Philippe Büttgen, Philippe Chevallier, Agustín Colombo & Arianna Sforzini (dir.), Foucault, les Pères, le sexe. Autour des Aveux de la chair
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- 1 Michel Foucault, Histoire de la sexualité 4. Les aveux de la chair, édition établie par Frédéric Gr (...)
1L’un des événements majeurs de l’année 2018 dans le domaine des sciences humaines et religieuses fut sans conteste la publication du tome IV inédit, et sans doute inachevé, de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault consacré au rapport des Pères de l’Église à la sexualité, Les Aveux de la chair1. Cette importante publication fut précédée d’un colloque, « Foucault, les Pères et le sexe », qui se tint les 1er et 2 février 2018 et qui fut organisé conjointement par la Bibliothèque nationale de France, l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’Institut des Sources Chrétiennes (HiSoMa, UMR 5189) et le Centre Michel-Foucault, dont les actes viennent de paraître. Ceux-ci sont distribués en trois parties qui résument les enjeux essentiels de cet inédit de M. Foucault tant sur un plan philosophique que patristique et théologique et offrent des éléments de réflexion enrichissants pour la recherche tant en philosophie contemporaine qu’en sciences religieuses, et en premier lieu en patristique et en théologie.
2Les contributions réunies dans la première partie, « Le ‘tournant chrétien’ de Foucault. Textes, thèmes et sources », proposent de comprendre les enjeux de l’intérêt que M. Foucault accorda au christianisme médiéval, puis antique, du mitan des années 1970 jusqu’à son décès en 1984. Une première contribution de Laurence Le Bras, conservatrice à la BnF en charge du fonds Foucault, (« Les Aveux de la chair dans les archives de Foucault », p. 13-17), souligne l’importance du fonds acquis par la BnF en 2013 pour le travail d’édition des Aveux de la chair qui a notamment permis de recourir à des fiches de lecture réalisées par M. Foucault sur le christianisme et de mieux comprendre ainsi la genèse de l’œuvre. C’est justement cette genèse de l’œuvre qui est au cœur de l’article d’Arianna Sforzini (« Brève généalogie des Aveux de la chair. 1977-1984 », p. 19-36). Celle-ci rappelle notamment que, si les Aveux de la chair auraient dû être publiés en 1984, leur rédaction s’avère être en fait antérieure aux volumes II, L’usage des plaisirs, et III, Le souci de soi, de l’Histoire de la sexualité, puisque celle-ci date sans doute des années 1980-1982, année où le manuscrit est remis aux éditions Gallimard. Cette datation de la rédaction des Aveux de la chair l’amène ainsi à proposer une histoire à rebours de la genèse conceptuelle de l’œuvre, des travaux sur le lien entre régimes de vérité et rapport du sujet à lui-même qui caractérisent les travaux foucaldiens à partir de 1980, à l’attention portée au pastorat comme racine généalogique des arts de gouverner dans la théorie politique moderne (1977-1980) et à l’importance accordée aux techniques de confession religieuse au Moyen Âge, puis à l’Âge moderne, au sein d’une généalogie de l’aveu (1975-1977). Ce faisant, A. Sforzini émet l’hypothèse audacieuse qu’aux yeux de M. Foucault le christianisme n’est pas tant la religion de l’obéissance et de la continence, que celle « de la rupture dans l’expérience de soi, de la vérité et des autres » (p. 20). Pour sa part, Agustín Colombo examine l’évolution de la conceptualisation de « l’expérience de la chair » dans les derniers écrits de M. Foucault (« Les Pères, la vérité et la subjectivité. La conceptualisation de la chair comme expérience », p. 37-51). Il souligne ainsi le cheminement intellectuel, des premiers travaux où l’expérience de la chair est comprise à l’aune du rapport entre subjectivité et vérité qu’instaurent la discipline du baptême telle que définie par Tertullien et l’herméneutique des pensées qui émerge dans l’œuvre de Jean Cassien au recentrement entre cette dernière et la théorie du désir élaborée par Augustin. La contribution de Johannes Zachhuber, pour sa part, aborde la question sous-jacente à l’analyse de l’expérience de la chair, à savoir le rapport entre la description de la sexualité chez les Pères de l’Église et la représentation foucaldienne de l’émergence du soi moderne (« Intériorité de la conscience et extériorité des aveux. Le sujet chrétien selon Foucault », p. 53-65). Après avoir rappelé que, pour M. Foucault, le christianisme représente un moment charnière entre la culture classique et le monde moderne et qu’il reprend à son compte pour l’essentiel les prescriptions sexuelles déjà présentes chez les philosophes stoïciens, l’auteur montre combien Les Aveux de la chair décrivent une histoire de la sexualité qui évolue d’une morale des Pères apologètes héritée de la tradition hellénistique à la libidinisation du sexe qui émerge chez Augustin, laquelle traduit une relation du sujet à lui-même proprement chrétienne. Or, comme le met bien en exergue J. Zachhuber, cette conceptualisation du sujet chrétien doit se comprendre à l’aune de l’analyse foucaldienne entre sexualité et institutions disciplinaires et pénitentielles dans l’Église catholique des xvie et xviie siècles. Autrement dit, la conception du sujet chrétien en termes d’intériorité de la conscience est intrinsèquement liée, quoique de manière paradoxale, à l’extériorité de l’aveu. La contribution de Philippe Chevallier, pour sa part, s’intéresse à la place que M. Foucault réserve au « sens spirituel » dans son approche du christianisme (« Foucault et le sens spirituel. Un tournant parénétique ? », p. 67-83). L’auteur distingue deux moments dans l’approche foucaldienne. Dans un premier temps, de 1978 à 1980, M. Foucault semble opérer une distinction entre théologie, comprise comme un discours rationnalisant, et spiritualité, comprise en tant que pratique par laquelle un sujet cherche à se transformer pour connaître la vérité, ce qui permet de comprendre l’importance que le philosophe français accorde à des textes mineurs eu égard à l’histoire de la philosophie mais essentiels à l’aune d’une histoire des pratiques spirituelles comme Le Pasteur d’Hermas ou le De baptismo et le De paenitentia de Tertullien. Or, dans un second temps, de 1980 à 1982, dont Les Aveux de la chair constituent l’aboutissement conceptuel, M. Foucault est amené à réévaluer la place de la théologie dans l’élaboration du sujet chrétien. Alors qu’elle n’était comprise jusqu’alors que comme une rhétorique du discours, la théologie en vient à être définie comme l’outil grâce auquel le sujet chrétien construit des figures spirituelles susceptibles de susciter le désir et d’entraîner la volonté. Ce tournant est illustré par l’exemple de la virginité qui, d’impératif moral chez un Tertullien, devient progressivement l’objet d’un discours spirituel autonome dans des traités comme le De habitu uirginum de Cyprien ou Le Banquet de Méthode d’Olympe. La dernière contribution de cette première partie est l’œuvre de Philippe Büttgen qui propose un examen détaillé de la question de l’aveu dans la pensée foucaldienne (« Aveu et confession », p. 85-107). L’auteur offre ainsi une description de la notion d’aveu, depuis Surveiller et punir (1975), où l’aveu est compris à l’aune des régimes de vérité où domine la production de la vérité par l’institutionnalisation par un pouvoir de rites d’aveu, jusqu’aux Aveux de la chair (1982). Il souligne également qu’au cours même des Aveux de la chair a lieu une évolution du concept d’aveu vers celui de confession qui annonce l’importante évolution des ultimes travaux de M. Foucault, de l’aveu de la faute ou du péché à la proclamation du vrai dans la παρρησία.
- 2 Épictète, Entretiens, I, 12, 1-4.
3La deuxième partie de ces actes est consacrée, quant à elle, à la lecture critique des Aveux de la chair par des spécialistes reconnus de patristique (« Une lecture singulière des Pères. Discussions critiques »). Paul Mattei se propose ainsi de relire la manière dont M. Foucault, tout particulièrement dans Du gouvernement des vivants, exploite l’œuvre de Tertullien dans une double perspective, philologique et doctrinale (« Le Tertullien de Foucault. Entre publicatio sui, multiplication des œuvres et crainte de soi, quelle cohérence et quelle pertinence philologiques et historiques ? », p. 111-122). Tout en soulignant les limites sur un plan philologique des analyses foucaldiennes sur l’importance accordée au terme publicatio chez Tertullien, De paenitentia 10,1, au thème du timor et de la metus ou encore à celui du péché originel dont Tertullien serait le découvreur selon le philosophe français, P. Mattei montre combien les intuitions foucaldiennes permettent de mieux comprendre la place et le rôle de Tertullien au sein de l’histoire doctrinale du christianisme. La contribution de Michel Senellart s’attache à la relation que M. Foucault établit entre gouvernement pastoral et direction monastique (« Pastorat, direction, aveu. Limites d’un paradigme », p. 123-138). L’auteur met au jour comment la compréhension du pastorat à l’aune des techniques d’aveu élaborées par un pouvoir, qui émerge dans le cours de 1978 Sécurité, territoire, population, conduit M. Foucault à comprendre la direction monastique dans Le gouvernement des vivants en 1980 comme un rapport de pouvoir de gouvernement des âmes. Or, à partir de 1980 et jusqu’à la rédaction des Aveux de la chair en 1982, M. Foucault opère progressivement une distinction entre pastorat et direction, entre un pastorat réservé à la vie laïque et une direction spécifique au monachisme. Or, cette autonomisation du pastorat conduit à en penser une modalité différente et spécifique à l’aune de l’inversion du sacrifice sous-tendue par la figure johannique du Bon Pasteur. Pour sa part, Sébastien Morlet s’intéresse à la manière dont M. Foucault exploite Jean Chrysostome en s’appuyant sur l’annexe 3 des Aveux de la chair, qui propose une lecture de la Deuxième Homélie sur la pénitence du Père grec par le philosophe français (« L’exégèse d’une exégèse. Foucault, lecteur de Chrysostome », p. 139-158). Il souligne ainsi, d’une part, l’attention inégale que M. Foucault porte au texte grec et l’influence que jouent donc les traductions, parfois peu heureuses, qu’il a pu consulter ; d’autre part, l’importance de la méthode de travail de M. Foucault, lequel, s’appuyant sur des fiches qui mêlaient citations et gloses, tend à surinterpréter le texte. Il n’en reste pas moins que l’apport de la lecture foucaldienne est indéniable car elle permet d’accorder aux Pères, et ici en l’occurrence à Jean Chrysostome, une place décisive dans l’histoire des idées. La contribution suivante de Bernard Meunier s’attelle, quant à elle, à l’étude de la παρρησία chrétienne dans le corpus foucaldien (« Foucault et les évolutions de la parrêsia chrétienne », p. 159-171). Partant de l’hypothèse foucaldienne selon laquelle le milieu monastique chrétien aurait développé à partir du ive siècle une méfiance, voire une défiance, à l’égard de la παρρησία, l’auteur montre que cette analyse du philosophe français se comprend à l’aune du rôle dévolu à l’opuscule de Kant, Was ist Aufklärung ?, dont M. Foucault fait « le point de sortie » (p. 163) du rôle de l’aveu dans la généalogie de la subjectivité dans son cours au Collège de France du 5 janvier 1983. Or, une telle compréhension du monachisme s’avère pour le moins caricaturale et ne rend pas justice à la diversité des modalités de la παρρησία, qui s’expriment aussi bien sur un plan horizontal, dans la relation entre sujets humains, que sur un plan vertical, dans la relation à Dieu. En d’autres termes, le monachisme qui émerge à partir du ive siècle, loin de pouvoir se réduire à des rapports de domination, a mis en jeu des dispositifs singuliers de παρρησία, parfois hérités de la tradition cynique, dont le but était de progresser en faisant la vérité sur soi et sur l’autre et d’assurer ainsi le salut de soi et de l’autre. Le traitement foucaldien du monachisme chrétien est également au centre de la contribution de Frédérique Ildefonse (« ‘Aucun de mes mouvements ne t’est caché’. Modification de la sagesse antique dans le monachisme chrétien », p. 173-188). Partant d’une citation d’Homère (« Aucun de mes mouvements ne t’est caché », οὐδέ σε λήθω κινύμενος, Iliade X, 279-280) qu’Épictète reprend à son compte dans ses Entretiens2, F. Ildefonse étudie dans quelle mesure l’analyse foucaldienne rend compte de la transformation de la παρρησία philosophique antique, et tout particulièrement stoïcienne, où la vérité du soi est révélée à l’aune du regard divin – ce qu’elle nomme « panesthésie divine » (p. 176) –, en une παρρησία où l’instance de véridiction de la vérité sur soi est l’œil intérieur de l’âme dans un processus de « surenchère d’intériorité » (p. 186) qu’illustre parfaitement Augustin. La dernière contribution de cette deuxième partie est l’œuvre de Jean Reynard et aborde le thème foucaldien de la folie dans le christianisme ancien (« Réflexions sur la question de la folie dans le christianisme ancien à la lumière des travaux de Foucault », p. 189-208). Il met en exergue l’intérêt de l’analyse foucaldienne de la folie qui se déploie dans l’Histoire de la folie à l’âge classique afin d’éclairer à nouveaux frais l’emploi de cette notion dans les écrits chrétiens antiques. Il montre ainsi la dualité de la folie dans le discours chrétien, soit qu’il s’agisse de se définir soi-même à l’aune de la thématique paulinienne d’1 Co, 18-19, soit qu’il s’agisse d’exclure l’autre en assimilant la figure de l’hérétique à celui du fou.
- 3 Rappelons ici que l’on doit à Elizabeth A. Clark une étude majeure dans l’approche contemporaine du (...)
- 4 Voir par exemple Margaret Ruth Miles, Augustine on the Body : Missoula (Montana), Scholars Press, A (...)
- 5 Richard Sorabji, Emotion and Peace of Mind. From Stoic Agitation to Christian Temptation : Oxford, (...)
4L’un des apports essentiels des Aveux de la chair est d’offrir pour la première fois une analyse approfondie de textes d’Augustin par M. Foucault, alors que les textes jusque-là publiés du philosophe français n’en proposaient que des remarques ponctuelles. C’est donc en toute logique que la troisième partie de ces actes se concentre sur cet événement philosophique (« Augustin, finalement »). Dans une première contribution, Michel-Yves Perrin s’attache à étudier la généalogie de la lecture foucaldienne d’Augustin à la lumière d’une enquête archivistique très fouillée (« Lectures foucaldiennes d’Augustin. Entre histoire et historiographie », p. 211-232). Ce faisant, il nous décrit un M. Foucault qui possède une parfaite connaissance de l’état de la critique de son époque sur la pensée de l’évêque d’Hippone, notamment grâce aux volumes de la collection de la Bibliothèque Augustinienne ou aux articles du Reallexicon für Antike und Christentum sur lesquels le philosophe français s’appuie en de nombreuses occasions. En outre, M.-Y. Perrin propose un éclairage précieux sur la relation intellectuelle que M. Foucault et le grand historien du christianisme Peter Brown nouèrent ensemble. La contribution d’Elizabeth A. Clark (†), pour sa part, s’attache à une lecture critique de la description foucaldienne de la sexualité chez Augustin (« L’Augustin de Foucault au risque d’Augustin »). La célèbre universitaire américaine3 entend ainsi montrer que la lecture que M. Foucault fait du De bono coniugali d’Augustin tend, selon elle, à surestimer la valeur positive que l’évêque accorde au mariage, puisque le philosophe français y voit une conception sociale de l’humanité fondée sur la définition du lien conjugal comme premier lien de la societas humaine. Or, selon E. A. Clark, cette analyse serait démentie par les textes mêmes d’Augustin. D’une part, l’analyse foucaldienne tendrait à sous-estimer les textes où Augustin privilégie la virginité au mariage ; d’autre part, celle-ci méconnaît le dispositif bio-théologique à l’œuvre dans les écrits augustiniens contre Julien d’Éclane qui conduit à la condamnation d’une approche naturaliste de l’acte sexuel. L’analyse d’E. A. Clark, dont on trouve des échos dans plusieurs autres travaux issus du monde anglophone, – l’on pense ici notamment à ceux de Margaret Ruth Miles4 et à ceux de Richard Sorabji5 –, n’emporte pas notre adhésion pour au moins deux raisons. D’une part, E. A. Clark, en minimisant le concept de societas dans la définition augustinienne du mariage, omet l’importance du concept d’οἰκείωσις que l’évêque d’Hippone hérite de Cicéron et qui structure sa pensée politique et sa compréhension de la societas humaine. D’autre part, la condamnation augustinienne du naturalisme qui sous-tend la compréhension de la sexualité par Julien d’Éclane ne conduit pas nécessairement à une condamnation de la sexualité ou à une dévalorisation de l’acte sexuel conjugal, comme le soulignent à rebours le livre XIV de La Cité de Dieu et la Lettre 6* à Atticus où Augustin pose, pour la première fois dans la tradition patristique, l’hypothèse d’une sexualité d’Adam et d’Ève effective avant même le premier péché – hypothèse qui, comme on le sait, fera florès dans la théologie médiévale. De ce point de vue, l’analyse foucaldienne, tant sur le mariage que sur le processus de « libidinisation du sexe », c’est-à-dire de définition du sujet comme sujet de désir, nous semble plus fidèle à la lettre et à la pensée de l’évêque d’Hippone. C’est là d’ailleurs ce que met bien au jour la contribution de Laurent Lavaud (« L’insurrection du sexe. Foucault lecteur de saint Augustin », p. 247-258). L’auteur souligne bien la pertinence de l’analyse foucaldienne quant au lien entre sexualité et péché originel tel que le pense l’évêque d’Hippone. Le péché originel dans la perspective augustinienne ne conduit pas à une condamnation de la sexualité selon une opposition classique entre le corps et l’âme mais signifie l’expulsion du sexe hors du régime de la volonté, ce que symbolisent les troubles de la sexualité masculine comme l’impuissance ou l’érection involontaire. Autrement dit, à partir du premier péché, la sexualité se définit par un vouloir propre qui échappe à la volonté. L’apport conceptuel essentiel de la pensée augustinienne, que M. Foucault a bien mis en valeur dans les Aveux de la chair, est donc de situer la sexualité dans le régime de l’involontaire, c’est-à-dire que la libido constitue une modalité paradoxale du vouloir, qui dit une scission interne à l’acte même de vouloir, tout en participant à l’identité du sujet qui se définit d’abord, dans la perspective augustinienne, par son usage de la volonté – ce que M. Foucault définit en tant que « subjectivisation du sexe ». Or, à partir du moment où cette impuissance de la volonté à vouloir le bien résulte du premier péché et où le baptême lui-même ne peut guérir totalement cette impuissance, le péché ou la faute se déplace de la catégorie de l’acte, ce que suppose la tradition antique classique, à celle du consentement à la volonté de l’involontaire. Néanmoins, comme l’observe L. Lavaud, l’analyse foucaldienne ne mène pas jusqu’au bout l’analyse des conséquences de ce paradoxe de la volonté de l’involontaire en ne prenant pas en compte le rôle joué par « l’archi-volontaire de la grâce » (p. 258) dans la perspective augustinienne. Les actes du colloque s’achèvent enfin par un témoignage de James Bernauer SJ (« Épilogue. Foucault et la théologie contemporaine. Un examen personnel », p. 259-269), qui, après avoir rappelé dans quelles circonstances il rencontra M. Foucault en 1979 et en 1980, décrit les modalités de l’influence des travaux foucaldiens dans la théologie chrétienne anglo-saxonne. Deux annexes complètent l’ouvrage : un index des noms cités (p. 271-275) et une présentation des différents contributeurs (p. 277-281).
- 6 Ainsi, dès 1988, Elizabeth A. Clark publia un important article sur la question, « Foucault, the Fa (...)
- 7 Il faut ici citer les travaux de Philippe Chevallier et Michel Senellart, en particulier : Philippe (...)
5Ces actes, par la qualité de leurs contributions, s’avèrent un ouvrage de référence aussi bien dans le champ de la philosophie contemporaine que dans celui des sciences religieuses, et tout particulièrement de la patristique. Leur apport nous semble de fait décisif pour au moins deux raisons. D’une part, contrairement au monde anglo-saxon, où le rapport de M. Foucault au christianisme a depuis longtemps donné lieu à de nombreux travaux6, la compréhension de la pensée foucaldienne en France, à de rares exceptions7, a souvent minoré la place du christianisme dans les travaux du « dernier Foucault ». Or, M. Foucault, comme le rappelle M.-Y. Perrin, se définissait lui-même, non sans humour, comme faisant parti « des pseudo- ou des cryptochrétiens » et reconnaissait volontiers l’influence de sa « très forte formation catholique » (a very strong catholic background) dans ses derniers travaux (p. 211-212). La lecture des différentes contributions contenues dans ces actes confirme et renforce l’impression que donnait déjà la lecture des Aveux de la chair, à savoir celle d’un M. Foucault qui prend au sérieux les écrits des Pères de l’Église, les considère comme des maillons essentiels de l’histoire des idées, tout particulièrement eu égard à une généalogie de la subjectivité, et en propose une lecture qu’il veut la plus rigoureuse. C’est là un aspect important, nous semble-t-il, qui doit amener à reconsidérer les enjeux de ce ‘tournant chrétien’ dans la compréhension globale de la pensée foucaldienne. D’autre part, ces actes mettent en valeur l’apport que peut constituer la pensée foucaldienne pour les sciences religieuses, et tout particulièrement pour la patristique. La mise en valeur opérée par les travaux foucaldiens des thèmes du pastorat, de l’aveu et de la sexualité dans la formation de la subjectivité chrétienne telle qu’elle s’élabore dans les écrits des Pères de l’Église appelle, sans nul doute, de la part des patrologues à en mener un examen rigoureux et à prendre davantage en compte l’apport de la pensée des Pères au sein de l’histoire des idées et d’une archéologie conceptuelle de notre rapport à soi et à autrui.
Notes
1 Michel Foucault, Histoire de la sexualité 4. Les aveux de la chair, édition établie par Frédéric Gros : Paris, Gallimard, « Bibliothèque des Histoires », 2018, 448 p. Nous nous permettons de renvoyer ici à notre compte-rendu critique : Jérôme Lagouanere, « Foucault patrologue », Archives de sciences sociales des religions 184 (2018), p. 85-97.
2 Épictète, Entretiens, I, 12, 1-4.
3 Rappelons ici que l’on doit à Elizabeth A. Clark une étude majeure dans l’approche contemporaine du mariage dans la pensée augustinienne : Elizabeth A. Clark, « ‘Adam’s Only Companion’. Augustine on the Early Christian Debate on Marriage », Recherches Augustiniennes 21 (1986), p. 139-162.
4 Voir par exemple Margaret Ruth Miles, Augustine on the Body : Missoula (Montana), Scholars Press, American Academy of Religion, « Dissertation Series » 31, 1979.
5 Richard Sorabji, Emotion and Peace of Mind. From Stoic Agitation to Christian Temptation : Oxford, Oxford University Press, 2000, chap. 26 : « Augustine on Lust and the Will », p. 400-417.
6 Ainsi, dès 1988, Elizabeth A. Clark publia un important article sur la question, « Foucault, the Fathers, and Sex », Journal of the American Academy of Religion 56/4 (1988), p. 619-641. Citons, en outre, Jeremy Carette, Foucault and Religion. Spiritual Corporality and Political Spirituality : London/New York, Routledge, 2000 ; Henrique Pinto, Foucault, Christianity and Interfaith Dialogue : London/New York, Routledge, 2003 ; J. Joyce Schuld, Foucault and Augustine. Reconsidering Power and Love : Notre Dame (Illinois), University of Notre Dame Press, 2003 ; James Bernauer & Jeremy Carette (ed.), Michel Foucault and Theology. The Politics of Religious Experience : Aldershot, Ashgate, 2004.
7 Il faut ici citer les travaux de Philippe Chevallier et Michel Senellart, en particulier : Philippe Chevallier, Foucault et le christianisme : Lyon, ENS Éditions, 2011 ; Id., « Michel Foucault et le ‘soi’ chrétien », Astérion 11 (2013) (http://asterion.revues.org/2403); Michel Senellart, « Michel Foucault : une autre histoire du christianisme ? », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, hors-série, 7 (2013) (http://cem.revues.org/12872) ; Id., « Gouverner l’être-autre. La question du corps chrétien », in Jean-François Braunstein, Daniele Lorenzini, Ariane Revel, Judith Revel & Arianna Sforzini (dir.), Foucault(s) : Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 205-221. Rappelons enfin que le fonds Foucault se trouvait à la bibliothèque dominicaine du Saulchoir à Paris, où M. Foucault travaillait régulièrement, et ce jusqu’en 1998 et son transfert à l’IMEC. Voir les indications données sur le site de la bibliothèque du Saulchoir : https://bibsaulchoir.hypotheses.org/la-biblotheque/michel-foucault-et-la-bibliotheque-du-saulchoir
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Référence électronique
Jérôme Lagouanère, « Philippe Büttgen, Philippe Chevallier, Agustín Colombo & Arianna Sforzini (dir.), Foucault, les Pères, le sexe. Autour des Aveux de la chair », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 24 | 2022, mis en ligne le 19 juillet 2022, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/3335 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.3335
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