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Lectures critiques

Michele Cutino (ed.), The Johannine Tradition in Late Antiquity and Medieval Poetry

Jérôme Lagouanère
Référence(s) :

Turnhout, Brepols, « Studi e Testi Tardoantichi / Profane and Christian Culture in Late Antiquity » 22, 2024, 406 pages

Texte intégral

  • 1 Jacques Fontaine, Naissance de la poésie dans l’Occident chrétien. Esquisse d’une histoire de la po (...)

1En dépit d’importants travaux à l’instar de ceux de Jacques Fontaine1, la poésie de l’Antiquité tardive fut pendant longtemps considérée comme une poésie de second rang comparée à la poésie classique et impériale. Fort heureusement, depuis plus d’une vingtaine d’années, l’intérêt accru pour la poésie tardive, manifesté par un nombre croissant de publications sur le sujet, a permis de remettre en cause cette vision simpliste. C’est dans ce cadre-là qu’il convient de resituer la publication de ces actes du colloque qui s’est tenu à Strasbourg les 16 et 17 septembre 2021 et qui fut organisé par l’ERCAM (Équipe de Recherches sur le Christianisme Ancien et Médiéval/UR 4377, Théologie Catholique et Sciences Religieuses) dans le cadre de la Chaire Gutenberg dont le pensionnaire en 2019-2020 fut Gianfranco Agosti (« The Transformation of Paideia in Late Antiquity. A Crossroads Between Culture, Society and the Path of Texts ») et dans celui des travaux du GIS GIRPAM (Groupe International de Recherches sur la Poésie de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge). L’intérêt tout particulier de ce volume est de souligner l’importance de l’œuvre poétique, à travers notamment le recours à la paraphrase biblique, dans la diffusion tant des textes bibliques, ici l’Évangile de Jean, que des idées théologiques dans le cadre des importants débats suscités par l’arianisme, le sabellianisme ou encore le nestorianisme aux iv-ve siècles.

  • 2 Sur le Contra Galileos de Julien, l’on consultera à présent Gianluca Piscini, « J’ai lu, j’ai compr (...)

2La première partie du volume est consacrée à la Paraphrase que le poète grec Nonnos de Pannopolis, auteur également d’un récit épique sur la geste de Dionysos, Les Dionysiaques, consacra à l’Évangile de Jean. Gianfranco Agosti (« Pourquoi Jean ? Encore sur la Paraphrase de Nonnos », p. 13-33) propose de resituer la Paraphrase de Nonnos dans le cadre intellectuel et culturel du ve siècle et rappelle notamment l’intérêt suscité par l’Évangile de Jean dans les milieux païens, notamment néo-platoniciens (Amélius, Proclus), ainsi que celui suscité par le Contra Galileos de Julien dans le milieu païen d’Alexandrie2. De fait, G. Agosti propose de lire la Paraphrase de Nonnos comme une réponse poétique au traité polémique anti-chrétien de Julien qui se situerait dans le prolongement du Contre Julien de Cyrille d’Alexandrie. Arianna Rotondo (« Le “poème de la πίστις” : l’Évangile de Jean dans la Paraphrase de Nonnos de Panopolis », p. 35-53) propose, pour sa part, une étude des modalités d’emploi des références johanniques. Ce faisant, elle met en évidence que les choix du poète tendent à souligner la primauté de la foi (πίστις) à travers le traitement qu’il fait des incrédules et des ennemis du Christ. La contribution suivante (« “Consuming the Living God”: Johannine and Mythological Echoes in Ps.-Apollinaris’Metaphrasis Psalmorum 41.3 », p. 55-67), cosignée par Filip Doroszewski & Maria Ypsilanti, fait un pas de côté et s’intéresse au traitement du verbe grec καταβιβρώσκω dans le passage de la Metaphrasis Psalmorum attribué à Apollinaire de Laodicée consacré au Ps 41 (LXX). Les auteurs montrent ainsi que ce verbe renvoie à la tradition patristique de lecture christologique et eucharistique de ce psaume en lien avec la figure de Jésus en Jn 6. La contribution suivante de Salvatore Costanza (« L’annonce de la résurrection dans la tradition johannique d’après la Paraphrase de Nonnos de Panopolis et l’Évangile de Pierre », p. 69-89) propose une comparaison du traitement du récit johannique de la résurrection du Christ dans la Paraphrase de Nonnos et dans l’Évangile apocryphe de Pierre datée du iie siècle. Ce faisant, l’auteur souligne, d’une part, que les deux textes mettent en exergue l’épiphanie du Christ ressuscité de Jn 21 ; d’autre part, que le poème de Nonnos accentue la valeur de celle-ci en reprenant à son compte tant des éléments issus de sources non canoniques que des éléments proprement allégoriques et issus de la tradition néo-platonicienne. C’est une autre comparaison que propose, pour sa part, Domenico Accorinti, à savoir le traitement de Jn 5,19-47 chez le poète latin du début du ive siècle Juvencus dans ses Euangeliorum libri quattuor et chez Nonnos (« Il discorso sull’opera del Figlio [Ioh. 5.19-47] nelle parafrasi di Giovenco [ELQ 2.637-691] e Nono [Par. 5.71-182] », p. 91-132) Après avoir resitué ces versets dans le cadre des débats suscités par l’arianisme à travers l’interprétation qu’en propose Grégoire de Nazianze (Or. 30, 10-11), l’auteur met en évidence la différence de traitement du texte johannique chez les deux poètes. Tandis que ces versets sont lus par Juvencus à l’aune de son antijudaïsme, Nonnos, pour sa part, témoigne d’un fort intérêt pour les discours du Christ qui décrivent sa relation au Père, ce qui doit être mis en relation avec les débats trinitaires qui agitent alors les milieux chrétiens alexandrins.

  • 3 Une traduction française récente du Carmen paschale a été publiée par Bruno Bureau : Sédulius, Le c (...)
  • 4 Sur Avit de Vienne, l’on pourra consulter Nicole Hecquet-Noti, Épopée et prédication. La poétique d (...)
  • 5 L’Historia Apostolica a fait l’objet d’une édition critique et d’une traduction française récente : (...)

3La deuxième partie du volume s’intéresse, pour sa part, à l’emploi du texte johannique dans la poésie chrétienne latine. La première contribution s’intéresse à l’œuvre du poète latin du iiie siècle Commodien, considéré traditionnellement comme le premier poète chrétien d’expression latine. Dans son article (« Der Beitrag von Johanneischer Synoptischer und Ausserkanonischer Apokalyptik zu Commodians Eschatologie », p. 135-157), Christoph Schubert étudie la manière dont Commodien recourt à l’Apocalypse de Jean pour structurer son récit et, pour ce faire, propose une étude de détail de son Carmen apologeticum, v. 833-868. Les quatre contributions suivantes traitent toutes du Carmen paschale de Sédulius (ve siècle)3. Dans un premier temps, Michele Cutino s’intéresse à la fonction théologique de la paraphrase johannique (« La fonction “structurante” de l’Évangile de Jean dans le Carmen paschale de Sédulius. Une réécriture biblique théologiquement orientée », p. 159-195). Comme le montre M. Cutino, les références johanniques mettent en exergue aux livres I et II la dimension humaine et divine du Christ, insistent aux livres III et IV sur les miracles du Christ, et jouent un rôle central au livre V dans la description de la Passion et de la Résurrection du Christ. Ce faisant, ces emplois révèlent que Sédulius adhère à une christologie largement partagée dans le christianisme occidental de l’époque qui s’inscrit dans la typologie du Logos-sarx tout en distinguant fortement ce qui relève de la dimension divine et de l’Incarnation du Christ. Stefania Filosini (« Sedulius on John: Selection Criteria », p. 197-231) s’attache également à l’examen des raisons qui président aux choix de Sédulius dans ses références à l’hypotexte johannique. Ce faisant, à l’instar de M. Cutino, elle met en évidence que ces choix illustrent la christologie de Sédulius, qu’il s’agisse de la réfutation d’Arius (I, 312-325), de l’exégèse de la Nativité (II, 41-62), du baptême de Jésus (II, 139-156) ou des récits de miracles, à l’instar de ceux du mariage de Cana (III, 1-11) ou de la multiplication des pains (III, 207-213). L’article de Donato de Gianni (« Christus adest panis, sanctusque spiritus ignis. L’apparizione del risorto sul lago di Tiberiade e la triplice confessione di Pietro nel Carmen paschale di Sedulio [v. 392-415] », p. 233-267) examine la réécriture que Sédulius propose de Jn 21,1-19. L’auteur montre ainsi que Sédulius procède à une interprétation typologique des éléments du récit johannique (les filets renvoient aux commandements de Dieu ; le pain, les poissons et le feu, aux sacrements) tandis que la triple confession d’amour de Pierre est mise en relation avec son triple reniement, à l’instar de l’exégèse proposée par Augustin en Io. eu. tr. CXXIII, 5. Il appert ainsi que l’exégèse de Sédulius se caractérise par une perspective christologique et ecclésiologique tout en s’inscrivant pleinement dans la tradition patristique. Enfin, Maria Dolores Hernandez (« The Epilogue of Saint John, a Structural Model for Sedulius’ Paschale Carmen », p. 269-285) propose une étude de la pratique poétique de Sédulius. L’étude des derniers vers des livres I, III et IV révèle ainsi une structure annulaire (Ringkomposition) qui met en valeur les actes de Jésus et sa uirtus. En outre, la technique paratactique du poète, qui n’établit pas de distinction claire entre son récit et ses réflexions métapoétiques, bouleverse la technique poétique de la σφράγις en entretenant une confusion entre le point de vue auctorial et le point de vue des personnages du récit, en particulier celui de l’évangéliste Jean. Les deux dernières contributions de cette deuxième partie traitent tour à tour, pour leur part, d’Avit de Vienne (début VIe siècle) et d’Arator (début vie siècle). Luciana Furbetta (« La tradition johannique dans les Carmina d’Avit de Vienne », p. 287-311) étudie l’emploi de la matière johannique dans le De spiritalis historiae gestis, poème qui propose une lecture christologique de trois figures vétéro-testamentaires : Adam (chants I à III), Noé (chant IV) et Moïse (chant V)4. L’examen de certains passages de l’œuvre permet ainsi de mettre au jour l’influence jouée par l’exégèse d’Augustin en Io. eu. tr. dans la reprise de la matière johannique par Avit de Vienne. Enfin, Katharina Pohl s’intéresse à la réception de l’Évangile de Jean dans l’Historia Apostolica d’Arator (« Zwischen Lydda und Bethesda – Die Rezeption des Johannes-Evangelium bei Arator », p. 313-337)5. À travers l’étude du récit de la guérison d’Aeneas en Historica Apostolica I, 745-800 et sa mise en relation avec la guérison du paralytique à la piscine de Bethesda, K. Pohl met en évidence l’originalité d’Arator dans le traitement de ce passage de l’Évangile de Jean par rapport à la tradition exégétique antérieure.

4La troisième et dernière partie de l’ouvrage se compose de deux contributions qui ont trait à l’influence de la matière johannique dans la poésie médiévale d’expression latine. Franca Ela Consolino s’intéresse tout d’abord au poète anglo-saxon d’expression latine du viie siècle Aldhelm de Malmesbury (« Two Portrayals of John the Evangelist in Aldhelm’s Poetry », p. 341-367). Grâce à une comparaison du portrait en prose et des deux portraits en vers qu’Aldehlm consacre à l’évangéliste Jean, F.E. Consolino montre que, si les choix faits par l’érudit anglo-saxon sont dictés par l’intention propre de chaque ouvrage, Aldelhm attache une importance toute particulière à la virginité de Jean tant dans son portrait en prose que l’on lit dans son De uirginitate que dans celui qui figure dans son Carmen de uirginitate, qui se complètent l’un l’autre. Enfin, Daniel Nodes s’intéresse à l’emploi de la matière johannique dans l’interprétation de l’épisode matthéen du Massacre des Saints Innocents à l’époque médiévale (« Light, Life, and the Baptism of Blood: Johannine Elements in Poems on the Holy Innocents », p. 369-389). S’appuyant sur l’étude de sources différentes (hymnologie ; prédication ; genre théâtral du mystère), D. Nodes montre que le recours à des éléments johanniques dans le traitement de l’épisode matthéen permet une exégèse christologique – le Massacre des Saint Innocents préfigurant la Passion du Christ.

5Les annexes de l’ouvrage se composent d’un index biblique, d’un index locorum et d’une présentation des différents contributeurs. Précisons enfin que chaque article du volume est complété par une bibliographie spécifique.

6La variété et la qualité des différentes contributions font sans conteste de ce volume un ouvrage de référence qui, sans prétendre à l’exhaustivité, ouvre des pistes de réflexion fort stimulantes aussi bien à propos de la pratique poétique tardive (paraphrase biblique ; rapport aux sources classiques ; procédés poétiques) qu’au sujet du rôle joué par la poésie chrétienne tardive. C’est d’ailleurs sans doute l’apport essentiel de cet ouvrage que de mettre en évidence le rôle important joué par la poésie chrétienne dans les débats théologiques, notamment trinitaires, qui agitèrent tant le christianisme oriental que le christianisme occidental durant les iv-ve siècles.

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Notes

1 Jacques Fontaine, Naissance de la poésie dans l’Occident chrétien. Esquisse d’une histoire de la poésie latine chrétienne du iiie au vie siècle : Paris, Institut d’Études Augustiniennes, « Collection des Études Augustiniennes – Série Antiquité » 85, 1981.

2 Sur le Contra Galileos de Julien, l’on consultera à présent Gianluca Piscini, « J’ai lu, j’ai compris, j’ai condamné ». Aspects littéraires de la polémique antichrétienne antique : Paris, Cerf/Beauchesne, « Théologie historique » 138, 2024.

3 Une traduction française récente du Carmen paschale a été publiée par Bruno Bureau : Sédulius, Le chant de Pâques : Poème pascal – Prose pascale, traduction de Bruno Bureau : Paris, J.-P. Migne, « Les Pères dans la foi » 103, 2013.

4 Sur Avit de Vienne, l’on pourra consulter Nicole Hecquet-Noti, Épopée et prédication. La poétique d’Avit de Vienne dans le De spiritalis historiae gestis : Paris, Institut des Études Augustiniennes, « Collection des Études Augustiniennes – Série Antiquité » 207, 2022.

5 L’Historia Apostolica a fait l’objet d’une édition critique et d’une traduction française récente : Arator, Histoire apostolique, texte établi et traduit par Bruno Bureau & Paul-Augustin Deproost : Paris, Les Belles Lettres, « Collection des Universités de France », 2017.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jérôme Lagouanère, « Michele Cutino (ed.), The Johannine Tradition in Late Antiquity and Medieval Poetry »Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 26 | 2024, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/8817 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/120go

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Auteur

Jérôme Lagouanère

Jérôme Lagouanère est Maître de Conférences HDR en Langue et Littérature Latines à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, membre de l’équipe de recherche CRISES et membre associé du Centre d’Études Patristiques (ex-IEA)/Laboratoire d’Étude sur les Monothéismes (UMR8584 CNRS/PSL/Sorbonne Université). Après une thèse intitulée Intériorité et réflexivité dans la pensée de saint Augustin préparée sous la direction du Professeur émérite Patrice Cambronne et publiée en 2012 dans la Collection des Études Augustiniennes, il a mené des travaux sur la question du sujet et de l’altérité dans la philosophie antique, tout particulièrement dans l’œuvre d’Augustin. Il a édité ou co-édité plusieurs ouvrages collectifs (Tertullianus Afer. Tertullien et la littérature chrétienne d’Afrique : Turnhout, Brepols, « Instrumenta Patristica et Mediaevalia » 70, 2015 ; La Naissance d’autrui, de l’Antiquité à la Renaissance : Paris, Classiques Garnier, 2019 ; Du Jésus des Écritures au Christ des théologiens. Les Pères de l’Église, lecteurs de la vie de Jésus : Turnhout, Brepols, « Cahiers de Biblia Patristica » 24, 2023) et prépare une nouvelle édition critique et une traduction du De animae quantitate d’Augustin qui paraîtra dans la collection de la Bibliothèque Augustinienne.

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