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Comptes rendus

Richard SCEAU, Lyon et ses campagnes. Héritages historiques et mutations contemporaines, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, 375 p.

Pierre Goujon

Texte intégral

1Autant que les géographes, les historiens sauront gré aux Presses universitaires de Lyon d'avoir publié cette version allégée de la thèse d'État de géographie que Richard Sceau a consacrée à Lyon et ses campagnes. Parce que le thème central de l'ouvrage, l'étude des rapports ville-campagne, a toujours été au cœur de la réflexion des historiens ruralistes. Et surtout parce que l'auteur a résolument placé sa réflexion dans une perspective historique : affirmant d'entrée de jeu que " la connaissance du présent passe par l'interrogation du passé ", il s'engage à décrire les longues évolutions démographiques, économiques et socio-professionnelles constitutives des campagnes lyonnaises contemporaines ; autant de synthèses qui, appuyées sur une documentation archivistique fournie et sur la lecture exhaustive des travaux des historiens, prennent valeur de références. Ce faisant, il semble renouer avec la tradition des grands maîtres de la géographie régionale française dont l'apport à la connaissance du passé des campagnes françaises fut si précieux.

2" Une terre ingrate, chargée d'hommes " : tel est l'apparent paradoxe que Richard Sceau se donne pour tâche d'élucider. Il trouve la réponse à la question posée dans l'influence dominatrice et fédératrice exercée au long de plusieurs siècles par la grande ville sur un ensemble de régions que ni la nature, ni l'histoire politique et administrative, n'avaient su unifier. Il lui fallait donc tracer les limites d'une " région lyonnaise " qu'il circonscrit dans un rayon de 60 à 80 kilomètres autour de la ville, englobant à l'ouest la zone de monts, collines et plateau du Beaujolais et du Lyonnais et à l'est les plateaux et les plaines de la Dombes et du Bas-Dauphiné septentrional. C'est dans ce périmètre somme toute réduit qu'historiquement se sont nouées, à l'initiative et au profit de Lyon, les complémentarités et les solidarités qui caractérisent cet ensemble jusqu'à nos jours. Ajoutons que ces liens et ces échanges, ainsi que les bénéfices retirés, ne furent jamais unilatéraux, furent constamment adaptés, ce qui confère au cas étudié une forte originalité par rapport à la nature des rapports ville-campagne des autres grandes villes françaises.

3La démarche heuristique utilisée présente un intérêt certain pour l'historien. Une première partie s'attache, de façon classique, à dresser un tableau des campagnes lyonnaises dans les années 1970-1980 : le premier chapitre, sur le thème de la diversité et des contrastes, décrit les conditions de relief, de climat et de sols et le deuxième analyse, à grand renfort de tableaux et de cartes d'excellente facture, la répartition de la charge humaine, les structures démographiques et socio-professionnelles, les structures foncières et l'utilisation du sol. En réalité plus que d'un tableau il s'agit souvent de l'étude, fine et précise, de l'évolution démographique et socio-professionnelle des campagnes lyonnaises entre 1950 et 1975-1980, donc des " trente glorieuses ", période que Richard Sceau considère comme le début d'une ère nouvelle dans les rapports ville-campagne, ce qui en fonde l'intérêt historique. La deuxième partie, intitulée " Les lignes de force de l'influence lyonnaise " en écho au titre -  Héritages et mutations contemporaines -, s'attache à expliquer, en faisant appel au passé, les traits dominants exposés dans le tableau initial, et aussi à détecter les ultimes évolutions de la dernière décennie.

4Première ligne de force de l'influence lyonnaise et premier trait original du cas lyonnais, l'évolution démographique. La population de ces régions augmente fortement au XIXe siècle (de 46,6 % de 1806 à 1866, population lyonnaise non comprise), les densités rurales sont élevées, jusqu'à atteindre 125 h/km2 dans le Bas-Dauphiné en 1866. Jusqu'à cette date la croissance urbaine de la ville n'affecte pas l'élan démographique de ses campagnes. Et lorsqu'à partir du deuxième tiers du XIXe siècle les prélèvements urbains se renforcent, il y a bien déclin de la population rurale, mais il est limité et sélectif. L'industrialisation des campagnes, maintenue et adaptée au cours d'un long siècle et demi, a permis aux ruraux de rester dans leurs villages. Les premiers recensements de l'après-guerre font apparaître une situation contrastée. Certes les densités rurales sont encore fortes (85 en 1954) et la population agricole représente 37 % de la population rurale en 1962. Mais le calcul et la représentation graphique de l'indice de potentiel démographique en I962, intéressant en ce qu'il synthétise tous les indices démographiques habituellement utilisés (vieillissement en liaison avec l'exode et la baisse de la natalité, pourcentage de la population jeune, présence féminine), opposent des régions en difficulté comme les monts du Haut-Beaujolais, la Dombes et quelques zones du Bas-Dauphiné aux régions dont la situation démographique est satisfaisante à l'image des monts du Lyonnais, des cantons périurbains autour de Lyon et, à un moindre degré, du Beaujolais viticole. À partir de 1975, tout change. L'opposition centre-périphérie devient le trait distinctif dominant. Le rôle de la proximité de la ville devient déterminant dans l'évolution de la population rurale : les campagnes rurbanisées, profondément modifiées dans leurs structures socio-professionnelles, contrastent de plus en plus avec des campagnes où ne subsistent que des structures paysannes vieillies. La ville tend à phagocyter un plat pays sans cesse élargi et à délaisser les zones les plus éloignées ou les moins favorisées.

5L'originalité des rapports fonciers entre Lyon et ses campagnes est aussi grande. L'analyse des structures foncières et des structures d'exploitation tient une place importante dans l'ouvrage. Fondée sur l'exploitation des matrices cadastrales successives à partir du premier cadastre des années 1830, elle n'ignore rien des problèmes inhérents à cette source - cotes multiples, nature des cotes inférieures à un hectare, propriété vicinale, problème de délimitation des seuils en fonction de la nature des cultures - et apporte une connaissance précise d'une évolution pluriséculaire. Jusqu'en 1975 la propriété reste divisée, la petite propriété de moins de dix hectares est partout présente et la petite exploitation est prépondérante. La moyenne propriété, de dix à 50 hectares, a de solides positions dans la zone montagneuse orientale, le Bas-Dauphiné et partiellement le vignoble beaujolais. La grande propriété s'impose dans le nord du Beaujolais viticole, la Dombes et l'ouest du Bas-Dauphiné (plateau Crémieu). Au total à cette date la moitié des terres cultivables est en faire-valoir direct. L'exiguïté des exploitations et des systèmes de production exigeants en main d'?uvre (polyculture à base herbagère ou céréalière, viticulture et cultures fruitières) ont maintenu des densités relativement fortes. De 1975 à 1990 les effectifs des propriétaires de moins de un hectare progressent, la moyenne propriété se renforce en nombre et en surface, la grande propriété est en recul. Mais la concentration de l'exploitation et la simplification et l'intensification des combinaisons culturales ne sauraient cacher l'avenir incertain de l'agriculture des montagnes de l'Ouest et des Terres froides.

6La constance dans le temps de l'investissement foncier citadin est aussi une spécificité des campagnes lyonnaises. Les citadins, en majorité lyonnais, ont en tout temps, avec une intensité variable selon la conjoncture économique, recherché le statut de propriétaire terrien. L'emprise foncière citadine est passée de 17,1 % du sol vers 1830 à 25 % en 1975. Caractéristique aussi est la variété de cette propriété citadine, mêlant à toute époque la propriété spéculative du Beaujolais viticole, les placements forestiers dans la montagne beaujolaise, les grands domaines cynégétiques de prestige en Dombes et la petite propriété de plaisance un peu partout. Elle diminue après 1975 (moins 4 % en quinze ans) et subit de profondes transformations de structure. La grande propriété recule alors que la multiplication des résidences secondaires et le raz de marée pavillonnaire dans un espace périurbain de plus en plus étendu entraînent la prolifération des petits et très petits bien-fonds. Cette tendance illustre l'intégration croissante de la campagne à la ville par l'appropriation foncière.

7La diffusion de l'industrie textile sous l'impulsion des négociants lyonnais est l'objet d'une synthèse claire et précise. Retenons plus particulièrement l'étude, menée sur la longue durée, de la pluriactivité liée à l'industrialisation des campagnes. Selon des formes diverses et des statuts variés, du paysan-tisseur à l'ouvrier-paysan puis à l'ouvrier d'usine d'aujourd'hui, elle a façonné une société rurale originale et maintenu sur des terres ingrates une forte charge humaine. En 1980 les agriculteurs à temps complet ne représentent qu'un peu plus du tiers de la population active agricole. Certes la crise a réduit les effectifs du secteur textile-habillement de moitié de 1975 à 1990, si bien qu'à cette date ils ne représentent plus que 13,8 % de l'emploi industriel des petites villes et des communes rurales. Mais la présence de Lyon a facilité la diversification industrielle, la population active non agricole des communes rurales a augmenté de près de 82 % entre 1954 et 1975 et le volume des migrations de travail alternantes, vers Lyon certes mais aussi vers de nombreux pôles d'emploi secondaires, attestent de l'imprégnation industrielle des campagnes lyonnaises.

8En revanche ce n'est qu'à partir du milieu du XIXe siècle que l'influence économique de la ville touche l'agriculture. Les besoins d'un marché de consommation en rapide croissance stimulent des productions déjà existantes ou créent de nouvelles spéculations. Contentons nous de rappeler que le vin du Beaujolais est bien le troisième fleuve de Lyon jusqu'aux années 1950 ; le vignoble y écoule alors de 50 à 60 % de sa production. De même l'exploitation des étangs de la Dombes, fondée sur l'assolement original carpe-avoine a pour principal débouché l'agglomération lyonnaise jusqu'au début du XXe siècle. Ces deux productions sont maintenant intégrées dans le commerce international. Seulement 10 % des vins du Beaujolais sont commercialisés à Lyon, les marchés extérieurs absorbent près de la moitié des ventes. Cette brillante relance de la viticulture beaujolaise est due à trois facteurs : l'organisation du régime des appellations d'origine contrôlée, la mise en place d'un réseau de caves coopératives et l'élaboration et l'habile promotion d'un produit original, le Beaujolais nouveau commercialisé en primeur. Au contraire la vente des carpes de la Dombes en Allemagne se heurte à une sévère concurrence et ce sont les grands domaines cynégétiques qui sauvegardent les étangs mais souvent constituent un frein à la modernisation de la pisciculture. Les nouvelles orientations agricoles, apparues dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ont suivi une orientation identique. Le bassin laitier dont la production et la commercialisation sont structurées par les regroupements coopératifs n'est plus qu'une composante géographique d'une grande zone de collecte interrégionale dominée par de grands groupes laitiers (ORLAC, SODIAAL). Les producteurs de légumes de la banlieue maraîchère et de fruits du plateau lyonnais écoulent une partie de leur production au marché d'intérêt national. Et maintenant c'est la ville qui, par son extension continue, menace leurs exploitations : au cours des 25 dernières années, la surface du verger lyonnais a diminué de 42 %.

9Il est difficile de rendre compte en quelques lignes de la richesse d'un tel ouvrage. En réalité, plus qu'une étude de l'influence de Lyon sur ses campagnes, c'est une véritable somme qui nous retrace leur devenir sur au moins deux siècles, jusqu'aux mutations contemporaines, révélatrices de nouveaux rapports ville-campagne. Un livre de référence pour tout lecteur soucieux de connaître les campagnes lyonnaises.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Goujon, « Richard SCEAU, Lyon et ses campagnes. Héritages historiques et mutations contemporaines, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1996, 375 p.  »Cahiers d'histoire [En ligne], 42-2 | 1997, mis en ligne le 14 mai 2009, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ch/151 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ch.151

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