrina Oproiu, « Tinerimea artistică » a principesei Maria, Muzeul Național Peleș, 2012, https://peles.ro/cataloage/tinerimeaartistica.pdf.
36 Voir aussi Petre Oprea, Artiști participanți la expozițiile Societății „Tinerimea Artistică” (1902-1947), Bucarest, Maiko, 2006.
37 Voir aussi Shona Kallestrup : “Romanian ‘National Style’ and the 1906 Bucharest Jubilee Exhibition”, Journal of Design History, vol. 15, 3, 2002, p. 147-162. JSTOR, http://0-www-jstor-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/stable/3527076.
38 „Wir müßten wirklich einen Ort finden, wo man mehr unter den Bauern wäre. Statt den jungen Leuten das gefährliche Cotroceni auszubauen, solltest du ihnen etwas kaufen gegen Albesti, Florica, an der Ialomitza, etwas wo sie mitten unter den Dörfern wären. Es wäre für ihre Popularität so viel besser” (Zimmermann 2018 : II, p. 169).
39 „Im Lande sieht man mich auch noch nicht für todt an, wie ich es dachte, & wenn die Dinge sich zuspitzen & drohend werden, dann werden die undankbaren Kinder doch nach ihrer alten Königin verlangen & sich erinnern daß mama răniților noch irgendwo in der Welt vorhanden ist & doch vielleicht in Zeiten der Noth brauchbarer ist als die neue” (Zimmermann 2018 : II, p. 143).
40 Pakula 2004 : p. 173. Pakula renvoie ici, sans la citer directement, à une lettre de la reine Élisabeth au docteur Benjamin Young, reproduite dans l’ouvrage d’Elizabeth Burgoyne, Carmen Sylva. Queen and Woman, Londres, Eyre & Spottiswoode, 1941, p. 211-212. Voir aussi Zimmermann : 2021, p. 50-51.
41 Ibid.
42 Zimmermann 2018 : II, p. 91. Jeu de mots à partir du prénom féminin roumain Safta (abréviation affectueuse d’Elisabeta) et le nom commun « saftea » (du turc siftah), première vente faite par un commerçant d’une nouvelle marchandise ; ou, au début d’une journée, d’une semaine, début chanceux d’une affaire, dans ce cas, « affaire mal engagée, avec peu de chances de réussite ».
43 Ibid., II, p. 255.
44 Ibid., I, p. 284.
45 « Je sais maintenant pourquoi elle voulait avoir une cabane dans l’arbre. Guillaume m’a dit que de telles maisonnettes sont décrites dans le terrifiant roman de Daudet, Sapho. J’aurais pu le jurer, car Missy ne fait pas preuve elle-même d’autant de fantaisie » (lettre du 3 juin 1898, „Ich weiß jetzt warum sie das Häuschen in den Baumwipfeln wollte. Wilhelm sagte mir, es seien solche Häuschen in dem gräulichen Roman von Daudet, Sapho, beschrieben. Ich konnte sicher sein, denn Missy hat selbst keine Phantasie“, Zimmermann 2018 : II, p. 430).
46 Boabe de grâu, nr. 2, avril 1930, traduction de l’anglais par Emanoil Bucuța, p. 65-77.
47 Povestea vieții mele… op. cit., 2, p. 358. Élisabeth a traduit en allemand l’histoire « Doi frați rivali » [Deux frères rivaux], parue en 1917, après sa mort : Feindliche Brüder. Nach der Rumänischen Handschrift deutsch bearbeitet von Elisabeth von Wied, Königin von Rumänien (Carmen Sylva), Berlin, L. Oehmigke’s Verlag (R. Appelius), 1917.
48 Maria Queen of Roumania, Why? A Story of Great Longing, Stockholm, Svenska Tryckeriaktiebolaget, 1923. En roumain : Povestea unui dor nestins [Histoire d’une nostalgie inextinguible], traduction par Em. Panaitescu, Bucarest, Institutul de Arte grafice Speranţa, 1915.
49 Four Seasons Out of A Man’s Life. By Marie, Queen of Roumania. Illustrated by Nicolae Grant, Bucarest, 1915. En roumain : Maria, Regina României, Patru anotimpuri din viaţa unui om [Marie, Reine de Roumanie, Quatre saisons de la vie d’un homme], traduction par Mărg. Miller-Verghy. Ilustrations de N. Grant, Bucarest, 1915.
50 The Dreamer of Dreams by The Crown Princess of Roumania/Queen of Roumania. Illustrated by Edmund Dulac. London, New York, Toronto: Hodder & Stoughton, 1913 (réédité en 1914 et 1915). Traduit en roumain par Mărg. Miller-Verghy sous le titre Visătorul de vise. Fantezie [Le Rêveur de rêves. Faintaisie], Bucarest, Editura Institutului de Arte Grafice Flacăra, 1914.
51 Marie, Reine de Roumanie, Ilderim. Poveste în umbră şi lumină [Ilderim. Histoire d’ombre et de lumière]. Traduit par Mărg. Miller-Verghy. Bucarest, Institutul de Editură şi Arte Grafice Flacăra, 1915. La version originale en anglais est parue plus tard : llderim. A tale of Light and Shade, with a dedication to her son, Crown Prince Carol, Londres, Duckword, 1925, republiée à Londres, Adelphi Company, 1926.
52 The Stealers of Light: A Legend. By The Queen of Roumania. Illustrated by Edmund Dulac, Londres, New-York, Toronto, Hodder and Stoughton, 1916.
53 L’Enfant-de-soleil, Bucarest, Ateliers de L’Independance Roumaine, 1915. En roumain : Copila soarelui, par Marie, Reine de Roumanie. Traduit par Adrin Val, Iaşi, Editura Versuri şi Proză, 1918.
54 The Lily of Life. A Tale by Crown Princess of Roumania with a preface by Carmen Sylva, Bucarest, Albert Baer, 1912.
55 The Lily of Life. A Tale by Crown Princess of Roumania with a preface by Carmen Sylva, illustrated by Helen Stratton, Londres, New-York, Toronto, Hodder & Stoughton, 1913. La traduction en roumain, due à Elena Perticari Davila est parue la même année sous le titre Crinul vieții, Conte, par Son Altesse Royale, la Princesse Marie, Bucarest, Atelierele grafice Socec & Co.
56 Silvia Zimmermann étudie ces textes dans la préface au recueil de contes tirés des œuvres des reines écrivaines qu’elle édite (voir Zimmermann : 2021, p. 20-30).
57 Voir aussi Zimmermann : 2021, p. 10-11, ainsi que Raluca Dună, “‘Memory, Though, is as Strong as Hope’: Queen Marie of Romania and her War Literature”. Philologica Jassyensia, XVII, nr. 1 (33), 2021, p. 81-93 : „During the war, Queen’s [Marie] beautiful literature acquired a new moral and political meaning. The books and articles published during the First World War established a relationship of empathy with her people, which doubled the effect of her daily activities” (Dună 2021 : p. 82).
58 Dună rappelle les journaux et les mémoires de Irina Procopiu, Arabella Yarka, Sabina Cantacuzino, Alexandrina Fălcoianu, Jeana Fodoreanu et Neli Cornea, ces derniers dédiés à la reine Marie (Dună 2021 : 83).
59 Il existe deux parutions notables. La première est My Country, by Marie, Queen of Rumania, Londres, New-York, Toronto, Hodder and Stoughton, 1916. En roumain : Ţara mea. Par la Reine Marie de Roumanie, dans la traduction de Nicolae Iorga, Iași, Imprimeria Statului, 1917. Version française : Marie, Reine de Roumanie, Mon pays, traduction de Jean Lahovary, Paris, Crès, 1917. Le second volume est intitulé : Din inima mea, la inima lor, Iaşi, Impr. Statului, 1917, avec l’édition française : À mon peuple ! De mon âme à la sienne.
60 L’édition complète des Notes quotidiennes, en dix volumes, n’est parue qu’en 2006-2014 : Însemnări zilnice, I-X, édition, introduction, notes I-VIII, Vasile Arimia ; IX-X, Olga-Silvia Turbatu, trad. par Sanda Racoviceanu (I), Valentina Costache et Sanda Racoviceanu (II-X), Bucarest, Historia (I-VIII) ; Iași, Polirom (VI-X).
61 Virginia Woolf, “Royalty”, dans la publication féministe Time and Tide, decembre 1934, http://www.gutenberg.net.au/ebooks15/1500221h.html.
62 Însemnări din ultima parte a vieții [Notes de la dernière partie de la vie], édition, notes, étude introductive, traduction par Sorin Cristescu, postface par Mihail Mihailide, Bucarest, Corint, 2018.
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Référence papier
Romanița Constantinescu, « L’héritage politique, social et artistique de Carmen Sylva (Élisabeth de Roumanie) dans l’œuvre de la reine Marie de Roumanie », reCHERches, 30 | 2023, 53-70.
Référence électronique
Romanița Constantinescu, « L’héritage politique, social et artistique de Carmen Sylva (Élisabeth de Roumanie) dans l’œuvre de la reine Marie de Roumanie », reCHERches [En ligne], 30 | 2023, mis en ligne le 15 juin 2023, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/14841 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.14841
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