La critique du droit romain et la philosophie du droit dans les œuvres des Pères de l’Église Tertullien et de Lactance
Résumés
L’auteur analyse l’influence exercée par le droit romain et l’art de la rhétorique sur les œuvres apologétiques de Tertullien et de Lactance. Cependant leur rapport vis-à-vis de ces arts profanes était problématique. C’est ainsi que la première partie de l’article illustre la façon dont les deux Pères de l’Église ont critiqué la rhétorique profane et ses limites afin de résoudre ce dilemme. La deuxième partie de l’article montre comment ces derniers ont développé leur réflexion autour de notions clés telles que la loi naturelle et la justice à travers l’art de la rhétorique.
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Introduction
1La rhétorique et le droit romain ont joué un rôle prépondérant dans les œuvres théologiques et apologétiques de Tertullien et de Lactance. C’est par le bais de l’art de la rhétorique que ces deux Pères de l’Église ont entamé une apologie du christianisme et une réflexion autour de notions clés de la philosophie du droit telles que la justice et la loi naturelle. Tertullien et de Lactance ont utilisé le droit romain pour appréhender des questions théologiques à travers une approche qui s’inspire des controversiae enseignées dans les écoles de rhétorique.
2Tertullien est reconnu comme l’initiateur de la littérature chrétienne en langue latine et l’instigateur du courant philosophique et théologique des moralistes africains pré-nicéens. Il est le premier Père de l’Église africaine à avoir posé la question de l’harmonisation de l’art de la rhétorique avec les préceptes du christianisme. Cette rhétorique chrétienne renouvelée se devait de se distinguer cependant de son homologue profane, car elle ne devait pas se réduire à un simple exercice de style mais plutôt être un moyen pour convaincre à l’aide d’arguments solides. Lactance, par contre, a été le premier Père de l’Église à avoir légitimé l’utilisation de cet art de façon explicite car, selon lui, la rhétorique était une arme redoutable qu’il ne fallait pas laisser dans les mains des adversaires de la nouvelle religion.
3Afin de saisir les raisons de l’importance qu’a joué l’art de la rhétorique dans l’œuvre de Tertullien et de Lactance, il est nécessaire en premier lieu d’aborder le contexte historique et culturel des provinces romaines d’Afrique du nord. Par la suite, nous analyserons comment ces Pères de l’Église ont mené, en quête d’une rhétorique chrétienne, une critique de la rhétorique profane qui leur avait été enseignée (1). Nous poursuivrons en analysant la manière dont ils ont posé la base de l’évangélisation des notions clefs de philosophie du droit romain, telles que la loi naturelle et la justice, à travers une critique rhétorique des limites du droit en question, en vue d’une apologie du christianisme (2).
1. La quête d’une rhétorique chrétienne
4Tertullien et Lactance étaient issus des provinces romaines d’Afrique du nord, un milieu où le droit romain et la rhétorique jouaient un rôle prépondérant dans la vie culturelle des élite locales païenne et chrétienne (1.1.). L’œuvre de ces deux Pères de l’Église, tout comme l’ensemble de la patristique africaine, a été influencée par la rhétorique profane. Cependant, afin de se démarquer des rhéteurs païens, Tertullien et Lactance, comme l’ensemble de la patristique africaine, ont mené une critique acharnée de la rhétorique profane sans pour cela renoncer à utiliser cet art (1.2.).
1.1. L’influence de la rhétorique et du droit au sein de la patristique africaine
- 1 St. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, Paris, Hachette, (8 volumes) 1913-1929 ; Ch.-A. (...)
- 2 J.-M. Lassère, op.cit., p. 77 et suivantes.
- 3 A. Ibba & G. Traina, L’Afrique romaine-de l’Atlantique à la Tripolitaine…, p. 105.
5Les provinces africaines de l’Empire romain avaient revêtu une importance de premier plan dans l’histoire de la littérature de langue latine. La vigoureuse politique d’urbanisation à laquelle s’étaient voués les Romains avait eu pour résultat l’émergence d’une élite urbaine imprégnée de culture classique grecque et latine1. Les Romains avaient classé les territoires d’Afrique du nord en coloniae et municipii. Les premières étaient des centres fondés par des colons originaires de la péninsule italienne2, par contre les municipii étaient des villes fondées précédemment par les Phéniciens et par les Berbères durant le règne des Massyles et des Masaesyles3.
- 4 Ibid.
- 5 Ibid. p. 10.
6La colonie (colonia) était un ensemble d’agglomérations urbaines fondées par des colons romains à partir d’un acte religieux fondateur connu sous le nom de déduction (deductio4). Il arrivait que, dans certain cas, comme ce fut à Cirta, des populations autochtones berbéro-puniques aient été intégrées au sein du système culturel et juridique romain5. Cette assimilation linguistique et juridique a encouragé la diffusion de la langue grecque et latine ainsi que de la philosophie et de la rhétorique. La rhétorique était enseignée dans des écoles qui ont été aussi les vecteurs du rayonnement de la culture juridique romaine en Afrique du nord.
- 6 P. Monceaux, Les Africains, I. Les intellectuels carthaginois. Le génie africain et l’éducation cla (...)
- 7 Ibid., p. 82.
- 8 Ibid.
7L’art de la rhétorique et le droit romain ont joué un rôle central au sein de la patristique africaine. Cette familiarité tenait au fait que les représentants de la chrétienté africaine avaient étaient formés dans les écoles de rhétorique. Monceaux explique dans son ouvrage sur la vie intellectuelle carthaginoise que, dans ces écoles de rhétorique, « […] les écoliers apprenaient par cœur les Sentences des Douze Sages, et surtout ces Distiques de Caton6 , […] ». Il ajoute ensuite : « Pour le détail du style, on peut constater à Carthage et en Numidie l’action des classiques romains. Là comme dans le reste de l’Empire, on étudiait naturellement Cicéron et Virgile7 […]. Sur le latin de la République s’était greffé le latin d’Afrique8 ».
- 9 A. Chastagnol, « L’empereur Julien et les avocats de Numidie », Antiquités africaines 14 (1979), p. (...)
- 10 Ibid., p. 233.
- 11 Ibid.
8Jusqu’à l’époque de l’empereur Valentinien III (419-425 ap. J.-C), la seule formation en rhétorique était suffisante pour permettre d’exercer la profession d’avocat dans les provinces africaines de la Numidie et de la Maurétanie9. En effet, comme l’explique Chastagnol, dans ces provinces de l’Empire romain, il n’y avait pas à proprement parler d’écoles de droit10. Les études de droit, bien que recommandables pour les futurs avocats, n’étaient cependant pas obligatoires, peut-être aussi parce qu’elles étaient peu nombreuses dans les provinces de l’Empire11.
- 12 R. Evêque, « La balance et le caducée : l’enseignement du droit dans les écoles de rhétorique à Rom (...)
- 13 Ibid.
- 14 G. La Bua, « Diritto et retorica : Cicerone iure peritus in Seneca et Quintilliani », Ciceroniana 1 (...)
- 15 A. Bellodi Asaloni, Scienza giuridica e retorica forense. Appunti da un corso di Metodologia giurdi (...)
9Il est bien de préciser que l’avocat romain n’était pas forcément un juriste mais plutôt un orateur judiciaire qui se contentait de défendre son client à travers la maitrise de l’art oratoire et faisant souvent recours à l’expertise d’un jurisconsulte, qui par contre avait une profonde connaissance du droit12. La méthode d’enseignement du droit dans les écoles de rhétorique était en grande partie redevable aux enseignements de Cicéron13. C’était un enseignement de type pratique au cours duquel les étudiants étaient amenés à assister dans le forum aux plaidoiries des avocats les plus renommés et à débattre de cas concrets14. Au cours de ces débats, l’étudiant apprenait à soutenir une thèse et son contraire (pro et contra) et à argumenter à travers des lieux communs (loci argumentorum)15.
- 16 R. Evêque, op. cit., p. 13.
- 17 A. Chastagnol, op. cit., p. 225.
10Ce ne fut qu’à partir du règne de Dioclétien, et donc à partir du ive siècle, que l’ensemble des règles qui régissaient les professions juridiques fut réformé. Les orateurs judiciaires devinrent des avocats dans le sens moderne du terme, c’est-à-dire des juristes ayant le pouvoir de plaider devant les tribunaux16. Cependant cette réforme de Dioclétien avait été partiellement appliquée dans les provinces d’Afrique. Ainsi les critères requis pour exercer la profession d’avocat n’avaient pas trop changé et, jusqu’au règne de Valentinien, la seule formation en rhétorique suffisait pour exercer la profession d’avocat17.
- 18 P. Brown, La vie de Saint-Augustin (tr. de Augustin of Hippo, a biography, London, 1967, par J. Mar (...)
- 19 Ibid.
- 20 A. Dolganov, « Nutricola causidicorum. Legal Practitioner in Roman North Africa », in K. Czajkowski (...)
11Le droit romain imprégnait profondément la vie quotidienne de tous les habitants des provinces africaines romanisées à partir de 146 av. J.-C. À cet effet, Brown ne manque pas de faire remarquer que « […] c’est plutôt dans le domaine du droit que l’Africain moyen se distinguait d’habitude »18, et : « […] un bon propriétaire terrien d’Afrique devait être très expert sur la loi et les tribunaux »19. Un certain nombre d’épitaphes de personnages appartenant à l’élite provinciale d’Afrique du Nord contiennent les titres d’avocat (advocati, togate) et de jurisconsulte (iurisperiti, iuris studiosi)20.
- 21 Ibid.
12Le poète Juvénal décrit la forte présence des avocats dans les colonies romaines d’Afrique dans sa septième satire : Nutricula causidicorum Africa (Sat. 7, 148), à savoir l’Afrique, terre nourricière des avocats. Dolganov a récemment souligné à propos de ce vers qu’il reprenait un stéréotype de son époque selon lequel les provinciaux se contentaient d’avocats communs sans trop prendre en compte le prestige de ces derniers21.
- 22 D. Mantovani, « Les juristes romains comme écrivains. Perspectives de recherche sur la pensée jurid (...)
13Dans le monde romain, le droit et la littérature étaient étroitement liés. Mantovani précise sur ce point que « Les juristes romains sont des écrivains : ces deux dimensions sont indissociables et l’étude de la pensée juridique passe à travers l’écriture22 ». Bien que Mantovani fasse référence aux jurisconsultes et non pas aux rhéteurs, nous pensons que ce lien entre le droit et la littérature était encore plus marqué dans les œuvres des rhéteurs qui, à l’instar de Cicéron et Aulu Gelle, traitaient des thèmes juridiques dans leurs œuvres littéraires.
- 23 Les écoles de Carthage ont formé des avocats rhéteurs de renommée. Monceaux affirme qu’à Carthage « (...)
14Cela dit, le lien entre droit et littérature a été encore plus fort au sein de la littérature latine en provenance des provinces d’Afrique. Ce qui s’explique par le prestige des écoles de rhétorique présentes sur le territoire23. Le droit romain, tout comme la rhétorique, a exercé une forte influence non seulement sur la littérature chrétienne, que nous traiterons dans ce présent article, mais aussi sur l’ensemble de la littérature africaine. Les écrivains de langue latine tels que Florus, Marcus Cornelius Fronton, Apulée, Quintus Septimius Florens Tertullianus, Marcus Minucius Felix et saint Augustin s’étaient intéressés aux débats juridiques de leur époque.
- 24 A. Michel, op. cit, p. 30.
- 25 Le terme afer souligne les origines africaines, donc berbères, de l’auteur, cela afin de le disting (...)
- 26 A. Michel, op. cit., p. 8.
15Le lien entre droit et littérature était présent dès la naissance de la littérature latine d’Afrique. La figure de l’avocat est décrite de façon positive dans la littérature latine d’Afrique pré-chrétienne. L’avocat est perçu comme un défenseur des intérêts des provinciaux devant les exactions des gouverneurs, de même qu’un protecteur de la Pax Romana24. C’est ainsi que dans l’ensemble de l’œuvre du plus ancien auteur africain de langue latine, Térence, connu aussi sous le nom de Publius Terentius Afrus25, le mot orator est presque toujours associé à l’image positive d’un avocat qui plaide dans un procès, causa26.
- 27 Ph. Fabia, Les prologues de Térence, Paris, Ernest Thorin, 1888, p. 283.
- 28 Ibid.
- 29 I. Ramelli, « Anneo Cornuto e gli Stoici romani », Gerión. Revista de Historia Antigua 21 (2003), p (...)
16La rhétorique a profondément influencé l’œuvre de Térence, qui utilisa les prologues de ses pièces de théâtre telles que les Adelphes et l’Andrienne pour se défendre des accusations qui lui étaient adressées par ses détracteurs. À cette fin il avait utilisé un vocabulaire emprunté au langage judiciaire en utilisant des termes tels que causa27 et iudices28. L’œuvre du philosophe stoïcien libyen, Lucius Anneus Cornutus, était aussi influencée par le droit et la rhétorique. Ce dernier, qui œuvra sous le règne de Néron, avait été un maître de rhétorique, et l’auteur d’un commentaire sur la rhétorique d’Aristote qui ne nous est pas parvenu. Il fut le premier auteur africain à se pencher sur la question de la loi naturelle. L’unique trace de sa pensée juridique nous a été transmise par la ve Satire de son disciple Perse29, hn témoignage qui nous renseigne suer le fait que Cornutus était influencé par la doctrine stoïcienne et affirmait que la vraie liberté n’était possible que dans le respect de la loi naturelle.
- 30 Ad Amicos I, 1 ; Ad Antonium imperatorem, II, 1 ; Ad. M. I, 6 encore appelée De testamenti transama (...)
- 31 Fr. Amarelli & Fr. Lucrezzi, I processi contro Archia e contro Apuleio, Napoli, Jovene Editore, 199 (...)
- 32 J. Osgood, art. cit., p. 431.
- 33 Ibid., p. 134.
- 34 B. Pouderon, « La première apologétique chrétienne : définition, thème et visées », Kentron 24 (200 (...)
17Les œuvres des rhéteurs Fronton et Apulée étaient elles aussi fortement imprégnées du droit romain. Dans ses lettres Ad amicos II, et Ad Antonium II, Fronton s’attaque à des questions juridiques30. Le droit romain est un élément omniprésent aussi dans les œuvres littéraires d’Apulée. Dans son œuvre la plus connue, les Métamorphoses, nous retrouvons un vocabulaire emprunté au monde du droit tel que la confarreatio, le tempus lugendi, le contubernium, le peculium servile (1.13 ; 5.26 ; 8.9 ; 8.22 ; 10.14)31. Dans la fameuse histoire de Cupidon et Psyché la déesse Venus représentait le rôle du Juge et la classe sénatoriale et à ce titre déclarait l’illégitimité des noces entre Amour et psyché32. L’idée de justice est à maintes reprises présente dans l’œuvre d’Apulée. Dans son texte philosophique du De Platone (2, 7) l’auteur donne une définition de la justice qui, par la suite, a été reprise dans les Institutions de Justinien (Inst. Just. 1, 1). Le thème de la justice est présent dans les Métamorphoses sous le nom de commune ius humanitatis (3, 8), formule qui renvoie à la notion du commune ius omnium du juriste Gaius (Gai Inst. 1, 1-D. 1, 1, 9)33. Enfin nous avons l’exemple de sa fameuse Apologie ou De Magia qui était directement inspirée d’une plaidoirie que ce dernier a dû prononcer au cours d’un procès qui l’a vu sur le banc des accusés devant un tribunal de Sabratha (Libye) au cours des années 158/159. C’est une plaidoirie qui a permis à Apulée d’être acquitté d’une accusation de sorcellerie. Le titre Apologia n’est pas choisi au hasard, ce mot grec était utilisé dans les traités de rhétorique pour indiquer une partie des discours judiciaires34, un genre qui sera amplement exploité dans les textes chrétiens.
- 35 Nous indiquons ici la bibliographie essentielle sur le sujet de la rhétorique dans l’œuvre de Tertu (...)
- 36 D. E. Wilhite, « Tertullian the African : an anthropological Reading of Tertullian’s Context and Id (...)
18Les Pères de l’Église africaine avaient fréquenté les mêmes écoles de rhétorique de Carthage dans lesquelles avaient étudié Apulée et Fronton. Le premier auteur que nous aborderons sera le père de la latinité chrétienne Q. M. Tertullianus35. Nous n’avons pas beaucoup d’informations biographiques sur cet auteur. Selon saint Jérôme, Tertullien serait né à Carthage d’un père centurion romain36. Il fut un fervent chrétien qui, à la fin de sa vie, adhéra à l’hérésie montaniste. Ce revirement a provoqué, quelques siècles après sa mort, la condamnation de ses textes par l’Église romaine qui en 494 ap. J.-C., à travers le decretum gelasianum qui jugea ses textes comme des textes hétérodoxes.
- 37 T. D. Barnes, Tertullian : a historical and literary study, Oxford, Clarendon, 1985, p. 26.
- 38 Ibid., p. 26.
- 39 Ibid., p. 27.
19Tertullien avait une familiarité certaine avec le langage juridique. En effet le droit romain est un élément omniprésent dans l’œuvre de Tertullien. Cette maîtrise des concepts juridiques de la part du rhéteur africain a poussé au début du siècle dernier de nombreux historiens, tels que P. de Labriolle et Bremer, à croire que Tertullien était la même personne que son homonyme qui a rédigé les Quaestiones VIII et le Castrensi peculio. Cependant ce dernier n’était pas un jurisconsulte mais plus probablement un rhéteur qui a exercé la profession d’avocat (causidicus). Comme nous l’avons vu plus haut, dans le monde romain, le cursus pour devenir avocat était différent de celui que suivait les jurisconsultes. À cela s’ajoute l’argument avancé par Barnes qu’à l’époque de Tertullien, les jurisconsultes étaient les défenseurs du mos majorum ainsi de la religion traditionnelle romaine37. Par conséquent il était peu probable qu’un juriconsulte de l’époque de Tertullien ait pu défendre le christianisme, voire se convertir à cette religion38. Em outre, Tertullien faisait un usage souvent peu précis des concepts juridiques, qui étaient souvent utilisés en guise de métaphores pour exprimer ses concepts théologiques, chose qu’un juriconsulte n’aurait jamais faite39.
- 40 Cl. Moreschini souligne qu’il y a deux interprétations à propos de la langue utilisée par Tertullie (...)
- 41 Même les textes sacrés chrétiens étaient traduits en langue latine, bien avant la traduction de sai (...)
20La première œuvre en langue latine de Tertullien (ses premiers travaux étaient écrits en langue grecque), intitulée l’Apologeticum ou Apologétique, a donné naissance à la littérature chrétienne en langue latine40. Jusque-là, les auteurs apologistes chrétiens provenaient des provinces orientales de l’Empire et s’exprimaient dans la langue grecque. La langue d’Aristote demeurait peu connue des premières communautés chrétiennes d’Afrique du Nord, dont le latin était la langue principale41.
- 42 Les informations sur sa biographie sont très limitées et se trouvent dans le De viris illustribus d (...)
- 43 Arnobio, difesa della vera religione, éd. A. Biagio, Roma, Città Nuova Editrice, 2000, p. 19.
- 44 B. Colot, « Africain, romain et chrétien : l’engagement religieux de Tertullien et Lactance », in J (...)
21L’œuvre de Tertullien exerça une grande influence sur d’autres Pères de l’Église tels que Cyprien de Carthage et Arnobe. Le premier a dû faire face aux persécutions menées par l’empereur Decius. Cet évêque, tout comme Tertullien, avait exercé la profession de rhéteur et d’avocat. En tant qu’évêque, il fut l’un des protagonistes du concile de Carthage, qui se déroula en l’an 256 ap. J.-C. Durant le troisième siècle Arnobe, un autre rhéteur chrétien originaire des provinces africaines, précisément de Sicca Veneria (El-Kef, en Tunisie)42, s’était livré lui aussi à une défense du christianisme. L’unique œuvre de cet auteur qui nous soit parvenue est l’œuvre apologétique intitulée Adversus nationes. Dans la même lignée que Tertullien, Arnobe réfuta de façon virulente, dans le premier livre de cette œuvre, les accusations que les païens lançaient contre les chrétiens et chercha à harmoniser la philosophie classique et la maïeutique, ainsi que la rhétorique avec les principes du christianisme43. Arnobe a eu comme disciple Lactance (i.e. Lucius Caecilius Firmianus, ~250 apr. J.-C.– ~325 apr. J.- C.) qui est le second auteur que nous traiterons. Ce dernier fut maître de rhétorique et, avant sa conversion, il fut appelé par l’Empereur Dioclétien pour enseigner la rhétorique dans la ville de Nicomédie, ville où siégeait la cour de l’empereur. Devenu chrétien, Lactance avait été déchu de sons rôle d’enseignant suite à l’édit antichrétien de Dioclétien de l’an 303 ap. J.-C. Cependant il devint à nouveau précepteur de Crispus, fils de l’empereur Constantin. La rhétorique de Lactance était fortement influencée par Cicéron, ce qui lui avait valu le qualificatif de « Cicéron chrétien ». Son œuvre la plus importante sont ses Institutions Divines, dont le terme institutiones était un rappel aux manuels de droit et de rhétorique (Insitutiones de Gaius, Institutio oratoria de Quintillien). Contrairement à Tertullien qui a voué toute son œuvre à la défense de l’Église, Lactance a été un théologien laïc44.
- 45 Ibid., p. 167.
- 46 Ibid., p. 171.
- 47 Ibid., p. 169.
22Tout comme Tertullien, Lactance était originaire de l’Afrique romaine45. Son africanité se révèle dans le cinquième livre de ses Institutions divines (V, 2, 22-26 ; V, 4, 3-4)46. Contrairement à Tertullien qui était profondément lié à la communauté chrétienne de Carthage, l’œuvre de Lactance n’est pas strictement identifiable à l’Église africaine47.
- 48 M. Spanneut, Tertullien et les premiers moralistes chrétiens, Paris, Duculot, 1973, p x.
23Sur le plan de la pensée philosophique et théologique, les Pères de l’Église africaine antérieurs au concile de Nicée constituent une école de pensée connue sous le nom des moralistes africains, M. Spanneut définit la chrétienté africaine pré-nicéenne comme une unité historique48.
- 49 Chr. Mohrmann souligne l’attitude que « Cyprien qui puise à chaque instant dans l’œuvre de Tertulli (...)
- 50 Lactance, Institutions Divines, Livre V, vol. I, op. cit., p. 149.
24Tertullien a été l’initiateur d’une nouvelle idée de rhétorique chrétienne. Son influence est évidente sur Cyprien et Arnobe (qui ne le citeront pourtant pas comme leur modèle49) ainsi que sur Lactance qui, par ailleurs, le cita dans ses Institutions divines (5,3)50. Ainsi Lactance fut le disciple d’Arnobe qui a son tour était influencé par Tertullien et Cyprien. Les ouvrages de Cyprien, Arnobe et Lactance présentent plusieurs points communs qui se rattachent à une unique influence, celle de Tertullien.
25La patristique africaine s’était posée comme objectif de concilier l’art de la rhétorique avec le message chrétien et, pour cela, les Pères de l’Église cités ci-dessus ont critiqué leur ancienne profession d’avocats-rhéteurs pour prendre leurs distances avec ce passé, en vue d’un dépassement de la rhétorique profane.
1.2. Le dépassement de la rhétorique profane
- 51 Ce fut Daniel qui sauva Susanne de la lapidation, à la suite d’une accusation injuste, en démontran (...)
26L’ensemble des Pères de l’Église africaine s’était livré à une critique des arts pratiqués par les païens tels que la rhétorique, la philosophie et le droit. Cette critique visait à développer une nouvelle rhétorique chrétienne qui se démarquait de son équivalent profane. Ce projet avait été initié par Tertullien qui n’a toutefois laissé aucun traité abordant de façon claire, unitaire et systématique, les caractéristiques que devrait avoir la nouvelle rhétorique chrétienne. Cependant les figures idéales de la rhétorique chrétienne étaient incarnées dans l’Ancien Testament par le prophète Daniel51 (Le livre de Daniel 13, 48), ainsi que dans les Évangiles par l’apôtre Paul pour sa clarté de langage et par le Paraclet.
- 52 H.-H. Hasso Jaeger, « La preuve rabbinique et patristique », in J. Gilissen (dir.), La preuve. Prem (...)
- 53 Adversus Praexam VIII, 163 ; Adversus Valentinainos VIII, 536A-553A ; De Anima, LV, 745A-752A ; De (...)
- 54 Tertullien, Le voile des vierges, (éd. E. Schulz- Flügel et P. Mattei), Paris, édition du Cerf, « S (...)
- 55 Ibid., p. 54.
27Le Paraclet offre un modèle d’avocat idéal conforme au nouveau message chrétien. La traduction latine des Évangiles désigne le Saint-Esprit sous le nom d’advocatus, présenté comme l’avocat de Jésus-Christ. Dans l’Épitre de saint Jean, nous trouvons ainsi proclamé : « […] Nous avons comme avocat du Père Jésus-Christ, le juste » (2, 1). Cette idée de la nécessité d’un avocat du divin est présente tout au long de cet Évangile (7, 13, 14, 16, 26). Jaeger ne manque d’ailleurs pas de souligner que l’évocation d’un avocat sacré prouve la présence d’un haut niveau de compénétration des domaines théologique et juridique au sein des communautés des premiers chrétiens52. Tertullien fait maintes fois référence à cette figure53, encore plus dans ses ouvrages qui datent de sa conversion au montanisme. Dans sa polémique contre les psychiques intitulée « Du jeûne » (De Ieiunio), Tertullien décrit le Paraclet comme étant l’avocat du genre humain, (De Ieiunio 13, 5). Dans le « Voiles des vierges » (De virginibus velandi), Tertullien avance l’idée selon laquelle le Paraclet demeure le défenseur d’une nouvelle justice chrétienne qui est désormais arrivée à sa maturité54 (I, 10). Pour sa part, Schulz-Flugel ajoute que, selon Tertullien, la figure du Paraclet vient tout de suite après celle du Christ55, une figure qui a pour fonction de faire adopter les normes du Christ parmi les chrétiens. Tertullien décrit cette figure dans les termes suivants : « […] le seul après le Christ qu’il faille appeler maître et honorer comme tel » ou même le « seul maitre à suivre, car seul à venir après le Christ […] » (I, 11).
28Selon Tertullien et également pour l’ensemble des Pères, la supériorité du nouveau rhéteur chrétien ne se situe pas uniquement sur le plan intellectuel mais plutôt aussi sur le plan moral. Ce sont ces valeurs que le rhéteur est appelé à propager et à défendre qui lui confèrent des traits distinctifs à l’égard de ses homologues profanes.
- 56 Tertullien, Apologétique (éd. J.-P. Waltzing et A. Severyns), Paris, Les Belles Lettres, 1961, p. 8 (...)
- 57 J.-Cl. Fredouille, Tertullien et la conversion de la culture antique, Paris, Études Augustiniennes, (...)
29La critique de Tertullien n’a épargné ni le philosophe Socrate qui avait poussé ses idées jusqu’à sacrifier sa propre vie afin de témoigner de sa vérité, ni le rhéteur et modèle exemplaire de bonus vir que fut Caton, exalté par Cicéron. Dans son Apologétique56, Tertullien ne manque pas de reprocher une conduite immorale à ces derniers lorsqu’il affirme que « le Grec Socrate et le Romain Caton [...] cédèrent à leurs amis des femmes qu’ils avaient épousées, sans doute pour qu’elles leur donnassent des enfants ailleurs encore que chez eux […] » (29, 12). Tertullien en arrive à la conclusion, dans son Traité de la prescription contre les hérétiques, qu’il est impossible pour les philosophes moralistes païens de mettre en pratique leur doctrine. Cette impossibilité est plus due à la faiblesse de leur doctrine qu’à leur qualité humaine. Il utilise la formule suivante : « […] la qualité de la foi peut être appréciée d’après le genre de vie et que là la conduite est un critère de la doctrine » (43, 2). Fredouille explique et précise que « […] cette idée est implicite dans tous les traités où Tertullien aborde des problèmes de morale57 ». De plus, ce même concept est aussi repris par Lactance, le disciple de Tertullien.
- 58 Lactance, Institutions Divines V, Tome l (éd. J. Monat) Paris, éditions du Cerf, 1973, p. 201.
30Lactance de son côté a affirmé que les rhéteurs païens dépourvus de foi n’étaient pas capables de défendre l’idée de justice. La rhétorique sans la vérité chrétienne demeure une coquille vide selon Lactance qui cependant évoque les limites de la philosophie païenne d’une façon plus nuancée que Tertullien. En effet, dans le cinquième livre de ses Institutions divines, Lactance souligne les limites des philosophes et des rhéteurs païens en évoquant le modèle d’exemples des plus louables tels que Platon, Socrate, Caton et Cicéron qu’il définit comme des « champions de la justice58 » qui n’ont pas pu défendre leur idée de vérité et de justice contre les attaques menées par des sophistes et des philosophes cyniques tels que Carnéade. Car la philosophie en tant que science profane, à elle seule, ne peut rien contre les attaques de ses adversaires.
31Cette supériorité du rhéteur chrétien devait se manifester avant tout par une prise de distance à l’égard du langage fallacieux utilisé par les rhéteurs païens dans les tribunaux. Tertullien traite la question du langage adéquat dans son Apologétique (197 ap. J.-C.) : un langage de la nouvelle éloquence chrétienne se devait d’être clair par opposition au langage obscur qui vient cacher les propos mensongers des adversaires. La clarté du langage doit permettre au nouvel orateur d’être à l’image de la doctrine qu’il doit exprimer. Pour y parvenir, Tertullien et les autres Pères de l’Église africaine devaient s’éloigner du langage utilisé dans les tribunaux, car ce dernier est perçu comme un vecteur de propos mensongers.
32L’idée de la clarté du langage est présente dans les Évangiles, précisément dans la première Épitre aux Corinthiens (2, 1-5), là où l’apôtre Paul aurait proclamé :
33« […] je ne suis pas venu vous annoncer le témoignage de Dieu avec une supériorité de langage ou de sagesse […]. Mon langage et ma prédiction n’ont pas été des paroles de sagesse persuasive, mais une démonstration d’Esprit et de puissance pour que votre foi repose non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu » (Première Épître aux Corinthiens 2, 1, 5).
- 59 L. Pernot, La Rhétorique dans l’Antiquité, Paris, Libraire Générale Française, 2000, p. 269.
- 60 Ibid., p. 107.
- 61 Ibid.
34Pernot explique que « le langage de l’apôtre Paul incarne le modèle linguistique idéal de l’orateur chrétien qui prône la parole vraie dépourvue d’art, directement inspirée par l’Esprit-Saint […] pour la raison que Jésus et ses disciples ignoraient les schémas de la rhétorique59 », ce qui n’était pas le cas de Tertullien et des Pères de l’Église africaine qui, eux par contre, connaissaient cet art. Barnes souligne de son côté que la rhétorique de Tertullien est en partie influencée par les Pères de l’Église de langue grecque, Justin et Athenagoras, tout en soulignant que la rhétorique de Tertullien n’avait pas pour but de flatter les autorités60 et que, dans ses ouvrages polémiques, la défense du christianisme était accompagnée toujours d’une réfutation du paganisme61.
- 62 J.-Cl. Fredouille, op. cit., p. 31.
- 63 L. Pernot, op. cit, p. 69.
35Tertullien ne manquait pas de critiquer le langage fallacieux et mensonger de ses adversaires dans son Apologétique. Cela en dépit du fait que son ouvrage ait été en bonne partie rédigé conformément aux canons classiques de la rhétorique. Tertullien s’en prenait à ses adversaires en affirmant ainsi : « Qui donc osera nous réfuter, non pas par les artifices du langage, mais par des arguments qui reposent, comme les nôtres, sur la vérité » (XL, 6, 1). À cet effet, Fredouille ne manque pas de souligner que Tertullien « […] ne fait qu’adapter l’antique opposition platonicienne entre une éloquence fondée sur la vraisemblance, qui recourt à l’illusion et à l’artifice pour produire la persuasion et l’éloquence philosophique fondée sur la vérité qui a pour mission de transmettre. C’est l’enseignement du Phèdre qui est sous-jacent ici, schématisé seulement en formule antithétique. Les hérétiques ont remplacé les sophistes, la vérité chrétienne s’est substituée à la philosophie62 ». Pour sa part, Pernot décrit l’Apologie de Socrate comme un « […] modèle de plaidoyer conforme aux exigences philosophiques […] »63. Au demeurant, Platon fait dire à Socrate que les arguments déployés durant les procès ne doivent pas séduire le juge et le public : « […] Il faut l’éclairer et le convaincre […] » (24) du fait que « le juge ne siège pas pour faire de la justice une faveur, mais pour décider ce qui est juste. Il a juré, non pas de favoriser qui bon lui semble, mais de juger suivant les lois (24) ».
36Socrate prend ses distances à l’égard du langage des tribunaux quand il affirme : « […] je suis vraiment étranger au langage qu’on parle ici » (I, 1). Et : « […] je suis orateur, mais non à leur manière. Quoi qu’il en soit, je vous répète qu’ils n’ont rien dit ou presque rien qui soit vrai. Moi au contraire, je vous dirai l’exacte vérité […] ; ce ne sont pas des discours parés de locutions et de termes choisis et savamment ordonnés que vous allez entendre, mais des discours sans art, faits de premiers mots venus […] » (I, 1).
37Ce n’est pas un hasard si Tertullien, dans l’Apologétique, compare la situation de Socrate à celle d’un chrétien persécuté. Les chrétiens tout comme Socrate étaient accusés de corrompre les mœurs et d’athéisme à l’égard de la religion païenne. Tertullien affirme que la condamnation de Socrate est la preuve : « […] que depuis longtemps, ou mieux depuis toujours, la vérité est en butte avec la haine » (14, 7) et, en guise d’avertissement aux persécuteurs des chrétiens, il affirme aussi qu’en condamnant Socrate, « les Athéniens se repentirent de leur sentence, ils frappèrent plus tard les accusateurs de Socrate et lui élevèrent une statue d’or dans un temple : en abrogeant leur sentence ils rendirent leur approbation à Socrate » (14, 8).
- 64 Minucius Felix, Octavius, éd. J. Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1964.
38Tertullien critique la rhétorique de ses adversaires en les accusant de ne pas avoir d’arguments et de cacher leur faiblesse derrière un langage fallacieux et séduisant Ce genre de critique, d’abord portée par Tertullien, deviendra par la suite un motif omniprésent dans l’ensemble des ouvrages de la patristique africaine. Ce fut d’ailleurs le cas de Minucius Felix qui s’est livré à une attaque sans merci de la rhétorique fallacieuse des avocats dans l’Octavius64, le seul dialogue qui nous soit parvenu. Dans ce texte, Minucius Felix incarne la figure d’un juge arbitrant un débat entre le chrétien Octavius et le païen Caecilius. S’adressant à l’avocat païen après que celui-ci eut terminé son plaidoyer, il tint les propos suivants : « Abstiens-toi […] de triompher à ses dépens : en effet il ne convient pas que tu te réjouisses de la belle ordonnance de tes propos avant que les deux partis aient pleinement fini de parler, d’autant plus que votre discussion n’a pas pour but la gloire, mais la vérité » (14, 2) en ajoutant : « […] une chose me trouble profondément, non pas dans le débat présent, mais dans toute discussion en général, c’est de voir très souvent la condition de la vérité, même la plus claire, changer en fonction de la force des interlocuteurs » (14, 3). D’où la conclusion que « cette situation a pour cause évidente la légèreté des auditeurs qui, en se laissant détourner par la séduction des mots, […] approuvent sans discernement toutes les paroles et ne distinguent pas le faux du juste, sans savoir qu’il y a du vrai dans l’incroyable et du mensonge dans le vraisemblable » (14, 4). Minucius Felix conclut enfin son réquisitoire contre la fausse rhétorique dans les termes suivants : « Aussi tenons-nous sur nos gardes en voyant une discussion menée de part et d’autre avec acharnement et d’un côté une vérité le plus souvent obscure, dans l’autre camp une subtilité étonnante qui imite plus d’une fois, grâce à la richesse de l’expression, la force persuasive d’une démonstration incontestée, et pesons chacun des arguments avec toute l’attention possible, pour pouvoir louer sans doute leur ingéniosité, mais trier, approuver, adopter ceux qui sont justes » (14, 7).
39Cyprien de Carthage fait également partie des auteurs qui se sont livrés à ce genre de critique. Dans sa lettre adressée à Donat (Ad Donatum 2), l’évêque de Carthage critique la rhétorique pratiquée dans les tribunaux en la présentant comme un art asservi uniquement aux ambitions humaines. Selon lui, le langage utilisé dans les tribunaux demeure à l’opposé de ce que devrait être le langage utilisé par l’orateur chrétien, qui par contre se devait être clair et sincère dans la mesure où c’était la foi qui devait prouver les faits et non pas l’éloquence (Ad Donatum 2).
- 65 Arnobe, Contre les gentils, Paris, (éd. H. Le Bonniec), Paris, 1982, p. 183.
40Dans la même veine, Arnobe se livre lui aussi à une critique du langage des rhéteurs. Tout comme Cyprien, Arnobe a été influencé par Tertullien et reprend le thème de la critique de la rhétorique profane dans sa polémique Contre les Gentils65 (Adversus nationes), dans les termes suivants : « […] ces récits ont été écrits par des hommes ignorants et incultes […] » (I, 58, 2) en ajoutant : « C’est que la vérité n’a jamais cherché à se farder. Et ce qui est prouvé et certain ne souffre pas les circonlocutions de trop longues périodes. Syllogismes, enthymèmes, définitions et tous ces ornements par lesquels on cherche à rendre croyable une affirmation, tout cela est une aide qui forme des conjectures, mais ne révèle pas nettement les traits de la vérité […]. D’ailleurs, celui qui sait de quoi il s’agit ne définit pas de syllogismes et ne recherche pas les autres artifices oratoires […] » (I, 58, 2).
- 66 Lactance, Institutions divines, Livre V, Tome I, éd. P. Monat, Paris, édition du Cerf, 1973.
41De son côté, Lactance développe un critique de la rhétorique profane qui présente des traits d’originalité. Tout en critiquant lui aussi le langage fallacieux de la mauvaise rhétorique pratiquée par ses adversaires, qu’en l’occurrence il compare au « […] miel qui recouvre du poison66 » (V, 1, 11), Lactance exhorte les rhéteurs chrétiens à ne pas laisser un si redoutable instrument dans les mains de leurs adversaires. Il défend donc de façon explicite l’importance que devait revêtir l’art de la belle parole qui selon lui n’était pas nuisible à la « religion et à la justice » (V, 1, 11). Selon Lactance, les chrétiens ne doivent pas être désarmés face à des philosophes qui par contre utilisent une rhétorique pour répondre leurs mensonges, et il met en garde le lecteur en affirmant : « […] ce qui rend pernicieux philosophes, orateurs et poètes, c’est qu’ils peuvent facilement prendre au piège les esprits qui ne sont pas sur leurs gardes, par le charme de leur prose et les rythmes de leurs poèmes aux accents séduisants » (V, 1, 10).
- 67 Ibid.
- 68 Ibid.
42Tertullien a avancé des idées similaires à celles de Lactance dans sa polémique qui l’opposait aux juifs. Comme le souligne Fredouille, Tertullien admet de façon timide que « […] la vérité n’est pas naturellement un objet d’accord […] » (V, 1, 10) et par conséquent celle-ci a « […] besoin, elle aussi, du secours de l’art de persuader67 » et du fait que « face à des adversaires hérétiques qui ont fait un mauvais usage, Tertullien reconnaît que la vérité ne peut pas toujours se passer des ‘longs discours’ et des séductions de la rhétorique […] »68.
43Le thème de l’utilité de la rhétorique est présent dans l’œuvre d’Augustin précisément dans le quatrième livre de la De doctrina christiana, dans lequel le Père de l’Église conseille aux chrétiens de se servir de la rhétorique (IV, 2, 3) et de ne pas laisser la rhétorique aux adversaires du christianisme (IV, 2, 3) qui pour leur part utilisent cet art pour propager l’erreur (IV, 2, 2, 3).
- 69 Chr. Mohrmann, « Saint Jérôme et Saint Augustin sur Tertullien », in Vigiliae Christianae 5-2 (1951 (...)
44Lactance ne se limite pas à critiquer le langage de ses adversaires, mais, de façon originale, il critique les limites des Pères de l’Église qui l’ont précédé. C’est ainsi qu’il écrit dans ses Institutions divines que Minucius Felix « […] aurait pu être un excellent apologiste de la vérité s’il s’était totalement adonné à cette tâche » (V, 1, 22), que Tertullien était un « […] maître en tous les genres littéraires » (V, 1, 22), cela malgré le fait que « […] son éloquence était un peu échevelée et fort obscure » (V, 1, 23). Seul Cyprien trouva grâce à ces yeux pour la raison qu’il il fut le « […] seul qui dépassa les autres et devint célèbre » (V, 1, 24), car ce dernier « […] dans son métier de professeur d’éloquence avait acquis une grande renommée et composé un très grand nombre d’œuvres admirables en leur genre » (V, 1, 24). Nous soulignons cependant que Lactance a été le premier auteur chrétien d’Afrique à citer Tertullien en référence. En effet, bien que l’influence de Tertullien soit palpable dans l’œuvre de Cyprien et d’Arnobe, aucun des deux n’a osé le citer explicitement. Mohrmann explique ce silence par l’adhésion de Tertullien, durant les dernières années de sa vie, à l’hérésie montaniste69.
45Ainsi, tout comme Tertullien, Lactance s’était livré à une critique de la rhétorique profane. Tertullien a véhiculé l’idée que la nouvelle rhétorique devait se différencier de son homologue profane sur le plan de la clarté du langage. Lactance pour sa part a tranché la question qui se posait sur le plan moral en arguant qu’il est légitime pour un chrétien de défendre sa religion à travers des arts profanes tels que la rhétorique. Dans les pages qui suivent nous verrons que ce fut bien à travers l’art de la rhétorique que Tertullien et Lactance ont critiqué le droit romain et développé leur réflexion philosophique sur le concept de justice et de loi naturelle.
2. La critique du droit romain à travers la rhétorique
46Tertullien et Lactance ont développé leur critique du droit ainsi que leur réflexion autour de la loi naturelle et de la justice par le biais de l’art de la rhétorique. Tertullien a posé les fondements de cette approche sur à travers la dénonciation des persécutions auxquelles étaient soumis les chrétiens afin de légitimer le christianisme sur la plan juridique (2.1.). Cette approche critique par la suite fut en partie reprise et raffinée par Lactance qui visait au dépassement du droit romain en vue de sa christianisation (2.2.).
2.1. Tertullien et la légitimation juridique du christianisme
47En dépit du fait que Tertullien ait mené une critique acharnée à l’encontre du droit romain, ce dernier a fait maintes fois référence à cet art afin d’atteindre les trois objectifs suivants : l’apologie des chrétiens (1), l’affirmation d’une nouvelle loi naturelle et d’une justice chrétienne (2) et enfin la consécration d’une nouvelle coutume (3).
2.1.1. L’apologie des chrétiens
- 70 L’ouvrage est structuré à travers un exorde (c. 1-3), une proposition et une division, (c. 4), une (...)
48L’Apologétique est une œuvre fondamentale pour comprendre la pensée juridique de Tertullien. Dans cet ouvrage polémique ce Père de l’Église critique la législation antichrétienne et les procédures auxquelles étaient soumis les chrétiens lors de leurs procès. C’est à travers cette polémique que Tertullien développa sa propre vision de la loi naturelle et de la justice. Tertullien a entamé sa critique du droit romain à travers les canons classiques de la rhétorique70.
- 71 H.-H. Hasso Jaeger, op. cit, p. 483.
49Tertullien, afin de prouver l’innocence des chrétiens devant les accusations dont ils faisaient l’objet, lança un réquisitoire à l’encontre des lois antichrétiennes ainsi et plus généralement des injustices et des persécutions que subissaient les chrétiens. Dans le cinquième livre dans l’Apologétique, en guise de praemunitio visant à anticiper les contre arguments de ces adversaire, Tertullien a mené une réflexion philosophique autour de la notion de droit naturel et de justice. C’est ainsi que Tertullien entama sa propre réflexion philosophique sur la notion de droit et de justice en critiquant les persécutions auxquelles les chrétiens étaient soumis non seulement sur le plan purement légal, mais aussi sur le plan de l’équité. À cette fin, Tertullien déploya un argumentaire qui faisait coexister des éléments juridiques et théologiques71.
- 72 « Magistrats de l’Empire romain, qui présidez pour rendre la justice, dans un lieu découvert et émi (...)
- 73 « Le motif qui paraît excuser cette iniquité est précisément celui qui l’aggrave et qui la confond, (...)
- 74 T. D. Barnes, op. cit., p. 28.
50Dans son exorde, Tertullien s’adresse aux juges et aux gouverneurs des provinces sur un ton provocateur pour dénoncer la cruauté des procédures persécutoires que devaient subir les chrétiens72 Tertullien affirme que leur silence et leur passivité montrée à l’égard de ces persécutions pouvaient s’expliquer uniquement par leur ignorance des faits en question73. Une idée était présente dans un autre ouvrage polémique de Tertullien intitulé l’Ad nationes, qui était inspirée par les œuvres l’Apologétique de langue grecque (aujourd’hui perdue) écrite par Meliton et de Mitiade74.
51Dans l’Apologétique Tertullien se lanca dans une critique acharnée vis-à-vis des lois antichtériennes et des procédures judiciaires persécutoires contre les chrétiens. Cependant Tertullien a souvant sacrifié à sa verve rhétorique la veridicité des faits qu’il raconte et qui ont été en partie réfutés par l’historiographie du droit romain.
52Tertullien soutient d’abord l’idée que les chrétiens aient été condamnés sur la base d’une législation antichrétienne qui punissait le fait d’être chrétien comme étant délit en soi, une idée que l’auteur a soutenu par ailleurs dans ses ouvrages polémiques de l’Ad nationes (1, 6, 4), ainsi que dans le De fuga ou il parle de Christianum legibus humanis reum (12, 9). Des lois antichrétiennes qui aurait été adoptées par trois empereurs romains, Tibère, Néron et Trajan, que Tertullien qualifie d’hommes : « […] injustes, impies et infâmes » (5, 4). Les lois en question étaient par ordre d’ancienneté, le rescrit de l’Empereur Tibère suivi de l’institutum neronianum de Néron et enfin la lettre que Pline a adressée à l’Empereur Trajan (Apol 2, 7-8).
53L’existence de loi antichrétienne dans la période où Tertullien avait écrit l’Apologétique est un propos qui a été nuancé par l’historiographie du droit la plus récente, qui a remis en question certaines idées que nous retrouvons dans les ouvrages polémique de Tertullien. Sans avoir la prétention d’être exhaustif dans un sujet aussi complexe et encore débattu, il est nécessaire de souligner que la littérature apologétique de Tertullien vit le jour au cours d’une période historique des persécutions des chrétiens qui précédèrent l’adoption du décret antichrétien par la main de Decius au cours de l’année 250 ap. J.-C.
- 75 Laura Solidoro Maruotti, Profili storici del delitto politico, Napoli, Jovene, 2002, p. 81
54Solidoro a critiqué l’idée véhiculée par Tertullien selon laquelle au cours des deux premiers siècles de notre ère les chrétiens auraient été persécutés sur la base des lois antichrétiennes ayant une portée territoriale générale, de même que l’idée selon laquelle ces lois sanctionnaient le christianisme comme étant un délit en soi sur la base du fameux nomen christianorum, nomen (Apol. 2, 3). La raison en était que la première loi antichrétienne avait été adoptée au cours de l’année 250 ap. J.-C par Decius75, comme nous l’avons rappelé plus haut, c’est-à-dire au cours d’une période successive à celle où avait vécu Tertullien.
- 76 Ibid., p. 82.
55À l’époque où avait été rédigé l’Apologétique ainsi que l’ensemble des œuvres polémiques de Tertullien, les chrétiens étaient persécutés sur la base de décrets adoptés par des gouverneurs. Ces décrets avaient une portée territoriale limitée, décrets que les rédacteurs du Code théodosien et du Corpus iuris civil firent en sorte de faire tomber dans l’oubli en vue de la christianisation du droit romain76.
- 77 Ibid., p. 83.
- 78 Ibid., p. 80.
- 79 Ibid.
- 80 Felice Costabile, « I processi contro i cristiani e la coerenza giuridica di Traiano », in AAVV, Fi (...)
- 81 Laura Solidoro, op. cit., p. 89.
- 82 Ibid., p. 86.
- 83 Ibid., p. 86.
56Dans la période de Tertullien, les chrétiens étaient aussi persécutés sur la base de normes coutumières afin de preserver la religion romaine et de la défendre vis-à-vis des nouveaux cultes étrangers77. La religion traditionnelle romaine était identifiée aux mores majorum. Par conséquent, au cours des deux premiers siècles de notre ère le christianisme était vu comme une religon qui portait atteinte au mores maiorum et par conséquent aux fondements de l’Empire78. Cependant, ce culte bien que relativement toléré par les autorités provoquait l’hostilité des populations païennes79. C’est ainsi que la plupart des procés contre les chrétiens étaient entamés suite à des plaintes déposées par des individus communs. Au temps de Tertullien, le christianisme n’était pas un crime public mais un délit privé, poursuivi non pas à travers une procédure d’office mais à la suite de l’initiative des privés80. Par conséquent, le christianisme ne représentant pas un délit en tant que tel, comme le voulait Tertullien (nomen christianorum, Apol. 2, 3), les chrétiens étaient souvent persécutés sur la base de délits communs qui variaient au cas par cas. Les plus fréquents étaient le délit de lèse-majesté et de faligitia81 (acte honteux et vulgaire). C’était surtout les citoyens romains qui professaient le christianisme et le judaïsme à être les plus exposés aux persécutions en tant qu’apostats, à cause de leur refus d’adorer des divinités romaines, mais non pour cela coupables du délit de lèse-majesté82. Les citoyens romains ainsi que les chefs des églises étaient le plus susceptibles d’être contraints à renier leur foi sous peine de persécution, à l’inverse des simples fidèles provinciaux qui étaient dépourvus de citoyenneté romaine83.
- 84 Ibid., p. 85.
57Afin de défendre l’idée de l’existence d’une législation antichrétienne, Tertullien cite une série de sources juridiques. La première source en termes d’ancienneté à laquelle Tertullien fit référence était la relation que Pilate envoya à l’empereur Tibère, suite à la persécution des chrétiens en Palestine (Apol. 5, 39). Une relation que l’empereur Tibère, au cours de l’année 35 ap. J.-C., avait soumise au sénat pour l’officialisation de cette nouvelle religion. Le sénat ayant repondu négativement, Tertullien interpréta ce refus comme une autorisation à persécuter les chrétiens84.
- 85 Ibid., p. 102, Dario Annunziata, « Nomen christianum : sul reato di cristianesimo », Rivista di Dir (...)
- 86 Laura Solidoro op. cit., p. 102.
- 87 Ibid., p. 91.
- 88 Ibid., p. 103.
58Tertullien fit ensuite référence à la fameuse correspondance que Pline (111-113 ap. J.-C.), en tant que gouverneur de Bithynie (Epist. X, 96-97) avait adressée à l’empereur Trajan (II,6) ainsi qu’au rescrit de Trajan (II, 7). Dans ces lettres, Pline s’adressait à l’empereur Trajan en exprimant ses doutes à l’égard des procédures qu’il devait suivre dans les procès contre les chrétiens. Ce qui émerge de ce document est le fait que les chrétiens étaient soumis à de vrais procès qui respectaient la procédure de la cognitio extra ordinem85, que les chefs d’accusation contre les chrétiens étaient leur refus d’adorer l’empereur et enfin qu’ils se rassemblaient sans autorisation86. Cependant Tertullien, comme nous l’avons vu plus haut, soutenait que ces lois étaient appliquées au cours de procédure de police puisque l’accès à la justice ordinaire était nié aux chrétiens. Une thèse que le Père de l’Église avait reprise dans l’Ad Scapulam (5, 3) et le De Fuga (12, 9) et qui avait été par ailleurs soutenue aussi par Eusèbe (HE 3.33.2). Une thèse qui avait, au début du xxe siècle, influencé en outre l’historien allemand Mommsen pour qui les chrétiens étaient persécutés à la suite de l’initiative des foules et selon des procédures arbitaires qui se différenciaient du procés ordinaire87. Cette idée a été contestée récemment par Solidoro qui, en se basant sur le Acta Martyrum, soutient em revanche l’idée que les chrétiens avaient été soumis aux mêmes procédures que celles prévues par le droit criminel de l’époque. Ainsi les chrétiens étaient soumis aux procédures extra ordinem et non pas au simple ius coercitionis88.
- 89 Felice Costabile, op. cit., p. 1184.
- 90 Ibid.
- 91 Giuliana Lanata, Gli atti dei martiri come documenti processuali, Milano, Giuffre, 1973, p. 51.
- 92 Policarpe, 12.2, p. 103 libro ; Vettio Epagato dans le procès de Lyon 8, p. 127 (livre) et Vigellio (...)
- 93 L. Solidoro, op. cit., p. 103.
59Il émerge par contre du rescrit de Trajan ainsi que de la lettre de Pline (voir Pline, lettre 10, 82) que les chrétiens étaient condamnés sur la base du délit du crimen laesae Romanae religionis, un délit qui était effacé automatiquement au moment où l’accusé reniait sa foi chrétienne. Ce détail pourrait paraître anondin, mais ce n’était pas le cas du point de vue de la procédure à suivre. En effet, sous Trajan, le christianisme était un délit (delictum) public et non un délit privé et, par conséquent, ce délit était poursuivi, comme déja vu plus haut, sur la base d’une initiative des parties89. Costabile précise sur ce dernier point que cela demeure une nouveauté que Trajan a apportée au sein de la procédure de la cognitio extra ordinem90. Les procédures menées à l’encontre des chrétiens étaient en effet souvent sollicitées par les populations païennes en réaction au refus des chrétiens de participer aux rites sacrés, ainsi que par le mos maiorum91, idée que nous retrouvons chez Tertullien ainsi que dans les Actes des Martyres92. Le gouverneur procédait à la suite de plaintes officielles mais aussi de plaintes anonymes. Les accusés chrétiens, pour être innocentés du fait de professer leur religion, devaient démontrer au cours du procès leur adoration des dieux romains et faire preuve ainsi d’apostasie93, fait rapporté aussi dans le rescrit de Trajan.
- 94 G. Lanata, op. cit., p. 68
- 95 Ibid, p. 67.
- 96 Tert. Apol. 2, 2-5 ; 10, 2 , 13, 14, 16, 19 ; 4, 11 ; Ad. nat, 1, 2, 4-6 ; Justin, I Apol. 4, 3-4.
60Cela confirme en partie ce que Tertullien avait dénoncé au sujet de ces procès dans son Apologeticum, quand il écrivait que les chrétiens étaient obligés de renier leur foi (2, 3). En effet Trajan avait établi le principe selon lequel les chrétiens étaient condamnés uniquement si leur adhésion au christianisme perdurait jusqu’au moment du procès et au-delà. Ainsi les juges et les gouverneurs ne tenaient pas compte de l’adhésion des accusés au christianisme avant le déroulement du procès94. Par conséquent il suffisait aux chrétiens de renier leur foi pour être acquittés95. Le juge se limitait à poser à l’accusé la question suivante : « es-tu chrétien ? » et pouvait la réitérer au cours du jugement afin d’obtenir de lui la réponse qu’il voulait, le reniement de sa foi96.
61Pour le cas où le juge doutait de l’apostasie des accusés, Trajan avait trouvé une procédure qui lui avait été suggérée par Pline et qui consistait à faire confesser les chrétiens leur foi, en intimant l’accusé de faire un geste de vénération (supplicatio) aux dieux romains et à la figure de l’empereur (Plin. 10, 96, 5). Cette supplication qui était considérée comme un simple moyen probatoire à l’époque de Trajan devint par la suite une obligation sous le règne de Decius.
- 97 Pline le Jeune, Lettres. Tome IV : Livre X Panégyrique de Trajan, (tr. M. Durry) Paris, Les Belles (...)
62Sur ce point, Tertullien avait dénoncé dans son Apologétique le fait que cette confession rendait inutile le mécanisme du procès puisqu’elle ne servait pas à vérifier des faits qui se sont déroulés dans le passé, mais plutôt à extorquer aux accusés un reniement de la religion chrétienne. Selon lui, les procédures criminelles qui visent à contraindre les chrétiens à renier leur foi et qui les condamnent uniquement en tant que tels, le nomen juris, le nomen christianorum, nomen (2, 3), sans le moindre délit, allaient à l’encontre de la vraie justice. À cet effet, Tertullien fait clairement allusion au passage de la lettre de Pline le Jeune à l’Empereur Trajan97 quand il dit : « […] si l’on punit le seul nom de chrétien en l’absence de crimes ou les crimes qu’implique le nom » (10, 96-97).
63Tertullien critique les procédures contre les chrétiens et soutient que les modes de preuves comme les interrogatoires et la torture étaient non pas des moyens probatoires mais des simples sévices à partir du moment où ils étaient utilisés pour faire abjurer aux chrétiens leur foi. Ces moyens visaient à plier la volonté des chrétiens et à obtenir d’eux un mensonge plutôt qu’une vérité. Tertullien compare la procédure appliquée aux criminels de droit commun à celles qui étaient appliquées aux chrétiens. Dans le premier cas, quand les criminels confessent un délit durant les procédures interrogatoires les juges ne se prononçaient pas aussitôt (2, 4). En s’adressant aux juges il leur rappelle que dans ces cas : « […] vous l’interrogez aussi sur les circonstances, la qualité du fait, le nombre, le lieu, le mode, le temps, les témoins, les complices » (2, 5), « c’est seulement dans le cas où ces derniers : « […] nient, que vous leur appliquez la torture pour les faire avouer ; aux chrétiens vous l’appliquez pour les faire nier » (2, 10). Quant aux chrétiens, ils n’ont pas, selon Tertullien, le privilège d’être interrogés avant de subir des séances de torture. Dans leur cas, il ne s’agit pas d’un mode de preuve, mais d’un moyen de dissuasion à l’égard de leur conviction intime. Cela dit, ce n’est pas l’instrument de la torture en soi à faire l’objet d’une critique de la part de Tertullien mais plutôt son utilisation. En effet ce dernier conclut que la torture devrait selon lui ne servir « […] qu’à l’enquête » (2, 5) et non pas à devenir un « […] moyen de châtiment » (2, 5).
64Dans l’Ad Scapulam adressé à Julius Scapula Tertullus Priscus (consul d’Afrique en 195 et proconsul en 212-213), Tertullien offre une vision plus nuancée sur le comportement des proconsuls d’Afrique à l’égard des chrétiens, contredisant en partie ce qu’il avait soutenu dans son Apologétique. Ainsi Tertullien admet même que le proconsul Vigellius Saturniun Terullus avait été clément à l’égard des chrétiens (3, 4, l-4, 3) et que les chrétiens avaient le droit de se faire assister par des avocats au cours de leur procès (113).
- 98 Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens et sur la résurrection des morts, éd. R. Pouderon, Par (...)
65Cependant, comme le remarque encore Soldiro, Tertullien reste silencieux à l’égard des persécutions menées par l’empereur Marc Aurèle et va jusqu’à en tisser louange dans son Apologétique (5, 6). Ce silence est tout de même singulier, car, parmi les Pères grecs, Athénagore, dans l’exorde et dans le chapitre II de sa Supplique au sujet des chrétiens et sur la résurrection des mortsî, s’était adressé à l’Empereur Marc Aurèle afin de dénoncer ces persécutions98.
2.1.2. Une nouvelle loi naturelle, fondement d’une justice chrétienne
- 99 J. Lortz, Tertullian als Aploget, Münster, Aschendorff, 1927, p. 35.
- 100 C. Becker, Tertullian Apoplogeticum, München, Werden und Leistung, 1954, p. 290-293.
66Tertullien aborde les thèmes de la justice et de la loi naturelle dans l’exorde de l’Apologétique. Lortz99 et Beker100 soulignent que l’exorde de Tertullien, dans lequel il provoque les juges, n’avait pas un but purement épidictique, dans le sens où il n’était pas conçu uniquement comme une défense des chrétiens sur le plan judiciaire mais aussi comme l’occasion d’une réflexion autour du thème des rapports que la loi humaine devait entretenir avec la justice divine. Cette réflexion avait pour but de fixer les limites entre la loi humaine appliquée par les juges romains et la justice divine issue de la vérité (Veritas) conçue par le christianisme.
- 101 H.-H. Hasso Jaeger, op. cit., p. 483.
67Le thème de la justice été amplement développé aussi dans le cinquième livre de l’Apologétique en guise de critique préventive (praemunitio) vis-à-vis des arguments que les juges romains auraient pu opposer à l’auteur. Ce dernier, en guise de réplique préventive, entama une réflexion philosophique sur la notion de droit naturel et de justice, le tout à travers un argumentaire qui faisait coexister des éléments juridiques et théologiques101.
68Comme nous l’avons plusieurs fois rappelé, Tertullien aborde la question de la justice par le biais d’une approche critique. Ainsi Tertullien réfute d’abord l’argument de type légaliste selon lequel le juge se doit d’appliquer les lois même si celles-ci sont injustes. À ce genre de réponse, Tertullien réplique de la façon suivante : « […] quand vous posez, en vertu de la loi, ce principe, il n’est pas permis que vous existiez (Non licet esse vos) […] », il faut opposer la réflexion suivante : « Les lois étant humaines peuvent être erronées […] » (4, 5). « Les lois qui punissent un nom ne sont pas uniquement injustes, mais aussi insensées » (4, 11).
69Tertullien utilise un argument propre aux sophistes, à savoir que les lois changent dans le temps et que les lois du passé peuvent paraître absurdes aux contemporains. Tertullien cite plusieurs anciennes lois romaines abrogées. Désuètes, elles paraissent injustes à ses contemporains. Tertullien s’adresse aux juges dans les termes suivants :
« Et vous-même, tous les jours, quand la lumière de l’expérience éclaire les ténèbres de l’antiquité, ne fouillez-vous pas et n’émondez-vous pas toute cette vieille et confuse forêt de vos lois, en y portant de nouveaux rescrits et édits impériaux ? » (4, 7).
70Tertullien ajoute ensuite une série d’exemples dont l’un est la loi Pappia :
« La loi Papia [Poppaea], loi vaine et absurde, qui force à procréer des enfants avant le temps où la loi Iulia exige le mariage malgré l’autorité que lui donne sa vieillesse, n’a-t-elle pas été réformée par Sévère, le plus conservateur des princes ? » (4, 8),
71suivi par l’exemple de la procédure de la manus iniectionem : « Et puis encore, il existait autrefois des lois qui permettaient aux créanciers de couper en morceaux les débiteurs condamnés ; d’un commun accord, cette loi cruelle (crudelitas) fut plus tard abolie » (4, 9).
- 102 Poursuivant en ce sens, il pose la question dans les termes suivants : « Un tel illogisme doit vous (...)
72En somme, la loi en soi est très loin d’être à elle seule une garantie de justice. En conséquence, rien n’empêche l’abrogation ou la non-application des lois qui légitiment la persécution des chrétiens, selon Tertullien. Pour lui, le juge qui applique une loi qui s’attaque uniquement à la foi « nomen juris » et non pas à un crime, en vue de leur « […] faire perdre le nom de chrétiens […] » (3, 1) est un juge qui applique une loi qui est le fruit d’une haine « aveugle » (3, 1). Pour Tertullien, un tel juge devrait se poser la question de savoir s’il n’est pas devenu un simple instrument d’un pouvoir tyrannique102.
73Tertullien utilise encore une fois une un argument des sophistes grecs qui soutenaient que les lois étaient souvent le reflet de rapports de force. Par contre il demeure une différence entre Tertullien et ces derniers. En effet la critique des sophistes visait à nier l’existence d’une loi naturelle ou même l’idée de justice. Par contre Tertullien, loin de vouloir réfuter l’existence de ces deux concepts, voulait prouver que seul les chrétien possède la vraie loi naturelle et la vraie notion de justice. Tertullien condamne donc les peines injustes infligées aux chrétiens car elles sont en opposition à la justice divine et il affirme ainsi : « Car il n’est pas de faute que le martyre ne fasse […]. Telle est la contradiction entre les choses divines et les choses humaines : vous nous condamnez, Dieu nous absout » (49, 16).
- 103 Tertullien affirme clairement : « Quand d’autres sont accusés de tous ces crimes dont on nous accus (...)
74Tertullien ne se limite pas à donner à la notion de justice une signification idéale, mais il lui confère également un sens juridique. Pour Tertullien, la justice doit se manifester aussi dans le monde d’ici-bas au sein des tribunaux. Ces derniers doivent respecter le droit au contradictoire, accordé aux criminels de droit commun mais pas aux chrétiens103.
75Cet idéal de justice se traduit simultanément dans un idéal de solidarité humaine qui doit régir les rapports sociaux. Tertullien fait sien l’idéal cicéronien d’humanitas ou, plus précisément, l’idéal d’un humanisme régi par la même loi naturelle. Selon Tertullien, cette loi de la nature est valable pour l’ensemble de l’humanité et pas uniquement pour les chrétiens. En ce sens, Tertullien s’adresse aux accusateurs dans les termes suivants : « Or, nous sommes même vos frères, par le droit de la nature, notre mère commune (iure naturar matris unius) » (39, 9).
- 104 J. Lagouanère, op. cit., p. 106.
- 105 Ibid, p. 108l.
76Tertullien traite du thème de la justice dans l’Ad nationes, dans lequel il critique le rescrit de Trajan (Ad. nat. 2, 7) ainsi que dans le De spectaculis où il définit la justice comme étant le seul droit conforme à la raison (De spect. 19, 3). Selon Tertullien, les païens ne connaissent pas la vraie loi naturelle et la vraie justice, seuls les chrétiens peuvent la connaître104. La philosophie du droit de Tertullien est redevable au stoïcisme romain pour ce qui est de sa vision de la loi naturelle et de la justice. C’est ainsi que dans le De spectaculis, Tertullien donne une conception de la justice qui s’inspire de la notion stoïcienne de koinai ennoiai105 (De spect. 2, 4).
- 106 Dunn remarque qu’à cette fin Tertullien développe son argumentation par le bais d’une série d’enthy (...)
- 107 Nous trouvons un exorde chez Tertullien (Ad. Iud. I, 1-3a) qui contient une narration des faits qui (...)
77La question de la loi naturelle est amplement traitée dans l’ouvrage polémique intitulé Adversus Iudaeos, conçu afin de de fournir aux chrétiens de Carthage un catalogue d’arguments à opposer aux juifs en cas de litige autour de la compréhension des Écritures et de la loi divine. Tout comme c’était le cas pour le thème de la justice, Tertullien appréhende ainsi celui de la loi naturelle à travers une approche critique106 et à travers le schéma classique de la rhétorique107.
- 108 Ibid., p. 155.
- 109 Ibid., p. 116.
- 110 Ibid., p. 117.
78À travers la polémique vis-à-vis des communautés juives de Carthage, Tertullien vise à différencier la nouvelle loi naturelle de celle de l’Ancien Testament. Pour cela Tertullien utilise plusieurs antithèses afin de marquer ces différences. Dunn précise sur ce point « old contrasts with new, physical with spiritual, and temporary with permanent »108. Dans la Confirmation (6, 2-14, 10) ,Tertullien utilise une série d’exemples et de figures, élément constant de la rhétorique africaine et présent dans l’ouvre de Fronton et d’Apulée pour réfuter les arguments classiques fréquemment utilisés par les Israélites dans les débats qui les opposaient aux chrétiens, autour de question telles que la loi (Tert. Ad. Iud. 21b-10a), la circoncision (2, 10b-3, 6), le sabbat (4, 1-11) et les sacrifices (5, 1-7). Le but principal de la Confirmation était de prouver qu’un nouvel accord entrait en vigueur109 et que les juifs attendaient cette loi110. C’est ainsi que dans la Confirmation (19), Tertullien expose sa vision de la loi naturelle en partant de la considération selon laquelle les lois, tout comme la philosophie, « […] ont tiré leur commencement de la loi et de la doctrine divines (19, 4) ». Les lois auxquelles se réfère Tertullien sont les lois physiques et non pas les lois humaines. La doctrine de la loi naturelle de Tertullien est complexe, voire confuse. L’auteur laisse sous-entendre, dans sa polémique avec les communautés juives de Carthage, que la loi naturelle ne coïncide pas avec la loi divine. Cela dit, Tertullien ne prend pas la peine de définir de façon précise et systématique les rapports que cette loi naturelle entretient avec la loi divine, ni avec la nouvelle idée de justice et de droit.
- 111 Jean-Claude Fredouille, op. cit., p. 267.
79Fredouille ne manquera pas de souligner à ce sujet que contrairement à l’Apologétique où la nouvelle loi divine chrétienne est conçue comme supérieure à la loi païenne, et explique que, dans l’Adversus Iudaeos, « Tertullien affirme plus la nouveauté du christianisme par rapport au judaïsme que sa supériorité sur celui-ci »111. Cependant la loi naturelle y est décrite comme préexistante à la première loi divine, la loi mosaïque. Cette loi naturelle est celle qui fut donnée à Adam et Ève. Tertullien parle alors d’une première loi non écrite et compréhensible de tous par le biais des lumières naturelles (II, 3, 7).
- 112 Dans son traité intitulé Les lois, l’Arpinate soutient l’idée que la loi naturelle est compréhensib (...)
- 113 Tertullien, La couronne du soldat, dans J.A.C. Buchon, H. Herluison (dir.), Choix de Monuments prim (...)
80L’idée d’une la loi naturelle comme recta ratio est aussi clairement inspirées de la philosophie du droit de Cicéron112. En effet, Tertullien reprend la notion cicéronienne de loi naturelle et de rationalité intrinsèque à la nature quand il affirme, dans la Couronne du soldat113, que la loi naturelle est « […] cette commune loi en place publique de l’univers gravée dans tous les tableaux de la nature […] » (4), une définition qui sera reprise aussi par la suite par Lactance.
- 114 Le lien entre loi naturelle et rationalité est présent dans l’œuvre de Sénèque. Ce dernier inclut q (...)
81Tertullien cite aussi le passage de la Lettre aux Romains dans laquelle l’Apôtre Paul affirme « Nature ne nous l’enseigne-t-elle pas ? (4) » suivi par le passage suivant de l’Apôtre : « […] que les gentils font par nature ce que la loi commande […] » (4). Tertullien voit dans ces deux passages une définition de la loi naturelle et de la nature légale. Il relie par une clé stoïcienne le rapport entre loi et nature décrit par Paul dans les Évangiles114.
- 115 J.-Cl. Fredouille, op. cit., p. 258.
- 116 Ibid., p. 256 et suivantes.
- 117 J. Daniélou, Les origines du christianisme latin. Histoire des doctrines chrétiennes avant Nicée, P (...)
- 118 R. Uglione, Tertulliano. Teologo e scrittore, Brescia, Éditions Morcelliana, 2001, p. 60.
- 119 J.-Cl. Fredouille, op. cit., p. 260.
- 120 J. Lagouanère, op. cit., p. 109.
- 121 Ibid.
82Selon Tertullien, la loi naturelle demeure éternelle et ne peut même pas être abrogée par la volonté de Dieu tandis que la loi divine est sujette à des changements. Autrement dit, la loi divine est semblable aux lois humaines. Ce qui est une apparente contradiction. À ce sujet, Tertullien laisse entendre, dans sa Polémique contre les juifs, que la première loi mosaïque n’a pas été abrogée mais plutôt amendée et que le résultat obtenu est la nouvelle loi divine, c’est-à-dire la nouvelle loi chrétienne qui est le résultat d’une amélioration de la première115. Fredouille116, Daniélou117 et Uglione118 soutiennent ainsi que, dans cette démarche, Tertullien applique le principe stoïcien de la προκοπή (prokopé, progrès) pour la raison que ce dernier a soutenu l’idée de l’existence d’une continuité entre la loi mosaïque et la nouvelle loi divine (II, 6, 7). Ces arguments ainsi relevés seront présents à nouveau dans son Traité du Baptême dans lequel il développe l’idée selon laquelle les lois les plus récentes prévalent sur les lois précédentes (De Baptesimo 13). Ce faisant, Tertullien ne cherche pas à nier la portée normative de l’Ancien Testament. Il le prouve d’ailleurs par sa prise de position sur les thèses marcionites dans la polémique intitulée Adversus Marcionem où il utilise cette fois, contre les marcionites, l’argument qui voit dans la loi mosaïque une évolution de la loi naturelle. Fredouille remarque à ce propos que Tertullien a été le premier Père de l’Église à avoir présenté l’économie du salut en termes philosophiques et en utilisant des métaphores stoïciennes comme celle du développement biologique119. Cependant la vision de Tertullien de la loi naturelle est en partie redevable à celle de Justin. Sur ce point Lagouanère a récemment souligné que cette influence se situait, d’une part, autour de l’idée de l’existence d’un rapport de continuité que la loi naturelle chrétienne entretenait avec la loi de Moise, surtout là où Justin affirmait que tous les justes de l’époque vétéro-testamentaire auraient été sauvés120 (Dial. 45, 3-4) et, d’autre part, dans la critique de l’injustice de certaines lois « barbares » - comprendre « païennes » - qui oppriment les principes de l’équité naturelle, exprimée au contraire dans l’enseignement du Christ121 (Dial. 98).
83Nous voyons ainsi que Tertullien aborde la question la justice et de la loi naturelles en s’inspirant des thèses des philosophes païens mais, tout autant, en soulignant les limites de leurs théories car seuls les chrétiens possèdent la vérité. Cela s’explique, comme nous l’avons vu, par le fait que Tertullien a entretenu avec la philosophie païenne un rapport d’instrumentalité. Néanmoins, comme on peut le voir, la rhétorique a fourni à Tertullien un moyen qui lui permettait en même temps de réfuter les arguments de ses adversaires et de développer une spéculation philosophique autour de notions clés de la philosophie du droit telles que la justice et la loi naturelles. Tertullien pose également les questions théologiques et philosophiques selon une approche méthodologique propre aux rhéteurs, c’est-à-dire par le biais de la résolution de cas concrets qui se sont véritablement présentés ou qui sont vraisemblablement susceptibles de se présenter. L’Apologétique et la Polémique contre les juifs de Tertullien agissent en tant que controversiae, à savoir des exercices de rhétorique pouvant être enseignés dans les écoles de rhétorique que Tertullien a fréquentées. Ces exercices constituent des simulations de controverses juridiques ou de procès auxquels les étudiants doivent prendre part en tant que rhéteurs. Tertullien préfère exposer sa vision du droit à la façon des rhéteurs par le biais de lieux communs. Ces arguments sont sciemment rédigés afin de permettre aux chrétiens de soutenir des arguments pro et contra dans les débats susceptibles de les opposer à des adversaires. Par exemple, comme nous l’avons déjà rappelé, Tertullien oppose l’argument juridique de la prescription aux marcionites dans sa polémique intitulée Sur la prescription des hérétiques, alors qu’il oppose celui de l’exhérédation et de l’abrogation de la loi mosaïque par une nouvelle loi divine dans sa Polémique contre les juifs. Tertullien n’utilise pas le même argument parce que les juifs auraient pu le détourner en leur faveur, étant donné l’ancienneté de leur loi divine. C’est donc en juriste et en rhéteur que Tertullien aborde les questions théologiques. Le droit lui donne des arguments et la rhétorique lui fournit une méthode pour les exposer. La loi divine est, pour Tertullien, un droit qui contient l’origine de toute la sagesse humaine affirmant également que la philosophie a eu son commencement dans « la loi et la nature divines » (19, 5).
- 122 J. Tixeront, Histoire des Dogmes dans l’Antiquité chrétienne, 7e édition, Paris, Victor Lecoffre, 1 (...)
- 123 J. Gaudemet, « La place de la tradition dans les sources canoniques (IIe-Ve siècles) » in J. Gaudem (...)
84Trixeron affirme que Tertullien était « […] un avocat qui voyait avant tout dans le christianisme un fait et une loi. Le fait, il fallait l’établir et le comprendre ; la loi, il fallait l’interpréter et surtout l’observer »122. Gaudemet de son côté définit Tertullien comme étant « […] le premier auteur chrétien à utiliser la technique juridique romaine dans une construction théologique »123.
- 124 Davier dans sa thèse a recensé, par l’outil informatique de l’index thématique, les termes juridiqu (...)
- 125 H. J. Albert, « The influence of Roman contract law on Early Baptesimal Formulae (Tertullian, Ad ma (...)
- 126 F. Davier, op. cit., p. 209.
85Nous avons vu que Tertullien utilise beaucoup le vocabulaire issu du monde du droit124. Cette référence reste tout de même instrumentale - car elle vise à la défense des intérêts des chrétiens - et parfois imprécise - le vocabulaire juridique est utilisé à titre de métaphores. C’est ainsi que Tertullien résout des débats théologiques en utilisant des termes ressortissant au vocabulaire juridique romain. Nous avons l’exemple dans l’Ad Martyras (3) dans lequel Tertullien assimile le baptême à l’institution du droit privé du sacramentum125. Dans le De baptesimo (6, 2), Tertullien se réfère à l’institution de droit privé de la stipulatio ou de la sponsio pour décrire le lien qui s’établit entre le Saint-Esprit et le chrétien au moment du baptême et, enfin, il va jusqu’à utiliser le terme juridique romain d’instrumentum (preuve écrite) pour désigner les Évangiles (Adv. Hermogenem 20, 4). Tertullien fait précisément le choix d’utiliser le terme d’instrumentum pour désigner les Écritures et non pas celui de Codex ou ius, ce qui s’explique par une volonté de créer un droit qui se différencie du droit romain, tout en étant conscient du fait que ce terme aurait pu être utilisé pour engager une procédure contre ses coreligionnaires chrétiens126.
- 127 Quinto Settimio Fiorente Tertulliano Apologia di Tertulliano, La carne di Cristo, (intr. Cl. Moresc (...)
- 128 Afin de présenter les chrétiens comme de bons citoyens, Tertullien écrit dans son Apologétique que (...)
86Pour autant, Tertullien n’était pas hostile au droit romain et ne recherchait pas l’anéantissement de l’Empire romain. Au contraire, ce dernier était utile au christianisme dans la mesure où il servait à retarder le Jugement final127. Selon l’auteur de l’Apologétique, les chrétiens avaient tout intérêt à prier pour la conservation de l’Empire romain128.
- 129 J. Gaudemet, « La coutume en Droit Canonique », in La coutume. Europe occidentale médiévale et Mode (...)
- 130 J. Lagouanère, « Nisi naturali iure, non etiam familiari. Justice païenne et justice divine chez Te (...)
87Au fil du temps, Tertullien a été appelé à trancher sur certaines problématiques juridiques au sein des communautés chrétiennes. Par exemple, dans les ouvrages intitulés Du voile des Vierges et La couronne du soldat, Tertullien définit la notion de coutume. Gaudemet a souligné que Tertullien a été le premier auteur chrétien à traiter de façon précise la problématique du rapport entre les lois et les coutumes129. Lagouanère souligne sur ce point que Tertullien résout la question du ius scriptum et ius non scriptum en articulant « les liens conceptuels qui unissent lex, consuetudo, ratio et natura »130.
2.1.3. La consécration d’une nouvelle coutume
88Dans La couronne du soldat, Tertullien était interpellé sur la question de savoir si les chrétiens étaient autorisés à porter une couronne, au vu du fait qu’aucun texte biblique ne l’interdit. À la façon d’un jurisconsulte chrétien, Tertullien reprenait la définition de Salvius Julianus sur le rôle supplétif de la coutume (Digeste I, 3, 32) ainsi que la définition de la coutume que Cicéron avait donnée dans le De inventione, à savoir un droit « […] qui a été consacré par le temps, en raison du consentement général, sans la sanction de la loi. Il comporte même des principes qui, en raison de leur antiquité, ont pris une valeur juridique confirmée » (II, 67).
- 131 J. Gaudemet, « La coutume en Droit Canonique, in La coutume. Europe occidentale médiévale et Modern (...)
- 132 Saint Cyprien, Correspondance, tome II, texte traduit par le chanoine Bayard, Paris, Les Belles Let (...)
- 133 Ibid., p. 286.
- 134 J. Gaudemet, « La coutume en Droit Canonique », op cit., p. 148 n. 11.
89La définition de la coutume donnée par Tertullien a été reprise par Cyprien qui s’en est clairement inspiré afin de trancher la question du baptême des hérétiques. Dans ses lettres 74 et 75, l’évêque de Carthage soutient l’idée d’une supériorité de la nouvelle coutume chrétienne fondée sur la vérité et qui s’oppose à la coutume romaine basée, celle-là, selon lui, sur l’ignorance131. L’évêque de Carthage écrit ainsi que « […] à la coutume des romains nous opposons une coutume, mais la coutume de la vérité »132. Dans sa lettre 74, il écrit que « […] la coutume, qui s’est peu à peu établie chez quelques-uns, ne doit pas empêcher la vérité de prévaloir et de triompher. Car la coutume sans la vérité n’est qu’une erreur qui vieillit » (74, 9, 1-2)133. Cette opposition entre la coutume chrétienne et la coutume romaine s’explique par le fait qu’au cours des deux premiers siècles de notre ère, le christianisme était perçu comme une menace au mos majorum romain, comme nous l’avons déjà rappelé plus haut. Les considérations de Tertullien à l’égard de la coutume ont eu une influence sur la constitution de Constantin de 319134.
90Tout comme Tertullien, Lactance s’était penché sur les questions juridiques non seulement pour les critiquer, mais aussi pour les dépasser (2).
2.2. Lactance et la conversion du droit romain
91La critique du droit romain par Lactance était justifiée par la volonté du dépassement de ce dernier en vue de sa christianisation. Lactance, afin de démontrer les limites du droit romain, a mis en exergue ces limites à travers (1) la condamnation des persécuteurs des chrétiens et de leurs lois, (2) en remplaçant la loi naturelle des païens par la lex celestis chrétienne et enfin en annonçant l’avènement d’une nouvelle justice (3).
2.2.1. La condamnation des persécuteurs et de leurs lois
92Lactance était, avec Tertullien, le Père de l’Église qui s’était le plus penché sur des questions juridiques. Tout comme lui, Lactance s’était livré, dans son œuvre, à une apologie du christianisme et à une réflexion autour des notions de loi naturelle et de la justice. Lactance, au Ve livre de ses Institutions divines ainsi que dans son pamphlet intitulé La mort des persécuteurs, critiqua avec véhémence les lois antichrétiennes ainsi que les persécutions contre les chrétiens. Dans les livres V et VI de ses Institutions divines, il traita la question de la loi naturelle et de la justice.
- 135 Lactance, Institutions divines, Livre VI, éd. Chr. Ingremeau, Paris, Les éditions du Cerf, 2007, p. (...)
- 136 J. Gaudemet, op. cit., p. 47.
- 137 Lactance, Institutions divines, Tome I, Livre V, trad. Pierre Monat, Paris, Édition du Cerf, 1973, (...)
- 138 Ibid., p. 54.
93L’œuvre la plus importante de Lactance (305-310, 311 ou 313 ap. J.-C.135), intitulée les Institutions divines, est un ouvrage de théologie qui se compose de sept livres. Les livres V et VI contiennent plusieurs références au droit. Le choix même du terme institutio est inspiré des manuels de droit136. Dans son œuvre, Lactance adopte une rhétorique qui s’inspire du style utilisé par les rhéteurs déclamateurs et qui consistait à s’appuyer sur des exempla et des longues citations d’ouvrages de philosophes tels que Cicéron, Hermès Trismégiste, sans pour cela renoncer à la méthode des polémiques enseignée dans les écoles de rhétoriques137. La première approche lui a permis de présenter aux lecteurs une exposition systématique et rationnelle des questions théologiques et juridiques. Par contre, le style polémique lui a permis de réfuter les accusations des adversaires du christianisme. Monat souligne, à propos des Institutions divines, que « ce n’est pas seulement une institutio mais aussi un livre de combat »138.
- 139 Les persécuteurs du christianisme sont décrits comme étant des « gens qui boivent plus facilement l (...)
- 140 Les persécuteurs du christianisme sont accusés de ce qu’ils « se sont mis d’abord à détourner puis (...)
94Le livre V des Institutions divines de Lactance est inspiré de l’Apologétique et de l’Ad Scapulam de Tertullien, bien que l’auteur des Institutions divines eût pris ses distances vis-à-vis de Tertullien en affirmant que la rhétorique de ce dernier consistait uniquement « à se défendre et à nier » (V, 6, 3). Les livres V et VI présentent plusieurs points communs avec l’Apologétique de Tertullien. À l’instar de Tertullien, Lactance décrit les persécuteurs des chrétiens comme des êtres animés par l’ignorance et la cruauté139 et met en évidence leur avidité140. Tout comme l’auteur de l’Apologétique, Lactance critique les persécutions dont faisaient l’objet les chrétiens, en affirmant que celles-ci étaient le produit d’une justice fondée sur des lois iniques et injustes, des lois qui servaient d’alibi pour cacher la méchanceté de leurs auteurs (V, 6, 3). Il s’en prend à la tradition juridique romaine coupable d’avoir « […] inventé les magistratures, leurs vêtements de pourpre et les faisceaux pour fonder leur pouvoir sur la peur des haches et des glaives et, comme s’ils avaient des droits souverains, commander à des esprits frappés de terreur » (VI, 6, 5). Tout comme Tertullien, Lactance critique les lois antichrétiennes et donne un cadre précis à ces lois. Dans le cinquième livre de ses Institutions divines, Lactance s’en prend aux jurisconsultes romains responsables d’avoir mis leur art au service des persécuteurs des chrétiens et se réfère au jurisconsulte Severien Domitius Ulpien qui a commenté les rescrits impériaux antichrétiens en vue de fournir ainsi des fondements juridiques aux persécutions des chrétiens (V, 11, 18-19). Ces lois sont définies comme des lois impies (V, 11, 18), autrement dit un ensemble de « […] rescrits sacrilèges des princes pour montrer quels supplices devaient être utilisés contre ceux qui se proclamaient adorateurs de Dieu » (VI, 11, 19).
95Contrairement à Tertullien qui, dans son Apologétique, a souvent sacrifié la véridicité des faits et des sources juridiques, dans l’œuvre de Lactance les références juridiques demeurent plus précises et véridiques. Dans le pamphlet intitulé La mort des persécuteurs rédigé en l’an 320 ap. J.-C, Lactance se livre à une narration critique des persécutions contre les chrétiens au cours des siècles et donne une description détaillée de la législation antichrétienne de l’époque de Néron jusqu’à Dioclétien et, de manière détaillée, les édits antichrétiens que Dioclétien avait adoptés au cours des années 303 et 304 sous l’influence de Galérius, avec l’approbation du consistorium. Nous trouvons la description de l’édit de l’an 303 (13, 1) et de l’édit de la pacification de Galère de 311 (13, 34). Contrairement à Tertullien, Lactance cite également les sources juridiques favorables aux chrétiens ainsi que les lettres de Licinius (48).
- 141 Le premier édit ordonnait la destruction des Églises, la confiscation des biens des Églises et l’ex (...)
- 142 Lactance, De la mort des persécuteurs I, éd. Jean Moreau, Paris, Les éditions du Cerf, « Sources ch (...)
- 143 Ibid., p. 93.
96Lactance, en témoin des faits, nous informe que Dioclétien avait posé comme condition que ces décrets devaient être appliqués de façon modérée mais que les deux autres tétrarques, Maximien et Galérien, en avaient décidé autrement et appliquèrent les édits avec un certain zèle141. À la façon de Tertullien, Lactante dénonce les failles juridiques des procédures contre les chrétiens, comme leur punition en l’absence totale d’enquête et sans avoir fait le moindre aveu142 (15), comme également les arrestations qui « […] n’épargnaient ni l’âge ni le sexe » et qui « se terminaient par le bûcher »143 (14).
- 144 Ibid., p. 119.
- 145 Ibid.
- 146 Ibid., p. 103.
- 147 Ibid.
97Maximien était accusé par Lactance d’avoir donné aux magistrats les pleins pouvoirs d’arrêter les chrétiens et de leur interdire de tenir des réunions et enfin d’avoir mutilé et crevé les yeux aux confesseurs144 (36). Lactance dénonce la complaisance des juges qui imposaient le rite des sacrifices païens à l’ensemble de la population, y compris aux avocats145 (14) et témoigne aussi en faveur des juristes-rhéteurs et des jurisconsultes affirmant : » […] les avocats anéantis, les jurisconsultes exilés ou mis à mort, les belles-lettres mises au nombre des activités funestes, les lettrés brimés et exécrés à titre d’opposants et d’ennemis publics. Les lois avaient disparu : l’arbitraire régnait en tout et les juges avaient reçu libre carrière. On envoya dans les provinces, sans assesseurs, des juges militaires étrangers à toute culture » (22)146. Lactance conclut ainsi que « nul châtiment, avec lui, n’était léger : il ignorait la relégation dans une île, les prisons et les mines ; par contre, le feu, la croix et les fauces étaient monnaie courante. La mort par la lance était la punition des esclaves et des fonctionnaires du palais » (22)147.
98Lactance ne se limite pas à critiquer les lois antichrétiennes mais développe aussi sa propre réflexion sur sa nouvelle loi naturelle, la lex caelestis.
2.2.2. La lex caelestis
- 148 Lactance, Institutions Divines V, Tome l, éd. J. Monat, Paris, Les éditions du Cerf, 1973, p. 31.
- 149 Ibid., p. 30.
99Lactance a traité du thème de la loi naturelle et de la justice dans les livres V et VI des Institutions divines au moment où la chancellerie de Constantin, dont il fut le précepteur du fils, exhortait les juristes romains à rechercher une nouvelle définition de justice qui saurait s’harmoniser avec le message chrétien148, afin que les nouvelles définitions de justice et d’équité pussent dépasser le droit établi149.
- 150 J. Lagouanère, op. cit., p. 109.
100Dans son livre VI des Institutions divines, la question de la loi naturelle est définie et abordée sans l’emploi de lex naturalis mais celui de lex caelestis, ou de vera lex150. La philosophie du droit de Lactance est profondément redevable à l’œuvre de Cicéron. La définition de loi naturelle, présente dans le livre VI, reprend entièrement celle du livre 33 de la République de Cicéron (3, 33), un passage qui a été perdu et qui nous est parvenu grâce à la citation de Lactance. La loi naturelle y est définie comme étant une « loi véritable : la droite raison, conforme à la nature, diffuse en tous, constante, éternelle, dont les ordres appellent au devoir, dont les interdictions détournent du mal ; et pourtant, si ses ordres et ses interdictions ne s’adressent pas vainement aux bons, ils n’émeuvent pas les méchants » (VI, 8, 8).
- 151 Lactance, Institutions divines VI, trad. Chr. Ingremeau, Paris, Les éditions du Cerf, 7e édition, 2 (...)
101Cette loi ne pouvait pas être amendée et ne pouvait pas varier selon les lieux (Rome et Athènes), elle demeurait ainsi : « […] éternelle et immuable et régi[ssai]t tous les peuples » (VI, 8, 9)151. Cependant, tout en reprenant la définition de Cicéron, Lactance précise que seuls les chrétiens pouvaient connaître la lex caelestis puisque « le premier article de cette loi » consiste à « connaître Dieu » (VI, 9, 1). Ainsi, selon Lactance, la loi naturelle peut donc exister uniquement dans la foi chrétienne.
- 152 Ibid.
- 153 J. Lagouanère, op. cit., p. 110.
102Tout comme Tertullien, Lactance développe la notion de loi naturelle en s’inspirant de la philosophie stoïcienne. Cependant la différence entre les deux vient de ce que Tertullien était influencé par l’ancien stoïcisme et par le stoïcisme impérial152, tandis que Lactance l’était par le moyen stoïcisme ainsi que par le médio-platonisme153.
- 154 Bl. Colot, « La problématique de la justice dans les Institutions divines de Lactance », in A.-I. B (...)
103Toutefois, un autre point commun entre les deux pères de l’Église demeure dans le fait que Lactance, tout comme Tertullien, fait référence au concept d’humanitas et affirme ainsi que le message chrétien a établi un nouveau lien entre les êtres humains sur la base d’une nouvelle consanguinité qui trouve son fondement dans la notion d’aequitas chrétienne et que l’ensemble de l’humanitas est unie par une nouvelle parenté qui rattache l’homme à Jésus-Christ154 (VI, 10, 4). C’est sur cette nouvelle loi naturelle chrétienne qui dépasse son homologue profane que Lactance a bâti sa notion de justice fondée sur la piété et l’équité.
2.2.3. Le retour de la vraie justice comme piété et équité
104Lactance traite du thème de la justice dans les livres V et VI des Institutions divines. Sa vision de la justice se devait d’être en harmonie avec le message chrétien et de dépasser l’idée de justice théorisée par les philosophes païens. Lactance définit la justice comme étant « la vertu suprême, soit la source même de la vertu » (V, 5, 1). La piété et l’équité, d’après lui, sont « […] les veines profondes […] les deux sources » (V, 14, 11) d’où la justice doit découler. La piété qu’il définit en s’appuyant sur Hermès Trismégiste comme « la connaissance de Dieu » (VI, 14, 12) en est le principe et l’origine (VI, 14, 11) ; par contre l’équité qui est la faculté « de se mettre au niveau des autres » (VI, 14, 15) demeure le « fondement rationnel » de la justice (VI, 14, 11). Lactance précise enfin que, « si l’on modifie ces deux sources de la justice, toute vertu et toute vérité disparaissent, et la justice elle-même retourne dans le ciel » (VI, 15, 1).
105Malgré sa conviction que seuls les chrétiens peuvent comprendre pleinement la notion de justice, Lactance reconnaît tout de même le fait que les sages du passé ont eu aussi quelques bonnes intuitions autour de cette notion et que certains philosophes ont « […] compris que la justice n’était pas de ce monde et ils ont imaginé qu’offensée par les vices des hommes, elle avait quitté la terre et avait émigré au ciel » (V, 5, 2). Seuls les chrétiens pouvaient protéger la vraie justice, étant donné qu’ils possédaient la vérité. Lactance tisse de la sorte un lien entre la défense de la vérité et la défense de la justice. La vérité qui n’est pas défendue avec les armes appropriées est destinée à demeurer faible. De la même façon, une justice qui reposerait sur des spéculations philosophiques et non sur la « piété » et « l’équité », ne peut faire face aux attaques des sophistes et des sceptiques, précise Lactance. Pour ce dernier, les Grecs et les Romains n’ont pas pu conserver l’idée de justice « […] parce qu’il y avait chez eux des hommes de conditions différentes et de toutes classes, allant des indigents aux riches, des humbles aux puissants, des simples particuliers enfin jusqu’aux très sublimes puissances des souverains « (V, 14, 19).
- 155 Ibid.
106Lagouanère remarque aussi que, contrairement à Tertullien, chez Lactance l’anti-valeur de la iustitia n’est pas l’iniustitia mais l’utilitas155. C’est en faisant appel à l’utilitas que les adversaires de la justice ont réfuté l’existence même de la notion de justice. Lactance cite deux épisodes extraits de la République de Cicéron (3, 21 & 3, 27), celui du discours de Carnéade dans lequel il soutenait que les hommes avaient établi des lois en fonction de leurs intérêts et que celles-ci varient, apparemment selon les coutumes et les époques ; mais il n’existe pas de droit naturel (VI, 16, 1). Carnéade soutient aussi l’inexistence de la notion de justice car « tous les hommes et tous les êtres vivants sont portés naturellement à rechercher ce qui leur est utile » (VI, 16, 3) et qu’ainsi, pour cette raison, il n’existe pas de justice, ni une justice civile qui est une simple sagesse, ni une justice naturelle qui est bien une justice mais dépourvue de sagesse (VI, 16, 13). Furius, dans son discours fondé lui aussi sur l’utilitas, soutient qu’il vaut mieux être un malhonnête qui reçoit les louanges et les marques de respect qu’un homme juste mais condamné et méprisé (VI, 12 & V, 5-6).
- 156 Ibid., p. 191.
- 157 Ibid.
107Selon Lactance, la justice des païens a été facilement réfutée par Carnéade et Furius en retournant simplement l’argument de l’utilitas contre les défenseurs de la justice et donc en mettant le droit romain devant ses contradictions. Lactance tout comme Tertullien dénonce les incohérences du droit romain en affirmant que les peuples romains avaient « […] acquis la possession de tout l’univers en déclarant des guerres par l’intermédiaire des féciaux, puis en violant le droit en toute légitimité, en prenant et pillant sans cesse les biens d’autrui » (VI, 9, 4)156. Lactance n’épargne pas la loi des XII Tables qu’il estime erronée car elle a servi l’intérêt de l’État (VI, 9, 7). À l’instar de Tertullien, Lactance affirme que la justice ne se trouve pas dans les lois humaines puisque celles-ci ne sont pas, par leur propre nature, susceptibles d’être réformées par les pouvoirs en place et par conséquent d’être instrumentalisées par des pouvoirs tyranniques. Cependant cette précarité des lois humaines ne remet pas en cause l’existence de la notion de justice et il affirme qu’« une chose est donc le droit civil, qui est partout variable en fonction des mœurs, autre chose est la vraie justice, que Dieu a proposée à tous, uniforme et simple »157 (VI, 9, 7).
108Tout comme c’était le cas pour la notion de loi naturelle, Lactance rattache la notion de justice au concept d’humanitas. La justice consisterait dans le fait « […] d’user de ses biens, non pour le plaisir particulier d’un seul, mais pour le salut d’un grand nombre, non en vue de son profit immédiat, mais en vue de la justice, qui seule, ne passe pas » (VI, 12, 2), par des geste tels que l’hospitalité (VI, 12, 5-14), le rachat des prisonniers (VI, 12, 15), nourrir les pauvres (VI, 12, 16).
- 158 Ibid.
109Comme Tertullien, Lactance développe sa vision de la justice et de la loi naturelle en partie à travers la polémique en dénonçant les failles du droit romain dans les persécutions contre les chrétiens qui en étaient l’exemple frappant. Une différence persiste néanmoins entre l’approche de Tertullien et celle de Lactance à l’égard du droit. Lagouanère souligne pertinemment que pour Tertullien les incohérences du droit positif romain n’invalidaient pas à ses yeux ce droit. Par contre Lactance ne cherchait pas à légitimer le christianisme sur le plan juridique mais plutôt à dépasser le droit romain en le christianisant, en remplaçant un droit fondé sur l’vtilitas par un nouveau ius qui puise ses sources dans la vera iustitia chrétienne158.
- 159 Ibid.
110Ces différences d’approche entre Tertullien et Lactance s’expliquent par le fait que ces deux Pères de l’Église ont œuvré en deux périodes historiques différentes. Tertullien a vécu dans la période pré-constantinienne, trouble et durant laquelle la patristique visait à défendre le christianisme et les chrétiens des accusations qui leur étaient opposées et où sur les communautés chrétiennes les persécutions étaient suspendues comme l’épée de Damoclès. Par conséquent, il a amplifié les aspects néfastes des persécutions contre les chrétiens en rédigeant des récits de procès. D’autre part, les écrits polémiques de Tertullien visaient à prouver, comme le souligne Lagouanère, que « les chrétiens n’abolissent pas mais accomplissent le droit romain »159.
- 160 Ibid.
111À l’opposé, rappelons-le, l’œuvre de Lactance voit le jour dans une période où le christianisme, désormais religion triomphante, est devenue religion d’État. En vue de la christianisation du droit romain, l’œuvre de Lactance tend à remplacer le droit ancien par la justice nouvelle160.
Conclusion
112Tertullien et Lactance ont été les Pères de l’Église africaine pré-nicéenne qui se sont le plus penchés sur les questions juridiques. Bien qu’ils eussent œuvré au cours de périodes différentes, Tertullien et Lactance avaient en commun le fait de développer leur propre philosophie du droit à travers une approche critique. La rhétorique leur a fourni une méthode, le droit romain leur a donné des arguments.
113Nous avons vu que l’utilisation d’arts profanes tels que la rhétorique, le droit et la philosophie avait posé à Tertullien des problèmes sur le plan éthique et théologique. Tertullien a trouvé une issue à cette impasse à travers la critique de la rhétorique et une prise de distance de la rhétorique utilisée par les rhéteurs et les avocats païens. La rhétorique chrétienne devait se distinguer par la clarté de son langage, au vu de l’importance du message qu’elle annonçait et qu’elle défendait. Malgré leurs bonnes intentions, Tertullien et Lactance n’ont pas renoncé parfois à adopter un langage agressif et provocateur à l’égard de leurs adversaires. Néanmoins, ils n’ont pas renoncé à structurer leurs apologies selon les canons classiques de la rhétorique.
114C’est par le biais de la rhétorique que Tertullien et Lactance ont pu critiquer les persécuteurs des chrétiens et réfuter les accusations dont faisaient l’objet les chrétiens et le christianisme. C’est à partir de cette critique qui visait à dénoncer, entre autres, les incohérences du droit romain ainsi que les limites de ses fondements ontologiques, que Tertullien et Lactance ont développé leur propre philosophie du droit. À la façon des sophistes et des philosophes cyniques, les deux Pères de l’Église ont mis le droit profane devant ses propres contradictions, mais contrairement à ceux-là, leur but n’était pas de nier l’existence d’une vérité, ni de nier l’existence de la justice et la loi naturelle. Leur but était plutôt de dénoncer les limites de la justice païenne et d’annoncer une nouvelle vérité d’où découlait la vraie loi naturelle qui était la source d’une vraie justice. Il s’agissait ainsi de remplacer la signification que donnaient les philosophes païens aux notions de justice et de loi naturelle par une nouvelle en lien avec les Écritures. Cela démontre l’existence non seulement d’un lien strict entre le droit et la théologie au sein de la patristique africaine, mais aussi d’une influence du droit romain sur la théologie africaine. Un tel lien était encore plus présent dans l’œuvre de Tertullien qui, comme nous l’avons vu, a utilisé maintes fois la terminologie empruntée au monde du droit. Ce dernier a affronté les questions théologiques à travers des raisonnements inspirés des controversaiae enseignées dans les écoles de rhétorique. Cette référence au droit demeure plus précise et véridique au sein de l’œuvre de Lactance. Comme rappelé plus haut, les lois et les faits exposés par Tertullien sur la persécution des chrétiens ont été nuancés ou même démentis par la plus récente historiographie du droit. Ceci n’a pas été le cas des œuvres de Lactance qui cite les sources juridiques de façon précise et rapporte les événements autour des persécutions des chrétiens de façon véridique. Cela fait de son œuvre un témoignage incontournable sur les persécutions des chrétiens durant l’époque de Dioclétien.
115Les œuvres apologétiques de Tertullien et Lactance avaient une finalité différente et entretenaient un rapport différent avec le droit romain. Tertullien voulait réfuter les accusations à l’égard des chrétiens et critiquait la législation en cherchant une légitimité juridique. Il ne s’attaquait pas uniquement aux accusateurs païens mais aussi aux autres communautés religieuses rivales, vis-à-vis desquelles il revendiquait la propriété des Saintes-Écritures ainsi que de la loi divine. Lactance se limitait à critiquer les païens qui persécutaient les chrétiens et se désintéressait des juifs et des hérétiques. La finalité des Institutions divines de Lactance n’était pas de légitimer le christianisme du point de vue du droit romain mais plutôt de dépasser ce droit en annonçant une nouvelle justice et une nouvelle lex aeterna.
Notes
1 St. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, Paris, Hachette, (8 volumes) 1913-1929 ; Ch.-A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord, des origines à la conquête arabe I, Paris, Payot, 1966 ; J.-M. Lassère, Ubique populus, Peuplement et mouvements de population dans l’Afrique romaine, de la chute de Carthage à la fin de la dynastie des Sévéres, Paris, éd. CNRS, « Études d’antiquités africaines », 1977 ; G. Camps, Les Berbères. Mémoire et identité, Arles, Actes Sud–[Montréal], Leméac, (1980) 200 ; M. Benabou, La résistance africaine à la romanisation, Paris, éd. La Découverte, (1976) 2005 ; A. Ibba & G. Traina, L’Afrique romaine : de l’Atlantique à la Tripolitaine (9-439 apr.-C.), Rosny-sous-Bois, éd. Bréal, « Histoire ancienne et médiévale », 2006.
2 J.-M. Lassère, op.cit., p. 77 et suivantes.
3 A. Ibba & G. Traina, L’Afrique romaine-de l’Atlantique à la Tripolitaine…, p. 105.
4 Ibid.
5 Ibid. p. 10.
6 P. Monceaux, Les Africains, I. Les intellectuels carthaginois. Le génie africain et l’éducation classique. La vie Littéraire à Carthage, présentation, commentaire et indices par L. Ladjimi Sebaï, Tunis, éd. Carthaginoiseries, (Réédition d’une partie de l’ouvrage de Monceaux paru sous le titre Les Africains étude sur la littérature latine d’Afrique, I, Les Paiens, Paris, Lecène, Oudin Editeurs, 1894) 2009, p 57.
7 Ibid., p. 82.
8 Ibid.
9 A. Chastagnol, « L’empereur Julien et les avocats de Numidie », Antiquités africaines 14 (1979), p. 233.
10 Ibid., p. 233.
11 Ibid.
12 R. Evêque, « La balance et le caducée : l’enseignement du droit dans les écoles de rhétorique à Rome durant la République et l’Empire », Cahiers Jean Moulin,
url : https://publications-prairial.fr/cjm/docannexe/file/626/cjm_04_eveque.pdf, consulté le 01/juillet/ 2020, p. 1.
13 Ibid.
14 G. La Bua, « Diritto et retorica : Cicerone iure peritus in Seneca et Quintilliani », Ciceroniana 12 (2006), p. 203.
15 A. Bellodi Asaloni, Scienza giuridica e retorica forense. Appunti da un corso di Metodologia giurdica romana, Santarcangelo di Romagna, Maggioli, 2012, p. 152.
16 R. Evêque, op. cit., p. 13.
17 A. Chastagnol, op. cit., p. 225.
18 P. Brown, La vie de Saint-Augustin (tr. de Augustin of Hippo, a biography, London, 1967, par J. Marrou), Paris, éd. du Seuil, (1971) 2001, p. 25.
19 Ibid.
20 A. Dolganov, « Nutricola causidicorum. Legal Practitioner in Roman North Africa », in K. Czajkowski, B. Echhardt (ed.), Law in the roman provinces, 2020, Oxford University Press, p. 359.
21 Ibid.
22 D. Mantovani, « Les juristes romains comme écrivains. Perspectives de recherche sur la pensée juridique à travers l’écriture », Clio Thémis 14 (2018), p. 5.
23 Les écoles de Carthage ont formé des avocats rhéteurs de renommée. Monceaux affirme qu’à Carthage « la rhétorique touchait alors à tous les sujets et semblait résumer en une puissante synthèse tout l’effort de la science humaine. Aussi, les grands personnages dans le monde des écoles étaient les rhéteurs », op. cit., p. 65.
24 A. Michel, op. cit, p. 30.
25 Le terme afer souligne les origines africaines, donc berbères, de l’auteur, cela afin de le distinguer de Phéniciens. Sur l’origine du terme afer les historiens Ibba et Traina soulignent ce qui suit : « Le nom d’Afrique est attesté dès les débuts de la littérature latine, vers la seconde moitié du III siècle av. J.-C. À l’origine, il s’agissait d’un dérivé de l’épithète ethnique Afer. Ce nom, sans doute berbère, désignait d’abord une peuplade locale située dans la région d’Ansarine (Tunisie) mais, aux III-Ie siècles av. J.-C., il indiquait le territoire aux alentours de la ville de Carthage », op. cit., p. 10.
26 A. Michel, op. cit., p. 8.
27 Ph. Fabia, Les prologues de Térence, Paris, Ernest Thorin, 1888, p. 283.
28 Ibid.
29 I. Ramelli, « Anneo Cornuto e gli Stoici romani », Gerión. Revista de Historia Antigua 21 (2003), p. 294.
30 Ad Amicos I, 1 ; Ad Antonium imperatorem, II, 1 ; Ad. M. I, 6 encore appelée De testamenti transamarinis et Ad M. III, 3 et 6 relatives à l’affaire d’Hérode Atticus.
31 Fr. Amarelli & Fr. Lucrezzi, I processi contro Archia e contro Apuleio, Napoli, Jovene Editore, 1997, p. 133 ; J. Osgood, « Nuptiae iure civili congruae : Apuleius’s Story of Cupid and Psyche and the Roman Law Marriage », Transactions of the American Philological association 136 (2006), p. 422 sqq.
32 J. Osgood, art. cit., p. 431.
33 Ibid., p. 134.
34 B. Pouderon, « La première apologétique chrétienne : définition, thème et visées », Kentron 24 (2008), p. 234.
35 Nous indiquons ici la bibliographie essentielle sur le sujet de la rhétorique dans l’œuvre de Tertullien : Tertullien, De praescriptione haereticorum, éd. P. de Labriolle, Paris, Picard, 1907 ; P. Vitton, I concetti giuridici nelle opere di Tertulliano, Roma, L’Erma di Bretchneider, (1924) 1972 ; J.-Cl. Fredouille, Tertullien et la conversion de la culture antique, Paris, Études Augustiniennes, 1972 ; I. Vecchiotti, La filosofia di Tertulliano, Urbino, Éditions Argalìa, 1970 ; Cl. Morechini, Apologia di Tertulliano. La carne di Cristo, Milano, Rizzoli, 1956-1984 ; M. Rizzi, Ideologia e retorica negli ‘exordia’ apologetici. Il problema dell’altro, Milano, univ. Cattolica, 1993 ; D. E. Wilhite, Tertullian the African, Berlin-New York, Walter De Gruyte, 2007 ; G. D. Dunn, Tertullian’s Adrversu Iudaeos-A retorical Analysis, Washington, Catholic University of America, Press, 2008.
36 D. E. Wilhite, « Tertullian the African : an anthropological Reading of Tertullian’s Context and Identities », Millennium Studies 14 ( 2007), p. 17-24.
37 T. D. Barnes, Tertullian : a historical and literary study, Oxford, Clarendon, 1985, p. 26.
38 Ibid., p. 26.
39 Ibid., p. 27.
40 Cl. Moreschini souligne qu’il y a deux interprétations à propos de la langue utilisée par Tertullien. La première est représentée par Norden, pour qui Tertullien aurait inventé un nouveau langage pour la chrétienté, en l’occurrence Norden soutient la formule qui montre « Tertullien créateur de latin chrétien ». Le deuxième courant, représenté par des auteurs tels Mohrmann et Schrijen, appartenant à l’École de Nimègue, se montre plus prudent à reconnaître à Tertullien le titre de créateur de la langue latine de la chrétienté romaine. Ce courant, au début du XXe siècle, avait établi une distinction entre « des termes chrétiens directs » et leurs homologues indirects. Les premiers sont des néologismes, créés pour exprimer la signification de concepts typiques de la mentalité chrétienne, les seconds sont une terminologie à usage quotidien qui assume une signification différente lorsqu’ils sont utilisés dans un contexte chrétien. Cl. Moreschini, Apologia di Tertulliano. La carne di Cristo, p. 62.
41 Même les textes sacrés chrétiens étaient traduits en langue latine, bien avant la traduction de saint Jérôme, la fameuse Vulgate. Une des premières traductions de la Bible en latin fut écrite en Afrique du Nord, elle fut nommée la Vetus latina (« La vieille latine »).
42 Les informations sur sa biographie sont très limitées et se trouvent dans le De viris illustribus de saint Jérôme (De Vir. Ill. 53).
43 Arnobio, difesa della vera religione, éd. A. Biagio, Roma, Città Nuova Editrice, 2000, p. 19.
44 B. Colot, « Africain, romain et chrétien : l’engagement religieux de Tertullien et Lactance », in J. Lagouanère & S. Fialon (ed.), Tertullianus Afer, Tertullien et la littérature chrétienne d’Afrique. Brepolis, Turnhout, 2015, p. 170.
45 Ibid., p. 167.
46 Ibid., p. 171.
47 Ibid., p. 169.
48 M. Spanneut, Tertullien et les premiers moralistes chrétiens, Paris, Duculot, 1973, p x.
49 Chr. Mohrmann souligne l’attitude que « Cyprien qui puise à chaque instant dans l’œuvre de Tertullien n’a jamais fait mention de son prédécesseur » (« Saint Jérôme et Saint Augustin sur Tertullien », Vigiliae Christianae 5-2 (1951), p. 111.
50 Lactance, Institutions Divines, Livre V, vol. I, op. cit., p. 149.
51 Ce fut Daniel qui sauva Susanne de la lapidation, à la suite d’une accusation injuste, en démontrant qu’une telle condamnation avait été décidée à la suite d’un procès injuste (Livre de Daniel, 13, 48).
52 H.-H. Hasso Jaeger, « La preuve rabbinique et patristique », in J. Gilissen (dir.), La preuve. Première partie Antiquité, Recueils de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, Tome XVI, Bruxelles, éditions de la Librairie, 1965, p. 473.
53 Adversus Praexam VIII, 163 ; Adversus Valentinainos VIII, 536A-553A ; De Anima, LV, 745A-752A ; De Baptesimo et de Poenitentia, XVI-V, 7-1174ª ; De Fuga In Persecutione XIII, 120 A ; De monogamia, XIV 0949 c-0950, II B, 0931 D, III- 0934 A- 0932 B ; De ressurectione carnis X- 0808c.
54 Tertullien, Le voile des vierges, (éd. E. Schulz- Flügel et P. Mattei), Paris, édition du Cerf, « Sources chrétiennes », 1997, p. 133.
55 Ibid., p. 54.
56 Tertullien, Apologétique (éd. J.-P. Waltzing et A. Severyns), Paris, Les Belles Lettres, 1961, p. 83.
57 J.-Cl. Fredouille, Tertullien et la conversion de la culture antique, Paris, Études Augustiniennes, 1972, p. 310.
58 Lactance, Institutions Divines V, Tome l (éd. J. Monat) Paris, éditions du Cerf, 1973, p. 201.
59 L. Pernot, La Rhétorique dans l’Antiquité, Paris, Libraire Générale Française, 2000, p. 269.
60 Ibid., p. 107.
61 Ibid.
62 J.-Cl. Fredouille, op. cit., p. 31.
63 L. Pernot, op. cit, p. 69.
64 Minucius Felix, Octavius, éd. J. Beaujeu, Paris, Les Belles Lettres, 1964.
65 Arnobe, Contre les gentils, Paris, (éd. H. Le Bonniec), Paris, 1982, p. 183.
66 Lactance, Institutions divines, Livre V, Tome I, éd. P. Monat, Paris, édition du Cerf, 1973.
67 Ibid.
68 Ibid.
69 Chr. Mohrmann, « Saint Jérôme et Saint Augustin sur Tertullien », in Vigiliae Christianae 5-2 (1951), p. 111.
70 L’ouvrage est structuré à travers un exorde (c. 1-3), une proposition et une division, (c. 4), une praemunitio (fortification) qui consiste en une défense préliminaire et qui a comme but d’anticiper les possibles exceptions de la partie adverse (c. 5-6) et se conclut avec une réfutation (refutatio) qui a pour but de réfuter en fait et en droit toutes les accusations.
71 H.-H. Hasso Jaeger, op. cit, p. 483.
72 « Magistrats de l’Empire romain, qui présidez pour rendre la justice, dans un lieu découvert et éminent, presque au sommet même de la cité, s’il ne vous est pas permis d’examiner devant tout le monde et de peser sous les yeux de toute la cause des chrétiens pour la tirer au clair ; si, dans cette espèce seule, votre autorité craint ou rougit d’informer en public, avec une attentive justice ; si enfin, comme il est arrivé naguère, la haine pour notre secte, trop pressée d’accueillir les délations domestiques, ferme la bouche à la défense : qu’il soit du moins permis à la vérité de parvenir à vos oreilles, silencieusement, par la voie secrète d’un plaidoyer muet » (1, 1).
73 « Le motif qui paraît excuser cette iniquité est précisément celui qui l’aggrave et qui la confond, à savoir votre ignorance (1, 4).
74 T. D. Barnes, op. cit., p. 28.
75 Laura Solidoro Maruotti, Profili storici del delitto politico, Napoli, Jovene, 2002, p. 81
76 Ibid., p. 82.
77 Ibid., p. 83.
78 Ibid., p. 80.
79 Ibid.
80 Felice Costabile, « I processi contro i cristiani e la coerenza giuridica di Traiano », in AAVV, Fides Humanitas Ius, Studi in onore di Luigi Labruna, Napoli, Editoriale Scientifica, II, p 1184.
81 Laura Solidoro, op. cit., p. 89.
82 Ibid., p. 86.
83 Ibid., p. 86.
84 Ibid., p. 85.
85 Ibid., p. 102, Dario Annunziata, « Nomen christianum : sul reato di cristianesimo », Rivista di Diritto Romano 14 (2014), p. 07 article téléchargé du site : https://www.ledonline.it/rivistadirittoromano/, consulté le 27/08/2020.
86 Laura Solidoro op. cit., p. 102.
87 Ibid., p. 91.
88 Ibid., p. 103.
89 Felice Costabile, op. cit., p. 1184.
90 Ibid.
91 Giuliana Lanata, Gli atti dei martiri come documenti processuali, Milano, Giuffre, 1973, p. 51.
92 Policarpe, 12.2, p. 103 libro ; Vettio Epagato dans le procès de Lyon 8, p. 127 (livre) et Vigellio Saturinio a Sperato, Scyllitani, 5, p. 138
93 L. Solidoro, op. cit., p. 103.
94 G. Lanata, op. cit., p. 68
95 Ibid, p. 67.
96 Tert. Apol. 2, 2-5 ; 10, 2 , 13, 14, 16, 19 ; 4, 11 ; Ad. nat, 1, 2, 4-6 ; Justin, I Apol. 4, 3-4.
97 Pline le Jeune, Lettres. Tome IV : Livre X Panégyrique de Trajan, (tr. M. Durry) Paris, Les Belles Lettres, 1947.
98 Athénagore, Supplique au sujet des chrétiens et sur la résurrection des morts, éd. R. Pouderon, Paris, Éditions du Cerf, 1992, p. 73.
99 J. Lortz, Tertullian als Aploget, Münster, Aschendorff, 1927, p. 35.
100 C. Becker, Tertullian Apoplogeticum, München, Werden und Leistung, 1954, p. 290-293.
101 H.-H. Hasso Jaeger, op. cit., p. 483.
102 Poursuivant en ce sens, il pose la question dans les termes suivants : « Un tel illogisme doit vous être suspect : demandez-vous s’il n’y a pas quelque puissance qui se sert de vous contre les jugements, contre les lois elles-mêmes » (2, 14). Au surplus, dans le livre IV, Tertullien définit le juge tyrannique comme étant le juge qui s’oppose à « l’autorité des lois » (4, 3) ainsi qu’à « la vérité des chrétiens » (4, 3). Le parallélisme existant entre l’injustice et la tyrannie est un thème clé de la philosophie stoïcienne du droit. En effet, dans le deuxième livre de la République, Cicéron définit le tyran comme un roi qui « […] s’est écarté de la justice […] » (II, 26, 46), et le compare aux bêtes sauvages dans la mesure où il ne partage pas avec les hommes la même communauté de droit. Il compare ensuite le tyran aux juges qui pensent pouvoir manipuler la vérité par leurs arrêts Ainsi s’exprime Cicéron : « Comment donner le nom d’homme à qui, avec ses concitoyens et avec le genre humain tout entier, n’a aucun lien de droit, qui n’entretient de rapports méritant le nom de sociaux avec personne ? » (II, 26, 48).
103 Tertullien affirme clairement : « Quand d’autres sont accusés de tous ces crimes dont on nous accuse, ils peuvent, et par eux-mêmes et par une bouche mercenaire, prouver leur innocence, ils ont toute liberté de répondre, de répliquer puisqu’il n’est jamais permis de condamner un accusé sans qu’il se soit défendu, sans qu’il soit entendu » (1, 2).
104 J. Lagouanère, op. cit., p. 106.
105 Ibid, p. 108l.
106 Dunn remarque qu’à cette fin Tertullien développe son argumentation par le bais d’une série d’enthymèmes, ce qui rattache Tertullien à la logique du probable, élément constant de toute la tradition rhétorique, Voir D. Dunn, op. cit., p. 154.
107 Nous trouvons un exorde chez Tertullien (Ad. Iud. I, 1-3a) qui contient une narration des faits qui ont porté sur la composition de l’œuvre, qui a été une dispute entre un chrétien et juif qui s’est certainement déroulée en Afrique du Nord. Ensuite nous avons une partition (Ad. Iud. 1, 3b-2, 1a) suivie par une confirmation, dans laquelle il expose l’arrivée de la nouvelle loi.et une réfutation (Ad. Iud. 2, 1b-6, 1) où l’auteur affronte la thématique de l’abrogation de la vieille loi. Voir G. D. Dunn, op. cit., p. 179.
108 Ibid., p. 155.
109 Ibid., p. 116.
110 Ibid., p. 117.
111 Jean-Claude Fredouille, op. cit., p. 267.
112 Dans son traité intitulé Les lois, l’Arpinate soutient l’idée que la loi naturelle est compréhensible à travers la rationalité humaine et non pas de façon instinctive (I, 16, 17). Cette position du rhéteur Cicéron se distingue de celle du jurisconsulte Ulpien qui, pour sa part, a élargi la notion de loi naturelle à tout être animé incluant aussi du même coup le monde animal (D. 1, 1, 1, 3, Ulp., Inst.). Par conséquent, il a rattaché cette notion au domaine de l’instinct plutôt qu’à la rationalité.
113 Tertullien, La couronne du soldat, dans J.A.C. Buchon, H. Herluison (dir.), Choix de Monuments primitifs de l’Église Française, Orléans, 1875, p. 336.
114 Le lien entre loi naturelle et rationalité est présent dans l’œuvre de Sénèque. Ce dernier inclut quant à lui la notion stoïcienne de logos dans la définition de la loi naturelle qu’il donne dans Consolation pour Helvia (Consolatio ad Helviam matrem, 6, 8) où il affirme que la loi de nature régit toutes les choses et trouve son fondement au sein de la raison présente dans tous les hommes. Rappelons que Tertullien estime grandement Sénèque. Il lui adresse d’ailleurs la formule Seneca saepe noster dans De anima (20, 1) et reprendra à ce dernier les concepts stoïciens de logos et de nature sans pour autant se préoccuper de la notion de péché originel.
115 J.-Cl. Fredouille, op. cit., p. 258.
116 Ibid., p. 256 et suivantes.
117 J. Daniélou, Les origines du christianisme latin. Histoire des doctrines chrétiennes avant Nicée, Paris, Les Éditions
du Cerf, 1978, p. 184.
118 R. Uglione, Tertulliano. Teologo e scrittore, Brescia, Éditions Morcelliana, 2001, p. 60.
119 J.-Cl. Fredouille, op. cit., p. 260.
120 J. Lagouanère, op. cit., p. 109.
121 Ibid.
122 J. Tixeront, Histoire des Dogmes dans l’Antiquité chrétienne, 7e édition, Paris, Victor Lecoffre, 1915, vol. I, p. 333.
123 J. Gaudemet, « La place de la tradition dans les sources canoniques (IIe-Ve siècles) » in J. Gaudemet, Formation du droit canonique et gouvernement de l’église de l’antiquité à l’age classique, op. cit., p. 62.
124 Davier dans sa thèse a recensé, par l’outil informatique de l’index thématique, les termes juridiques utilisés par Tertullien. Dans son travail, l’auteur observe une prépondérance des termes de droit privé – 96 % –, et le reste – 4 % seulement – ,pour le droit public (ius publicum), F. Davier, Les écrits catholiques de Tertullien : formes et normes I, thèse de doctorat soutenue le 18 décembre, Université de Franche-Comté, 2009, p. 205.
125 H. J. Albert, « The influence of Roman contract law on Early Baptesimal Formulae (Tertullian, Ad martyras 3) », Studia patristica 35 (2001), p. 278.
126 F. Davier, op. cit., p. 209.
127 Quinto Settimio Fiorente Tertulliano Apologia di Tertulliano, La carne di Cristo, (intr. Cl. Moreschini, tr. & notes, Cl. Micaelli et L. Rusca), Milano, Rizzoli, 1996, p. 32. Les premières éditions sont parues aux éditions Rizzoli en 1956 et 1984.
128 Afin de présenter les chrétiens comme de bons citoyens, Tertullien écrit dans son Apologétique que les chrétiens prient pour « […] les empereurs, pour leurs ministres et pour les puissances, […] pour la paix » (39, 2). À cette fin, Tertullien prie non pas les faux dieux romains mais le Dieu chrétien et écrit ainsi : « […] nous invoquons pour le salut des empereurs le Dieu éternel, le Dieu véritable, le Dieu vivant, dont les empereurs eux-mêmes préfèrent la faveur à celle de tous les autres » (34, 2).
129 J. Gaudemet, « La coutume en Droit Canonique », in La coutume. Europe occidentale médiévale et Moderne, Deuxième partie, Recueils de la Société Jean Bodin, Bruxelles, Boeck-Wesmael, 1990, p. 43 ; R. Wehrlé, De la coutume dans le Droit Canonique. Essai historique s’étendant des origines de l’Église au Pontificat de Pie XI, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1928, p. 43 et suivantes.
130 J. Lagouanère, « Nisi naturali iure, non etiam familiari. Justice païenne et justice divine chez Tertullien et Lactance », in A.-I. Bouton-Touboulic (éd.), L’amour de la justice de la Septante à Thomas d’Aquin, Bordeaux, Ausonius Edition, 2017, p. 103.
131 J. Gaudemet, « La coutume en Droit Canonique, in La coutume. Europe occidentale médiévale et Moderne », in op. cit., p. 45.
132 Saint Cyprien, Correspondance, tome II, texte traduit par le chanoine Bayard, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 302.
133 Ibid., p. 286.
134 J. Gaudemet, « La coutume en Droit Canonique », op cit., p. 148 n. 11.
135 Lactance, Institutions divines, Livre VI, éd. Chr. Ingremeau, Paris, Les éditions du Cerf, 2007, p. 11.
136 J. Gaudemet, op. cit., p. 47.
137 Lactance, Institutions divines, Tome I, Livre V, trad. Pierre Monat, Paris, Édition du Cerf, 1973, p. 40.
138 Ibid., p. 54.
139 Les persécuteurs du christianisme sont décrits comme étant des « gens qui boivent plus facilement le sang que les paroles des justes » (VI, 5, 8) et qui « […] commettent des sacrilèges et dépouillent les temples des dieux qu’ils adorent” (V, 9, 16), qui « captent les héritages, supposent de faux testaments, font disparaître ou éliminent des successions les héritiers légitimes, qui livrent leur corps à la prostitution” (V, 9, 16). Tout comme Tertullien, Lactance dénonce les procédures dont firent l’objet les chrétiens et dénonce maintes fois les tortures (V, 5, 6-7 ; V, 11, 17).
140 Les persécuteurs du christianisme sont accusés de ce qu’ils « se sont mis d’abord à détourner puis à amasser les biens nécessaires à la vie et à les conserver soigneusement enfermés pour s’approprier les bienfaits du ciel. […] Ils voulaient accaparer tous les instruments de la cupidité et de l’avidité » (V, 6, 2).
141 Le premier édit ordonnait la destruction des Églises, la confiscation des biens des Églises et l’exclusion des chrétiens des charges publiques ainsi que la mise en esclavage des fonctionnaires qui persistaient dans leur foi chrétienne. Cela provoqua des révoltes de la part des chrétiens qui, en guise de représailles, avaient incendié à deux reprises le palais impérial, en réaction de quoi Diolcétien fit arrêter des prêtres et des diacres sans que ces derniers eussent pu avoir le droit à un procès et imposa à l’ensemble de la population une participation obligatoire aux rites de sacrifices païens. Quiquonque refusait était puni et condamné à mort pour lèse-majesté.
142 Lactance, De la mort des persécuteurs I, éd. Jean Moreau, Paris, Les éditions du Cerf, « Sources chrétiennes », p. 93.
143 Ibid., p. 93.
144 Ibid., p. 119.
145 Ibid.
146 Ibid., p. 103.
147 Ibid.
148 Lactance, Institutions Divines V, Tome l, éd. J. Monat, Paris, Les éditions du Cerf, 1973, p. 31.
149 Ibid., p. 30.
150 J. Lagouanère, op. cit., p. 109.
151 Lactance, Institutions divines VI, trad. Chr. Ingremeau, Paris, Les éditions du Cerf, 7e édition, 2007, p. 185-187.
152 Ibid.
153 J. Lagouanère, op. cit., p. 110.
154 Bl. Colot, « La problématique de la justice dans les Institutions divines de Lactance », in A.-I. Bouton-Touboulic, L’amour de la justice de la Septante à Thomas d’Aquin, op. cit., p. 123-124.
155 Ibid.
156 Ibid., p. 191.
157 Ibid.
158 Ibid.
159 Ibid.
160 Ibid.
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Référence électronique
Amar Laidani, « La critique du droit romain et la philosophie du droit dans les œuvres des Pères de l’Église Tertullien et de Lactance », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 23 | 2021, mis en ligne le 31 mai 2021, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/3138 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.3138
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