1La première expérience théâtrale importante dont Juan Mayorga se souvienne et qui pourrait marquer l’origine d’une vocation pour le théâtre remonte au tout début des années 1980, lorsque le dramaturge était encore adolescent. C’est une expérience qu’il raconte souvent dans ses interviews et que nous retranscrivons ici :
En el instituto nos dicen que tenemos que ir a ver Doña Rosita la soltera, que en ese momento se estaba poniendo en el María Guerrero, con dirección de Jorge Lavelli y protagonizada por Nuria Espert. Veo aquel espectáculo con otros compañeros probablemente tan poco preparados como yo para entender algo así. Entonces descubro el teatro como arte de la imaginación y me convierto en un aficionado. Aquel 81 fue un año tremendo; fue el año del golpe pero también de otras muchas cosas, y uno sentía que estaba tocando el mundo con las yemas los dedos. En ese momento me convierto en un espectador entusiasta, con algún otro amigo que hoy sigue siéndolo; si tenía algún ahorro, solía gastarlo en libros o en teatro.
Escribía, ya lo he dicho, narrativa y poesía. En un momento dado empiezo a ensayar tímidamente el teatro y escribo algunas obras que no he querido luego destacar. Una se llamaba Albania, otra Los caracoles. No creo que las publique nunca. También escribo El pájaro doliente, que quizá rescate algún día, y por fin Siete hombres buenos, la primera que publiqué […]. (Mayorga 2014a)
- 1 Voir notamment Ragué-Arias 1996, chap. 9 : « La generación que nace en torno al premio Marqués de (...)
2Siete hombres buenos (Mayorga 1990) remporte en 1989 l’accessit du Prix Marqués de Bradomín, prix créé en 1985 à l’initiative de Jesús Cracio qui récompense des auteurs de moins de trente ans. Ce prix a révélé l’existence de plusieurs auteurs ayant percé ensuite dans le métier. L’exemple le plus parlant est peut-être celui de Sergi Belbel, mais le prix a été un tremplin également pour d’autres dramaturges comme Antonio Onetti, Alfonso Plou, Rodrigo García, Pablo Ley ou Antonio Álamo (Gracía 2000 : 527). L’accessit qu’obtient Juan Mayorga en 1989 lui vaudra d’ailleurs d’être classé dans ce que les critiques appellent « la génération Bradomín »1, appellation qui ne manque cependant pas d’être maladroite car, bien que regroupant des auteurs primés dans les années immédiatement postérieures à la création du prix (deuxième moitié des années 1980 et années 1990), elle ne rend pas compte des différents chemins esthétiques et des diverses thématiques qu’ils choisiront tout au long de leur parcours et qui apparaissaient déjà lorsque leurs textes ont été primés :
Me parece que esa etiqueta expresa la incapacidad de encontrar una denominación que aluda a un lenguaje compartido, a un tema común, a un acontecimiento fundante. Engloba a personas que escribimos con una gran diversidad temática y formal y que solo coincidimos en haber tenido algo que ver con ese premio –que yo nunca gané–. El premio tiene un nombre muy bonito, Marqués de Bradomín, pero la expresión «Generación Bradomín» no me parece muy útil para hacer historia de la literatura dramática. (Mayorga 2014a)
L’accessit permit néanmoins à Juan Mayorga de commencer à se faire connaître et d’intégrer durant l’année 1989-1990 le Centro Nacional de Nuevas Tendencias Escénicas (CNNTE). Ce centre, créé en 1984 et qui fermera ses portes en 1994, fut l’un des plus importants pour la promotion d’auteurs, de groupes, de compagnies et de collectifs à caractère expérimental ou avant-gardiste (Oliva 2004 : 122). Son directeur, pendant les dix années d’existence du centre, fut Guillermo Heras, une personnalité importante du milieu théâtral espagnol qui n’a jamais cessé de promouvoir la création contemporaine :
- 2 Pour un aperçu des dix années de création du CNNTE, voir Heras 1994.
No es difícil relacionar la procedencia de este creador [Guillermo Heras] con las intenciones del CNNTE. Director del grupo Tábano en su última etapa, fue uno de los grandes animadores del teatro independiente y, como tal, luchador contra la dictadura. Su presencia garantizaba un talante y una línea de investigación rigurosos, y de hecho su labor no consistió únicamente en producir o ayudar a producir obras más o menos experimentales, sino que organizó seminarios, abrió una línea de publicaciones, organizó encuentros internacionales y, en definitiva, se convirtió en uno de esos referentes imprescindibles a la hora de realizar alguna actividad relacionada con la escena anticonvencional2. (Oliva 2004 : 122-123)
- 3 L’initiative de ce collectif avait été prise en 1993 sans Guillermo Heras mais c’est véritablemen (...)
3Guillermo Heras est une des rencontres importantes dans le parcours de Juan Mayorga puisqu’en 1995 il rejoint le collectif théâtral El Astillero fondé par le dramaturge avec José Ramón Fernández, Luis Miguel González Cruz et Raúl Hernández Garrido3. Le CNNTE a véritablement promu et stimulé les dramaturges les plus représentatifs de la fin du xxe siècle, dramaturges qui étaient à peine connus en 1985 : mis à part Juan Mayorga, citons Ernesto Caballero, Leopoldo Alas, Alfonso Armada, Antonio Fernández Lera, Marisa Ares, Vicente Molina Foix, Javier Maqua, Álvaro del Amo, Ignacio del Moral, et encore une fois Antonio Onetti, José Ramón Fernández et Raúl Hernández Garrido (Oliva 2004 : 123). C’est aussi à travers ce centre que notre auteur suivra ses premiers ateliers et se formera à l’écriture dramatique.
4En effet, Juan Mayorga précise qu’il n’a pas étudié la dramaturgie à la RESAD ou à l’Institut de Teatre, mais qu’il s’est formé grâce aux lectures et aux ateliers (Mayorga 2010). Au CNNTE, il suit l’atelier de Paloma Pedrero durant l’année 1990 (Pedrero 2014) et celui de Marco Antonio de la Parra en 1992 (De la Parra 2008). Dramaturge et psychiatre chilien, Marco Antonio de la Parra, alors attaché culturel de l’Ambassade du Chili en Espagne, est engagé par Guillermo Heras en 1991 afin de diriger un atelier de dramaturgie. Cet atelier dure quatre mois mais l’expérience est telle que le professeur et ses élèves décident de continuer à travailler ensemble (De la Parra 2015). Lorsque, durant l’été 1993, Marco Antonio de la Parra retourne au Chili, l’aventure continue sans le maître avec la fondation du collectif El Astillero que nous avons déjà mentionné. Juan Mayorga cite souvent le nom du dramaturge chilien et reconnaît l’importance qu’a eue son enseignement dans son parcours. Nous remarquons, avec Claire Spooner, les aspects dramaturgiques suivants réunissant nos deux hommes de théâtre :
- 4 Claire Spooner cite De la Parra 2008.
- 5 Pour un aperçu de la production dramatique de Marco Antonio de la Parra, voir Albornoz Farías 200 (...)
[…] les influences de Marco Antonio de la Parra dans l’œuvre de Mayorga sont visibles dans sa conception du théâtre comme d’un espace qui se rapproche du rêve, dans la manière dont les mots font exister comme par magie, l’espace et l’action. En effet, de la Parra lie psychiatrie et pratique de l’écriture théâtrale, et pour lui, l’art a une fonction similaire à celle des rêves dans l’être humain. […] il va de soi que le langage a autant d’intérêt chez le Chilien que chez le Madrilène. Le premier y voit le dénominateur commun à ses deux facettes de psychiatre et dramaturge […]. La valeur des mots est mise en avant chez Juan Mayorga, et c’est de leur interaction que dépendent chez lui la densité et la force d’une œuvre théâtrale. Par ailleurs, chez Marco Antonio de la Parra, la mise en scène de l’histoire a lieu dans une optique similaire à celle de Mayorga : « Hay que contar historias desde los muertos para los vivos »4 ; ses inquiétudes personnelles s’imbriquent à des questionnements historiques : autant de manières d’appréhender le théâtre et d’écrire qui se retrouvent au cœur de l’œuvre de Mayorga5. (Spooner 2013 : 45-46)
5Il existe également un magistère dont notre auteur se réclame et qui est celui de José Sanchis Sinisterra. Il suffit de lire le prologue que Juan Mayorga consacre à l’ouvrage La escena sin límites (2012 : 25-28) pour se rendre compte de l’importance qu’exerce chez lui le dramaturge valencien. En effet, Sanchis Sinisterra est non seulement un auteur de pièces dramatiques mais aussi un très grand théoricien du théâtre. Juan Mayorga théorise aussi la pratique théâtrale et a à son actif de nombreux articles sur le sujet. En 2016, la maison d’édition La uÑa RoTa, qui avait publié deux ans auparavant la production dramatique presque complète de l’auteur (Mayorga 2014b), a réuni une série d’essais, d’articles et de conférences sous le titre Elipses (Mayorga 2016), offrant au lecteur un panorama de ses textes théoriques écrits entre 1990 et 2016 et qui, d’ailleurs, ne couvrent pas seulement le domaine du théâtre. Pour en revenir au prologue de Mayorga, il est frappant de voir que de nombreux aspects du travail dramaturgique de Sanchis Sinisterra qu’il commente se retrouvent dans son propre théâtre. Juan Mayorga parle par exemple d’une théâtralité mineure et d’un spectateur qui, dans le théâtre de Sanchis Sinisterra, a toute sa place pour venir combler les manques du texte et participer ainsi de manière constructive au phénomène théâtral :
- 6 Claire Spooner (2013 : 41-44) parle d’une « écriture du creux » en se basant sur ce que Monique M (...)
La contracción del texto coincide con la dilatación del espacio interlineal, que es precisamente el del receptor. El silencio, el vacío, la oscuridad, la pausa […] son la tierra que el autor cede para que el espectador levante casa desde su propia experiencia6. (Mayorga 2012 : 25)
- 7 Nos travaux, encore inédits, concernant cette question sont les suivants : « Théâtralité elliptiq (...)
- 8 Cette idée repose en particulier sur une conception benjaminienne du temps, où s’opèrent la grand (...)
Cet aspect est quelque chose de fondamental dans la dramaturgie de Juan Mayorga. Himmelweg, par exemple, est précisément une pièce où les béances du texte sont nombreuses, béances que le spectateur est amené à combler et qui nourrissent ce que l’on appellera une théâtralité elliptique7. Ce concept de théâtralité elliptique fait non seulement appel à l’ellipse en tant que figure stylistique (qui, en espagnol, se dit elipsis) mais également à l’ellipse en tant que figure géométrique (elipse, en espagnol) que Juan Mayorga explicite dans un texte qu’il consacre à Walter Benjamin (Mayorga 2010b). Ce texte – « Elipses de Benjamin » – est d’ailleurs le premier qui s’offre au lecteur du recueil d’écrits théoriques publié aux éditions La uÑa RoTa. L’ellipse, pour Mayorga, caractérise le regard de l’artiste, de l’historien ou du philosophe. C’est une manière de voir le monde, un regard dialectique qui associe des objets apparemment distants mais dont l’association insolite fait apparaître des espaces inédits8.
6Concernant Sinisterra, Mayorga nous parle d’une véritable « emancipación del espectador donde descubrimos el núcleo del compromiso moral y político de Sanchis » (2012 : 26). Ce souci d’un spectateur émancipé et responsable, fruit d’une conception hautement politique du théâtre et d’une exigence morale vis-à-vis du récepteur, est encore une fois un des fondements de la dramaturgie mayorguienne. La parole, enfin, qui semble avoir retrouvé, notamment grâce à Sanchis Sinisterra, une place centrale au sein du fait théâtral, est un des domaines les plus féconds qu’ait travaillé le dramaturge valencien. D’autant plus qu’il s’agit d’une parole insuffisante et blessée, nous dit Mayorga, « incapaz de hacerse cargo de este mundo y, sin embargo, capaz de mostrar – más que de decir – otros mundos. […] el trabajo en torno a la palabra alterada es un paradigma de la misión que Sanchis se ha dado » (2012 : 27). Cette place de la parole au théâtre, ainsi que la difficulté de dire le monde, notamment le monde d’après-Auschwitz, est essentielle aussi chez Juan Mayorga. La question de la parole est d’ailleurs fortement liée à celle de la représentation, et plus précisément au problème de la représentation de l’irreprésentable. Une des leçons que Mayorga retient de Sanchis Sinisterra est celle de « convertir esa imposibilidad en una opción ética y estética » (2012 : 28), idée qu’il applique pleinement dans sa production dramatique et qu’il reprend et développe dans ses réflexions théoriques sur le théâtre, tout particulièrement lorsqu’il aborde les rapports entre représentation et Holocauste (Mayorga 2007). Pour résumer, il ne fait aucun doute que l’écriture de Juan Mayorga, qui reste évidemment une écriture propre et singulière, ainsi que sa conception du théâtre sont en quelque sorte héritières des enseignements de José Sanchis Sinisterra :
- 9 Juan Mayorga fait référence au Teatro fronterizo de José Sanchis Sinisterra, initié en 1977, et à (...)
La influencia del Fronterizo no es reducible a la ejercida sobre los espectadores que vieron sus espectáculos. Así como el valor de la Beckett no se agota en las obras en ella exhibida, ni en los hombres y mujeres que se han formado en sus talleres9. La Beckett y el Fronterizo han sido, ante todo, espacios morales. Han servido para tensionar un sistema teatral dominado por la inercia. Muchos les debemos mucho. (Mayorga 2012 : 28)
Par ailleurs, lorsqu’on se penche sur les écrits théoriques de José Sanchis Sinisterra, on est frappé par des réflexions sur les dramaturgies contemporaines qui ont fait et qui font encore le théâtre d’aujourd’hui. Certaines de ces réflexions sont très utiles pour appréhender la production dramatique de Juan Mayorga. Si nous devions citer trois noms auquel son théâtre est redevable (de manière implicite ou explicite), ce serait ceux de Brecht, Kafka et Pinter.
7L’héritage brechtien, même si Mayorga s’en démarque sur plusieurs aspects, est indéniable dans son théâtre. Sinisterra rappelle dans un article les apports de Bertolt Brecht pour la dramaturgie occidentale contemporaine (2012 : 95-102). Avec Brecht, le concept romantique de la création artistique, faisant de l’artiste un être solitaire et mystérieux dont l’imagination surgit du « souffle de l’inspiration », cède la place à une idée plus collective de la création où l’artiste utilise consciemment les matériaux littéraires d’autrui et part ainsi d’une tradition littéraire qu’il adapte, parodie ou transforme (2012 : 97). Mayorga n’est pas étranger à une telle pratique et nombre de ses pièces naissent à partir de matériaux préexistants. Pensons par exemple à Himmelweg dont le monologue du délégué de la Croix Rouge est explicitement inspiré de l’entretien que Maurice Rossel avait accordé à Claude Lanzmann dans son film Un vivant qui passe (1997). Pensons également à la pièce Job qui confronte quatre récits de la souffrance de l’homme et de son appel à Dieu, récits encore une fois explicitement inspirés du Livre de Job et de trois témoignages de l’horreur des camps (La nuit d’Elie Wiesel, Yossel Rakover s’adresse à Dieu de Zvi Kolitz et Une vie bouleversée. Journal 1941-1943 d’Etty Hillesum). Un autre aspect intéressant que Sinisterra remarque dans les apports de la dramaturgie brechtienne pour le théâtre contemporain est ce qu’il appelle le « dépassement du concept lukacsien de réalisme » :
En el campo del materialismo dialéctico, en el que Brecht milita, son muchos los prejuicios que […] tienden a identificar toda estética progresista con el llamado «realismo socialista». De este rigorismo estrecho […] es partícipe en cierto modo la concepción estética de Lukács que, proponiendo como cimas de la literatura realista las obras de Balzac, Stendhal y Tolstoi, pretende someter la captación de una realidad siempre cambiante a unas estructuras formales fijas […] en el realismo brechtiano caben el simbolismo, la alegoría, la parábola, la estilización, el convencionalismo, la farsa, así como la introducción de elementos puramente imaginativos –sueños, visiones, apariciones sobrenaturales, etc.–, todo ello, naturalmente, en cuanto que posee una carga significativa y evocadora –léase reveladora– capaz de despertar en la conciencia del espectador la captación de zonas profundas de la realidad histórica. (Sanchis Sinisterra 2012 : 98)
- 10 La fin des idéologies, que Mayorga reconnaît dans le cadre qui est celui de la postmodernité, nou (...)
8Le théâtre de Mayorga, qui n’est absolument pas un théâtre à thèse (un théâtre cherchant à imposer au spectateur une manière d’appréhender le monde), n’en reste pas moins marqué par un certain didactisme. Consciemment ou non, Mayorga nous offre des pièces où, souvent, un des personnages prend en charge un discours que le dramaturge semble vouloir souligner. Il demeure que Mayorga ne donne jamais de réponse définitive dans son théâtre. Le débat reste toujours ouvert, à charge pour le spectateur d’entamer ou non une réflexion, voire une prise de conscience. Et cette possible prise de conscience, qui chez Brecht s’inscrivait dans la ligne du matérialisme historique, n’est plus connotée idéologiquement chez Mayorga10. Mais ce qu’il y a de frappant dans la citation de Sinisterra, c’est de voir à quel point les modalités du réalisme brechtien se retrouvent dans le théâtre de Mayorga. En effet, dans les pièces de notre dramaturge, on trouve de nombreux référents historiques (la Guerre civile espagnole, l’exil républicain, la Shoah, la Guerre froide, le stalinisme), des faits de société (la pédophilie, le terrorisme, la censure, la figure de l’étranger), des personnages identifiables (des employés d’entreprise, des joueurs d’échecs, un critique théâtral, des artistes, un enseignant, une traductrice, un militaire, un agent secret, des parents, des enfants, une religieuse, un scientifique, etc.), des lieux appartenant à notre réel (immeuble, maison, bar, train, zoo, commissariat, salle de classe, prison, cave, hôpital, hôtel, etc.), bref, le théâtre de Mayorga est, sans aucun doute, marqué par un certain réalisme. Cependant, il ne s’agit jamais d’un réalisme strict, excluant tout recours qui n’aurait pas pour but celui de représenter le réel, mais, tout comme chez Brecht, d’un réalisme ouvert à l’allégorie, à la parabole et au symbolisme. Il s’agit d’un réalisme hybride, où l’on reconnaît des images du réel mais qui sont toujours des images travaillées par le langage, les silences, la scène, la théâtralité, etc. La mise en scène d’animaux humanisés – les chiens cervantins Cipión et Berganza dans Palabra de perro, la tortue Harriet dans La tortuga de Darwin, le singe blanc du zoo de Barcelone dans Últimas palabra de Copito de Nieve, ou encore les trois chiens compétiteurs dans La paz perpetua – en est un bon exemple.
9La distanciation brechtienne, véritable mode de reproduction dramatique de la réalité « de forma que el espectador no se vea obligado, por la fuerza coercitiva del espectáculo, a identificarse con la acción, a vivirla en sí mismo, una vez aceptada la ficción como “realidad posible”, mediante la participación emocional » (Sanchis Sinisterra 2012 : 99), est aussi largement utilisée par Mayorga. L’exemple le plus parlant est peut-être celui de la pièce Hamelin (pièce, entre autres thèmes, sur la pédophilie) où le personnage de l’Acotador (le Didascale) empêche toute implication émotionnelle du spectateur et favorise chez lui un regard critique. Car il s’agit bien, par cet effet de distanciation, de mettre à bas les illusions qui peuplent notre réalité quotidienne et d’adopter une vision plus critique. L’illusion du petit garçon pour qui tout va bien est détruite dans la pièce de Mayorga par ce Didascale qui ne cesse de briser l’identification fictionnelle et d’interrompre l’émotion du spectateur. Il importe à ce dernier de voir au-delà de l’illusion, au-delà de l’artifice. Hamelin n’est d’ailleurs pas la seule pièce de notre dramaturge à vouloir faire voir au-delà de la farce. Himmelweg est, à cet égard, construite de manière magistrale.
10Un autre nom que nous avons évoqué est celui de l’écrivain tchèque Franz Kafka, qui résonne véritablement dans plusieurs pièces de Juan Mayorga. Notre dramaturge, en effet, par le biais notamment de sa réflexion doctorale sur la politique et la mémoire chez Walter Benjamin, aborde la littérature kafkaïenne dont nous retrouvons un fort écho dans sa production dramatique. Nombre de pièces de Mayorga mettent en scène, à l’instar de Kafka, des victimes, des personnages impuissants face au pouvoir, un pouvoir d’ailleurs mythifié, énigmatique, et face auquel l’homme est coupable sans pouvoir véritablement savoir pourquoi. Ces personnages, qui souffrent d’une grande solitude, partagent secrètement une culpabilité commune, qui renvoie inévitablement à la faute originelle. Cette mythification du pouvoir ou de la loi, source d’une grande violence à l’encontre de l’impuissant, amène, tous comme chez Kakfa, les personnages à s’effacer et à devenir insignifiants, voire, métaphoriquement, à s’animaliser. C’est cette métaphore de l’animalisation kafkaïenne que Mayorga exploite dans son théâtre : Animales nocturnos et Palabra de perro sont, à cet égard, tout à fait significatifs. Il utilise aussi la figure de la victime et de l’impuissant et, la couplant avec les développements benjaminiens sur celle des vaincus et des oubliés (n’oublions pas que Walter Benjamin a beaucoup écrit sur Kafka et que les deux auteurs se rejoignent sur de nombreux points), il nous offre des pièces comme Siete hombres buenos, El jardín quemado, Himmelweg, La tortuga de Darwin ou encore El Cartógrafo. Face à la violence, le personnage kafkaïen ne résiste pas et, ce faisant, il est « dans l’espoir d’une transcendance par le sacrifice » (Jongy 2011 : 787). C’est de cet effacement face au pouvoir, de cette non-opposition à la violence, « de la nostalgia de una ley que no se conozca sólo en el castigo [y de] un Dios ante el que el hombre no sea siempre culpable » (Mate et Mayorga 2008 : 65) que surgit l’espoir. Cette dimension messianique – très présente chez Kafka mais aussi chez Benjamin qui développe une philosophie de l’Histoire basée sur une combinaison paradoxale entre matérialisme et messianisme – est un des traits marquants de la dramaturgie mayorguienne. Encore une fois, des pièces comme El Cartógrafo, Himmelweg, Más ceniza, Job ou Angelus Novus sont parlantes quant à cet aspect.
11Mais c’est aussi sur un plan dramaturgique, et non seulement thématique, que l’influence kafkaïenne se fait sentir. Emilio Peral Vega, dans une édition critique de Hamelin et La tortuga de Darwin, souligne la résonance de la dimension dramatique des romans de Kafka dans la disposition scénique de certaines pièces de notre auteur. La notion de juzgado silente (« tribunal silencieux »), qu’il repère dans Le procès, se prête en effet tout particulièrement à la disposition de l’espace dans des pièces comme Hamelin ou Himmelweg :
En El proceso, Franz K. asiste, sin saber aún de lo que es acusado, a la vista oral de un tribunal celebrada en un lugar inhóspito de una finca marginal. Frente al presunto jurado, y ante la carencia de argumentos para defenderse de un delito inexistente, siente la presencia de otro jurado, aquel que, en el mutismo más absoluto, llena la sala y lo observa, camuflado en lo oscuro, mientras declara. […] el episodio se puede trasladar perfectamente a la disposición espacial del teatro, con un juzgado silente que asiste, sin intervenir, a la humillación y condena de unos personajes. Quizás el ejemplo más emblemático sea el representado por Hamelin, con un público que, tensionado por el caso de pedofilia que se presenta ante sus ojos, acaba por sentirse, impedido en la expresión de su contrariedad, al mismo nivel que los verdugos, entendiendo por estos no sólo al pedófilo, sino también a los padres, la policía y demás estamentos implicados. Y también en Himmelweg, puesto que somos nosotros, los espectadores, quienes asistimos a la representación de la farsa en virtud de la cual los judíos viven, confinados en el campo de concentración, en la más idílica comodidad. Somos un jurado silente que adquiere, precisamente por su mutismo, la condición de cómplices de la mentira nazi y, en consecuencia, el mismo grado de deshumanización que sus valedores. (Peral Vega 2015 : 46)
12Sans rentrer plus en détail dans la dramaturgie mayorguienne, nous insisterons avec Sanchis Sinisterra sur la théâtralité de l’écriture de Franz Kafka qui est pour beaucoup dans la fascination que son œuvre a exercée sur les hommes de théâtre, une œuvre « capaz de desplegarse en torno nuestro como un Universo paralelo, tan real como eso que llamamos “realidad”, [porque] está configurado con la misma sustancia que el teatro, ese corpóreo simulacro de la vida y de los sueños » (2012 : 103-104).
13Un troisième nom que nous avons évoqué est celui d’Harold Pinter. Le détour vers ce célèbre dramaturge britannique nous permet de revenir un court instant sur la chronologie du parcours de Juan Mayorga. En effet, notre auteur assiste en 1998 à l’École d’été internationale du Royal Court Theatre de Londres. Lors de ce séjour, il est l’élève de Sarah Kane et de Meredith Oakes. Dans un texte intitulé « Mi recuerdo favorito de Sarah Kane », il rend hommage à la dramaturge qui se suicida en février 1999, alors qu’elle n’avait encore que 28 ans :
- 11 La date de ce document, qui fait partie d’un ensemble d’archives personnelles que Juan Mayorga no (...)
[…] Me disgusta cuando oigo asociar a Sarah Kane al odio y a la violencia. Yo creo que todo su teatro, como aquel poema que interpretó ante nosotros, está lleno de amor. El amor es el gran tema del teatro de Sarah Kane. La Sarah que yo conocí quería a la gente y se ganaba el amor de la gente. Por eso, no entiendo que se la incluya entre los propagandistas de la desesperación. La Sarah que yo conozco, y la que encuentro en su teatro, está llena de la esperanza de los que aman mucho. (Mayorga)11
14Lors de ce même séjour, Juan Mayorga eut la chance de rencontrer Harold Pinter, dont le théâtre, à n’en pas douter, a exercé une influence certaine sur sa propre dramaturgie. Dans un texte intitulé « Harold Pinter, verano de 1998 », il nous fait part de l’habileté du dramaturge à capter et à représenter la violence :
- 12 Archives personnelles de l’auteur.
[…] En mi memoria aparece como un hombre de fortísima personalidad que sin embargo conseguía no invadir, no reducir a quienes se le acercaban. Lo recuerdo como un ser humano esencialmente no violento. De ahí su extraordinaria capacidad –que atraviesa su obra– para detectar la violencia y representarla. Recordar a Pinter me hace pensar en la descripción que hace Franz Kafka en «El castillo» sobre el personaje de Barnabás, el mensajero. Kafka –otro experto en violencia– lo describe así: «Barnabás era más o menos alto como él, pero su mirada parecía descender hacia K., aunque lo hacía de una manera casi humilde, pues era imposible que aquel hombre humillase a nadie. Sin duda, era solo un mensajero, no conocía el contenido de las cartas que tenía que llevar, pero también su mirada, su sonrisa, su forma de andar parecían un mensaje». En el verano de 1998 también Pinter, con su sonrisa, con su mirada, con su palabra generosa y compasiva, nos entregó un mensaje tan hermoso como su obra. (Mayorga)12
15Le « théâtre de la menace » d’Harold Pinter – expression que l’on a utilisée pour qualifier une bonne partie de son œuvre – est une des influences qui s’exerce dans l’œuvre de Juan Mayorga. Animales nocturnos, par exemple, née d’ailleurs à partir d’une autre pièce – El buen vecino – que l’auteur avait écrite pour le Royal Court Theatre, déploie, bien que différemment, les mécanismes de ce théâtre, dit de la menace, développé par le dramaturge britannique :
Avec L’anniversaire, Harold Pinter a créé le modèle de ce que l’on a appelé le théâtre de la menace, et qui a suscité de nombreux disciples, tant en Angleterre que dans le monde entier. On y voit confrontés deux univers antinomiques : d’une part, des personnages apparemment banals, qui vivent tant bien que mal dans une sorte de cocon grisâtre, faux refuge contre le monde extérieur ; et d’autre part, des inconnus apparemment dangereux, qui font irruption dans ce sanctuaire pour s’emparer d’une victime terrorisée et, étrangement, presque consentante. Pourtant, ce qui pourrait être un drame macabre baigne dans un humour de tous les instants, fait de jeux de mots et de décalages absurdes entre le comique et le tragique. (Pinter 1968 : 4e de couverture)
16Dans la pièce Animales nocturnos, il est aussi question d’un personnage envahisseur et de deux univers antinomiques (deux couples de voisins qui vont voir leur vie basculer suite à un chantage exercé par l’un des personnages). La menace est constante, mais elle n’est jamais abrupte, elle n’est jamais saillante. Au contraire, elle est toujours latente et installe une atmosphère particulière qui nous rappelle les pièces de Pinter. Un autre exemple de personnage menaçant et envahissant se trouve dans la pièce El chico de la última fila. Le jeune élève, Claudio, pénètre peu à peu l’univers de son professeur de lettres. Par un jeu magistral sur les espaces et les temps, et sur les différents niveaux de fiction, Mayorga nous propose une pièce où la violence, encore une fois, s’apparente à une menace, toujours en attente et sous-jacente, faisant naître au sein du quotidien des personnages, tout comme dans le théâtre de Pinter, un sentiment d’étrangeté. Avant d’en terminer avec la poétique pinterienne, notons avec Sanchis Sinisterra (2012 : 132) qu’un des ressorts du « théâtre de la parole et du silence » de l’auteur britannique – ainsi le qualifie-t-il – consiste dans la représentation des stratégies, subtiles ou brutales, de domination, de résistance et de rébellion. Nous constaterons que le théâtre de Mayorga partage cette même intention. Notons également qu’il y a dans le théâtre pinterien une tentative de dépasser et de radicaliser le concept de réalisme, son œuvre renvoyant à un monde reconnaissable et concret mais où, nous le disions précédemment, une inquiétante étrangeté envahit et trouble le quotidien des personnages et la normalité des choses. Et l’auteur valencien d’ajouter :
Lo que sus dos «maestros», Beckett y Kafka, habían incorporado a sus escrituras como sustancia constituyente de mundos poéticos paralelos a nuestra confortable imagen de la realidad, Pinter lo descubre y lo instala en el corazón mismo de esta imagen, en nuestras casas, en nuestras familias, en nuestra sociedad […]. (Sanchis Sinisterra 2012 : 133)
- 13 Cette parenté est patente à la lecture d’un texte de Juan Mayorga intitulé « El dramaturgo como h (...)
17Voilà donc trois noms – Pinter, Kafka et Brecht – qui se révèlent intéressants lorsqu’il s’agit d’aborder le théâtre de Mayorga. Bien évidemment, cette liste n’est pas exhaustive, car les pièces du dramaturge convoquent un réseau complexe d’héritages, mais elle nous permet néanmoins d’introduire son théâtre en offrant un premier cadre conceptuel et dramaturgique. L’héritage vallérien dans la dramaturgie mayorguienne est, par exemple, un autre point que Claire Spooner aborde opportunément en se penchant sur la tragédie et le drame historique, ainsi que sur le thème de l’aveuglement et la problématique de la vision chez les deux auteurs13 :
Pour Mayorga, comme pour Buero Vallejo, le théâtre historique est un questionnement de l’ordre établi et du présent à travers la mise en scène de conflits passés ou actuels, de problématiques liées à la violence, à l’abus de pouvoir et à la destruction. […] Il en ressort une lecture de l’histoire dans une perspective critique, qui est proche de la philosophie de l’histoire de Walter Benjamin, l’un des principaux maîtres à penser de notre dramaturge. […] L’aveugle est une figure-clé de la dramaturgie d’Antonio Buero Vallejo caractérisée par sa lucidité : il voit au-delà des apparences, au-delà des mots. Cette clairvoyance ne le conduit cependant pas à un pessimisme absolu (nous avons souligné plus haut que la tragédie vallérienne n’est pas fondamentalement pessimiste), mais plutôt vers quelque chose de l’ordre de ce que Walter Benjamin appelle « l’organisation du pessimisme », à laquelle Mayorga adhère. […] Juan Mayorga, chez qui le regard et le point de vue occupent une place centrale, se réapproprie à son tour la figure de l’aveugle, car elle lui permet de penser et de mettre en scène la possibilité de voir autrement les événements du réel, passés ou présents, de ne pas en rester à la vision communément admise. Ainsi, aussi bien dans ses pièces relevant du « théâtre historique », que dans les œuvres traitant de sujets actuels, la question centrale qui se pose, est le dilemme entre un regard actif, qui souhaite percer les apparences et assumer sa part de responsabilité dans ce qu’il voit (et justement, c’est souvent celui de l’aveugle), ou un regard qui préfère en rester à une confortable cécité.
18citationID
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(Spooner 2013 : 37-40)
- 14 Pensons, entre autres, aux thèses de doctorat de Claire Spooner
20À la lecture de cette citation, nous remarquons que ce lien avec le théâtre d’Antonio Buero Vallejo nous renvoie directement à celui que la dramaturgie mayorguienne entretient, et ce de manière étroite, avec la pensée de Walter Benjamin. Plusieurs spécialistes ont déjà étudié la trace de sa philosophie dans la production dramatique de Juan Mayorga14. Il s’agit probablement de l’héritage le plus important et le plus central pour aborder la question de la violence dans le théâtre de notre auteur.
- 15 Mis en italiques par nos soins dans le texte.
21Rappelons à cet égard que Juan Mayorga devient docteur en Philosophie en 1997 avec une thèse intitulée La filosofía de la historia de Walter Benjamin, sous la direction du Professeur Reyes Mate. Celle-ci est ensuite publiée six ans plus tard, dans une version remaniée, sous le titre de Revolución conservadora y conservación revolucionaria. Política y memoria en Walter Benjamin (2003). Nous ne pouvons pas résister à retranscrire ici les mots de Juan Mayorga concernant son travail doctoral, et où apparaissent déjà plusieurs idées et concepts clés15 de la pensée benjaminienne qui nourrissent son théâtre :
El presente trabajo se enmarca en el campo de la consideración filosófica de la historia. Le conciernen preguntas tales como la de si el presente tiene alguna responsabilidad para con el pasado; la de si es buena para la vida alguna forma de equilibrio entre la memoria y el olvido; la de si en algún sentido se puede hablar de una «verdad de la historia». […] indaga en algunas representaciones de la historia que compiten en la crisis de la modernidad. Quizá ningún otro tiempo problematice su relación con el pasado tanto como la modernidad en su crisis. En ese contexto de crisis, la obra de Walter Benjamin señala el camino para un pensamiento crítico, desmitificador. Confrontado con Ernt Jünger, Georges Sorel y Carl Schmitt –referentes básicos de la revolución conservadora– el filósofo judío aparece aquí como un revolucionario que no se resigne a entregar la tradición a los llamados tradicionalistas; un tradicionalista de las tradiciones olvidadas; un conservador a contrapelo. La memoria de las víctimas, nos dice Walter Benjamin, es la única base sobre la que se puede construir una política no reaccionaria. Una política para la humanidad. (Mayorga 2003 : 4e de couverture)
- 16 Voir la page web du projet « Filosofía después del Holocausto » : http://www.proyectos.cchs.csic. (...)
22Juan Mayorga, loin de dissocier philosophie et théâtre, les unit étroitement, et ce non seulement dans sa production dramatique mais également dans sa profession. Entre 1998 et 2004, il enseigne la dramaturgie et la philosophie à la RESAD (Real Escuela Superior de Artes Dramáticas). Il est également membre de plusieurs projets de recherche à l’Institut de philosophie du CSIC (Consejo Superior de Investigaciones Científicas) : entre 1996 et 1998 pour le projet « El Judaísmo. Una tradición oculta de Europa », et entre 1999 et 2013 pour le projet « Filosofía después del Holocausto » (décliné en plusieurs volets). En outre, entre 2010 et 2013 (durant le dernier volet), il y dirige un séminaire consacré à la question de la mémoire et de la pensée dans le théâtre contemporain16. Enfin, pour terminer de compléter le parcours de notre auteur, remarquons qu’il fonde en 2011 la compagnie théâtrale La loca de la casa, avec laquelle il met en scène sa pièce La lengua en pedazos l’année suivante. Cette première incursion dans la mise en scène de ses propres textes se confirme, en 2015, avec Reikiavik et, en 2016, avec El Cartógrafo. Il dirige également depuis 2014 un Master de Création Théâtrale à l’Université Carlos III.
23Dans l’œuvre de Juan Mayorga, la philosophie, le questionnement philosophique, participent pleinement de la théâtralité et de l’impact sur le spectateur :
La filosofía no es una disciplina académica, es un plan de vida; todos estamos llamados a ser filósofos, también los que hacemos teatro. Por supuesto que el teatro es emoción y es poesía; pero el gran teatro, el mejor teatro, también es pensamiento: el teatro de Shakespeare, el teatro de Calderón, el teatro de los grandes griegos. Siento, he dicho alguna vez, que el teatro puede poner al espectador ante preguntas para las que el filósofo todavía no tiene palabra. El teatro, al igual que la filosofía, nace del conflicto, y puede presentar lo complejo en tanto que complejo y lo conflictivo en tanto que conflictivo. Algo que me ha dado el teatro es la posibilidad de explorar voces distintas de la mía. Por la polifonía propia del texto teatral, puedo defender a personajes en distintas posiciones en una situación conflictiva (pienso en obras como El jardín quemado o La paz perpetua). El teatro puede poner al espectador ante la pregunta, abrir el conflicto al espectador, y quizá hacer que el espectador, si quiere, acaso no en el ahora de la representación pero sí algún día, responda la pregunta o la mantenga abierta como una herida. (Mayorga 2014a)
- 17 Notre thèse de doctorat La violence dans le théâtre de Juan Mayorga : nous tentons dans un premie (...)
24En ce sens, la question de la violence, qui depuis les débuts de la philosophie a été abordée par les penseurs, et que notre auteur considère comme fondamentale dans son théâtre (Gabriele 2009), prend une dimension toute particulière. Mayorga l’aborde sur de nombreux plans et à travers une multitude de thèmes. La violence, dans ses pièces, ne se manifeste que très peu dans son aspect physique. Il s’agit bien plus d’une violence politique, historique, voire métaphysique. Pour l’appréhender, le recours à la pensée de Walter Benjamin est essentiel. Mais Benjamin est loin d’être le seul nom qui puisse être invoqué. Le prisme benjaminien est un seuil, déjà si complexe et si intéressant, qui nous permet de faire un premier pas dans la dramaturgie mayorguienne. Il est un regard qui nous permet de découvrir une partie de ce que le théâtre de Juan Mayorga nous dit sur la violence du monde et sur notre fragile modernité. Il nous faut suivre ce regard et aller un peu plus loin sur la voie que nous laisse entrevoir Benjamin. C’est ce que nous tentons de faire dans notre travail doctoral17 et dans cet ouvrage qui réunit les réflexions de quelques spécialistes de l’œuvre de notre auteur autour de la question de la violence.