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Dossier thématique

Rites de la route et réparation de la mémoire servile : cas de la construction d’une tradition chez les Yémba de l’Ouest-Cameroun (XIXe-XXe siècles)

Road rituals and repair of servile memory: case of the tradition construction among the Yémba of West-Cameroon (19th-20th century)
Célestine Colette Fouellefak Kana et Darice Malabon

Résumés

À la fin du XXe siècle sont apparues chez les Yémba de l’Ouest-Cameroun de nouvelles pratiques rituelles qui trouvent leur terrain de mise en scène sur les routes, les carrefours et les places de marché : ce sont les rites de la route dits fiέ’ mènzhɛ. L’histoire de la construction de ces rites renseigne sur le processus d’émergence d’une institution ou d’une tradition nouvelle dans certaines communautés africaines. En effet, les rites de la route émergent comme moyen thérapeutique contre les traumatismes hérités par les Yémba de leur passé esclavagiste et colonial, et de la guerre d’indépendance pendant laquelle des membres de leurs familles furent enlevés et conduits ailleurs, loin de leur terre. Les rites de la route deviennent ainsi des structures de réparation de la mémoire de ces personnes enlevées. La construction de ces traditions rituelles est donc le fait d’un héritage historique traumatisant à cause des enlèvements, de la torture, de la mort et de l’oubli des membres de la communauté. Par un procédé de reproduction et inspiré des institutions de la mémoire existante, ces nouvelles pratiques rituelles apparaissent comme la solution adéquate à ce traumatisme mémoriel. Au gré de leur pratique d’une génération à une autre, leur efficacité va conduire à leur institutionnalisation comme tradition nouvelle.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 P. Gisel, Qu’est-ce qu’une tradition ? Ce dont elle répond, son usage, sa pertinence, Paris, Herman (...)
  • 2 Z. Saha, « De l’esclavage coutumier à la traite transatlantique dans la région de Dschang (Cameroun (...)
  • 3 J.-L. Dongmo, Le dynamisme Bamiléké (Cameroun) : la maîtrise de l’espace agraire, Yaoundé, CEPER, 1 (...)
  • 4 Z. Saha & G. Wate Sayem, « Enfants soldats en pays Bamiléké et dans le Nord Moungo : victimes et hé (...)

1La tradition est une construction fondée sur la mémoire d’un peuple donné1. Considérée autrement que comme un moment historique opposé à la modernité, elle est une institution qui régule l’organisation sociale au sein des communautés. Elle s’inspire d’événements passés et est mise en scène à travers les structures religieuses existantes. À force d’une pratique répétitive et au gré de son efficacité, elle devient une norme transmise de génération en génération. C’est dans ce sens qu’il faut concevoir l’histoire de l’institutionnalisation des rites de la route dits fiέ’ mènzhɛ, notamment les rites ŋbā trɔh mènzhɛ (litt. : couvrir la tête de la route) et Kɔ’ mènzhɛ (litt. : chaise de la route) liés à la réparation de la mémoire servile chez les Yémba de l’Ouest-Cameroun. Il s’agit d’une construction qui émerge à la fin du XXe siècle pour réparer le choc psychologique et physique que furent les enlèvements et asservissement des membres de cette communauté dans le contexte historique de l’esclavage2, de la colonisation3 et de la guerre d’indépendance4. Initiée spontanément et inspirée des institutions déjà en place, cette tradition rituelle prend en compte le besoin particulier de l’individu et l’aide à exorciser psychologiquement et spirituellement les traumatismes nés de ce pan douloureux de son histoire. C’est ce qui lui confère toute sa légitimité et son droit de cité.

2Prenant le cas d’étude des rites de la route Yémba, il se dégage la question suivante : par quel procédé historique les traditions se construisent-elles ? Une réponse efficiente nécessite un recours aux techniques d’analyse pluridisciplinaires via les méthodes ethnolinguistique, anthropologique, psychothérapeutique et historique. Les résultats obtenus seront organisés autour de trois parties : le contexte historique de naissance de la tradition des rites de la route yémba, la présentation synchronique de leur structure et l’évaluation de leur efficacité mémorielle et psychologique comme fondement de leur légitimation.

1. Contexte de mise en place des rites liés à la mémoire servile chez les Yémba

3Chez les Yémba, la mémoire servile renvoie au souvenir de la période de l’esclavage, à celle de la période coloniale et à celle de la guerre d’indépendance, dite guerre de maquis. Ces trois événements historiques majeurs sont considérés comme des expériences de servitude puisqu’ils ont tous conduit à l’enlèvement, à la déportation et à l’asservissement des membres de leur communauté (par les circuits des trafics esclavagistes, puis des plantations et des chantiers coloniaux, et enfin des camps de la guerre d’indépendance). Cette servitude telle que conçue et pratiquée pendant des périodes historiques différentes a eu un impact certain sur la structuration sociale et religieuse yémba. Nous appréhendons dans le cadre de cette étude les enlèvements d’individus dans ces trois contextes historiques comme un facteur de troubles psycho-traumatiques qui vont impulser l’adoption et l’institutionnalisation sociale des rites de la route, notamment les rites ŋbā trɔh mènzhɛ (litt. : tête de la route) et Kɔ’ mènzhɛ (litt. : chaise de la route), comme une nouvelle forme de tradition.

1.1. Aperçu historique de la servitude chez les Yémba

  • 5 Nous sommes partis du constat fait sur le terrain. On observe que chaque fois qu’un Yémba stimule d (...)

4Les trois contextes historiques de l’esclavage, de la colonisation et de la guerre d’indépendance fonctionnent chez les Yémba comme des points de repère mémoriels5. Ces grandes périodes de leur histoire ont ceci de commun qu’elles ont toutes participé à l’enlèvement, la déportation et l’asservissement des aïeux – participation qui n’a pas été sans impact dans la construction mémorielle individuelle et collective donnant naissance à l’émergence d’une nouvelle institution.

  • 6 Z. Saha, « De l’esclavage coutumier à la traite transatlantique dans la région de Dschang (Cameroun (...)
  • 7 N. Argenti, The Intestine of the State: Youth, Violence and Belated Histories in the Cameroon Grass (...)
  • 8 J.-C. Barbier et alii, Migration et développement : la région du Moungo, Paris, ORSTOM, 1960, p. 46
  • 9 R. Tsana Nguegang, L’esclavage coutumier chez les Yémba de la Menoua à la rencontre de la traite at (...)
  • 10 D. Malabon, Rite Nkāŋ/sī, rite Nāŋ kɔ’ et objets d’art chez les Yémba de l’Ouest-Cameroun : XIXe-XX (...)

5La pratique de l’esclavage a impliqué pour les Yémba une déportation considérable des individus (homme, femmes, enfants) arrachés à leurs familles et vendus ailleurs. Cette pratique fut tout d’abord dite coutumière6 et liée à des enlèvements et des tractations esclavagistes régionales. L’individu enlevé comme butin de guerre, ou par le moyen de toute autre forme de capture, était revendu sur des marchés locaux et introduit comme serf dans les familles d’un nouveau maître. Plus tard vont émerger des pratiques esclavagistes dites transsahariennes et transatlantiques. Celles-ci impliquent très tôt une augmentation numérique des enlèvements et des déportations outre-Sahara7 et outre-Atlantique des personnes arrachées à leur famille8. Dans le territoire yémba, on assiste au développement de nouveaux circuits de commerce menant vers le nord d’une part, et jusqu’aux côtes camerounaises d’autre part9. Ces événements tragiques ont laissé des empreintes psychiques et spirituelles importantes. Ce qui explique la place centrale qu’occupent les anciens circuits de déportation et les places de marché de la région de l’Ouest-Cameroun (et parfois au-delà) dans la mise en scène des rites de la route10.

  • 11 N. Argenti, « Remembering the Future: Slavery, Youth and Masking in the Cameroon Grassfields », Soc (...)
  • 12 J.-L. Dongmo, Le dynamisme Bamiléké (Cameroun), p. 124.
  • 13 Les Bamiléké constituent le grand groupe ethnique dans lequel on retrouve les Yémba.
  • 14 La ville de Dschang est le centre urbain de l’espace Yémba créé par les Allemands en 1907.
  • 15 M. Guimfacq, Autorité traditionnelle et pouvoir colonial en pays Bamiléké : l’exemple de Foto dans (...)

6L’abolition de la traite et de toute forme d’esclavage en 1833 a laissé place à une nouvelle forme de servitude : celle des travaux forcés pendant la colonisation. Dès le début du XVIIIe siècle, l’institution coloniale met en place un système de recrutement de la main d’œuvre qui implique l’enlèvement des individus et leur asservissement dans les plantations et les chantiers coloniaux11. Ces individus victimes des travaux forcés ne sont plus jamais retournés dans leur famille pour la majorité, puisque morts dans les conditions horribles des travaux forcés. Jean-Louis Dongmo12 remarque à ce propos qu’en 1922, sur 2 565 travailleurs recrutés en pays Bamiléké13 pour la construction du chemin de fer, seulement 200 revinrent au bout de neuf mois. Sur la base de documents des archives départementales de la ville de Dschang14 datant de 1924, Monique Guimfacq montre quant à elle le drame de ces déportations dans l’une des chefferies yémba : la chefferie Foto. Elle constate que « sur mille individus recrutés, deux cents à peine revinrent chez eux, et le plus souvent seulement pour y mourir15 ». Ces chiffres illustrent à suffisance l’importance des enlèvements des individus dans la communauté yémba, individus dont l’absence va avoir un impact certain dans le développement social.

  • 16 Z. Saha & R. N. Mahoula Djokwé, « Maquis, rébellion et violence en pays Bamiléké : essai sur la con (...)
  • 17 Armée de Libération Nationale du Kamerun.
  • 18 M. Noumbissie Tchouaké, « Violence et clandestinité dans l’espace colonial camerounais. Comment l’U (...)
  • 19 Z. Saha & G. Wate Sayem, « Enfants soldats en pays Bamiléké et dans le Nord Moungo », p. 84-90 ; M. (...)

7Entre 1955 et 1971 eut lieu dans la région Bamiléké la guerre de libération nationale, dite guerre de maquis. Elle renforça le drame des enlèvements et de l’asservissement des individus amorcé avec le commerce esclavagiste et la colonisation. Pour grossir leurs rangs, les nationalistes engagés dans la guerre pour la revendication de l’indépendance du pays dès 1955 procédèrent soit par recrutement soit par enlèvement des jeunes hommes et des femmes16. Dans la localité yémba, plusieurs camps d’entraînement sont érigés et protégés par l’ALNK17 dès 195818. Leur entretien requiert une main d’œuvre abondante constamment réquisitionnée pendant toute la période insurrectionnelle. Des centaines de personnes enlevées ou engagées volontairement mourront au combat loin de leur famille19.

8Les enlèvements, l’asservissement et les pertes en vies humaines pendant ces périodes de l’histoire yémba ont entraîné une crise sociale et religieuse vis-à-vis de laquelle les rites de la route se sont révélés être la solution réparatrice.

1.2. Enlèvements serviles et crise de la structure socio-religieuse yémba

9L’impact psycho-traumatique des périodes contextuelles de l’histoire yémba résulte essentiellement du bouleversement de ses institutions socio-politiques et religieuses.

  • 20 D. Malabon, « Patriarcat et matriarcat : matérialité de la mutation du système de parenté dans le r (...)
  • 21 R. Delarozière, Les institutions politiques et sociales des populations dites Bamiléké, Paris, Inst (...)

10En effet, sur le plan socio-politique, l’individu constitue le pilier du développement communautaire. En tant que membre de la cellule familiale, il en assure la pérennité par l’intermédiaire des liens partagés avec ses ascendants et ses descendants20. Ainsi, dans le souci de préserver la continuité, les institutions sociales sont essentiellement fondées sur l’existence de l’égo et sa participation sociale. Il est de fait la pièce maîtresse de la continuité familiale en raison de sa prédisposition à la procréation. Il assure le développement communautaire par ses différentes interactions politiques au sein des sociétés de clan d’âge et des sociétés secrètes21. Sa place essentielle dans le fonctionnement de la structure sociale permet de mesurer l’impact que peut constituer son absence.

  • 22 Le principe de la mise en scène yémba est le suivant : je fais des rites pour rendre un culte à mes (...)
  • 23 C. C. Fouellefak Kana, Valeurs religieuses et développement durable : une approche d’analyse des in (...)
  • 24 F. Beuvier, Danser les funérailles : association des lieux de pouvoir au Cameroun, Paris, EHESS, 20 (...)
  • 25 C. C. Fouellefak Kana & D. Malabon, « Sculpture et rites chez les Bamiléké du Cameroun : l’exemple (...)

11Par ailleurs, sur le plan religieux et spirituel, l’individu est le garant des pratiques rituelles et mémorielles. Pour les Yémba, la pratique rituelle est fondée sur le rapport mémoriel que l’individu (candidat au rite) établit avec ses ascendants auxquels il rend hommage, et avec ses descendants pour lesquels le rite connaît une répercussion22. Dans ce système, toute manifestation rituelle constitue une mise en scène des interactions entre les vivants et les morts23. C’est d’après ce principe qu’il faut comprendre le culte des ancêtres qui est ici le pilier de la manifestation religieuse et spirituelle. Ce culte est la principale manifestation spirituelle et mémorielle yémba en ce sens qu’il est un processus d’« ancestrialisation » d’un aïeul. On dit couramment qu’on a « fait les funérailles d’untel ». Ces funérailles consistent en l’extraction du crâne ou ŋbā trɔh (litt. : couvrir la tête) d’un parent décédé, et son introduction, à travers des rites spécifiques, dans le sanctuaire familial24. Sa symbolique principale est de combattre l’oubli et de raviver la mémoire. L’existence d’un tel sanctuaire détermine la subsistance de la famille. Car il devient le haut lieu de tous les cultes et mises en scènes rituelles. C’est par exemple devant ce sanctuaire contenant les crânes des ancêtres que l’individu doit subir son rite de passage à la maturité, appelé rite de la chaise ou Nāŋ Kɔ’ (litt. : s’asseoir sur la chaise). Ce rite est l’un des plus essentiels dans la vie d’un individu car il suppose pour ce dernier une assise sur la chaise dans le lignage paternel d’une part, et maternel d’autre part, dans le processus d’acquisition de son indépendance et de son autorité25. L’accomplissement du rite de la chaise lui donne de fait le droit de se marier, de fonder son propre lignage et d’en assurer la pérennité en organisant le rite des funérailles de ses parents.

12Le rite d’extraction du crâne de l’ancêtre dit ŋbā trɔh et le rite de la chaise dit Nāŋ Kɔ’ sont des rites fondamentaux pour tout individu dans la société yémba. La maturité de ce dernier est assurée par le rite de la chaise qui est en même temps pour lui l’occasion de payer à ses parents et à ses aïeux ses redevances. Devenu adulte par ce rite, il peut alors organiser les funérailles de ses ascendants au moyen du rite du retrait du crâne. En payant ainsi à ces derniers ses redevances rituelles, il assure la continuité mémorielle du groupe, ce qui lui vaudra à son tour de ne pas être oublié plus tard par ses descendants. Le fait du départ des individus de cette société suite aux enlèvements pendant les périodes de l’esclavage, de la colonisation et de la guerre d’indépendance a indubitablement causé une rupture dans la continuité de ce système rituel axé sur la mémoire.

  • 26 Les candidats aux rites de la route se soumettent à leurs pratiques lorsqu’ils traversent des momen (...)
  • 27 N. Argenti, The Intestine of the State, p. 20-31.
  • 28 Notons que c’est sa tendance à ramener ses observations faites dans la chefferie Oku (où il a réell (...)
  • 29 Ceci est notre traduction. La version complète de l’auteur en anglais est la suivante : « […] that (...)
  • 30 N. Argenti, Remembering Absence. The Sense of Life in Island Greece, Bloomington, Indiana Universit (...)
  • 31 N. Argenti, « Things that Don't Come by the Road », p. 271.
  • 32 R. Shaw, Memories of Slave Trade: Ritual and the Historical Imagination in Sierra Leone, Chicago, U (...)

13La notion d’oubli s’inscrit ici comme la caractéristique marquante de cette rupture et conduit inévitablement à des traumatismes qui sont ramenés manifestement par les Yémba sur les plans psychique et physique à des maladies, des accidents ou des troubles mentaux, et sur le plan matériel et professionnel à l’échec26. Ces traumatismes découlent d’un silence conçu non pas comme un mutisme quasi identitaire qui planerait sur la mémoire de la servitude que Nicolas Argenti27 dit observer dans le grand ensemble Grassfield camerounais28, mais comme une mémoire tronquée et contrainte au silence par la rupture institutionnelle. L’objectif n’est pas pour les Yémba de « vivre avec cette mémoire silencieuse29 », comme l’argumente Nicolas Argenti30, mais de trouver dans ses institutions des moyens de lui donner corps. Dans ce cas, le silence a une valeur temporelle : il ouvre un temps pour la reproduction de nouvelles institutions susceptibles de créer une réparation. Car si ailleurs la mémoire de la servitude est passée sous silence, oubliée en tant qu’histoire discursive31 et demeurée néanmoins ancrée dans les habitudes, les pratiques sociales, les procédés rituels et les expériences incarnées32, elle a pu dans le cas yémba refaire surface dans un procédé de reproduction qui, à force de répétition, est devenu une tradition.

  • 33 P. Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Seuil, 2000, p. 17.
  • 34 M. Douglas, De la souillure. Essais sur les notions de pollution et de tabou, Paris, Maspero, 1971, (...)

14La reproduction, entendue comme un processus de reconstruction ou de réorientation des institutions sociales suite à un choc historique33, donne lieu dans le cadre des disjonctions et des ruptures sociales à ce que l’on peut appeler ici une mémoire réincarnée. Dans le cas des Yémba, cette mémoire réincarnée se reproduit sous la forme des rites de la route inspirés des rites d’extraction du crâne de l’ancêtre dit ŋbā trɔh et du rite de la chaise dit Nāŋ Kɔ’. Comme le dit Mary Douglas : « Animal social, l’homme est un animal rituel. Supprimez une certaine forme de rite, et il réapparaît sous une autre forme, avec d’autant plus de vigueur que l’interaction sociale est intense34. » Ainsi, pour mettre fin à cette rupture traumatisante, la reproduction de nouveaux systèmes rituels est peu à peu devenue concrète sous la forme des rites ŋbā trɔh mènzhɛ (litt. : couvrir la tête de la route) et Kɔ’ mènzhɛ (litt. : chaise de la route), impulsés eux aussi par l’avènement d’un nouveau corps de devins-prêtres prescripteurs de ces rites : les Gwí Sī (litt. : femme de Dieu) et ŋkém Sī (litt. : notable de Dieu).

  • 35 F. Beuvier, « Sur les traces du Kemsi : divination au nom de Dieu, médecine missionnaire et naissan (...)
  • 36 E. de Rosny, Les yeux de ma chèvre : sur les pas des maîtres de la nuit en pays Douala, Paris, Plon (...)
  • 37 P. Ndonko, Les devins guérisseurs Bamiléké du Cameroun : megny-nsi/Mkâm-nsi entre le normal et la p (...)
  • 38 Le ŋkém Sī Désirée nous a fait comprendre, lors d’une interview du 20 mai 2022 à la chefferie Balev (...)
  • 39 On peut dire ici que le Yémba connecte directement ses différents échecs à une cause mystique ou en (...)

15Les Gwí Sī et ŋkém Sī sont des prêtresses et des prêtres. Ils et elles sont en même temps médecins, devins et officiants religieux. Selon Franck Beuvier35, ce corps de devins apparaît au début de la colonisation dans l’espace culturel Bamiléké dans lequel on retrouve les Yémba, vers les années 1930, comme contre-pouvoir à la déstructuration sociale amorcée par les institutions coloniales et le christianisme. Depuis lors, leur rôle social va grandissant au détriment de celui des Ngaŋnga et des Ngaŋafhu (corps anciens des devins). Ces femmes et ces notables de Dieu sont liés à des esprits ou divinités () de qui ils et elles tirent leur pouvoir et leurs connaissances botaniques et médicinales. Leur aptitude à communiquer avec les esprits des morts a fait d’eux la plaque tournante de la mémoire historique des familles yémba depuis leur apparition jusqu’à nos jours36. Ils et elles sont régulièrement consultés en vue de la recherche de solutions thérapeutiques et selon la nécessité de reconstitutions généalogiques37. Lors de ces consultations38, ils et elles communiquent avec les esprits qui leur révèlent les traces de la mémoire servile dans la famille du patient39. Dans ce cas, il est demandé à ce dernier d’organiser, avec sa famille, la mise en scène de l’un ou de tous les rites de la route. Afin d’apaiser la colère de leur ancêtre, de restaurer leur mémoire et le statut social de leur famille, les candidats se rendront sur une route ou un carrefour déterminé par le devin sous instruction des esprits pour « prendre la tête » de tel aïeul ou pour « s’asseoir sur la chaise » au nom de tel autre qui ne l’avait pas fait avant son enlèvement. C’est ainsi que sont apparus les rites de la route yémba. Comment sont-ils structurés ?

2. Comprendre la structure des rites de la route (ŋbā trɔh mènzhɛ et Kɔ’ mènzhɛ)

  • 40 E. Mveng, L’art d’Afrique noire : liturgie cosmique et langage religieux, Yaoundé, CLE, 1974.
  • 41 J. Mbiti, Religions et philosophie africaines, Yaoundé, CLE, 1972.
  • 42 Régine Kenfack, princesse, chefferie Fombap, interviewée le 20 mai 2019.
  • 43 Désirée, ŋkém Sī, chefferie Baleveng, interviewée le 20 mai 2022.
  • 44 Thérèse Bouzeu, 81 ans, princesse à la chefferie Fotomena, interviewée le 27 août 2018.
  • 45 Kenfack, Gwí Sī, sous-chefferie Tchoutsi (chefferie Bafou), interviewée le 03 juin 2020.
  • 46 Ibid.

16Les rites ŋbā trɔh mènzhɛ et Kɔ’mènzhɛ sont tous deux exécutés sur des routes, des carrefours et des places de marché. Pour les auteurs ayant travaillé sur les religions africaines tels que Engelberg Mveng40 et John Mbiti41, le carrefour est un espace chargé d’un symbolisme religieux considérable, susceptible de capter et de diffuser des ondes tant positives que négatives. Chez les Yémba, la route tient une place importante dans la cosmogonie religieuse. Le carrefour est un lieu de rencontre. Sa division en plusieurs branches et sa bi- ou trifurcation lui ont concédé le statut de lieu de rencontre des esprits, bons ou mauvais42. Selon les croyances locales, toute personne qui passe par un carrefour ou sur une route y laisse au moins un peu de sa substance vitale43. Comme lieu de marché, il est un espace de rencontre et de rassemblement des habitants d’une chefferie et des étrangers. Comme voie de passage, le carrefour est une voie indéniable de trafic où des pistes se rencontrent44. Les rites Kɔ’mènzhɛ et ŋbā trɔh mènzhɛ se font sur les routes, ou plus spécifiquement à des carrefours ou sur des places de marché, pour capter la substance vitale du membre de la famille enlevée comme esclave : ce sont des rites de réintégration familiale de l’ancêtre enlevé. Selon la divinatrice (Gwí Sī) Kenfack45, ces routes sont des anciennes pistes par lesquelles sont passés les membres de ces familles Yémba enlevés pendant les différentes périodes de leur histoire46. Elle tient ces informations, dit-elle, des esprits avec lesquels elle est en communication. C’est toujours l’un d’eux qui se chargera de lui indiquer le lieu exact où sera prélevée la terre pétrie pour former le crâne des ancêtres à ramener dans le sanctuaire familial d’un de ses patients. Informée, la famille s’organise pour l’accomplissement rituel le jour dit.

2.1. Le rite ŋbā trɔh mènzhɛ

17Le rite du prélèvement du crâne de l’ancêtre dit rite ŋbā trɔh mènzhɛ a pour objectif la réintégration dans la concession familiale des esprits des membres enlevés de la famille, morts en exil ou en servitude. C’est également le lieu d’une réconciliation familiale.

  • 47 Les castagnettes font partie des instruments principaux de divination pour les ŋkém Sī et Gwí Sī. L (...)
  • 48 L’intégration des étrangers met en scène ici la symbolique du partage qui, pour les Yémba, reste es (...)

18Le jour de la cérémonie rituelle, la famille, guidée par le devin, se rend sur la route spécifiée par l’esprit avec les ingrédients du rite (huile de palme, sel, vin de raphia, bière, chèvre…). Une fois sur les lieux, le devin entre en communication avec les esprits convoqués en exécutant des pas de danse ostentatoire et en jouant des castagnettes47. Les esprits lui répondent en lui indiquant le point exact où il devra modeler la terre pour façonner le crâne représentant chacun des disparus. Aussitôt la famille s’installe. Le devin procède à la sanctification et à la délimitation de l’espace rituel en créant avec une aspersion de sel une zone cyclique au sein de laquelle, durant tout l’espace-temps du rite, va se mettre en place la reconnexion de ladite famille avec les esprits de leurs ancêtres. Toute personne qui, de passage sur la route, entre dans cet espace cyclique devenu sacré est d’office intégrée comme membre de la famille et traitée comme telle pendant le temps du rite48.

19La phase suivante consiste pour le devin à creuser la terre à deux mètres environ de la route, tout en communiquant avec les esprits. Il la pétrit d’eau en y ajoutant du sel, qui joue ici le rôle de purificateur. Il forme de ses mains des boules de terre qu’il pétrit en y dessinant deux creux représentant les orbites d’un crâne humain. Toujours en communication avec les esprits, il dessine l’orifice buccal du crâne. Près de lui sont rassemblés deux ou trois aînés de la famille. Chaque fois qu’il reçoit d’un esprit une instruction, il informe ses observateurs. On l’entend par exemple s’exclamer : « Il y a une femme parmi eux. Elle dit qu’elle est maman des jumeaux… », ou encore : « Ils disent qu’ils sont au nombre de tant… », ou bien : « Ils disent être heureux que vous soyez venus les chercher… ».

  • 49 Tegiueu Wamba, 70 ans, notable à la chefferie Bamegwou (chefferie Fokoué), interviewé le 31 août 20 (...)

20Sur un coin de la route, la famille s’est rassemblée sur instruction du devin. En attendant, les hommes allument un feu de bois. Ce feu sert à attirer les esprits. On dit qu’errant loin de la concession familiale, ils vivent dans le froid. La chaleur du feu est alors susceptible de les convaincre de la bonne foi de leurs descendants qui viennent les ramener à la maison49. Ce même feu servira à cuire la viande de la chèvre sacrifiée.

  • 50 Le Piper umbrellatum est une plante sacrée chez les Yémba, dont les feuilles symbolisent l’apaiseme (...)
  • 51 À la question de savoir pourquoi la bière, il nous a été signifié que les ancêtres savent reconnaît (...)

21Lorsque le nombre de crânes modelés est atteint, le devin revient avec sa suite sur la route, les transportant sur des feuilles sacrées de Mbembə́50 (Piper umbrellatum). On nettoie un espace et les y dispose. C’est le moment des offrandes. Huile, sel, vin blanc et bière51 sont versés devant les crânes. Le devin parle aux esprits en s’adressant aux crânes. Il les exhorte à se nourrir et à apaiser leur colère. Un mélange de pistache, de maïs grillé et de haricots écrasés et mélangés à l’huile de palme constitue l’offrande principale. On appelle ce mélange la « nourriture des esprits ». Si, pendant le rite, des fourmis s’agglutinent sur ces offrandes, on dit alors que les esprits les ont acceptées. Une poule vivante, procurée par la famille, est aussitôt présentée. Elle ne sera pas sacrifiée. Le devin la présente aux esprits comme celle qui portera désormais les erreurs de toute la famille. On l’attache près des offrandes offertes aux esprits. Elle doit y picorer. Sa consommation d’une partie de l’offrande est alors accueillie par la famille avec joie car elle symbolise la réparation des torts déjà en cours d’acquisition. On peut alors passer au sacrifice de la chèvre.

  • 52 Cette chaîne est formée dans tous les rites yémba faits au sein de la famille. Elle représente le c (...)

22Celui-ci a pour rôle de sceller définitivement la réconciliation des membres de la famille avec leurs aïeux. Autour du devin, la famille forme une chaîne humaine et chacun pose sa main sur l’épaule de celui qui le précède, ainsi jusqu’au devin qui tient la bête52. Elle est égorgée et son sang recueilli. On asperge d’une partie de ce sang les crânes et de l’autre partie chacun des membres de la famille présente. On réserve une autre partie qui sera ajoutée à la viande pour sa cuisson. En égorgeant l’animal, on entend le devin dire :

  • 53 Fomènang Augustin, 65 ans, ŋkém Sī, chefferie Fossong-Wetcheng, interviewé le 23 février 2018.

Que la vie de cette bête offerte apaise vos cœurs. Acceptez le sacrifice de vos enfants et que tous les malheurs qui les affligeaient aujourd’hui prennent fin. Que maintenant prenne fin l’oubli qu’ils avaient à votre égard en vous ramenant par ce sacrifice dans la chaleur du foyer familial53.

23La chèvre est dépecée et mise à cuire avec de l’huile de palme et du sel dans une marmite que la famille a apportée. Les femmes commencent la distribution du repas et des boissons apprêtés pour l’occasion. Toute personne passant par là est priée de se joindre au groupe et de partager le repas. Le devin est aussi servi. Il jette aux quatre points cardinaux de l’espace sacré dans lequel il se trouve chaque part du repas ou de la boisson qu’il reçoit, en s’adressant aux esprits en ces termes : « Approchez et régalez-vous, ce sont vos enfants qui offrent. » Ces aliments répandus ne sont plus seulement destinés aux esprits de la famille qui ont été convoqués, mais à tout esprit qui passerait par là car, comme la famille est tenue d’inviter et de faire manger tout étranger de passage, le devin doit aussi nourrir tout esprit errant dans le coin.

24La viande cuite, les femmes procèdent à sa distribution. La famille peut alors se réjouir en entonnant des chansons pour magnifier l’honneur rendu aux aïeux. On plie bagage et retourne au village, abandonnant dans la nature la poule offerte.

  • 54 Dans certains cas, la famille conduite en route organise une fois sur place les funérailles de ses (...)

25Une fois à la maison, le devin accomplit un rite de fin : celui de l’installation dans le sanctuaire familial des crânes de terre ramenés de la route. Des offrandes d’huile rouge, de sel et de vin de raphia sont offertes. C’est l’occasion de réjouissances. La famille pourra plus tard organiser les funérailles de ces ancêtres54 : c’est la grande phase festive de ce rite d’intégration.

Figure 1 : Rite ŋbā trɔh mènzhɛ : cuisson du sacrifice

Figure 1 : Rite ŋbā trɔh mènzhɛ : cuisson du sacrifice

Figure 2 : Installation des crânes dans le sanctuaire familial

Figure 2 : Installation des crânes dans le sanctuaire familial

© C. C. Fouellefak Kana & D. Malabon, 2 juillet 2022, sous-chefferie Fotsem-Lessing (chefferie Foréké-Dschang)

2.2. Le rite Kɔ’ mènzhɛ

  • 55 D. Malabon, « Rite Nkāŋ/, rite Nāŋ kɔ’ et objets d’art chez les Yémba », p. 214-219.

26Le rite Nāŋ Kɔ’ dit rite de la chaise est le rite de passage de tout jeune homme à l’âge adulte. Pour ce faire, le candidat doit se rendre dans la concession familiale avec deux chaises, pour réclamer son droit à s’asseoir sur une chaise qui équivaut à son droit de fonder son propre lignage par le mariage. Ce rite a aussi une connotation de pouvoir puisqu’il est également fait pour marquer la transition successorale lorsqu’un individu succède à un parent ou aïeul, ou encore lorsqu’on acquiert un titre de notabilité au sein d’une société secrète55.

  • 56 J. Hurault, La structure sociale des Bamiléké, p. 49-57.
  • 57 J.-L. Dongmo, Le dynamisme Bamiléké (Cameroun), p. 116-155.

27Sa reproduction sous la forme de la « chaise de la route » dite Kɔ’ mènzhɛ fait suite à la volonté de donner un successeur au membre de la famille enlevé dans le cadre de l’histoire de la servitude. En effet, chez les Yémba, la continuité est marquée par la capacité d’un homme ou d’une femme à laisser après sa mort un successeur qu’il ou elle choisit parmi ses fils ou filles ou ses petits-enfants. Ce successeur devient le garant de sa mémoire qu’il incarne, représente et préserve56. Or la plupart des individus enlevés durant la période de la servitude étaient des jeunes qui n’avaient pas encore, pour la majorité, fait d’enfants susceptibles de leur succéder et d’entretenir ainsi leur mémoire et leur descendance57. En période de crise ou de maladie, la famille ayant consulté un devin est souvent invitée à se rendre sur une route ou un lieu spécifique, pour « faire asseoir sur la chaise » un membre de la famille désigné pour succéder à cet ancêtre parti et dont la colère se répercute sur la famille, ou alors à choisir sur la route le premier passant qui, le temps du rite, sera intronisé successeur de l’aïeul par un procédé théâtralisé.

  • 58 Le rite Kɔ’ mènzhɛ auquel nous avons assisté à la sous-chefferie Nzala de Fontsa-Toula se faisait s (...)
  • 59 Éric de Rosny signale un cas semblable à la chefferie Bamiléké de Bamendjou où il a assisté en 1974 (...)
  • 60 Tsafack Germain, ŋkém Sī, chefferie Foréké-Dschang, interviewé le 07 janvier 2022.

28Le jour indiqué pour la mise en scène, la famille se rend sur une route, sur un carrefour ou sur la fondation d’une ancienne concession abandonnée dite fembah58 (litt. : concession abandonnée). Le ŋkém Sī Tsafack Germain nous a signalé que, pour ce dernier cas, des familles sont parfois tenues de faire leur rite Kɔ’ mènzhɛ à l’emplacement de leur ancienne concession parce que l’esprit de l’aïeul abandonné et en colère l’exige59. Il explique qu’il peut arriver que l’aïeul ait été tué dans les environs de cette concession pendant la guerre d’indépendance. N’ayant pas encore eu d’enfant à sa mort, il exigera de sa famille qu’on lui trouve un jeune homme comme successeur, ou alors il se chargera lui-même d’en sélectionner un par des signes spécifiques que le devin traduira60.

  • 61 Fabien Ndonfack, ŋkém Sī, chefferie Fongo-Tongo, 63 ans, interviewé le 02 octobre 2018.
  • 62 Fonganteu, chef de la sous-chefferie Nganteu (chefferie Foto), interviewé le 23 avril 2022.

29Dans le cas où le rite est accompli sur une route ou un carrefour, il peut arriver que le choix du successeur résulte d’un procédé tout particulier. Une fois sur le carrefour, la famille réquisitionne, sur les instructions du devin, le premier individu à se présenter. Cet inconnu jouera, l’instant du rite, le rôle du successeur de l’aïeul en question. Cette méthode est pratiquée sous les directives de l’esprit de l’aïeul qui, comme dans le cas du rite ŋbā trɔh mènzhɛ, reste en constante communication avec le devin61. En façade, ce choix semble aléatoire mais, dans l’imaginaire yémba, la présence de cet inconnu en ce lieu et à cet instant n’est pas un fait du hasard. On dit qu’il a été attiré là par l’esprit de l’aïeul et qu’il est d’une façon ou d’une autre lié à la famille par des liens matrimoniaux lointains que seuls les ancêtres maîtrisent62.

  • 63 Tous ces ingrédients rituels par paire sont des symboles du pouvoir et de l’autorité. Une partie se (...)
  • 64 Dans certains cas, le rite de la chaise suit directement celui du prélèvement du crâne.
  • 65 Le rite de la chaise dans sa version originelle se fait toujours devant le sanctuaire où sont gardé (...)

30Le jour du rite, la famille se rend sur le lieu-dit, chargée du nécessaire composé par paires : deux tabourets, deux sacs de raphia, deux queues de cheval, deux habits traditionnels (Djomba), deux chapeaux, deux gousses de jujubes ndendé (Afromomum letestuanum), deux cornes à boire63, l’apéritif, le nécessaire pour l’offrande et le sacrifice (une chèvre et une poule). Une fois sur place, la délimitation du lieu sacré pour le rite est opérée selon le même procédé décrit plus haut pour le rite ŋbā trɔh mènzhɛ64. Une fois l’espace rituel délimité, le devin procède aux offrandes. Il détermine un coin de la route qui, le temps du rite, tiendra lieu de sanctuaire65. Il y verse le sel, l’huile de palme, le vin de raphia, une part des mets apportés pour l’agape. Il présente le candidat à la chaise aux esprits avec lesquels il communique, tout en précisant les raisons de sa présence. L’offrande est accompagnée d’une prière, d’une louange ou d’une supplication. L’officiant convoque les ancêtres défunts de la famille par leurs noms, les priant d’accorder leur bénédiction au candidat et à toute la famille.

31Il procède aussitôt à la sanctification de l’objet rituel qui est le tabouret. Les deux tabourets fournis par la famille sont oints d’un mélange de phʉ (écorce moulue de Pterocarpus soyauxii) et d’huile de palme. L’officiant sacrifie la chèvre. Une partie du sang est versée devant l’espace sanctuaire. L’officiant trempe son doigt dans le sang et frotte le front du candidat. Ensuite il fait passer sur la tête du candidat, en simulant une action de balayage, la poule qu’il tient par les pattes. Ces actions ont pour but la purification. Par ce balayage, il déclare les erreurs du candidat transférées sur la poule qui sera abandonnée dans la nature.

  • 66 Achegui Martin, candidat au rite ŋbā trɔh mènzhɛ à la sous-chefferie Fotsem-Lessing (Chefferie Foré (...)
  • 67 Ibid.

32On passe alors à l’assise proprement dite du candidat. L’officiant le revêt de son boubou, le coiffe de son chapeau, lui met dans la main droite la corne à boire et dans la gauche une queue de cheval. Il termine l’adoubement en lui accrochant à l’épaule le sac bandoulière en raphia. La famille forme une chaîne, chacun posant sa main sur l’épaule de son prédécesseur tandis que le devin, tenant le candidat des deux mains, le fait asseoir sur la chaise. Par cet acte, l’officiant déclare que désormais on ne l’appellera plus par son nom, mais par tel nom (celui de l’ancêtre dont la mémoire est mise en scène par ce rite). Sa personnalité ancienne est passée. Il devient désormais la réincarnation de l’ancêtre66. Les actions et paroles de l’officiant sont scandées par des applaudissements de l’assistance qui observe la scène un peu en retrait. L’assise faite, on entonne des chants tandis que l’officiant sert à boire au candidat dans sa corne et la lui porte à la bouche. Les membres de la famille défilent devant lui à tour de rôle en dansant et mettent des présents dans son sac tout en le félicitant pour son nouveau nom et en lui souhaitant santé et prospérité. La viande de la chèvre sacrifiée est cuite à l’huile de palme et distribuée. On chante, danse et boit en l’honneur du nouveau successeur. On dit alors que l’ancêtre s’est réincarné67.

Figures 3 à 5 : Rite Kɔ’ mènzhɛ dans une concession abandonnée après la guerre d’indépendance

Figures 3 à 5 : Rite Kɔ’ mènzhɛ dans une concession abandonnée après la guerre d’indépendance

© C. C. Fouellefak Kana & D. Malabon, 5 avril 2019, sous-chefferie Nzala (chefferie Fontsa-Toula)

  • 68 Fonganteu, chef de la sous-chefferie Nganteu (chefferie Foto), interviewé le 23 avril 2022.

33Désormais, la communauté le reconnaîtra ou le nommera du nom de cet ancêtre qui est considéré ici comme le père du candidat. Dans certains cas, ce dernier est invité après le rite de la route à construire une maison qu’il déclarera, par un rituel, appartenir à son ancêtre. Dans le cas où ce successeur n’est pas encore marié, on lui trouvera une épouse qui sera dotée comme « épouse de l’ancêtre ». Les enfants issus de ce mariage seront symboliquement ceux de ce dernier. L’objectif est de reconstituer symboliquement un cadre familial à l’ancêtre enlevé, lui faisant prendre corps grâce à la succession, lui donnant une maison, une femme et une descendance. Son nom pourra ainsi subsister dans les générations à venir68.

34Somme toute, il se dégage de l’analyse synchronique des rites de la route yémba ci-après qu’ils sont le résultat d’une réadaptation des institutions rituelles déjà existantes.

3. Les rites de la route dans la construction mémorielle et la réparation psychologique de la mémoire servile comme éléments de leur légitimation institutionnelle

  • 69 C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 25.

35Les rites de la route (fiέ’ mènzhɛ) jouent un rôle important dans la « mémorialisation » du passé servile du peuple yémba. Comme toute pratique rituelle, ils ont cette capacité à « préserver jusqu’à notre époque, sous une forme résiduelle, des modes d’observation et de réflexion69 ». Mieux encore, ce sont des mises en scène d’un discours historique. Nés dans un cadre social spécifique où le silence et l’oubli constituent un illogisme et sont susceptibles de créer des traumatismes, les rites de la route sont apparus comme une thérapie aidant le Yémba à se reconnecter à ce passé douloureux et à réparer le choc psychologique causé. Leur adoption définitive en tant que nouvelle tradition est le fruit de leur efficacité dans la construction mémorielle et la réparation psychologique observées au fur et à mesure de leur pratique.

3.1. Rites de la route et construction d’un discours mémoriel sur le passé servile yémba

  • 70 V. Turner, The Ritual Process: Structure and Anti-structure, New-York, Cornell University Press, 19 (...)

36Les Yémba sont des héritiers d’une structure sociale co-partagée entre les vivants et les morts. Dans ce système, les morts interfèrent dans le quotidien. On pense ici que les morts ne sont pas morts car ils ont encore cette faculté d’avoir un impact sur le vécu quotidien des vivants. C’est la raison pour laquelle, tout comme chez les Ndembu du Congo70, en tant que membre de la famille, la conscience de l’existence du mort et de son action spirituelle s’étend à toute la communauté. Le culte qu’on lui rend crée et consolide des liens affectifs entre les membres de la famille. On ne peut donc pas l’oublier. Sauf dans des cas où la société subit un choc important, susceptible d’affecter les fondements de son organisation institutionnelle. Chez les Yémba, les rites de la route doivent leur adoption à leur capacité à construire un discours mémoriel sur le passé des ancêtres au sein des familles.

  • 71 Désirée, ŋkém Sī, chefferie Baleveng, interviewée le 20 mai 2022.

37Cette construction mémorielle commence dès l’apparition des symptômes psycho-traumatiques de cette mémoire restée longtemps silencieuse. Ainsi, face à une maladie, un accident, un échec ou une mort, le Yémba ira consulter un devin en la personne du Gwí Sī ou ŋkém Sī. Culturellement, il établit un rapport de causalité entre ses malheurs et la colère probable de ses ancêtres. Les devins sont ici considérés comme la courroie de communication entre les esprits enlevés et les vivants71. Ils sont chargés de traduire aux vivants le message des morts. Par ce rôle de traducteur, ils recréent la connexion des descendants d’anciens serfs avec la mémoire de leurs ancêtres qui prendra définitivement forme avec la réintégration du crâne dans le sanctuaire familial au moyen du rite ŋbā trɔh mènzhɛ.

  • 72 E. de Rosny, Les yeux de ma chèvre, p. 196.

38Ce rite est en soi une mise en scène de symboles au service de la construction du discours mémoriel. En effet, une fois sur la route, le ŋkém Sī commence son office par la convocation des esprits que la famille veut ramener à la maison. Le discours qu’il tient à l’endroit de ces esprits auxquels il s’adresse comme s’il parlait à des vivants, le sel qu’il verse dans les limites du lieu sacré en les invitant à dîner avec la famille, leur personnification par l’usage de noms propres, et parfois le rappel d’événements ayant marqué leur vie ou celle de la famille contribuent à la construction du discours mémoriel. Ce discours est renforcé par le modelage d’un crâne de terre qui consacre la personnification de l’esprit. Dans la chefferie de Bamendjou, Éric de Rosny72 a assisté à une scène d’un des rites de la route. Celui-ci avait lieu sur l’emplacement d’une ancienne concession abandonnée pendant la guerre. De Rosny fait la remarque suivante :

  • 73 Ibid.

Jean Fotsing, à mes côtés, m’explique que sa mère prend de la terre là où est enseveli le crâne de son père, ou plutôt à l’emplacement présumé, parce que tout le monde ignore où l’homme est mort exactement. Ce geste révèle toute une histoire, indispensable à connaître, si l’on veut comprendre le sens et la subtilité de la liturgie qui va suivre73.

39Lorsque le rite est fait sur une route, le devin est chargé de prélever la terre sur l’emplacement où est supposé subsister l’esprit de l’ancêtre enlevé comme esclave. Comme le dit Éric de Rosny, cet acte est révélateur d’une histoire : celle de l’appartenance du défunt à la terre à laquelle il a été arraché et avec laquelle il sera désormais reconnecté. Prenant forme dans le crâne modelé, il peut dès lors rejoindre le panthéon familial qui est le haut lieu des interactions initiées pendant les mises en scènes rituelles. La communication va ainsi être maintenue de génération en génération entre les ancêtres et les vivants, comme antithèse de l’oubli à travers des cultes entretenus par le chef de famille.

40Dans le cadre du rite Kɔ’ mènzhɛ, l’attribution du nom de l’ancêtre au candidat marque symboliquement la résurrection de celui-ci. Il se réincarne dans le corps du candidat. On lui attribue alors une maison, une femme et des enfants. Par cet acte, il est réintroduit symboliquement dans la communauté comme membre à part entière. Il vivra désormais au milieu des siens tout en participant aux activités sociales par le biais de son successeur. Sa personnification par ce dernier consacre définitivement la construction du discours mémoriel autour de sa vie.

  • 74 R. Shaw, Memories of Slave Trade.
  • 75 J. Cole, Forget Colonialism? Sacrifice and the Art of Memories in Madagascar, Berkeley-Los Angeles- (...)

41S’il y a une critique que l’on peut émettre vis-à-vis de cette pratique de construction mémorielle, c’est bien la méthode de divination qui fait du devin l’unique récepteur du discours mémoriel du passé des ancêtres. On pourrait en effet questionner la véracité des messages transmis. Mais point ne nous revient d’attribuer ou non une légalité à cette méthode qui, sans le crier, a su imposer sa propre légitimité auprès du peuple Yémba qui l’a accueillie. Elle a tout de même le mérite de raviver une mémoire que le choc des enlèvements et des déportations avait tronquée. Il a fallu que cette mémoire servile devienne objective, se cristallisant comme une sorte de mauvais esprit affectant les descendants d’anciens serfs pour qu’enfin, par un procédé de divination et de mise en scène rituelle, elle reprenne corps et brise le silence, se réincarnant en une nouvelle tradition rituelle. L’objectivité de la mémoire n’est pas un fait propre aux Yémba : Roseling Shaw l’a analysée en Sierra Leone74, Jennifer Cole l’a aussi remarquée chez les Betsimisaraka de Madagascar75. Ainsi, cette mémoire douloureuse que certains auteurs semblent avoir reléguée au seul fait d’un silence, trouve désormais dans les mises en scène rituelles un espace de résurrection – résurrection qui contribue à la guérison psychique des candidats.

3.2. Rites de la route et réparation psychologique

  • 76 American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5th ed. te (...)
  • 77 J. Blanc & S. Madhère (dir.), Pensée afro-caribéenne et (psycho)traumatismes de l’esclavage et de l (...)

42Selon l’Association Américaine de Psychiatrie76, on dit d’un individu qu’il est atteint de psycho-traumatisme lorsqu’il a été témoin oculaire ou auriculaire d’événements susceptibles de le traumatiser et au cours desquels des êtres sont morts, ont disparu ou ont été gravement blessés. Ces constats établissent de fait la situation des descendants d’anciens serfs qui, étant des témoins oculaires et auriculaires de ce passé douloureux qui a conduit à la mort et à la disparition de leurs ancêtres, sont susceptibles de présenter des symptômes psycho-traumatiques. En outre, dans leur étude collective de 2017 sur la pensée afro-caribéenne et les psycho-traumatismes de l’esclavage et de la colonisation, Judite Blanc et Serge Madhère77 font recours aux théories épigénétiques pour montrer que les traumatismes vécus par des ancêtres sont susceptibles d’être transmis d’une génération à une autre. Ces traumatismes peuvent se manifester sous différentes formes, entre autres les troubles de l’attention, du langage et de l’apprentissage, le comportement hyper-vigilant, l’hyper-activation de l’axe hypothalamo-hypophysaire et un taux élevé de l’hormone du stress. À ces manifestations psycho-traumatiques, Cyril Tarquinio et Yann Auxéméry ajoutent l’anxiété intense. Ils écrivent à ce propos :

  • 78 C. Tarquinio & Y. Auxéméry, Manuel des troubles psychologiques : théories et pratiques cliniques, M (...)

Une anxiété intense est souvent ressentie lors de l’événement traumatique et dans ses suites immédiates. Puis, alors que les reviviscences sont souvent éprouvées dans l’angoisse, l’hyperactivité neurovégétative majore la réactivité anxieuse tandis que les stratégies d’évitement pérennisent l’anxiété anticipatoire78.

  • 79 Odile Makemken, 72 ans, cheffe de famille candidate au rite ŋbā trɔh mènzhɛ, chefferie Bafou, inter (...)
  • 80 E. de Rosny, Les yeux de ma chèvre, p. 198.

43Dans le cas des Yémba, on peut lier leur état psycho-traumatique à cette anxiété qui provient de leur culpabilité face à l’oubli de leurs ancêtres. Dans ce sens, l’on peut considérer que le problème du traumatisme est ici connecté à des considérations sociales qui veulent qu’un homme ne réussisse dans la vie qu’avec le soutien de son père, mort ou vivant79. Or le père n’est pas seulement ici la figure du géniteur, mais aussi celle de tous les aînés avec lesquels on partage des liens de sang. Il est établi que les enlèvements pendant les périodes d’esclavage, de colonisation et de guerre d’indépendance ont conduit à la rupture des pratiques sociales, notamment des rites d’« ancestrialisation » et de « mémorialisation ». Éric de Rosny fait la remarque suivante : « Sans ces rites d’usage, le père décédé continuait d’errer sans pouvoir réintégrer officiellement sa propriété et les relations ne pouvaient être normales entre les membres de sa famille80. » La culpabilité née de la rupture dans la mise en scène rituelle et du sentiment de l’abandon de son ancêtre est de taille à créer chez les Yémba une anxiété qui les conduit à ramener instinctivement leurs échecs, leurs maladies et autres crises physiques ou psycho-sociales, à la colère de l’ancêtre oublié. Dès lors, la reproduction des rites de la route devient objectivement une passerelle de guérison.

  • 81 G. Bibeau, « L’activation des mécanismes endogènes d’auto-guérison dans les traitements rituels des (...)

44Par ailleurs, lorsqu’en 1983 Gilles Bibeau s’exclamait : « Enfin, les recherches sur les mécanismes endogènes de guérison fournissent depuis peu des résultats qui jettent une lumière nouvelle sur la façon dont les émotions et les symboles affectent la physiologie et le psychique81 », il entamait son étude sur les mécanismes d’activation de l’auto-guérison par les traitements rituels chez les Angbandi du Congo. Dans cette étude, il montre que la guérison (réelle ou non) est obtenue par un ensemble de procédés phyto-thérapeutiques et rituels qui, chargés de symboles et de discours émotionnels, ont le mérite d’activer chez les patients/candidats une auto-guérison. Bibeau fonde ses hypothèses sur des théories neuroscientifiques qui, dès les débuts du XXe siècle, considèrent la guérison sur la base de deux facteurs : le facteur externe lié à l’administration de médicaments, et le facteur interne lié à l’état psychologique du patient. Partant de ce postulat, on peut considérer la guérison et la réparation psychologique des Yémba par la pratique rituelle à travers deux prismes : l’impact psychologique des discours rituels et l’impact émotionnel des symboles mis en scène.

  • 82 Fomènang Augustin, 65 ans, ŋkém Sī, chefferie Fossong-Wetcheng, interviewé le 23 février 2018.
  • 83 Chanson recueillie en 2018 dans le cadre de la rédaction de la thèse de doctorat de Darice Malabon, (...)

45La pratique rituelle yémba est faite de paroles et de discours qui, tout comme dans les psychothérapies du type chamanistique et dans les psychanalyses occidentales, font office de médicament, qu’ils proviennent du patient ou du thérapeute. Tout au long de la mise en scène des rites de la route, les discours sont pour la plupart ceux du ŋkém Sī. Celui-ci est en constante communication avec les esprits. Il transmet à ces derniers les désirs des candidats et leur rend compte de la réponse des esprits. À l’entame de chacun des rites, il présente les candidats aux esprits tout en précisant les raisons de leur présence. Il dira par exemple : « Je vous convoque, divinités fondatrices de telle famille ; vous qui êtes en colère, vous qui avez été abandonnés sur les routes, vos enfants sont là pour vous ramener à la maison82… ». Les discours accompagnent ainsi chaque étape du rite et prennent la forme de chansons lorsque, pour exprimer son émotion face à sa réconciliation avec ses ancêtres, la famille va entonner des chants de réjouissance. Considérons l’exemple suivant83 :

Ntə́’-mbū a la sáá

Pek é si ntə́’-mbū

A mbã Ŋkwiɛti Ŋkém

Tèjieuteu’ a egɔ́

Méŋ ga Tèjieuteu’

Tèjieuteu’ a a egɔ́

Ḿpɛ e gʉɔ eshúŋ a efɔ Nzálā’

Pek é si ntə́’-mbū

Méŋ ga a jiofāk

Méŋ ga Mangrita

Pek é ŋgʉ̄ɔ á Lita’li

Awɔ́ ā fú gʉɔ Atsaŋ eshúŋ melekɛ́?

Ŋ́gɛ lepɔŋ é mbã ŋkwiɛte efɔ

A á tə́’-mbū

Celui qui est reconnaissant n’est jamais déçu

Nous sommes reconnaissants

Chez le notable adjoint

Tèjieuteu’ est où

Tèjieuteu’ mon enfant

Tèjieuteu’ est où

Allons l’annoncer au chef de Nzálā

Nous sommes reconnaissants

Mon enfant Jiofāk

Mon enfant Marguerite

Nous sommes allés à Lita’li

Qui ira l’annoncer à Dschang aux Blancs ?

Qu’il y a du bonheur à la concession du

notable du chef

Il a été reconnaissant

  • 84 Notons que la ville de Dschang est le centre urbain de l’espace yémba ; c’est une création colonial (...)

46Ces chansons, dont les paroles sont improvisées pour la circonstance, expriment l’état psychique de la famille qui, le temps du rite, s’est débarrassée de son anxiété et de sa culpabilité. Elle peut alors manifester sa reconnaissance à ses ancêtres (nommés ici Tèjieuteu’, Jiofāk et Marguerite). Fière de son nouveau statut, elle peut narguer le « Blanc » installé dans la ville de Dschang84. Au postulat discursif de la réparation psychique des rites s’adjoint l’impact émotionnel des symboles mis en scène.

  • 85 C. G. Jung, Man and his Symbols, New-York, Ferguson, 1964, p. 96-99.
  • 86 Mbi Nkemzo, 67 ans, notable Foto, interviewé le 20 novembre 2018.

47Le psychologue Carl Gustav Jung85 a fait le constat selon lequel les symboles, dans leur configuration générale, sont chargés d’énergie psychique capable de réconcilier et d’unifier les oppositions mentales des individus du fait qu’ils sont en même temps images et émotions. Dans la mise en scène rituelle, les symboles sont des éléments d’un discours non-dit. Leur présence crée un choc émotionnel contraire à celui ayant conduit au traumatisme. Les rites de la route yémba qui, tous, convergent vers la guérison et la réparation mémorielle possèdent un nombre considérable de ces symboles. Le fait par exemple que, pendant le rite, des fourmis mangent les offrandes offertes aux crânes modelés crée instantanément chez le candidat une émotion certaine. Car par ce geste, il intègre le fait de la réincarnation des ancêtres en ces petits êtres et leur agrément de l’offrande effectuée86. Mieux encore, l’action de balayer le candidat avec une poule est pour ce dernier l’acte qui le décharge de sa culpabilité. Le sacrifice de la chèvre, par son sang qui coule et sa chair partagée entre les convives, représente la sanctification définitive des membres de la famille. Autant d’éléments qui consacrent la guérison psychologique et la réparation mémorielle du passé servile dans les rites de la route yémba.

48Ainsi, par l’effectivité de la construction mémorielle et de la réparation psychologique testée par les Yémba au fur et à mesure de leurs pratiques rituelles, les rites de la route ont pu trouver une légitimité comme institution nouvelle. Leur aptitude à conduire à une guérison psychique et physique, ou du moins à contribuer au bien-être de l’individu tout en s’adaptant aux éléments culturels déjà existants, a participé à cette adoption.

Conclusion

49La réparation de la mémoire servile se fait chez les Yémba à l’aide d’une tradition rituelle nouvelle initiée dès le début du XIXe siècle : ce sont les rites de la route. Ils sont pratiqués sur les routes, les carrefours et les places d’anciennes concessions abandonnées. Ce sont les rites Kɔ’mènzhɛ et ŋbā trɔh mènzhɛ. Les rites de la route sont une reproduction des institutions anciennes fondées sur un échange entre les vivants et les morts. Dans ce système ancien, la mémoire de l’ancêtre était constamment ravivée par les sacrifices et les offrandes faites dans le sanctuaire familial. Pourtant, l’enlèvement des individus pendant les périodes de l’histoire yémba a conduit à une rupture. Le temps de ce silence crée des psycho-traumatismes chez les descendants de ces anciens serfs. Les rites de la route apparaissent ainsi comme des protocoles thérapeutiques qui, à travers des discours et des symboles, restaurent la mémoire servile et la guérison psychologique de ces descendants d’esclaves. Il ressort que le processus d’adoption de ces rites chez les Yémba se présente comme un exemple de construction d’une tradition. Leur étude nous permet de soutenir la thèse selon laquelle les traditions naissent d’événements marquants ayant bouleversé une société et pour laquelle elles deviennent des solutions pour une sortie de crise. Ainsi, une tradition est une institution nouvelle qui apparaît en temps de crise et qui, au gré de sa pratique et de son efficacité, est définitivement adoptée et transmise aux générations futures.

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Notes

1 P. Gisel, Qu’est-ce qu’une tradition ? Ce dont elle répond, son usage, sa pertinence, Paris, Hermann, 2017.

2 Z. Saha, « De l’esclavage coutumier à la traite transatlantique dans la région de Dschang (Cameroun) », Cahiers des Anneaux de la Mémoire 3 (2001), p. 109-146 ; R. Tsana Nguegang, L’esclavage coutumier chez les Yémba de la Menoua à la rencontre de la traite atlantique et de la colonisation (fin XVIIIe siècle-début XXe siècle), Mémoire de Maîtrise en Histoire, Université de Douala (Cameroun), 2007 ; F. Momo Tonnang, Esclaves et serviteurs dans les cours royales des chefferies en pays Bamiléké (1800-1960), Mémoire de Master en Histoire, Université de Dschang (Cameroun), 2015 ; J.-C. Barbier, « Mais, qui est chef ? Esquisse de la chefferie coutumière », Journal of Legal Pluralism 25-26 (1987), p. 327-339.

3 J.-L. Dongmo, Le dynamisme Bamiléké (Cameroun) : la maîtrise de l’espace agraire, Yaoundé, CEPER, 1981 ; M. Guimfacq, Autorité traditionnelle et pouvoir colonial en pays Bamiléké : l’exemple de Foto dans la Menoua, Mémoire de Maîtrise en Histoire, Université de Yaoundé, 1988.

4 Z. Saha & G. Wate Sayem, « Enfants soldats en pays Bamiléké et dans le Nord Moungo : victimes et héros de la Guerre de Libération Nationale du Cameroun (1956-1971) », Intel’Actuel. Revue de Lettres et Sciences Humaines 2 (2019), p. 83-104 ; M. Kanguelieu Tchouaké, La rébellion armée à l’Ouest-Cameroun (1955-1971) : contribution à l’étude du nationalisme camerounais, Yaoundé, SISISRO, 2003.

5 Nous sommes partis du constat fait sur le terrain. On observe que chaque fois qu’un Yémba stimule des souvenirs ou rapporte un fait passé, il prend toujours comme point de référence la période de l’esclavage si cette histoire lui semble très poussée dans le temps. Il fera référence à la colonisation pour relater une histoire ou un fait en rapport aux changements sociaux liés à l’arrivée de « l’étranger ». L’arrivée du « blanc » se présente ici comme la cause de toutes les dérives et des mutations sociales. La période de la guerre d’indépendance est considérée comme un point de rupture et de réorientation sociale, notamment dans le sens de l’occupation de l’espace et de la restructuration des entités politiques du fait que la guerre a conduit à la réorganisation du paysage politique et urbain yémba avec la création de camps de regroupement.

6 Z. Saha, « De l’esclavage coutumier à la traite transatlantique dans la région de Dschang (Cameroun) ».

7 N. Argenti, The Intestine of the State: Youth, Violence and Belated Histories in the Cameroon Grassfields, Chicago, University of Chicago Press, 2007, p. 39.

8 J.-C. Barbier et alii, Migration et développement : la région du Moungo, Paris, ORSTOM, 1960, p. 46.

9 R. Tsana Nguegang, L’esclavage coutumier chez les Yémba de la Menoua à la rencontre de la traite atlantique et de la colonisation (fin XVIIIe siècle-début XXe siècle) ; F. Momo Tonnang, Esclaves et serviteurs dans les cours royales des chefferies en pays Bamiléké (1800-1960) ; J.-C. Barbier, « Mais, qui est chef ? Esquisse de la chefferie coutumière ».

10 D. Malabon, Rite Nkāŋ/sī, rite Nāŋ kɔ’ et objets d’art chez les Yémba de l’Ouest-Cameroun : XIXe-XXIe siècles, Thèse de Doctorat en Histoire des Civilisations et des Religions, Université de Dschang (Cameroun), 2021, p. 224-228.

11 N. Argenti, « Remembering the Future: Slavery, Youth and Masking in the Cameroon Grassfields », Social Anthropology 14/1 (2006), p. 52-57 ; « Things that Don’t Come by the Road: Folktales, Fosterages, and Memories of Slavery in the Cameroon Grassfields », Comparative Studies in Society and History 52/2 ( 2011), p. 270.

12 J.-L. Dongmo, Le dynamisme Bamiléké (Cameroun), p. 124.

13 Les Bamiléké constituent le grand groupe ethnique dans lequel on retrouve les Yémba.

14 La ville de Dschang est le centre urbain de l’espace Yémba créé par les Allemands en 1907.

15 M. Guimfacq, Autorité traditionnelle et pouvoir colonial en pays Bamiléké : l’exemple de Foto dans la Menoua, p. 72

16 Z. Saha & R. N. Mahoula Djokwé, « Maquis, rébellion et violence en pays Bamiléké : essai sur la construction d’une identité hybride (1957-1971) », in Z. Saha & J. R. Kouesso (dir.), Les Grassfields du Cameroun : des fondements culturels au développement humain, Yaoundé, Cerdotola, 2017, p. 115.

17 Armée de Libération Nationale du Kamerun.

18 M. Noumbissie Tchouaké, « Violence et clandestinité dans l’espace colonial camerounais. Comment l’UPC intègre la lutte armée dans sa stratégie (1955-1958) », Intel’Actuel. Revue de Lettres et Sciences Humaines 2 (2019), p. 47.

19 Z. Saha & G. Wate Sayem, « Enfants soldats en pays Bamiléké et dans le Nord Moungo », p. 84-90 ; M. Kanguelieu Tchouaké, La rébellion armée à l’Ouest-Cameroun (1955-1971), p. 154-155.

20 D. Malabon, « Patriarcat et matriarcat : matérialité de la mutation du système de parenté dans le rituel Nāŋ Ko’o chez les Yemba de l’Ouest-Cameroun (XVIe-XXe siècle) », in J. Kouosseu (dir.), Cameroun : le monde rural en mutations (XIXe-XXIe siècles), Dschang, Première Ligne, 2021, p. 49-67

21 R. Delarozière, Les institutions politiques et sociales des populations dites Bamiléké, Paris, Institut Français d’Afrique Noire, 1950 ; J. Hurault, La structure sociale des Bamiléké, Paris, Mouton & Co, 1962.

22 Le principe de la mise en scène yémba est le suivant : je fais des rites pour rendre un culte à mes ancêtres pour qu’en retour, à ma mort, mes descendants fassent de même à mon égard.

23 C. C. Fouellefak Kana, Valeurs religieuses et développement durable : une approche d’analyse des institutions des Bamiléké du Cameroun, Mankon, Langaa Research, 2010, p. 17-19.

24 F. Beuvier, Danser les funérailles : association des lieux de pouvoir au Cameroun, Paris, EHESS, 2014.

25 C. C. Fouellefak Kana & D. Malabon, « Sculpture et rites chez les Bamiléké du Cameroun : l’exemple des rites Nāŋ Kɔ’ et Nkaŋ des chefferies Foto et Foréké-Dschang », in C. C. Fouellefak Kana & L. Nzesse (dir.), Patrimoine culturel africain : matériau pour l’histoire, outil de développement, Paris, L’Harmattan, 2017, p. 57-78.

26 Les candidats aux rites de la route se soumettent à leurs pratiques lorsqu’ils traversent des moments de troubles qui vont pour certains jusqu’à la mort d’un ou plusieurs membres de la famille

27 N. Argenti, The Intestine of the State, p. 20-31.

28 Notons que c’est sa tendance à ramener ses observations faites dans la chefferie Oku (où il a réellement mené sa recherche) à toute la grande aire culturelle Grassfields (dans laquelle se retrouvent les Yémba) qui est sujette à critique ici. Sa conception du silence pour le cas d’Oku ne peut être généralisée à toute l’aire culturelle Grassfield car la mémoire s’exprime avec des particularités d’une localité à une autre.

29 Ceci est notre traduction. La version complète de l’auteur en anglais est la suivante : « […] that one could live with the silent memory of an episode of political violence that remained everywhere and always unsaid. »

30 N. Argenti, Remembering Absence. The Sense of Life in Island Greece, Bloomington, Indiana University Press, 2019, p. 12.

31 N. Argenti, « Things that Don't Come by the Road », p. 271.

32 R. Shaw, Memories of Slave Trade: Ritual and the Historical Imagination in Sierra Leone, Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. 7.

33 P. Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Seuil, 2000, p. 17.

34 M. Douglas, De la souillure. Essais sur les notions de pollution et de tabou, Paris, Maspero, 1971, p. 81.

35 F. Beuvier, « Sur les traces du Kemsi : divination au nom de Dieu, médecine missionnaire et naissance des prophétismes (Grassfields, Cameroun) », Archives de Sciences Sociales des Religions 183 (2018), p. 263-286.

36 E. de Rosny, Les yeux de ma chèvre : sur les pas des maîtres de la nuit en pays Douala, Paris, Plon, 2014, p. 271-280.

37 P. Ndonko, Les devins guérisseurs Bamiléké du Cameroun : megny-nsi/Mkâm-nsi entre le normal et la pathologie, Paris, Édilivre, 2017, p. 6.

38 Le ŋkém Sī Désirée nous a fait comprendre, lors d’une interview du 20 mai 2022 à la chefferie Baleveng, que leur sacerdoce de devin est essentiellement fondé sur une communication avec les esprits des morts qui, selon lui, peuplent l’univers invisible des Yémba. Chaque fois qu’il a un patient qui vient lui poser un problème de mal être, il interroge ces esprits par rapport à l’histoire de la famille du patient. Ce sont eux qui l’orientent et lui indiquent la procédure à suivre pour la future mise en scène rituelle qui va sceller la guérison (ou pas) du patient et de toute sa famille.

39 On peut dire ici que le Yémba connecte directement ses différents échecs à une cause mystique ou encore qu’il accepte le diagnostic du devin parce qu’il est mû par une culpabilité née de l’oubli généré par la rupture des institutions rituelles. Le fait pour lui de n’avoir pas exécuté ces rites pour ses aïeux enlevés comme esclaves crée un psycho-traumatisme qui semble fondé sur sa culpabilité et qui peut se transmettre à la génération suivante tant que la réparation n’est pas faite.

40 E. Mveng, L’art d’Afrique noire : liturgie cosmique et langage religieux, Yaoundé, CLE, 1974.

41 J. Mbiti, Religions et philosophie africaines, Yaoundé, CLE, 1972.

42 Régine Kenfack, princesse, chefferie Fombap, interviewée le 20 mai 2019.

43 Désirée, ŋkém Sī, chefferie Baleveng, interviewée le 20 mai 2022.

44 Thérèse Bouzeu, 81 ans, princesse à la chefferie Fotomena, interviewée le 27 août 2018.

45 Kenfack, Gwí Sī, sous-chefferie Tchoutsi (chefferie Bafou), interviewée le 03 juin 2020.

46 Ibid.

47 Les castagnettes font partie des instruments principaux de divination pour les ŋkém Sī et Gwí Sī. La musique qu’ils/elles produisent permet la communication avec les esprits.

48 L’intégration des étrangers met en scène ici la symbolique du partage qui, pour les Yémba, reste essentiel pour une vie harmonieuse. Tout va du proverbe suivant : « Pour recevoir, il faut donner. » Ce partage se fait tant avec les vivants qu’avec les esprits des morts.

49 Tegiueu Wamba, 70 ans, notable à la chefferie Bamegwou (chefferie Fokoué), interviewé le 31 août 2018.

50 Le Piper umbrellatum est une plante sacrée chez les Yémba, dont les feuilles symbolisent l’apaisement. Lire à cet effet D. Malabon, « Des savoirs phyto-thérapeutiques à l’usage des plantes dans les rituels Nkāŋ/Sī et Nāŋ Kɔ’ chez les Yémba de l’Ouest Cameroun », Revue Science et Technique du CNRST (Actes du Symposium International sur la Science et la Technologie) Hors-série 5 (2020), p. 301-303.

51 À la question de savoir pourquoi la bière, il nous a été signifié que les ancêtres savent reconnaître les « bonnes choses » et que si les vivants consomment et apprécient un aliment d’origine externe, c’est à bon droit qu’on l’introduit dans le rite pour leur plaisir.

52 Cette chaîne est formée dans tous les rites yémba faits au sein de la famille. Elle représente le cordon ombilical qui lie les membres de la famille et symbolise leur unité. Au-delà de cette symbolique, cette chaîne est une courroie de diffusion de la sanctification qui émane du sacrifice de la chèvre. Le sang de l’animal qui coule est supposé sanctifier la famille et leur procurer la guérison.

53 Fomènang Augustin, 65 ans, ŋkém Sī, chefferie Fossong-Wetcheng, interviewé le 23 février 2018.

54 Dans certains cas, la famille conduite en route organise une fois sur place les funérailles de ses ancêtres sous leur exigence.

55 D. Malabon, « Rite Nkāŋ/, rite Nāŋ kɔ’ et objets d’art chez les Yémba », p. 214-219.

56 J. Hurault, La structure sociale des Bamiléké, p. 49-57.

57 J.-L. Dongmo, Le dynamisme Bamiléké (Cameroun), p. 116-155.

58 Le rite Kɔ’ mènzhɛ auquel nous avons assisté à la sous-chefferie Nzala de Fontsa-Toula se faisait sur l’emplacement ancien d’une concession familiale abandonnée après la guerre d’indépendance. Ceci s’explique par le fait que cette guerre, qui a embrasé la région entre 1958 et 1971, a conduit au rassemblement des populations dans des camps de réfugiés. À la fin des hostilités, beaucoup de familles ne sont pas rentrées sur leurs anciennes terres, préférant s’installer définitivement dans les camps ou leurs environs. Mais elles ont gardé un lien étroit, spirituel et rituel avec ce lieu primaire d’habitation.

59 Éric de Rosny signale un cas semblable à la chefferie Bamiléké de Bamendjou où il a assisté en 1974 à la réconciliation d’un jeune homme avec l’esprit de son père disparu en 1959 et dont la femme, fuyant la guerre, avait dû amener son fils loin de leur concession. L’officiante, Gwí Sī et également mère du candidat, a découvert par la divination que son fils était sous l’emprise d’une malédiction, celle de l’esprit de son mari remonté contre son fils, l’accusant de l’avoir oublié.

60 Tsafack Germain, ŋkém Sī, chefferie Foréké-Dschang, interviewé le 07 janvier 2022.

61 Fabien Ndonfack, ŋkém Sī, chefferie Fongo-Tongo, 63 ans, interviewé le 02 octobre 2018.

62 Fonganteu, chef de la sous-chefferie Nganteu (chefferie Foto), interviewé le 23 avril 2022.

63 Tous ces ingrédients rituels par paire sont des symboles du pouvoir et de l’autorité. Une partie sera abandonnée sur la route comme preuve de la mise en scène et l’autre emportée par le désormais successeur comme attributs de son nouveau statut de successeur.

64 Dans certains cas, le rite de la chaise suit directement celui du prélèvement du crâne.

65 Le rite de la chaise dans sa version originelle se fait toujours devant le sanctuaire où sont gardés les crânes des aïeuls.

66 Achegui Martin, candidat au rite ŋbā trɔh mènzhɛ à la sous-chefferie Fotsem-Lessing (Chefferie Foréké-Dschang), interviewé le 23 juin 2022.

67 Ibid.

68 Fonganteu, chef de la sous-chefferie Nganteu (chefferie Foto), interviewé le 23 avril 2022.

69 C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 25.

70 V. Turner, The Ritual Process: Structure and Anti-structure, New-York, Cornell University Press, 1966.

71 Désirée, ŋkém Sī, chefferie Baleveng, interviewée le 20 mai 2022.

72 E. de Rosny, Les yeux de ma chèvre, p. 196.

73 Ibid.

74 R. Shaw, Memories of Slave Trade.

75 J. Cole, Forget Colonialism? Sacrifice and the Art of Memories in Madagascar, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 2001.

76 American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (5th ed. text revision), Washington, 2013.

77 J. Blanc & S. Madhère (dir.), Pensée afro-caribéenne et (psycho)traumatismes de l’esclavage et de la colonisation, Québec, Science et Bien Commun, 2017.

78 C. Tarquinio & Y. Auxéméry, Manuel des troubles psychologiques : théories et pratiques cliniques, Malakoff, Dunod, 2022, p. 41.

79 Odile Makemken, 72 ans, cheffe de famille candidate au rite ŋbā trɔh mènzhɛ, chefferie Bafou, interviewée le 2 avril 2019.

80 E. de Rosny, Les yeux de ma chèvre, p. 198.

81 G. Bibeau, « L’activation des mécanismes endogènes d’auto-guérison dans les traitements rituels des Angbandi », Culture 3 (1983), p. 33-49 (p. 36).

82 Fomènang Augustin, 65 ans, ŋkém Sī, chefferie Fossong-Wetcheng, interviewé le 23 février 2018.

83 Chanson recueillie en 2018 dans le cadre de la rédaction de la thèse de doctorat de Darice Malabon, intitulée Rite Nkāŋ/sī, rite Nāŋ kɔ’ et les objets d’art chez les Yémba de l’Ouest-Cameroun XIXe-XXIe siècles, soutenue en 2022. Elle y analyse une panoplie de chansons intervenant dans le rite de la chaise sous ses différentes formes.

84 Notons que la ville de Dschang est le centre urbain de l’espace yémba ; c’est une création coloniale allemande. Elle est dans l’imaginaire yémba le symbole des exactions, des chocs et des mutations nés du contact avec l’Occident.

85 C. G. Jung, Man and his Symbols, New-York, Ferguson, 1964, p. 96-99.

86 Mbi Nkemzo, 67 ans, notable Foto, interviewé le 20 novembre 2018.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Rite ŋbā trɔh mènzhɛ : cuisson du sacrifice
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Titre Figure 2 : Installation des crânes dans le sanctuaire familial
Crédits © C. C. Fouellefak Kana & D. Malabon, 2 juillet 2022, sous-chefferie Fotsem-Lessing (chefferie Foréké-Dschang)
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Titre Figures 3 à 5 : Rite Kɔ’ mènzhɛ dans une concession abandonnée après la guerre d’indépendance
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Crédits © C. C. Fouellefak Kana & D. Malabon, 5 avril 2019, sous-chefferie Nzala (chefferie Fontsa-Toula)
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Pour citer cet article

Référence électronique

Célestine Colette Fouellefak Kana et Darice Malabon, « Rites de la route et réparation de la mémoire servile : cas de la construction d’une tradition chez les Yémba de l’Ouest-Cameroun (XIXe-XXe siècles) »Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 26 | 2024, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/8508 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/120gj

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Auteurs

Célestine Colette Fouellefak Kana

Célestine Colette Fouellefak Kana est docteure de l’Université Lumière Lyon 2 (France). Actuellement Professeure à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Dschang au Cameroun, elle est historienne spécialisée en Histoire des Civilisations et des Religions. Auteure de trois ouvrages : Valeurs religieuses et développement durable : une approche d’analyse des institutions des Bamiléké du Cameroun, Bamenda, Langaa Research and Publishing Common Initiative Group, 2010 ; Patrimoine culturel africain, matériau pour l’histoire, outils de développement, Paris, L’Harmattan, 2017 ; (dir.), Festivals culturels africains. Espaces de promotion des patrimoines et des identités des peuples, Dschang, Dschang University Press, 2022. Elle est aussi auteure d’une trentaine d’articles scientifiques publiés au Cameroun, en France, au Sénégal, au Maroc, au Gabon et au Tchad.

Darice Malabon

Darice Malabon est titulaire d’un doctorat soutenu à l’Université de Dschang (Cameroun). Actuellement enseignante-chercheure au Département des Sciences du Patrimoine de l’Université de Ngaoundéré (Cameroun), elle est réalisatrice et historienne spécialisée en Histoire des Civilisations et des Religions. Auteure d’une dizaine d’article dont les plus récents sont : « Le rite Kack à Batoufam : comprendre le processus de création des festivals à l’Est du plateau Bamiléké », in C. Fouellefak Kana (dir.), Festivals culturels africains : espace de promotion des patrimoines et des identités des peuples, Dschang, Dschang University Press, 2022 ; « Patriarcat et matriarcat : matérialité de la mutation du système de parenté dans le rituel Nāŋ Ko’o chez les Yemba de l’Ouest-Cameroun (XVIe-XXe siècles) », in J. Kouosseu (dir.), Cameroun : le monde rural en mutations (XIXe-XXIe siècles), Dschang, Première Ligne, 2021, p. 49-68 ; « Des savoirs phyto-thérapeutiques à l’usage des plantes dans les rituels Nkāŋ/Sī et Nāŋ Ko’o chez les Yémba de l’Ouest Cameroun », Revue Science et Technique du CNRST (Actes du Symposium International sur la Science et la Technologie) Hors-série 5 (2020), p. 295-315.

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