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Aspects intellectuels et identitaires

L’idée de « Grande Roumanie » au xixe siècle

The idea of Greater Romania in the 19th Century
Cécile Folschweiller
p. 51-68

Résumés

Cette contribution vise à ouvrir quelques pistes et poser quelques jalons au sujet de l’idée de grande Roumanie au cours du xixe siècle. Ses conceptions et expressions varient, des rêves de reconstitution de la Dacie passée aux projets d’union politique des provinces habitées par des Roumains. Son histoire est beaucoup moins linéaire que l’a longtemps affirmée l’historiographie nationaliste : née à l’extérieur des pays roumains, l’idée a eu ses moments forts (1848) mais aussi ses adversaires acharnés, jusqu’au seuil de sa réalisation.

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Texte intégral

1Le sujet abordé est vaste et délicat. Son caractère délicat tient aux difficultés classiques de l’histoire des idées, de nature méthodologique, auxquelles s’ajoutent celles liées spécifiquement à cette idée et à son traitement dans l’historiographie roumaine. Celle-ci, constate l’historien Sorin Antohi lors d’une conférence sur le sujet à l’occasion des célébrations du centenaire de l’union de 1918 en Roumanie, n’a pas encore réussi à traiter de manière convaincante de l’histoire de l’idée de Grande Roumanie (Antohi 2018b). Dans le cadre restreint de cette présentation, il s’agira seulement d’ouvrir quelques pistes et de poser quelques jalons portant sur la formulation de cette idée, sur la chronologie de son développement au xixe siècle, avant sa réalisation politique, mais aussi, ce qui est encore peu souvent évoqué, sur les réserves et oppositions qu’elle a également suscitées.

  • 1 Voir par exemple, dans la tradition française, les critiques de Michel Foucault dans L’Archéologi (...)

2Au préalable, évoquons rapidement ces difficultés. Elles sont liées aux problèmes méthodologiques de l’histoire des idées qui, aux frontières de l’histoire, de l’histoire culturelle, de l’histoire des mentalités, de l’histoire littéraire, manque de protocoles méthodologiques précis et bien établis et se heurte à des dangers bien identifiés1. Le repérage même de l’idée en question n’est pas évident : une même formule peut renvoyer à des idées différentes, une même idée peut se formuler différemment. Ainsi l’idée de « Grande Roumanie » (en général avec majuscules aujourd’hui) s’est-elle souvent formulée à l’aide d’autres expressions, comme « grande Dacie », « grande union » (avec ou sans majuscules), « Roumanie unifiée » (unită, întregită), etc., et l’expression « grande Roumanie » peut-elle renvoyer à une construction ou à un idéal, différents selon les auteurs, avant sa réalisation, ou bien à sa réalisation historique et politique entre 1919 et 1940. Or, et c’est l’autre travers classique de l’histoire des idées lorsqu’elle n’est pas attentive à ses procédés, la tendance est de plaquer, projeter une signification présente, ou postérieure, sur une réalité historique ou des représentations passées. Et ce phénomène de l’illusion rétrospective est particulièrement puissant lorsqu’il s’agit d’idées mobilisatrices, comme le sont toutes celles liées au processus de construction nationale, particulièrement lorsque celui-ci est advenu tardivement et à l’issue d’une lutte émancipatrice comme c’est le cas en Europe centrale et orientale. C’est typiquement le cas de l’idée de « grande Roumanie », étroitement liée à ces mythes de l’histoire roumaine étudiés par Lucian Boia : mythes des origines (daco-romaines), de l’unité, de la continuité, du prince idéal… (Boia 2011). Ainsi le voïvode Mihai Viteazul devient-il dès le xixe siècle un précurseur de l’union des trois principautés, le « royaume » dace l’anticipation de la Grande Roumanie dans l’entre-deux-guerres puis « l’État » dace celle de « l’État unitaire » roumain dans l’historiographie national-communiste de l’époque de Ceauşescu.

  • 2 Idéologie typique du national-communisme des années Ceauşescu, exaltant le passé glorieux du peup (...)
  • 3 Un exemple synthétique et typique, au titre révélateur, est l’ouvrage de Mircea Muşat et Ion Arde (...)

3Dans un tel contexte, la bibliographie est gigantesque mais majoritairement produite durant la période communiste, en particulier dans les années 1970-1980, période du « protochronisme »2, précisément pour réaffirmer, alimenter, légitimer et ancrer toujours plus profondément ce mythe de l’unité dans la conscience roumaine3. Son objectif est de montrer que l’idée d’union de tous les Roumains est présente depuis des siècles et que sa réalisation en 1918 dans la Grande Roumanie est un avènement, l’aboutissement d’un long processus orienté, continu et nécessaire. Cette conception téléologique de l’histoire évacue ainsi tous les phénomènes de rupture, les nuances et les oppositions. Les formulations tendancieuses, la sélection et l’accumulation des citations produisent un effet de trompe-l’œil extrêmement efficace : l’idée de Grande Roumanie (sous ses formes diverses) apparaît comme majoritaire, si ce n’est unanime, dans la conscience des élites, depuis le milieu du xixe siècle. Or c’est loin d’être le cas et l’histoire des oppositions à l’idée de Grande Roumanie et des idées alternatives doit réintégrer le traitement du sujet.

L’idée de « grande Roumanie » et ses expressions

4Distinguons tout d’abord la formule et l’idée, ou plutôt les formules. D’après Vlad Georgescu (Georgescu 1987 : 342), ce serait chez Dumitru Brătianu, l’un des meneurs du mouvement quarante-huitard valaque, que l’expression « România mare » (grande Roumanie) apparaîtrait en 1852 :

  • 4 « Mâine România inimilor noastre, România mare ca România lui Traian… ». En roumain, l’adjectif e (...)
  • 5 La référence à « Mihai » renvoie au prince valaque Mihai Viteazul, Michel le Brave (1558-1601), d (...)

Demain la Roumanie de nos cœurs, la Roumanie grande comme la Roumanie de Trajan4, brave comme la Roumanie de Mihai, héroïque comme la Roumanie des pompiers5, sublime comme la Roumanie du peuple sur le Champ de la Liberté, demain la Roumanie notre mère et notre fille rompra le voile qui couvre son front, et son diadème sera notre fière parure et la joie du monde (Cretzianu 1933 : 300-301).

On pourrait aussi considérer qu’elle apparaît déjà deux ans plus tôt dans le Manifeste au peuple roumain, texte d’ouverture du numéro unique du journal România viitoare (La Roumanie future), imprimé à Paris en novembre 1850, signé par un collectif mais rédigé par Nicolae Bălcescu : « Frères Roumains ! Jamais la croyance en l’avenir de la Roumanie, une, grande, non divisée, n’a quitté notre cœur » (Bălcescu 1953 : 304). Quoi qu’il en soit, l’expression semble isolée à cette époque et c’est surtout dans les années précédant immédiatement la Grande Guerre ou durant le conflit qu’elle apparaît, lorsque les objectifs politiques et territoriaux peuvent s’afficher ouvertement. Elle devient à ce moment-là par exemple le titre de plusieurs journaux (Netea 1980 : 240). Mais dans cette première occurrence de 1852, la formule n’est en réalité pas utilisée dans l’absolu, elle apparaît dans le cadre d’une comparaison, par ailleurs éclairante, car la « Roumanie de Trajan » correspond à l’autre expression utilisée, beaucoup plus fréquente au xixe siècle : la Dacie (Dacia) (Muşat, Ardeleanu 1983 : 240), entendue ici comme la Dacie romaine, celle d’après la conquête, incluse dans l’Empire, et non celle des Daces. Il s’agit en effet d’insister sur la romanité des Roumains et sans doute aussi, dans le contexte d’une européanisation des questions nationales, sur la connivence avec les autres peuples latins, Français et Italiens notamment.

  • 6 « Trăiască Daco-România ! » (« Vive la Daco-Roumanie ! ») (Muşat, Ardeleanu 1983 : 247).
  • 7 « Ţintirea noastră este a întemeia Regatul Daciei » (« Notre visée est de fonder le Royaume de Da (...)
  • 8 Par exemple chez ces militants valaques arrêtés en Transylvanie en avril 1848 au sujet desquels l (...)

5D’autres expressions apparaissent, comme « Daco-România »6. La référence au « royaume de Dacie »7, chez Bălcescu ou d’autres8, pourrait évoquer plutôt le royaume de Décébale. La plupart des formules, puisqu’elles désignent un projet, ou rêve, un avenir aux contours flous, ne gardent que le nom propre, éventuellement associé à un ou des adjectifs : « l’ancienne et vieille Dacie » (Bodea 1982 : 115, en français), « la grande Dacie » (Bodea 1963 : 209), « une Dacie libre » (Netea, Marinescu 1978 : 36).

6On retrouve en particulier la Dacie dans le titre de plusieurs publications dont l’importance est fondamentale pour le mouvement national roumain : la célèbre Dacia literară (La Dacie littéraire) de Mihai Kogălniceanu, lancée en 1840, qui vise explicitement à dépasser les considérations locales, l’extension seulement régionale, provinciale, des autres publications de Iași, de Bucarest et de Transylvanie, ou Magazinul istoric pentru Dacia (Magasin historique pour la Dacie) en 1845 par A. T. Laurian et N. Bălcescu. Si ces deux titres promeuvent une grande Dacie culturelle, par le partage d’une littérature et d’une histoire communes, on trouve plus tard des titres à dimension plus politique comme Dacia viitoare (La Dacie future), fondée par de jeunes socialistes et libéraux en 1883, mais à Paris, car le contexte local du moment n’est pas favorable à l’idée, on y reviendra.

  • 9 « Devisa noastră să fie formarea Daciei » (« Que notre devise soit la formation de la Dacie »). L (...)
  • 10 Après 1918, une fois le fait accompli, on trouve fréquemment la formule « România întregită », av (...)

7Au terme « Dacie » peuvent s’associer un substantif, un verbe ou un participe évoquant le projet de sa formation (formarea Daciei9) ou de sa « reconstitution »/ « refondation » (reconstituirea/reinfiinţarea Daciei, Bodea 1982 : 413, 415), syntagmes dans lesquels la Roumanie remplace de plus en plus la Dacie. On trouve également des formules construites sur le terme « întreg » (entier), comme « România întreagă » (Bodea 1982 : 638), la Roumanie entière, complète10. Dans l’expression difficilement traduisible « întregirea neamului » (Netea, Marinescu 1978 : 51), avec un verbe substantivé, il s’agit de donner son intégrité au peuple (neam), de le rendre entier. Ajoutons enfin ici le mot « pan-roumanisme » (pan-românism), attribué à Ion Ghica par Bălcescu (Bălcescu 1964 : 348), qui évoque la même idée de totalité par son préfixe grec.

8L’expression la plus courante cependant, surtout à la période quarante-huitarde, est celle de l’union ou de l’unité, appliquée aux hommes ou aux territoires, comme dans ces expressions trouvées sous la plume de deux ténors de 1848 : « l’union de tous les Roumains » (uniunea tutulor românilor) (Bălcescu 1964 : 348), « la Roumanie unie » (România unită) (Ioan Maiorescu en 1848, Muşat, Ardeleanu 1983 : 254). L’idée d’union est assez vague et pourrait désigner un processus qualitatif (culturel notamment), plus que l’extension territoriale telle qu’impliquée dans l’expression « grande Roumanie ». Mais la plupart des formules visent clairement cet objectif, comme « la réalisation de l’unité politique » (realizarea unităţii politice), précisément utilisée dans un rapport publié par l’une des sections régionales de la Ligue pour l’unité culturelle des Roumains en 1893 (Netea, Marinescu 1978 : 50). Pour préciser la nature de cette union, très concrète, voire territoriale et politique, la langue roumaine possède d’ailleurs une variante du mot plus explicite qu’en français : non pas « uniune » mais « unire », substantif dérivé du verbe, c’est-à-dire le fait de s’unir. Ainsi le journal România annonce-t-il en 1848 lutter pour « l’idée d’union de tous les Roumains » (« ideea de unire a tuturor românilor », Netea 1980 : 149) et l’article programmatique du 18 juin 1848 du nouveau journal Popolul suveran (Le Peuple souverain) proclame-t-il que l’objectif est « l’union (unirea) des provinces roumaines et tout ce qui pourra mener la Roumanie au bonheur et à la grandeur (mărire) » (Netea 1980 : 148). À vrai dire, « mărire » devrait d’ailleurs plutôt être traduit par « agrandissement », son sens littéral, car il s’agit là encore d’un verbe substantivé. Si l’extension de « l’union » ici envisagée n’est pas clairement précisée, le terme « mărire » laisse ouvertes de belles perspectives.

9Dans certains textes en effet, quarante-huitards notamment, le terme « union » est suffisamment vague pour que l’on ne sache pas vraiment s’il concerne seulement les Moldo-Valaques, ce que l’on appellera plus tard, après sa réalisation en 1859, la « petite union », ou bien les Roumains « de partout ». Mais d’autres textes sont parfaitement clairs, comme les propos du journal Constituţionalul (Le Constitutionnel) en 1848 : « Tous les pays habités par des Roumains doivent être appelés Roumanie et former un État parce qu’ils sont tous la patrie des Roumains et parce que tous les patriotes roumains, qui les habitent, forment la nation roumaine qui doit être une et indivisible. » (Netea 1980 : 149). Au xixe siècle, l’usage même du nom générique « Roumanie », comme romanité orientale, était déjà une affirmation implicite de l’unité de ce vaste espace comprenant potentiellement la Transylvanie au sens large, et certains l’écrivaient explicitement, tel D. Brătianu en 1852 : « Ce pays [la Transylvanie] […] est le pays du Roumain qui, uni avec ses autres sœurs, la Moldavie, la Bucovine, le Banat, la Bessarabie et la Valachie, sera le pays entier nommé Roumanie, pour lequel nous devons vivre, travailler et lutter… » (Cretzianu 1933 : 288). Lorsque le prince Charles utilise le nom dès 1866 (par exemple pour son titre de « prince régnant de Roumanie »), le terme peut être connoté par cette idée de “grandeur” qui s’y est associée et peut donc inclure une revendication implicite. Les puissances voisines ne s’y trompent pas : les Roumains ont dû batailler pour l’imposer contre de fortes réticences diplomatiques. À la même époque, une fois la « petite union » de 1859 réalisée, apparaît l’expression « grande union » (« Unirea cea mare ») sous la plume de Hașdeu en 1867, pour distinguer les deux :

Ainsi, la question qui va nous préoccuper […] n’est pas la petite Union, déjà réalisée entre les deux rives du Milcov, mais la grande Union, à réaliser à partir de maintenant entre tous les cours d’eau qui doivent se déverser dans l’océan roumain ; entre tous les accords sans lesquels ne peut s’harmoniser notre ronde nationale (hora noastră) ; entre toutes les petites pierres nécessaires pour reconstituer l’antique mosaïque, la Dacie. La Moldavie, la Transylvanie, la Munténie n’existent pas sur terre, il existe une seule Roumanie, avec un pied dans le Danube et l’autre sur les ramifications les plus lointaines des Carpates ; il existe un seul corps et une seule âme… (Muşat, Ardeleanu 1983 : 288).

Dans cette évocation riche et synthétique, l’énumération des provinces (fréquente dans d’autres propos) et la répétition de l’adjectif « tous » participent à l’idée même de grandeur.

10Enfin, la mention du Danube et des Carpates dans les propos cités, ajoutée à la liste des territoires concernés, nous rappelle que l’idée de grande Roumanie ne s’est pas exprimée qu’à travers des mots mais aussi par des représentations cartographiques. C’est d’ailleurs sans doute sur une carte que la « grandeur » se représente le mieux. Celle réalisée par Cezar Bolliac en 1855 n’a évidemment pas de frontières politiques, mais un relief et une hydrographie qui les suggèrent assez clairement : la Tisa à l’ouest, le Danube au sud, le Dniestr à l’est et, au nord-est, les Carpates ukrainiennes.

Carta Rumâniei în relief, de Cesar Bolliac [La carte de la Roumanie en relief, par Cesar Bolliac], 1853, dans Muşat, Ardeleanu 1983 : 293, <https://commons.wikimedia.org/​wiki/​File:Rum%C3%A2nia_v%C4%83zut%C4%83_de_Cezar_Bolliac.jpg>.

  • 11 L’atlas est une adaptation de celui de Louis Bonnefont et est réalisé avec l’aide d’Émile Picot, (...)

Quelques années plus tard, en 1868, August Treboniu Laurian publie un atlas géographique scolaire dans lequel il insère une carte de la « Dacie moderne » superposant relief et provinces en couleur11.

Dacia Moderna, Laurian 1868 (planche IX). <http://geo-spatial.org/​vechi/​download/​atlante-geograficu-1868>.

11Les formules fleurissent dans le discours de l’élite roumaine, en particulier autour de 1848. Dans son étude historique sur les idées politiques roumaines, mettant en œuvre des analyses quantitatives, Vlad Georgescu montre qu’il y a une prépondérance marquée de cette thématique de l’union politique des Roumains en Valachie par rapport aux deux autres provinces, prépondérance que l’auteur explique par une tradition politique plus ancienne et plus développée (Georgescu 1987 : 323). Peut-être peut-on ajouter à cette remarque le fait que l’élite valaque est plus que les autres influencée par la pensée politique française, caractérisée par une conception forte, unitaire et centralisatrice de la nation et de l’État. Il est en tout cas utile de se pencher sur les facteurs qui ont favorisé, ou freiné, le développement de cette idée dans les pays roumains.

Genèse et développement de l’idée de Grande Roumanie : quelques jalons

12« Pour beaucoup de personnes, et non pas seulement celles qui ont la chaleur de leur jeune âge ou d’un âge avancé, cette idée d’unité politique des Roumains semble si naturelle » qu’elle paraît avoir toujours été là. Or, « cette opinion est fausse. […] Et Mihai Viteazul ? dira-t-on. […] Il est évident que son emprise sur les trois provinces n’a été qu’un incident. […] On ne voit dans son action aucune intention d’assimilation du point de vue administratif, sur la base d’une conception nationale accomplie, des territoires qu’il a conquis. » L’auteur de ces propos n’est pas Lucian Boia ou un historien contemporain ferraillant contre les résidus de la pensée protochroniste mais bien Nicolae Iorga, traitant en 1915 du « développement de l’idée d’unité politique des Roumains » (Iorga 1915 : 3, 15-16). Si Sorin Antohi n’a pas tort de regretter une lacune dans l’histoire des idées à ce sujet en Roumanie (Antohi 2018b), ce texte consistant de Iorga, écrit avec la précision et les nuances qui caractérisent sa première période d’historien, celle d’avant l’entrée en guerre des Roumains, constitue une trame plutôt convaincante. Iorga y développe déjà, notamment, le point sur lequel Antohi se concentre également, à savoir que l’idée d’unité des Roumains non seulement est récente, mais est exogène : ce sont d’abord des étrangers qui ont imaginé une grande Dacie, à des moments et dans des circonstances où elle allait dans le sens de leurs intérêts. C’est notamment le cas des Russes avec les projets de Catherine II, dans les années 1780, d’établir un État-tampon entre la Russie, l’Autriche et l’Empire ottoman, qui aurait été confié au prince Potemkine. Indépendamment de ces plans chimériques, les occupations russes des Principautés à plusieurs reprises aux xviiie et xixe siècles, en instaurant des administrations communes, même provisoires et essentiellement militaires, mais avec la « vision unitaire » propre à un État centralisé, participent au cheminement d’une idée de vie politique partagée, comme y a contribué l’administration des princes phanariotes depuis le xviiie siècle (Iorga 1915 : 30-35). Après le recul de l’Empire ottoman, dans les années 1820, les Règlements organiques de 1830 en sont la manifestation la plus aboutie et il est établi qu’ils préparent de fait l’union des deux principautés.

13Parallèlement aux recompositions politiques qui marquent le sud-est du continent au tournant du xixe siècle, l’idée d’origines historiques et culturelles communes aux Roumains s’installe chez certains érudits. Naum Râmniceanu, chroniqueur valaque, serait ainsi le premier à exprimer, dans un texte de 1802 à vocation historique, le désir de reconstitution de l’ancienne Dacie (Georgescu 1987 : 340). De l’autre côté des Carpates, l’École de Transylvanie étaye la latinité commune des Roumains sur des arguments philologiques et historiques. Petru Maior, en particulier, publie en 1812 sa célèbre Istoria pentru începutul românilor în Dachia (Histoire du début des Roumains en Dacie). Ce sont aussi les premiers échanges entre érudits de provinces différentes qui ont lieu, avec par exemple le voyage des Transylvains Cipariu et Bariţiu à Bucarest en 1836, qui leur permet de se familiariser avec les réalités roumaines de Valachie. Il faut évoquer également les rencontres, fondamentales, des étudiants des différentes provinces à Paris. À ce propos, il faut relire le célèbre récit de Ion Ghica racontant celle entre Moldaves et Valaques sur les quais de Seine en 1835, qui réalisent qu’ils parlent la même langue : « Quelle révélation ! À partir de ce moment nous n’avons plus été ni Munténiens, ni Moldaves, nous étions tous Roumains ! » (Ghica 2014 : 119). D’autres rencontres ont lieu, plus tard en Italie, où de jeunes Roumains sont les témoins de la lutte pour l’unité, à Vienne ou en Allemagne. Le décentrement à l’étranger et la confrontation aux autres nationalités est un facteur important dans la cristallisation de l’idée d’unité. C’est aussi sur la base de cette ouverture qu’un Kogălniceanu, qui a étudié en France et en Allemagne, conçoit en 1840 la revue Dacia literară, déjà évoquée pour son titre, avec l’ambition explicite de dépasser le point de vue provincial des autres publications pour être « une revue roumaine [qui] se consacrerait aux productions roumaines, de quelque partie de la Dacie qu’elles proviennent, à condition seulement qu’elles soient bonnes » (Introduction au 1er numéro).

14Sur cette double base géopolitique européenne et culturelle roumaine émergent les premières expressions autochtones de l’idée politique d’union des Roumains dans la première moitié du xixe siècle, là encore en lien avec des mouvements étrangers. La Déclaration de principes du Parti national de Ion Câmpineanu, en 1837, est connue pour affirmer « la nécessaire réunion de toutes les populations roumaines sous un seul sceptre » (Bodea 1982 : 119, 122). Mais il faut rappeler que ce mouvement de très jeunes révolutionnaires s’était cristallisé à Paris, où les fils de boyards moldo-valaques faisaient leurs études, et en lien avec l’émigration polonaise révolutionnaire en lutte pour la reconquête de la Pologne dépecée par les partages successifs. Un texte signé d’Al. C. Golescu-Albu raconte très explicitement comment c’est en répondant à une demande d’aide des Polonais préparant « un mouvement général pour reconstituer et établir l’ancienne Pologne » que les jeunes Roumains comprennent la chose suivante :

  • 12 Bodea 1982 : 114-115, original en français. Pour des précisions sur le moment Câmpineanu en lien (...)

pour arrêter et combattre des armées autrichiennes, il faut plus qu’une Valachie : il faut la Transylvanie, la Moldavie, la Bessarabie, la Bucovine, il faut en un mot ces cinq provinces à la fois […] qui jadis ne faisaient qu’un et qu’on pourra électriser et conduire contre l’ennemi en leur rappelant leur commun passé et en leur faisant espérer un même avenir, une même grande patrie. […] Il ne s’agissait plus d’exposer son pays pour d’autres […] mais d’unir et de confondre cinq provinces, […] mais de constituer l’ancienne et vieille Dacie12.

15Le cas de la Pologne rayée de la carte par les partages est douloureux et particulièrement présent dans les milieux militants européens à cette époque. Les parallèles entre les situations « nationales » sont tentants, bien au-delà des cas de figure très différents, et on assiste à une affirmation en cascade de ces projets aussi flous que démesurés, parfois. Iorga souligne l’importance de l’exemple des voisins pour le développement de l’idée chez les Roumains : la « grande Serbie », la Bulgarie du traité de San Stefano (1878), voire celle de Siméon Ier (prince puis tsar de 893 à 927), la grande Hongrie médiévale (Iorga 1915 : 89), auxquelles il aurait pu ajouter la « grande Idée » grecque (megali idea). Ces (retro)projections sont devenues des lieux communs dans l’Europe du printemps des peuples. « Tous les éléments homogènes agissent pour se concentrer, ainsi les Italiens, ainsi les Allemands, ainsi les Slaves. Et nous, pourquoi ne le ferions-nous pas quand le moment est arrivé ? Tout le monde crie que nous voulons former une Dacie, pourquoi le cacher ? » écrit Constantin Roman à Al. C. Golescu le 26 juin 1848, lorsqu’il apprend avec joie le soulèvement valaque (Anul 1848… : 137).

161848, de fait, est un moment d’apogée d’expression de l’idée d’union et même de grande union. Mais il demeure fugace et ne doit pas être surévalué (comme il l’a été dans l’historiographie communiste) : l’idée est bien présente mais elle reste souvent un idéal, une vision d’avenir encore floue voire un rêve, bien plus qu’un projet politique, que les conditions historiques et géopolitiques de l’époque ne permettent aucunement. Elle n’apparaît pas dans les programmes révolutionnaires. Elle fait tout au plus l’objet d’un slogan repris lors de l’assemblée de Blaj le 15 mai : « Nous voulons nous unir au Pays roumain » (« Noi vrem să ne unim cu Ţara [Românească] »), en réponse à la politique hongroise d’union de la Transylvanie avec la Hongrie (Bălcescu 1953 : 332). On la trouve formulée dans des journaux roumains de Bucarest durant les quelques semaines de révolution, ainsi Popolul suveran et Constituţionalul à Bucarest, cités plus haut. Elle circule intensément, on l’a vu, dans les correspondances privées, et jusque dans les rapports de police consignant les arrestations de militants.

17Nicolae Bălcescu est l’un de ceux qui l’affirment le plus explicitement, par exemple dans ce discours tenu à la Société des étudiants roumains de Paris, en 1847 :

Notre but ne peut être que l’Unité nationale des Roumains. Unité d’abord en idées et en sentiments, qui amène ensuite avec le temps l’unité politique, qui fasse des Munténiens, des Moldaves, des Bessarabiens, des Bucoviniens, des Transylvains, des gens du Banat, des Aroumains un corps politique, une nation roumaine, un État de sept millions de Roumains. À la création de cette nationalité, à la réforme sociale des Roumains, basée sur les principes sacrés de la justice et de l’égalité doivent tendre tous nos efforts. Le roumanisme est notre étendard… (Bălcescu 1974 : 177-178).

Bălcescu est pourtant pris dans des contradictions car sauver la révolution passe par une collaboration avec les Hongrois contre les empires oppresseurs, il assume donc un choix entre les priorités nationales et sociales : l’union des Roumains reste l’objectif final, mais chronologiquement second. Sa lettre du 4 mars 1850 est une sorte de bilan d’étape :

La révolution à venir ne se bornera pas à être démocratique et sociale, […] elle se fera dans une des Unités nationales. […] La question de l’unité a fait de grands progrès… L’Union de la Valachie et de la Moldavie est un fait acquis pour tout le monde, même aux yeux des Russes, et ne peut tarder à se réaliser. Les Valaques de l’Autriche […] demandent avec ensemble et beaucoup d’instances d’être constitués en un seul corps de nation de trois millions et demi et ils finiront par l’obtenir. Quand donc deux grands groupes de quatre millions et de trois millions et demi de Romans seront constitués l’un à côté de l’autre, qui pourra les empêcher de s’unir ? Notre Roumanie donc existera (Bălcescu 1964 : 278).

Le 6 décembre de la même année, il dispute son ami Ion Ghica, devenu hésitant :

Je ne comprends pas ce que tu veux, Ghica. N’as-tu pas été le premier à propager dans d’innombrables publications l’union de tous les Roumains ? N’as-tu pas inventé le mot lui-même de panroumanisme ? Crois-tu que nous trouverons le salut par les voies diplomatiques et non par la révolution ? Tu as peur que les cabinets nous prennent pour des révolutionnaires ? Tu crains encore la colère de l’Autriche ? […] Notre but est la fondation du royaume de Dacie (Bălcescu 1964 : 348).

Et il faut le dire « ouvertement et franchement », ajoute-t-il en français. Mais assez peu le font. Ghica comme beaucoup d’autres – Bolintineanu, Bariţiu… – estiment ce projet encore irréalisable et préfèrent s’attacher à des objectifs plus accessibles à court terme : l’union des Principautés d’une part, l’union des Roumains de Transylvanie dans le cadre de l’Empire d’autre part. Il a d’ailleurs existé à cette époque un plan de grande union sous le patronage de Vienne, d’une Grande Roumanie incluse dans une « Grande Autriche » en quelque sorte, proposé par le pasteur saxon Daniel Roth dans son texte de 1848 publié à Sibiu Von der Union und nebenbei ein Wort über eine mögliche Dakoromanische Monarchie unter Österreichs Krone (Netea 1980 : 145). L’idée est soutenue par d’autres Transylvains comme T. Cipariu ou Ioan Maiorescu et revient fréquemment, jusque pendant le conflit mondial.

  • 13 Les lettres du secrétaire français du prince Charles à Hortense Cornu, conseillère de Napoléon, s (...)

18La « petite union » de 1859 puis l’arrivée sur le trône du prince Charles de Hohenzollern en 1866 consolident un contexte qui continue à donner des espérances aux Roumains : les Transylvains regardent vers ce nouvel État (Netea, Marinescu 1978 : 14-15), la marche de l’histoire va dans le sens de leurs projets, même si les trois empires menaçants ne laissent guère d’espoir à court terme pour « l’agrandissement » (mărire) que le journal révolutionnaire de 1848 espérait. C’est donc dans des institutions culturelles que se poursuit le développement de l’idée d’une roumanité commune. Le meilleur exemple est la Société académique roumaine (qui devient l’Académie en 1879), fondée en 1866 et conçue dès le début comme regroupant des Roumains de toutes les provinces. Le discours d’ouverture du 1er et 13 août 1867 du prêtre gréco-catholique Timotei Cipariu (un Transylvain !) n’est pas dénué de connotations politiques : « Nous avons commencé à libérer notre patrie […], il reste à continuer et à terminer » (Netea, Marinescu 1978 : 19)13. De l’autre côté des Carpates, de nombreuses associations se forment, comme ASTRA à Sibiu en 1861, ouvertes elles aussi à des Roumains de partout. Ajoutons-y les sociétés étudiantes, nombreuses, notamment România jună à Vienne, très active, dans laquelle s’impliquent Mihai Eminescu et Ioan Slavici dans les années 1870-1872, qui regroupait des jeunes Roumains de toutes les provinces.

  • 14 Rapport de l’agent Friedrich Lachmann de septembre 1881 sur la famille Mureșan de Brașov : « Ils (...)

19Mais politiquement, la période devient moins favorable à l’expression de projets d’union et le thème semble refluer. Le compromis austro-hongrois de 1867 a durci les positions en Transylvanie et dans les Principautés les Roumains se concentrent sur la construction de leur nouvel État, sur la consolidation du régime princier puis sur la question de l’indépendance (1878). Ensuite, le contexte international devient défavorable : la crainte de la Russie pousse les Roumains vers les Puissances centrales et la signature en 1883 du traité secret entre la Roumanie et l’Autriche-Hongrie achève de reléguer l’idée de grande union au rang d’utopie. Toute mention de « Grande Roumanie » ou de « Roumanie unifiée » serait une provocation. Il n’y a qu’à Paris que de jeunes activistes roumains peuvent lancer à nouveau un journal intitulé Dacia viitoare, cette même année 1883. Le Parti national roumain (PNR), fondé en 1881, ne mentionne pas ce point dans son programme, qui se concentre sur la lutte contre la magyarisation. L’expression se retrouve alors surtout dans divers rapports autrichiens soulignant l’attraction qu’exerce le tout jeune royaume de Roumanie sur les Transylvains rêvant de s’y unir14, ou de représentants étrangers, par exemple au moment du procès des mémorandistes à Cluj en 1894 : certains soulignent ainsi le fait que la répression hongroise ne fait que renforcer chez les Transylvains « l’espérance de voir se réaliser un jour le rêve de la légende de la Grande Roumanie (Romania Magna) » (Mușat, Ardeleanu 1983 : 369).

20Dans ce contexte, c’est essentiellement la « Ligue pour l’unité culturelle de tous les Roumains » qui assume la part principale de la lutte pour l’unité, en laissant (presque) de côté toute référence politique explicite. Fondée en 1890, comprenant des sections dans toutes les grandes villes, elle se donne pour but de répandre la culture nationale dans toutes les provinces via une multitude d’actions, commémorations, conférences, publications, bourses, etc. Elle a reçu des consignes fermes de la part du PNR (Transylvanie) d’éviter toute manifestation d’irrédentisme, mais il est certain qu’elle sert de lieu d’expression, au moins officieusement, de l’idée de grande union politique, ses actions culturelles étant conçues comme une préparation à cette réalisation. D’ailleurs quelques sections le disent dans des rapports internes, comme celle de Ploieşti en 1893 : « L’objectif fondamental de la Ligue doit être la réalisation de l’unité politique » (Netea, Marinescu 1978 : 50).

21Le contexte de la montée des nationalismes qui précède la Grande Guerre (notamment les guerres balkaniques) favorise l’expression de plus en plus explicite de l’objectif d’union politique et l’éclatement du conflit précipite le changement de nom de l’organisation qui devient en décembre 1914 la « Ligue pour l’unité politique de tous les Roumains ». De nombreux périodiques prennent le titre de România Mare, à Bucarest en 1910, à Constanţa en 1913, à Galaţi en 1914, à nouveau à Bucarest en 1916 (Netea 1980 : 240). C’est surtout une fois que la Roumanie est entrée dans le conflit, en août 1916, que l’expression de l’enthousiasme se libère, comme chez Constantin Mille, le 20 août :

Cela fait trente ans que je lutte pour deux idéaux : une grande Roumanie pour laquelle en 1883 nous avons fondé à Paris et à Bruxelles [le journal] Dacia viitoare et un peuple libre économiquement et politiquement. L’un est en passe de s’accomplir. La Dacie future dont nous rêvions à l’âge de vingt ans est en voie de se réaliser (Mușat, Ardeleanu 1983 : 498).

Une proclamation est lancée aux Roumains de l’armée austro-hongroise :

Frères Roumains, réjouissez-vous, la Roumanie est entrée en guerre et aux côtés de l’Angleterre, de la France, de l’Italie et de la Russie, elle s’est mise en route pour vous libérer. Le rêve de plusieurs siècles s’accomplit, la persécution s’arrête. Avec les Roumains de Bucovine, vous serez un pays. À partir d’aujourd’hui votre place n’est pas dans l’armée austro-hongroise, quittez ses rangs, passez sous le drapeau roumain, et sans réserve luttez pour notre bonheur et le vôtre, venez réaliser la Grande Roumanie (Mușat, Ardeleanu 1983 : 505).

Mais précisément, en Transylvanie notamment, l’idée ne fait pas l’unanimité.

Les oppositions à l’idée de Grande Roumanie

22En dépit de toutes les occurrences et variantes de projets d’union et de formation d’une grande Dacie évoqués précédemment, Lucian Boia rappelle que « jusqu’à la Première Guerre mondiale, le principe de l’autonomie à l’intérieur de l’Autriche ou de l’Autriche-Hongrie est beaucoup plus fréquemment et explicitement formulé que la reconstitution de l’ancienne Dacie » (Boia 2011 : 216). Le démembrement de l’Empire apparaît bien peu probable et même, pour beaucoup, peu souhaitable. Ces positions loyalistes à l’égard de l’Empire sont massivement passées sous silence dans l’historiographie nationaliste, quand leurs auteurs ne sont pas accusés d’être de mauvais patriotes, voire des « traîtres », comme c’est le cas de l’écrivain Ioan Slavici, mis devant un tribunal pour cette raison à la fin de la guerre (Folschweiller 2021). Le fait accompli du 1er décembre 1918 vaut en quelque sorte sanction de l’histoire, donnant raison aux uns et tort à ceux qui avaient une autre vision des choses.

23Les raisons invoquées par ceux-ci sont diverses. Les plus nombreuses, à la veille du conflit, sont d’ordre géopolitique : si la réalisation de la grande Roumanie doit passer par une alliance avec la Russie contre les Puissances centrales pour obtenir la Transylvanie, elle est inacceptable pour beaucoup d’intellectuels nourris par l’anti-russisme traditionnel des Roumains. Nombre de ces « germanophiles » se recrutent ainsi parmi les Moldaves, comme Constantin Stere ou Petre Carp. L’objectif même d’une grande Roumanie devrait amener à se concentrer d’abord sur le flanc est (donc contre les Russes avec les Puissances centrales), condition de la pérennité de l’État roumain, explique P. Carp :

La Roumanie est avant tout un état danubien ; son avenir économique dépend des bouches du Danube et c’est une question de survie […]. Si nous prenons la Transylvanie et que nous perdons les bouches du Danube, nous sommes perdus et la Transylvanie avec nous. Si au contraire nous nous étendons jusqu’au Dniestr, la question de la Transylvanie restera un problème, que les générations futures pourront résoudre facilement et sans conflit avec l’Empire austro-hongrois (Boia 2011 : 77).

La question est de savoir quelle grande Roumanie est pertinente, car viable, de quel côté privilégier l’agrandissement si un conflit en donne l’occasion. S’allier aux Russes serait combattre pour une grande Roumanie amputée de la Bessarabie. Or il faut reconnaître que dans l’imaginaire roumain, les deux provinces n’ont jamais pesé du même poids : c’est la Transylvanie qui est considérée comme le foyer de l’ancienne Dacie et de la romanité alors que la Bessarabie reste périphérique.

24Mais du côté même des Transylvains, les oppositions ou les réserves sont fortes. Certains Transylvains, non exempts d’un certain complexe de supériorité, ne sont guère attirés par Bucarest et regardent d’un œil un peu condescendant leurs congénères du sud balkanique. Et au-delà d’une latinité commune, la longue histoire de la Transylvanie pluriculturelle insérée dans l’Europe centrale ne se laisse pas réduire au roumanisme invoqué par les Moldo-Valaques. Ioan Slavici insiste fréquemment sur ces spécificités et cette expérience de l’Empire partagée avec les voisins hongrois, saxons, croates, ukrainiens, qui laisse penser qu’une lutte loyale avec les Hongrois permettra d’aboutir à une entente et une égalité de droits au sein de l’Empire. Dans cette expérience complexe, l’argument moral de la loyauté à l’Empire n’est pas à négliger : appartenir à un État engage, notamment par le serment prêté au moment du service militaire, il y a là quelque chose de quasi sacré, que l’idée de grande Roumanie prend à revers. Dès lors, la lutte pour la cause roumaine (reconnaissance de la langue, droit à la scolarisation…) peut s’articuler avec d’autres projets politiques conciliables avec une perpétuation de l’Empire repensé et modernisé, réorganisé de manière fédérale, afin de concilier puissance étatique et libre expression des nationalités. C’est le cas du célèbre projet du Banatais Aurel Popovici, auteur de l’ouvrage Die vereinigten Staaten von Gross-Österreich (1906) : les « États-Unis de la Grande Autriche » lui semblent, pour les Transylvains, autrement plus avantageux que la Grande Roumanie (Folschweiller 2014).

  • 15 « Une division est rapidement apparue en ce qui concerne la vie culturelle. T. Maiorescu était en (...)

25Enfin, il est des raisons plus profondes, renvoyant à une philosophie de l’histoire et du développement des sociétés que la pensée du xixe siècle a fait émerger, en réaction à la philosophie des Lumières françaises et de la Révolution, selon laquelle la construction d’une communauté nationale doit respecter certaines conditions, à savoir une évolution progressive fondée sur un socle culturel réel, solide et partagé. Dans ce modèle de pensée inspiré de Herder (Une autre philosophie de l’histoire, Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité), la culture est donc la condition de possibilité de la réalisation politique. C’est ce qui justifie la critique formulée par le chef du groupe Junimea : précipiter la construction d’un État alors que les conditions d’unité culturelle et de développement économique ne sont pas remplies, c’est faire les choses à l’envers et tomber dans l’erreur des « formes sans fond », pour reprendre l’expression emblématique de Titu Maiorescu. Lorsque celui-ci écrit sa célèbre critique, en 1868, il n’évoque pas les plans d’avenir de grande union et s’en tient à la critique de la modernisation brouillonne et précipitée de la « petite Roumanie ». Mais le débat se tient déjà dans ces termes dans d’autres cercles influencés par la pensée junimiste, comme c’est le cas chez les étudiants roumains de Vienne qui organisent en 1871 la commémoration des quatre cents ans de la fondation du monastère de Putna par Étienne le Grand, voïvode de Moldavie (1457-1504). L’événement, qui rassemble des militants de la cause roumaine de partout, au grand dam des autorités autrichiennes, est souvent cité comme une manifestation exemplaire du désir d’unité des Roumains. Mais, comme le raconte dans ses mémoires Ioan Slavici – l’un des organisateurs –, les avis divergeaient déjà profondément sur la nature de cette unité : alors que beaucoup d’étudiants venant des Principautés militaient pour une unification politique aussi rapide que possible, ceux des provinces de l’Empire, dont Eminescu et Slavici, prônaient la priorité de l’unification culturelle, dont l’unité politique serait une suite naturelle15. En 1876, c’est Eminescu, le « poète national », qui vitupère contre l’idée d’union politique et de grande Dacie, propos que l’historiographie nationaliste a pris soin de laisser dans l’ombre :

Qu’il me soit permis de voir les choses clairement et de soutenir que l’idéal de l’unité politique des Roumains, la re-création du royaume de Décébale métamorphosé en Dacie trajane, relève des théories bon marché, comme la république universelle et la paix éternelle. […] L’idéal des Roumains de toutes les parties de la Dacie de Trajan est donc le maintien de l’unité réelle de la langue ancestrale et de l’Église nationale. Ceci est une Dacie idéale, mais elle se réalise un peu plus chaque jour et qui sait si elle n’est pas préférable à la Dacie politique. […] Ce n’est pas les velléités d’une vie étatique plus ou moins précaire, ce n’est pas la vanité du bruit dans l’histoire que nous voulons (Eminescu 1999 : 137-138).

C’est tout aussi négativement que ses articles se font l’écho de la parution de Dacia viitoare à Paris en 1883 (Eminescu 1999 : 634). Le poète, toujours sensible dans ses articles de presse à la béance entre la grandiloquence des discours et des projets et la réalité souvent misérable de la situation ne perdait pas une occasion de qualifier la Roumanie de simple « expression géographique » (Eminescu 2000 : 350, 1254). Que dire alors de la grande Roumanie ? Au moment où elle est proche de se réaliser, Maiorescu, fidèle à la politique « germanophile » de la maison royale autant qu’à son point de vue sur les conditions de réussite des projets roumains, est particulièrement sévère dans son tout dernier texte, de février 1917, peu avant sa mort :

L’abandon déloyal par Brătianu-fils d’une alliance vieille de trente ans nouée par Brătianu-père, le coup porté à la mémoire et à la tradition du roi Carol par son neveu Ferdinand, la phraséologie de “la Grande Roumanie” et les prétentions territoriales sur la Hongrie et la Bucovine à côté d’un manque inouï de préparation diplomatique, ethnique et militaire, le favoritisme de parti pour les postes les plus importants de l’armée à côté de la corruption dans l’administration et de l’enrichissement de certains chefs libéraux : tout cela, en résumé, montre brutalement dans quel état lamentable se trouve la Roumanie (Maiorescu 1999 : 265).

La grande Roumanie, ultime « forme sans fond » ?

26Il n’y a donc pas d’idée univoque de la grande Roumanie avant sa réalisation. Des rêves fumeux de retour à une Dacie latine fantasmée jusqu’à l’enchaînement historique d’événements et aux retournements inattendus du premier conflit mondial qui fait advenir brusquement un projet guère étayé, cette idée sincèrement portée par certains, rejetée par d’autres, a pris de multiples formes qui ne collent guère avec la vision téléologique de l’histoire roumaine longtemps promue par une certaine historiographie. Et si de l’idée à sa réalisation la route fut longue, elle est loin d’être terminée, estime le vieux Slavici, mis devant le fait accompli et continuant à penser à contre-courant des réjouissances nationales :

Finalement, la Grande Roumanie a eu une grande chance : l’union de tous les Roumains en un État s’est faite, la Grande Roumanie est née. Moi, mon cher ami, cela ne saurait m’enchanter pour le moment. […] Ce qui semble aux uns une grande chance n’est qu’une lourde tâche, très belle certes, mais très ardue (Slavici 2055 : 252-257).

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Notes

1 Voir par exemple, dans la tradition française, les critiques de Michel Foucault dans L’Archéologie du savoir (Foucault 1969 : 184-188) et, chez François Azouvi, une défense de la discipline en forme de réponse à Foucault (Azouvi 1992).

2 Idéologie typique du national-communisme des années Ceauşescu, exaltant le passé glorieux du peuple roumain, promouvant l’idée de l’ancienneté de la culture roumaine (dont les racines remonteraient à l’Antiquité dace et romaine) et même de son antériorité par rapport aux autres cultures.

3 Un exemple synthétique et typique, au titre révélateur, est l’ouvrage de Mircea Muşat et Ion Ardeleanu de 1983, De la statul geto-dac la statul român unitar [De l’État géto-dace à l’État roumain unitaire], qui renvoie lui-même à une foule d’autres articles et études. Voir d’autres éléments de bibliographie en fin d’article. À cet égard, je remercie chaleureusement Matei Cazacu pour ses précieuses indications.

4 « Mâine România inimilor noastre, România mare ca România lui Traian… ». En roumain, l’adjectif est placé derrière le nom Roumanie. Toutes les traductions du roumain sont de nous.

5 La référence à « Mihai » renvoie au prince valaque Mihai Viteazul, Michel le Brave (1558-1601), dont les dernières conquêtes lui ont permis de regrouper sous son sceptre en 1600 des territoires moldaves et transylvains ainsi rattachés de manière éphémère à la Valachie ; la référence aux « pompiers » renvoie aux derniers bataillons ayant combattu contre les Ottomans pour sauver la révolution valaque le 13 septembre 1848, qui appartenaient à la compagnie des pompiers.

6 « Trăiască Daco-România ! » (« Vive la Daco-Roumanie ! ») (Muşat, Ardeleanu 1983 : 247).

7 « Ţintirea noastră este a întemeia Regatul Daciei » (« Notre visée est de fonder le Royaume de Dacie. ») Lettre à Ion Ghica du 6 décembre 1849 (Bălcescu 1964 : 348).

8 Par exemple chez ces militants valaques arrêtés en Transylvanie en avril 1848 au sujet desquels les rapports de police précisent qu’ils visent « la reconstitution du vieux royaume dace » (Bodea 1982 : 416).

9 « Devisa noastră să fie formarea Daciei » (« Que notre devise soit la formation de la Dacie »). Lettre de Constantin Roman à A.G. Golescu du 26 juin 1848 (Anul 1848… : 138).

10 Après 1918, une fois le fait accompli, on trouve fréquemment la formule « România întregită », avec le participe passé, signifiant littéralement la « Roumanie rendue entière, complétée », voire « România reîntregită », la Roumanie reconstituée, rendue à son intégrité, où le préfixe renvoie à une intégrité antérieure, perdue et retrouvée, mais en vérité fantasmée puisqu’une telle Roumanie n’a jamais existé. Cette dernière expression est particulièrement fréquente dans les discours nationalistes de la période Ceauşescu. Aujourd’hui on peut aussi la trouver du côté de la République de Moldavie chez ceux qui militent pour une réunification avec la Roumanie. Dans ce cas, l’expression est pertinente puisqu’elle renvoie à la Grande Roumanie de l’entre-deux-guerres.

11 L’atlas est une adaptation de celui de Louis Bonnefont et est réalisé avec l’aide d’Émile Picot, secrétaire français du prince Charles en 1866-1867 (Folschweiller 2020 : 21).

12 Bodea 1982 : 114-115, original en français. Pour des précisions sur le moment Câmpineanu en lien avec le mouvement polonais, voir Bodea 1967 : 11-21. Une autre lettre, écrite dans le même contexte, en octobre 1838 de Bucarest, par Al. C. Golescu à ses amis restés à Paris décrit ce qui se passe « dans la capitale future de la grande Dacie » (Bodea 1967 : 209).

13 Les lettres du secrétaire français du prince Charles à Hortense Cornu, conseillère de Napoléon, se font l’écho, avec inquiétude, de ce moment où la fondation de la Société académique aiguise à nouveau l’idée d’union politique : « Il fallait attendre patiemment, s’organiser, se fortifier à l’intérieur, et peut-être les circonstances auraient-elles amené, dans un avenir plus ou moins éloigné, l’union que l’on rêvait. Or qu’est-il arrivé ? Sous prétexte de travailler à la confection d’un dictionnaire et d’une grammaire, on réunit ici des députés de toutes les provinces roumaines et, comme un énergumène, M. Bratiano porte, de sa voix la plus retentissante, des défis à la Russie et à l’Autriche » (Folschweiller 2020 : 258).

14 Rapport de l’agent Friedrich Lachmann de septembre 1881 sur la famille Mureșan de Brașov : « Ils appartiennent à la catégorie de ces partisans de la Grande Roumanie qui n’ont qu’une cible devant les yeux : être un jour unis avec leurs compatriotes de derrière les Carpates. » Depuis la création du royaume de Roumanie, les Transylvains « mèneraient une politique en faveur d’une Grande Roumanie » (Mușat, Ardeleanu 1983 : 357).

15 « Une division est rapidement apparue en ce qui concerne la vie culturelle. T. Maiorescu était entré en polémique avec Simion Bărnuţiu et alors que beaucoup s’étaient mis du côté de celui-ci, les tenants de [Andrei] Şaguna [métropolite de Transylvanie, premier président d’ASTRA], parmi lesquels Eminescu et moi, comme la plupart des Bucoviniens, étions du côté de T. Maiorescu, c’est-à-dire de Junimea. À vrai dire il n’y a que nous qui considérions la question du point de vue culturel. Pour les autres, la société România jună et surtout la célébration de Putna étaient une sorte de paravent derrière lequel on pouvait faire de la propagande pour l’unité politique, ce qui nous semblait dangereux. […] Et nous ne pouvions pas perdre de vue que chez les Italiens comme chez les Allemands, l’unité politique a été la conséquence naturelle de l’unité culturelle et que ce serait voir les choses à l’envers que de vouloir que chez nous l’unité culturelle ne se fasse qu’après l’unité politique » (Slavici 2005 : 528).

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Table des illustrations

Légende Carta Rumâniei în relief, de Cesar Bolliac [La carte de la Roumanie en relief, par Cesar Bolliac], 1853, dans Muşat, Ardeleanu 1983 : 293, <https://commons.wikimedia.org/​wiki/​File:Rum%C3%A2nia_v%C4%83zut%C4%83_de_Cezar_Bolliac.jpg>.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/docannexe/image/14092/img-1.jpg
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Légende Dacia Moderna, Laurian 1868 (planche IX). <http://geo-spatial.org/​vechi/​download/​atlante-geograficu-1868>.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/docannexe/image/14092/img-2.jpg
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Pour citer cet article

Référence papier

Cécile Folschweiller, « L’idée de « Grande Roumanie » au xixe siècle »reCHERches, 29 | 2022, 51-68.

Référence électronique

Cécile Folschweiller, « L’idée de « Grande Roumanie » au xixe siècle »reCHERches [En ligne], 29 | 2022, mis en ligne le 30 novembre 2022, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/14092 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.14092

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Auteur

Cécile Folschweiller

Maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) en langue, littérature et civilisation roumaines et membre du Centre de recherches Europes-Eurasie (CREE).

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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