Sorin Iftimi, Misiuni diplomatice în România (1916-1918)/ Diplomatic Missions in Romania/ Missions diplomatiques en Roumanie
Sorin Iftimi, Misiuni diplomatice în România (1916-1918)/ Diplomatic Missions in Romania/ Missions diplomatiques en Roumanie, trad. Mălina Andreea Vasiluța, Elena Farca, Alexandra Corina Brutaru, Editura Dark Publishing, București, 263 p.
Texte intégral
1Ces dernières années, dans le contexte des événements dédiés à l’anniversaire du centenaire de l’Union de la Bessarabie, de la Bucovine et de la Transylvanie avec l’Ancien Royaume de Roumanie, ont été publiés dans l’espace historiographique roumain de nombreux ouvrages, des recueils de documents, des ouvrages collectifs, des articles et des études spécialisées. Différents sujets y ont été traités : l’attitude de neutralité manifestée par la Roumanie pendant la période 1914-1916, l’entrée dans la guerre du côté de l’Entente, la retraite de l’administration roumaine en Moldavie – à cause de l’occupation de la partie sud de la Roumanie par les armées des Puissances Centrales – la « résistance héroïque » de l’été de 1917, ainsi que les événements de 1918 ayant mené à la Grande Union de 1918. Parmi les historiens qui ont abordé sous divers angles ces événements, il convient de mentionner Sorin Iftimi, muséographe au Musée d’Histoire de la Moldavie (faisant partie de la structure du Complexe Muséal National « Moldova »), qui nous a quittés trop tôt, en novembre 2021. Bien connu dans la corporation des historiens comme un bon spécialiste de l’histoire de la ville de Jassy – auteur de nombreux livres, albums et études –, Sorin Iftimi a publié en édition trilingue (roumain, français et anglais), en 2018, l’album Misiuni diplomatice în România (1916-1918)/ Diplomatic Missions in Romania/ Missions diplomatiques en Roumanie, dans des conditions graphiques remarquables, chez Dark Publishing, à Bucarest.
2Cette publication s’inscrit dans un projet plus vaste de la Municipalité de Jassy qui, dans la période 2014-2020, a financé de nombreux projets concernant le rôle de la ville dans la Première Guerre mondiale (voir, <https://iasicapitaladerazboi.ro/harta%20interactiva/>). L’album a été lancé en décembre 2018, en présence des autorités locales, des consuls et des attachés des ambassades de France et d’Italie en Roumanie. Outre l’avant-propos, l’introduction, l’argument et la bibliographie, l’ouvrage comprend dix chapitres qui analysent de manière pertinente la présence des missions diplomatiques à Jassy dans la période mentionnée ci-dessus.
3Le premier chapitre, « Jassy, la ville consulaire, au long du temps, 1859-1918 », pose bien la problématique. L’auteur rappelle que les premiers consulats étrangers ont été fondés dans la ville dès la fin du xviiie siècle, mais acquièrent un rôle important surtout à partir de la première moitié du siècle suivant. Après l’Union de la Moldavie et de la Valachie, en 1859, et surtout après 1862, lorsqu’a été également réalisée l’union administrative des deux Principautés, la vie politique a été transférée à Bucarest, là où se trouvaient les sièges des consulats généraux. Après la reconnaissance de l’indépendance de la Roumanie, à travers les dispositions du traité de paix de Berlin du 1er-13 juillet 1878, les missions diplomatiques de Bucarest ont été promues, petit à petit, au niveau de légations. À Jassy, continuaient de fonctionner les représentations consulaires des Grandes Puissances et d’autres États, comme la Grèce, mais leur rôle était plutôt mineur. Après l’entrée de la Roumanie dans la Première Guerre mondiale, du côté de l’Entente, en août 1916, les défaites de l’automne déterminèrent la retraite de la famille royale, de l’administration roumaine et des missions diplomatiques à Jassy. Selon Sorin Iftimi, « la ville n’était pas prête à recevoir tant de légations, surtout qu’une bonne partie des bâtiments remarquables de Iaşi avaient été déjà occupés par de hauts officiers de l’armée russe, arrivés auparavant » (p. 34). Toutefois, à partir de l’automne de 1916, les ministres plénipotentiaires de la France (le comte de Saint-Aulaire), de la Russie (Stanislas Poklevki-Koziel, ensuite remplacé par Alexander A. Mossoloff), de la Grande Bretagne (George Head Barclay), des États-Unis (Charles Joseph Vopicka), de l’Italie (Carlo Fasciotti), de la Belgique (Van Ypersele de Strihou), le chargé d’affaires de la Suisse (Gustave Boissier), ainsi que les représentants de la Grèce et de la Serbie sont arrivés à Jassy.
4Sorin Iftimi n’a pas consulté les archives étrangères et il ne propose pas de biographies des diplomates en poste à Jassy, ni d’analyses des rapports qu’ils ont envoyés à leurs ministères des Affaires étrangères respectifs. Au fil de neuf chapitres (« La légation de France à Jassy », « La mission aéronautique militaire française », « La mission médicale française », « La légation et le consulat russe à Jassy », « La légation diplomatique et la mission de la Grande Bretagne », « La légation américaine et la Mission de la Croix Rouge des États-Unis », « La mission italienne en Roumanie », « D’autres légations à Jassy : Belgique, Suisse, Grèce, Serbie », « Les visites diplomatiques durant l’été de 1917 »), il a poursuivi d’autres objectifs. Maîtrisant la littérature spécialisée, connaissant très bien l’histoire de la ville, il a fort bien réussi, à notre avis, à rendre compte de la présence des missions diplomatiques, militaires et médicales à Jassy, d’identifier les sièges de ces missions, d’observer la manière d’interagir des diplomates avec la société locale, de présenter la vie dans « une capitale de guerre » ou dans « une ville de refuge », comme elle est parfois appelée dans l’historiographie.
5Plusieurs diplomates ont laissé des mémoires, comme le comte de Saint-Aulaire, Alexander A. Mossoloff et Charles Vopicka. Le premier note qu’à Jassy, la légation française a été accueillie dans les locaux du Conservatoire de musique : « La salle de concerts où on avait installé la chancellerie était pleine de violons, violoncelles, trombones, saxophones, percussion, etc. Il n’y avait aucune table dans mon bureau, mais on y trouvait trois pianos, parmi lesquels un piano quart de queue, que l’on pouvait utiliser comme un bureau, en y ajoutant une chaise élevée avec des cahiers de musique. » Le comte de Saint-Aulaire avait remplacé, en mai 1916, Camille Blondel, ministre de France en Roumanie depuis 1907. Blondel n’avait pas quitté la Roumanie. Tout au contraire, pendant les périodes difficiles, dès l’automne de 1916, il se trouvait à Jassy. Sur la famille Blondel, un politicien important de ces temps-là, Constantin Argetoianu, notait : « Tous les deux [Blondel et Saint-Aulaire] nous ont été extrêmement dévoués, comme s’ils étaient nés en terre roumaine. »
6Puisque les regards des Roumains étaient rivés sur la France, l’appui le plus important est venu de la part des autorités françaises. En octobre 1916, est arrivée la mission militaire commandée par le général Berthelot – auquel le professeur français Jean-Noël Grandhomme, spécialiste de l’histoire de la Romanie, a consacré, en 1999, l’ouvrage Le Général Berthelot et l’action de la France en Roumanie et en Russie méridionale (1916-1918) –, qui a eu un rôle significatif dans la réorganisation de l’armée roumaine au printemps de 1917. Dans les mémoires de Vopicka, on trouve des informations sur l’état précaire des habitants de Jassy au cours de la période en question : « En temps normal, la ville compte 90 000 habitants ; maintenant, plus de 300 000 réfugiés se trouvaient là, à la recherche de secours et de logement […]. Le typhus faisait des ravages, et les provisions de médicaments pour les malades, ainsi que pour les soldats étrangers blessés étaient extrêmement fragiles. On ne parlait même pas de viande ou de légumes, et le pain était rare (comprenant un mélange de pommes de terre et de différents types de céréales). On ne trouvait pas de sucre ou de combustible. Les soldats et les civiles décédaient par milliers. Les ministres étrangers faisaient tout le possible ; mais ils n’ont pu soulager qu’en partie le profond désespoir et l’amertume des gens ». Nous avons présenté ci-dessus seulement quelques échantillons de la riche littérature autobiographique laissée par les diplomates qui se sont trouvées à Jassy pendant cette période difficile pour la Roumanie. L’ouvrage bénéficie d’un riche matériel iconographique, que Sorin Iftimi a identifié dans les archives, les bibliothèques et les musées de Roumanie, enrichi d’extraits de la presse locale du temps, qui complètent l’image de la ville. Sorin Iftimi a eu le grand mérite d’avoir mis tous ces documents dans un ouvrage qui reste une référence pour ceux qui veulent analyser, d’une part, le rôle des missions diplomatiques dans la période 1916-1918 et, d’autre part, deux années charnières de l’histoire de la Roumanie et de la ville de Jassy. Au terme de ce compte-rendu, on nous permettra d’avoir une pieuse pensée en mémoire de Sorin Iftimi.
Pour citer cet article
Référence papier
Adrian-Bogdan Ceobanu, « Sorin Iftimi, Misiuni diplomatice în România (1916-1918)/ Diplomatic Missions in Romania/ Missions diplomatiques en Roumanie », reCHERches, 29 | 2022, 223-225.
Référence électronique
Adrian-Bogdan Ceobanu, « Sorin Iftimi, Misiuni diplomatice în România (1916-1918)/ Diplomatic Missions in Romania/ Missions diplomatiques en Roumanie », reCHERches [En ligne], 29 | 2022, mis en ligne le 30 novembre 2022, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/13888 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.13888
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