Didier NOURRISSON (textes rassemblés par), À votre santé ! Éducation et santé sous la IVe République, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2002, 213 p.
Texte intégral
- 1 Didier NOURRISSON, Le buveur du XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1990.
1Depuis Le buveur du XIXe siècle 1, et de nombreux travaux sur l’antialcoolisme, Didier Nourrisson a élargi ses préoccupations à l’histoire de la santé. L’ouvrage qu’il publie aujourd’hui est issu des travaux de plusieurs chercheurs d’un groupe de recherche qu’il a crée à l’IUFM de Lyon, sur l’Éducation à la santé. Il se propose de démontrer que pour l’éducation et la santé la IVe République mérite d’être réhabilitée. L’ouvrage insiste en fait sur les ambiguïtés de la période. La plupart des communications — dont beaucoup débordent la chronologie initialement retenue — soulignent les contradictions entre la volonté politique souvent affirmée et les réalités. Nicole Verney-Carron, dans son article consacré à une « Petite histoire de la médecine scolaire » insiste sur le fait que si le principe d’une médecine scolaire remonte à la Convention, la responsabilité laissée de fait aux collectivités locales conduit à des inégalités territoriales majeures. Seules quelques grandes villes en particulier, comme Saint-Étienne, sont pionnières en organisant une inspection médicale des écoles dans les premières années de la Troisième République. Si, avec la Libération, naît une véritable médecine scolaire, dans les textes au moins, les effectifs de médecins qui lui sont consacrés restent encore largement insuffisants. Certes s’amorce une évolution de la médecine scolaire qui intègre la mission nouvelle de l’orientation scolaire et professionnelle et qui élargit ces fonctions. Le service « d’hygiène » scolaire devient service de « santé » scolaire en 1955, dépassant les priorités de 1945, limitées à la prévention les carences alimentaires, à la lutte contre la tuberculose et à la diffusion de l’hygiène.
2En matière de cantine scolaire, l’article de Didier Nourrisson « Des cantines pour l’école » aboutit aux mêmes réserves. Certes l’expérience de leur promoteur militant, l’instituteur Raymond Paumier, est largement exaltée, surtout à sa mort en 1975. Il a été chargé de mission en 1945 au ministère de l’Éducation nationale, mais les restaurants scolaires qu’il contribue à développer, s’ils rompent avec les « sinistres cantines » et se préoccupent de diététique et du cadre, ne couvrent que très irrégulièrement le territoire français. Ils dépendent des municipalités. L’État ne les intègre pas véritablement dans sa politique de santé publique. L’éducation alimentaire des écoliers n’est pas une priorité. L’État n’est pas plus investi dans les distributions de lait, étudiées également par Didier Nourrisson. L’initiative du gouvernement de Pierre Mendès France en 1954 reste conjoncturelle et ne semble pas s’inscrire dans une grande réflexion scientifique ou collective.
3Les pratiques développées en faveur de la santé des enfants restent donc limitées, et les démarches en vue de leur éducation manquent de clarté, comme le démontrent les trois articles consacrés à l’éducation physique, à l’éducation scientifique et à l’éducation antialcoolique. Le défaut de consensus pédagogique repéré par Thierry Terret dans son article « Le sport contre la santé », très documenté sur la gymnastique scolaire, s’explique par les décalages entre des choix traditionnels des pouvoirs publics et les besoins sociaux. Santé des écoliers ou formation d’une élite sportive ? Le débat n’est pas tranché. Les manuels, décryptés méthodiquement par Marie-Françoise Perrier — « Lire la santé dans les manuels de science »—, tant pour le primaire que pour le secondaire, véhiculent pour beaucoup des conceptions archaïques. Ils manquent souvent d’informations actualisées et recourent à des statistiques plus destinées à faire peur qu’à informer scientifiquement. L’absence d’un discours adapté à la jeunesse semble être pour l’auteure une faiblesse inexplicable à une époque qui a découvert l’adolescence depuis au moins un demi siècle. Du côté des films fixes également étudiés par Didier Nourrisson, le premier chercheur à se lancer dans l’analyse de ce support pédagogique, oublié aujourd’hui, une certaine « modernité » apparaît. Dans « Arrêt sur les images de l’alcoolisme », s’il constate que beaucoup d’images renvoient à une vision passéiste de la vigne et du vin, il souligne une évolution du discours antialcoolique, qui ne se contente plus de dénoncer les ravages de l’alcool mais insiste sur les bénéfices de la vie sans alcool, propice aux sports, aux loisirs. Contrairement aux manuels s’affiche une volonté de s’adresser aux jeunes générations, dans une société rajeunie, et en quelque sorte de leur confier une mission.
4Mission hygiénique qui semblerait s’emparer aussi de l’armée que Jean-François Brun saisit en 1950 au moment de la première grande enquête du Service de santé, dans son article, « Alcool et Grande Muette. La consommation d’alcool en milieu militaire ». Délicates à traiter, les données statistiques n’en confirment pas moins la hiérarchisation des consommations, les différenciations par arme et l’accroissement régulier d’une surconsommation entretenue par de très vieux rites de sociabilité. Mais l’auteur conclut que l’armée n’en est qu’à poser les bases de la lutte antialcoolique qui ne se concrétisera pas avant... 1981 et la création du comité central d’études sur l’alcoolisme, amorce de toute une série de mesures, concernant également la consommation du tabac. L’éducation dans cet univers aussi est loin d’être effective.
5Loin d’apporter un satisfecit à la période — mais l’histoire n’a pas à prétendre à ce rôle — l’ouvrage n’en apporte pas moins des éléments de réflexion au grand débat sur le concept de santé publique en France.
6[correction typographique le 09 juin 2003]
Pour citer cet article
Référence électronique
Dominique Dessertine, « Didier NOURRISSON (textes rassemblés par), À votre santé ! Éducation et santé sous la IVe République, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2002, 213 p. », Cahiers d'histoire [En ligne], 47-1 | 2002, mis en ligne le 13 mai 2009, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ch/456 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ch.456
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page