1Nos travaux de recherche au cours des dernières années ont porté sur la façon dont les peuples ont vécu la fin de la Première Guerre mondiale. Nous cherchons notamment à saisir comment ils ont interprété les enjeux de la paix à venir et comment ils ont tenté, à leur manière, de prendre part à la discussion internationale qui a cours en 1919 sur l’ordre mondial, à défaut de pouvoir réellement influer sur les décisions qui ont été prises lors de la conférence de la paix (Bouchard 2008, 2015, 2022). C’est dans cet esprit que nous aborderons dans cet article la vision du président Wilson concernant l’Europe centrale et orientale. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la façon dont s’est construite la position américaine concernant cet espace européen. Nous nous intéresserons plus spécifiquement en deuxième partie au point focal que constitue le principe d’autodétermination, thème aussi controversé que central du discours wilsonien. Ces deux premières parties permettront de mieux mettre en contexte la troisième, où nous examinerons ce que disent, de façon générale, les lettres de citoyens envoyées au président américain au sujet de l’Europe centrale et orientale, alors que Wilson séjourne à Paris pour prendre part aux négociations de paix. Utilisant à leurs fins l’ambiguïté wilsonienne sur l’autodétermination, les citoyens et citoyennes cherchent à influencer les décisions d’un homme dont ils mesurent pleinement le poids politique à l’heure de la réorganisation du monde.
2À la suite de l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale en avril 1917, le président Wilson prit conscience du fait que ses deux principaux alliés, le Royaume-Uni et la France, avaient déjà mis sur pied des comités chargés de préparer leurs objectifs de paix. Différents organes du Foreign Office commencèrent dès février 1917 des travaux qui furent officiellement réunis sous le vocable de Political Intelligence Department en mars 1918, tout comme le Comité d’études, en France, qui tint sa première réunion au cours du même mois de février 1917 (Prott 2016 : 30-34). Ce fut la raison pour laquelle Wilson créa en septembre 1917 le groupe surnommé The Inquiry, sous la supervision de son conseiller personnel Edward « Colonel » House : l’Amérique se dotait à son tour d’une force intellectuelle capable de penser le monde d’après-guerre.
- 1 Le président Wilson entretenait un lien personnel avec l’Université Princeton, où il avait étudié (...)
3Cent cinquante experts, dont plus de la moitié était des membres de l’American Geographical Society ou provenait de grandes universités de la Ivy League, soit Harvard, Yale, Princeton et Columbia1, intégrèrent le tout premier think tank américain. L’Inquiry produisit une masse considérable de documentation, dont les travaux furent étudiés à partir des années 1960 par Lawrence E. Gelfand, puis par quelques historiens et géographes. Près de 2 000 rapports et 1 200 cartes furent produits par l’Inquiry afin d’offrir à la délégation américaine menée par Wilson des données d’ordre politique, économique, social et ethnique, accompagnées de recommandations visant à soutenir la position américaine durant les négociations de paix. L’Inquiry constituait donc l’outil « scientifique » qui permettrait aux Américains d’appréhender et de promouvoir leur vision du monde au terme d’un conflit inédit et d’envergure mondiale. Dans celle du président, les arrangements territoriaux d’après-guerre en Europe centrale et orientale devaient être élaborés sur la base d’une paix « scientifique », reposant sur les conclusions objectives des spécialistes américains, et non en fonction des intérêts nationaux défendus par les hommes d’État européens, ou de la politique de puissance de la diplomatie du Vieux monde. La conviction que les problèmes de toute nature pouvaient être résolus de manière rationnelle, scientifique et pragmatique, parfois même contre les revendications des peuples eux-mêmes, reflétait un réel optimisme envers le pouvoir transformateur de la discussion rationnelle dans le cadre libéral, le tout dans un contexte où il apparaissait nécessaire de procéder à l’établissement d’un nouvel ordre social et moral à l’échelle internationale – la pensée wilsonienne doit beaucoup en ce sens à la philosophie pragmatique de William James, comme l’a montré Trygve Throntveit (Throntveit 2017).
4La prétention objective et désintéressée de la position américaine est évidemment fictive et elle a été remise en question par une historiographie critique de la politique wilsonienne, qui a replacé sa formulation dans le cadre plus vaste de l’histoire des idées politiques (Sluga 2006). Dans leur article portant sur les travaux de l’Inquiry sur l’Europe centrale et orientale, Liliana Riga et James Kennedy soutiennent que les experts, malgré un réel souci d’objectivité, restaient contraints par leur vision des communautés immigrantes des États-Unis et des conceptions de hiérarchisation raciale typique du début du xxe siècle. Ainsi, pour certains peuples (les Ruthènes, les Juifs et une partie de la population ukrainienne par exemple), l’assimilation était « possible et souhaitable », tandis que d’autres (les Polonais ou les Tchécoslovaques par exemple) avaient atteint une « capacité ethnique » suffisante pour pouvoir prétendre à l’auto-détermination (Riga et Kennedy 2006 : 282). On retrouve une observation similaire dans l’ouvrage de Larry Wolff qui s’intéresse à la « carte mentale » de l’Europe de l’Est que Wilson s’est construite vers la fin de la guerre. Wolff démontre d’abord que le président ne connaissait pratiquement rien sur cette région du continent européen avant que celle-ci ne fasse l’objet des négociations de paix. La représentation territoriale que se faisait Wilson de l’Europe de l’Est d’après-guerre aurait surtout été influencée par les préjugés qu’il avait à l’égard de l’héritage impérial ottoman ou austro-hongrois, mais aussi par les relations personnelles qu’il entretenait avec quelques chefs nationalistes tels que le Tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk et le Polonais Ignacy Jan Paderewski (Wolff 2020 : 228-248).
5Au sein de l’Inquiry, Archibald Cary Coolidge, professeur d’histoire de l’Europe de l’Est et du Moyen-Orient à Harvard, était responsable de la Eastern European Division (qui couvrait également la Russie et ses provinces européennes). Il dirigeait une équipe de sept experts aux compétences diverses : certains provenaient d’Europe de l’Est, d’autres avaient étudié en Europe et parlaient des langues locales – ces derniers étant principalement chargés de mener des travaux sur la Pologne et les provinces baltiques russes. À cette division était adjointe une équipe de recherche composée de quatre membres qui devaient traiter du sort des diverses communautés nationales de l’Empire austro-hongrois et du contentieux frontalier entre l’Italie et l’Autriche autour de Fiume et de la côte dalmate. Celle-ci était dirigée par le jeune professeur de l’Université Yale Charles Seymour (trente-deux ans) et incluait également le tout aussi jeune (trente ans) diplômé d’Harvard, Robert J. Kerner. Tous deux jouèrent un rôle important parmi les membres de la délégation américaine attitrés aux négociations territoriales lors de la conférence de la paix à Paris en 1919. Finalement, Clive Day, de l’Université Yale, menait une équipe de sept experts qui concentrait ses recherches sur les pays des Balkans avec un mandat large qui couvrait aussi bien la Grèce, la Macédoine, l’Albanie, la Bulgarie et la Roumanie que le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, appelé plus tard Yougoslavie (Gelfand 1963 : 54-62).
6Curieusement, la question bolchevique fut délaissée par les experts de The Inquiry, et ce, malgré l’attitude alarmiste du secrétaire d’État Robert Lansing, qui craignait la propagation des idées communistes auprès de populations européennes épuisées, affamées et qu’il estimait par conséquent susceptibles d’être séduites par le discours révolutionnaire venu de l’Est. Confronté à un manque flagrant d’informations fiables sur l’état de la situation en Russie, le cercle décisionnel du groupe de recherche considérait vraisemblablement la révolution comme un épisode momentané de déstabilisation, avant que le pays n’évolue vers un système démocratique – un positionnement qui fait écho à celui de Wilson, qui soutenait l’autodétermination politique de la Russie au point 6 de ses fameux Quatorze du 8 janvier 1918 (Gelfand 1963 : 212-213).
7Les données recueillies concernant l’Europe centrale et orientale étaient confrontées aux impératifs géopolitiques de la Mitteleuropa, concept défini par le politicien social-libéral allemand Friedrich Naumann dans son ouvrage de 1915 (Wolff 2020 : 62-64). Naumann y défendait l’établissement d’une confédération d’États en Europe centrale qui seraient soumis à l’hégémonie économique germanique. L’alternative envisagée par les États-Unis et par l’Entente était une stratégie d’équilibre des puissances dans cette région d’Europe « médiane » prise en étau entre l’Allemagne et la Russie (Marès et Gradvohl 2018 : 9-30). C’est pour cette raison que, dès l’automne de 1917, les études menées par les membres de l’Inquiry au sujet de la répartition du territoire d’Europe centrale et orientale évaluèrent différents scénarios, certains considérant la préservation de la structure impériale austro-hongroise, d’autres proposant la division entre divers États-nation ou fédérations. Les experts territoriaux américains comprirent rapidement la complexité et les risques majeurs que comportait le morcèlement de cette région déjà instable en faveur de nombreux petits États dont la viabilité politique et économique était pour le moins incertaine.
8Robert J. Kerner et Charles Seymour, à qui avait été confiée la tâche d’examiner les « problèmes nationaux » de l’Empire austro-hongrois, avaient tous les deux émis dans leurs rapports leurs craintes quant au fractionnement de la région en plusieurs États. Kerner était convaincu que cette solution mènerait à un contrôle économique de cet espace par l’Allemagne, reconnaissant cependant qu’il serait pratiquement impossible de préserver la structure impériale habsbourgeoise en l’état. Selon lui, le gouvernement américain avait intérêt à encourager, autant pour des considérations géopolitiques que par principe, une restructuration fédérale de la région : la Yougoslavie, la Tchéco-slovaquie, une union potentielle de la Pologne avec l’Ukraine ou avec les pays baltes. Seymour partageait cette opinion privilégiant le cadre fédératif, mais favorisait de son côté le trialisme Autriche-Hongrie-Pologne tout en étant également en faveur d’un État yougoslave (Gelfand 1963 : 199-203). En ce qui avait trait à la Roumanie, c’était Max Handman, d’origine roumaine, qui était mandaté par l’Inquiry pour émettre des recommandations au sujet des promesses territoriales qui avait été faites en secret par les alliés de l’Entente au royaume via le traité de Bucarest d’août 1916. Les clauses de ce traité prévoyaient, en contrepartie de l’entrée en guerre de la Roumanie, l’annexion de régions frontalières sous contrôle austro-hongrois, mais peuplées en majorité par des Roumains, soit la Transylvanie à l’Est, la Bucovine au Nord et le Banat au Sud-Est. L’effondrement de l’Empire russe en 1917 ouvrait également la porte à l’annexion de la Bessarabie au Nord-Est (Krakovsky 2017 : 33). Dans le rapport provisoire de l’Inquiry du 21 janvier 1919 sur les frontières des Balkans, on retrouvait les suggestions suivantes concernant l’expansion du territoire roumain :
(1) the whole of Russian Bessarabia, having a predominantely Rumanian population ; (2) the Rumanian-populated region of Bukovina ; (3) all of Transylvania ; (4) about two-thirds of the Banat ; (5) the Rumanian-Bulgarian frontiers [dans la région de la Dobroudja] as it existed before the Second Balkan War, with very slight modifications. (cité dans Gelfand 1963 : 220)
Ainsi, le rapport de l’Inquiry justifiait les gains territoriaux roumains en appliquant le principe d’autodétermination, tout en reconnaissant qu’il serait impossible de l’appliquer pour les larges groupes de minorités éparpillés à travers certaines de ces régions. C’était particulièrement le cas pour la Transylvanie, considérée autant par les Roumains que par les Hongrois comme le berceau de leur civilisation. Au début de la guerre, les données indiquaient que sur les 2,7 millions d’habitants qui occupaient cette région, plus de la moitié étaient Roumains, le reste de la population étant principalement composée de deux grands groupes minoritaires, quelque 865 000 Hongrois et près de 220 000 Allemands (Reisser 2009 : 231-237). Nul doute que, dans ces circonstances, l’attribution sans plus de questionnement d’un territoire possédant une population aussi hétérogène répondait à la position favorable d’un pays ayant rejoint le camp des vainqueurs de la guerre.
9Gelfand soutient que, jusqu’à l’Armistice du 11 novembre 1918, la douzaine d’experts qui œuvrait à la préparation des objectifs concernant la division du territoire de l’Empire austro-hongrois et dans les Balkans adoptait des positions très contrastées et parfois même incohérentes. Les nombreux rapports et cartes qui présentaient diverses données d’ordre économique, politique, linguistique, religieux ou historique s’accumulaient sans pour autant offrir de solution claire, ce qui illustrait bien le problème de l’application du principe d’autodétermination en Europe centrale et orientale (Gelfand 1963 : 203).
10La documentation produite par ces experts ne pouvait cependant ni suivre l’évolution accélérée des évènements sur le terrain ni y répondre, surtout vers la fin de la guerre et pendant les négociations à Paris. Lorsque la conférence de la paix débuta, les hommes politiques américains, français et britanniques se retrouvèrent souvent devant un fait accompli (Davion 2018) : des empires désintégrés, des épisodes de violences qui se poursuivaient dans l’Est, des passions nationalistes qui se déchaînaient, et peu d’espoir de trouver des formules à la fois rationnelles et abstraites comme le fédéralisme ou le trialisme, à moins que les peuples n’expriment eux-mêmes cette volonté. La réalité est qu’avant l’automne de 1918, rares étaient ceux qui pouvaient prédire à quoi allait ressembler cet espace à la fin de la guerre. L’un des moments représentant sans doute le mieux le « brouillard » entourant l’orientation des positions américaines survint lors d’une des très rares rencontres entre des membres de l’Inquiry et le président Wilson, en décembre 1918, à bord du George Washington, le navire transportant la délégation américaine vers l’Europe. James T. Shotwell raconte ce qu’il décrit comme la seule occasion où le président, qui s’est très peu impliqué dans les travaux du groupe de recherche, s’est ouvert à ses conseillers techniques en leur présentant sa vision des grands principes sur lesquels s’appuierait la politique étrangère américaine. En s’emportant dans la passion de son propre discours, Wilson conclut en déclarant aux experts de l’Inquiry : « Tell me what’s right, and I’ll fight for it », ce qui, pour Shotwell ne faisait que confirmer qu’il serait extrêmement difficile, voire impossible, de trancher entre le respect de ses principes politiques et leur application sur le terrain (Shotwell 1937 : 28-29). L’Inquiry avait produit une masse impressionnante de documentation, menant à une multitude de recommandations, mais encore fallait-il que les hommes politiques s’y réfèrent avant de rendre la décision la plus éclairée possible.
- 2 À l’exception de Robert J. Kerner qui fut souvent accusé d’un parti-pris proslave (Gelfand 1963 : (...)
- 3 Les États-Unis n’ont déclaré la guerre à l’Autriche-Hongrie qu’en décembre 1917, soit huit mois a (...)
11Or, les positions divergeaient au sein même de l’administration américaine. Par exemple, si la plupart des experts de l’Inquiry2 étaient peu favorables à l’idée de démanteler l’Empire austro-hongrois, la position du secrétaire d’État Robert Lansing était à ce sujet beaucoup plus tranchée. Lansing commença à réfléchir au sort des communautés nationales qui composaient l’Empire austro-hongrois peu après la déclaration de guerre à l’Allemagne au printemps de 19173, mais ce n’est qu’au mois d’octobre qu’il affirma formellement sa position, proposant qu’une « barrière » d’États « forts, populeux et indépendants » soit créée en Europe centrale afin de faire contrepoids à la puissance allemande, considération stratégique qui devint d’autant plus importante après la déroute militaire russe (Barany 1966 : 229-232). À divers moments entre l’été de 1917 et le printemps de 1918, Lansing tâcha avec prudence de rallier le président à sa position tout en restant conscient des implications que pouvait avoir l’orientation de la politique étrangère américaine sur le cours des combats sur le front de l’Est ainsi que sur l’avenir de cette région d’Europe. Dans une note du mois de mai 1918, quatre mois après le discours des Quatorze points dans lequel Wilson avait parlé de plus « d’autonomie » pour les peuples de l’Empire habsbourgeois – et non d’autodétermination ou d’indépendance –, Lansing consolida son positionnement en soumettant au président ses réflexions stratégiques. La note de Lansing tournait autour d’une question centrale à laquelle le président devrait réfléchir : doit-on encourager l’autodétermination et soutenir les mouvements nationaux qui se mobilisent au sein de l’empire austro-hongrois ? Lansing estimait que oui. Cette politique servirait à son avis un double objectif : d’une part la déstabilisation de l’ennemi austro-hongrois (tout comme l’avaient fait les Allemands pour la Russie tsariste) et d’autre part l’établissement d’un ensemble d’États successeurs qui formeraient un nouvel équilibre des puissances en Europe centrale (Lansing 1918). Graduellement, Wilson a accordé sa vision idéaliste, dont les grandes lignes d’application étaient encore peu définies, à l’approche plus réaliste de son secrétaire d’État. Au début de l’été de 1918, la position des deux hommes s’harmonisa lorsque le président reconnut « l’artificialité » de la structure impériale autrichienne et commença au cours des mois suivants à soutenir publiquement la souveraineté réclamée par les mouvements nationaux tchécoslovaques, polonais et yougoslave (Barany 1966 : 232-233 ; Phelps 2008 : 336-337).
12Wilson était peu au fait de la situation géopolitique en Europe centrale et orientale (Wolff 2020 : 4). Davantage préoccupé par des enjeux globaux, le président américain n’estimait pas déterminante la place qu’occupait cette région dans l’équilibre européen, et par extension, dans l’équilibre mondial, comme l’avait pourtant cruellement illustré l’attentat de Sarajevo. Ce constat révèle un paradoxe dans la conceptualisation wilsonienne de l’autodétermination. Pour Wilson, la consécration de ce droit constituerait un facteur de stabilisation du système international, car il s’opposerait à l’impérialisme résultant de la « vieille diplomatie européenne », ainsi qu’à l’oppression des petites nations. Elle illustrerait de ce fait l’évolution démocratique mondiale puisque les États seraient désormais établis « selon la volonté » ou le « consentement » des gouvernés, une formulation que l’on retrouve dès les premiers discours du président portant sur cette question (Manela 2007 : 22). Or, Wilson donnait un sens davantage civique qu’ethnique à sa conception libérale de l’autodétermination, le principe d’un « citoyen souverain » impliquant un rapport d’allégeance démocratique à la nation, peu importent les origines ethniques, la ou les langues parlées ou encore la confession religieuse – une transposition nette du modèle identitaire de la citoyenneté américaine à l’échelle mondiale (Ambrosius 2017 : 106-108 ; Smith 2018 : 12). En appliquant sa vision de ces grands principes universels au reste du monde, le président américain pensait ainsi à l’ordre général et non aux turbulences que ses propos pouvaient générer.
13Wilson utilisa pour la première fois le terme self-determination en février 1918, essentiellement afin de contrer l’offensive sémantique des bolcheviques. Depuis 1916, Lénine avait en effet réactivé à l’échelle internationale ce principe d’émancipation politique inspiré des idéaux des Lumières et transformé en doctrine collective de libération nationale par l’influence des théoriciens socialistes allemands des xviiie-xixe siècles (Weitz 2015 : 496-487). L’autodétermination était vue comme le droit de sécession des peuples opprimés par les puissances impériales, rhétorique qui fut particulièrement efficace auprès du prolétariat et des minorités ethniques de la Russie tsariste. Cette définition s’adressait également à un public mondial puisque Lénine espérait déclencher une révolution prolétaire globale qui détrônerait le modèle impérialiste-capitaliste. Les dirigeants des pays occidentaux se devaient de reprendre l’initiative en promouvant des objectifs de paix progressifs qui tiendraient compte du désir des peuples opprimés, mais aussi de l’opinion publique de leur propre population. Le président Wilson avait quant à lui déjà exprimé publiquement durant la guerre sa volonté de transformer le système international en dénonçant les pratiques de la diplomatie européenne qui bafouaient les droits des petites nations. Cette double pression (bolchevique et américaine) mena la France et la Grande-Bretagne à adopter des buts pour l’après-guerre qui s’alignaient avec la doctrine internationaliste du président Wilson (Manela 2007 : 37-42). C’est dans ce contexte que le premier ministre britannique David Lloyd George déclara le 5 janvier 1918, lors d’un discours à Caxton Hall devant la Ligue des syndicats britanniques, que les accords territoriaux d’après-guerre devraient respecter le « droit à l’autodétermination » ou le « consentement des gouvernés » (reprenant ici la formulation initiale que l’on retrouvait dans les discours de Wilson depuis l’entrée en guerre des États-Unis). Trois jours plus tard, le 8 janvier, Wilson énonçait ses Quatorze points dans son discours au Congrès et, bien que l’on ait pu interpréter une partie de ceux-ci comme une reconnaissance du principe d’autodétermination, le terme lui-même n’était pas mentionné spécifiquement. Ce n’est que lors de son discours du 11 février 1918, en revenant sur les propos de son homologue britannique du 5 janvier, puis sur les messages échangés avec l’Allemagne et l’Autriche au sujet d’un potentiel accord de paix, que Wilson osa prononcer le mot self-determination. Il précisa durant cette allocution sa position sur cet enjeu en définissant les quatre principes qui, selon lui, devraient impérativement être respectés pour atteindre une paix correspondant à la volonté des populations concernées :
1. chaque partie du règlement final doit être fondée sur la justice essentielle des cas précis à traiter et sur les ajustements qui sont les plus susceptibles d’apporter une paix qui sera permanente ;
2. les peuples et les provinces ne doivent pas faire l’objet de troc de souveraineté en souveraineté comme s’ils n’étaient que des biens personnels et des pions dans un jeu, même le grand jeu, maintenant pour toujours discrédité, de l’équilibre du pouvoir ; mais il faut que,
3. tout règlement territorial issu de cette guerre se fasse dans l’intérêt et au profit des populations concernées, et non dans le cadre d’un simple ajustement ou compromis de revendications entre États rivaux ; et,
4. que toutes les aspirations nationales bien définies reçoivent la plus grande satisfaction qui puisse leur être accordée sans introduire ou perpétuer des éléments nouveaux ou anciens de discorde et d’antagonisme qui risqueraient à terme de briser la paix de l’Europe et par conséquent du monde (Wilson 1918b).
En d’autres termes, le président montrait une sincère préoccupation pour le sort des peuples opprimés, mais n’osait pas s’avancer à promettre des indépendances qui se feraient au détriment de l’ordre. Or, ces propos du président au sujet de l’autodétermination, peu précis dans leur opérationnalisation, ouvraient une boîte de Pandore (Prott 2016 : 1). En mai 1918, Lansing se plaignait déjà au président du lobbying des nationalistes, qui voulaient trouver dans les États-Unis le soutien à leur cause : « Je ne doute pas que vous ayez été, comme moi, importunés par les représentants de ces nationalités pour soutenir leurs efforts visant à susciter l’opposition de leurs compatriotes à l’actuel gouvernement autrichien » (Lansing 1918). Wilson, qui possédait une conception libérale et volontariste du principe d’autodétermination, contribuait ainsi à l’accélération d’une force qu’il ne pouvait contrôler, inconscient de la quantité de mouvements nationalistes qui allaient se manifester au cours des mois en réponse à cet « acte de langage » (Abulof 2020). Au fil des mois se dégage en effet l’impression d’un président pris au piège de ses paroles, ce qu’il sembla lui-même avouer à demi-mot en août 1919 :
Quand j’ai prononcé ces mots [que toutes les nations avaient droit à l’autodétermination], je les ai prononcés sans savoir que les nationalités qui nous sollicitent jour après jour existaient. […] Vous ne savez pas et ne pouvez pas imaginer l’anxiété que j’ai ressentie d’avoir ainsi soulevé l’espoir de millions de personnes à cause de ce que j’ai dit. (Sénat des États-Unis 1919 : 838)
Pour Joan Hoff, c’est à travers cette prise de conscience du président que se manifeste le plus visiblement le caractère « d’apprenti sorcier » de Woodrow Wilson dans le contexte des négociations de paix (Hoff 2007 : 49).
14Lansing, en parlant des « nationalités qui nous sollicitent jour après jour », faisait principalement référence au travail de lobbying effectué aux États-Unis auprès de l’administration Wilson par des groupes nationaux provenant d’Europe centrale et orientale. Il ne s’agit pas d’un phénomène isolé, des opérations similaires étant observées à Londres et à Paris tout au long de la guerre et durant les négociations de paix (Davion 2018). Toutefois, les positions de part et d’autre de l’Atlantique au sujet des revendications des différents groupes nationaux pouvaient diverger, par exemple concernant la Pologne : tant que la Grande-Bretagne et la France étaient alliées avec la Russie tsariste, il leur était impossible de promettre l’indépendance à un peuple dont la majorité du territoire et de la population faisait partie de l’Empire russe. Pour les Alliés, la proposition d’une province polonaise bénéficiant de plus d’autonomie au sein de l’Empire russe paraissait plus réalisable (Phelps 2008 : 315-317). Wilson, pour sa part, était beaucoup plus engagé dans la cause polonaise, allant même jusqu’à dédier le treizième de ses Quatorze points à la création d’un « État polonais indépendant » comprenant « les territoires habités par les populations incontestablement polonaises » (Wilson, 1918a). Certains, tels que Joan Hoff, ont avancé que cette position favorable à l’égard de la Pologne pouvait être attribuable à l’échec des efforts de l’aide humanitaire américaine pour ce pays – efforts que le président avait exploités à des fins politiques en mobilisant le vote de la diaspora polonaise lors de l’élection présidentielle de 1916 (Hoff 2007 : 48). On a vu également que Wilson avait rencontré à quelques reprises des leaders nationalistes polonais, dont Paderewski, à l’initiative du Colonel House et de Robert Lord, l’expert de l’Inquiry qui traitait de l’histoire de la Pologne (Phelps 2008 : 316).
15Les réflexions du président Wilson concernant la future répartition des territoires d’Europe centrale et orientale ont donc pu être déterminées par d’éventuels gains politiques ou par des discussions avec les représentants de ces mouvements nationaux. Ces sources d’influence provenaient ainsi largement de la sphère administrative et diplomatique, mais qu’en était-il des initiatives et revendications des populations qui seraient les plus affectées par ces changements de souveraineté ? Il s’agissait pourtant du public cible du discours wilsonien promettant l’émergence d’un nouvel ordre international plus démocratique après la guerre.
- 4 Toutes les lettres utilisées dans les pages suivantes sont déposées dans les Woodrow Wilson Paper (...)
16Or, le président américain a reçu des milliers de lettres individuelles ou collectives provenant de l’étranger, en particulier à la fin de la guerre4. De telles missives constituaient pour les petites élites au rayon d’influence limité, ou encore pour les « gens ordinaires », un des rares moyens d’exprimer leur vision de ce qui serait, à leurs yeux, une paix juste (Bouchard 2015). Wilson, dont la réputation d’humanité et de générosité a été savamment construite en Europe par le Committee on Public Information (Rossini 2008), organe de propagande mis en place dès avril 1917 pour vendre les « idées américaines » aux belligérants et aux neutres, leur semblait un homme politique accessible, capable de prêter oreille à l’« opinion publique mondiale » (Wertheim 2019). Les femmes et hommes qui lui écrivaient avaient le sentiment qu’ils pouvaient lui parler en s’appropriant ou en émettant leur avis sur les idéaux universels qu’il véhiculait dans ces nombreuses déclarations portant sur la paix à venir et sur la volonté des peuples.
- 5 WWP, Bureau of Czechoslovaks in America à Wilson, bobine 403, 29 avril 1919.
- 6 WWP, Comité de Paris des Roumains de Transylvanie, du Banat et de Bucovine à Wilson, bobine 425, (...)
- 7 WWP,American Pro-Albanian Committee à Wilson, bobine 430, 4 février 1919.
- 8 WWP, American Women of Albanian Descent à Wilson, bobine 431, 7 février 1919.
17Les lettres d’Europe centrale et orientale sont de provenance variée – Polonais, Tchèques et Slovaques, Roumains, Yougoslaves (certains précisent Serbes ou Slovènes), Bulgares, Albanais, Macédoniens, écrivent au président – mais en nombre très réduit par rapport aux missives provenant de France et du Royaume-Uni. Plusieurs sont exilés dans d’autres pays d’Europe ou en Amérique et parlent au nom de leur peuple, comme ces soldats américains d’origine tchécoslovaques, qui saluent le soutien du président pour ce projet national5 ; ou encore un regroupement parisien de Roumains de Transylvanie, du Banat et de la Bucovine, qui louent la hauteur de vue du président et l’invitent à continuer de défendre leurs droits contre « les méthodes prussiennes » du gouvernement hongrois6 ; de même le comité pro-albanais des États-Unis7, qui œuvre de concert avec l’« Association des femmes américaines d’ascendance albanaise »8, lesquels appellent les États-Unis à garantir l’indépendance d’une Albanie ethno-géographiquement unifiée.
- 9 WWP, G. Strezoff à Wilson, bobine 431, 11 février 1919.
- 10 WWP, Syllogue des Réfugiés thraces à Wilson, bobine 386, 22 décembre 1918.
- 11 Elle écrit à au moins trois reprises : WWP, Organisation dobroudjaine en Bulgarie à Wilson, bobin (...)
18Ces lettres expriment la puissance, symbolique ou non, dont bénéficie le président Wilson à ce moment crucial de l’histoire – comme s’il avait la capacité effective, en raison de la portée universelle de son message humaniste et du poids des États-Unis dans les négociations de paix, de changer l’ordre du monde. On vante ainsi son « immense pouvoir », comme l’écrit un Macédonien exilé à Genève, demandant au président qu’il soutienne le combat de son peuple pour l’autodétermination face aux Bulgares9. Des réfugiés thraces le qualifient de leur côté de « protecteur des peuples tyrannisés »10, tandis que des Bulgares militant pour le rattachement de la région frontalière de la Dobroudja à la Bulgarie au lieu de la Roumanie, s’adressent à plus d’une occasion à lui en affirmant qu’il est « […] le porteur des vertus humaines et précurseur de l’humanité nouvelle »11. Certes, dans le contexte de ce contentieux territorial, il est normal que les membres d’une organisation nationaliste flattent le Prince et utilisent des termes aussi élogieux à l’égard de Wilson, mais la valeur de ces mots ne reste pas moins significative, de surcroît lorsqu’ils proviennent de citoyens d’une nation ennemie des États-Unis durant la guerre.
- 12 WWP, Slovenian Republican Alliance à Wilson, bobine 389, 13 janvier 1919.
- 13 WWP, Société des Juifs originaires de Roumanie établis à Zurich à Wilson, bobine 425, 6 janvier 1 (...)
- 14 WWP, Conférences des Églises réformées de la Suisse (qui écrit au nom des protestants hongrois) à (...)
- 15 WWP, Georges Carić à Wilson, bobine 397, 27 mars 1919.
- 16 WWP, Polsanitsvo, Kraljevstva, Slovenaca, Pragu et ? à Wilson, bobine 395, non daté (début 1919).
- 17 WWP, Gustavus Gregoriny à Wilson, bobine 401, avril 1919.
19Nombreuses sont les lettres qui mettent l’accent sur l’urgence d’agir compte tenu de l’occasion inégalée qu’offre la conférence de la paix, mais aussi parce que la situation sur le terrain l’exige. Dans plusieurs secteurs d’Europe centrale et orientale les affrontements armés se poursuivent même après les armistices du 3 (Villa Giusti) et du 11 novembre 1918, les populations se mobilisent pour faire entendre leurs revendications, les infrastructures de transport et de communication sont pour la plupart endommagées ou inutilisables, et plus que jamais les frontières paraissent poreuses ou indéfinies (Gerwarth et Blanchard, 2017). Ce moment exceptionnel, qualifié dans l’introduction d’une pétition signée par 24 884 Slovènes, « d’aube de la liberté »12, est aussi synonyme de danger pour les communautés minoritaires (minorités nationales, mais aussi juives13 ou protestantes14), qui sont exposées aux exactions populaires faute de protection provenant d’un pouvoir politique établi. Certains citoyens qui écrivent à Wilson font ainsi état de menaces pour leur sécurité immédiate, ainsi que pour l’avenir de leur nation, en brandissant notamment le spectre du bolchevisme, comme le fait l’évêque de Split, Georges Carić, qui présente le peuple yougoslave comme « l’antemurale christianitatis » contre la « nouvelle maladie de l’Orient »15. Pour d’autres, la menace provient d’un appétit impérialiste, notamment de l’Italie : des Slovènes, Croates et Autrichiens redoutent l’implantation des troupes italiennes qui cherchent à s’emparer du territoire qu’ils habitent. Un groupe d’étudiants de Brno s’en inquiète également16. C’est aussi ce qui pousse le Slovène Gustavus Gregoriny de Trieste à écrire à Wilson : il craint que des districts selon lui majoritairement slovènes, dont Trieste et Fiume (Rijeka), passent aux mains des Italiens ; il suggère par conséquent que la région soit soumise à un plébiscite et affirme que les Yougoslaves ont « fermement confiance en l’amour de la justice » du président américain17.
- 18 WWP, J. Zizlavski à Wilson, bobine 401, 15 avril 1919.
- 19 WWP, Yelka Mis à Wilson, bobine 402, 23 décembre 1918.
- 20 WWP, Vojislav Djordjević et Philip Wolff Vublović à Wilson, bobine 390, 18 janvier 1919.
20Le nouvel État qui doit émerger de l’unification des peuples yougoslaves dans la péninsule balkanique constitue à cet égard une pierre angulaire du laboratoire d’application des nouvelles idées de fédéralisme et de souveraineté promues par le président américain. Les idées wilsoniennes se confrontent cependant à leur instrumentalisation par les hommes politiques d’Europe centrale et orientale qui font leur la terminologie américaine d’autodétermination, de justice et de coopération internationale, alors qu’au même moment leurs troupes s’emparent par la force de territoires au-delà de leurs frontières (MacMillan, 2002 :169). D’autres rivalisent de flatterie, usent de chantage pour faire valoir leurs idées auprès de Wilson, en appellent à la pitié, voire offrent des cadeaux avant de produire doléance. Un bijoutier tchèque joint en ce sens à sa lettre destinée à Wilson une montre, osant la métaphore : « Si vous détenez le monde entre vos mains, vous pouvez également l’avoir dans votre poche. »18 Une enseignante yougoslave envoie quant à elle une courtepointe en guise de reconnaissance envers le « libérateur des peuples opprimés »19. Ces diverses stratégies d’écriture aux autorités politiques sont connues (Bouchard 2015 : chapitre 4) mais elles soulignent en l’occurrence la volatilité de la situation sur le terrain – il y a encore une marge de manœuvre pour faire pencher l’opinion de Wilson en sa faveur. Ainsi des représentants yougoslaves, après avoir fait l’éloge des États-Unis comme la plus grande démocratie et fédération du monde, affirment que l’échec de leur mission de construire une Europe centrale sur les bases de l’armistice représenterait la défaite morale de la vision wilsonienne20. En réalité, ces manœuvres pour emporter la conviction du président sont mises à l’œuvre aussi bien par les dirigeants que les citoyens qui cherchent à influer sur les négociations territoriales. Ainsi le tandem représentant le royaume de Roumanie à Paris, la reine Marie et le président du Conseil des ministres Ion I.C. Brătianu – la première tentant maladroitement d’utiliser ses charmes auprès du président Wilson, tandis que le second revendiquait l’ensemble du Banat et de la Transylvanie sans quoi il se retirerait et céderait le pouvoir aux bolcheviks (MacMillan, 2002 :181-184).
21La politique wilsonienne en Europe centrale et orientale témoigne du décalage parfois manifeste qui existe entre les idées généreuses mais volontairement floues du président américain et leur mise en application. Le désir d’en finir avec l’emprise impérialiste dans la région se confronte aux dangers occasionnés par le morcellement du pouvoir, tandis que le principe d’un ensemble d’États-nations souverains qui respecteraient fondamentalement la volonté de toutes les populations s’efface rapidement. « Les débats menés à la conférence de la paix constituent en ce sens l’écume d’une lame de fond qui agite, sur le terrain, les sociétés confrontées au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », rappelle Isabelle Davion (2018). Les hommes politiques présents à Paris composent en effet avec l’évolution de la situation, n’ayant qu’un contrôle très relatif sur le cours des évènements, ce qui est particulièrement vrai pour les Américains qui n’ont de surcroît aucune troupe dans ces régions.
22Les lettres envoyées à Wilson représentent quant à elles l’onde des préoccupations des populations. Contrairement aux lettres de Français, sur lesquelles nous avons auparavant porté notre attention, celles provenant de l’Europe centrale et orientale ne parlent pas ou très marginalement de détresse matérielle ou financière, et ne dissertent ni sur la paix à venir ni sur le nouvel ordre mondial. Elles n’en ont pas le luxe : elles tournent autour de questions et revendications nationales précises car les peuples d’Europe centrale et orientale vivent une crise identitaire et politique concrète. Le flou volontaire dans lequel se complaît Wilson autour de l’enjeu de l’autodétermination leur permet de reprendre à leur profit sa rhétorique, avec l’espoir quelque peu naïf que leur missive fasse mouche et convainque le président d’un geste en leur faveur.