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Lectures critiques

Frédéric Dejean, Annick Germain (dir.), Se faire une place dans la cité. La participation des groupes religieux à la vie urbaine

Bénédicte Rigou-Chemin
Référence(s) :

Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, « Matière à pensée », 2022, 198 pages

Texte intégral

1L’ouvrage dirigé par le sociologue Frédéric Dejean et la chercheuse en urbanisme Annick Germain Se faire une place dans la cité s’inscrit dans un cadre pluridisciplinaire. Comme le sous-titre le précise, c’est de la participation des groupes religieux à la vie urbaine dont il est question et plus précisément de la géographie des groupes religieux dans l’espace urbain.

  • 1 Cf. Danièle Hervieu-Légier, Catholicisme, la fin d’un monde : Paris, Bayard, 2003

2La richesse de l’ouvrage revient à la dizaine de contributeurs qui, en croisant leurs observations, dressent un tableau vivant du fait religieux contrastant avec l’effacement progressif du catholicisme dominant1. Les exemples principalement observés à Montréal, Québec et Paris, répondent à trois questions majeures à propos du rapport ville/pratique religieuse qui subsument les délimitations territoriales des enquêtes : Comment la ville s’ouvre-t-elle aux questions religieuses ? ; Comment favoriser les expressions des diversités religieuses ? ; Comment les groupes religieux peuvent-ils se mettre au service des villes inclusives ?

  • 2 Frédéric Déjean (p. 29) désigne ainsi le choix d’un lieu de culte lorsque celui-ci est motivé par d (...)

3Le découpage de l’ouvrage en trois chapitres distincts souligne d’entrée de jeu le rapport étroit ville/religion et les transformations du paysage religieux régis par le principe de laïcité. La première partie pose le cadre de la réflexion en consacrant trois articles à la diversité religieuse observée dans les villes de Montréal et Paris ainsi qu’aux politiques municipales qui les encadrent. L’accent est mis sur l’effet de situations transformant progressivement et durablement le paysage religieux. Ce sont tour à tour, le pluralisme et la fragmentation du marché religieux ; la visibilité ou l’invisibilité des nouveaux groupes religieux ; les transformations des lieux de culte et enfin les nouvelles logiques « congrégationnistes2 » qui sont identifiés et analysés. Face à ces changements propres aux grands centres urbains, en raison d’une population immigrante nombreuse soucieuse de maintenir sa pratique religieuse, et aussi en raison d’attentes spirituelles nouvelles, F. Dejean et J.-C. Camus interrogent les outils mis en place dans le cadre de politiques publiques. L’enjeu pour les villes, comme ils le montrent, est bien de concilier les attentes des groupes, le dialogue intercommunautaire et les contraintes urbanistiques.

4Les termes d’inclusivité et de diversité traversent la deuxième partie. Ils sont avancés par les auteurs dans l’idée qu’une ville doit apprendre à partager son espace avec les religions minoritaires présentes qui revendiquent leur place. L’ouvrage pointe aussi d’autres formes de diversités : de la communauté gay aux adeptes de spiritualités nouvelles transnationales. Pour chacun, les lieux de culte représentent une composante significative de la vie sociale dans la ville en raison d’une imbrication plus grande du religieux dans le social. L’offre n’est plus seulement spirituelle, elle inclut aussi les demandes d’intégration, d’ancrage, de refuge et de ressources matérielles. Elle prouve s’il le fallait que l’Évangile « n’est pas seulement spirituel mais social » (p.106) et que les groupes sont capables d’une forte capacité de mobilisation en cas d’urgence. Mais le propos devance aussi les questions que posent des lieux de culte ultra spécialisés qui entretiennent l’entre-soi non plus territorial mais affinitaires et/ou identitaires permettant aux personnes migrantes en particulier de « réinterpréter et de revaloriser les souffrances et les épreuves occasionnées par la migration ... ou la disqualification sociale » (p. 91).

5La troisième partie fait place aux expressions religieuses et spirituelles dans les quartiers où elles se concentrent : les fêtes d’Hanoukka et le festival de Ganesh à Paris, les spiritualités autochtones à Montréal. Ce sont autant de mises en scènes du religieux, qui, par ce qu’elles décrivent des pratiques rituelles en contexte diasporique, s’invitent dans l’espace public pour affirmer le caractère identitaire de la communauté tout en ouvrant un espace de dialogue avec la société civile. Ces manifestations, aussi différentes soient-elles, ont en commun de se déployer dans la ville pour en faire un lieu d’expression et de légitimité des différents traits culturels ou bien un marqueur culturel comme l’hospitalité de la communauté indienne sur la Highway to Heaven (p. 173).

6Nous retiendrons de cette lecture que la pluralité d’expressions religieuses dans la ville est le reflet des conditions d’existence de chaque groupe, que la place attribuée dans l’espace public à chacun dépend d’abord de la qualité du dialogue entre les communautés. Si les auteurs s’engagent plus timidement sur le terrain des solidarités interreligieuses, lesquelles se développent de manière souvent implicite à échelle locale et en fonction d’initiatives individuelles, ils nous montrent bien que la ville plus que jamais demeure un véritable laboratoire du religieux.

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Notes

1 Cf. Danièle Hervieu-Légier, Catholicisme, la fin d’un monde : Paris, Bayard, 2003

2 Frédéric Déjean (p. 29) désigne ainsi le choix d’un lieu de culte lorsque celui-ci est motivé par des affinités qui peuvent être de nature théologique ou ethno-culturelle. L’Église catholique parle, pour sa part, de ‘paroisse d’élection’.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bénédicte Rigou-Chemin, « Frédéric Dejean, Annick Germain (dir.), Se faire une place dans la cité. La participation des groupes religieux à la vie urbaine »Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 25 | 2023, mis en ligne le 04 juillet 2023, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/6086 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.6086

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Auteur

Bénédicte Rigou-Chemin

Docteur en Anthropologie sociale et historique à l’EHESS après avoir soutenu une thèse intitulée Les virtuoses religieux en paroisse : une ethnographie du catholicisme en acte sous la direction de Jean-Pierre Albert, Bénédicte Rigou-Chemin est directrice du cabinet d’études Scrib’ & Associés, chercheuse associée au LERASS (Axe « Patrimoine et médiations »), laboratoire pluridisciplinaire d’études et de recherche appliquées en sciences sociales des universités Paul Sabatier et Jean Jaurès, membre de l’Université Fédérale Toulouse Alumni et membre de la Société d’Ethnologie Française.

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