1La Roumanie a bénéficié d’une grande chance historique qui est venue parachever les avantages obtenus grâce au courage énorme de ses soldats durant la Grande Guerre et à la volonté d’unification des Roumains de toutes les régions où ils étaient majoritaires. Deux empires se trouvant à ses frontières, dont certaines provinces étaient majoritairement peuplées par des Roumains, se sont effondrés en 1918 (la Russie des Tsars et l’Autriche-Hongrie). Seul le premier se transforma en un nouvel empire, sous la forme de l’Union soviétique, alors que l’Autriche (à côté d’autres territoires ayant appartenu à la Double Monarchie) fit plus tard partie du Troisième Reich allemand, mais pour une brève période.
2Dès lors, dans les années qui ont suivi la Grande Guerre, il s’agissait de s’assurer que les territoires nouvellement acquis par le Royaume de Roumanie fussent maintenus et bien intégrés dans l’État ainsi créé, en évitant les troubles internes et extérieurs.
3Il était naturel dans les années d’après-guerre de poursuivre le renforcement des liens politico-militaires avec les Alliés de la Grande Guerre. C’est pourquoi la Roumanie a d’abord cherché à faire alliance avec la France devenue, après la défaite de l’Allemagne, la puissance continentale dominante. En tant que bénéficiaire du système politique de Versailles, la Roumanie devait pouvoir compter sur la France et le Royaume-Uni. Toutefois, les Britanniques ne souhaitaient pas d’alliance militaire permanente (en période de paix) avec la France ou avec les nouveaux États de l’Europe de l’Est. À Londres, certains hommes politiques (par exemple Lord George N. Curzon, secrétaire d’État aux Affaires étrangères de 1919 à 1924) ne souhaitaient guère que Paris disposât de l’hégémonie continentale et que l’Allemagne demeurât un pays en perpétuelle faillite (Simms 2015 : 251) – les Britanniques voulaient de nouveau un système d’équilibre des puissances en Europe, ce qui constituait l’élément constant de leur politique étrangère depuis plusieurs siècles. En même temps, la France possédait, en 1920, le plus grand empire colonial de son histoire, avec 12,5 millions de kilomètres carrés et 4 % de la population mondiale1. En principe, la Société des Nations (SDN) aurait dû assurer la paix par la solidarité des pays membres et le découragement des possibles agresseurs.
4Pour Bucarest, dans les années 1920 et 1930, il était vital de faire partie d’un système défensif centré sur la France. La Roumanie signa un accord politique d’amitié et de coopération avec la France, le 10 juin 1926, sans les obligations habituelles d’une alliance. En effet, si une convention militaire fut bien négociée, rien ne fut signé. En cas d’attaque non provoquée, les deux pays devaient, d’un commun accord, décider des mesures à prendre. La Roumanie signa également un traité d’amitié et de coopération avec l’Italie, le 17 septembre 1926 – et Rome ratifia le traité de Paris (octobre 1920), par lequel la Bessarabie était reconnue comme partie intégrante de la Roumanie. Mais cela n’eut pas les conséquences positives escomptées puisque l’Italie accepta, en avril 1927, un traité d’alliance avec la Hongrie, un État révisionniste, et le régime de Mussolini offrit son soutien diplomatique au régime de Horthy, qui aspirait à modifier les frontières fixées par les traités. Ainsi, la Hongrie, grâce à une diplomatie active et à de nombreuses actions de propagande, réussit à séparer la Roumanie de l’Italie, puis de la Pologne, cette dernière devenant finalement la victime de l’Axe.
5Outre avec la France, la Roumanie mit en place des accords défensifs avec la Pologne et la Tchécoslovaquie, deux pays créés par le système de paix de Versailles et craignant, à juste titre, les États révisionnistes. Paris signait donc des accords défensifs avec les pays orientaux qui avaient des frontières communes avec l’Allemagne ou se trouvaient à l’Est de celle-ci, pour pouvoir la prendre en tenailles en cas de besoin. C’est pourquoi la diplomatie de Bucarest, à l’époque de Take Ionescu, ministre des Affaires étrangères de juin 1920 à décembre 1921, et par la suite, a toujours eu pour objectifs la formation de la Petite Entente et de l’Entente des Balkans.
6En mars 1921, un traité d’amitié et de collaboration (avec une clause de défense mutuelle dans la convention militaire annexée) fut signé par la Roumanie avec la Pologne. La Roumanie s’assurait ainsi un allié solide en cas d’agression soviétique. Ce texte fut complété par l’accord technique de 1922, conclu à Sinaia. En 1926, une nouvelle version du traité fut adoptée, ce qui apporta précision et efficacité à la planification de la défense commune. Varsovie était en réalité le seul allié régional sur lequel on pouvait directement compter à Bucarest en cas d’agression soviétique (l’URSS étant vue comme l’adversaire potentiel le plus puissant). En principe, l’armée polonaise pouvait intervenir assez rapidement (il y avait une frontière commune à l’époque), contrairement aux Français qui devraient probablement traverser la Méditerranée et la mer Noire pour secourir les Roumains. Bien sûr, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes pouvait aussi contribuer à une défense antisoviétique, mais les Yougoslaves étaient surtout préoccupés par le révisionnisme bulgare. La Bulgarie constituait la troisième menace pour Bucarest, après l’URSS et la Hongrie, mais la moins préoccupante. La coopération roumano-polonaise se déroula bien jusqu’au commencement des années 1930, ensuite des problèmes bilatéraux et régionaux influencèrent ces rapports d’une manière plutôt négative.
7Avec le soutien de la France, la Petite Entente fut formée entre 1920 et 1921, et la Roumanie rejoignit la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie en concluant des alliances pour bloquer le révisionnisme hongrois et empêcher le retour des Habsbourg à Budapest ou à Vienne. La Pologne n’en était pas membre. Or, en 1919-1920, Paris voulait plutôt une alliance de la Roumanie avec la Pologne et même avec la Hongrie pour s’opposer à l’expansion du communisme d’inspiration soviétique. Ensuite, la France a accepté cette alliance roumano-yougo-tchécoslovaque à condition d’impliquer aussi la Pologne et la Grèce, mais Varsovie déclina l’idée d’une alliance avec la Tchécoslovaquie et Athènes n’intégra pas non plus cette structure défensive. Dans les années 1920, la Petite Entente fonctionna assez bien et, en 1933, elle passa par une phase de consolidation, via le « pacte d’organisation » et la convention militaire unique2. En juin 1936, la Petite Entente proposa même à la France un traité erga omnes pour une défense commune contre les révisionnistes, mais sans succès. Sous la pression des États révisionnistes et du fait que ses membres ne considéraient pas exactement les mêmes pays en tant qu’adversaires, la Petite Entente commença à se désintégrer en 1936 et disparut en 1938 avec les accords de Munich. La Roumanie n’eut pas l’occasion d’intervenir pour protéger son allié tchécoslovaque, puisque Paris et Londres avaient accepté la politique d’apaisement à l’égard de Berlin, avec comme conséquence directe le démembrement de la Tchécoslovaquie. Tandis que la Pologne profita de cet événement pour agrandir son territoire, se comportant donc en État révisionniste, la Roumanie se contenta de ses frontières en espérant préserver ce qui restait du système de Versailles.
8Le 9 février 1934, l’Entente balkanique était née de la signature à Athènes d’accords de défense bilatéraux par les représentants de la Grèce, de la Roumanie, de la Yougoslavie et de la Turquie - la raison étant l’anxiété ressentie face aux pays révisionnistes : la Bulgarie, la Hongrie et l’URSS. Elle était ouverte à l’adhésion de tout État des Balkans désireux de respecter les principes de la Société des Nations. Elle milita pour le renforcement de la sécurité et la garantie mutuelle des frontières des Balkans. Dès le début, la Turquie obtint une clause qui l’exemptait de la nécessité d’intervenir contre l’URSS. Les Turcs avaient normalisé leurs relations avec les Soviétiques et ne souhaitaient pas se faire un adversaire redoutable, au vu du caractère conflictuel des relations russo-turques depuis plusieurs siècles. Quant à la Grèce, elle ne voulait pas d’un conflit ouvert avec l’Italie. Ainsi, la stratégie de Take Ionescu comportait d’emblée des handicaps, par exemple les relations tendues entre la Pologne et la Tchécoslovaquie, qui empêchaient les Polonais de rejoindre la Petite Entente, et les relations difficiles entre la Grèce et la Yougoslavie. De plus, la Grèce et la Turquie ne pouvaient oublier leur longue guerre extrêmement violente de 1919-1922. La dernière séance de l’Entente balkanique eut lieu en fèvrier 1940, mais sans aucun résultat positif.
9Cependant, la question se pose de savoir s’il était vraiment nécessaire, après l’émergence de la Société des Nations, le premier système international moderne de sécurité collective, de créer des alliances classiques, telles que celles qui avaient contribué au déclenchement de la Grande Guerre. La Roumanie était un acteur plutôt actif dans la Société des Nations et, bénéficiant de la personnalité de Nicolae Titulescu, elle joua un rôle encore plus important et visible que celui que lui aurait normalement permis la taille de sa population, de son territoire ou ses ressources. Mais il s’est avéré que les mécanismes de sécurité collective ne pouvaient fonctionner efficacement que si tous les membres étaient solidaires et prêts à payer le prix nécessaire pour contrebalancer les pays révisionnistes. Or, les États-Unis ne sont jamais entrés dans la Société des Nations (refusant de ratifier le traité de Versailles et donc le statut de la SDN), l’Allemagne et le Japon y sont entrés, puis l’ont quittée d’eux-mêmes (commettant des agressions flagrantes contre d’autres pays), et l’URSS en a été expulsée lorsqu’elle a attaqué la Finlande sans provocation de celle-ci. Ni le pacte Briand-Kellogg (27 août 1928), ni la convention de Londres définissant l’agression (3 juillet 1933) ne purent finalement compléter de manière efficace le mécanisme de sécurité collective de la SDN (qui n’interdisait pas complètement la guerre entre États mais la rendait plus difficile). Dans le même esprit, la Roumanie, avec la Pologne et deux Pays baltes, signa avec l’URSS à Moscou en février 1929 le « protocole Litvinov » pour obtenir des garanties de non-agression.
10La Société des Nations aurait dû lutter plus efficacement contre les agresseurs et les révisionnistes, en les décourageant ou en faisant échouer leurs projets par des moyens militaires, si nécessaire, ou, à défaut, par des sanctions économiques efficaces, à condition qu’elles fussent appliquées de manière uniforme, transparente et conjointe par tous ses membres. Le président américain Woodrow Wilson avait conçu la SDN comme un mécanisme destiné à éviter la répétition de guerres mondiales dévastatrices, provoquées par des perturbations de l’équilibre des puissances, par la diplomatie secrète et le manque de démocratie qui laissait, selon lui, la main libre aux chefs d’États irresponsables, aux dépens de leurs peuples. La SDN se fondait sur la décision commune des pays membres (supposés être tous des pays satisfaits du statu quo territorial de Versailles) de s’opposer, ensemble, à toute tentative de modifier les frontières d’un pays membre par la force. Cependant, il s’est avéré que les dirigeants de certains pays membres n’étaient pas préparés psychologiquement, politiquement et militairement à mettre en œuvre avec détermination les actions nécessaires pour préserver la sécurité collective. La Société ne disposait pas de force armée et dépendait des États puissants pour faire appliquer ses résolutions. Or, ces puissances se montrèrent réticentes à le faire. Les sanctions économiques, qui étaient l’instrument régalien d’intervention de la Société – juste avant l’option militaire – étaient difficiles à imposer et eurent peu d’impact sur les pays visés car ceux-ci pouvaient continuer à pratiquer le commerce avec des pays n’appartenant pas à la SDN ou même avec des pays membres qui dissimulaient leurs activités.
11Le grand problème était lié au fait que Paris et Londres ne manifestèrent pas, jusqu’au compromis de Munich, la volonté politique de créer un vrai bloc militaire commun, tandis que les révisionnistes, dirigés par l’Allemagne et l’URSS, se montrèrent capables de s’entraider, de se soutenir réciproquement. Le pacte de non-agression Ribbentrop-Molotov (23 août 1939) – avec ses protocoles secrets en vertu desquels Allemands et Soviétiques partageaient des sphères d’influence et préparaient peut-être une alliance - illustre avec éclat cette situation.
12La France se montra finalement assez passive sur le plan stratégique, permettant à l’Allemagne de réoccuper facilement la Rhénanie et de la militariser, puis d’accomplir l’Anschluss (union avec l’Autriche) et ensuite d’occuper une grande partie de la Tchécoslovaquie sans faire face à une opposition militaire de la part des défenseurs du système de Versailles, la France et la Grande Bretagne.
13Dans les années 1930, la France et la Tchécoslovaquie avaient signé des traités d’assistance mutuelle avec l’URSS, mais les hésitations de la France et la méfiance des Polonais et des Roumains concernant les véritables intentions des Soviétiques empêchèrent Moscou de rejoindre le bloc franco-est-européen. L’URSS avait besoin de la permission de traverser les territoires de la Pologne et de la Roumanie pour aider la Tchécoslovaquie en cas d’attaque allemande, mais Bucarest et Varsovie craignaient que les vraies intentions des Soviétiques ne fussent le révisionnisme territorial et l’occupation à long terme de leurs pays. Si la Pologne ou la Roumanie assuraient à l’URSS le droit de marcher à travers leurs territoires, il était possible d’envisager un pacte défensif multilatéral, mais Varsovie enjoignit les décideurs roumains de ne pas l’accepter. À Bucarest, certains hommes politiques voulaient permettre aux Soviétiques seulement un transit aérien des forces militaires vers la Tchécoslovaquie. Quant à la Pologne, elle conclut des accords de non-agression avec les deux grands pays qui l’attaquèrent pourtant en septembre 1939 : l’Allemagne et l’URSS.
14Le 21 juillet 1936, Bucarest signa tout de même, à Montreux, le projet de protocole d’assistance mutuelle avec Moscou, mais il n’entra jamais en vigueur car les Soviétiques perdirent confiance dans la détermination de la France à résister à l’expansion allemande vers l’Est. L’accord prévoyait des garanties réciproques de retrait des forces (pour éviter la prolongation de la présence de forces étrangères sur les territoires nationaux des pays signataires) et le Dniestr comme frontière implicite. On devait s’entraider seulement si la France commençait les opérations défensives contre l’Allemagne.
15La destitution de Nicolae Titulescu (le 29 août 1936) fut considérée comme la cause de l’invalidation de ce projet de traité - les Soviétiques estimèrent que la Roumanie avait adopté une autre politique étrangère. Mais il est plus probable que l’URSS n’ait jamais consenti à abandonner la Bessarabie et recherchât seulement les bonnes grâces de Paris et de Londres en signant un traité formel avec Bucarest. Par le pacte de non-agression germano-soviétique, Moscou obtint non seulement la Bessarabie, mais encore le Nord de la Bucovine, qui n’avait jamais été jugé territore « russe » (quoiqu’une minorité slave, ukrainienne, y vive). Comment croire alors qu’elle eût jamais songé à abandonner un territoire (la Bessarabie) qu’elle avait contrôlé pendant plus d’un siècle ? Jusqu’à la signature du pacte de non-agression avec Berlin, seule la peur de l’Allemagne et les négociations en cours avec Paris et Londres ont vraisemblablement empêché Moscou d’occuper la Bessarabie.
16Certes, après le compromis de Munich, la Roumanie rejeta elle aussi l’idée de laisser passer par son territoire les forces soviétiques, surtout pour ne pas provoquer l’Allemagne aussi longtemps que la France ne semblait pas disposée à entreprendre une action décisive contre Berlin.
17La Roumanie a donc probablement un peu trop compté sur la Société des Nations pour éviter une agression (contre elle ou contre ses alliés), mais, on l’a vu, elle disposait également de deux systèmes d’alliance régionaux : la Petite Entente (Roumanie, Yougoslavie, Tchécoslovaquie) et l’Entente balkanique (Roumanie, Grèce, Yougoslavie et Turquie), qui s’ajoutaient à l’alliance défensive avec la Pologne. Le pilier central restait le pacte politique avec la France, pays qui, avec la Russie impériale, l’avait sauvée d’une défaite totale à l’automne de 1916, notamment grâce à l’action de la mission militaire Berthelot. Cependant, elle n’avait pas obtenu un véritable traité militaire avec la France, ce qui était lié au fait de ne pas avoir de frontière avec l’Allemagne. Ces systèmes régionaux ne portaient pas atteinte au mécanisme de la Société des Nations car ils respectaient toutes ses règles et ses normes juridiques. Ils étaient de nature défensive et anti-révisionniste, complémentaire de la SDN. Si la France assumait son rôle de contre-balancier vis-à-vis de l’Allemagne, si elle était prête à envahir la Rhénanie en cas de nécessité, alors Berlin n’était plus capable ni d’attaquer un pays de l’Europe centrale ni d’aider militairement les États révisionnistes de l’Est. L’Allemagne aurait été encerclée et rendu inoffensive, tant elle aurait été faible.
18Même une alliance entre l’Allemagne et la Hongrie, et plus tard entre l’Allemagne, l’Italie et la Hongrie, ne pouvait vaincre, sur le papier du moins, une coalition de la Grande-Bretagne, de la France, de la Pologne, de la Roumanie, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. Mais la France éprouvait une angoisse terrible que ne se répétât la Grande Guerre, qui avait causé tant de victimes et de destructions (une phobie martiale symbolisée, psychologiquement et stratégiquement, par la fameuse ligne Maginot). Cela permit à l’Allemagne de remilitariser la Rhénanie, puis d’occuper l’Autriche et, à partir de 1935, de dominer l’Europe de l’Est sur le plan économique. Ensuite ce fut la « drôle de guerre » : Paris et Londres évitèrent d’attaquer frontalement l’Allemagne, qui était occupée à envahir la Pologne – la campagne de la Sarre fut rapidement arrêtée et Berlin put continuer sa conquête en toute impunité. Mais il est vrai que la Grande Bretagne avait compris après Munich combien le révisionnisme allemand était dangereux. Le 13 avril 1939, elle offrit des garanties de sécurité à la Grèce et à la Roumanie. Le 28 septembre 1939, la Grande Bretagne, la France et la Turquie signèrent un traité trilatéral qui offrait un petit réconfort psychologique aux pays pro-statu quo des Balkans. On pouvait espérer que les révisionnismes hongrois et même bulgare allaient être mieux contrôlés et qu’ils iraient même en diminuant.
19Il était question, aussi bien à Londres qu’à Paris, de favoriser la création d’un « bloc des neutres » dans les Balkans, dont la Turquie aurait été le pilier central et l’Italie un acteur important (Schipor, dans Naumescu 2018:115). Bien sûr, il fallait faire coopérer ces deux pays, or les relations turco-italiennes n’étaient pas des meilleures. L’Italie abandonna le projet après la signature du traité trilatéral Londres-Paris-Ankara. Les gouvernements roumains successifs encouragèrent en revanche le projet, surtout Grigore Gafencu, ministre des Affaires étrangères de février 1939 à juillet 1940. Le 28 octobre 1939 le gouvernement roumain présenta son propre plan de « bloc des neutres » à l’Italie, la Hongrie et la Bulgarie. L’Italie et l’URSS s’opposèrent finalement à ce projet.
20Est-ce que la Roumanie aurait ainsi pu réduire le nombre de ses adversaires potentiels ? Bucarest n’a pas voulu, entre 1919 et 1939, céder à la Bulgarie le Quadrilatère (ou une partie de celui-ci), même si cette idée était acceptable pour une partie de la classe politique roumaine. En réalité, elle craignait que la Hongrie et l’URSS fissent immédiatement, elles aussi, des demandes de révision des frontières. Moscou et Budapest étaient vus comme des révisionnistes qui ne se contenteraient pas de petites rectifications de frontières. Ainsi, la seule façon pour qu’ils se tinssent tranquilles, c’était soit de les décourager par un système d’alliances et celui de la sécurité collective, soit de leur donner satisfaction. L’Allemagne hitlérienne elle-même avait proposé en 1935 au roi Charles II de Roumanie un traité d’amitié qui contenait une clause de reconnaissance des frontières du pays et était accompagné d’un traité commercial.
- 3 Pour aider efficacement la Pologne, la France et la Grande Bretagne auraient dû entrer en guerre (...)
21Bien sûr, la Pologne fut l’une des grandes victimes de l’agression combinée des régimes totalitaires mais, hélas, elle contribua à son malheur, en agissant comme un acteur révisionniste envers la Tchécoslovaquie, de connivence avec la Hongrie pro-allemande (Mareş 2010: 92-94). Elle fut leurée par son pacte de non-agression avec l’URSS (1932) et par la déclaration commune polono-allemande sur leurs frontières (1934). Le pacte Molotov-Ribbentrop conduisit au partage de la Pologne entre Berlin et Moscou à la fin de 1939. Certes, Paris et Londres entrèrent en guerre pour aider la Pologne3, mais leur action ne fut pas efficace, ce qui conduisit à la disparition de la Pologne de la carte de l’Europe pour plusieurs années.
22Le système défensif qui garantissait les États et les frontières issus des traités de Versailles et assimilés était très asymétrique et dépendait de la puissance et de la volonté d’agir de la France et, du moins théoriquement, de la Grande Bretagne, bien que ces deux puissances n’eussent pas bâti d’alliance solide dans les années 1920. De plus, les alliés de l’Europe orientale n’avaient pas tous exactement les mêmes adversaires principaux. Leurs priorités en matière de menaces étaient différentes, et parfois certains d’entre eux avaient des arrière-pensées révisionnistes l’un envers l’autre - la dispute durable de la Pologne avec la Tchécoslovaquie pour le territoire de Teschen en est l’exemple classique. Les grands révisionnistes (l’URSS et l’Allemagne nazie) étaient sans aucun doute des structures impériales supports d’idéologies totalitaires et qui n’avaient aucune considération pour les règles du droit international, l’être humain et la paix. Les petits révisionnistes (Hongrie, Bulgarie) recevaient des signaux de soutien de la part des « grands prédateurs » et ils ne se laissèrent plus impressionner, après les accords de Munich, par les défenseurs du système de Versailles. La Roumanie a tiré son épingle du jeu dans les années 1920 et dans les années 1930 jusqu’au moment où Paris et Londres ont commencé à pratiquer une politique d’apaisement vis-à-vis de l’Allemagne, en dépit des actions subversives menée par le Reich. Elle est passée du côté de l’Allemagne et de ses alliés de l’Axe après la perte de certains territoires en 1940 (en faveur de trois pays révisionnistes : l’URSS, la Hongrie et la Bulgarie), et à la suite de la débâcle de la France et, dans une moindre mesure, de la Grande Bretagne, en 1939-1940.