Le Complot
Résumés
Née dans l’actuelle République de Moldavie, titulaire d’un prix littéraire décerné à Chisinau en décembre 2012 pour son premier volume poétique, Olga Baltag étudiante en master d’études théâtrales à l’Université de Strasbourg se présente, évoque sa famille, sa scolarité secondaire, ses efforts pour s’inscrire à l’Université en Roumanie. La retranscription de ses propos a été effectuée à la suite de trois entretiens avec Hélène Lenz. Olga Baltag communique à la suite de cette interview un choix de trois poèmes extraits de son livre et sa première pièce Le Complot rédigée directement en français, lue en représentation publique à Strasbourg en juin 2013.
Entrées d’index
Haut de pageNotes de l’auteur
Texte traduit par Olga Baltag et Hélène Lenz.
Texte intégral
1Ce jour‑là ne mourut pas qu’une personne. Ce jour‑là mourut une humanité entière. Et Le Monde y est resté indifférent. Le Monde disait que les élections étaient justes, démocratiques, vraies. En effet Le Monde ne savait rien sur les élections : il supposait. Mais il était sûr de supposer juste. Et tous les autres furent d’accord avec lui. Tous sauf 40 000 personnes. Ces 40 000 qui sortirent le lendemain des élections pour demander justice. Ces 40 000 qui étaient en deuil – improvisé, et puis pour de vrai.
2Hanté par les « révolutions de couleur » qui ont eu lieu à sa périphérie (Géorgie en 2003, Ukraine en 2004), Moscou s’inquiète de la flambée de violence survenue à Chişinau, la capitale moldave, où des milliers de manifestants, mécontents de la victoire du Parti communiste pro‑européen aux élections législatives de dimanche, ont pénétré dans les bâtiments du Parlement et de la présidence, mardi.
L’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) a jugé ces élections conformes aux normes internationales.
Le Monde
« Certains ont voté à plusieurs reprises et des morts ont pris part au vote », a affirmé le maire de Chişinau et vice‑président du Parti libéral, Dorm Chirtoaca.
L’Express
3Je me suis réveillée le lendemain du jour des élections et j’ai entendu que les communistes avaient gagné. Dommage.
4Chez moi, personne ne parlait. On était tous silencieux mais avec une rage intérieure qui montait. Mon père me disait que si rien ne changeait, dans quelques jours il faudrait se préparer au pire. « Dans quelques mois on quittera le pays et on ne reviendra plus jamais. Revenir pour quoi faire ? Revenir pour qui ? Pour eux ? Jamais ! »
5Et il fut une révolution !
6J’ai faim. J’avais faim d’une révolution.
7Et il fut une révolution !
Le Président de la Moldavie accuse l’opposition d’avoir organisé les manifestations anticommunistes. Il ne sait pas que les jeunes ont utilisé les réseaux sociaux pour se rassembler. La chaîne nationale de télévision ne couvre pas les manifestations. Internet ne marche plus en Moldavie. Un ami vient de me dire que les jeunes protestataires ont offert des fleurs aux policiers qui les ont acceptées en souriant. Le pouvoir des fleurs. (8 avril)
PMAN : la chaîne nationale de télévision publique transmet de la musique populaire et les émissions du matin : rien de ce qui se passe dans le pays.
PMAN : Chisinau est encerclé, les douanes moldaves sont fermées, internet est partiellement bloqué mais cela ne les arrêtera pas.
PMAN : Les étudiants moldaves qui font leurs études en Roumanie ont peur de rentrer. Ils craignent qu’on ne leur permette pas de retourner en Roumanie.
The Independent
8J’ai reçu un SMS l’après‑midi du lendemain des élections : Tinerii au declarât 6 aprilie zi de doliu national. Se organizează flashmob la ora 6 la monumentul lui Ştefan Cel Mare şi Sfînt. Dacă nu ai votat comuniştii, vino cu lumânări să păstrăm un minut de reculegere.
9Est‑ce que l’histoire va se répéter ? J’ai cru revivre les événements que mon père avait vécus. En 1991 il scandait « liberté » sur la même Place.
10Et moi, qu’est‑ce que je vais scander ?
11Comme jamais auparavant, le 7 avril, je suis arrivée au lycée la première. J’avais hâte de voir ce que les autres pensaient et si l’administration nous permettrait d’aller aux manifs. Premier cours – mathématiques avec notre responsable de classe. Elle nous prévient de ne pas aller au centre‑ville car les absences seront punies et notre classe est déjà sur une liste suspecte dans le bureau de la directrice. Deuxième cours – art théâtral. La prof arrive en retard, comme toujours. Elle prend le temps de fumer sa cigarette derrière la salle où on a cours. Et quand elle entre – silence. Dix personnes dans la salle. Elle retire sa veste, s’assied et nous regarde. « J’ai reçu la consigne de ne pas vous laisser sortir de cette salle. Ce qui se passe ou ce qui va se passer là‑bas est dangereux. Je vous interdis d’aller sur la Place mais j’ai une chose à vous dire encore : soyez prudents ! Je sors donner un coup de fil. » Message compris. Cinq minutes plus tard, nous étions déjà à l’arrêt du trolleybus, direction révolte !
12Le monument de Stefan cel Mare şi Sfînt. 19h00. Des visages connus se tournent vers moi, on devient tous des amis parce que maintenant… maintenant, on a un ennemi commun – eux ! Nous sommes tous troublés. Tous frustrés. Tous. Ensemble.
13Une minute de silence. Deux.
14Trois.
15Deuil.
Le président moldave, Vladimir Voronine, a menacé mercredi de recourir à la force pour mettre fin aux manifestations qui ont embrasé mardi Chişinău, la capitale moldave. Dans le plus pur style soviétique, Voronine affirme que les manifestants, des « fascistes ivres de colère » manipulés par la Roumanie, ont tenté de « commettre un coup d État ». Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, lui a apporté son soutien. L’ambassadeur roumain a été sommé de quitter le pays et, dans la foulée, Chişinău a introduit un régime de visas avec la Roumanie. L’UE, dans l’expectative, se contente d’appeler au dialogue.
Le Figaro
16Je suis revenue le soir du 6 avril à la maison. Mon père me regardait, fier. Il était fier que son éducation, l’éducation qu’il a donnée à sa petite fille soit juste. J’avais fébrilement participé dans la campagne électorale et j’étais membre d’un Parti d’Opposition.
17Je ne me rendais pas compte de l’importance des événements mais je savais que ces jours‑là allaient faire date dans l’Histoire de la Moldavie et que moi, comme mon père, j’y avais participé.
18« En Moldavie il n’y a aucun doute sur le résultat du scrutin, mais l’opposition tente d’utiliser la même tactique qu’ailleurs en ex‑URSS », estime Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue Russie dans la politique mondiale.
Radiotélévision Belge Francophone
19Le matin du 7 avril je suis allée au lycée. C’était une formalité bien sûr, je savais très bien que j’irais sur la Place, je savais que ce qu’ils étaient en train de nous apprendre sur les bancs des établissements d’enseignement public n’était qu’un mensonge. La vraie vie se passait à quelques kilomètres de là. Et pour une fois dans ma vie j’avais la bénédiction de mon père pour franchir les limites et pour vivre.
20A 10h du matin j’allais vers la vie.
21Qui aurait su qu’un jour après, cette vie virerait en mort…
In curtea unui liceu privat din capitală elevii claselor a XII‑a se pregăteau să meargă la proteste. Doamna directoare alături de domnul poliţist, pazeau poarta zăvorâtă a liceului.
Doamna directoare:
– Copii, noi am semnat un contract cu părintii voştri, dacă nu aveţi 18 ani, nu va putem permite sa iesiţi la protest.
– Eu am l8ani!
– Nu contează.
Maria Paula Erizanu, « Aceasta este prima mea revolutie. Furaţi‑mi‑o »
Rue Pouchkine – direction Grande Place de l’Assemblée Nationale (PMAN).
22Du monde, du monde, du monde. Je n’ai jamais vu autant de monde. Je voyais des pancartes avec les noms des villages de partout – c’est ça, la révolution n’avait pas lieu qu’à Chişinău mais dans tout le pays et c’était ici le lieu de rassemblement.
23Jeunes. Beaux. Pauvres.
24On marchait sur la Place les uns à côtés des autres avec le même amour dans nos coeurs – la Moldavie. C’était pour nous, pour nos parents, pour nos enfants qu’on était sortis ce jour‑là. On réclamait la démocratie, la liberté, la dignité
7 апреля в ходе беспорядков были задержаны 19 несовершеннолетних. После установления личности они были переданы родителям. С 8 по 11 апреля были задержаны еще 17 несовершеннолетних. Трое из них были отпущены после проведения профилактической беседы в присутствии родителей, а в отношении 14 из них применена мера "домашнего ареста", поскольку было доказано непосредственное участие в совершении правонарушений. Между тем, передает Интерфакс, прокурор Кишинева Сергей Кроитор опроверг утверждения представителей оппозиции о жестоком обращении с теми, кто был задержан по итогам массовых беспорядков 7 апреля. По его словам, задержание всех доставленных в полицию было произведено с соблюдением всех уголовно-процессуальных норм в присутствии адвокатов, а несовершеннолетних – в присутствии педагогов, законных представителей или родителей. Kasparov.
25Je ne comprenais pas ce qui se passait, je marchais entre la Grande Place et la rue entre les bâtiments de la Présidence et le Parlement et tout me monde scandait « Jos Comuniştii ! ».
26Et je criais avec eux. Je voulais qu’ils quittent le pays, que Voronine quitte le pays pour Karlovy Vary pour ne plus jamais revenir. Je voulais qu’il emmène avec lui l’armée 14 stationnée depuis 1992 en Transnistrie et qu’il se réfugie en Russie. Moi je n’aime pas la Russie. Elle a fait souffrir mon père. Elle a fait souffrir mon grand‑père qui se cachait pendant des mois dans les forêts pour ne pas être déporté en Sibérie.
27J’avais peur.
28Mais pour la première fois la rage triomphait ! Et j’en étais fière.
29Alors que sur la Place, les leaders des Partis d’Opposition appelaient les gens aux manifestations pacifistes, derrière le bâtiment de la Présidence, les policiers cassaient le marbre des trottoirs pour faire des « munitions » pour les protestataires.
30Alors que la plus ancienne voiture de la dotation des pompiers moldaves arrivait entre les bâtiments de la Présidence et du Parlement, derrière l’hôtel Jolly Alon (à côté du Parlement), les policiers discutaient tranquillement sur le beau temps d’avril en fumant des cigarettes.
31Alors que les protestataires manifestaient devant le bâtiment du Gouvernement, le Parlement brûlait. Les policiers n’intervenaient pas. Les pompiers non plus. La voiture du poste de télévision procommuniste eutv était en train de se faire renverser. Les pierres volaient de partout.
32Et les filles donnaient des fleurs aux gendarmes.
Pour citer cet article
Référence papier
Olga Baltag, « Le Complot », reCHERches, 11 | 2013, 299-303.
Référence électronique
Olga Baltag, « Le Complot », reCHERches [En ligne], 11 | 2013, mis en ligne le 08 février 2022, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/10655 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.10655
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