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La mort du prince Henri (†1612) : éthique et rhétorique du deuil dans un cycle de sermons funèbres anglais

The prince Henry’s death (†1612) : ethics and rhetoric of bereavement in a cycle of English funeral sermons
Paula Barros

Résumés

Cet article examine les spécificités thématiques et rhétoriques d’un cycle de sermons de deuil de Daniel Price, prononcés en 1612 à l’occasion de la mort du prince Henri, le fils aîné du roi d’Angleterre, Jacques Ier. Le premier volet expose les caractéristiques du sermon funèbre anglais, un genre de discours fortement codifié, dont les conventions se fixèrent dans la seconde moitié du XVIe siècle, alors même que le clergé s’efforçait de démontrer la légitimité de la prédication funèbre dans un contexte protestant. À l’aube du XVIIe siècle, les sermons funèbres imprimés se conforment en majorité à un modèle rhétorique bien défini et poursuivent un objectif pastoral double : la commémoration des morts et l’édification des vivants. Vis-à-vis de cette norme, les sermons de Daniel Price présentent des écarts considérables. En effet, ils se consacrent pour l’essentiel à la prise en charge du deuil des fidèles, un choix thématique qui implique une stratégie rhétorique spécifique. Se focalisant sur l’examen de ces caractéristiques, le deuxième volet de l’article montrera que ces textes, s’ils sont peu représentatifs de la pratique homilétique du clergé anglais au moment des funérailles, sont symptomatiques d’un changement culturel qui se dessine en Angleterre à l’aube du XVIIe siècle, et qui se traduit par la valorisation du deuil humain à des fins dévotionnelles

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Texte intégral

  • 1  « [I]t was a season for Elegies of this kind, when I wrote this », Cyril Tourneur, « Griefe on the (...)
  • 2  Sur la dimension politique de la mort d’Henri, voir Jennifer Woodward, The Theatre of Death. The R (...)

1Quand le prince Henri, fils aîné du roi Jacques Ier, meurt subitement en novembre 1612, emporté par une maladie foudroyante à l’âge de dix-huit ans, une atmosphère élégiaque s’empare de l’Angleterre. La communauté littéraire participe au deuil national en s’engageant dans une entreprise de commémoration publique d’une ampleur jamais égalée jusque là. Épitaphes et élégies, imprimées en grand nombre, promettent d’inonder le pays d’un déluge de larmes. « La saison était aux élégies de ce genre quand j’écrivis ce poème », déclare Cyril Tourneur dans l’exorde d’une déploration en vers composée pour l’occasion1. Ce débordement émotionnel ne s’explique pas seulement par la jeunesse du défunt, ravi dans la fleur de l’âge. Pour les contemporains, le décès d’Henri fut un événement d’autant plus marquant que des motivations politiques incitèrent Jacques Ier à favoriser les célébrations de deuil. En 1612, malgré son jeune âge, le prince était déjà une figure symbolique. Héritier du trône, il s’était forgé une réputation de défenseur du protestantisme, peu enclin à faire des concessions aux puissances catholiques et soucieux de se démarquer de l’engagement de son père en faveur d’une politique de paix. Du vivant de son fils, le roi avait cherché à réfréner son protestantisme militant, expansionniste et guerrier, mais après son décès, il encouragea la commémoration du jeune homme en héros protestant. Il organisa des funérailles grandioses, faisant écho aux honneurs rendus à Sir Philip Sidney, le poète-soldat mort sur un champ de bataille des Pays-Bas en 1586, qui était devenu l’incarnation de l’héroïsme militaire dans l’imaginaire des contemporains. Les membres de la communauté littéraire emboîtèrent le pas, clamant vers après vers, poème après poème, qu’avec la mort d’Henri, le protestantisme avait perdu son plus ardent défenseur2.

  • 3  Sur le corpus poétique, voir en particulier les deux études suivantes : Ruth Wallerstein, Studies (...)

2Ce fut dans ce contexte que le prédicateur Daniel Price prêcha, au cours des semaines séparant le décès et les obsèques du prince, un cycle de six sermons funèbres. Réunis dans deux recueils parus en 1613, ces textes n’ont bénéficié à ce jour d’aucune étude approfondie, alors que le corpus poétique a fait l’objet d’analyses détaillées3. Or, ils présentent un intérêt évident, car ils occupent une place à part parmi les discours de circonstance visant à répondre à l’événement de la mort. En effet, ces sermons furent prononcés dans le cadre des offices précédant la cérémonie d’ensevelissement, et non pas, comme l’immense majorité des sermons funèbres de l’époque, le jour des obsèques. Par l’attention qu’ils portent aux thèmes de la tristesse et de la consolation, ils s’intéressent à la situation de la communauté endeuillée dans le temps court qui suit le décès ; ils s’écartent ce faisant de la rhétorique usuelle du sermon funèbre anglais, qui a pour effet de replacer la mort dans le temps long de la mémoire et de l’eschatologie. Ce sont ces spécificités thématiques et rhétoriques que la présente étude se propose d’examiner. Pour mieux les mettre en évidence, nous commencerons par une brève présentation des fondements théoriques du sermon funèbre anglais, de sa structure rhétorique et de ses présupposés éthiques. Ce n’est qu’une fois posés ces jalons que nous serons en mesure de commenter l’originalité des choix de Daniel Price.

I. Édifier et commémorer : le sermon funèbre anglais à l’ère de la première modernité, c. 1560-16404

  • 4  Les remarques qui suivent sont une synthèse de développements plus amples, présentés dans notre Th (...)
  • 5  Voir le tableau reproduit dans l’Annexe 1. Les textes sont recensés dans P., Barros, Les Vivants à (...)
  • 6  Dans l’Angleterre élisabéthaine, on assiste à une véritable controverse autour du sermon funèbre, (...)

3À partir du tournant du XVIIe siècle, le nombre de sermons imprimés séparément à l’occasion d’un décès connaît une augmentation assez considérable, surtout dans les années 1610-16305. Bien qu’il convienne de replacer ce phénomène dans le contexte de l’accroissement général du volume des écrits imprimés, il ne faut pas en sous-estimer la signification. Ce que les chiffres donnent à comprendre, c’est que le clergé perçoit l’utilité didactique et morale du sermon funèbre, dont l’impact sur le public est multiplié par la diffusion à grande ou moyenne échelle que permet le recours à l’imprimerie. En outre, la prolifération du sermon imprimé est un symptôme de la culture commémorative qui s’épanouit dans l’Angleterre du premier XVIIe siècle, où le volume d’impression des autres écrits funèbres, notamment celui des pièces poétiques – épitaphes, élégies, etc. – connaît une évolution semblable. C’est sans doute en raison de sa double orientation, pastorale et commémorative, que le sermon funèbre s’est facilement imposé après la restauration du protestantisme en Angleterre, alors même qu’il suscitait des inquiétudes dans les milieux les plus radicaux, notamment chez les presbytériens, qui craignaient qu’il favorise la survivance des prières pour les morts et s’élevaient contre les dangers d’une éventuelle dérive encomiastique6.

  • 7  John Whitgift, The Defense of the Aunswere to the Admonition, against the Replie of T. C. […], Lon (...)
  • 8  « And though the Papistes have abused much this sacred use […] : yet is this no reason, why we sho (...)

4Évoquant le potentiel didactique de l’éloquence homilétique, les défenseurs du sermon funèbre contrent facilement l’accusation portant sur la survie des croyances catholiques. Pour John Whitgift (1574), les enterrements donnent aux ministres l’opportunité d’expliquer aux fidèles la doctrine protestante de l’au-delà ; en prêchant lors des funérailles, le clergé, loin d’encourager les anciennes pratiques, peut mener un combat efficace contre les trentains, les prières pour les morts et la doctrine du Purgatoire7. Ce point de vue s’impose d’autant plus facilement que la prédication constitue aux yeux des protestants un moyen de conversion privilégié, dont le clergé, souligne Anthony Anderson (1580), aurait tort de se priver au moment des funérailles : « Et bien que les Papistes aient beaucoup abusé de cet usage sacré […] ; ce n’est pas là une raison pour que nous nous abstenions de nourriture, ou que nos parents renoncent à nous donner à manger le pain de la vie »8.

  • 9  Ménandre, Peri epideiktikon, XI, dans Menander Rhetor, texte établi et traduit par D. A. Russell e (...)
  • 10  Voir à ce sujet les remarques d’O. B. Hardison dans The Enduring Monument. A Study of the Idea of (...)
  • 11  Sur la laudatio funebris pratiquée dans le monde romain, voir Laurent Pernot, La Rhétorique de l’é (...)
  • 12  Les humanistes italiens étudiés par John McManamon reprennent le schéma classique du discours d’él (...)
  • 13  Saulnier, « L’Oraison funèbre au XVIe siècle », op.cit., p. 126.

5Outre le désir de se démarquer des pratiques catholiques, les prédicateurs protestants voulurent aussi se repositionner par rapport à la tradition gréco-latine de l’oraison funèbre, dont ils critiquaient l’enracinement dans le genre épidictique. Christianisée par les Pères de l’Église, l’oraison funèbre fut réactivée par les humanistes dans l’Europe de la Renaissance, les orateurs s’appuyant pour ce faire sur les deux modèles existants : l’epitaphios logos et la laudatio funebris. Décrit au IIIe siècle par le rhétoricien Ménandre, l’epitaphios est un discours en trois parties, au cours duquel l’orateur aborde tour à tour la déploration du défunt, son éloge et la consolation des vivants9. D’un point de vue anthropologique, ce schéma de composition permet la prise en charge du deuil des fidèles, auxquels l’orateur propose un parcours consolatoire allant de l’expression de la plainte à l’injonction de mettre un terme à leur douleur. D’un point de vue rhétorique, on est cependant bien en présence d’un discours encomiastique, car la fonction essentielle des motifs de la lamentation et des motifs de la consolation est d’amplifier l’éloge du défunt10. Laissant de côté la lamentation et la consolation, la laudatio funebris est plus simplement modelée sur le schéma du discours d’éloge11. En Italie et en France, la redécouverte des genres antiques se traduit par la réappropriation de ces deux schémas de composition, que l’on retrouve dans bon nombre d’oraisons funèbres de l’époque12. L’empreinte des modèles antiques reste donc très forte dans les oraisons françaises et italiennes, même si, comme a pu l’écrire Verdun L. Saulnier, « l’originalité de l’Oraison chrétienne […] fut d’incliner l’oraison funèbre vers le sermon ». En Angleterre, au contraire, s’épanouit un modèle de sermon qui se démarque des conventions antiques et humanistes de l’oraison funèbre13.

  • 14  C’est cette traduction anglaise que nous utilisons ici, Hyperius [Andreas Gerardus], The Practis o (...)
  • 15  Comme le signale Barbara Kiefer Lewalski, William Perkins rompt plus nettement avec la tradition r (...)
  • 16  Hyperius, The Practis of Preaching, ff. 18r-v. Les textes de ces versets sont les suivants : « Tou (...)
  • 17  Hyperius, The Practis of Preaching, ff. 150v-151r.
  • 18  Hyperius, The Practis of Preaching, ff. 154v-155r.
  • 19  Hyperius, The Practis of Preaching, f. 155r.

6Dans leur pratique, les prédicateurs anglais se conforment aux règles établies par Andreas Gerardus, dit Hyperius, dans un manuel de prédication intitulé De formandis concionibus sacris. Paru en Allemagne en 1553, cet ouvrage fut traduit en anglais en 157714. Hyperius y a pour projet d’élaborer des outils rhétoriques conformes aux besoins de la prédication protestante. S’il reconnaît la pertinence de certaines catégories de l’art oratoire antique, il rejette la classification tripartite des genres de discours, inadaptée, à ses yeux, à la diversité des formes homilétiques15. Dans une démarche typique de l’orientation de la Réforme, c’est dans les épîtres pauliniennes qu’il puise les fondements d’une classification alternative. Reprenant les commentaires de Paul dans 2 Tm 3.16-17 et Rm 15.4, il attribue au prédicateur cinq devoirs différents : l’exposition de la vraie doctrine, la réfutation des doctrines erronées, l’instruction, le blâme et le réconfort16. À chacun de ces devoirs correspond un genre de discours. Le sermon funèbre trouve sa place dans la troisième catégorie, susceptible d’accueillir tous les discours habituellement classés dans le genre délibératif et dans le genre démonstratif17. Bien qu’il admette les vertus didactiques du discours encomiastique, Hyperius considère que la vocation principale du prédicateur funèbre n’est pas de faire l’éloge du défunt. Il critique l’orientation encomiastique de l’oraison patristique, trop inféodée, à ses yeux, aux modèles antiques18. Il indique que le prédicateur funèbre doit veiller avant tout à l’édification des fidèles en se concentrant pour l’essentiel sur deux thèmes : la préparation à la mort et la consolation du deuil19.

7Conformément à ces prescriptions, le sermon funèbre anglais prend la forme d’un discours thématique centré sur l’explication d’un verset d’appui. Deux grands thèmes dominent les textes du corpus : les fins dernières et la sainteté protestante. Dans le premier cas, le sermon funèbre contribue à la diffusion d’une pédagogie de la mort dont l’objectif est la réforme des mœurs. Il entre alors en résonance avec les préparations à la mort, dont il relaie les thèmes usuels du contemptus mundi : la brièveté et la fragilité de la vie, la certitude de la mort, l’impossibilité de connaître son heure, la nécessité de se préparer au trépas, les bienfaits de la mort, les malheurs terrestres et les joies de la vie céleste. Les sermons sur la sainteté protestante se subdivisent en plusieurs sous-catégories. Certains abordent en des termes généraux la vie et la mort des saints. Les prédicateurs énumèrent alors les signes de la sainteté, accordant souvent une attention particulière à l’articulation entre la foi et les œuvres. D’autres sermons traitent de la sainteté par des biais plus spécifiques, en ce concentrant par exemple sur la mise à l’épreuve des saints ou les bienfaits de l’affliction, ou en envisageant la mort des saints comme une punition divine. Il faut signaler que l’on ne trouve pas dans ces textes de véritable consolation du deuil. Les prédicateurs s’attachent plutôt à proposer un discours d’édification centré sur l’art de bien vivre et de bien mourir.

  • 20  Hyperius, The Practis of Preaching, ff. 155r-v.

8En dépit de leur insistance sur la vocation didactique et pastorale du sermon funèbre, les prédicateurs sont très peu nombreux à renoncer au discours d’éloge. Fondé sur la critique de l’orientation encomiastique de l’oraison funèbre, le rejet de l’héritage rhétorique demeure donc ambigu. Il faut souligner qu’Hyperius lui-même concède aux prédicateurs le droit de terminer leur sermon par un éloge du défunt. Il précise, il est vrai, que cette partie du discours doit rester brève et sobre, et qu’au lieu de magnifier la gloire terrestre du défunt, elle doit mettre en avant l’humilité d’une vie passée au service de Dieu. Il n’en demeure pas moins qu’il cautionne, bien que du bout des lèvres, la vocation encomiastique et commémorative du sermon funèbre20. En préconisant un exposé en deux temps, il formalise le modèle de composition bipartite qui remporte la faveur des prédicateurs anglais, dont les sermons comportent en effet pour la plupart deux parties bien distinctes : le commentaire du verset d’appui, suivi d’un discours encomiastique en bonne et due forme.

  • 21  Voir Pernot, La Rhétorique de l’éloge, vol. 2, pp. 710 et 717.
  • 22  « [S]et before them that be alive to be followed, one or other virtue wherin the brother deceassed (...)
  • 23  Philipp Melanchthon, La Confession d’Augsbourg, XXI, dans La Confession d’Augsbourg et l’Apologie, (...)
  • 24  Richard Parr, The End of the Perfect Man. A Sermon Preached at the Buriall of the Right Honourable (...)

9Le ralliement des prédicateurs au discours encomiastique s’accompagne de l’élaboration d’un discours de justification visant à mettre en avant les vertus didactiques et morales de l’éloge. L’argumentaire s’inspire des commentaires des rhétoriciens antiques, pour qui l’éloge était un discours utile parce qu’il permettait de présenter aux auditeurs des modèles de vertu à imiter21. C’est ce que souligne Hyperius quand il recommande aux prédicateurs de « place[r] devant les yeux des vivants, pour qu’ils l’imitent, l’une ou l’autre des vertus dans laquelle leur frère défunt excella, ou quelque acte remarquable effectué par lui dans l’intérêt de l’Église, pour le bien commun, pour soulager la misère des pauvres, ou la confession de foi qu’il prononça au moment même de son combat avec la mort »22. La valeur édifiante de l’éloge est confortée par la conviction que la vie des saints peut avoir une fonction exemplaire. Comme le rappelle Melanchthon dans La Confession d’Augsbourg, « on peut proposer à la méditation la mémoire des saints pour que nous imitions leur foi et leurs bonnes œuvres conformément à notre vocation »23. Ce point de vue est fréquemment relayé par les prédicateurs anglais. Richard Parr (1628) explique ainsi que tous les croyants désireux de vivre conformément à l’idéal de la sainteté ont le devoir de garder présent à l’esprit l’exemple des hommes et des femmes les plus avancés sur le chemin de la perfection24.

  • 25  Sur cet aspect, voir Eric Josef Carlson, « English Funeral Sermons as Sources : The Example of Fem (...)

10La perception de l’utilité didactique et pastorale du sermon funèbre n’explique cependant pas à elle seule le succès grandissant de ce genre de discours. Il est évident que le désir d’honorer la mémoire des défunts en les enterrant dignement contribua à consolider l’adhésion de la population à la prédication mortuaire. Dans l’Angleterre moderne, le prix d’un sermon funèbre était de 10 shillings environ, un montant à la portée des couches moyennes, mais bien trop élevé pour la majorité de la population, si bien que la prédication était loin d’être la règle lors des enterrements de l’époque25. Commander un sermon funèbre était par conséquent une manière de marquer le statut du défunt, de le différencier des personnes ordinaires en surajoutant à la liturgie d’ensevelissement prévue par le Livre des prières un témoignage de respect d’autant plus acceptable que la vocation officielle du discours était l’édification des fidèles. Cette dimension sociale est particulièrement apparente dans les cas où le sermon fait l’objet d’une impression. Véritables monuments de papier, les sermons imprimés fixent pour les générations à venir les paroles prononcées le jour des funérailles ; ils témoignent de la volonté d’honorer certains individus par un acte de commémoration moins éphémère qu’un simple discours oral. Les personnes dont la mémoire est ainsi célébrée appartiennent le plus souvent à l’élite sociale. La plupart des sermons imprimés concernent des défunts d’un rang élevé : membres de la noblesse, chevaliers, esquires, membres de la gentry. Dans une moindre mesure, ils commémorent le décès d’individus issus de familles d’artisans, de marchands ou de ministres. L’examen des liens entre les prédicateurs, les dédicataires et les défunts fait apparaître des réseaux de sociabilité et des relations de mécénat. Pour un ministre, l’impression d’un sermon funèbre est d’abord et avant tout une façon d’honorer un ami ou un protecteur, une démarche qui lui permet de signaler son attachement à la famille dominante d’une paroisse ou d’une région. Les épîtres dédicatoires contiennent de nombreux témoignages de gratitude, les prédicateurs n’hésitant pas à exprimer leur reconnaissance pour le soutien qu’ils ont obtenu de tel ou tel personnage influent. Ces dédicaces sont aussi une manière de préparer l’avenir : en imprimant un sermon funèbre, les prédicateurs soumettent le dédicataire du sermon à l’obligation symbolique de leur accorder sa protection. Aux préoccupations pastorales du clergé vient donc se mêler la défense d’intérêts plus personnels, les prédicateurs se soumettant fréquemment à l’obligation de rendre hommage à une personnalité envers laquelle ils se sentent redevables.

11Avec la complexité de ses enjeux, à la croisée de l’anthropologique, du sociologique et du théologique, le sermon funèbre témoigne de la manière dont le clergé anglais a su adapter ses pratiques et ses modèles rhétoriques aux changements religieux, sans procéder pour autant à une rupture radicale avec le passé proche ou lointain. À cet égard, les sermons de Daniel Price ne font pas exception. Ils présentent cependant certaines spécificités rhétoriques et thématiques qui méritent d’être examinées de plus près : non seulement ils s’écartent de la structure bipartite usuelle, mais ils accordent une place centrale au deuil de la communauté. En rapport direct avec les circonstances entourant la mort du prince Henri, ces choix ont pour effet de renforcer le pathos du rituel de deuil qui se met en place à St James’s Palace, où était établie la cour princière.

II. Le prédicateur et le prince : lamentations sur la mort d’Henri

  • 26  Voir à ce sujet les remarques de Patrick Baudry, qui écrit que « les relations entre les morts et (...)
  • 27  C’est cette acceptation qui constitue la frontière entre le deuil normal et le deuil pathologique. (...)

12Intimement lié au rituel d’ensevelissement qui vient sceller la séparation entre les vivants et les morts, le sermon funèbre participe d’un imaginaire de la clôture. Il contribue, d’un point de vue anthropologique, au processus consistant à mettre le mort à sa place26. Représentation métonymique du tombeau, il est un support privilégié de la mémoire des défunts. Dans la mesure où il incite les vivants à se rappeler leur propre mortalité, il remplit en outre une fonction de memento mori et place l’événement de la mort dans le temps long de l’eschatologie. En revanche, il ne prend que rarement en charge le chagrin des fidèles : il ne s’intéresse pas, ou peu, au temps court du deuil non encore résolu, pendant lequel ceux qui restent doivent parvenir à l’acceptation progressive de la disparition du défunt27. Par ces différentes caractéristiques, le sermon funèbre se rapproche de l’épitaphe, elle-même liée à l’imaginaire de la sépulture.

  • 28  Sur la codification de l’élégie et de l’épitaphe dans l’Angleterre moderne, voir P. Barros, Les Vi (...)

13Or, les sermons de Daniel Price sont d’un autre ordre. À forte coloration pathétique, ils présentent des affinités avec l’élégie, une forme dont les conventions ne sont pas tout à fait stables à l’époque moderne, mais qui se distingue de l’épitaphe par l’attention qu’elle porte au sentiment des endeuillés, dont le poète se propose d’être le relais28. Price ne recourt pas au schéma bipartite, qui relègue le discours encomiastique après l’exposé du verset d’appui, mais il choisit de mêler intimement le commentaire biblique et l’éloge du défunt, incluant, selon les textes, des passages privilégiant la lamentation ou la consolation. Il reprend donc les composantes usuelles de l’epitaphios tripartite, dont découle également le schéma de composition le plus courant de l’élégie funèbre. Appréhendés dans un ordre chronologique – l’ordre dans lequel ils furent proposés à la communauté rassemblée pour les offices à St James’s Palace – ils retracent un parcours allant de l’effusion de la plainte au réconfort relatif prodigué par un consolateur incertain.

  • 29  Pour plus de clarté, nous avons attribué un numéro à chacun de ces six sermons. Voir l’Annexe 2, o (...)

14Les deux premiers sermons, regroupés dans le recueil intitulé Lamentations for the Death of the Illustrious Prince Henry, sont un commentaire en deux parties sur des paroles de Jésus au moment de son arrestation : « Je frapperai le berger et les brebis du troupeau seront dispersées » (Mt 26.31)29. Prononcés dans les dix jours suivant le décès, à un moment où la mort est encore un événement récent, ces sermons s’apparentent à une complainte sur la disparition d’Henri, un événement que Price replace dans un schéma d’interprétation providentialiste, identifiant le défunt prince à la figure du juste, ravi par la providence divine pour punir les hommes de leurs péchés. Ce thème providentialiste est le fil conducteur du cycle tout entier. S’il permet au prédicateur de faire retentir un appel au repentir et à la réforme des mœurs, il se prête également aux exigences du discours de circonstance, favorisant tout particulièrement une interprétation encomiastique des motifs de la lamentation.

  • 30  « [I]n my meditation by the rivers of sorrow I sat downe, & wept, and hanged my Harpe upon the wil (...)
  • 31  Price, Lamentations, p. 3.
  • 32  « What are Hieremies lamentable threens, but a sorrowfull song breathed over the Citie of Hierusal (...)

15Dans ces deux premiers sermons, la tonalité pathétique s’exprime avec une force singulière. Le titre du recueil renvoie le lecteur à la tradition rhétorique de la lamentation. Inhabituel dans le corpus des sermons imprimés, ce choix se confirme dans l’épître dédicatoire et dans l’exorde du premier sermon, où le prédicateur assume la posture du poète élégiaque, prétendant relayer par sa complainte le deuil de la communauté. Dans l’épître, il se réfère au Psaume 137 pour justifier le caractère « passionné » de son discours : « dans ma méditation, je me suis assis au bord des rivières de douleur, et j’ai pleuré, et j’ai pendu ma harpe aux saules […] : et quand vous m’avez demandé ce chant dans ma tristesse, je n’ai su chanter d’autre chant du Seigneur qu’un chant de douleur, dans ce pays étranger, étranger en raison des péchés, étranger en raison du jugement »30. Dans l’exorde du premier sermon, il propose à son auditoire de reprendre « l’élégie » que David composa à l’occasion de la mort de Jonathan, conformément à une tradition qui fait du Psalmiste le premier poète élégiaque31. En inscrivant ainsi sa démarche dans une filiation biblique, Price confère à sa lamentation une légitimité éthique. Il faut savoir que ses contemporains se montraient très méfiants à l’égard des discours chargés d’émotion, surtout quand ils visaient à amplifier la tristesse. Dans un traité sur les passions paru en 1601, Thomas Wright, bien qu’il ne s’oppose pas à l’expression poétique de la douleur, ne dénombre que trois formes acceptables de la lamentation : « Que sont les lamentables thrènes de Jérémie, sinon des chants de douleur sur la cité de Jérusalem ; que sont les psaumes pénitentiels de David, sinon de tristes hymnes inclinant l’âme à la douleur sur le péché ; que sont les mélodies funèbres, sinon des lamentations pleines de regret sur nos amis disparus »32. Wright se réfère ici à une classification commune, selon laquelle l’homme peut pleurer sur ses propres péchés, sur les péchés du monde et sur ses amis disparus. En évoquant le Psaume 137 et l’élégie de David, Price reprend non seulement à son compte cette conception des motifs légitimes de la plainte, mais il rend son chant de deuil d’autant plus acceptable qu’il lui confère une double orientation, humaine et spirituelle.

  • 33  « Teares blinde me, and sighs chooke, and here I cease ; sorrow doth silence me », Price, Lamentat (...)
  • 34  « O God, how hast thou plagued us, as Jeremy complained even in the solemne day », Price, Lamentat (...)

16Ces deux sermons, qui déplorent tour à tour la mort d’Henri et le malheur des survivants, se terminent l’un et l’autre sur une note pathétique. Dans la péroraison du premier texte, l’évocation de la mort du prince donne lieu à une dernière intensification du pathos : « Les larmes m’aveuglent, les soupirs m’étouffent, et je me tais ; la douleur m’impose le silence »33. Quant au deuxième sermon, c’est par une référence aux Lamentations attribuées à Jérémie (Lm 2.22) que le prédicateur évoque, dans une véritable exclamation de douleur, la souffrance de la nation anglaise sous le joug de l’affliction : « O Seigneur, comme tu nous a affligés en un jour solennel, ainsi que s’en plaint Jérémie »34. Price conclut ainsi son deuxième texte par un rappel de l’interprétation providentialiste de la mort d’Henri. Dans un cas comme dans l’autre, le retour au pathos à l’endroit stratégique de la péroraison marque le refus de toute résolution du chagrin.

  • 35  « You have heard how our Saviour his servants, his disciples, his daily waiters, were scattered », (...)
  • 36  « [W]hich meditation now hath moved me, to bringe you an Olive braunch, in these waves and waters (...)
  • 37  Ibid., pp. 13-15.
  • 38  « [H]eaven is caught by paines, by patience, by violence, affliction is the most inseparable assoc (...)
  • 39  Le texte complet de Ps 51.19 est le suivant : « Le sacrifice voulu par Dieu, c’est un cœur brisé ; (...)
  • 40  « The earth, yeelds not corne till it be plowed, the grape yeeldeth no wine, untill it be pressed, (...)

17Les sermons 3 et 4 s’inscrivent dans une démarche consolatoire. Ces deux textes ouvrent le second recueil, au sein duquel ils sont regroupés sous un seul et même titre : Meditations of Consolation in Our Lamentations. Ce titre est une référence évidente aux deux sermons précédents, sur lesquels Price revient dans l’exorde du sermon 3 : « Vous avez entendu comment les serviteurs de notre Sauveur, ses disciples, les membres de sa suite quotidienne furent dispersés »35. Mais l’affliction, ajoute-t-il, donne lieu au réconfort, le Christ lui-même ayant consolé ses disciples avant son arrestation, ainsi que le rapporte l’Évangile de Jean : « vous êtes maintenant dans l’affliction, mais je vous verrai à nouveau, et votre cœur se réjouira » (Jn 16.22). La proposition de réconfort de Price s’écarte cependant des présupposés du discours de consolation antique et humaniste, qui a pour objectif d’inciter l’endeuillé de mettre un terme à son deuil. Cette « méditation » (c’est-à-dire l’idée que l’affliction débouche sur la consolation), déclare en effet le prédicateur, « m’a poussé à vous apporter une branche d’olivier, dans ces vagues et ces eaux de douleur, non pas pour vous demander de mettre un terme à votre deuil, mais pour le faire mûrir, pour qu’il soit meilleur et plus fort, et qu’il vous apporte davantage de plaisir, davantage de profit »36. Le modèle de réconfort que Price propose à ses auditeurs est fondé sur la valorisation spirituelle de la tristesse et de l’affliction. Prenant Ps 90.15 comme point de départ de son troisième sermon – « Réconforte-nous à mesure que tu nous a affligés » – il explique la nature du vrai réconfort, qui ne peut provenir que de Dieu. Rejetant tous les moyens de consolation terrestres – la lecture des philosophes, la poésie, le vin, la joie, la musique – il insiste sur la nécessité pour le chrétien de se tourner vers Dieu, avant de rappeler à ses auditeurs les bienfaits de l’affliction37. « Le ciel », s’exclame-t-il, « se prend par les douleurs, par la patience, par la violence ; l’affliction en est un associé inséparable »38. Dieu exige un « sacrifice », un « cœur contrit et humilié », poursuit-il, citant Ps 51.19, un verset qui occupe une place centrale dans les discours contemporains sur la douleur du repentir39. La douleur de l’affliction, souligne Price, est susceptible de provoquer la métamorphose cordiale indispensable à l’accomplissement du processus de conversion. Il faut donc accueillir la violence roborative qui laboure douloureusement le cœur du pécheur pour le purifier. Pour mieux convaincre ses auditeurs, Price convoque les métaphores les plus courantes de l’imaginaire de la purification du cœur dans et par la douleur : « La terre ne produit pas de blé avant d’avoir été labourée, la grappe de raisin ne produit pas de vin avant d’avoir été pressée, l’or n’est pas pur avant d’avoir été raffiné, les pierres du Temple ne furent pas introduites dans le Temple avant d’avoir été polies, les Saints dans le Livre de l’Apocalypse ne revêtent pas de robes blanches et ne portent pas de palmes à la main avant d’être passés par de nombreuses tribulations »40.

  • 41  Pour plus de détails sur cette approche spirituelle de la souffrance, voir P. Barros, Les Vivants (...)

18Il faut savoir que ce modèle alternatif de comportement dans la souffrance, très différent de l’idéal antique et humaniste de la maîtrise de la douleur par la force d’âme et la volonté humaine, rencontre la faveur du clergé protestant anglais dès les premières décennies du XVIIe siècle. Quelle que soit leur sensibilité confessionnelle, les théologiens s’accordent dans l’ensemble sur un point : il faut récolter les fruits spirituels de l’affliction. Ils rejettent pour la plupart (bien qu’avec plus ou moins de vigueur) la tradition consolatoire antique et humaniste, dont ils considèrent qu’elle tend à reléguer au second plan la toute-puissance divine. Sous leur plume, l’expérience du deuil devient une opportunité spirituelle, l’occasion pour le chrétien de se laisser mettre à l’épreuve et d’accéder à la tristesse du repentir41. L’épanouissement de cette spiritualité aux accents doloristes constitue le contexte immédiat des sermons de Daniel Price.

  • 42  « But look upon him in his obsequies for his Absolon, he was oppressed, surcharged, distracted, he (...)
  • 43  « [W]ee ought to crave the assistant power of Gods spirit in all sorrowes, so to season and sweete (...)
  • 44  « [W]e may learne, to stay our carnall and to encrease our spirituall sorrow » ibid., p. 38 ; notr (...)
  • 45  Cette typologie de la tristesse puise ses racines dans les épîtres pauliniennes. Dans la deuxième (...)
  • 46  Robert Harris, Absaloms Funerall : Preached at Banbyrie by a Neighbour Minister : or, the Lamentat (...)

19Price explique plus avant son modèle de deuil dans le sermon 4, un commentaire sur les paroles prononcées par David à l’occasion de la mort de l’enfant adultérin : « Maintenant, il est mort. Pourquoi jeûnerais-je ? C’est moi qui m’en vais vers lui, mais lui, il ne reviendra pas vers moi » (2 Sm 12.23). L’interprétation que le prédicateur propose de ce verset est conforme à l’éthique du deuil qu’il a commencé à exposer dans les textes précédents. S’il considère, de manière conventionnelle, que le comportement de David souligne la nécessité pour le chrétien de mettre un terme à sa douleur, et de se soumettre, ce faisant, à la volonté divine, Price utilise aussi cet exemple biblique pour promouvoir une autre conception du deuil. Le Psalmiste, rappelle-t-il à ses auditeurs, ne s’est en effet pas toujours avéré capable d’une patience exemplaire. Quand il perdit son fils Absalon, il donna libre cours à son chagrin : « Mais contemplez-le dans son deuil pour Absalon, il était opprimé, surchargé de douleur, il avait l’esprit égaré, il continua sa plainte comme si, tel le [rossignol] Philomèle, il n’allait jamais s’arrêter : O Absalon, mon fils Absalon, mon fils, mon fils Absalon »42. Le comportement des saints eux-mêmes, explique Price, est inégal dans l’affliction. C’est pourquoi « nous devons désirer l’assistance du pouvoir de l’Esprit divin dans toutes nos douleurs, pour les faire mûrir et les adoucir, et les rediriger vers une fin acceptable »43. Quelques lignes plus loin, il précise la nature de cette « fin acceptable » : « nous pouvons apprendre à réprimer notre douleur charnelle et à augmenter notre douleur spirituelle »44. Price reprend ici une typologie bien connue des théologiens de l’époque, qui distinguent entre tristesse charnelle, tristesse humaine et tristesse spirituelle45. Ces trois formes de tristesse ne sont pas des catégories étanches, l’homme pouvant passer de l’une à l’autre, soit en s’élevant vers le spirituel, soit en sombrant dans le charnel. Conformément à cette conception, la tristesse humaine – celle que l’on ressent, par exemple, à l’occasion de la perte d’un être cher – se mue en tristesse charnelle quand l’endeuillé, en proie à une passion excessive, s’avère incapable, tel David pleurant Absalon, de se détourner des biens terrestres. À l’inverse, le chrétien engagé dans une démarche dévotionnelle peut tirer des bienfaits spirituels de la tristesse du deuil, susceptible de se transformer en tristesse du repentir. L’une des formulations les plus claires et les plus aisément accessibles de cette conception de la tristesse fut proposée par le théologien et prédicateur puritain Robert Harris dans un sermon de 1610 consacré à ce sujet. Le verset d’appui de ce texte est précisément le cri de douleur de David quand il apprend la mort de son fils Absalon46. Il est probable que ce sermon très connu – il fut réimprimé à plusieurs reprises à partir de 1611 - a influencé la réflexion de Price sur les usages spirituels de la tristesse.

  • 47  Price, Meditations of Consolation, dans Spirituall Odours, op.cit.,  pp. 49-50.
  • 48  « [S]hall I say there is no cause of mourning for our Master ? I dare not say so ; for his death i (...)

20Ainsi donc, la principale réponse que Price porte au deuil de l’assemblée est un encouragement à la tristesse spirituelle. Comme les deux textes regroupés dans le premier recueil, les sermons 3 et 4 – pourtant annoncés comme « consolatoires » – se terminent par une intensification du pathos. Price insiste bien, dans le sermon 4, sur les sources de réconfort qui s’offrent au chrétien endeuillé : l’espérance en la résurrection et l’espoir pour les vivants de retrouver dans l’au-delà ceux qui les ont précédés47. Pour autant, il ne peut se résoudre à assumer, dans la péroraison, l’intégralité de ce message consolatoire. Il s’interroge au contraire sur sa pertinence dans le cas de la mort du prince Henri : « devrais-je dire qu’il n’y a pas de raison, maintenant, de pleurer notre Maître ? Je n’oserais le dire, car sa mort est comme une éclipse, un événement qui devient visible de nombreuses années après s’être produit, et les générations futures vont pleurer sa mort, et je crains que des flancs de leur douleur coulera à la fois de l’eau et du sang »48. Par ce retour au motif providentialiste, Price fait de la mort d’Henri un événement d’autant plus dramatique qu’il assimile la plainte des « générations futures » aux douleurs de la Passion. Il évite ainsi de trop insister sur les implications du message consolatoire chrétien, selon lequel la condition bienheureuse de l’âme du défunt doit inciter les endeuillés à sécher leurs larmes. Sans doute les exigences du decorum rendaient-elles difficiles ce type d’assertion, à un moment où la dépouille du prince demeurait encore sans sépulture et où le deuil aigu de l’immédiat après-mort n’était donc pas encore circonscrit par la clôture symbolique des funérailles.

  • 49  Price, Meditations of Consolation, dans Spirituall Odours, op.cit., p. 51.
  • 50  Price, Sorrow for the Sinnes of the Time. A Sermon Preached at St. James on the Third Sunday after (...)
  • 51  Sur l’engagement politique d’Henri, voir Strong, Henry Prince of Wales, op.cit., pp. 71-85. Sur la (...)

21Price justifie ce revirement par une pirouette rhétorique : il invite ses auditeurs à pleurer non plus sur la mort du prince, mais sur la situation de l’Angleterre, menacée de l’intérieur par l’ennemi catholique49. Ce nouveau thème lui fournit une transition avec les deux sermons suivants, où il propose à ses auditeurs de plus amples développements sur les bons usages de la tristesse. Les sermons 5 et 6 sont imprimés dans le même recueil que les deux textes précédents, mais ils apparaissent l’un et l’autre sous un titre séparé. Intitulé Sorrow for the Sinnes of the Time, le sermon 5 est un commentaire sur Éz 9.4 : « Fais une marque sur le front des hommes qui gémissent et se plaignent à cause de toutes les abominations ». L’argument principal est que les membres de l’Église militante – autrement dit les élus – se reconnaissent à leur capacité de pleurer sur les péchés du monde. Dénonçant le péché d’idolâtrie comme la pire des « abominations » – une assertion qui lui permet de condamner la persistance du catholicisme sur le sol anglais – Price invite son auditoire à un geste de déploration collectif, une manifestation de la tristesse qui serait le signe de son opposition à l’idolâtrie papiste et, partant, de son adhésion au vrai christianisme50. Mû par des considérations d’ordre politique et pastoral, Price ne sacrifie pas pour autant la dimension encomiastique de son discours. Les larmes spirituelles qu’il réclame de son auditoire sont également un hommage au prince Henri, promoteur d’une alliance protestante au niveau européen et ennemi virulent du catholicisme51. En pleurant sur les péchés de l’Angleterre, l’assemblée des fidèles pleure donc aussi sur le décès du protecteur de la nation, dont la mort apparaît comme une véritable catastrophe.

  • 52  Ainsi que le suggère un témoin, le vœu de Price fut exaucé par l’auditoire rassemblé pour l’occasi (...)
  • 53  « [They are] neither commanded, nor prohibited […], yet when these attend prayer, not mimically so (...)
  • 54  Voir David Cressy, Birth, Marriage, and Death. Ritual, Religion, and the Life-Cycle in Tudor and S (...)
  • 55  Price, Teares Shed over Abner, dans Spirituall Odours, op.cit., pp. 22-26.
  • 56  Voir en particulier voir Woodward, The Theatre of Death, op.cit., pp. 149-152 et Goldring, « ‘So J (...)

22Prononcé en présence du cercueil, qui venait d’être déposé dans la chapelle de St James’s Palace, Teares Shed over Abner, le dernier sermon du cycle, s’intéresse plus précisément à ces manifestations extérieures de la tristesse que le prédicateur vient d’exiger de son auditoire. L’argument principal est en tous points conforme à l’esprit de la spiritualité affective qui s’épanouit dans l’Angleterre du premier XVIIe siècle : il faut que des manifestations du deuil, et plus particulièrement des larmes, accompagnent le sentiment de tristesse intérieure, que l’on se situe dans un contexte dévotionnel ou que l’on pleure un proche disparu52. Price admet certes que ces manifestations extérieures font partie des adiaphora, puisqu’elles ne sont « ni imposées, ni interdites » par l’Église ; mais il ajoute qu’elles « ne manquent jamais d’apporter une bénédiction » quand, dénuées d’hypocrisie, elles procèdent d’un acte de prière sincère53. Ce message spirituel se double d’une défense du rituel funéraire qui, bien que jamais sérieusement menacé dans l’Église d’Angleterre, n’en continua pas moins à susciter, tout au long du premier XVIIe siècle, des critiques de la part des représentants les plus radicaux du protestantisme anglais54. Dans la continuité du développement précédent, Price explique à ses auditeurs que les funérailles comptent parmi les signes légitimes de la tristesse. S’appuyant sur le récit des obsèques de Jacob dans Gn 50.1-14, il ajoute que l’organisation de « funérailles chrétiennes » est un devoir des saints55. Cette défense des pompes funèbres est en lien direct avec le rite organisé autour de la dépouille du défunt prince, dont tous les historiens soulignent la splendeur exceptionnelle56.

  • 57  Le calendrier du rituel funéraire est reproduit dans l’Annexe 3. Les dates sont indiquées dans le (...)
  • 58  McNamara, « ‘Grief Was As Clothes to Their Backs’« , dans éd. Timothy Wilks, Prince Henry Revived,(...)
  • 59  « Hitherto we have mourned for the departing of his soule out of his body ; now wee must lament fo (...)

23Ainsi donc, les sermons de Price, plutôt que d’inviter les fidèles à sécher leurs larmes, encouragent et amplifient le sentiment de deuil extraordinaire suscité par la mort du prince Henri. Cette rupture avec l’ethos habituel du sermon funèbre appelle quelques remarques. Tout d’abord, on peut avancer un élément d’explication d’ordre anthropologique. Il faut savoir que dès la mort d’Henri se mit en place un rituel funéraire complexe à St James Palace. Alors que s’organisaient les funérailles, les murs de St James’s Palace se recouvrirent de tentures noires et la cour prit officiellement le deuil le 23 novembre. Lors des quatre premières semaines suivant le décès, le cercueil renfermant le corps embaumé du défunt fut entreposé dans la Chambre à coucher du prince (Bed-Chamber). Pendant cette période, le cérémonial de cour continua de manière inchangée en présence des gentilshommes de la suite princière. Quelques jours avant les funérailles, le corps entama un processus de migration à travers les pièces du palais, avec des arrêts successifs dans la Privy-Chamber (l’anti-chambre de la Chambre à coucher), la Presence-Chamber (où le prince recevait ses visiteurs) et la Chambre de la garde (Guard-Chamber). Le samedi 5 décembre, le cercueil fut déposé dans la Chapelle, où il allait demeurer jusqu’au jour des funérailles57. Ainsi que l’observe George McNamara, ce rituel met en scène l’éloignement progressif du corps du centre du pouvoir princier, symbolisé par la Chambre à coucher58. Graduellement, Henri accède au statut de défunt, un processus qui va trouver son terme dans la cérémonie des funérailles, célébrée à Westminster Abbey le lundi 7 décembre. Les sermons de Price sont donc prêchés pendant une période intermédiaire, où s’effectue, d’un point de vue anthropologique, la transition entre la mort biologique et la mort sociale et politique. Pendant ces quelques semaines, les endeuillés doivent prendre congé de la dépouille du défunt, dont les obsèques vont sceller la séparation définitive avec le monde des vivants. Dans le dernier sermon, prêché en présence du cercueil, Price souligne lui-même les enjeux anthropologiques de la cérémonie en cours : « Jusqu’à présent nous pleurâmes le départ de son âme hors de son corps ; maintenant nous devons nous lamenter du départ de son corps hors de ce lieu : aussi longtemps que demeurait avec nous son catafalque, que demeurait son urne, nous avions un Maître, et bien que nous ne pussions pas jouir de sa personne vivante, il y avait quelque réconfort à le servir mort, bien que nous n’entendissions pas ses mots si pleins de grâce, et que nous ne jouissions pas de sa présence si pleine de gloire, ses cendres, ses effigies nous donnaient quelque lueur, à nous qui étions dans l’obscurité, et maintenant nous devons perdre cela, et cette tristesse n’admettra aucun secours »59.

24Faisant écho aux effusions larmoyantes des nombreuses élégies imprimées en hommage au prince, les sermons de Price s’inscrivent en outre dans le contexte plus large du changement culturel qui se dessine dans l’Angleterre du premier XVIIe siècle. D’ordre théologique et religieux, ce changement se traduit, on l’a vu, par une valorisation de la tristesse à des fins dévotionnelles. Sur le plan littéraire, ce phénomène trouve son pendant dans la floraison d’une poésie de cour larmoyante, qui s’épanouit au moment de la mort du prince Henri. Pour les artistes, l’amplification de la tristesse devient alors la réponse la plus adéquate au deuil de leurs protecteurs, ce qui se traduit, dans la poésie funèbre, par la mise en place d’une rhétorique de la surenchère, dont les élégies composées autour du décès d’Henri présentent quelques exemples saisissants.

  • 60  Pour une brève biographie de Daniel Price, voir P. E. McCullough, « Price, Daniel (1581–1631) », d (...)

25Dans ce contexte, l’expression publique de la douleur partagée devient un moyen d’accès privilégié au mécénat des puissants. Puisque la dissolution de la cour princière risquait de laisser dans le besoin plus d’un auteur privé de revenus, les poètes avaient tout intérêt à participer à la commémoration publique – et ce d’autant plus que les manifestations du deuil étaient encouragées par le roi. En tant qu’aumônier du prince, Price était lui aussi contraint de se trouver un nouvel emploi60. Sans doute sa participation extraordinaire à la commémoration du défunt – aucun autre prédicateur de l’époque ne fit imprimer un tel cycle de sermons de deuil – n’était-elle pas dénuée d’arrière-pensées matérielles.

  • 61  Price, Lamentations, op.cit., p. 19.

26D’autres motivations, plus nobles, permettent également de comprendre le sens de sa démarche. Il faut notamment évoquer des considérations d’ordre politique et religieux. De tendance puritaine, Price était très sensible à l’engagement anti-catholique d’Henri. Par le recours au thème de la mort du juste, il rend hommage au militantisme protestant du prince, dont il souligne la filiation symbolique avec le roi Édouard dans un passage riche en sous-entendus politiques61. L’époque édouardienne (1548-1552) se caractérisa en effet par une intensification et une radicalisation de la Réforme, avant le coup d’arrêt provoqué par l’accession au trône de Marie Tudor. Sous la plume de Price, le jeune roi – Édouard mourut à l’âge de 16 ans – symbolise ce même élan réformateur dont l’Église d’Angleterre risque de se trouver privée après la mort prématurée d’Henri. En faisant l’éloge d’un prince militant, le prédicateur indique clairement les choix politiques qu’il préconise pour l’avenir de son pays.
Enfin, il ne faut pas oublier que Price, quand il prêche devant son auditoire à St James’s Palace, est d’abord et avant tout un pasteur soucieux du bien-être spirituel de son troupeau. S’il exploite pleinement les possibilités encomiastiques du thème de la mort du juste, il utilise également ce motif pour procéder à une critique sociale aboutissant à un appel à la réforme des mœurs. Le thème de la dispersion du troupeau développé dans les deux premiers sermons s’applique directement à la situation de la cour, dont la dissolution était imminente. En invitant ses auditeurs à interpréter la mort du prince comme une mise à l’épreuve, Price s’efforce de tirer un parti spirituel de leurs inquiétudes et déploie une rhétorique de la conversion visant à ramener les brebis égarés dans le droit chemin. De même, le discours sur les usages de la tristesse a pour effet de promouvoir une spiritualité personnelle centrée sur la conscience du péché et la nécessité du repentir. D’un point de vue pastoral, les sermons de Price visent avant tout à mettre le dévotionnel au centre de la vie chrétienne.

Conclusion 

27La démarche de Price s’inscrit donc, comme celle de ses confrères, dans un réseau complexe de motivations d’ordre anthropologique, économique, politique et pastoral. La manière spécifique dont Price s’adapte aux circonstances des funérailles et à la personne du défunt fait apparaître l’équilibre, parfois précaire, que les prédicateurs sont tenus de maintenir entre la nécessité d’édifier les fidèles et le désir de répondre aux attentes de leur auditoire.

28Si ces sermons sont remarquables, c’est toutefois surtout en raison de leur écart avec l’ethos habituel du sermon funèbre. Par leur insistance sur le deuil de l’assemblée et, surtout, par leur refus de toute clôture consolatoire, ils sont moins représentatifs de la pratique homilétique du clergé anglais au moment des funérailles que du changement qui se dessine, au début du XVIIe siècle, dans l’éthique et la rhétorique du deuil. Parce qu’ils comptent parmi les premiers textes largement diffusés à proposer un discours normatif, structuré et argumenté, sur la légitimité de la tristesse et des larmes, ils constituent un témoignage inestimable sur un moment charnière dans l’histoire des sensibilités, dont ils permettent de mieux comprendre les implications théologiques et philosophiques. Plus particulièrement, ils mettent en lumière la signification de la mort d’Henri dans l’histoire de ce changement culturel : ils indiquent que le décès du jeune prince fut un événement révélateur, permettant de donner expression à cette nouvelle sensibilité du deuil qui allait s’épanouir tout au long du premier XVIIe siècle, mais qui ne s’était jamais, jusque là, manifestée de manière aussi visible.

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Document annexe

  • Annexes (application/pdf – 93k)

    Annexe 1. Sermons et recueils de sermons funèbres imprimés séparément à l’occasion d’un décès ou de l’anniversaire d’un décès, 1570-1640.

    Annexe 2. Mort du prince Henri : les sermons de Daniel Price.

    Annexe 3. Mort du prince Henri : calendrier du rituel funéraire.

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Notes

1  « [I]t was a season for Elegies of this kind, when I wrote this », Cyril Tourneur, « Griefe on the Death of Prince Henrie. Expressed in a Broken Elegie, According to the Nature of Such a Sorrow » dans Cyril Tourneur, John Webster et Thomas Heywood, Three Elegies on the Most Lamented Death of Prince Henrie, the First Written by Cyril Tourneur. The Second [by] John Webster. The Third [by] Tho : Heywood, Londres, 1613, STC 24151, sig. A4r [volume à pagination multiple] ; notre traduction. Nous utilisons l’abréviation STC pour faire référence au Short Title Catalogue, qui recense les ouvrages imprimés en Angleterre entre 1473 et 1640 ; ce catalogue est maintenant disponible sous format électronique (English Short Title Catalogue, Londres, The British Library).

2  Sur la dimension politique de la mort d’Henri, voir Jennifer Woodward, The Theatre of Death. The Ritual Management of Royal Funerals in Renaissance England 1570-1625, Woodbridge, The Boydell Press, 1997, pp. 152-165. Sur l’engagement politique et religieux du prince, voir aussi Roy Strong, Henry Prince of Wales and England’s Lost Renaissance, Londres, Thames and Hudson, 1986, pp. 7-85. Sur le rituel funéraire, voir plus particulièrement les deux articles suivants : George McNamara, « ‘Grief Was As Clothes to Their Backs’ : Prince Henry’s Funeral Viewed from the Wardrobe », dans éd. Timothy Wilks, Prince Henry Revived. Image and Exemplarity in Early Modern England, Londres, Paul Holberton Publishing, 2007, pp. 259-279 ; Elizabeth Goldring, « ‘So Just a Sorrowe So Well Expressed’ : Henry, Prince of Wales and the Art of Commemoration », ibid., pp. 280-300.

3  Sur le corpus poétique, voir en particulier les deux études suivantes : Ruth Wallerstein, Studies in Seventeenth Century Poetic, Madison et Milwaukee, The University of Wisconsin Press, 1965 (1950), pp. 59-95 ; Dennis Kay, Melodious Tears. The English Funeral Elegy from Spenser to Milton, Oxford, Clarendon Press, coll. « Oxford English Monographs », 1990, pp. 124-203.

4  Les remarques qui suivent sont une synthèse de développements plus amples, présentés dans notre Thèse de doctorat. Elles s’appuient sur un corpus de textes rassemblant les sermons et les recueils de sermons imprimés à l’occasion d’un décès en Angleterre entre 1564 et 1640. Voir Paula Barros, Les Vivants à l’épreuve du deuil. Discours théoriques et écrits de circonstance en Angleterre, c. 1550-1640, Thèse de doctorat, sous la direction de Luc Borot, Université Montpellier III, 2007, pp. 355-465).

5  Voir le tableau reproduit dans l’Annexe 1. Les textes sont recensés dans P., Barros, Les Vivants à l’épreuve du deuil, op.cit., pp. 505-521.

6  Dans l’Angleterre élisabéthaine, on assiste à une véritable controverse autour du sermon funèbre, dont les détails sont présentés dans l’article suivant : Frederic B. Tromly, « ‘According to Sounde Religion’ : the Elizabethan Controversy over the Funeral Sermon », Journal of Medieval and Renaissance Studies 13 (1983), pp. 293-312.

7  John Whitgift, The Defense of the Aunswere to the Admonition, against the Replie of T. C. […], Londres, 1574, STC 25430, p. 732.

8  « And though the Papistes have abused much this sacred use […] : yet is this no reason, why we should abstaine from food, or our parentes should foreslow, to feed us with the bread of life », Anthony Anderson, A Sermon of Sure Comfort, Preached at the Funerall of Master Robert Keylwey Esquire, at Exton in Rutland, the 18. of Marche 1580 […], Londres, 1581, STC 569, pp. 4-5 ; notre traduction.

9  Ménandre, Peri epideiktikon, XI, dans Menander Rhetor, texte établi et traduit par D. A. Russell et N. G. Wilson, Oxford, Clarendon Press, 1981, pp. 171-9.

10  Voir à ce sujet les remarques d’O. B. Hardison dans The Enduring Monument. A Study of the Idea of Praise in Renaissance Literary Theory and Practice, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1962, pp. 113-122.

11  Sur la laudatio funebris pratiquée dans le monde romain, voir Laurent Pernot, La Rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, 2 vol. , Paris, Institut d’Études Augustiniennes, coll. » Collection études Augustiniennes, série Antiquité » , 1993, vol. 1, pp. 107-108 ; sur l’epitaphios, voir ibid., vol. 1, pp. 19 et 78-79.

12  Les humanistes italiens étudiés par John McManamon reprennent le schéma classique du discours d’éloge. En France, Pierre Du Chastel prêche à l’occasion des funérailles de François Ier une série de deux sermons, dont le plan d’ensemble épouse le mouvement de l’epitaphios tripartite : éloge, lamentation, consolation. Voir John McManamon, Funeral Oratory and the Cultural Ideals of Italian Humanism, Chapel Hill et Londres, The University of North Carolina Press, 1989 ; Pierre Du Chastel, Deux sermons funebres prononcez es obseques de François premier de ce nom, éd. Pascale Chiron, Genève, Droz, coll. « Textes littéraires français », 1999. Sur l’oraison funèbre en France, voir aussi Verdun L. Saulnier, « L’Oraison funèbre au XVIe siècle », Bibliothèque d’humanisme et Renaissance 10 (1948), pp. 124-157.

13  Saulnier, « L’Oraison funèbre au XVIe siècle », op.cit., p. 126.

14  C’est cette traduction anglaise que nous utilisons ici, Hyperius [Andreas Gerardus], The Practis of Preaching, Otherwise Called the Pathway to the Pulpet : Conteyning an Excellent Method How to Frame Divine Sermons, & to Interpret the Holy Scriptures According to the Capacitie of the Vulgar People. […] Englished by John Ludham […], Londres, 1577, STC 11758).

15  Comme le signale Barbara Kiefer Lewalski, William Perkins rompt plus nettement avec la tradition rhétorique gréco-latine dans son Art of Prophecying (1607). Voir Hyperius The Practis of Preaching, ff. 9r-v et 17v-18r ; Barbara Kiefer Lewalski, Protestant Poetics and the Seventeenth-Century Religious Lyric, Princeton, Princeton University Press, 1979, pp. 218-219.

16  Hyperius, The Practis of Preaching, ff. 18r-v. Les textes de ces versets sont les suivants : « Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour éduquer dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli, équipé pour toute œuvre bonne » (2 Tm 3.16-17) ; « Or, tout ce qui a été écrit jadis l’a été pour notre instruction, afin que, par la persévérance et la consolation apportées par les Écritures, nous possédions l’espérance » (Rm 15.4). Pour les citations bibliques en français, nous utilisons la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) (Traduction œcuménique de la Bible comprenant l’Ancien et le Nouveau Testament, traduits sur les textes originaux hébreu et grec, avec introductions, notes essentielles et glossaire, Paris, Alliance Biblique Universelle – Le Cerf, Librairie Générale Française, coll. « La Pochothèque. Classiques modernes », 1996 [1988]).

17  Hyperius, The Practis of Preaching, ff. 150v-151r.

18  Hyperius, The Practis of Preaching, ff. 154v-155r.

19  Hyperius, The Practis of Preaching, f. 155r.

20  Hyperius, The Practis of Preaching, ff. 155r-v.

21  Voir Pernot, La Rhétorique de l’éloge, vol. 2, pp. 710 et 717.

22  « [S]et before them that be alive to be followed, one or other virtue wherin the brother deceassed excelled, or some notable act done by him for the behoofe of the Church, for the common wealth, for redressinge the calamities of the poore, or his confession of faith made in the very conflicte of death », Hyperius, The Practis of Preaching, f. 155v ; notre traduction.

23  Philipp Melanchthon, La Confession d’Augsbourg, XXI, dans La Confession d’Augsbourg et l’Apologie, tr. Pierre Jundt, Paris, Les Éditions du Cerf, 1989, p. 78.

24  Richard Parr, The End of the Perfect Man. A Sermon Preached at the Buriall of the Right Honourable Sir Robert Spencer Knight Baron Spencer of Wormeleighton, Novemb. 6. 1627. in Braynton Church in Northamptonshire […], Oxford, 1628, STC 19323, p. 12. Voir aussi John Chadwich, A Sermon Preached at Snarford in Lincolnshire at the Funerals of Sir George Sanct-Paule Knight and Baronet, December the 9. 1613. […] Together with a Briefe Relation of His Vertuous Life and Holy Death, Londres, 1614, STC 4930, pp. 14-15.

25  Sur cet aspect, voir Eric Josef Carlson, « English Funeral Sermons as Sources : The Example of Female Piety in Pre-1640 Sermons », Albion 32 :4 (hiver 2000), pp. 574-575.

26  Voir à ce sujet les remarques de Patrick Baudry, qui écrit que « les relations entre les morts et les vivants […] sont essentielles en ce qu’elles soutiennent la construction d’un rapport à la mort [qui] s’édifie par les processus complexes et dynamiques d’une mise en place des défunts », Patrick Baudry, La Place des morts. Enjeux et rites, Paris, Armand Colin, coll. « Collection Chemin de traverse », 1999, p. 11). Sur la « présence » des morts dans les sociétés européennes du Moyen-âge et de la première modernité, voir éd. Bruce Gordon et Peter Marshall, The Place of the Dead. Death and Remembrance in Early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2000).

27  C’est cette acceptation qui constitue la frontière entre le deuil normal et le deuil pathologique. Voir Marc-Louis Bourgeois, Deuil normal, deuil pathologique. Clinique et psychopathologie, Paris, Doin, coll. « Références en psychiatrie », 2003, en particulier pp. 23-25.

28  Sur la codification de l’élégie et de l’épitaphe dans l’Angleterre moderne, voir P. Barros, Les Vivants à l’épreuve du deuil, op.cit., pp. 266-278.

29  Pour plus de clarté, nous avons attribué un numéro à chacun de ces six sermons. Voir l’Annexe 2, où les textes sont présentés avec leur titre et leur verset d’appui. La traduction française des versets d’appui est celle de la Traduction œcuménique de la Bible, que nous avons toutefois légèrement modifiée par endroits pour la mettre en conformité avec la version anglaise utilisée par Price.

30  « [I]n my meditation by the rivers of sorrow I sat downe, & wept, and hanged my Harpe upon the willow trees […] : and when ye required this song of mee in my heavinesse, I knew not how to sing any song of the Lord, but a song of sorrow, in this strange land ; strange for the sinnes, strange for the judgements » , Daniel Price, Lamentations for the Death of the Late Illustrious Prince Henry : and the Dissolution of His Religious Familie. Two Sermons : Preached in His Highnesse Chappell at Saint James, on the 10. and 15. Day of November, Being the First Tuesday and Sunday after His Decease […], Londres, 1613, STC 20295, pp. 1-2 ; notre traduction).

31  Price, Lamentations, p. 3.

32  « What are Hieremies lamentable threens, but a sorrowfull song breathed over the Citie of Hierusalem ? What are Davids penitentiall Psalmes, but monefull anthemes inclining the soule to sorrow for sinne ? What are funebrial accents, but ruthfull lamentations for our friends eclipsed ? », Thomas Wright, The Passions of the Minde in Generall. In Six Bookes. Corrected, Enlarged, and with Sundry New Discourses Augmented […], Londres, 1630 [1601], STC 26043, p. 163 ; notre traduction.

33  « Teares blinde me, and sighs chooke, and here I cease ; sorrow doth silence me », Price, Lamentations, p. 22 ; notre traduction.

34  « O God, how hast thou plagued us, as Jeremy complained even in the solemne day », Price, Lamentations, p. 38 ; notre traduction. Comme l’indique Price dans une note marginale, le jour de la mort d’Henri est « solennel » parce qu’il coïncide peu ou prou avec plusieurs anniversaires : l’accession au trône de la reine Élisabeth, la naissance du prince Charles et la Conspiration des poudres (ibid., p. 38).

35  « You have heard how our Saviour his servants, his disciples, his daily waiters, were scattered », Daniel Price, Meditations of Consolation in Our Lamentations, dans Spirituall Odours to the Memory of Prince Henry in Foure of the Last Sermons Preached in St James after His Highnesse Death, the Last Being the Sermon before the Body, the Day before the Funerall […], Londres, 1613, p. 1 ; notre traduction.

36  « [W]hich meditation now hath moved me, to bringe you an Olive braunch, in these waves and waters of sorrowe, not thereby to wish an end, to your mourning, but to season it that it may be better and stronger, and hereafter more for your pleasure, more for your profit », Price, Meditations of Consolation, dans Spirituall Odours, op.cit., p. 2 ; notre traduction.

37  Ibid., pp. 13-15.

38  « [H]eaven is caught by paines, by patience, by violence, affliction is the most inseparable associate » ibid., p. 17 ; notre traduction.

39  Le texte complet de Ps 51.19 est le suivant : « Le sacrifice voulu par Dieu, c’est un cœur brisé ; / Dieu, tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé ».

40  « The earth, yeelds not corne till it be plowed, the grape yeeldeth no wine, untill it be pressed, gold is not pure, till it be fined, the stones of the Temple not brought into the Temple till they were polished, the Saints in the Revelation are not cloathed with white robes and have palmes in their hands, before they have passed through many tribulations », Price, Meditations of Consolation, dans Spirituall Odours, op.cit., p. 19 ; notre traduction.

41  Pour plus de détails sur cette approche spirituelle de la souffrance, voir P. Barros, Les Vivants à l’épreuve du deuil, op.cit., pp. 98-128.

42  « But look upon him in his obsequies for his Absolon, he was oppressed, surcharged, distracted, he continueth his note, as if with the Philomele hee would never give over. O Absolon, Absolon my sonne, my sonne, Absolon my sonne ! », Price, Meditations of Consolation, dans Spirituall Odours, op.cit.,  p. 35 ; notre traduction ; la référence scripturaire est 2 Sm 19.1.

43  « [W]ee ought to crave the assistant power of Gods spirit in all sorrowes, so to season and sweeten them, and to direct them to right ends », ibid., p. 37 ; notre traduction.

44  « [W]e may learne, to stay our carnall and to encrease our spirituall sorrow » ibid., p. 38 ; notre traduction.

45  Cette typologie de la tristesse puise ses racines dans les épîtres pauliniennes. Dans la deuxième épître aux Corinthiens, Paul écrit que « la tristesse selon Dieu produit un repentir qui conduit au salut et ne laisse pas place au regret… La tristesse selon ce monde produit la mort » (2 Cor 7.10). À cette catégorisation binaire s’ajoute un troisième terme, la tristesse humaine, dont la défense trouve ses fondements dans un autre verset paulinien, Rm 1.31, où l’Apôtre condamne les hommes « sans affection » (astorgus). Pour plus de détails sur la typologie et les usages de la tristesse, voir P. Barros, Les Vivants à l’épreuve du deuil, op.cit., pp. 164-208 ; pour la terminologie grecque, nous avons utilisé le Nouveau Testament Interlinéaire grec-français, éd. Maurice Carrez, Paris, Alliance Biblique Universelle, 1988-93.

46  Robert Harris, Absaloms Funerall : Preached at Banbyrie by a Neighbour Minister : or, the Lamentation of a Loving Father for a Rebellious Childe, Londres, 1610, STC 12817.

47  Price, Meditations of Consolation, dans Spirituall Odours, op.cit.,  pp. 49-50.

48  « [S]hall I say there is no cause of mourning for our Master ? I dare not say so ; for his death is like an Ecclipse, the event whereof appeareth many yeeres after, and the future generations shall lament his losse, and I feare out of the sides of their sorrow shall runne both water and bloud », ibid., p. 50 ; notre traduction.

49  Price, Meditations of Consolation, dans Spirituall Odours, op.cit., p. 51.

50  Price, Sorrow for the Sinnes of the Time. A Sermon Preached at St. James on the Third Sunday after the Prince His Death, dans Spirituall Odours, op.cit., pp. 9-13 et 24-29.

51  Sur l’engagement politique d’Henri, voir Strong, Henry Prince of Wales, op.cit., pp. 71-85. Sur la signification politique de ses funérailles, voir Woodward, The Theatre of Death, op.cit., pp. 152-165 et Goldring, « ‘So Just a Sorrowe So Well Expressed’« , dans éd. Wilks, Prince Henry Revived, op.cit., pp. 281-285.

52  Ainsi que le suggère un témoin, le vœu de Price fut exaucé par l’auditoire rassemblé pour l’occasion : « rares étaient ceux parmi l’assistance qui ne pleuraient pas amèrement et ne versaient pas d’abondantes larmes ». « There were few present at the sermon that did not bitterly mourn and shed tears in abundance » ; cité par George McNamara dans « ‘Grief Was As Clothes to Their Backs’« , dans éd. Timothy Wilks, Prince Henry Revived, op.cit., p. 268 ; notre traduction.

53  « [They are] neither commanded, nor prohibited […], yet when these attend prayer, not mimically sought for or vainely studied for, or Hypocritically affected & personated, but come of themselves ; these holy perturbations, proceeding from the spirit and power of prayer, they never returne without a blessing », Daniel Price, Teares Shed over Abner. The Sermon Preached on the Sunday before the Princes Funerall in StJames Chappell before the Bodie, dans Spirituall Odours, op.cit.,  p. 7. Sur le même thème, voir, Richard Sibbes, The Art of Mourning, dans The Saints Cordialls ; Delivered in Sundry Sermons at Graies-Inne, and in the Citie of London. Whereunto Is Now Added, the Saints Safety in Evill Times, Preached in Cambridge upon Speciall Occasions […], Londres, 1637, STC 22504, pp. 39-58. Sur les adiaphora, voir la définition suivante de Margo Todd : « literally “things indifferent” ; beliefs not essential to saving faith » (« Glossary », dans éd. Margo Todd, Reformation to Revolution. Politics and Religion in Early Modern England, Londres et New York, Routledge, coll. « Rewriting Histories », 1995, p. 272).

54  Voir David Cressy, Birth, Marriage, and Death. Ritual, Religion, and the Life-Cycle in Tudor and Stuart England, Oxford, OUP, 1997, pp. 396-416.

55  Price, Teares Shed over Abner, dans Spirituall Odours, op.cit., pp. 22-26.

56  Voir en particulier voir Woodward, The Theatre of Death, op.cit., pp. 149-152 et Goldring, « ‘So Just a Sorrowe So Well Expressed’« , dans éd. Wilks, Prince Henry Revived, op.cit., pp. 281-285.

57  Le calendrier du rituel funéraire est reproduit dans l’Annexe 3. Les dates sont indiquées dans le compte-rendu des funérailles, imprimé une première fois en 1612, en annexe d’un poème de George Chapman, The Funerals of the High and Mighty Prince Henry, Prince of Wales, Duke of Cornewaile and Rothsay, Count Palatine of Chester, Earle of Carick, and Late Knight of the Most Noble Order of the Garter. Which Noble Prince Deceased at St. James, the Sixt Day of November, 1612 and Was Most Princely Interred the Seventh Day of December Following, within the Abbey of Westminster, in the Eighteenth Yeere of His Age, dans George Chapman, An Epicede or Funerall Song : on the Most Disastrous Death, of the High-Borne Prince of Men, Henry Prince of Wales, &c. With the Funeralls, and Representation of the Herse of the Same High and Mighty Prince […], Londres, 1613 (1612), STC 4974, sig. A3v-A4r [volume à pagination séparée]).

58  McNamara, « ‘Grief Was As Clothes to Their Backs’« , dans éd. Timothy Wilks, Prince Henry Revived, op.cit., p. 265.

59  « Hitherto we have mourned for the departing of his soule out of his body ; now wee must lament for the departing of his bodie out of this place : so long as his herse, his urne remained, we had a Master, though wee could not injoy him alive, yet it was some solace in sorrow, to attend him dead, though we heard not his words so full of grace, nor enjoyed his presence so full of glory, yet his ashes, his effigies, gave a glimpse to us sitting in the darknesse, and now wee must loose this, and this unhappinesse will admit no helpe », Price, Teares Shed over Abner, dans Spirituall Odours, op.cit., p. 18 ; notre traduction.

60  Pour une brève biographie de Daniel Price, voir P. E. McCullough, « Price, Daniel (1581–1631) », dans Oxford Dictionary of National Biography, Oxford, Oxford University Press, 2004.

61  Price, Lamentations, op.cit., p. 19.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Paula Barros, « La mort du prince Henri (†1612) : éthique et rhétorique du deuil dans un cycle de sermons funèbres anglais »Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 5 | 2009, mis en ligne le 01 avril 2009, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/524 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.524

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Auteur

Paula Barros

PRAG à l’Université Paul Valéry Montpellier - III. Elle est membre de l’Institut de Recherches sur la Renaissance, l’âge Classique et les Lumières (IRCL, UMR 5186 du CNRS). Elle a soutenu en décembre 2007 une thèse de doctorat intitulée : « Les Vivants à l’épreuve du deuil. Discours théoriques et écrits de circonstance en Angleterre, c. 1550-1640 » (sous la direction de Luc Borot, Université Montpellier III, 2007).

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