1La partition de la Hongrie, conséquence de l’invasion turque, donne naissance, après la bataille de Mohács (1526), à trois territoires commandés par des régimes de souveraineté différents dont un seul, la Transylvanie, peut être considéré comme autonome. Les Ottomans la vassalisent mais sans l’occuper ni la soumettre à leur administration. Déjà érigée en entité dotée d’une personnalité juridique, la province acquiert dès lors dans l’inconscient collectif un statut particulier : elle devient le berceau intact de l’identité, l’incarnation de la résistance et le réservoir où puiser l’énergie de la reconquête.
2À partir du xiiie siècle, avec l’arrivée des colons saxons, la différenciation historique des principaux groupes ethniques de Transylvanie s’est opérée : Hongrois, Sicules, Saxons et Roumains. Toutefois les Sicules et les Saxons jouissent de privilèges royaux et disposent de l’administration distincte de la voïvodie de Transylvanie. Les Roumains, désignés alors sous le terme de Valaques (Oláh), ceux vivant dans la partie sud de la Transylvanie sont également dotés d’une identité juridique autonome. Durant l’occupation turque du reste du royaume, la situation et le statut des Sicules ne changent pas, ils se convertissent toutefois massivement au protestantisme (calvinisme et unitarisme) au même titre qu’une grande partie des Hongrois. Leur autonomie définie par les « sièges » (szék) qu’ils habitent est respectée après la reconquête et l’intégration de la Transylvanie dans l’Empire en 1699. Ce sont les réformes de Joseph II qui redéfinissent leurs attributions en les intégrant dans la frontière militaire dont ils partagent les territoires avec les Roumains.
3Outre le territoire historique de Transylvanie, la principauté exerçait son autorité sur une vaste zone au sud et à l’ouest désignée sous le nom de Partium. En vertu du traité de Spire (Speyer) conclu entre János Zsigmond et les Habsbourg en 1570, les comtés de Maramureș, Bihor, Zaránd, Szolnok et Kraszna ainsi que plus tard les comtés d’Arad, Temeş et Szörény constituent le Partium dont les limites ne sont pas figées et évoluent au gré des relations entre l’Autriche et l’Empire ottoman tandis que les princes de Transylvanie s’emploient à agrandir le territoire à leur avantage. Ce dernier profite en outre de l’adjonction du Banat (Bánság), nouvelle entité créée à partir des conquêtes turques entre le Danube et le Temesköz. C’est la puissance des princes et leurs entreprises qui assurent à la Transylvanie sous domination turque et ensuite autrichienne, sa spécificité voire sa propension à l’insoumission.
4L’un des principaux objectifs de la politique de reconquête des Habsbourg était la Contre-Réforme et la recatholicisation de la province. De 1711 à 1750, on assiste par conséquent à des tentatives de démantèlement du système des quatre religions reconnues (catholicisme, luthéranisme, calvinisme et unitarianisme) alors que jusque-là la province maintenait une politique de tolérance religieuse permettant alternativement à des princes protestants et catholiques de la gouverner. Les orthodoxes, quant à eux, n’étaient que « tolérés » puisque les Roumains ne bénéficiaient pas du statut de nation constituante de la province. L’entreprise commence dès 1703 avec le renouvellement du siège épiscopal catholique romain, l’établissement de monastères et l’instauration de l’union religieuse gréco-catholique qui concerne les Roumains de la Transylvanie proprement dite tandis que ceux du Partium préservent l’orthodoxie au même titre que leurs coreligionnaires serbes. L’ensemble de ces mesures ainsi que les vexations dont sont l’objet les Sicules conduit à une importante émigration vers la Hongrie. Parallèlement l’unification des revendications nationales et paysannes donne naissance au mouvement national roumain en Transylvanie (Horel, 2021 : 97-103).
5Le statut territorial de la Transylvanie demeure inchangé jusqu’en 1848 : le douzième point de la liste des revendications du 15 mars demandait le retour de la province au sein du royaume de Hongrie. Cette demande heurte non seulement l’administration viennoise mais s’oppose aussi aux exigences de l’éveil national roumain mené par Avram Iancu qui rejette l’union de la Transylvanie avec la Hongrie. Les Roumains convoquent une Assemblée nationale à Blaj (Balázsfalva, en hongrois, Blasendorf, en allemand) et forment leur propre administration dans les comtés de Transylvanie ; les régiments de la frontière composés de soldats roumains se révoltent contre les troupes hongroises qui participent à la guerre d’indépendance. Le mélange ethnique et la localisation de la Transylvanie nécessite de penser son avenir en termes multiculturels. La spécificité du territoire donne naissance à ce que l’on peut appeler le transylvanisme, à savoir une identité locale forte, hongroise, roumaine et saxonne, avec pour les premiers une adhésion certes au projet national hongrois, mais non sans condition et pour les seconds une tentation irrédente combinée à une forte conscience du particularisme voire de la supériorité transylvaine.
6La Transylvanie devient ainsi une variable d’ajustement pour les projets de redéfinition fédérale de la Hongrie, de la monarchie des Habsbourg voire de l’Europe danubienne mais dans l’esprit des Hongrois elle ne saurait être agrégée aux Principautés danubiennes de Valachie et Moldavie ou plus tard à la Roumanie ; elle peut à la rigueur être conçue comme un État indépendant, sur le modèle souvent évoqué de « Suisse de l’Est ». Au moment de la révolution de 1848, deux éventualités surgissent, correspondant à deux options politiques : le maintien de la monarchie, qui détermine un fédéralisme interne composé des cinq entités historiques (Bohême, Autriche, Hongrie, Illyrie, Pologne), ou bien sa dissolution, qui entraîne une vision plus large d’une fédération danubo-balkanique comprenant les principautés danubiennes de Moldavie et de Valachie dans le but de les soustraire aux appétits russes et de les libérer de la suzeraineté ottomane. Le plan roumain de Ion Brătianu – plus tard chef du parti national libéral, ministre et président du Conseil –, né à la faveur des mouvements révolutionnaires en Valachie, voit dans une alliance avec la Hongrie le moyen de se débarrasser de la tutelle ottomane et de la remplacer par une fédération régionale. Mais les discussions achoppent sur le statut de la Transylvanie.
7L’autonomie, voire l’indépendance de la Transylvanie, resurgit à plusieurs reprises entre la fin du xixe siècle et l’entre-deux-guerres où elle apparaît pour les Hongrois comme une alternative à l’intégration dans la grande Roumanie et au démembrement issu du traité de Trianon. Ces réflexions sont inséparables de celles que mènent les intellectuels roumains de la province. Le plus célèbre d’entre eux est très certainement Aurel C. Popovici qui propose dans son livre Die vereinigten Staaten von Groß-Österreich une fédéralisation de la monarchie dont le but essentiel du côté transleithan est de mettre fin à la domination sans partage des Hongrois, ce qui ne pouvait manquer d’intéresser l’archiduc héritier du trône François-Ferdinand (1863-1914). Les Roumains étaient d’ailleurs très présents dans son entourage, et hormis Popovici, l’héritier du trône recevait également les hommes politiques et intellectuels Alexandru Vaida-Voevod, Ioan Mihu, Miron Cristea et Iuliu Maniu qu’il encourageait à négocier avec le gouvernement hongrois d’István Tisza (Mihăilescu, 1996 : 79). Le groupe, animé par la Militärkanzlei de l’archiduc comportait également des représentants allemands, le Hongrois József Kristóffy et le Slovaque Milan Hodža. La Transylvanie constitue le cœur du problème territorial et, malgré les tentatives répétées des uns et des autres pour arriver à une position acceptable, les projets fédéraux achoppent toujours sur la définition du royaume de Hongrie que les Magyars refusent de voir fédéraliser. L’autonomie de la Transylvanie, État charnière et pont entre l’Ouest et l’Est à plusieurs niveaux, ne peut être admise que dans une fédération dominée par la Hongrie ; il s’agirait en outre d’un statut territorial et non national, ne permettant pas aux Roumains une expression autonome (Horel 2021 : 105-107).
- 1 Zsolt Lengyel distingue dans cette période plusieurs options : de l’indépendance – avec même la c (...)
8Le fédéralisme réapparaît au début du xxe siècle chez les nouveaux penseurs de la société hongroise qui voient dans la question des nationalités l’une des principales difficultés auxquelles la Hongrie est confrontée et qui, faute de solution, obèrent son avenir. Après la mort de Kossuth en 1894, c’est Oszkár Jászi qui reprend à son compte la réflexion fédérale, mais sur un tout autre mode. Faisant référence aux projets danubiens des années 1860, Jászi conçoit une fédéralisation de la Hongrie qui va bien au-delà de ce que Kossuth envisageait. D’une certaine façon, Jászi contribue malgré lui à créer le mythe d’un Kossuth fédéraliste, ce que, selon moi, il n’a jamais été. Le « patriotisme danubien » formulé par Jászi au lendemain de la Première Guerre mondiale envisage tout d’abord un maintien du royaume de Hongrie dans son intégrité territoriale tout en accordant aux nationalités le maximum d’autonomie. Plus tolérant que Kossuth, il n’accepte cependant pas non plus une séparation de la Transylvanie. L’éclatement de l’empire austro-hongrois et le démembrement de la Hongrie en vertu du traité de Trianon semblent mettre un point final à la discussion, mais il n’en est rien et l’entre-deux-guerres va être paradoxalement l’âge d’or de la réflexion sur le transylvanisme et plus généralement sur le fédéralisme centre-européen et danubo-balkanique1.
9Le révisionnisme hongrois est construit sur l’intégrité territoriale de la Hongrie royale et l’on admet seulement le séparatisme croate justifié par le droit d’État et l’union personnelle des deux royaumes. Les autres territoires perdus sont considérés comme des pays appartenant à la couronne de Saint Étienne et donc inaliénables. La Hongrie avait fait sienne la devise de l’empire d’Autriche, indivisibiliter ac inseparabiliter. Le révisionnisme hongrois est surtout dirigé vers la Roumanie puisque la Transylvanie est considérée comme un élément essentiel de l’identité magyare, et vers la Tchécoslovaquie, afin de récupérer au moins le sud de la Slovaquie où les Hongrois sont nombreux. La Hongrie rejoint le camp des frustrés de la conférence de la paix, avec l’Italie mussolinienne qui non seulement lorgne sur la Slovénie, mais a des ambitions balkaniques, et l’Allemagne, qui fait dès lors figure de protecteur potentiel dans la croisade révisionniste. Le calcul de Horthy se révèle désastreux à long terme : en échange des arbitrages de Vienne qui lui accordent la Slovaquie méridionale et le nord de la Transylvanie, la Hongrie va entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne en 1941. Le révisionnisme a empoisonné les relations de la Hongrie avec ses voisins et avec les Occidentaux et a aussi donné lieu à une rhétorique de victimisation différente de celle qui avait cours au siècle précédent où le royaume, s’il était effectivement sous domination étrangère, était du moins entier. Après la défaite et l’amputation il n’est plus question d’accuser l’Autriche, il faut au contraire trouver des responsabilités internes. On charge les gouvernements libéraux issus du Compromis unanimement décrié, les communistes et les juifs, lesquels sont vus comme les alliés des uns et des autres et, par essence, étrangers à la communauté nationale, alors qu’ils sont parmi les plus assimilés de la région. Le révisionnisme jouissant d’un large consensus sert donc à la fois des buts de politique étrangère et un discours à usage intérieur de repli sur soi et de nationalisme étroit.
10Il est nécessaire de rappeler que la naissance du mouvement révisionniste et l’organisation de sa propagande sont antérieures à l’instauration du régime Horthy (Horel, 2014 : 177-180). C’est le gouvernement de Mihály Károlyi qui met en place un Office national de propagande (Országos Propaganda Bizottság). Cet organisme lance le slogan célèbre : « Nem, nem, soha » (Non, non, jamais) pour caractériser le refus des Hongrois d’accepter le morcellement du territoire. Des associations diverses se constituent ensuite à la faveur de la contre-révolution. L’une des plus importantes est la Ligue de défense du territoire (Területvédő Liga). Ces groupes sont tous liés aux officiers de Gömbös, à la MOVE et à l’association du Réveil Magyar (Ébredő Magyarok Egysülete). Le tout forme un ensemble hétéroclite où se mêlent théories raciales et fantasmes historiques. Ainsi que le constate l’ambassadeur américain Montgomery à ce sujet :
Le révisionnisme que j’ai trouvé en Hongrie relevait davantage d’un mythe curieux que d’un programme clair. Les désastres nationaux prédisposent autant aux troubles psychologiques que les victoires. Le principal symptôme, dans les deux cas, est la production de légendes. (Montgomery 1947 : 52)
Dès le 16 janvier 1921, le traumatisme est inscrit dans la pierre avec l’inauguration à Budapest, sur le côté nord de la place de la Liberté (Szabadság tér, référence à 1848) de quatre statues, œuvres du sculpteur Ferenc Sidló. Elles représentent l’ouest (le Burgenland), le sud (la Bácska), l’est (la Transylvanie) et le nord (la Slovaquie). Surnommées immédiatement les « statues irrédentes » (Irredenta szobrok), elles sont détruites durant les combats de la Seconde Guerre mondiale.
11Les nombreuses associations qui viennent en aide aux réfugiés des territoires sont autant de relais du révisionnisme. Mais c’est la campagne de Lord Rothermere, « Justice for Hungary », de juin 1927 dans le Daily Mail qui est décisive pour la création d’une organisation centrale chargée de porter l’idée de la révision. La Ligue révisionniste hongroise (Magyar Revizós Liga) rassemble immédiatement une centaine de comités et environ 500 filiales et groupements locaux, des comitats et des villes la rejoignent également. Son but est d’œuvrer de manière pacifique à la révision du traité de Trianon sur la base de l’article XIX de la SDN. Son président est le grand écrivain conservateur Ferenc Herczeg, dont les œuvres sont particulièrement appréciées du régent. Elle reçoit en outre un soutien important en la personne du directeur de l’un des principaux quotidiens de Budapest, le Pesti Hirlap, Ottó Legrády qui met le journal à la disposition de la cause. Pál Teleki lui apporte son expertise de géographe. La Ligue permet d’unifier le mouvement et de mettre à l’écart les fanatiques du Réveil Magyar qui prônent la révision par des moyens violents et illégaux. Leur idéologie est de surcroît ouvertement antisémite et raciste. Elle présente les Hongrois comme trahis par les juifs et supérieurs aux peuples de l’ancien royaume. L’organisation est interdite par le gouvernement en 1925. La Ligue est désormais le seul organe autorisé à diffuser la propagande révisionniste, mais elle apparaît officiellement comme une association et non comme une officine gouvernementale. Ainsi que le dit le ministre des Affaires étrangères Kálmán Kánya (1869-1945), le révisionnisme est une « insanité » politique, mais il ajoute que l’on ne saurait convaincre les gens du contraire. Il est donc nécessaire de le contenir. Il est par ailleurs évident que le révisionnisme sert le régime en maintenant dans le pays un climat de consensus. L’ambassadeur Montgomery constate ainsi que le révisionnisme est une « bénédiction » pour la classe politique hongroise (Montgomery 1947 : 54) : il maintient l’unité nationale et renforce indéniablement la position et l’autorité de Horthy.
- 2 Les nouvelles danubiennes paraissaient en quatre langues (allemand, français, anglais et italien) (...)
- 3 Magyarország Évkönyve [Annuaire de la Hongrie], Budapest, 1934.
12La propagande se traduit alors par des campagnes d’envois de cartes postales, de publications diverses et de conférences faites par des particuliers. On édite des billets de banque révisionnistes (reviziós pengő) ornés du portrait de Rothermere (1868-1940) dont l’acquisition permet de financer les activités de la Ligue. Une adresse de remerciement à son attention est signée par 1 200 000 personnes, ce que rappelle Horthy avec fierté dans ses mémoires (Horthy 1953 : 165, 1954 : 138). Des articles de sympathisants sont fournis aux journaux étrangers mais aussi aux revues hongroises, notamment celles qui s’adressent à un lectorat expatrié ou étranger comme la Nouvelle Revue de Hongrie. Puis la Ligue crée sa propre série de publications (Magyar Reviziós Liga Kiadványai) dont les numéros sont traduits en français, anglais, italien et allemand. Une étape supérieure est franchie en 1929 lorsque la Ligue prend le contrôle de la revue de politique étrangère Magyar külpolitika qui devient pratiquement son organe officiel dans les années qui suivent sous la direction de Gyula Pekár. Elle est l’expression non seulement de la Ligue mais rassemble aussi les membres de l’Union interparlementaire (Interparlamentáris Unió) et la Société hongroise de politique extérieure (Magyar Külügyi Társaság). En 1931 la revue devient la propriété exclusive de la Ligue (Zeidler 2009 : 131). La Ligue intervient aussi directement à l’étranger. En France par exemple, François (Ferenc) Honti, le correspondant à Paris du Pesti Hirlap, est également l’éditeur de la revue Les nouvelles danubiennes2, qui est en réalité l’organe de la Ligue, dont le rédacteur en chef en Hongrie était Elemér Szudy, ancien chef du service de presse de Bethlen. La ligue (Reviziós liga) possédait un secrétariat en France, animé par Honti qui s’efforçait de faire passer dans la presse française soit ses propres articles soit ceux de partisans français ou hongrois de la révision. Il bénéficiait à l’occasion de la collaboration d’autres journalistes hongrois de passage ou de l’importation de plumes célèbres comme celle du comte Bethlen3.
- 4 Archivio Centrale dello Stato. Ministero della Cultura Popolare. Direzione Generale per i Servizi (...)
13Dans les années 1930, le pragmatisme prend la relève du jusqu’au-boutisme consistant à réclamer le retour inconditionnel et intégral de tous les territoires détachés. Les autorités sont bien conscientes des difficultés que la révision provoquerait à l’intérieur alors que le pays est touché par la crise. Mais on ne peut dans le même temps ignorer le soutien, parfois bruyant, que l’Italie et ensuite l’Allemagne, apportent au programme révisionniste, comme lors de l’inauguration de l’exposition d’art italien au Palais des arts (Műcsarnok) de Budapest le 18 janvier 1936 en présence de Horthy4. Le secrétaire d’État à la presse et à la propagande, Dino Alfieri, se laisse aller à une diatribe révisionniste qui suscite la fureur de l’ambassadeur de Roumanie, Basil Grigorcea, lequel quitte la salle. La légation italienne en la personne du ministre plénipotentiaire, le prince Colonna et du premier secrétaire Baldoni, est elle-même embarrassée par cette sortie inattendue.
14La révision partielle des frontières qui aboutit en 1938 puis en 1940 au rattachement de la Slovaquie méridionale et d’une partie de la Transylvanie, est le point culminant du régime et permet dans l’imagerie d’associer les trois éléments : l’uniforme, le cheval et la femme. Lors de son entrée dans les deux territoires, Horthy est accompagné de son épouse qui porte même à l’occasion des vêtements traditionnels, ce que montrent les films d’actualité et les photos diffusées dans la presse. Les dernières images du régent à cheval sont celles des « reconquêtes » de la Slovaquie méridionale en novembre 1938 : à Komárom, Horthy traverse à cheval le pont sur le Danube et pénètre dans la ville du côté slovaque ; à Kassa il entre également à cheval. Dans les deux cas, les films d’actualité insistent sur ces moments censés rappeler à l’opinion le souvenir de 1919. Le conquérant à cheval est, sinon un nouvel Árpád, du moins un redresseur de torts puisqu’il a réussi à faire revenir dans le giron national une partie des provinces perdues. Le sens de ces images est parfaitement clair pour le grand public.
15Si la personne de Horthy est indissociablement liée au révisionnisme, il est notable que la propagande contre le traité de Trianon n’utilise pas son portrait, pour des raisons évidentes de réserve diplomatique. La distanciation effectuée par le régime envers le révisionnisme ne permet pas d’accoler le portrait du régent aux productions de la Ligue révisionniste. La culture populaire s’empare toutefois davantage de cette imagerie que de celle du régent qui impose le respect. On lui dédie plus volontiers des chansons, les nóták traditionnelles déjà présentes en 1919 mais qui sont reprises lors des reconquêtes territoriales (Horel, 2014 : 262). L’une des plus célèbres, destinée à exalter les troupes qui entrent en Transylvanie en septembre 1940 est : « Je suis un soldat de Miklós Horthy ; le plus beau des soldats ». Un film de propagande distinct des bandes d’actualités est d’ailleurs réalisé pour cette occasion, où l’on entend le refrain de József Ormándy :
C’est toi Miklós Horthy, le guide des Hongrois,
Ma douce patrie tronquée, nous sommes fiers de toi.
Nous prions pour toi le Dieu du ciel,
Qu’il te donne la force d’accomplir ta grande tâche,
De trouver la force pour la victoire,
Afin que le bonheur revienne en ta belle Hongrie. (Turbucz 2009 : 163)
Ces instruments de propagande contribuent à la création de l’image de Horthy non plus comme sauveur de la patrie mais comme conquérant qui « agrandit la patrie » (orszaggyárapító). Cette appellation fait l’objet d’une utilisation systématique dans la presse à partir du premier mais surtout du second Arbitrage de Vienne et un nouveau film à la gloire du régent tourné en 1941 porte ce titre.
16La Transylvanie revêt pour la conscience nationale hongroise une signification encore plus importante que la Haute-Hongrie. Les deux territoires sont les enjeux majeurs de la révision des frontières en raison de la présence sur leur sol de la minorité hongroise la plus nombreuse. La dimension conflictuelle qui s’est instaurée entre, d’une part, la Hongrie et la Tchécoslovaquie, d’autre part, entre la Hongrie et la Roumanie, est supérieure à celle qui existe entre la Hongrie et la Yougoslavie. Le poids numérique et historique de la minorité hongroise est moindre dans le royaume de Yougoslavie, néanmoins le sud de la Baranya (Baranja) et la Bácska (Bačka) font partie des revendications territoriales hongroises. La disparition de la Tchécoslovaquie et la satisfaction partielle du révisionnisme hongrois envers elle résout pour un temps la question. C’est à présent la Transylvanie qui concentre l’attention. L’appétit vient en mangeant et les exigences hongroises se font pressantes. Forts de leur succès en Haute-Hongrie, les dirigeants hongrois veulent parvenir à un règlement semblable en Transylvanie. Or la situation est très différente : les Allemands n’ont pas envers la Roumanie un contentieux comparable à celui qui les animait à l’encontre de la Tchécoslovaquie. Si la propagande nazie veut effectivement ramener les Allemands de Roumanie dans le Reich selon la stratégie du « Heim ins Reich », elle n’envisage pas un démembrement du pays mais sa satellisation à son profit, essentiellement pour s’emparer de ses ressources pétrolières. Les ambitions hongroises contrecarrent donc leurs plans et il est dans leur intérêt de régler la querelle entre la Hongrie et la Roumanie afin que celle-ci ne dérange pas leurs ambitions dans la guerre qui va éclater et dont le but est dans un premier temps l’Europe du nord et de l’Ouest.
17Le second arbitrage de Vienne a donc surtout pour but de satisfaire – de façon partielle encore une fois – le révisionnisme hongrois, et de préserver la Roumanie. L’analyse de Jörg Hoensch juge sévèrement le jusqu’au-boutisme du gouvernement Teleki dans cette affaire. Selon l’historien allemand, cette surenchère a provoqué l’intervention de Hitler dans les Balkans puisque la France et la Grande-Bretagne s’étaient portées garantes de la Roumanie et de la Grèce. Or il ne faudrait pas exagérer l’importance de la Hongrie qui n’est pas, et de loin, la seule responsable de l’engrenage qui mène à la guerre. Les Hongrois sont tombés dans le piège bien avant et leur marge de manœuvre ne cesse de se réduire, l’étau se resserre et c’est bien cela qui pousse ensuite Teleki au suicide. Hoensch admet que la Hongrie n’avait guère d’autre choix, à partir du moment où elle refusait d’entrer dans le conflit. Il était désormais trop tard pour abandonner la croisade révisionniste, surtout en laissant de côté son enjeu le plus important et le plus symbolique. Contrairement à ce que pense Hoensch, Hitler n’aurait certainement pas attaqué en même temps la Pologne et la Hongrie – malgré la nouvelle frontière commune – (Hoensch 1967 : 295), si cette dernière avait rejeté les propositions de négociation avec la Roumanie, mais elle se serait très certainement retrouvée en seconde ligne. Or ce qui préoccupe Horthy avant tout, c’est d’éviter la guerre à tout prix. Il faut donc se contenter d’une révision a minima qui permet tout de même de monter une belle opération de propagande au service de la révision et à la gloire du régent, et de préserver la nation d’une entrée en guerre vue à juste titre comme une conséquence désastreuse. En un mot les Hongrois continuent de vouloir prendre part au festin sans se salir les mains en cuisine. Dans ses mémoires, Horthy dit assez justement que les Allemands maniaient alternativement la carotte et le bâton tantôt à Budapest, tantôt à Bucarest, afin de forcer les deux pays à s’entendre sur la question transylvaine (Horthy 1953 : 222, 1954 : 192). Son évocation d’une éventuelle fédération danubienne qui aurait uni les deux rivaux par l’intermédiaire de la Transylvanie est en revanche une illusion perpétuée depuis le milieu du xixe siècle mais à laquelle de nombreux hommes politiques ont cru ou fait semblant de croire. Horthy a ici sans doute à l’esprit le transylvanisme du comte Bethlen qui prévoyait l’autonomie de la province au sein d’une structure fédérale.
- 5 Il s’agit ici de la deuxième conférence tenue le 27 novembre 1933 devant la Near and Middle East (...)
18Le comte István Bethlen, descendant d’une famille princière de Transylvanie, réfléchit à la question et à la signification géopolitique du territoire dans ses écrits et ses conférences publiés après son départ du pouvoir en 1931 (Dreisziger 1975 : 413-423). Il distingue trois centres de gravité dans la région : le premier au nord des Carpates et de la grande plaine polono-lituanienne, qui s’étend jusqu’à la Baltique et dont le centre est la Pologne, qui doit servir de tampon entre l’Allemagne et la Russie ; le deuxième est formé par la Hongrie et le bassin danubien clos par les Carpates, et que seule la Hongrie est capable d’organiser ; enfin le troisième est constitué par le bas Danube et la Roumanie, mais celle-ci est cernée par des pays slaves qui ne manqueraient pas de se tourner vers la Russie, la seule solution pour elle est donc de s’entendre avec la Hongrie, au nom de la solidarité des pays non slaves5. Revenant sur le xixe siècle, Bethlen juge sévèrement les programmes d’autonomie territoriale et de fédéralisation mis en avant par les Roumains et les Serbes qu’il interprète comme un pur et simple irrédentisme. Fidèle au centralisme hongrois, il place l’État avant la nationalité et explique que les nationalités auraient dû faire confiance à l’État hongrois, notamment les groupes qu’il considère implicitement moins avancés (Slovaques, Ruthènes et Serbes). Il est intéressant de remarquer qu’il fait de l’autonomie croate obtenue par la Nagodba de 1868 un exemple, tout en reconnaissant que si l’on avait poursuivi sur la lancée de cet accord, le fédéralisme devenait une éventualité. Bethlen est l’un des rares auteurs à l’époque à prendre en compte le séparatisme croate pour en faire une composante d’une éventuelle confédération dominée par la Hongrie.
19Comme nombreux autres auteurs avant lui, il présente la Suisse comme un autre modèle possible pour gérer l’autonomie des trois nations en Transylvanie : l’union des Hongrois (les Sicules) et des Saxons est ainsi la base d’un gouvernement de type fédéral. L’avenir de la Transylvanie serait donc une indépendance sous une forme à définir, garante de l’égalité de ses trois composantes nationales. Bethlen prend à plusieurs reprises l’exemple suisse pour envisager cette solution, revenant là à un modèle déjà pris en considération au milieu du xixe siècle par les premiers penseurs hongrois du fédéralisme. Le régionalisme transylvain a posé des problèmes considérables à la grande Roumanie issue des traités de paix, le Landespatriotismus s’est révélé tout aussi fort chez les Roumains de la province que chez les Hongrois et les Allemands. L’autonomie transylvaine n’est plus alors considérée par les Hongrois comme une atteinte à l’intégrité du royaume puisque celle-ci est de toute façon brisée depuis le traité de Trianon. Le régionalisme devient ainsi une alternative acceptable mais reste très largement une revendication d’ordre culturel (Balogh 1998 : 157). Après le commencement de la Seconde Guerre mondiale, Bethlen envisage la configuration régionale pouvant résulter d’une victoire alliée qu’il souhaite, mais n’envisage pas à ce moment que la Hongrie puisse abandonner sa position de neutralité, à moins que le prix de son engagement contre le Reich soit la révision des traités de 1920, ce qui relève de l’illusion mais devait en revanche fonctionner dans le sens inverse comme le montrent les arbitrages de Vienne. Bethlen ne peut imaginer sérieusement pour l’après-guerre qu’une union entre la Pologne et la Hongrie par le retour à une frontière commune aux dépens de la Slovaquie qui reviendrait dans le giron magyar. Au Sud, la Transylvanie serait administrée conjointement par la Hongrie et la Roumanie. Tirant les leçons des décennies passées, Bethlen s’oppose à toute union avec les pays germaniques, Autriche ou Allemagne, et préconise au contraire l’union régionale avec au moins un pays voisin. Son plan relève d’une certaine fantaisie, d’un optimisme forcené, et d’une bonne dose d’illusion : il ne tient pratiquement aucun compte de l’Union soviétique et du rôle qu’elle pourrait jouer dans la région après la guerre et concède seulement son droit à ôter à la Roumanie la Bessarabie : la Roumanie affaiblie serait ainsi contrainte d’entrer dans une union inégale avec la Hongrie et l’on revient au point de départ de toute la pensée hongroise sur l’intégration régionale. Bethlen enfin, pourtant lui-même ardent anglophile, fait peu de cas de la constante lourde de l’histoire hongroise à chercher son bonheur et son équilibre en direction de l’Ouest et de la répugnance des décideurs et de l’opinion publique à lier son destin avec des voisins orientaux jugés inférieurs et potentiellement inféodés à la Russie. Porté par une certaine nostalgie de la principauté de Transylvanie qui jouait au xviie siècle un rôle pivot entre les Habsbourg, l’empire ottoman et la Pologne, Bethlen fait preuve d’anachronisme en envisageant pour sa terre natale un nouveau destin historique.
- 6 Sa famille est de surcroît installée à Kolozsvár (Cluj, Klausenburg) depuis la fin du xixe siècle (...)
- 7 Télégramme d’Erdmannsdorff au ministère des Affaires étrangères, 31 août 1940 (A Wilhelmstrasse é (...)
20Les négociations se déroulent durant le mois d’août 1940 à Turnu Severin alors que la situation sur le front de l’ouest est stable pour les Allemands. Ils ne sont toutefois pas disposés à tolérer des perturbations dans leur arrière-cour d’autant que leur prochain objectif est l’Union soviétique. Cette dernière vient d’ailleurs de faire valoir ses droits, en vertu de l’accord Ribbentrop-Molotov d’août 1939, en annexant en juin 1940 la Bessarabie et le nord de la Bucovine (deux territoires que la Roumanie avait acquis en 1918). Dans ce contexte, les Roumains sont difficilement prêts à accepter des concessions au profit de la Hongrie. L’Allemagne de son côté a besoin de garder ces deux États dans son orbite en vue de l’attaque contre l’Union soviétique. Les Italiens quant à eux ne font pas mystère de leurs ambitions dans les Balkans. Il est donc urgent de mettre de l’ordre. Devant l’échec des négociations menées du côté hongrois par l’ancien ambassadeur à Bucarest András Hory6 et du côté roumain par l’ancien ministre de la justice et diplomate Valeriu Pop (Ablonczy 2011 : 42), les Allemands imposent à leurs protagonistes le second arbitrage de Vienne qui est signé de nouveau au palais du Belvédère le 30 août 1940. Les signataires sont pour l’Axe, Ribbentrop et Ciano, pour la Hongrie, le président du Conseil Teleki et le ministre des Affaires étrangères Csáky, pour la Roumanie le ministre des Affaires étrangères Mihai Manoilescu et Valeriu Pop7.
21L’accord finalement obtenu consacre le retour dans les frontières du royaume de Hongrie de toute la partie septentrionale de la Transylvanie ainsi que des territoires sicules (Székelyföld), soit 43 500 km² et 2,5 millions d’habitants. Suite aux deux arbitrages, la Hongrie a ainsi regagné quatre millions d’habitants et agrandi son territoire de 93 000 à 161 141 km². Mais une grande partie du territoire saxon, Siebenbürgen au sens littéral, les anciens sièges de Kronstadt (Brassó, Braşov), Hermannstadt (Nagyszeben, Sibiu), Schäßburg (Segesvár, Sighişoara), restent roumains, ainsi qu’Arad et Temesvár (Timişoara). D’importantes villes investies d’une signification historique redeviennent hongroises, Kolozsvár, (Klausenburg, Cluj), Nagyvárad (Großwardein, Oradea) et Szatmárnémeti (Sathmar, Satu Mare). Selon les statistiques roumaines de 1930, les régions cédées sont en majorité roumaines (49,2 %) alors que le recensement hongrois de 1941 fera apparaître au contraire une majorité hongroise de 53,6 % (Ablonczy 2011 : 47). Le lendemain, Teleki et Csáky sont accueillis à la gare par une foule énorme au premier rang de laquelle on voit le fils aîné du régent, István. Le film d’actualités insiste ensuite sur la manifestation « spontanée » qui se déroule devant la légation d’Italie où l’on acclame le ministre, Giuseppe Talamo8. Les remerciements de la nation ne semblent pas avoir été adressés spontanément à l’Allemagne malgré la lettre que Horthy adresse à Hitler le 2 septembre9, soit trois jours après la signature de l’arbitrage. Le découpage de la province est en effet assez incohérent, brisant une unité territoriale ancestrale que l’intégration dans le royaume de Roumanie n’avait pas entamée. L’arbitrage provoque en outre un mouvement de populations : environ 100 000 Roumains fuient vers le sud de la province ou vers le Regat tandis qu’une proportion à peu près égale de Hongrois font route vers le nord (Köpeczi 1990 : 680). Roumains et Hongrois se livrent à des représailles des deux côtés de la nouvelle frontière. Si la situation s’améliore indéniablement sur le plan scolaire et culturel pour les Hongrois redevenus citoyens de la Hongrie, leur niveau de vie en revanche ne progresse pas, contrairement aux promesses faites par le régime. Ainsi quand le président du Conseil Miklós Kállay se rend en inspection dans la région à deux reprises durant le printemps 1942, il la trouve fort négligée et estime nécessaire de lancer un programme de développement des infrastructures routières et de construction d’équipements sanitaires (Kállay, 1954 : 106), qui ne peut toutefois pas être réalisé en raison de la guerre.
22La propagande est immédiatement à l’œuvre pour valoriser la reconquête. Horthy fait son entrée dans la région en même temps que les troupes hongroises prennent possession du territoire. Il est à Máramarossziget (Sighetu Marmației) et à Szatmárnémeti le 5 septembre. Le 6 à Nagyvárad (Oradea) et enfin le 11 à Kolozsvár. La tournée triomphale se poursuit dans le pays sicule les 12-13 septembre avec une étape à Marosvásárhely (Târgu Mureş). Les accessoires du culte sont présents : le cheval blanc, l’accent mis sur l’armée, sans oublier la famille puisque Madame Horthy est de toutes les cérémonies. Ces dernières sont particulièrement mises en scène à Szatmárnémeti, Nagyvárad et surtout Kolozsvár. À Nagyvárad, Horthy est accueilli par un discours de l’un des dirigeants du Parti hongrois de Transylvanie (Országos magyar párt), Kálmán Tury. Madame Horthy et sa belle-fille sont assises aux côtés du régent et portent des tenues traditionnelles10. L’épouse du régent noue un calicot sur le drapeau national tricolore sous les acclamations de la foule qui crie « Vive Horthy ». Les deux dames sont de nouveau présentes dans le même attirail à Kolozsvár qui représente indéniablement l’apogée du voyage. Si Madame Horthy se tient toujours avec son époux sur la tribune, à Kolozsvár Ilona est derrière au premier rang des personnalités et l’on devine son époux István à côté d’elle. Cet épisode est comparable à celui de Kassa un peu moins de deux ans auparavant. Là encore, la ville représente un symbole fort pour l’identité hongroise. La cérémonie a lieu devant la cathédrale catholique bien que la Transylvanie soit aussi une terre calviniste, mais l’endroit est la place principale de la ville où se dresse la statue du roi Mathias Corvin. Le message est donc parfaitement clair et propice à mobiliser l’opinion. C’est le président du Conseil Teleki, lui-même transylvain, qui prononce la première adresse, suivi par le comte György Bethlen, chef du Parti hongrois (Horváth 2007 : 359-368)11. Dans ce bastion de la magyarité, la réponse de Horthy ne fait aucune place aux Roumains12. Comme Kassa précédemment, c’est Kolozsvár qui est choisie pour la parade militaire qui se déroule ensuite. Le soir même à Budapest, un feu d’artifice est donné sur le mont Gellért, venant encore renforcer la symbolique de la reconquête. Le décorum est moindre à Szatmárnémeti et à Marosvásárhely. Dans la première localité le régent et sa femme, qui a délaissé les vêtements folkloriques, sont accueillis par le maire hongrois, Sándor Antal13. Dans la seconde, Horthy et Magda embrassent les enfants dont ils reçoivent des bouquets. Les films d’actualités insistent sur l’enthousiasme de la population et surtout des femmes, qui ont revêtu les costumes de fête, les enfants aux mines réjouies, les vivats et les défilés de troupes. Un déploiement de forces médiatiques sans précédent a été visiblement mis en place à destination de l’opinion publique locale ainsi qu’en direction du reste du pays. La dimension symbolique de la Transylvanie fait l’objet d’incessants rappels dans la presse.
Les troupes hongroises défilent devant le régent Horthy sur la place principale de Kolozsvár (Cluj) (Fő tér) le 15 septembre 1940, en arrière-plan l’église Saint-Michel, © Fortepan/Fortepan : <https://fortepan.hu/hu/photos/?id=92494>.
23Alors que la guerre a déjà produit ses ravages sur une partie du continent, la Hongrie prétend maintenir son état de non-belligérance tout en encaissant les bénéfices des conquêtes révisionnistes. La prochaine étape devrait être logiquement soit un agrandissement des territoires déjà obtenus mais cela ne semble guère envisageable : l’indépendance de la Slovaquie est garantie par les Allemands qui tiennent tout autant à préserver la Roumanie ; soit une nouvelle pénétration, cette fois vers le sud, aux dépens de la Yougoslavie. Mais cette annexion des territoires revendiqués de la Baranja et de la Bácska est improbable sans un engagement direct de la Hongrie dans l’agression allemande contre la Yougoslavie. La Hongrie se rendrait de la sorte coupable d’un coup de couteau dans le dos du gouvernement de Belgrade avec qui justement on cherche alors à s’entendre.
Un homme brandit un drapeau de la révolution de 1848 (« Vive la patrie ») sur la place Gábor Áron de Kézdivásárhely (Târgu Secuiesc, en roumain), en pays sicule, au moment de l’entrée des troupes hongroises le 13 septembre 1940, © Fortepan/Fortepan : <https://fortepan.hu/hu/photos/?id=92491>.