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Éclatements et fusions

De la rupture à la symbiose entre deux cultures

L’últim patriarca, de Najat el Hachmi
De la ruptura a la simbiosis entre dos culturas. El último patriarca de Najat el Hachmi
From Rupture to Symbiosis between Two Cultures. The últim patriarca by Najat el Hachmi
Gregoria Palomar
p. 159-175

Résumés

L’immigration est un phénomène relativement récent en Espagne et ce n’est qu’au début du xxie siècle qu’apparaît dans la littérature espagnole la voix des immigrés eux-mêmes ou de leurs descendants. Najat el Hachmi, née dans le Rif marocain vit depuis l’âge de huit ans à Vic, dans la province de Barcelone. Elle publie en 2008 L’últim patriarca, son premier roman écrit en catalan. À travers le portrait du père, patriarche autoritaire et les souvenirs parfois douloureux, parfois teintés d’humour de sa fille, nous voyons le changement radical de mode de vie que suppose l’exil, le déracinement qui s’ensuit, mais aussi l’intégration et enfin, pour la narratrice, la symbiose entre ses deux cultures.

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Texte intégral

1L’Espagne a été pendant longtemps une terre d’émigration : de grands mouvements migratoires se sont succédé, jusqu’à celui qui eut lieu dans la deuxième moitié du vingtième siècle, principalement dans les années soixante vers les pays de l’Europe du Nord et qui cessa à partir de 1973, avec le premier choc pétrolier. À la fin du siècle dernier, la démocratisation de l’Espagne, l’essor économique, l’intégration dans la Communauté Européenne firent de l’Espagne non plus un pays d’émigration mais d’immigration. Cette inversion des processus migratoires fut très rapide : en 2006, Matilde Alonso Pérez et Elies Furio Blasco estimaient à quatre millions le nombre d’étrangers résidant en Espagne alors qu’ils n’étaient que 165 000 en 1975 (Alonso Pérez, Furio Blasco 2007), pour atteindre en 2019 les 4,9 millions. Ces résidents étrangers viennent d’Amérique Latine, d’Afrique subsaharienne, de Roumanie et, en grande partie, du Maroc : selon l’INE, les résidents de nationalité marocaine étaient au nombre de 734 402 en 2019.

2L’immigration est donc un phénomène relativement récent en Espagne, ce qui peut expliquer que le thème soit pratiquement absent de la littérature espagnole avant les années quatre-vingt-dix (Andrés Suárez 2004 : 8). À cette époque, les romanciers espagnols fictionnalisent les dures conditions du voyage vers l’Espagne ou leur difficile adaptation à la nouvelle vie ouvrière et urbaine : citons à titre d’exemple le recueil de huit nouvelles, Fátima de los naufragios, que publie Lourdes Ortiz en 1998 ou bien le roman Las voces del estrecho, d’Andrés Sorel (Sorel 2000) ou encore les romans d’Antonio Lozano parmi lesquels Harraga (Lozano 2002), Donde mueren los ríos (Lozano 2003) ou Me llamo Suleimán (Lozano 2014).

3Mais ce n’est qu’en 2004 qu’apparaît la voix des immigrés eux-mêmes ou de leurs descendants, cette deuxième génération qui s’est intégrée à la société espagnole tout en gardant une double culture. Deux autobiographies publiées par deux auteures d’origine marocaine, De Nador a Vic, de Laila Karrouch et Jo també só catalana de Najat El Hachmi proposent, selon Cristián H. Ricci, une autre vision de l’immigration :

Será entonces cuando se consolida en España una tradición autobiográfica de autores periféricos/subalternos que cuentan sus experiencias trashumantes de manera fehaciente […] se entra ya en la zona de la literatura diaspórica, de afincamiento permanente; no ya a la mera narración del cruce del Estrecho o a la experiencia de trabajadores temporales. (Ricci 2014 : 218).

  • 1 La province de Barcelone est, selon Oumaya Sagaama, la destination principale des habitants de Na (...)

4Najat el Hachmi est une romancière catalane née en 1979 dans le Rif marocain, à Nador – comme Laila Karrouch –, et qui vit depuis l’âge de huit ans à Vic, dans la province de Barcelone1. Après l’autobiographie mentionnée, L’últim patriarca, son premier roman écrit en catalan, est publié en 2008. Il reçoit cette même année le prix Ramón Llull des Lettres catalanes, un prix qui récompensait pour la première fois une auteure d’origine marocaine. Le roman paraît la même année traduit en castillan sous le titre El último patriarca. Elle a publié depuis trois romans : La caçadora de cossos en 2011, La filla estrangera en 2015 et Mare de llet i mel en 2018. Elle a par ailleurs publié un essai féministe, Sempre han parlat per nosaltres en 2019. Tous ces ouvrages ont été traduits en castillan l’année même de leur publication en catalan. En 2021, elle reçoit le prix Nadal pour son premier roman écrit en castillan, El lunes nos querrán, publié l’année même en catalan.

5Le protagoniste de ce roman est le père de la narratrice, Mimoun Driouch. Le récit retrace la vie de cet homme, à la fois séducteur et violent, depuis sa naissance dans un village marocain du Rif. À l’âge de seize ans, Mimoun décide d’aller travailler en Espagne, d’abord pour économiser pour son mariage. Une fois marié, il laisse seuls femme et enfants pendant plusieurs années et c’est seulement quand elle a six ou sept ans que la narratrice rejoint son père en Espagne avec sa mère et ses deux frères, dans un chef-lieu de canton dont le nom n’est pas précisé. Le père est d’abord maçon puis patron d’une petite entreprise du bâtiment, tandis que la fillette apprend le catalan, va à l’école puis au lycée et entre en conflit avec ce père autoritaire et brutal qui veut dicter sa loi et sa morale à sa femme et sa fille.

6À travers l’évocation de ce personnage de patriarche et le regard que porte la narratrice sur sa trajectoire, nous voyons se creuser le fossé entre cette dernière et son père mais nous assistons également à l’évolution de toute une famille, partagée entre des traditions ancestrales et de nouvelles conditions de vie qui représentent à la fois un indéniable progrès matériel et un terrible déracinement, en particulier pour la mère, que la méconnaissance de la langue du pays isole totalement.

7Nous nous proposons donc d’étudier comment Najat el Hachmi montre, à travers cette fiction, le changement radical de mode de vie que suppose l’exil, puis comment apparaît le déracinement, mais aussi l’intégration et comment se dessine enfin le pont entre ces deux cultures incarnées par la narratrice.

La rupture de l’exil

8Entre le début et la fin du récit, la famille Driouch, dont est issue la narratrice, passe d’un mode de vie traditionnel, loin de toute modernité, à celui d’une ville européenne de la fin du vingtième siècle. En effet, le récit de la vie de Mimoun commence par l’évocation de sa naissance dans un village isolé du Rif marocain au sein d’une famille vivant dans un village qui semble éloigné de tout progrès technique : si une route le relie à la ville la plus proche, il n’y passe une voiture que toutes les deux ou trois heures (El Hachmi 2009 : 37). Mimoun naît, probablement dans les années quarante ou cinquante, dans une maison dépourvue de confort, sans eau ni électricité, une maison faite de torchis et blanchie à la chaux (El Hachmi 2009 : 43). Beaucoup d’activités se font dans le patio au sol de terre : c’est là que se trouve la cuvette remplie d’eau où Mimoun se débarbouille (El Hachmi 2009 : 42), là aussi que l’on réchauffe le pain sur des braises (El Hachmi 2009 : 47). Les femmes lavent leur linge à la rivière et la grand-mère doit aller chercher de l’eau au puits (El Hachmi 2009 : 106). L’exil est donc une rupture entre deux modes de vie totalement opposés, celui d’une société rurale où persistent des coutumes et des modes de vie ancestraux et celui d’une région fortement urbanisée et industrialisée.

  • 2 «es movia apressada per les voreres arran d’aquells blocs de ciment tan enormes sens por que els (...)

9Le contraste est en effet brutal avec la ville de Barcelone, qui offre un paysage urbain déroutant dans lequel Mimoun ne voit d’abord que des gens qui « se hâtaient sur les trottoirs, le long des blocs de ciment, sans craindre qu’ils ne leur tombent dessus2 » (El Hachmi 2009 : 83). Par opposition avec son village isolé, sans voitures, le jeune immigré découvre avec inquiétude le train et les ponts de chemin de fer qui tremblent au passage du train et c’est un jeune homme totalement ignorant de la modernité qui arrive dans ce chef-lieu de canton où il va passer de nombreuses années, et accéder ainsi peu à peu à un mode de vie tout différent.

  • 3 «sense dones i sense ningú que ens faci la feina» (El Hachmi 2008 : 81).
  • 4 «un pis tan atrotinat com el primer» (El Hachmi 2008 : 129).

10Mais les premiers temps ne sont guère faciles : son premier logement est sordide, le jeune immigré doit vivre dans une chambre envahie par l’odeur du lisier provenant des élevages de porcs voisins. Là, le mode de vie de Mimoun est celui des travailleurs immigrés solitaires, séparés de leur famille, « sans femmes ni personne pour nous faire le ménage3 » (El Hachmi 2009 : 86). Si la solitude est moins grande quand il rencontre un compatriote, Hamed, rebaptisé Jaume, pour faciliter, selon lui, son intégration, les conditions de vie ne s’améliorent pas pour autant, tous deux se retrouvant dans « un appartement aussi minable que l’autre4 » (El Hachmi 2009 : 136).

11Quand la famille s’installe à son tour, elle doit d’abord emménager dans un logement insalubre, situé dans un rez-de-chaussée misérable, à côté d’un pigeonnier dont la mère doit balayer les fientes, aux murs déformés par l’humidité, aux meubles délabrés, sans chauffage et où la seule armoire se trouve dans la cuisine-salle à manger.

  • 5 «Vam pujar de categoria just abans de Nadal» (El Hachmi 2008 : 199).
  • 6 «La rentadora de dalt centrifugava millor que la de baix, la roba costava menys d’eixugar-se i el (...)

12Peu à peu, toutefois, les conditions matérielles s’améliorent, d’abord quand la famille peut louer l’appartement dont l’ancienne locataire est décédée, situé cette fois au deuxième étage du même immeuble, une ascension symbolique qui fait dire à la narratrice avec quelque ironie : « Nous avions gravi un échelon juste avant Noël5 » (El Hachmi 2009 : 214). Les moyens étant encore limités, les meubles sont ceux de la locataire défunte mais chaque chambre dispose maintenant d’une armoire, et des détails du quotidien qui pourraient passer inaperçus révèlent un léger mieux dans les conditions de vie de la famille, avec un environnement toutefois encore misérable : « La machine à laver du deuxième essorait mieux que celle du rez-de-chaussée, le linge séchait mieux et le fil que maman avait accroché dans le couloir servait moins que celui d’en bas. Du pigeonnier nous ne voyions que les ondulations du toit6 » (El Hachmi 2009 : 215).

13L’immersion dans la modernité devient patente lors du déménagement suivant. Oubliant la misère des premiers temps, la famille s’installe cette fois dans une maison individuelle à deux étages, avec chauffage, garage et jardin (El Hachmi 2009 : 251). Elle achète cette fois des lits neufs, un canapé en skaï, un grand réfrigérateur congélateur ; la salle de bains dispose, luxe suprême, d’une vraie baignoire. Ce dernier déménagement intervient quand la narratrice a environ dix ou onze ans. Si nous nous rappelons qu’elle a quitté le village et sa maison de torchis à l’âge de six ou sept ans, nous pouvons mesurer le chemin parcouru en quatre années. Cette amélioration de l’habitat peut donc apparaître comme une réussite pour ce travailleur immigré qui est en mesure de donner à sa famille des conditions de vie nettement plus confortables que dans son pays d’origine.

14Par ailleurs, la famille passe d’une économie précaire, où seuls les besoins essentiels sont satisfaits, à la société de consommation. Le régime alimentaire au village est constitué essentiellement de pain, d’huile d’olive, de figues, de remsemmen ou de khringu, sortes de crêpes, quand il y a assez de farine. C’est un régime dépourvu de protéines animales, les œufs étant réservés au grand-père ; on mange de la viande uniquement pour les grandes occasions, c’est-à-dire la demande en mariage, le mariage, le retour du fils prodigue. La narratrice se souvient de cette frugalité de son enfance et des efforts de sa mère pour améliorer le quotidien :

  • 7 «Molt de tant en tant aconseguia un ou i ens el feia remenat amb oli d’oliva, ens feia entrar a l (...)

De loin en loin, elle obtenait un œuf et elle le préparait en le mélangeant à de l’huile d’olive. Elle nous faisait passer dans la pièce la plus sombre de la maison, l’arrière-cuisine, et nous disait : « Mangez ça là ! » […] Apparemment, personne ne devait savoir que nous nous partagions à trois un œuf brouillé7. (El Hachmi 2009 : 170)

  • 8 «bosses d’unes patates tan primes que es desfeien a la boca»  (El Hachmi 2008 : 171).
  • 9 «perquè nosaltres no n’havíem menjat mai, de nata.» (El Hachmi 2008 : 178).
  • 10 «Era el temps en què els ioguts eren un article de luxe» (El Hachmi 2008 : 184).

15En Catalogne, la famille s’initie aux mets plus élaborés, à une nourriture plus riche, industrialisée. Dès son arrivée, la narratrice fait le tour du quartier avec son père et goûte avec délice ses premières chips, « des sachets de tranches de pommes de terre si fines qu’elles fondaient dans la bouche8. » (El Hachmi 2009 : 181) ; les premières brioches fourrées à la crème que mangent les enfants leur font mal au ventre « parce que nous n’avions jamais mangé de crème, avant 9 » (El Hachmi 2009 : 189). Plus tard, les enfants prennent du Cola Cao au petit-déjeuner et ont au goûter des tartines de Nocilla, comme n’importe quel petit Espagnol. Les allusions à ces produits arrivent d’ailleurs naturellement dans le cours du récit, montrant ainsi que ces friandises sont devenues banales pour des enfants qui les ont découvertes seulement quelques mois auparavant, mais la narratrice, consciente des bouleversements de son univers quotidien, se souvient encore de l’époque où manger un yaourt était un luxe : « C’était l’époque où les yaourts étaient un produit de luxe10 » (El Hachmi 2009 : 196). La famille semble adopter, sans y penser, l’alimentation du pays dans lequel elle s’est installée et ce n’est que plusieurs années après son arrivée que la narratrice découvrira, en lisant les étiquettes des aliments, que beaucoup contiennent du porc.

16Enfin, alors que la mère accouche de ses trois premiers enfants chez elle, accroupie, et accrochée à une corde qui pend au plafond, pour son premier enfant né en Catalogne elle est suivie par une gynécologue et accouche à l’hôpital, son séjour à la maternité représentant d’ailleurs quelques jours de vacances pour une femme entièrement dévouée à son mari et à ses enfants, travaillant sans cesse, acceptant les humiliations de son despote de mari et incapable d’abandonner un mode de vie dont les règles ont été transmises par les femmes de génération en génération.

Une mère isolée de son groupe social protecteur

17Malgré cette insertion dans une modernité qui leur offre un certain confort matériel et de meilleures conditions hygiéniques, qui fait d’eux des riches quand ils vont en vacances au village natal chargés de cadeaux, la mère reste isolée, ne comprenant que très mal le catalan, incapable d’affronter un monde qu’elle ne comprend pas. Alors que Mimoun a une vie professionnelle qui révèle sa capacité d’insertion, a des maîtresses qui lui permettent de découvrir la société chrétienne, quand ses enfants vont à l’école, apprennent le catalan, font du vélo ou jouent à Super Mario avec leurs copains et « sont immergés sans difficulté majeure dans leurs collectivités scolaires et périscolaires » (Calin 2003), la mère reste cloîtrée dans son appartement, reproduisant la même situation d’enfermement que dans son village natal.

  • 11 «No s’imaginava el seu fill de setze anys mantenint una dona, per fort i gros que s’hagués fet; n (...)
  • 12 «porta’m a la casa d’on vaig venir» (El Hachmi 2008 : 119) 
  • 13 «Crida el meu pare i que me em vingui a buscar, repetia la mare» (El Hachmi 2008 : 119)

18La narratrice nous montre en effet, à travers la description de la vie au village et des relations entre ses parents, la condition des femmes dans cette zone du Rif. La jeune fille qui se marie passe sous la tutelle de son époux, comme l’exprime la mère de Mimoun, inquiète, quand celui-ci veut demander la main de la jeune fille qu’il aime : « Son fils avait beau être devenu grand et fort, elle ne l’imaginait pas subvenant aux besoins d’une femme ; elle ne l’imaginait pas protégeant une femme11 » (El Hachmi 2009 : 66). Rappelons que ce n’est qu’en 1998 que le nouveau code familial marocain affirme l’égalité entre les deux époux. En ce qui concerne la mère de la narratrice, ce sont les hommes, le père, le beau-père et le futur marié, qui décident du mariage et, quand vient le jour des noces, la mariée va vivre chez ses beaux-parents. Lorsque, victime de la violence de son mari, l’épouse de Mimoun décide de le quitter, ce que finalement elle ne fera pas, elle demande à son beau-père : « Ramenez-moi d’où je viens12 » (El Hachmi 2009 : 124) ; pas question pour elle de vivre seule ni de décider de son destin, dont disposent les hommes, puisqu’un peu plus loin, la narratrice insiste sur la demande de la mère : « Ma mère répétait : Prévenez mon père, qu’il vienne me chercher13 » (El Hachmi 2009 : 124) dans un déni implicite, certainement inconscient, de son autonomie.

19Mimoun n’envisage pour lui que cette structure familiale, patriarcale, mais pousse jusqu’à l’extrême l’autorité du mari, se laissant aller à une jalousie maladive envers sa femme mais aussi plus tard sa fille, répondant à tout ce que lui considère comme une entorse à des lois ancestrales par des crises d’une violence inouïe, qu’aucune femme ne semble remettre en cause. Il impose sa tyrannie, même à distance, interdisant à son épouse de regarder un homme, ou de sortir de chez elle en l’absence de son mari, même si celle-ci doit durer plusieurs années.

  • 14 «Una de les tietes ja havia anat a avisar la mare, que fregia pollastres en una olla plena d’oli  (...)

20Mais tant qu’elle est au village, cette femme soumise à son époux est aussi entourée de toutes les autres femmes de sa belle-famille et protégée par son père et son beau-père qui voient avec inquiétude les emportements du jeune Mimoun. Les femmes forment un clan soudé, comme le montre un épisode où, sentant que Mimoun va avoir un de ses accès de violence, une des sœurs de celui-ci va prévenir sa belle-sœur ; toutes lui conseillent de s’éloigner du feu et tentent de la rassurer : « Une de mes tantes était allée prévenir ma mère qui faisait frire des poulets dans une marmite pleine d’huile. Elles lui dirent de s’éloigner du feu, tu sais, ça porte malheur. Nous te protégerons, nous ne le laisserons pas te faire du mal14 » (El Hachmi 2009 : 145). L’évocation de la vie au village nous révèle que la notion de famille y est celle d’une famille élargie, dans laquelle les femmes constituent un groupe social qui prend en charge collectivement l’organisation matérielle du foyer, qui transmet les traditions et les croyances, et aussi la notion d’entraide, un groupe pour lequel chaque geste a un sens. Mais cette communauté disparaît dans l’exil qui, bouleversant les structures sociales, réduit la famille au noyau femme, mari et enfants.

  • 15 «Resava sense saber on era la Meca perquè el pare no tenia capinterès a esbrinar-ho. Va estar any (...)

21La situation de la mère, que la bienveillance des autres femmes rendait supportable, devient dramatique quand elle se retrouve seule dans un pays dont elle ne connaît ni la langue ni les coutumes. Son désarroi et son déracinement sont symbolisés par le fait qu’elle n’ait plus même de repères pour prier : « Elle priait sans savoir où était La Mecque parce que papa se fichait de le vérifier. Pendant des années elle s’est tournée vers les États-Unis au lieu de l’Arabie saoudite, mais ce n’est pas grave et Dieu pardonne ce genre de choses si on ne le fait pas exprès15 » (El Hachmi 2009 : 202). Plusieurs scènes la présentent face à un interlocuteur qu’elle ne comprend pas, devant s’en remettre aux traductions que veulent bien lui fournir sa fille ou son mari. Et quand elle dépérit, victime de la brutalité de son mari, emmurée dans son silence, c’est Mimoun lui-même qui l’emmène chez le médecin et traduit approximativement ce que lui dit ce dernier. Comment, dans ces conditions, confier au médecin l’origine de sa souffrance ?

22C’est sa fille qui doit l’accompagner chez le gynécologue et doit traduire, honteuse, les questions du médecin. Quand elle est à la maternité, elle doit partager sa chambre avec deux autres femmes avec lesquelles aucun échange n’est possible. Dans cette situation d’isolement linguistique et culturel, la mère n’a plus que sa fille comme aide et ne peut plus que s’accrocher à des traditions qui peu à peu perdent leur sens aux yeux de la jeune génération, intégrée dans la société qui l’a vue grandir. Cette femme, qui a appris les gestes ancestraux, s’adapte difficilement aux nouveautés matérielles que son mari et ses enfants semblent avoir adoptées sans difficulté. Dès son arrivée, elle refuse le balai espagnol que lui tend son mari, préférant laver le sol comme elle l’a toujours fait au village, dans une attitude que la narratrice se dit incapable d’imiter :

  • 16 «I com sempre, havia fregat amb un drap vell el terra, vinclant-se d’aquella menra como jo ja no (...)

Et comme toujours, elle frotta le sol avec un vieux chiffon, penchée en avant, les jambes écartées et tendues, laissant sa robe pendre entre elles, dans une position que je n’ai jamais réussi à prendre. On a « ça » lui avait dit mon père en lui montrant une serpillière emmanchée sur un bâton. Et elle avait répondu : Non, ça, c’est bon à rien16. (El Hachmi 2009 : 180-181)

Fidèle aux traditions alimentaires, elle continue de faire son pain, tant bien que mal, ne disposant plus du four traditionnel, et refuse la soupe aux pâtes de la maternité (El Hachmi 2009 : 240) montrant ainsi, comme l’affirme Daniel Calin, qu’il « est parfois bien difficile de s’improviser “femme moderne” quand on est née dans un monde si éloigné de tout cela » (Calin 2003).

  • 17 «no podies haver donat roba neta als teus germans, que la porten tota tacada de tomàquet d’ahir ?(...)
  • 18 «La mare no volia que hi anés, per això no va intentar cnvèencer al pare» (El Hachmi 2008 : 264).
  • 19 «La mare només va fer, veus?, ja t’ho havia dit» (El Hachmi 2008 : 262).

23Peu à peu, cependant, elle s’ouvre à l’extérieur, grâce d’abord à une voisine marocaine avec laquelle elle peut enfin parler ; mais quand sa fille grandit elle essaie avant tout de lui inculquer les préceptes moraux dans lesquels elle-même a grandi. Ainsi, lorsque la narratrice essaie de partager les jeux puis les émois amoureux de ses camarades de collège et de lycée, sa mère, alors que sa fille n’a que huit ou neuf ans, pense déjà qu’elle sort trop (El Hachmi 2009 : 201) et commence à lui apprendre à tenir une maison, voyant là certainement la base de l’éducation d’une jeune fille destinée avant tout au mariage. Quand sa mère est à la maternité, c’est logiquement la narratrice qui prend en charge ses frères plus jeunes et sa mère lui reproche son peu d’attention : « Tu ne pouvais pas donner des vêtements propres à tes frères ? Ils ont remis ceux d’hier qui sont pleins de taches de tomate ! 17 » (El Hachmi 2009 : 240). Quand Mimoun refuse que sa fille aille, avec ses camarades de classe, en voyage de fin année, la mère est du même avis : « Ma mère n’avait pas trop envie que j’y aille c’est pourquoi elle n’avait rien fait pour convaincre mon père18. » (El Hachmi 2009 : 288) et quand son père se fâche parce que l’adolescente a dénoué ses cheveux et s’est coupé une frange : « Maman m’avait dit : Tu vois, je t’avais prévenue !19 » (El Hachmi 2009 : 287). C’est la mère aussi qui refuse que sa fille adolescente s’épile ou qui jette à la poubelle ses tampons. Il se produit ainsi, au moment de l’adolescence, une rupture entre les règles de la culture d’origine et celles de la société dont elle fait maintenant partie. Cette dichotomie est d’autant plus difficile à assumer qu’elle est accentuée par la soumission de la mère à un mari qui se sert de la tradition pour imposer sa tyrannie.

Les contradictions du patriarche

24On constate que la mère reproduit l’attitude des femmes de son village qui, face à l’autoritarisme fou de Mimoun, trouvent toujours une excuse à sa violence irrationnelle : la première gifle que lui a donnée son père, les épines du figuier de Barbarie sur lequel il est tombé enfant, la maladie, tout est bon pour expliquer ses excès. Mais nous pouvons souligner que ce sont toujours les femmes qui tentent de justifier cette violence inadmissible alors que le père et le beau-père ne l’excusent jamais.

25Le patriarche Mimoun se satisfait de la soumission de ces femmes et semble vouloir inculquer la même attitude à sa fille, tout en la laissant poursuivre ses études au lycée. Mais s’il reste attaché à cette société patriarcale qui satisfait son égocentrisme, il s’ouvre également à la société occidentale à travers ses nombreuses maîtresses chrétiennes. Le protagoniste s’habitue ainsi progressivement à vivre entre deux univers, en s’accrochant chez son épouse aux coutumes ancestrales mais en entrevoyant pour sa fille lycéenne un autre horizon que celui qu’il réserve à sa femme. Élevé parmi des femmes qui le vénèrent et sont aux petits soins pour lui, Mimoun se crée peu à peu ce personnage de patriarche ancré dans le respect de la tradition, veillant jusqu’à la démesure à la pureté des femmes qui l’entourent, appliquant jusqu’à l’absurde l’héritage d’une longue génération de patriarches, de pères qui ont su faire respecter leur autorité, comme nous le suggère l’incipit du roman, en forme de conte, expression de la culture orale du Rif :

  • 20 «Aquesta és la história de Mimoun, fill de Driouch, fill d’Allal, fill de Mohamed, fill de Mohand (...)

Voici l’histoire de Mimoun, fils de Driouch, fils d’Allal, fils de Mohamed, fils de Mohand, fils de Bouziane, que nous appellerons simplement Mimoun. C’est son histoire et l’histoire du dernier des grands patriarches qui constituent la longue chaîne des ancêtres de Driouch. Chacun d’eux avait vécu, agi et joué un rôle dans la vie de tous ceux qui l’entouraient avec la fermeté des grandes figures bibliques20. (El Hachmi 2009 : 7)

  • 21 «eren dones de les d’abans» (El Hachmi 2008 : 19).

26Le jeune Mimoun grandit entre un père autoritaire qui lui donne sa première gifle à l’âge de six mois et des sœurs qui « appartenaient à l’ancienne génération de femmes21 » (El Hachmi 2009 : 20) toutes dévouées à leur petit frère et qui le protègent de tout. Ne supportant aucune rivalité dans cet amour que lui portent sa mère et ses sœurs, le petit Mimoun va même jusqu’à tuer son petit frère, le rival numéro un, en l’étouffant sous un oreiller (El Hachmi 2009 : 23-24). Mimoun, centre du monde, profite donc de cette vénération que portent traditionnellement les femmes au fils aîné. Il atteint l’adolescence avec une pleine conscience de son statut d’homme, du respect qu’on lui doit et de son rôle de gardien de la pureté des femmes de la famille et s’habitue à régler tous les conflits en se laissant emporter par une violence soudaine et incontrôlée.

27Arrivé en Espagne, ce séducteur voit tout cet univers nouveau à travers le prisme de la tradition de son pays et ses premières mésaventures sont dues à une incompréhension totale de codes culturels que son égocentrisme ne permet pas de remettre en question. Il est ainsi persuadé que si la femme du patron, qui vient voir l’état d’avancement des travaux de sa maison, se retrouve seule avec lui, c’est parce qu’elle cherche à le séduire, une femme qui regarde un homme ne pouvant pas avoir d’autre intention.

28Mais peu à peu va apparaître une certaine dichotomie chez cet homme qui, à travers ses maîtresses successives, accède à la civilisation occidentale mais continue à se comporter en chef de famille, strict et autoritaire, avec sa famille musulmane. C’est ainsi que, en fréquentant Isabel, il peut découvrir un intérieur espagnol, qu’il trouve d’ailleurs horrible et peu conforme à l’image qu’il se fait d’un foyer :

  • 22 «I Mimoun continuava trobant les figuretes de porcellana de les lleixes de vidre del menjador hor (...)

Mimoun continuait de trouver hideuses les figurines de porcelaine sur les étagères en verre de la salle à manger, de même que le chien qui faisait office de porte-parapluies et les peaux de lapin sur les tables basses du salon. Mimoun pensait, sans trop savoir pourquoi, que cette maison ne ressemblait pas à l’idée qu’il se faisait d’un foyer22. (El Hachmi 2009 : 159)

Ce sont d’ailleurs les maîtresses du père qui permettent aux enfants de connaître d’autres modes de vie, puisque c’est chez Rosa que la famille musulmane fête son premier Noël autour du sapin, et c’est avec Rosa également que la famille passe sa première journée à la plage.

29La fréquentation par Mimoun des femmes européennes lui fait même adopter de nouvelles attitudes et, alors que dans son foyer familial son épouse et sa fille font toutes les tâches ménagères sans que lui lève le petit doigt, la narratrice observe étonnée comment son père, qui a décidé d’installer sa maîtresse dans l’ancien appartement du rez-de-chaussée prend un balai et nettoie tout, qualifiant ironiquement cette scène inattendue de phénomène extraordinaire :

  • 23 «Aquell mateix dia unes hores abans, jo havia vist el pare fer el que mai havia fet per ningú. Ha (...)

Ce jour-là, quelques heures plus tôt, j’avais vu mon père faire quelque chose qu’il n’avait jamais fait pour personne. Il avait pris un balai, il avait nettoyé tous les coins de l’appartement, il avait lavé par terre avec ce produit qui sent la forêt, il avait épousseté et fait les vitres. Avec une habileté dont je ne l’aurais jamais cru capable, dont je n’aurais pas cru un homme capable23. (El Hachmi 2009 : 216)

Nous voyons dans cette remarque, qui adopte le point de vue de l’enfant, que Mimoun a en quelque sorte réussi son éducation : la narratrice montre ainsi, avec une distance ironique, que l’image qu’elle avait de l’homme, du chef de famille, était celle d’un être incapable de s’occuper des tâches ménagères, exclusivement féminines. Nous avons ici une vision distanciée de la part de la narratrice sur ses propres préjugés, caractéristique de ce que Pilar Arnau i Segarra appelle la génération 1,5, issue des politiques de regroupement familial :

Il s’agit d’une génération qui se remémore une enfance vécue dans le pays d’origine mais qui l’évoque depuis sa perspective actuelle. Ce sont des jeunes gens élevés dans deux cultures, deux langues […] qui ressentent souvent le besoin de marquer leur identité sans vouloir la circonscrire exclusivement à l’un des mondes auxquels ils appartiennent. (Arnau i Segarra 2016 : 34)

Cette perspective distanciée s’applique ici non seulement à l’enfance dans le pays d’origine mais aussi dans le pays d’accueil et dans le microcosme que représentait sa famille, partagée entre deux cultures. Derrière cette vision distanciée de la narratrice sur sa propre naïveté, nous pouvons souligner que les deux vies de Mimoun révèlent ses profondes contradictions. Ce va-et-vient cynique du père de famille entre deux univers incompatibles peut aussi apparaître comme la représentation symbolique d’un immigré écartelé entre un monde traditionnel dont il tient à préserver les lois et coutumes et un univers nouveau qui l’attire et dont il voudrait bien que ses enfants profitent car il sent certainement, confusément, le progrès qu’il implique. Cette ambiguïté se manifeste surtout dans l’éducation qu’il donne à sa fille, qu’il emmène partout quand elle est enfant, ce qui est contraire à la tradition, mais qu’il enferme de plus en plus dès qu’elle est pubère, ne supportant pas le regard des hommes sur elle. Il la laisse cependant continuer à étudier, lui donnant ainsi les moyens de son indépendance et de la rupture finale. C’est d’ailleurs cette volonté d’indépendance qu’elle affirme en décidant de vivre seule, ce que sa mère, prisonnière de la tradition, n’avait jamais pu faire (El Hachmi 2009 : 360).

  • 24 «Però per què m’he esforçat tants anys, jo, a pujart-te? Això seria com llençar-te sense més ni m (...)
  • 25 «jo que confiava tant en tu perquè em pensava que eras diferent» (El Hachmi 2008 : 313).

30Mais quand sa fille, elle-même en proie à une crise d’identité, décide d’épouser, contre la volonté de son père, un immigré chômeur et drogué, Mimoun avoue l’ambition qu’il nourrissait pour elle : « À quoi bon toutes ces années d’efforts pour t’élever ? Ce serait comme te jeter à la poubelle et je crois que tu vaux mieux que ça24 » (El Hachmi 2009 : 343). Par cette phrase où le père exprime son dépit, nous percevons qu’elle était pour lui, peut-être, le symbole de l’accession de sa famille à un autre univers, une passerelle entre ces deux sociétés qu’il côtoie, avouant un autre jour : « J’avais tellement confiance en toi : je pensais que tu étais différente25 » (El Hachmi 2009 : 345).

Conflit intérieur et recherche d’identité

  • 26 «no podia parlar amb ell en cap més llengua que no fos la llengua amb què el vaig connèixer» (El (...)

31Sous l’autorité et le regard jaloux de son père, c’est la narratrice qui semble ressentir le plus cet écartèlement entre deux conceptions du monde qu’elle n’arrive pas à concilier. Alors qu’elle a vécu jusqu’à l’âge de sept ans dans un petit village isolé, où les femmes se transmettent de génération en génération les légendes, croyances et interdits, où tout est basé sur la culture orale, la petite fille va découvrir un nouveau mode de pensée par les livres et la télévision. Le récit nous fait deviner une enfant studieuse, une élève brillante qui peut aller au lycée, poussée par un professeur de collège dont elle devient l’amie. Pour supporter la dure réalité du foyer familial, la jeune immigrée se réfugie dans le dictionnaire de la langue catalane, s’absorbant dans un nouvel univers linguistique qui lui permet de s’évader du quotidien : une autre langue, une autre vie. Mais ce rapport à la langue est lui-même ambigu : il y a la langue des livres, la langue du collège, mais la langue de la maison, du dialogue avec le père, ne peut être que le berbère : « Je n’arrivais pas à lui parler dans une autre langue que celle avec laquelle je l’avais découvert 26 » (El Hachmi 2009 : 201). Se réfugier dans cette autre langue que propose le dictionnaire c’est d’abord échapper symboliquement au despotisme du père.

  • 27 Roman de Mercè Rodoreda (1909-1983), publié pour la première fois en 1974.
  • 28 Recueil de nouvelles de Salvador Espriu (1913-1985), publié pour la première fois en 1935.
  • 29 «Sort en vaig tenir, de Mirall trencat, de l’Ariadna al laberint grotesc, de les memòries del Tís (...)

32Les deux langues sont donc le reflet de ce conflit entre les valeurs qui régissent le milieu familial et celles que lui permettent de découvrir l’école puis le lycée. Le dictionnaire catalan est donc d’abord le moyen d’accès à cette autre culture que la narratrice va aussi faire sienne. Le récit nous fait en effet découvrir les nouveaux référents culturels de l’enfant, puis de la jeune fille et enfin de l’adulte. La violence subie lui inspire d’abord une comparaison avec Carol Anne, la jeune héroïne de Poltergeist, puis Superman apparaît dans l’imaginaire de l’enfant de huit ans qui rêve de se transformer en « Supermana » pour affronter un monde qu’elle redoute, celui des bars où sa mère l’envoie chercher son père à sept heures du matin. Puis elle devient Colometa, l’héroïne du roman La plaça del diamant, de la catalane Mercé Rodoreda (El Hachmi 2009 : 214) ; plus tard, c’est à Woopy Goldberg dans La couleur pourpre qu’elle se compare (El Hachmi 2009 : 295). Peu à peu, l’adolescente lycéenne enrichit son horizon littéraire : James Joyce, Faulkner, Goethe, la lecture devient de plus en plus un moyen de supporter la réalité : « Par chance j’avais Mirall Trencat27, Ariadna al laberint grotesc28, les Mémoires de Tisnèr, les livres de Faulkner, Goethe, tous les livres qui passaient entre mes mains29 » (El Hachmi 2009 : 314).

  • 30 «La meva altra part deia que egoista que ets, ell que està patint i tu aquí pensant només en tu m (...)

33Par ces allusions à de nouveaux référents culturels, à cette ouverture d’esprit que lui donnent ses lectures, nous pourrions penser que la narratrice va échapper à son destin de femme soumise que lui avait assigné sa mère, mais la rencontre avec celui qui va être son mari semble être le signe d’une histoire qui se répète : face à cet homme qu’elle aime, mais qui n’hésite pas à la droguer pour qu’elle lui offre sa virginité, elle devient la maîtresse de maison telle que la conçoit sa mère, quand elle prend en charge son amant, fait pour lui la cuisine et le ménage, accepte qu’il ne fasse rien à la maison. Comme sa mère, la narratrice se voit imposer une seconde femme, et, comme sa mère et les femmes du village, elle trouve des excuses à cet homme : « L’autre partie me traitait d’égoïste : il souffre et, toi, tu ne penses qu’à toi. Sale égoïste ! » (El Hachmi 2009 : 328). Consciente de ses contradictions, elle va jusqu’à reconnaître : « J’avais récupéré certains aspects de mon côté musulman30 » (El Hachmi 2009 : 329). Pour se libérer du poids de l’autorité patriarcale, elle se donne à un homme qui n’a plus aucune des qualités du patriarche, un contre-modèle, un drogué, dealer, incapable de travailler. La rupture passe donc par une soumission à ce qui symbolise l’interdit mais elle ne peut mener qu’au désastre.

34Ce conflit intérieur que doit assumer la narratrice ne peut, en effet, se résoudre que par la violence : violence vis-à-vis d’elle-même par une liaison contre nature, puis par une tentative de suicide et violence vis-à-vis du père auquel elle impose, comme un défi, l’image de sa fille se donnant à l’oncle tant haï. Mais ce parricide symbolique ne signifie pas une rupture avec ses origines, c’est aussi et plutôt le début d’une réconciliation avec son passé : pour la narratrice, comprendre cette déchirure présente passe par la reformulation de son passé, de ses origines, première étape de la reconstruction.

  • 31 «Hasta los 8 años la única ficción que había vivido era la de la oralidad». Ernest Alós, Entrevis (...)
  • 32 «De com s’havia tacat amb sang hi ha diverses versions, però la més coneguda és la que explica el (...)
  • 33 «Els que el van sentir diuen» (El Hachmi 2008 : 120).
  • 34 «la tieta sempre explica» (El Hachmi 2008 : 97).
  • 35 «Quan m’explica aquesta història» (El Hachmi 2008 : 112).
  • 36 «Ell no en para mai, de si tot allò va ser fàcil o no» (El Hachmi 2008 : 155).

35Le récit est donc une démarche identitaire, un retour aux sources pour comprendre son déchirement présent. Cette démarche se fait par un retour à cette famille élargie dont la jeune immigrée, qui maintenant vit seule, n’avait peut-être plus conscience. C’est aussi une redécouverte de cette autre culture qui a dominé son enfance, uniquement orale. Malgré les nombreuses références à une culture écrite, celle du pays où elle a grandi et qui lui a permis l’accès au savoir, c’est l’oralité dans laquelle elle a toujours baigné et qui est présente tout au long du récit, que la narratrice adopte comme mode de restitution de son passé. Celle-ci est en effet fondamentale dans la culture maghrébine, comme l’explique Najat el Hachmi dans une entrevue : « Jusqu’à l’âge de huit ans, la seule fiction que j’avais vécue était celle de l’oralité31 ». Ce que raconte la narratrice, c’est tout ce que lui ont raconté tous les membres de la famille, comme l’indiquent les nombreux indices d’oralité qui parsèment le récit. Par exemple, pour évoquer l’enfance de Mimoun, les versions sont multiples : « Les versions varient quant à l’origine du sang ; la plus connue est celle de Mimoun lui-même32 » (El Hachmi 2009 : 64). Nous avons ainsi de nombreuses références à la mémoire collective du village, telles que « Ceux qui l’entendirent prétendent33 » (El Hachmi 2009 : 125). Ce sont les femmes qui ont transmis à la narratrice l’histoire de ses ancêtres et de son père, ses tantes – « Ma tante raconte toujours34 » (El Hachmi 2009 : 102) – ou encore, sa mère – « Chaque fois qu’elle me raconte cette histoire35 » (El Hachmi 2009 : 117) – alors que cette transmission est absente chez le père : « Il n’a jamais dit si cela avait été ou non facile36 » (El Hachmi 2009 : 164).

36La narratrice révèle ainsi le résultat d’une multitude de témoignages qui constituent la mémoire familiale et collective, dans une société où la transmission est uniquement orale. Ces témoignages s’entremêlent par le biais du style direct libre, constamment employé, dont nous avons un exemple dans ce passage qui évoque la première expression de regret apparent de Mimoun :

  • 37 «Diuen que Mimoun es va amagar de l’avi dos, que temia més que a ningú, i el va sentir de dins es (...)

On dit que Mimoun s’était caché de grand-père numéro 2, l’homme qu’il craignait plus que tout ; il l’avait entendu de sa chambre. Il tremblait à l’idée de perdre sa femme, c’est du moins ce qu’il raconte. Il semble qu’il sortit au moment où sa femme partait. Elle était déjà presque montée sur l’âne. Ce fut, dit-on, l’une des rares fois où Mimoun demanda pardon, à sa femme et à son beau-père. Ceux qui l’entendirent prétendent qu’il semblait vraiment se repentir ; qu’il n’arrêtait pas de répéter à ma mère que, si elle le quittait, il mourrait. Pardonne-moi, pardonne-moi. Ça n’arrivera plus jamais. Je vais me guérir, je te jure, je vais me guérir37. (El Hachmi 2009 : 125)

Ici, comme dans de nombreux passages du texte, la voix narrative est tantôt celle du peuple, anonyme, tantôt celle de la narratrice qui imagine la scène et laisse la place au discours du père, que n’introduit aucun connecteur, provoquant ainsi un flux narratif continu et polyphonique caractéristique du récit oral. Cette multiplicité de points de vue, de voix narratives, donne au récit son caractère, la narratrice faisant le choix de reconstituer le passé familial sur le mode de la légende ; c’est ainsi un passé mythifié qui apparaît, dans un texte où les nombreuses formules hypothétiques, telles que « devia » ou « segurament » nous révèlent que ce récit est aussi ce que la narratrice imagine à partir de tous les témoignages qu’elle a voulu ou pu recueillir. Elle se crée ainsi, à travers l’écriture, sa propre mémoire identitaire, composée de tous les apports oraux et écrits, berbères et catalans, pour comprendre le monde qui l’entoure : « Así es la escritura, un intento de entender el mundo a través de una mezcla de géneros, de realidad y de ficción ; un espacio donde pronto se desdibujan las líneas y ya ni el mismo autor sabe dónde empieza una y acaba la otra » (El Hachmi 2111b : 260).

37Cette réélaboration du passé est donc une part de la construction de l’exilé qui doit comprendre le présent dans le passé de sa famille, dans ses racines. Ainsi s’établit, à travers la narratrice, le pont entre les deux univers qu’elle partage, unique moyen pour réparer cette déchirure profonde qui l’avait menée à l’autodestruction. La reconstruction passe par la réconciliation symbolique avec un univers source de conflit.

Conclusion

38Najat el Hachmi est issue de l’immigration marocaine, qui s’est développée à partir du milieu des années 1980. La romancière, née en 1979, représente donc cette première génération d’enfants d’immigrés marocains qui se sont installés en Espagne et ont fait leur la culture espagnole, tout en restant attachés à un pays qu’ils retrouvaient, pour beaucoup d’entre eux, tous les étés.

39La romancière s’est donc certainement inspirée de son expérience personnelle pour retracer le parcours difficile d’une famille d’immigrés marocains, le départ du père qui vit d’abord l’exil de l’homme seul, puis le regroupement familial. L’accession à un nouveau mode de vie, signe de progrès matériel, s’accompagne d’une rupture culturelle, d’une déchirure douloureuse préalable à la construction d’une nouvelle identité qui puisse concilier le présent et le passé, l’ici et l’ailleurs.

40Le récit que propose la romancière catalane comporte beaucoup d’éléments qui semblent autobiographiques, tels que la localisation dans le Rif marocain, l’arrivée à sept ans, l’apprentissage du catalan et le début de l’écriture ; mais en prenant comme protagoniste un personnage hors normes, en décidant de ne pas donner de nom à la plupart des personnages, dont la narratrice elle-même, la romancière choisit de proposer un récit symbolique, une représentation de la douloureuse symbiose entre deux cultures, une symbiose qui se fait également par le passage d’un récit oral en berbère à une narration scripturale en catalan.

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Notes

1 La province de Barcelone est, selon Oumaya Sagaama, la destination principale des habitants de Nador qui décident d’émigrer : «Las redes migratorias desempeñan un papel importante en la concentración en ciertas zonas de inmigrantes provenientes del mismo lugar en el país de origen; es el caso de los dominicanos en el suroeste del distrito madrileño de Aravaca; de los marroquíes de Ouejda en Murcia, los de Nador en Barcelona o los de Alhucemas en Madrid» (Sagaama 2009 : 147).

2 «es movia apressada per les voreres arran d’aquells blocs de ciment tan enormes sens por que els poguessin caure al damunt» (El Hachmi 2008 : 79).

3 «sense dones i sense ningú que ens faci la feina» (El Hachmi 2008 : 81).

4 «un pis tan atrotinat com el primer» (El Hachmi 2008 : 129).

5 «Vam pujar de categoria just abans de Nadal» (El Hachmi 2008 : 199).

6 «La rentadora de dalt centrifugava millor que la de baix, la roba costava menys d’eixugar-se i el fil d’estendre que la mare havia penjat al passadís descansava més que el de baix. Del colomar, només en vèiem el sostre d’onades» (El Hachmi 2008 : 199).

7 «Molt de tant en tant aconseguia un ou i ens el feia remenat amb oli d’oliva, ens feia entrar a la part més fosca de la casa, al rebost de la cuina i ens deia mengeu-vos-ho aquí. […] Es veu que no ho havia de saber ningú, que entre els tres ens partíem un ou remenat» (El Hachmi 2008 : 161).

8 «bosses d’unes patates tan primes que es desfeien a la boca»  (El Hachmi 2008 : 171).

9 «perquè nosaltres no n’havíem menjat mai, de nata.» (El Hachmi 2008 : 178).

10 «Era el temps en què els ioguts eren un article de luxe» (El Hachmi 2008 : 184).

11 «No s’imaginava el seu fill de setze anys mantenint una dona, per fort i gros que s’hagués fet; no se l’imaginava mai tutelant una esposa.» (El Hachmi 2008 : 63). Le texte catalan est ici plus précis : il s’agit bien d’une tutelle juridique de la femme, qui n’est pas considérée comme majeure.

12 «porta’m a la casa d’on vaig venir» (El Hachmi 2008 : 119) 

13 «Crida el meu pare i que me em vingui a buscar, repetia la mare» (El Hachmi 2008 : 119)

14 «Una de les tietes ja havia anat a avisar la mare, que fregia pollastres en una olla plena d’oli ; li van dir allunya’t del foc, que ja saps que porta mala sort. Et protegirem, no deixarem que et faci mal.» (El Hachmi 2008 : 137).

15 «Resava sense saber on era la Meca perquè el pare no tenia capinterès a esbrinar-ho. Va estar anys dirigint-se als Estats Units en comptes d’Aràbia Saudita, però es igual perquè Déu et perdona aquesta mena de coses si no les has fet expressament» (El Hachmi 2008 : 188).

16 «I com sempre, havia fregat amb un drap vell el terra, vinclant-se d’aquella menra como jo ja no sé vinclar-me, amb les cames obertes i estirades i el vestit que penja entremig. Tenim això, li havia dit el pare, i li havia ensenyat un fregall d’auells amb pal, i ella havia dit, això no serveix per a res» (El Hachmi 2008 : 170).

17 «no podies haver donat roba neta als teus germans, que la porten tota tacada de tomàquet d’ahir ?» (El Hachmi 2008 : 220).

18 «La mare no volia que hi anés, per això no va intentar cnvèencer al pare» (El Hachmi 2008 : 264).

19 «La mare només va fer, veus?, ja t’ho havia dit» (El Hachmi 2008 : 262).

20 «Aquesta és la história de Mimoun, fill de Driouch, fill d’Allal, fill de Mohamed, fill de Mohand, fill de Bouziane, i que nosaltres anomenarem, simplement, Mimoun. És la seva història i la història de l’últim dels grans patriarques que forman la llarga cadena dels avantpassats deDriouch ? Cadascun d’ells havia viscut, actua i inferit en la vida de tots els que els envoltaven amb la fermesa de les grans figures bíbliques» (El Hachmi 2008 : 7).

21 «eren dones de les d’abans» (El Hachmi 2008 : 19).

22 «I Mimoun continuava trobant les figuretes de porcellana de les lleixes de vidre del menjador horroroses, i el gos que servia de paraigüer, i les pells de conill damunt les tauletes entre els sofàs. Aquella casa no feia llar i Mimoun no sabia ben bé per què» (El Hachmi 2008 : 150).

23 «Aquell mateix dia unes hores abans, jo havia vist el pare fer el que mai havia fet per ningú. Havia agafat una escombra i havia netejat els racons del pis, havia fregat el terra amb sabó d’aquell que fa olor de bosc, havia tret la pols i netejat els vidres. Amb una destresa que no li hauria atribuït mai, ni a ell ni a cap altre home» (El Hachmi 2008 : 200).

24 «Però per què m’he esforçat tants anys, jo, a pujart-te? Això seria com llençar-te sense més ni menys i em penso que vas massa per fer una cosa Aixa» (El Hachmi 2008 : 310-311).

25 «jo que confiava tant en tu perquè em pensava que eras diferent» (El Hachmi 2008 : 313).

26 «no podia parlar amb ell en cap més llengua que no fos la llengua amb què el vaig connèixer» (El Hachmi 2008 : 188).

27 Roman de Mercè Rodoreda (1909-1983), publié pour la première fois en 1974.

28 Recueil de nouvelles de Salvador Espriu (1913-1985), publié pour la première fois en 1935.

29 «Sort en vaig tenir, de Mirall trencat, de l’Ariadna al laberint grotesc, de les memòries del Tísner, de Faulkner, de Goethe, de totes les lectures que passaven per les meves mans» (El Hachmi 2008 : 295).

30 «La meva altra part deia que egoista que ets, ell que està patint i tu aquí pensant només en tu mateixa, que egoista, mare de Déu» (El Hachmi 2008 : 298). «Jo havia recuperat en alguns aspectes la meva faceta musulmana» (El Hachmi 2008 : 298).

31 «Hasta los 8 años la única ficción que había vivido era la de la oralidad». Ernest Alós, Entrevist con Najat El Hachmi Najat el Hachmi: «O la literatura catalana se deja contaminar o se muere», Elperiódico.com, 02/02/2008 <https://www.elperiodico.com/es/actualidad/20080202/najat-el-hachmi-o-la-literatura-catalana-se-deja-contaminar-o-se-muere-63540> [consulté le 20/04/2020].

32 «De com s’havia tacat amb sang hi ha diverses versions, però la més coneguda és la que explica el mateix Mimoun» (El Hachmi 2008 : 61).

33 «Els que el van sentir diuen» (El Hachmi 2008 : 120).

34 «la tieta sempre explica» (El Hachmi 2008 : 97).

35 «Quan m’explica aquesta història» (El Hachmi 2008 : 112).

36 «Ell no en para mai, de si tot allò va ser fàcil o no» (El Hachmi 2008 : 155).

37 «Diuen que Mimoun es va amagar de l’avi dos, que temia més que a ningú, i el va sentir de dins estant d’una de les cambres. Es devia estremir només imaginar-se sense la seva muller, o almenys això és el que sempre explica. I posterga surtir quan la seva dona ja marxava, gairebé muntada damunt del ruc, i diluen que va ser de les poques negades que va demanar perdó tant a ella co al seu sogre. Els que el van sentir dicen que em perdonis, que em perdonis, que tot això ja no tornarà a passar mai més, que em curaré, que t’ho prometo que em curaré» (El Hachmi 2008 : 119-120).

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Pour citer cet article

Référence papier

Gregoria Palomar, « De la rupture à la symbiose entre deux cultures »reCHERches, 28 | 2022, 159-175.

Référence électronique

Gregoria Palomar, « De la rupture à la symbiose entre deux cultures »reCHERches [En ligne], 28 | 2022, mis en ligne le 15 juin 2022, consulté le 13 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/13370 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.13370

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Auteur

Gregoria Palomar

Maître de conférences émérite, Université de Lorraine, Centre Écritures (EA3943) – Metz.

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