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Derrière le Prut

Autopsia sufletului / L’autopsie de l’âme

Olga Baltag
p. 293-297

Résumés

Née dans l’actuelle République de Moldavie, titulaire d’un prix littéraire décerné à Chisinau en décembre 2012 pour son premier volume poétique, Olga Baltag étudiante en master d’études théâtrales à l’Université de Strasbourg se présente, évoque sa famille, sa scolarité secondaire, ses efforts pour s’inscrire à l’Université en Roumanie. La retranscription de ses propos a été effectuée à la suite de trois entretiens avec Hélène Lenz. Olga Baltag communique à la suite de cette interview un choix de trois poèmes extraits de son livre et sa première pièce Le Complot rédigée directement en français, lue en représentation publique à Strasbourg en juin 2013.

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Notes de l’auteur

Texte traduit par Olga Baltag et Hélène Lenz.

Texte intégral

1Marchant de nuit dans les rues de Strasbourg après le film Un jour, je me souviens de toi… à nouveau j’erre dans les rues et je te vois sous la lumière d’un réverbère qui pâlit solitaire dans la noirceur de la nuit veillant les passants prudents.

2Je me vois sous ton éclairage sans savoir qui prend soin de l’autre : toi de moi ou moi de toi. Je m’arrête sur un banc humide : la pluie y est tombée comme un torrent de l’été écoulé abandonné loin derrière, refusant de se laisser emmener, abandonnant une dernière empreinte de peinture sur la ville. Je te vois dans les feuilles tombées et t’imagine déjà sous les traits du printemps ressuscité, tel l’oiseau Phoenix à partir de ses propres cendres…

3L’air chaud me fera toujours songer à toi comme la pluie d’été au début de septembre, comme une bonne parole profonde dite à la lumière d’un réverbère moderne dans un studio de la Défense ou comme une paire de lunettes Karl-Lagerfeld, blanches-noires de temps et d’événements… Je me souviendrai de toi et te savourerai à l’heure de partage des eaux comme l’un des cadeaux les plus précieux qu’ait pu m’offrir la vie en France…

                                                                                    septembre 2011

* * *

4… Elle aimait la pluie. Tellement ! Les gouttes de pluies tombées du ciel représentaient pour elle bien plus que de l’H20. Chaque fois que la météo annonçait la pluie, elle restait collée à la fenêtre et attendait impatiemment l’odeur d’ozone fraiche qui annoncerait qu’elle était proche, qu’elle allait commencer, d’une minute à l’autre… Je parle d’Elena, une adolescente extraordinaire à tous égards. En apparence, Elena était une fille comme les autres aux problèmes, aux tourments intérieurs pareils à ceux de tous les ados à 15 ans. Mais Elena aimait la pluie, tellement. Chaque fois qu’elle sentait venir les premières gouttes, se cachant de ses parents, elle sortait. D’ailleurs, toute l’énergie qui animait Elena était alimentée par la pluie. Dans une ville où la pluie tombait dix mois par an, Elena regardait d’un oeil positif toute chose autour d’elle, elle était énergique et différente. Pour mieux vous faire comprendre ce besoin d’Elena, il vous suffira de savoir que les gens qui s’occupaient d’elle n’étaient pas ses parents biologiques (son père et sa mère étaient morts peu de temps après sa naissance dans un tragique accident de voiture). Ses parents adoptifs, ses grands-parents considéraient que mieux valait qu’elle sache la vérité et ne lui avaient jamais caché ce détail. Ils avaient décidé pour elle mais cela ne valait guère mieux. Elena n’était pas bien dans sa peau. Toujours, elle se réfugiait en elle-même découvrant dans la lecture des livres, des journaux un petit campement rien qu’à elle, qu’elle pouvait nommer un chez soi.

5Elle possédait bien un chez soi, sauf qu’il ne comblait pas son besoin de sécurité. Cette sécurité, elle l’avait trouvée un jour en se promenant dans le parc central. C’était une belle journée d’août. Dans la chaleur étouffante, les fleurs avaient un parfum enivrant. Longeant le bassin à jet d’eau au centre du parc, elle a senti des gouttes tomber du ciel. Elle savait ce qu’est la pluie mais ne l’avait jamais sentie sur sa peau. Ses parents adoptifs lui disaient toujours que la pluie peut faire du mal aux hommes, qu’après l’accident nucléaire à l’autre bout du monde, la Planète n’était plus aussi sûre qu’auparavant. En août, Elena a senti la chaleur des gouttes de pluie. Revigorées, les fleurs ont repris vie et le parc a retrouvé sa fraîcheur du matin très tôt. Elena connaissait cela. Elle était sortie parfois à l’aube se promener; ce qu’elle préférait, c’était regarder le lever du soleil près du lac du parc. A présent, elle découvrait la pluie – sa nouvelle passion, son nouvel amour, sa nouvelle source d’inspiration et de sacrifice. Depuis lors, la pluie était devenue pour elle l’édredon enchanté dont ses parents la couvraient du haut des cieux.

6Sans doute vous êtes-vous demandé pourquoi je parle de tout cela au passé ? Parce que toute histoire a une fin. Un jour qu’elle revenait de l’école, Elena a pris un autre chemin que d’habitude. Elle s’était dit qu’ainsi elle éviterait la routine et le temps perdu à marcher quand elle rentrait à la maison. Elle s’est arrêtée dans une cour pour coucher des vers sur un bout de papier. Les mots tournaient dans sa tête et elle voulait à tout prix les écrire. Soudain, il a commencé à pleuvoir. Elena levait les yeux vers le ciel comme d’habitude quand elle sentait sur son visage les premières gouttes. Elle se disait qu’elle allait rester sur le banc à profiter de la pluie qui promettait d’être courte mais qui fut aussi la dernière. Elena avait quinze ans et onze mois. Dans un mois exactement, elle fêterait ses seize printemps. On l’a trouvée pelotonnée sur ce siège tard le soir quand des passants qui l’avaient suivie quelques minutes se sont demandés pourquoi la fille ne bougeait plus. La cause de la mort était l’exposition prolongée aux radiations tombées avec les gouttes.

                                                                                           avril 2011.

* * *

7… jamais je n’ai su trouver les mots.

8… toujours il m’a été plus facile de dire à un ami que je l’aime que de le dire à mes propres parents, qui mériteraient de l’entendre chaque jour !

9Maman, je t’aime ! Je t’aime parce que tu es notre mère, la mienne et celle de mon frère, parce que tu as souffert pour nous mettre au monde, parce que tu t’es fait du souci pour nous quand nous étions petits et ignorants ; parce qu’aujourd’hui tu peux faire face aux soucis qui ont grandi en même temps que nous. Je t’aime parce que tu as su me refuser à temps certaines choses, ce qui m’a fait les apprécier à leur juste valeur à présent que « je peux me les permettre » parce « Papa l’a dit ». Je te remercie d’avoir toujours été celle qui m’a aimée le plus, même à l’époque où il m’était difficile de m’aimer moi-même. Je te remercie parce que tu es si timide et belle, indiciblement belle ; parce que tu sais rester jeune comme tu l’es, pour le soutien que tu m’as apporté quand je m’imaginais que Papa était « mon plus grand ennemi ». Je te remercie de me préparer à manger et de m’écouter avec patience chaque fois que je te téléphone pour te demander ce qu’il faut bouillir d’abord quand on prépare un bortch : le chou ou les pommes de terre ; pour tous les mots de fierté que tu ne me dis pas mais qui se reflètent parfaitement dans tes yeux. Je te remercie parce que tu pleures calmement près de moi, dans ta honte de me déranger. A te voir si fragile, je me mets à pleurer aussi, non pour te soutenir mais parce que je t’aime tout autant que tu m’aimes. Je te remercie d’exister et d’être la présence obligatoire chaque jour qui me tracasse en permanence avec des questions du genre : « quelque chose ne va pas dans mon ordinateur, que faire ? » Tandis que toi tu me supportes quand je te réponds avec énervement « mais qu’est-ce que tu viens encore m’embêter cette fois ? M-a-m-a-a-a-a-n ! ! ! ».

10Je te remercie parce que tu m’as appris que le respect se mérite! Je te remercie pour toutes les leçons de vie que tu m’as données, parce que tu as accepté en silence ma décision quand je t’ai répondu avec orgueil « jamais je ne te confierai mes enfants pour que tu les éduques ! » Sans doute n’est-ce pas la seule fois que tu t’es sentie offensée. Je te remercie absolument pour tout ce que tu as fait pour moi. Pour les sacrifices que tu as faits en vue d’être fière à présent du fait que je parle parfois le français mieux que toi. Je te remercie de savoir chaque fois réunir notre famille comme un bloc et d’en faire partie, chair de ta chair, sang de ton sang.

11Maman, tu es l’être le plus précieux au monde !

12Je regrette de ne pas pouvoir te le dire chaque jour. Alors, quand je traverse de tels moments, je me mets à pleurer ; doucement, tu pleures avec moi parce que tu le sais.

13J’ai appris de toi la bonté avec les gens, la discrétion, le soin avec lequel on doit traiter ses amis, l’amour dont je suis capable et Dieu sait que je suis capable d’en donner pour trois vies d’homme et d’en donner encore, toujours…

14C’est de Papa que j’ai hérité l’audace et la justice, le soin et le coeur que je mets dans chacun de mes actes. Je te remercie d’aimer Papa même s’il n’est pas parfait, même s’il lui arrive de faire des erreurs. Je te remercie d’accepter en silence avec sagesse beaucoup de choses.

15Papa, je t’aime. Tu es la figure la plus importante de ma vie même si en apparence tu restes dans l’ombre d’autres « modèles ». Maman et toi vous êtes le point d’appui qui m’aide à grandir droite, confiante mais surtout – libre.

16Papa, je te remercie pour les leçons de vie et les exemples personnifiés et surtout pour mon éducation ! Même si c’est toi qui es celui qui me met toujours en garde, c’est de toi que j’ai appris à croire, à espérer. De toi et de Maman. Et de cela que je vous suis profondément reconnaissante !

                                                               Dernier texte du recueil, non daté

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Pour citer cet article

Référence papier

Olga Baltag, « Autopsia sufletului / L’autopsie de l’âme »reCHERches, 11 | 2013, 293-297.

Référence électronique

Olga Baltag, « Autopsia sufletului / L’autopsie de l’âme »reCHERches [En ligne], 11 | 2013, mis en ligne le 08 février 2022, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cher/10615 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cher.10615

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Auteur

Olga Baltag

Université de Strasbourg

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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