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Lectures critiques

Annie Lenoble-Bart, Bernadette Truchet, Jean-François Zorn (dir.), Politiques éditoriales dans la mission (XIXe-XXIe siècle)

Gilles Vidal
Référence(s) :

Paris, Karthala, « Histoire des mondes chrétiens », 2022, 405 pages

Texte intégral

1Le Centre de Recherches et d’Échanges sur la Diffusion et l’Inculturation du Christianisme (CREDIC), association spécialisée dans l’histoire des missions, gratifie les lecteurs depuis 40 ans d’un ouvrage constituant les actes de ses colloques annuels paraissant d’une année sur l’autre. La crise sanitaire du Covid ayant empêché les éditions 2020 et 2021 de se tenir, le choix a été fait pour 2022 de publier un recueil d’articles issus d’une équipe internationale d’universitaires, évalués par un comité scientifique spécialement constitué de chercheurs métropolitains africanistes ou spécialistes de l’information et des médias.

2L’ouvrage s’ouvre sur une introduction des directeurs précisant son objet : l’étude des stratégies de communication mises en œuvre par les congrégations ou sociétés missionnaires, à des époques et dans des champs géographiques très divers ainsi que leur adaptation à l’évolution techniques des moyens de communication, depuis la presse embarquée en pièces détachées sur les navires missionnaires du XIXe s. jusqu’aux outils numériques contemporains. Il se divise en quatre parties dont nous reproduisons les titres.

1. Les maisons d’édition des congrégations et leur politique éditoriale

3Cette section est de facture assez classique quant à la thématique abordée. La première contribution de Valérie de Vulf, des Archives nationales de Paris, « De la littérature orale à la littérature écrite. L’influence missionnaire en Guinée équatoriale du XVIe au XXe s. » (p. 13-32), décrit l’influence des premiers missionnaires catholiques dans la formation d’une culture orale puis écrite de ce pays et la manière dont l’alphabétisation a été un lieu de concurrence, avec l’arrivée au XIe s. des missionnaires protestants anglophones. Deux influences majeures qui ont donné lieu à l’émergence d’une littérature spécifique avec l’indépendance puis la dictature de 1968 à 1979, jusqu’à l’instauration d’une véritable « guinéité » littéraire (p. 30) à partir des années 1980 et la fin du franquisme jusqu’à nos jours.

4Sous un titre quelque peu énigmatique : « La réponse missionnaire au patrimoine linguistique », Paul B. Steffen, professeur à l’Urbiana de Rome, entend décrire « le développement d’une méthode d’évangélisation et de communication des missionnaires de la Société du Verbe Divin (SVD) en Papouasie-Nouvelle-Guinée » (p. 33-48). Cette mission se trouve devant le problème de la grande diversité des langues de ce pays : laquelle choisir pour l’évangélisation et la traduction des ouvrages indispensables : missels, catéchismes, cantiques ? Grâce aux liens entre certains de ces missionnaires néerlandais et le P. Wilhelm Schmidt, fondateur de la revue Anthropos, ceux-ci prennent en compte les débuts de la réflexion ethnologique mondiale, et leur choix se porte finalement et très judicieusement sur le pidgin english compris de tous, y compris des Européens, ce qui n’empêche pas l’utilisation d’autres langues plus locales. L’hebdomadaire Wantok – titre que l’auteur aurait pu expliciter : le wantok est à la fois le terme qui désigne le pidgin (dit pisin localement) et le locuteur, celui qui parle la même langue, un compatriote, voire une personne d’un clan allié, donc ami – créé à l’initiative de la Conférence des évêques catholiques du pays, juste avant l’indépendance en 1975, s’avère très utile pour faire comprendre les enjeux des changements politiques en cours à une population très éparse. Ce journal issu d’une maison d’édition missionnaire catholique va finalement s’ouvrir aux anglicans et à l’Église unie de Papouasie-Nouvelle-Guinée, suivant en cela un engagement œcuménique certain, caractéristique typique des Églises chrétiennes dans la région depuis les années 1960.

5De l’Océanie à la Chine, il n’y a qu’un pas que franchit savamment Bernadette Truchet, ancienne directrice du centre de documentation des Œuvres Pontificales Missionnaires à Lyon, par son propos : « De l’imprimerie à l’édition : les Variétés sinologiques (1892-1938) » (p. 48-64), périodique sur la culture et la civilisation chinoise, mais elle précise : « il ne s’agit pas d’études chinoises faites par des Européens, rédigées en Europe, même à partir de sources chinoises mais d’études rédigées et éditées en Chine même » dont 7 auteurs sur 21 sont à la fois jésuites et chinois (p. 57). B. Truchet montre l’évolution de ce périodique passant d’une présentation initiale de la culture chinoise relevant de généralités à des contributions écrites par des plumes reconnues du milieu académique sinologue français de l’entre-deux-guerres.

6Flavien Nkay Malu, directeur de l’Institut supérieur pédagogique d’Idiofa (RDC), clôt cette partie avec un article intitulé : « De la Bibliothèque des Évolués à la Bibliothèque de l’Étoile (1943-1962) : un projet de formation de l’élite indigène par le livre » (p. 65-79). Le lecteur reste chez les jésuites, mais cette fois au Congo belge où l’un des leurs, le P. Jean Coméliau, crée une bibliothèque publiant des brochures sur les sujets les plus divers tels que « l’avion, la photographie, Stanley et Léopold II, le vent, la pluie, l’orage… » (p. 69) mais aussi sur des sujets religieux à destination des Africains dits « évolués ». Le lecteur apprécie la finesse avec laquelle F. Nkay Malu retrace la genèse de ce terme, son acception chez les premiers intéressés, flattés de leur privilège acquis par une certaine éducation dans ce contexte colonial si particulier et se considérant, par mimétisme, comme « des Européens à peau noire » (p. 73), tout en montrant la relativisation de ce statut pour l’Européen blanc. Pressentant une évolution dans les rapports des races, les bons pères changèrent le nom de la collection par le terme plus neutre de « Bibliothèque de l’Étoile » (nom pouvant renvoyer à la stella maris). Cela n’en exonère pas pour autant les missionnaires, selon l’historien, d’avoir tenté, par le biais de cette collection, de maintenir le contrôle sur une élite minoritaire d’instituteurs et de petits fonctionnaires et surtout de la tenir à l’écart des « idées révolutionnaires ou athées. Il lui fallait une lecture saine » (p. 79).

2. Langues, traductions, éditions 

7Cette deuxième partie s’ouvre par un article de Louis-Martin Onguéné-Essono, professeur à l’Université de Yaoundé 1, intitulé « Traces mémorielles des missionnaires au Cameroun » (p. 83-97). Il y entreprend un recensement des ouvrages, journaux et écrits divers légués par les catholiques dans un Cameroun évangélisé par de nombreuses congrégations parfois en situation de concurrence. Les auteurs peuvent être clercs ou laïcs, ayant parfois pris leur distance avec l’Église, tout en contribuant à la diffusion de textes dans son cadre. L’auteur recense les différentes maisons d’édition et dresse un tableau quantitatif des publications par discipline et par congrégations (p. 89) dans lequel théologie, anthropologie et histoire de l’Église forment le trio de tête. Il souligne l’apport considérable de l’édition religieuse dans le domaine de la linguistique et de la sociolinguistique.

8Toujours pour le Cameroun, Jan van Slageren, professeur honoraire de la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles, retrace l’histoire des « Traductions bibliques : la postérité de la Mission baptiste » (p. 99-114). Il fait remonter – en milieu protestant aurait-il fallu préciser – la volonté de mise en œuvre d’une politique éditoriale dans la mission à la création, en 1792, de la Baptist Missionary Society (BMS) par William Carey, auteur d’un manifeste célèbre énonçant sa vision de l’organisation d’une œuvre missionnaire sur le modèle des compagnies commerciales, publié en 1792 et non 1789 comme indiqué (p. 99). S’ensuivent la présentation de figures littéraires de la mission baptiste tels Joseph Merrick, jamaïcain d’origine africaine, théologien, linguiste et journaliste (p.102) ou l’allemand Adolph Vielhauer (p. 105) ainsi que la présentation de plusieurs traductions de la Bible (ou de ses extraits) dans plusieurs langues du Cameroun : isubu, douala, mugaka et bamoun par la Mission de Bâle ou bandjoun et bagangte par la Mission de Paris et boulu et bassa par la Mission presbytérienne américaine. Pour chaque langue figurent les premières lignes de l’évangile de Marc. L’auteur conclut sur l’importance du travail actuel de l’association Wycliffe tâchant de traduire la Bible dans « le maximum de langues dites “minoritaires” » (p. 113).

9Encore sur le continent africain, mais plus au Sud, Benoît Girardin, diplomate retraité enseignant à la Geneva School of Diplomacy and International Relations, s’intéresse quant à lui aux « Interactions culturelles mises en œuvre à travers les pratiques et les politiques d’entreprises missionnaires protestantes en Afrique australe au XIXe s. » (p. 115-150). Il livre une analyse comparative passionnante des intentions éditoriales de trois missions voisines : la London Missionary Society (LMS), la Wesleyan Methodist Missionary Society (WMMS), aidées de la British and Foreign Bible Society et de la Société des missions évangéliques de Paris (SMEP ou Mission de Paris) auprès des populations bassouto, tswana et xhosa (caffres). Il analyse pour cela différents types de documents : ethnographiques, linguistiques et religieux ainsi que leur impact sur le plan social et politique. Pour la LMS, le soubassement de la politique éditoriale consiste principalement dans la traduction de la Bible (œuvre de Robert Moffat en tswana) et de la littérature d’édification à l’instar du Voyage du pèlerin de John Bunyan. Les décisions éditoriales se prennent à Londres mais avec une marge de manœuvre pour l’Afrique et Madagascar (p. 123). Le rapport de la LMS aux autres cultures, dans les publications, bien qu’ayant évolué vers moins de condescendance, reste de l’ordre de la « prédominance du “nous” et du “eux” » (p. 125). En ce qui concerne la WMMS qui produit également une traduction de la Bible, on apprend que la décision de publier des ouvrages d’un autre type (catéchismes et tracts) est délocalisée et relève des districts même si la politique est décidée à Londres. Une des marques éditoriales méthodistes est la production poétique, à vrai dire davantage celle des missionnaires que de la population xhosa, établissant, là encore, entre Européens et population missionnée le même rapport du « nous » au « eux » (p. 130). L’approche sotho/twsana du Lesotho par la Mission de Paris diffère sensiblement dès le ministère des premiers missionnaires, prêtant attention aux discours officiels royaux, aux pratiques coutumières naturellement, mais aussi à l’expression de multiples formes culturelles : « discours, contes, récits, louanges, éloges, panégyriques, sentences, maximes, proverbes, et fables » (p. 133). L’auteur voit dans la politique éditoriale de la société parisienne une filiation issue de la pensée de W. von Humboldt articulant « langage, contexte et vision » (p. 135). Le résultat consiste non seulement dans une œuvre purement apologétique mais pouvant s’adresser à un public instruit, plus large voire « contradicteur » (ibid.), indiquant par-là que la perspective interculturelle relève cette fois-ci de la relation du « nous » à un « vous ». L’article est complété par des annexes fort utiles recensant les produits éditoriaux des trois sociétés missionnaires selon leur type.

3. Trajectoires dans la presse 

10Cette troisième section se compose de deux ensembles : l’un consacré aux « revues autochtones » et l’autre « aux revues savantes et spécialisées ».

3.1. Revues autochtones

11Alexandre Tsung-ming Chen, chercheur à l’Institut Verbiest de l’Université catholique de Louvain, présente pour le premier ensemble « Le Bulletin de la Jeunesse catholique chinoise – BJCC (1925-1934) de Vincent Lebbe : pour un “catholicisme patriotique” » (p. 153-171) dont le but était d’informer « le lectorat des dernières nouvelles de la Chine et du développement du catholicisme dans ce pays » (p. 153). On doit au P. Lebbe la création d’un hebdomadaire catholique Guang-Yi-Lou – Recueil de ce qui peut propager le bien et du premier quotidien catholique en langue chinoise Yi-Shi-Bao – Le bien public en 1915. Contrairement à ses pairs, il estimait nécessaire d’encourager un patriotisme chinois car dans ces années 1910 les catholiques chinois étaient soupçonnés d’être « des chiens courants des impérialistes occidentaux » (p. 156). Se souciant d’abord des étudiants catholiques chinois envoyés en France et en Belgique dans les années 1920, il fonde à leur intention le Bulletin de la Jeunesse catholique chinoise, à la fois patriotique et catholique. La plupart des articles rendent comptent de l’inexorable inculturation du christianisme en Chine et ne manque pas d’informer un lectorat élargi aux Européens sinophiles sur l’impérialisme japonais, utilisant le communisme comme repoussoir, pour justifier son incursion en Mandchourie. Le BJCC et son lectorat penchaient donc du côté des nationalistes de Chiang-Kai-Shek. À côté du politique, la diffusion de la doctrine catholique, mais aussi les valeurs de la culture chinoise, dont l’alliance fut illustrée par la consécration de six évêques du pays, faisait aussi partie des thèmes abordés. L’auteur conclut sur l’influence que la presse du P. Lebbe a pu exercer sur une certaine élite au service de l’État et de l’Église chinois.

12Les deux dernières contributions de cette partie sont consacrées à l’Afrique. Diégane Sène, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et ancien ministre de la culture du Sénégal, aborde la parution, de 1947 à 2012, du mensuel catholique (ou bimensuel selon les périodes) « Horizons africains : entre témoignage et mémoire d’Église » (p. 173-185). Il souligne la belle longévité de ce journal modeste qui se consacre initialement à l’histoire de la mission catholique et aux nouvelles des communautés. Très prudent sur les questions politiques, ce journal se contente d’une politique de la présence, ne consacrant par exemple pas une seule ligne à l’effondrement du communisme en 1991, « système qu’il a le plus combattu » (p. 179). D. Sène souligne en revanche l’ouverture de cet organe de presse tant à l’Église universelle qu’à une compréhension honnête de l’islam – dont il rappelle la domination – et conclut sur l’importance du journal sur la formation des laïcs, entretenant la flamme de l’apostolat, de l’engagement, et le souci de « renforcer l’harmonie que l’on note dans la société sénégalaise » (p. 185).

13Enfin, Salvador Eyezo’o, directeur honoraire du département d’histoire de l’École Nationale Supérieure de Yaoundé, présente : « La Semaine Camerounaise face aux problèmes religieux et politiques du Cameroun indépendant, 1961-1970 » (p. 187-207). Ce journal nait en 1958 de la volonté de trois Églises protestantes de se doter d’un organe « pour exposer le point de vue évangélique dans tous les problèmes d’actualité » (p. 189) et sera rapidement dirigé par des journalistes formés expressément en France même si les missionnaires protestants restent en appui au début de sa parution. Le thème de l’unité de l’Église et de l’œcuménisme est très présent comme en témoignent les lignes de l’archevêque de Yaoundé, futur père conciliaire, tenant les lecteurs informés des changements prévisibles à l’aube de Vatican II (p. 193). Le journal fait également la part belle à l’implication – capitale – des dirigeants d’Église dans la construction œcuménique tant au niveau du pays, régional ou mondial. C’est le cas du pasteur Eugène Mallo, de la Fédération évangélique des Églises et missions au Cameroun (FEMEC), et du pasteur Jean Kotto, connu pour son implication dans la création de la Conférence des Églises de toute l’Afrique (CETA) mais aussi de la Communauté évangélique d’action apostolique (Cevaa). Le journal ne cache pas sa préoccupation devant les difficultés, notamment financières, dans la mise en place de l’indépendance du pays, mais il salue l’unification des partis du Cameroun occidental et de certains du Cameroun oriental dans l’Union nationale camerounaise. Il soutient aussi le gouvernement dans la répression de ce qui est alors appelé « la rébellion de l’Ouest et du littoral du pays » dont les attentats, en 1959, ont coûté la vie à plusieurs missionnaires protestants français et suisses, et entravé la vie des Églises protestantes de ces régions. L’auteur souligne une complaisance certaine du journal envers l’État et sa prise de position – contrairement à l’Église catholique – en faveur d’une nationalisation partielle de l’enseignement primaire, notamment du fait de la difficulté, pour les Églises protestantes, d’assurer les salaires des enseignants. S. Eyezo’o conclut « qu’en laissant à tout le monde l’opportunité de s’exprimer », ce journal traitant des questions sociales et restant prudent sur les questions politiques, était in fine « réellement à l’écoute de la société » (p. 207).

3.2. Revues savantes et spécialisées 

14Ce second ensemble s’ouvre par la contribution de Jean-François Zorn, professeur honoraire de l’Institut protestant de théologie, sur « Le Monde Non Chrétien. Une revue protestante de missiologie qui donne un visage à l’autre » (p. 211-230). Les années 1930 sont une période faste pour les revues de mission. Aussi l’auteur s’interroge-t-il sur les raisons ayant poussé Maurice Leenhardt à fonder celle-ci, parue sous forme de supplément à la revue de culture protestante Foi & Vie en deux périodes : 1931-1936 et 1947-1969. Il s’agit en premier lieu d’offrir un espace de réflexion théologique non seulement à la mission en tant que telle mais aussi aux autres formes religieuses et à un « christianisme mondial dont il faut redéfinir l’essence » (p. 212). La revue « savante » consacrée à la mission se positionne ainsi en complément de l’autre grande journal « militant » issu du même milieu, le Journal des Missions Évangéliques, organe de la Mission de Paris. L’auteur analyse en détail le contenu du premier numéro, qui, à côté d’articles apologétiques, fait de la place à l’œcuménisme, à la relation entre christianisme et islam, à l’Asie et au droit. La ligne est celle d’auteurs « coloniaux humanistes » (p. 213) mais la revue ne craint pas d’exposer également le point de vue barthien pourtant négatif sur la capacité de la religion en général, opposée à la foi, à véhiculer le message salvifique contenu dans l’Évangile. Les numéros suivants continuent dans cette voie avec des articles sur l’Asie, l’hindouisme et l’Inde, le mouvement œcuménique international, la question coloniale, la situation dans des champs de mission de la SMEP, mais l’originalité consiste dans la présentation d’autres thèmes plus anthropologiques, l’activité missionnaire et « la connaissance des autres religions et cultures » (p. 220), les langues indigènes, la magie, le symbolisme. La nécessité d’un séjour prolongé en Nouvelle-Calédonie de Maurice Leenhardt, également rédacteur d’une autre revue, Propos Missionnaires, explique partiellement l’interruption de la publication qui reprend en 1947 avec Raymond-Henry Leenhardt, fils du précédent, comme secrétaire de la rédaction. En fait, cette nouvelle série résulte de la fusion entre la Revue Missionnaire suisse romande et les Propos Missionnaires. Elle est marquée par une « décennie de continuités et d’interrogations » de 1947 à 1957 (p. 223), continuités par la promotion de la Mission, l’information régulière sur les conférences missionnaires régionales et internationales, mais interrogations également à la suite du décès de Maurice Leenhardt en 1954. Plusieurs articles de cette période sont signés de « figures marquantes des sciences humaines » telles que Gerard van der Leuw, Henri Desroche, Georges Gursdorf ou Henry Corbin, par ailleurs gendre de M. Leenhardt. La décennie suivante (1957-1969) témoigne davantage, selon J-F. Zorn, de « mutation et de recomposition » : l’influence française dans la décolonisation, le positionnement de M. Leenhardt dans l’ethnologie française ou la fin du Conseil international des missions, intégré en 1961 au Conseil œcuménique des Églises (COE). En conclusion, l’auteur aborde « l’héritage » de la revue et note une forme de filiation implicite en 1981 à travers l’apparition de Perspectives Missionnaires (PM), revue d’origine évangélique suisse mais qui au fil du temps s’est élargie « dans une perspective œcuménique » (p. 230). Peut-être conviendrait-il cependant de nuancer cette filiation implicite en observant que PM comportera nettement moins d’articles académiques à teneur anthropologique que le Monde Non Chrétien (MNC). Ironie de l’histoire : PM, rappelle J.-F. Zorn, a entrepris une mutation numérique en 2022 sous le titre Cahiers d’études missiologiques et interculturelles hébergée sur le site internet de… Foi & Vie, opérant ainsi, selon lui, un « étonnant retour aux sources » (ibid.).

15Restant dans le domaine des revues « savantes », le lecteur appréciera grandement la contribution d’Éric Morier-Genoud, professeur associé à la Queen’s University de Belfast, et Yannick Fer, chargé de recherche au CNRS et membre du centre Maurice Halbwachs, intitulée : « La mission comme objet de sciences sociales. Histoire et futur de la revue Sciences sociales et missions » (p. 231-243). En effet, la trajectoire de cette revue sociologique de classe internationale bilingue est originale. Elle naît dans les années 1990 dans le milieu universitaire Léman grâce au professeur de théologie de Lausanne Klauspeter Blaser, entouré d’étudiants en sciences politiques intéressés par le phénomène missionnaire, et avec le concours de collègues africanistes. Une première revue, le Fait Missionnaire, est créée et diffusée de manière assez artisanale à ses débuts par ses fondateurs, Nicolas Monnier, Didier Péclard, Éric Morier-Genoud & K. Blaser qui font le choix de publier des travaux universitaires, puis savent s’entourer de spécialistes internationaux réputés en sciences sociales. La marque de la revue, qui s’étoffe et progresse jusqu’en 2006, consiste dans « un croisement d’approches » (p. 234), ne privilégiant pas la théologie, sans l’exclure pour autant, faisant dialoguer sciences politiques, histoire, sociologie et anthropologie. Le lecteur est frappé par une certaine similarité avec la revue précédente : la disparition accidentelle du professeur K. Blaser en 2002 a conduit à une réorientation, comme cela avait été le cas pour le MNC avec la mort de M. Leenhardt. Ensuite, le Fait Missionnaire devient en 2006 une revue bilingue éditée par la maison néerlandaise Brill sous le titre Social Sciences and Missions / Sciences sociales et Missions. Dès lors, la revue devient plus professionnelle et élargit son champ à la fois géographique et scientifique tout en maintenant l’accent sur les sciences humaines et sociales et « plus encore la multidisciplinarité, voire l’interdisciplinarité ou la transdisciplinarité » (p. 236). L’autre constante est le bilinguisme que les éditeurs considèrent comme « une fertilisation croisée des mondes et des traditions intellectuelles francophone et anglophone » (p. 237). Après l’arrivée en 2017 du sociologue français Yannick Fer et le renouvellement de l’équipe éditoriale, l’ancrage en sciences sociales est confirmé, avec une accentuation sur l’histoire des missions, puis viennent l’anthropologie et la sociologie. Par ailleurs, É. Morier-Genoud et Y. Fer rendent le lecteur attentif aux différences de structuration des sciences sociales suivant les pays et les langues : l’étude des faits religieux dépend tantôt d’institutions plus ou moins rattachées aux facultés de théologie tantôt aux religious studies plus généralistes, parfois dans l’université publique, parfois pas ! L’article se termine avec une des réflexions les plus suggestives du volume sur la définition de l’objet « mission ». En effet, actuellement pour la revue, celui-ci « ne renvoie pas à une catégorie théologique, mais plutôt à un type d’action sociale et une modalité d’intervention religieuse dans l’espace social », permettant ainsi « son inscription dans un cadre plus large des relations entre religions, société et politique » (p. 242).

16L’article suivant, signé de Risto Jukko, professeur associé à l’Université d’Helsinki, opère un retour à l’espace théologique, œcuménique et de politique ecclésiale en retraçant l’histoire de la revue de ce qui deviendra le COE : « International Review of Mission(s). Pour une mission qui fait face aux défis des XXe et XXIe siècles » (p. 245-261). L’auteur décrit les différentes étapes du processus d’élaboration de l’IRM qu’il distribue en trois périodes. La première s’étend de 1912 à 1961. La revue s’inscrit dans la préoccupation de l’évangélisation mondiale à la suite de la Conférence missionnaire internationale d’Édimbourg en 1910 et reste marquée par Joseph Oldham, son premier rédacteur. La revue se consacre aux questions missionnaires et à la réflexion théologique, ouvre ses colonnes à des voix d’Asie, très peu d’Afrique, à des théologiens catholiques, publie des études sur le lien entre le christianisme et les autres religions. Des plumes prestigieuses prêtent leur concours : l’historien Kenneth Scott Latourette, qui donne une illustration savoureuse de la modestie du chercheur (p. 248) mais aussi Hendrik Kraemer ou Emil Brunner. La croissance de l’Église et la sécularisation impactent forcément les méthodes et la théologie missionnaire qui recherche une approche que l’on dirait aujourd’hui holistique. La revue fait connaitre et diffuse, dans les années 1960, la pensée du hollandais Johannes C. Hoekendijk qui marque des générations de missiologues, jusqu’à aujourd’hui à bien des égards. C’est au cours de la deuxième période identifiée par l’auteur, de 1961 à 1982, que s’opère un changement considérable dans l’appréhension de la mission : celle-ci ne doit désormais plus être conduite – à l’heure de la décolonisation – par des organismes spécifiques, mais être intégrée à l’être même des Églises. Un « s » symbolique est ainsi déchu dans le titre de la revue : la mission, selon un concept forgé dans les années 1950, est la missio Dei : « La mission de l’Église est singulière dans le sens qu’elle découle du Dieu Un et Trinitaire et de son intention de salut pour tous les hommes » (p. 253). Les figures dominantes de l’époque sont le britannique Lesslie Newbigin et l’uruguayen Emilio Castro, et les débats portent sur les dissensions entre « œcuménistes » et « évangéliques » sur la priorité à donner, dans l’évangélisation, à la proclamation ou à l’humanitaire. La dernière période, 1982-2020, est marquée par des textes fondamentaux sur la mission : le texte du COE Mission et évangélisation, une affirmation œcuménique en 1982, et Ensemble vers la vie, issu de l’Assemblée de Busan en Corée en 2012. La célébration du centenaire de la Conférence d’Édimbourg a également donné lieu à un important travail de publication sous la direction du missiologue suisse Jacques Matthey. Durant cette période, la revue s’est diversifiée et ouverte à la théologie pentecôtiste dont la pneumatologie peut servir de fondement pour un dialogue avec l’orthodoxie et jouer un rôle clé dans la théologie des religions. L’auteur conclut sur les défis à relever dans les années à venir, il constate que « la mission n’a pas réussi à sauvegarder l’unité du monde chrétien », mais veut rester optimiste et souhaite que la revue continue de remplir sa mission de recherche non de « l’unité en soi » mais d’un « témoignage uni pour le monde » (p. 261).

17Dans « Afrika (1963-1967). Pères Blancs et Sœurs Blanches des Pays-Bas » (p. 263-277), Vincent Verbrugge, historien de l’Université catholique de Louvain, se penche sur l’histoire de cette revue née en 1948 de la fusion des Annalen, appartenant à la branche masculine de la congrégation, et de la Kroniek, issue de la branche féminine, œuvrant toutes deux dans la région des Grands Lacs en Afrique orientale. Après avoir examiné le processus de fusion du journal dans lequel il souligne l’inégalité financière qui en résulte entre les pères et les sœurs, il note « la solitude des rédacteurs » (p. 269) puis donne des éléments de contenu. Il souligne la visée initialement utilitariste du journal, destiné à donner des nouvelles « de l’action missionnaire sur le terrain », mais montre son ouverture, grâce à la fusion, sur les questions touchant notamment les femmes, non seulement « la vie des religieuses en Afrique » mais aussi « le travail journalier des autochtones » (p. 272). Par rapport à l’œcuménisme, Afrika diffère radicalement de l’IRM présenté précédemment. Protestants et communistes (!) sont très traditionnellement rangés du côté des obstacles à la mission, tandis que l’africanisation du clergé (p. 273) est très prudemment évoquée, ainsi que la décolonisation. Comme explication à cela, V. Verbrugghe estime que « les débuts de la décolonisation en Afrique et l’indépendance de plusieurs pays firent peur aux Pères et aux Sœurs », en particulier « la violence » (p. 275). Finalement, Afrika fut, pour la période étudiée, « un ballon d’essai pour faire concorder différents points de vue sur ce que devait être la mission en temps de décolonisation » (p. 276-277). La revue ne pouvait subsister longtemps en étant l’organe d’une seule congrégation, journal « au milieu du gué » (p. 277) entre un lectorat fidèle mais s’amenuisant, et un foisonnement toujours plus grand de revues diocésaines et dirigées par des laïques, ouvertes au « nationalisme » et à l’africanisation des cadres.

18Toujours dans la même aire géographique, Annie Lenoble-Bart, professeure honoraire de l’Université Bordeaux-Montaigne, arrive en conclusion de cette sous-partie du volume en se consacrant aux « Mutations éditoriales d’une revue “chrétienne” au Rwanda : Dialogue, 1967-1994 » (p. 279-296). Cette revue « d’inspiration chrétienne » qu’elle avait déjà analysée dans de précédents travaux, se classe, selon elle, dans les tentatives de « contrer la presse officielle de gouvernements autoritaires » relevant des « médias de la haine » (p. 280), mais elle s’interroge sur la faiblesse de son impact sur les élites d’un pays « réputé majoritairement catholique » (p. 281) au moment de la tragédie génocidaire de 1994. La revue a été créée en 1958 à l’initiative du président G. Kayibanda, ancien journaliste de la presse catholique. Elle évolue en 1982 en structure associative « sans but lucratif », « pour garantir à la revue son caractère libre et indépendant », embauchant davantage de Rwandais, mais dans laquelle l’autocensure était de mise. La santé financière de la revue est fragile et la position de « l’équilibriste » s’applique aussi à la ligne choisie, selon un éditorial de 1987 cité : « ni chantre du régime, ni presse d’opposition, Dialogue cherche à confirmer les réussites et à mettre en garde contre les déviations » (p. 285). L’autrice met en relief l’évolution de la gouvernance de Dialogue qui devient « laïcisée et rwandisée » en 1992, fidèle à une ligne « libérale » inspirée de Vatican II (p. 285) restant néanmoins sous influence des Dominicains, par ailleurs maîtres de l’enseignement supérieur dans le pays. A. Lenoble-Bart indique que cette ouverture d’esprit côtoie le tragique puisqu’elle a valu à l’un des premiers directeurs laïques, François Funga, de figurer parmi « les premières victimes en avril 1994 » (p. 286). Elle examine ensuite le rapport du périodique à son affichage « chrétien », explicité par son sous-titre de revue « d’information et de réflexion » envisageant les problèmes sociaux traités « dans une perspective chrétienne » (p. 287). Même si la progression du protestantisme fait l’objet d’articles et si certains sont même rédigés par des pasteurs, la hiérarchie catholique veille à la transmission d’une certaine doxa. Les questions de la démographie, de la limitation des naissances, et donc de la contraception et du planning familial, agitent toutefois le lectorat et la rédaction au point de susciter la mise sur la touche d’un rédacteur en chef. L’autrice décrit enfin les stratégies de contournement permettant à certains auteurs de critiquer – somme toute courageusement – la politique gouvernementale ou la mauvaise situation économique, et note la mise en cause, parfois très directement, de la hiérarchie catholique du pays pour son inaction. Elle conclut sur la difficulté, pour la presse écrite, de concurrencer la radio, surtout en temps de crise aigüe, et regrette, malgré des positions constantes et très claires de défense des Droits humains, que « Dialogue n’ait pas réussi à sauver la paix au Rwanda » (p. 296).

4. Les médias contemporains

19L’ultime section de l’ouvrage s’ouvre sur l’étude d’une radio catholique au Burkina Faso et au Togo : « Radio Maria en Afrique de l’Ouest : négociations d’un modèle made in Erba (Italie) », par Étienne Damome, professeur de l’Université Bordeaux-Montaigne (p. 299-314). Il décrit le processus par lequel ce média réussit son inscription à la fois dans le « global et le local » (p. 299). Cette petite radio paroissiale italienne créée en 1983 doit son succès international à une ligne éditoriale finalement on ne peut plus simple : « sa dévotion spéciale à la Vierge Marie » avec « un espace important à la prière à travers la récitation complète et quotidienne du chapelet » et « une attention particulière envers les personnes qui souffrent » (p. 300). L’auteur détaille le fonctionnement, très moderne, de radios indépendantes mais affiliées à la puissante association indépendante World Family of Radio Maria et interconnectées par des synchronisations régulières, ce qui permet immédiatement de saisir l’identité, la marque du média. Il décrit ensuite comparativement leur établissement progressif au Burkina Faso où elles sont légalement considérées comme des « radios privées », et au Togo où l’implantation a été plus difficile politiquement mais où elle couvre finalement l’espace national par essaimage. L’intérêt de l’article consiste dans l’exposé du processus de contournement de la ligne italienne thématique pour une plus grande africanisation des programmes, la faisant ainsi se rapprocher d’autres radios chrétiennes généralistes. Le financement de ces stations reste un défi permanent et l’auteur rend hommage au bénévolat qui leur permet d’exister, tout en énumérant les différents mécanismes de subventionnement dont elles bénéficient, depuis les dons recueillis localement jusqu’aux instances catholiques internationales en faveur de médias. Cette contribution se conclut sur le constat d’une inflexion entre un projet initial à forte empreinte religieuse et sa réalisation : le « renforcement de l’africanité aux effets bénéfiques sur les populations locales » (p. 314) ainsi que sur l’avenir de cette adaptation aux réalités des deux pays en question.

20Vendelin Abouna Abouna, chargé de cours à l’Université de Douala, poursuit la réflexion sur les nouveaux médias dans son étude intitulée « Plateformes numériques et service missionnaire au Cameroun. Images et ergonomie des pages Facebook et WhatsApp de l’émission télévisée Le Débat Chrétien de Vision 4 (2009-2019) » (p. 315-330). Après avoir dressé un panorama des différents médias chrétiens du Cameroun, l’auteur présente la chaîne privée Vision 4, « d’information et de divertissement » (p. 318), qui offre un créneau à une émission religieuse « à caractère œcuménique dont l’objectif théologique est une diffusion publique de la foi chrétienne » (p. 316), présentée par un pasteur pentecôtiste et animateur vedette, Tommy Mbegua. L’émission, qui aborde de nombreux sujets parfois polémiques entre confessions tels que « le divorce, le mariage, la polygamie, le célibat des prêtres, l’homosexualité, etc. (p. 318) » se prolonge – entre deux diffusions – par des débats sur les plateformes numériques susmentionnées. Captures d’écran à l’appui, V. Abouna Abouna détaille les chartes graphiques en soulignant l’aspect d’unité entre le décor télévisé et les plateformes, ainsi que la mise en scène du présentateur, dégageant une image « bon chic bon genre », véritable « outil de marketing » (p. 319), gage de fidélisation du public. Il pointe également l’articulation très aboutie entre les débats télévisés et diverses informations « pratiques » sur les réseaux : « Évangile du jour, calendrier des saints patrons, de ceux des paroisses, des prières, etc. », logique qui permet au chrétien de ne pas rompre avec son Église le temps d’une semaine, mais de continuer à communier avec elle à travers son téléphone portable (p. 323). Il analyse également les codes couleurs des nombreux émoticônes présents dans le fil des forum, communication non verbale destinée à appuyer l’argumentation des followers. En conclusion, l’accent est mis à la fois sur la démultiplication mondiale du message véhiculé jusque-là traditionnellement par le média télévisé mais aussi sur l’inflexion dans la ligne éditoriale missionnaire que cela suppose et que l’on pourrait peut-être résumer ainsi : moins d’enseignement, davantage de débats.

21Cyriaque Paré, chercheur au Burkina Faso, propose ensuite au lecteur une réflexion sur « L’Église catholique au Burkina Faso à l’ère de la communication numérique. La difficile conversion au Web » (p. 331-344). Elle repose sur l’analyse des pages Facebook et des sites web des diocèses du pays, montrant le décalage entre les instructions du Vatican en matière de développement de la communication numérique, aussi bien que les appétences personnelles du pape François pour ces médias, et leur mise en œuvre tardive par l’Église au Burkina qui créée son site seulement en 2005, soit dix ans après celui de la cité papale. À l’aide de statistiques, C. Paré souligne la disparité entre les diocèses en matière d’offre internet : huit diocèses pourvus sur quatorze (p. 339) ainsi que les problèmes d’actualisation que ces derniers rencontrent. Leur présence sur Facebook est aussi plutôt faible (4 sur 14) ce qui fait dresser à l’auteur un constat plutôt pessimiste, considérant que les quinze diocèses du pays « sont pour le moment dans le lot des “brebis égarées” sur les autoroutes de l’information avec encore une appropriation approximative de l’Internet et des réseaux sociaux » (p. 344).

22Enfin, l’ultime article du volume est signé de Vincent Carlier, consultant en affaires culturelles, et Étienne Damome : « La politique éditoriale de Hillsong Church : hybridation de la communication religieuse » (p. 345-365). Ils y montrent l’ascension médiatique d’une petite Église de quartier d’obédience pentecôtiste fondée à Sydney en 1983, aujourd’hui organisation mondiale implantée dans 25 pays et présente dans cinq villes françaises. Des prédications simples « centrées sur la vie quotidienne » indiquent une prédilection pour une forme du discours « décontractée et ouverte » (p. 348). Les auteurs mettent en avant, malgré un affichage smart, la morale conservatrice sous-jacente de l’Église puis décortiquent sa stratégie de communication fondée sur le paradoxe d’un « savant mélange de communication sociale et personnelle » : elle est « interne tout en étant publique » (p. 349) ! Ils analysent le lien entre esthétique et éthique, pourrait-on dire, à travers les codes fashion véhiculés par la société et un message religieux spécifique. L’Église se construit une identité fondée sur les valeurs du capitalisme où « leadership », « positivité » et « réussite personnelle » ont toute leur place (p. 351). Mais la puissance de pénétration médiatique de cet objet chrétien si particulier est principalement due à son utilisation de la musique, mise en scène dans la plus pure tradition de la pop culture. V. Carlier & É. Damome attirent l’attention sur le flou sciemment entretenu entre culte et concert ou entre rassemblement religieux et rassemblement sportif, tant les codes culturels sont jumeaux : « Hillsong donne à voir l’image d’une marque » (p. 353). Renforcée par son omniprésence sur les réseaux sociaux dès avant la crise du coronavirus qui n’a fait qu’accentuer la tendance, Hillsong a compris très tôt la possibilité, à travers Internet, d’offrir un lieu à la fois « de recueillement et de communion » (p. 364), lui permettant de devenir « l’une des premières Églises d’envergure 100% en ligne et un pionnier de la religiosité 2.0 » (p. 365).

Conclusion

23Au terme de la lecture de cet ouvrage foisonnant, il faut saluer la ténacité du CREDIC, société savante qui s’est donné les moyens, malgré l’annulation de deux colloques annuels, de poursuivre ses travaux sur l’histoire du fait missionnaire et son interaction avec les cultures. Certes, les directeurs scientifiques le reconnaissent en introduction, la thématique n’est pas entièrement nouvelle et plusieurs ouvrages publiés par le CREDIC portaient déjà sur la traduction en mission, les productions éditoriales, la diffusion et la propagande missionnaire. On notera toutefois dans le volume présent un spectre d’étude élargi, non seulement par les aires géographiques mentionnées, mais par la diversité des supports médiatiques étudiés. De même, il est heureux qu’avec la dernière partie de l’opus, l’époque contemporaine et ses processus de mondialisation fasse l’objet d’analyses pertinentes, contre l’idée reçue que la mission serait une affaire exclusivement recluse au XIXe s. Le seul regret, peut-être, serait de n’avoir pu disposer d’une analyse synthétique sur le sujet proposé, il est vrai très vaste. On aurait pu par exemple y examiner dans quelle mesure les variables économiques - toutes les organisations ne disposent pas des mêmes moyens - ou confessionnelles, conduisent ou non à des inflexions des politiques éditoriales quel que soit le contexte, ou encore si des constantes dans l’approche de l’altérité culturelle en situation missionnaire pouvaient être dégagées, malgré la prolifération des supports. Quoi qu’il en soit, la richesse et la diversité des articles, dont certains comportent d’instructives annexes, auxquelles s’ajoutent une brève présentation de chaque auteur, la présence d’un index, la clarté de la mise en page et la présence d’une iconographie judicieusement instillée au fil des pages, rendent l’ouvrage non seulement utile mais aussi très attrayant.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gilles Vidal, « Annie Lenoble-Bart, Bernadette Truchet, Jean-François Zorn (dir.), Politiques éditoriales dans la mission (XIXe-XXIe siècle) »Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 26 | 2024, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/9070 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/120gs

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Auteur

Gilles Vidal

Gilles Vidal enseigne l’histoire du christianisme à l’époque contemporaine à l’Institut Protestant de Théologie de Montpellier. Ses travaux portent sur l’histoire des missions protestantes et la théologie contemporaine dans le Pacifique Sud. Il codirige le centre Maurice-Leenhardt de recherche en missiologie de l’IPT et est membre du laboratoire CRISES de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. Il est l’auteur de Les nouvelles théologies protestantes dans le Pacifique Sud : Paris, Karthala, 2016. Membre du CREDIC et de l’Association francophone œcuménique de missiologie (AFOM), il a co-dirigé chez Karthala avec Marc Spindler & Annie Lenoble-Bart, L’Allemagne missionnaire. D’une Guerre à l’autre (1914-1939) paru en 2017 et avec Émilie Gangnat & Anne Ruolt, Enfance, jeunesse et missions chrétiennes paru en 2020.

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