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AccueilNuméros29Regards et témoignagesLe général Henri Mathias Berthelot

Regards et témoignages

Le général Henri Mathias Berthelot

Quelques aspects de sa vie personnelle
Jean-Claude Dubois
p. 185-193

Texte intégral

1Dès que j’entrais dans le salon de la maison de mes grands-parents j’étais impressionné par le grand portrait en pied du général. Dans la famille, on l’appelait « Cousin Henri ». C’était le héros de la famille, optimiste et jovial, d’un grand charisme, son goût pour la bonne chère lui avait procuré un certain embonpoint. Mon père, Henri Dubois, son petit-cousin, était le filleul et l’héritier testamentaire du général. Mon arrière-grand-mère (Marie Coquard) était la sœur de la mère (Françoise Coquard) du général. Mon grand-père Claudius Dubois et le général étaient donc cousins germains, ils étaient très proches et avaient une relation très fraternelle, « Cousin Henri », bien qu’habitant Paris avait gardé la maison de ses parents à Nervieux, et il y venait volontiers chaque fois qu’il le pouvait.

2Mon père, Henri Dubois, avait hérité de la maison du général dans le Forez. Bien que j’aie vécu dans cette maison durant les années de guerre, malgré le froid et les restrictions, Je garde de ces lieux des souvenirs heureux. Après la guerre nous venions y passer les vacances d’été. Cette maison était donc pleine des souvenirs du général que mon père vénérait. Mon enfance et mon adolescence ont été accompagnées par des souvenirs, des photos de la vie du général mais aussi des livres que je dévorais. J’étais notamment intrigué par ses souvenirs : trois classeurs de feuilles dactylographiées mais aussi des petits carnets noirs. Le général notait toutes ses actions et événements pendant la durée de la Grande Guerre de 1914 à 1919 au jour le jour sur ces petits carnets. Il a utilisé ces carnets pour écrire ses souvenirs de guerre. Il est mort en janvier 1931 en ayant rédigé et tapé les trois parties sur les quatre que devaient comporter ses souvenirs. J’avoue que j’ai lu très tôt ses souvenirs mais je n’ai pas tout de suite réalisé leur importance. En effet le général avait mis une clause testamentaire de ne pas publier ses mémoires avant 20 ans (soit en 1951).

Un peu d’histoire sur la carrière du général

3Le général Henri-Mathias Berthelot naît en 1861 à Feurs. C’est le fils de Claude Berthelot, capitaine de gendarmerie. Il a un frère cadet, Johannès. Après des études au lycée de Lyon il bénéficie d’une bourse et entre à Saint-Cyr en 1881. Il en sort dans les premiers. Il fait campagne en Algérie et au Tonkin. Il entre ensuite à l’École supérieure de guerre. Il est nommé aide de camp du général Henri Joseph Brugère. Avec l’appui de Brugère, qui lui sert de mentor durant plusieurs années, il assure le secrétariat du Conseil supérieur de la Guerre.

On peut confier à cet officier d’élite les missions les plus difficiles et les plus délicates, écrit de lui cet officier général. Réussira partout où il sera employé. Intelligence supérieure et caractère sympathique.

4Au début de la Première Guerre mondiale, c’est un des plus jeunes et plus brillans des généraux ; il est promu colonel en 1910, il va exercer le commandement d’un régiment en 1911, celui du 94e RI. Pendant deux ans et demi, Berthelot partage son temps entre Bar-le-Duc et Paris, où il est appelé régulièrement pour travailler avec le général Joffre, qui vient d’être nommé chef d’état-major des armées. Au cours de la mobilisation, Berthelot, aide-major général, participe activement à l’élaboration des premiers plans de bataille et à la direction générale des opérations. Il joue un rôle clé lors de la victoire de La Marne (4 septembre 1914).

5En tant que chef d’unité il s’illustre ensuite dans le Labyrinthe (Artois 1915), le Mort-Homme (Verdun 1916) mais aussi lors de la seconde bataille de la Marne lorsqu’il commande la 5e armée (juillet-septembre 1918)

6Mais c’est sur un terrain étranger que Berthelot va donner toute sa mesure : c’est un homme de poids dans tous les sens du terme, un gros travailleur avec un esprit clairvoyant. La Roumanie a proclamé sa neutralité en faisant valoir aux puissances centrales que l’accord secret de 1883 avec la Triplice ne devait jouer qu’en cas de guerre défensive. La classe politique est alors partagée mais l’opinion publique est plutôt francophile. Le 10 octobre 1914, le roi Carol meurt et son neveu Ferdinand lui succède.

7En août 1916, la Roumanie entre dans la guerre, sans y être bien préparée et le gouvernement roumain fait appel en octobre à une importante mission française confiée à Berthelot, qui devient conseiller de l’armée roumaine. Le 15 octobre le général Berthelot arrive à Iaşi à la tête d’une mission militaire. Il a été choisi en raison de son expérience et de son caractère placide. Dès son arrivée, il s’efforce de trouver un écho favorable auprès des militaires roumains. Il n’aura pas beaucoup de mal à l’obtenir. Il est adopté d’emblée par l’armée qui l’affuble du surnom affectueux de Papa Berthelot. Berthelot s’emploie à créer une armée roumaine moderne et à l’équiper ; il conseille aussi politiquement le roi Ferdinand Ier. De nombreux cadres français participent à l’instruction des troupes et à la création d’une aviation. Les Roumains passent à l’offensive en été 1917 avec succès (victoires de Mărăşti et Mărăşeşti juillet 1917). Mais la défection russe et le ralliement de l’Ukraine à l’Allemagne contraignent en mars 1918 la Roumanie à déposer les armes et la mission française au retour en traversant toute la Russie, du sud au nord.

8Après une mission aux États-Unis (mi-juin 1918), le général Berthelot conduit la 5e armée lors de la contre-offensive en Champagne (juillet-août 1918). Puis il est nommé commandant de l’armée du Danube (bien qu’il soit réticent à quitter son commandement de la 5e armée) qui appuie la Roumanie, qui a repris les armes (novembre 1918). Au côté du roi Ferdinand et de la reine Marie, il entre à Bucarest en vainqueur (1er décembre 1918). Les traités de paix sont très favorables à la Roumanie, dont le territoire est considérablement agrandi, en particulier de la Transylvanie et de la Bessarabie (actuelle Moldavie) en grande partie grâce à son action. Il reçoit en remerciement pour son aide la nationalité roumaine et un domaine (Fărcadin de Jos) qui prendra le nom de « General Berthelot ». Il viendra presque tous les ans dans sa seconde patrie.

9Berthelot est ensuite nommé gouverneur militaire de Metz (1919-1921), puis de Strasbourg (1923-1926) comme il le souhaitait. Il quitte l’armée en 1926 ; en 1930 il est accueilli en héros national en Roumanie pour la dernière fois.

10Une description réaliste est donnée par un de ses anciens jeunes officiers (William Sérieyx), qui écrit en 1930 :

  • 1 Sérieyx William, Nos Grands chefs parlent, Paris, 1931, vol. 2 : Les Généraux, p. 57-59.

Dans son petit appartement, en pyjama du matin, sans cérémonie aucune, le général me reçoit amicalement avec cette bonhomie cordiale qui lui est familière, et qui n’exclut pas le cas échéant, une pointe de malice…
Dès cette époque, il possède l’art de mettre ses subordonnés doublement en confiance : et vis-à-vis de lui, et vis-à-vis d’eux-mêmes. Aussi ses enseignements étaient-ils fort goûtés. On aimait à voir dans ses observations s’affirmer une intelligence claire, un jugement sûr, un esprit fin et délié.
Ces qualités du capitaine ont persisté chez le général. Elles l’ont conduit haut et loin ! Que de trophées de victoire, que de témoignages de la gratitude roumaine s’accumulent dans son petit appartement ! Il crée une atmosphère de gloire, discrète et pénétrante, que rend plus sensible encore la simplicité du logis1.

11Décédé à Paris en 1931 des suites de son diabète, il aura des funérailles nationales. Il est inhumé dans son village de Nervieux (Loire) comme il le souhaitait.

« Cousin Henri » et sa famille

12Berthelot est toujours préoccupé moralement et matériellement du sort de sa belle-sœur Louise et de son unique neveu Georges. Johannes, le père de Georges est mort tragiquement en 1896. Berthelot envoie régulièrement de l’argent et offre à Georges de somptueux cadeaux à Noël. Il récolte pour lui des timbres un peu partout.

Le général Henri Mathias Berthelot (casquette et moustache) en famille vers 1913.
À gauche : le père et la mère de Claudius Dubois. À droite : Claudius, mon grand-père avec ma grand-mère ; mon père, Henri, est devant à droite. Derrière et devant les filles de Claudius Louise et Geneviève.

13Sa correspondance révèle une attention de tous les instants : il s’inquiète notamment de la santé souvent chancelante de l’adolescent, en tout il lui donne des conseils comme l’aurait fait son père. À la veille du baccalauréat il recommande à Louise de « lui demander de fermer tous les bouquins deux ou trois jours avant l’examen pour laisser se tasser toutes les choses dans la cervelle… » Il aime jouer la comédie avec Georges et ses petits-cousins. C’est ainsi qu’on les voit jouer Le malade imaginaire ou bien la pièce Cyrano de Bergerac. À la mi-octobre 1920 Georges est reçu à Metz pour « tâcher de lui trouver une carrière dans l’administration ou dans l’enseignement ». Il sera professeur de lettres à Poligny. Louise sa belle-sœur, mère de Georges est morte en 1923. Aussi lorsque Georges se suicide le 16 septembre 1926 au soir de son mariage, c’est un terrible coup pour Berthelot.

14Berthelot est aussi très proche de la famille de Claudius Dubois, mon grand-père. À chaque fois qu’il le peut il va régulièrement à Nervieux et où il apprécie particulièrement la cuisine de sa servante Marie. Il visite son cousin Claudius Dubois, son presque frère, son épouse et ses enfants.

15Claudius meurt en février 1926. Berthelot écrit à son ami, le général Rosetti : « ce n’est pas seulement un parent que je perds à cette occasion, mais un ami avec lequel je vivais depuis l’enfance ». Il lui reste heureusement Louise, l’épouse de Claudius et ses enfants, ses petits-cousins : Amélie (Lily, née en 1893), Jeanne (née en 1895), Claude (né en 1900), Henri (né en 1903) son préféré et son filleul ; Marie-Louise (née en 1905) et enfin Geneviève (née en 1911) la petite dernière.

16Ce n’est pas le général que les enfants de Claudius accueillent, mais « Cousin Henri ». Il leur raconte des récits de ses campagnes et des anecdotes sur les grands de ce monde. Il arrive lors des fêtes de Pâques et de Noël les bras chargés de cadeaux pour tous.

17Pendant la belle saison il aime se promener vêtu d’un pantalon de toile et coiffé d’un large chapeau de jonc, il occupe ses journées à taquiner le poisson dans la Loire ou bien à jouer avec ses petits-cousins pour lesquels il fabrique des cerfs-volants. Ils vont ensemble pêcher au lieu-dit « Le moulin de Balbigny » et manger la friture au restaurant tout proche. À Radu Rosetti il écrit en 1922 :

hier j’ai passé mon temps sur les berges de la Loire avec la famille. Nous avons eu beau temps, nous avons passé le temps à la pêche avec mes jeunes cousins… nous avons particulièrement pris des truites délicieuses et notre partie de pêche a été un succès…

18Lors de ses promenades on le voit avec son chien Dagobert en 1903 sur les bords de la Meuse, plus tard il est accompagné de son chien-loup Yago. Il prend également soin de ses chevaux dont il parle dans ses lettres.

19Très attaché à sa région d’origine le Forez, tout au long de sa vie, Berthelot la retrouve dans ses vieux jours, mais en pensée il ne l’avait jamais quittée.

20En décembre 1919 il participe ainsi, dans la capitale, au banquet donné par la société des Foréziens de Paris. Il présidera l’inauguration du monument aux morts à Nervieux en 1922.

Les Souvenirs de la Grande Guerre du général

21Avec mon père dès les années 1960 nous avons fait plusieurs tentatives pour faire publier les souvenirs du général (qu’il avait intitulé Souvenirs de la Grande Guerre) et donc de rappeler son rôle oublié en France. Nous avons contacté plusieurs historiens et en particulier le directeur du Service historique de l’armée de terre à l’époque et des universitaires spécialistes du domaine. Le général de Cossé Brissac, notamment, a écrit un mémoire très élogieux sur les souvenirs. Tous nous ont dit que ces souvenirs étaient très intéressants mais qu’il fallait les mettre en forme.

22C’est finalement dans les années 1980 que j’ai été contacté par Glenn Torrey professeur à l’Emporia State University. Cet historien a tout d’abord publié une partie des souvenirs concernant la Roumanie. Ceux-ci étaient en grande partie dactylographiés par le général, la dernière partie (l’armée du Danube, 1919) a été dactylographiée par mon père qui a copié les petits carnets noirs (ses carnets de guerre écrits au jour le jour). Par ailleurs, Berthelot d’une façon incroyable, écrivait quotidiennement un grand nombre de lettres – en tout quelques centaines – à son cousin Claudius Dubois, mon grand-père, mais aussi à sa belle-sœur Louise (veuve de son frère mort accidentellement) et à son neveu Georges. J’ai gardé un grand nombre de ces lettres. Voici à titre d’exemple des extraits de la lettre de Berthelot à son cousin Claudius du 2 décembre 1918 après son entrée victorieuse en Roumanie à la tête de l’armée du Danube qui traduit bien les sentiments et la personnalité de Berthelot :

Mon cher Claudius,
Hier dimanche nous avons eu notre journée de triomphe. D’une part nous avons fait toute l’armée de Mackensen prisonnière de guerre, les gens se rendant à merci et sans condition. C’est notre manière de leur faire payer tous les dégâts commis.
C’est hier aussi que le roi, la reine et le général Berthelot ont fait leur entrée solennelle dans la capitale de la Roumanie, à la tête des troupes alliées.
L’enthousiasme a été débordant, comme je m’y attendais […] les officiers roumains ont nommé le Roi Maréchal, et à son tour, il m’a nommé grand-croix de l’ordre de Michel le Brave. J’en suis le premier titulaire.
Ici on me fait fête de tous côtés on ne me qualifie pas moins de sauveur de la Roumanie. Je t’avoue que cela me fait plaisir, mais à quand la partie de pêche ? Nous avons encore du travail sur la planche mais j’espère tout de même que ça ne sera pas trop long […]. Nous avons encore de nombreux dîners de gala au programme de la semaine. Mais il faut aussi penser aux choses sérieuses. J’ai trois questions principales à liquider : la Dobroudja avec les Bulgares, la Transylvanie avec les Hongrois, et la Russie du Sud avec les bolcheviques […].

  • 2 Torrey Glenn E., General Berthelot and Romania. Mémoires et correspondance 1916-1918, New-York, 1 (...)
  • 3 Torrey Glenn E., General Henri Berthelot. Soldier of France, defender of Romania, Iaşi, 2000. –Gr (...)

23Glenn Torrey a ainsi inclus dans les mémoires roumaines des lettres à sa belle-sœur Louise et à son neveu Georges qui illustrent et précisent les événements. Cette partie des souvenirs a été publiée en français (en 1987) avec un résumé en anglais. Cette édition a commencé à le faire connaître des historiens et a été traduite et publiée en Roumanie2. Glenn Torrey réalise un livre(en 2001) très intéressant, mais en anglais sur la vie et la carrière de Berthelot. Le professeur Jean-Noël Grandhomme réalise plusieurs publications3 et un livre très complet et très bien documenté sur la vie du général.

  • 4 Souvenirs de la Grande Guerre. Notes extraites de mon journal de guerre, présentés par Jean-Claud (...)
  • 5 Conférences de Jean-Claude Dubois, La Maison Roumaine, Paris (Youtube): Les mémoires du général B (...)

24Ces souvenirs n’avaient donc jamais été publiés en totalité. J’ai pu les faire publier en 2018 par les éditions des Paraiges4. J’ai été encouragé et aidé par l’association la Maison Roumaine, par mes cousins, par le professeur Jean-Noël Grandhomme ainsi que par mon ancienne collaboratrice Chantal Lermenier qui a réalisé le travail considérable de la transcription complète du texte. Mon objectif était de rappeler le rôle du général à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre5 et de laisser un document à la disposition des historiens.

25Ces souvenirs comportent quatre parties en 4 classeurs, le général écrit :

Les notes que j’ai prises journellement au cours de la Grande Guerre n’étaient pas destinées à la publicité. La liberté d’appréciation que j’ai eue vis-à-vis des personnes et des faits le montrera suffisamment au lecteur. Mais la connaissance de ces notes, que j’avais naturellement communiquées à quelques amis, a suscité chez tous une opinion nettement contraire à mes intentions primitives et à mes scrupules. Ils ont nettement fait valoir la nécessité de mettre fin aux légendes qui se sont créées, sur beaucoup de points, au cours même de la guerre, et surtout dans les années qui l’ont immédiatement suivie. Certains événements ont été dénaturés au point de fausser la vérité.
Pour concilier ce souci et tout dire avec le soin d’éviter des blessures d’amour-propre, j’ai dû imposer à mon exécuteur testamentaire (Henri Dubois) l’obligation de ne publier mes notes que vingt années, au plus tôt, après ma mort.

26Le livre édité par les Éditions des Paraiges à Metz comporte environ 800 pages et une cinquantaine de photos en quatre cahiers. Les acteurs du drame y apparaissent avec leur grandeur et leurs faiblesses, en un moment unique, celui où mourait vraiment l’Ancien Régime et naissait le xxe siècle, celui de la démesure en toute chose. On est dans le secret des couloirs du GQG – où Berthelot régna quasiment en maître pendant près d’un mois, puis dans les tranchées où il connut quelques déconvenues (le passage de la théorie à la pratique), avant de donner toute sa mesure à Verdun. Berthelot guide ses lecteurs à travers une machinerie complexe dominée par la terrible logique de la guerre d’usure : exterminer l’adversaire, détruire son économie, affamer sa population, avant qu’il n’y parvienne le premier.

27La première partie des souvenirs apporte une précieuse contribution à l’histoire de la genèse et du déclenchement de la manœuvre de la Marne. Ils font leur part aux rôles respectifs du commandant en chef et des commandants d’armée, le général Gallieni et le maréchal French notamment. Ils établissent sans contestation la part déterminante du généralissime qui sait coordonner et exploiter aussitôt les initiatives heureuses, parfois prématurées, comme celles du gouverneur de Paris.

28La deuxième partie des souvenirs nous fait descendre du plan de la stratégie à celui de la tactique. Le général Berthelot fait l’apprentissage, dans la guerre de stabilisation, du métier difficile de commandant de division. Nous revivons avec lui les tragiques combats de 1915 au Labyrinthe et de 1916 à Verdun.

29Dans la troisième partie, le général Berthelot dirige la mission française en Roumanie en octobre 1916. Il lui faut remettre au combat et actionner lui-même l’armée roumaine en mauvaise posture, sans en donner trop l’impression, en raison des susceptibilités du commandement national. Il est aidé par des subordonnés efficaces de la Mission tels que le général Pétin ou le colonel Marie, il coopère avec S.M. Ferdinand, l’ambassadeur de Saint-Aulaire, les généraux Prezan et Grigorescu, Ion C. Bratianu, Radu Roseti ou le ministre français de l’Armement Albert Thomas.

30Dans la quatrième partie, en juillet 1918, Foch lui confie le commandement de la 5e armée. En octobre, il est envoyé à nouveau en Roumanie pour la libérer et contenir la pression révolutionnaire dans les Balkans à la tête de l’armée du Danube. Il revient en France en mars 1919. Il n’aura pas le temps de terminer la rédaction de cette quatrième partie.

Conclusion

31Le général Berthelot a joué un rôle important dans la période d’avant-guerre lors de la préparation de l’armée française, avec notamment le vote de la loi des trois ans de service militaire. Au cours de la mobilisation, Berthelot, aide-major général, participe activement à l’élaboration des premiers plans de bataille et à la direction générale des opérations au Grand quartier général, il joue un rôle clé lors de la victoire de La Marne. Il jouera aussi un rôle important à Verdun ainsi que lors de la deuxième bataille de la Marne, à la tête de la 5e armée.

32Peu d’officiers de sa génération ont eu autant de responsabilités impliquant des conséquences politiques et militaires lors des missions roumaines qui ont créé une énorme influence de la France. Pour la Roumanie « Papa Berthelot » reste un héros national. Il est considéré comme l’un des artisans de la « Grande Roumanie ». Berthelot a aimé la Roumanie, sa seconde patrie qui le lui a bien rendu.

33Take Ionesco membre du gouvernement en 1917 a dit lors de l’enterrement du Dr Clunet (qui était membre de la mission Berthelot) :

Il n’y a pas de peuple en dehors de vos frontières qui soit plus français que ce pays… Depuis plus de cent ans, vos lettres, votre science, vos arts ont pénétré notre âme à tel point que dans notre pensée il est impossible de séparer ce qui nous vient de nos ancêtres de ce qui nous vient de la France.

De nombreux échanges avec des artistes, des écrivains, des scientifiques, industriels se sont produits et se produisent encore. En France il est curieux qu’il reste peu connu, notamment lors des différentes manifestations du Centenaire. Bien sûr, il y a eu différents hommages rendus au général, notamment dans son village (Nervieux). C’est toujours un héros en Roumanie ou son souvenir demeure très vivant. La Roumanie vient de lui dresser une belle statue en pieds à Bucarest, l’Académie Roumaine lui a consacré plusieurs conférences et colloques. La maison dans le domaine de Fărcadin, qui lui avait été offert, vient d’être restaurée et le village a repris le nom de « Général Berthelot ». Une émission de deux timbres (France-Roumanie) a marqué les cent ans de la mission.

34Dans son oraison funèbre aux Invalides, le maréchal Pétain avait dit :

Grand chef, certes le général Berthelot l’a été. Plus que tout autre, il a connu l’adversité et il en a triomphé grâce à son élévation morale, à une volonté toujours en éveil et aux admirables ressources d’un esprit façonné par l’étude et la réflexion. Enfin, talent plus rare, il s’est montré apte non seulement à commander les troupes nationales, mais à commander les soldats étrangers et à se faire comprendre d’eux. Reconnaissons en lui l’équilibre de la pensée et du caractère et ce don particulier de persuasion et de rayonnement qui explique le succès de son action dans les différentes situations qu’il a occupées.

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Notes

1 Sérieyx William, Nos Grands chefs parlent, Paris, 1931, vol. 2 : Les Généraux, p. 57-59.

2 Torrey Glenn E., General Berthelot and Romania. Mémoires et correspondance 1916-1918, New-York, 1987 (traduction roumaine : Jurnal şi correspondenţă, présentation de Gheorghe I. Florescu, Iaşi, 1997).

3 Torrey Glenn E., General Henri Berthelot. Soldier of France, defender of Romania, Iaşi, 2000. –Grandhomme Jean-Noël, Le Général Berthelot et l’action de la France en Roumanie et en Russie méridionale (1916-1918), Vincennes, 1999. –La Roumanie dans la Grande Guerre et l’effondrement de l’armée russe. Édition critique des rapports du général Berthelot, chef de la Mission militaire française en Roumanie, 1916-1918, en collaboration avec Thierry Sarmant et Michel Roucaud, Paris, 2000. – La Roumanie, de la Triplice à l’Entente, 1914-1919, Saint-Cloud, 2009 (traduction roumaine par Ionela-Felicia Moscovici, Georgiana Medrea Estienne et Valentin Trifescu : România de la Tripla Alianţă la Antanta (1914-1919), Iaşi, 2018). –Henri-Mathias Berthelot. Du culte de l’offensive à la stratégie globale, Ivry, 2011.

4 Souvenirs de la Grande Guerre. Notes extraites de mon journal de guerre, présentés par Jean-Claude Dubois, Paraiges, Metz, 2018.

5 Conférences de Jean-Claude Dubois, La Maison Roumaine, Paris (Youtube): Les mémoires du général Berthelot (20 mai 2017) – Général Henri Mathias Berthelot, Souvenirs de la Grande Guerre (23 mai 2018).

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Table des illustrations

Légende Le général Henri Mathias Berthelot (casquette et moustache) en famille vers 1913.À gauche : le père et la mère de Claudius Dubois. À droite : Claudius, mon grand-père avec ma grand-mère ; mon père, Henri, est devant à droite. Derrière et devant les filles de Claudius Louise et Geneviève.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/docannexe/image/14587/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 935k
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Claude Dubois, « Le général Henri Mathias Berthelot »reCHERches, 29 | 2022, 185-193.

Référence électronique

Jean-Claude Dubois, « Le général Henri Mathias Berthelot »reCHERches [En ligne], 29 | 2022, mis en ligne le 30 novembre 2022, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/14587 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.14587

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Auteur

Jean-Claude Dubois

Fils de Henri Dubois filleul et légataire universel du général Berthelot ; ancien directeur du groupe Chimie et Céramique au Laboratoire central de recherches de Thomson‐CSF, ancien professeur associé à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI).

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Droits d’auteur

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