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Terreur et révolution : un cas de « persécutions religieuses » en milieu musulman au sud du Gansu (Chine) après 19111

Terror and Revolution : a Case of “Religious Persecution” in Muslim communities in the south of Gansu (China) from 1911 onwards
Marie-Paule Hille

Résumés

Le 19 mai 1914, le saint fondateur d’une communauté musulmane chinoise au Gansu, le Xidaotang, est abattu avec l’ensemble de son lignage par le seigneur de guerre Ma Anliang. L’enquête au cœur de cette étude vise à détricoter les fils de cette intrigue politico-militaire. Dépassant le cadre interprétatif classique des « persécutions religieuses », l’analyse porte sur les ressorts religieux, politiques et économiques à l’origine des résistances contre ce courant moderniste et progressiste. L’étude s’articule autour de deux facteurs centraux : l’obstacle que Ma Qixi représente dans la trajectoire politique du seigneur de guerre Ma Anliang et la situation de chaos laissée par les troupes du bandit Bai Lang permettant un usage de la violence en dehors de tout cadre légal.

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Texte intégral

  • 1 Je remercie vivement Stéphane Baciocchi, Xénia de Heering, Vincent Goossaert et Ariane Mak pour leu (...)

1Chaque année, le 19 mai du calendrier agraire chinois, une petite communauté musulmane appelée Xidaotang 西道堂 (litt. Hall de la Voie de l’Ouest), implantée dans le sud de la province du Gansu, commémore la mort de son saint fondateur, Ma Qixi 马启西 (1857-1914). Exécuté à Taozhou (actuel Lintan) en 1914, Ma Qixi n’est pas tombé seul ; il a entraîné dans sa chute la quasi-totalité de son lignage ainsi que ses disciples les plus fidèles. La remémoration de sa mort en martyr invite dans les mémoires un autre personnage, le redoutable seigneur de guerre Ma Anliang 马安良 (1855-1919), qui hante l’histoire de la communauté.

2Si on examine les récits de cet événement, les plus rétrospectifs d’entre eux ont tendance à y voir un cas classique de persécutions religieuses. Pour mieux comprendre les termes de cette interprétation, il est nécessaire de replacer cet épisode dans l’histoire longue des persécutions religieuses en Chine, plus spécifiquement celles des communautés musulmanes. Cette perspective historique permet de saisir les résistances que l’apparition du Xidaotang, mouvement moderniste et progressiste, a suscitées localement, dans un milieu religieux conservateur sous la houlette de Ma Anliang, un seigneur de guerre resté longtemps loyal à l’empire, même après sa chute en 1911. Mais selon nous la mort du saint fondateur Ma Qixi et l’extermination de son lignage doivent être en outre analysées au prisme de deux conjonctures convergentes. Ma Qixi représente d’abord un obstacle à la trajectoire politique déjà fortement contrariée de Ma Anliang. Par ailleurs, la mise à mort de Ma Qixi découle en partie de la situation de chaos provoquée par les troupes du bandit Bai Lang lors de la mise à sac de Taozhou au printemps 1914 : événement pivot qui ouvre la voie à un usage de la violence par les militaires en dehors de tout cadre légal.

3L’enquête au cœur de cette étude a donc voulu détricoter les fils de cette histoire pour en découvrir les ressorts non seulement religieux, mais aussi politiques et économiques. Elle se propose d’examiner le lien entre violence et religion dans une période postrévolutionnaire où les rapports de force, confortés par des actions militaires ciblées, sont en pleine recomposition. Dans cette dynamique de préservation de territoires d’influence, la frontière entre les logiques de conservation du pouvoir religieux, politique et économique reste poreuse.

Les persécutions des communautés musulmanes dans le temps long

  • 2 Dans cet ouvrage, fondé sur un corpus considérable de traductions, Jan Jakob Maria de Groot se livr (...)
  • 3 Les premiers empereurs de la dynastie des Qing étaient grandement conscients du problème particulie (...)
  • 4 Jonathan Lipman résume les dissensions entre ces deux ordres soufis ainsi : « The most divisive con (...)
  • 5 Concernant l’histoire de la Jahriyya, voir : F. Aubin, « En Islam chinois : quels Naqshbandis ? », (...)
  • 6 La militarisation progressive de la société chinoise, en réponse aux nombreuses rébellions qui sévi (...)

4Dans son ouvrage classique, Sectarianism and Religious Persecution, de Groot montre que la question de l’éradication des sectes (xiejiao 邪教), considérées comme une menace aux lois et aux règles de la vie sociale, est au centre des préoccupations de l’administration impériale2. Dans le cas de l’islam, la première intervention armée de l’État dans les affaires religieuses pour éradiquer, sur une grande échelle, des communautés musulmanes qualifiées de belligérantes date du milieu du xviiie siècle3. En effet, au milieu des années 1760, de violents conflits éclatent dans le Nord-Ouest de la Chine opposant deux branches soufies rivales de la Naqshbandiyya : la Khufiyya initiée par Ma Laichi (1681-1766) et la Jahriyya introduite par Ma Mingxin (1719-1781)4. Ces rivalités religieuses, initialement motivées par des querelles de rite, conduisent à l’exécution de Ma Mingxin en 1781, au massacre de ses fidèles et à la proscription de son mouvement religieux par les autorités impériales5. Dans ce cas de figure, les persécutions religieuses sont étroitement liées aux appartenances confessionnelles, elles‑mêmes au cœur des conflits. Dans son ouvrage Familiar Strangers, Jonathan Lipman indique que ces événements marquent le début d’une militarisation croissante de la société musulmane dès la fin du xviiie siècle et de la stigmatisation des musulmans comme sujets violents de la société6.

5Ces premières rixes religieuses laissent un héritage terminologique, imposé de l’extérieur, faisant la distinction entre un « vieil enseignement » (laojiao 老教) ou « ancienne religion » et un « nouvel enseignement » (xinjiao 新教, ou « nouvelle religion »). Cette première distinction entre enseignement ancien et nouveau perdure au fil du temps pour décrire un même phénomène : l’apparition d’un nouveau mouvement religieux. Ainsi, La Jahriyya, qualifiée de xinjiao à la fin du xviiie siècle vis-à-vis de sa concurrente plus ancienne (la Khufiyya), devient laojiao au début du xxe siècle face à l’arrivée de nouveaux courants qu’il s’agit alors d’identifier : le mouvement Ikhwan, plus fondamentaliste, ou le Xidaotang, fortement sinisé.

6Au siècle suivant, alors que la puissance impériale est fragilisée par de nombreuses rébellions à l’échelle nationale, d’autres conflits, mieux documentés, et souvent qualifiés de « Grandes révoltes musulmanes du nord-ouest » éclatent entre 1860 et 1874, avec des soubresauts en 1895. Acteur principal de la « pacification » du nord-ouest, Zuo Zongtang 左宗棠, Commandant général de l’armée des Qing, ordonne le massacre de nombreuses communautés musulmanes du Shaanxi et étouffe les principales vagues de soulèvements musulmans.

7Ces offensives répétées contre les bastions durs de la résistance laissent présager un anéantissement complet des forces militaires musulmanes en présence au Gansu. Mais les années 1870 marquent de façon paradoxale un tournant dans l’histoire des musulmans du nord-ouest, qui joueront un rôle déterminant dans l’évolution de la situation militaire et politique de la région, à l’image de la trajectoire de Ma Zhan’ao. Aux commandes de la confrérie soufie Huasi (Khufiyya), ce militaire musulman parvient avec beaucoup de tact à garder son indépendance politique à Hezhou (actuel Linxia). Après sa victoire dans les combats de 1871 contre l’armée du Général Zuo Zongtang, il décide finalement de se rendre et de prêter main forte à l’armée des Qing dans ses campagnes de répression contre les « rebelles musulmans ». Légitime aux yeux des Qing, et en dépit des réserves émises par Zuo Zongtang, il garde son emprise sur Hezhou jusqu’à sa mort. Son fils, Ma Anliang, acteur clé de l’étude qui suit, hérite de son pouvoir religieux, de ses titres militaires et reste loyal à l’Empire même dans la tourmente de la révolution de 1911 qui en marque la fin.

8Durant ces deux siècles de présence soufie dans la société musulmane du Gansu, de puissants lignages saints (menhuan 门宦) constitués en centres religieux, économiques et politiques émergent à Hezhou, Xining, Ningxia, mais également dans des bourgades moins importantes comme Xunhua, Didao (actuel Lintao) ou Taozhou (actuel Lintan). À la veille de la révolution de 1911, les musulmans du Gansu parviennent à créer quatre régions militaires, chacune contrôlée par des chefs religieux et militaires charismatiques : Ma Hualong à Jinjipu (dans la province actuelle du Ningxia), Ma Zhan’ao à Hezhou (dans la province actuelle du Gansu), Ma Guiyuan à Xining (dans la province actuelle du Qinghai), Ma Wenlu à Suzhou (partie ouest du corridor du Gansu). Ces centres de pouvoir, peu documentés, fonctionnent sans coordination centrale mais sont connectés entre eux par un réseau efficace d’information.


Provinces et régions autonomes du Nord-Ouest de la Chine
(Source : Jonathan N. Lipman, Familiar Strangers : A History of Muslims in Northwest China, Seattle, University of Washington Press, 1997, p. 10)

  • 7 À ce sujet, voir les travaux non publiés de Max Oidtmann qui indique également que Taozhou était un (...)
  • 8 La corruption du système d’examen après la révolte des Taiping (1850-1864) est devenue endémique et (...)
  • 9 Phil Billingsley dans son étude sur le banditisme pendant la période républicaine indique : « By 19 (...)

9Les communautés musulmanes du Gansu ont tendance à se militariser tout comme l’a fait de manière générale la société paysanne7, elle aussi en proie à de fréquentes rixes intercommunautaires dans un environnement de corruption patente de la bureaucratie où les ressources se raréfient8. Des milices civiles se multiplient pour défendre le bien des communautés. Pendant la période républicaine (1912-1949), ce phénomène s’accentue pour faire face à la généralisation du banditisme, le brigandage étant alors devenu un des principaux fléaux de la Chine rurale9.

Ma Qixi : une figure progressiste qui menace un milieu religieux conservateur

  • 10 Pour plus de détails sur ces conflits, voir : M.‑P. Hille, « Le Xidaotang : processus de légitimati (...)
  • 11 Au début du xxe siècle on note la présence de 13 mosquées, 31 ahong (imams) et cinq gongbei (mausol (...)

10C’est sur cette toile de fond d’une histoire politico-militaire complexe et d’une histoire sociale tourmentée que le Xidaotang, nouveau courant de l’islam chinois, fait son apparition à la fin du xixe siècle à Taozhou, apportant son lot de nouveautés. En 1901, Ma Qixi décide de s’affranchir de son lignage saint d’origine, le menhuan Beizhuang – à ses yeux trop conservateur – pour créer sa propre Voie10. Mais son principal adversaire, Min Hanzhang, est une personnalité influente d’un autre lignage, le menhuan Huasi, qui bénéficie du soutien politique et militaire du puissant Ma Anliang. Une fois affranchi de ses liens d’origine, le Xidaotang s’impose peu à peu comme un concurrent des solidarités soufies locales11 dont le pouvoir s’étend sur les sphères religieuse, politique et économique. Les résistances ne tardent pas à se faire sentir.

  • 12 Contrairement à d’autres localités du Gansu (Xining, Xunhua, Ningxia et Hezhou) où l’introduction d (...)
  • 13 Sur ce point voir : M.‑P. Hille, « Les Han kitab et le Xidaotang, Réception et usage d’une littérat (...)
  • 14 Sur ce point voir : F. Aubin, « Les traductions chinoises du Coran », Études orientales 13/14, n° c (...)
  • 15 Cette difficulté n’est pas propre à l’islam chinois, voir à ce sujet : N. Haeri, Language, Ordinary (...)
  • 16 Voir M.‑P. Hille, « Le processus de légitimation », op. cit.

11On peut considérer que l’apparition du Xidaotang met pour la première fois à rude épreuve la cohésion apparente des communautés musulmanes de Taozhou12. Les premiers griefs concernent les innovations de Ma Qixi dans le domaine de l’éducation religieuse et de la transmission des savoirs islamiques. Son enseignement se fonde sur une littérature musulmane écrite en chinois, communément appelée « han kitab ». Ce n’est pas tant l’usage des han kitab qui provoque une telle résistance, car leur lecture se généralise en cette fin du xixe siècle, mais plutôt leur insertion au cœur d’un dispositif d’apprentissage religieux. Dans ce nouveau curriculum, les livres écrits en chinois viennent directement concurrencer les livres sacrés écrits en arabe ou en persan13 composant le cursus classique de tout apprentissage religieux. Ma Qixi résout, trente années avant la traduction en chinois du Coran14, une difficulté partagée par la grande majorité des musulmans, rares à avoir une réelle maîtrise de l’arabe littéraire et du persan : rendre accessible la signification des textes sacrés en langue vernaculaire15. La mise en pratique de cette innovation pédagogique suscite une forte opposition de la part de ses coreligionnaires, qui se traduit par des actions en justice visant à faire interdire par la voie légale ce courant en le qualifiant d’hérétique (xiejiao). La formation d’une communauté de musulmans autour des propositions nouvelles de Ma Qixi, érudit confucéen, génère de nombreuses tensions et une succession d’incidents violents entraînant des investigations de la part des autorités impériales16. De surcroît, de nombreux opposants à son courant lui disputent la légitimité à endosser un enseignement religieux au simple motif que Ma Qixi, versé à l’éducation confucéenne, n’a pas les compétences d’un ahong 阿訇 (imam).

  • 17 À ce sujet voir le chapitre 8 (« L’âge d’or du Xidaotang : une expérience religieuse et séculière à (...)

12Sur le versant social et économique, Ma Qixi est l’initiateur d’un modèle, qualifié plus tard d’utopique par les observateurs des années 1930, dans lequel la communauté vit et travaille de façon collective et de manière quasi-autarcique. Au sein de cet ensemble, un programme éducatif performant, semi-religieux semi-séculier, fidèle à la pensée du saint fondateur, est mis en œuvre et pousse assez loin l’expérience avec la création d’une école pour filles ouverte à toutes les jeunes filles en 194317.

13Enfin, sur le plan doctrinal, Ma Qixi s’oppose farouchement, à l’instar de l’introducteur de la Jahriyya en Chine, à ses débuts, à la transmission héréditaire du pouvoir charismatique, lui préférant la voie du mérite. Ce principe, bien qu’il trouve ses racines dans une histoire longue du soufisme mondial, est perçu localement comme une nouveauté doctrinale ; il vient renforcer les réticences des hommes à la tête d’ordres lignagers bien institués.

  • 18 Nous reprenons ici la lecture que Ma Xuelian a faite de la relation entre Ma Qixi et Ma Anliang. Ma (...)

14Les premiers succès du Xidaotang concernent aussi bien l’accroissement numérique de sa communauté que le domaine économique, avec un développement particulier de relations commerciales avec les Tibétains. Ses principaux concurrents, établis de longue date dans cette bourgade marchande florissante, s’en inquiètent ; ils s’engagent dans une série d’actions en justice entrecoupées d’échauffourées provoquant la mort de fidèles18.

15Face à cette escalade de la violence, difficile à contenir par les voies légales, Ma Qixi entame un long voyage vers l’Ouest aux environs des années 1905-1906 et séjourne en Asie centrale. À son retour de Samarcande en 1908 – expérience équivalente au pèlerinage à La Mecque pour un musulman du Gansu à cette époque – jouissant d’une grande popularité, il apparaît comme un adversaire redoutable aux yeux du militaire Ma Anliang et de ses alliés à Taozhou. Outre les motifs religieux et économiques qui alimentaient jusqu’alors les réticences de ses opposants, les idées politiques de Ma Qixi, nourries probablement par les rencontres effectuées au cours de son voyage, sont probablement à l’origine de ces fortes dissensions. Dans la biographie de Ma Qixi qu’il écrit en 1934 (publiée en 1942), Ding Zhengxi, un intellectuel du Xidaotang, fournit quelques détails sur ses affinités politiques :

  • 19 Jie Min (pseud.) [Ding Zhengxi], « Gansu Lintan qingzhen Xidaotang zhi shilüe [Brève histoire du Xi (...)

Quand il [Ma Qixi] est revenu [de Samarcande] au bout de trois ans, il était encore plus convaincu que la philosophie islamique et la culture chinoise pouvaient être compatibles. Il chérissait secrètement et croyait en la Révolution du premier président [Sun Yat-sen]. Lorsque la première année de la République [1912], l’ordre fut donné de couper les nattes, le Maître a été un des premiers à s’exécuter. Puis, il a donné l’ordre aux fidèles féminines d’interdire le bandage des pieds. À cette époque les forces qui s’opposaient à la Révolution dans le Nord-Ouest étaient puissantes et répandues dans tout le Gansu. Ceux qui nourrissaient de la haine envers lui l’ont accusé d’être membre du Parti révolutionnaire. Les fidèles dissimulaient leur grande crainte, seul le Maître restait stoïque et prenait cela à la légère19.

  • 20 Comme le souligne N. Unno-Yamazaki dans son étude « Cutting off the Queue for Faith, Preserving the (...)

16Quelles que soient ses aspirations politiques20, il est certain que l’idéal que Ma Qixi s’emploie à mettre en pratique au sein de sa communauté contrevient au conservatisme religieux, social et politique ambiant. Il a pu apparaître comme progressiste dans le climat politique de l’époque.

La Révolution de 1911 au Gansu : un entrechoc de visions politiques

  • 21 Nous suivons ici les propositions de Sabina Loriga, attentive dans ses travaux à la somme des indiv (...)

17Comme nous le mentionnons dans l’introduction, le martyre de Ma Qixi doit être appréhendé dans une perspective plus large, en l’inscrivant dans la trajectoire biographique de celui qui a voulu sa mort : le seigneur de guerre Ma Anliang. Pour comprendre l’inimitié de Ma Anliang envers Ma Qixi, il faut remonter plus loin dans la vie de ce personnage et retracer sa carrière politique faite d’échecs, de frustration et de rancœur21. En 1914, le destin de Ma Qixi se trouve entre les mains d’un homme aux ambitions politiques contrariées sur fond d’un échiquier politique provincial en pleine recomposition. La carrière de Ma Anliang subit ses premiers revers avec les prémices de la révolution, période cruciale dans la vie de cet homme avide de pouvoir.

  • 22 Pour plus de détails concernant les événements dans le Shaanxi, voir P.‑É. Will, « La génération 19 (...)
  • 23 Les armées impériales sont menées par Sheng Yun, ancien gouverneur général du Shaan-Gan (Shaanxi-Ga (...)
  • 24 À ce sujet voir J. Lipman, « Ethnicity and Politics in Republican China : The Ma Family Warlords of (...)

18Au Shaanxi, province voisine du Gansu, l’appel révolutionnaire de 1911 est rapidement relayé. Un officier d’état-major, Zhang Fenghui, prend la tête de la Nouvelle Armée et mène l’insurrection22. Les armées du Gansu, restées loyales à l’Empire, sont chargées de mater la rébellion au Shaanxi23. Pour lancer leur contre-offensive militaire, les troupes impériales se réorganisent en deux bataillons : l’un, constitué des forces de Lu Hongtao et du militaire musulman Ma Anliang, prend la route du nord ; l’autre, commandé par Zhang Xingzhi, celle du sud24. Au mois de janvier 1912, Ma Anliang parvient à faire une percée ; l’avancée de ses troupes menace de jour en jour davantage les positions de la Nouvelle Armée. Le 22 février, les bataillons de Zhang Xingzhi arrivent comme prévu par le sud. Cette offensive militaire lors de laquelle les forces armées de Zhang Fenghui sont encerclées, après des combats où périront plus de mille hommes, laisse présager une victoire des loyalistes. Or, peu de temps auparavant, le 12 février, l’abdication du dernier empereur a été prononcée : annonce gardée secrète afin de poursuivre le combat, et ce jusqu’au mois de mars. Alors que la chute de l’Empire est proclamée depuis près d’un mois, l’annonce officielle arrive tardivement au gouvernement de Lanzhou, capitale provinciale du Gansu, par l’intermédiaire du gouvernement militaire du Shaanxi.

  • 25 Zhao Weixi, hostile à la révolution et conservateur, est originaire du Jiangxi ; il avait été promu (...)

19Conscients que le sort des Qing est scellé et voyant la situation des autres provinces, deux hommes se positionnent en reconnaissant la République dans un télégramme envoyé au Président Yuan Shikai le 6 mars 1912 : Zhao Weixi et Zhang Linyan25. Le 15 mars 1912, lorsque Yuan Shikai fait officiellement de Zhao Weixi le gouverneur du Gansu, le pouvoir militaire tombe entre les mains de ceux qui, hier, soutenaient le pouvoir impérial. Zhao Weixi nomme aux postes clés de la police, de l’armée et de l’administration d’anciens loyalistes ou des proches ; si bien qu’après la Révolution de 1911, le gouvernement militaire du Gansu n’a rien de réformiste. Cet immobilisme profite non seulement aux acteurs de l’ancienne bureaucratie qui renforcent leur pouvoir sur les territoires qu’ils contrôlaient déjà, mais aussi aux fonctionnaires militaires de haut rang : ceux qui ont combattu la Nouvelle Armée du Shaanxi, en premier lieu le militaire musulman Ma Anliang. Avant la Révolution, le pouvoir de Ma Anliang était principalement concentré à Hezhou, à Xining et dans la région de Minzhou-Taozhou, mais après avoir mené l’offensive au Shaanxi et de retour au Gansu, il parvient à occuper le poste de Commandant provincial.

20Le 25 août 1912, le Guomindang (Parti nationaliste) est créé à Pékin. En novembre, sa branche au Gansu se dote d’un comité de plus de mille membres. Ma Anliang en prend la tête : cette nomination élève son statut politique et lui permet d’étendre son pouvoir personnel. En mars 1913, la première assemblée législative du Gansu – 56 membres dont 46 font partie du Guomindang – devient un moyen pour Ma Anliang de contrôler une partie de la sphère politique.

21L’ascension politique fulgurante du militaire musulman Ma Anliang inquiète Zhao Weixi, qui la perçoit comme une menace à son propre pouvoir. Une succession d’intrigues politico-militaires, fomentées par Zhao Weixi et ses acolytes, vise alors à éloigner Ma Anliang du gouvernement provincial. Zhao Weixi demande au chef de la police du Gansu de fomenter des troubles entre les armées musulmanes et non musulmanes afin d’obliger Ma Anliang à quitter la capitale provinciale. Une fois le piège déjoué, Ma Anliang informe Yuan Shikai du complot. Zhao Weixi, conscient qu’il ne peut rester en poste après une telle affaire, se rend à Pékin en juin 1913 et place provisoirement un proche, Zhang Binghua, aux commandes de la province. Ce remplaçant, dont la manière de gouverner est publiquement dénoncée dans la presse, est désavoué par le camp le plus progressiste du Guomindang. Dans le même temps, ses relations avec Ma Anliang se détériorent.

Groupe d’éminents musulmans du Gansu., excepté Zhao Weixi (n° 2).Ma Anliang est le n° 3. (Source : George Findlay Andrew, The Crescent in North-West China, London, The China Inland Mission, 1921, face à la p. 100).
  • 26 J. Lipman, ibid., p. 306 ; voir également Shi Lun, Xibei Ma jia junfa shi [L’histoire des seigneurs (...)
  • 27 L’arrivée de Zhang Guangjian à la tête du Gansu et le rapport de force avec les autres acteurs poli (...)

22Las de toutes ces luttes intestines, le pouvoir central intervient : Yuan Shikai dissout la branche du Parti nationaliste et l’Assemblée du Gansu. Face à cette situation d’instabilité politique, chacun des camps regroupe ses forces militaires et se tient prêt à intervenir. Yuan Shikai, pour reprendre la main sur le Nord-Ouest et rééquilibrer les forces en présence à son avantage, nomme un seigneur de guerre, Zhang Guangjian26, au poste de Gouverneur du Gansu et à la tête de l’administration civile. En février 1914, les pouvoirs militaire et civil sont désormais entre les mains de ce seul homme. Il entre dans la capitale provinciale accompagné d’un impressionnant contingent de troupes de l’Anhui27 qui dissuade toute volonté insurrectionnelle.

  • 28 J. Lipman, op. cit., p. 305.
  • 29 Dans son étude sur le banditisme, Elizabeth Perry fait de Bai Lang un cas d’étude. L’auteure, avec (...)

23Une fois en poste, le gouverneur obtient un modus vivendi avec les militaires Han de la moitié Est de la province et laisse les militaires musulmans, notamment Ma Anliang, gérer les conflits entre musulmans28. Ce dernier sera par ailleurs chargé par Zhang Guangjian des opérations militaires visant à stopper l’avancée de l’armée de Bai Lang dont les bandits déferlent dans le sud du Gansu au printemps 191429.

24Ce coup de force du gouvernement central court-circuite les velléités des seigneurs de guerre musulmans, notamment Ma Anliang qui convoitait la fonction de Gouverneur du Gansu. Dans une logique de repli, il retourne, empli de rancœur, dans son quartier militaire et sa place-forte religieuse de Hezhou, héritée de son père. Son principal objectif est alors la consolidation de ses intérêts personnels dans les territoires sur lesquels il exerce officiellement son pouvoir militaire. La première affaire qu’il a à gérer dès son retrait de la capitale provinciale est de stopper la progression des troupes de Bai Lang dans le sud du Gansu. Les troupes de Ma Anliang n’interviennent pas au moment de la mise à sac de Taozhou mais seulement après, notamment pour mener, dans cette situation de chaos, une expédition punitive contre le Xidaotang.

Situations de terreur et engrenage de la violence

  • 30 Ce surnom est dû à l’homophonie des caractères lang 朗 et lang 狼 (le loup). Bai Lang 白狼, voulant dir (...)

25Les massacres perpétrés par l’armée de Bai Lang et la situation de terreur qui en résulte ont considérablement pesé sur le destin tragique de Ma Qixi. Au printemps 1914, les troupes du bandit Bai Lang, connu également sous le nom de « White Wolf30 » ou « Loup Blanc » dans la littérature occidentale, progressent vers l’ouest pour finir leur course dans le cul-de-sac des collines de Taozhou. Jonathan Lipman fait ce récit du passage des troupes de Bai Lang à Taozhou :

  • 31 J. Lipman, op. cit., p. 306.

Bai Lang despoiled the middle Wei valley, crossed into the Tao watershed, and was finally blocked from moving south by Sichuanese provincial troops. The Henanese army then erred seriously, turning west into the cul-de-sac of the Taozhou highlands. Ma Anliang and his Hui troops held the mountains to the north, the Tibetan lay to the west and south, the combined militias and Yuan Shikai’s professionals were pursuing from the east. Bai Lang’s frustrated, brutal response to this trap left the once prosperous town of Taozhou Old City a smoking ruin, its mosques burnt, its citizenry massacred. The bandit army then fled back to Shaanxi the way they had come, their proud enterprise halted by the terrain and the Gansu locals’ tenacious resistance31.

  • 32 E. Perry, op. cit., p. 366.

26Nourrissant un fort antagonisme avec le gouvernement dictatorial de Yuan Shikai et réclamant un mode de gouvernance plus juste32, les attaques de l’armée de Bai Lang visaient à l’origine essentiellement les plus fortunés – officiers du yamen, marchands, propriétaires terriens, usuriers – le mot d’ordre était donné d’épargner les petites gens et leurs maisons. Lorsque son armée effectuait des raids dans la province du Henan, elle avait le soutien de la paysannerie locale et elle s’imposait une discipline stricte. Au Gansu, la nature de ce mouvement révolutionnaire s’altère ; les troupes de Bai Lang rencontrent l’hostilité et la résistance des populations locales, tout particulièrement des populations musulmanes et tibétaines, ce qui expliquerait en partie l’usage d’une telle violence lors de leur passage dans cette région :

  • 33 Ibid, p. 374.

A more severe test of the internal cohesion of Bai Lang’s army developed in May 1914 when the brigands, fighting in the inhospitable setting of Gansu Province, had clearly lost the upper hand. An outbreak of plague took the lives of a number of Bai Lang’s followers. Even more problematic was the overt hostility of the local Tibetan and Muslim populations. The enmity of the latter group was aroused when Bai Lang’s troops killed a Muslim governor in battle. Revenge exacted a severe toll on the bandit forces ; in the fighting, Bai Lang himself lost two teeth to Muslim women armed with clubs. Although his army managed to take the city of Taozhou, they continued to face serious local resistance33.

27Le missionnaire protestant américain Calvin Snyder a laissé un témoignage saisissant des massacres de civils qui ont eu lieu dans l’enceinte de Taozhou. Ayant réussi à s’échapper la veille avec d’autres membres de la mission, il n’a pas été témoin direct de tous les événements dont il fait le récit :

On May 25th the army of « wolves » reached the Old City [of Taozhou]. The Taochowites showed fight and actually killed off their enemies between one and two hundred men, but it was an unequal contest. Here again as in Minchow [Minxian] better equipment and tactics favored the foe ; added to this were superior numbers, and so the outcome was a foregone conclusion. It was really a case of people defending themselves against armed cohorts, who had measured arms on more than one occasion with Government troops.

Later on in the day the robbers came like a flood. A few ascended the north wall, and once inside the city their work of carnage began. Anything in sight was shot down – men, women, and children, young and old, Mohammedans and Chinese, yea, even horses, cattle, and dogs. Among the brigands were many boys who fought recklessly and killed numbers. A certain boy of this stamp is reported to have dispatched eighteen individuals.

  • 34 C. F. Snyder, « The Taochow and Minchow Disaster », The Alliance Weekly xlii/24 (12 sept. 1914), p. (...)

The Taochow city gates previously closed remained so upon the ingress of these villains. This proved to be a death trap, for when the massacre began inside the city there was a stampede to get out, and, oh, horror of horrors ! The sight of the dead piled up at the west gate even on May 28th was gruesome. Five-sixths of the place within the walls was smoldering in ashes, and the dead were strewed about. Taochow became a necropolis. The large upper Mohammedan mosque, crowded with one or two thousand refugees, was fired by the Mohammedans themselves. The main business quarters and street have been converted into a mass of rubbish underneath which are still some dead. It is estimated that about 10,000 perished in this catastrophe. Many country people and many from the New City having taken refuge here, were immolated. People committed suicide by jumping into wells which were chocked ; other by taking opium. Some heartlessly killed their offspring with their own hands, and other little victims were buried alive so they would not be a burden in the fight34.

28Reginald Farrer, un botaniste, arrive dans la région en juillet 1914. Il se laisse raconter le sac de Taozhou par les missionnaires Christie et Purdom présents dans la région au moment des faits :

  • 35 R. Farrer, On the Eaves of the World, Londres, Edward Arnold, 1926 [1re éd. 1917], vol. 2, p. 101-1 (...)

On the twenty-fifth of May the Wolf came up against Tao-jô [Taozhou]. The city, largely inhabited by Mahomedans, showed a fine fighting spirit, and resolved to resist to the last. Unfortunately, the bodies of men that went out to attack the invader lacked coherence and generalship, and not their fiercest efforts could stem the advance of the conqueror. On the twenty-fifth of May Tao-jô was taken by storm, and the Wolves immediately set themselves deliberately to destroy every living thing within the walls, not only the men and women, the cattle and horses, but down to the very dogs and cats in the lanes. The gates were stacked up to their arches with carrion, and the streets a chaos of corpses. Lust and fire played their part, and the women of the place, when they had served their turn, lay scattered limb from limb. […] More splendid than this was the escape of the Mahomedans, for these, when all was clearly lost, shut themselves up with their wives and families in their great mosque with the many-storied tower, set fire to it, and so all went out of reach of the Wolf together in a burst of glory. Ten thousand human beings and more perished in the sack of Tao-jô, and in the wide enclosure of what had once been the most thriving and populous mart of the North-Western March only one house was left standing, by accident, in a world of smoking ruins, when the Wolves had done with it. The reasons for so appalling a devastation could only be matter for conjecture ; nowhere else did the Wolf display so intense and deliberate a vindictiveness. The legend that most obtained was that the leading Wolf of this party had an ancient vendetta against the Mahomedans of Tao-jô, one of his ancestors having been murdered by one of theirs, and lying to this day in the graveyard of the Princes of Jo-ni35.

  • 36 « The White Wolf Raid » by William Christie, retranscription tapuscrite d’un enregistrement, non da (...)

29S’il peut décrire par récits rapportés la situation de Taozhou, William Christie a fait l’expérience directe du raid de Bai Lang à Minzhou (actuel Minxian), où il était en charge de la mission depuis seulement deux mois. Il témoigne de cet épisode lors d’un entretien où il raconte « The White Wolf Raid »36. L’entretien commence ainsi :

I want to introduce my story of the White Wolf raid by reading a report that the Apostle Paul gave of one instance in which he got into trouble and he tells us what he did when he got in trouble. Not because of his own wishes, necessarily, but because he was a servant of Jesus Christ and a preacher of the gospel. In II Corinthians the 1st chapter, reading from the 8th verse, we have these words […]

30Dans ce témoignage, William Christie, fidèle à la tradition de la Christian & Missionary Alliance, met son récit directement en rapport avec un passage des évangiles centré autour de la figure de Jésus Christ. Ce récit est édifiant dans le sens où l’apôtre Paul sert de modèle au missionnaire qui tout comme lui, en cette fin du mois de mai 1914, a placé sa confiance dans le Seigneur. De là, suit un récit où Christie décrit la façon dont il a traité avec les bandits, mais surtout la manière dont, « guidé par le Seigneur », il a épargné trois femmes missionnaires et sa fille âgée de cinq ans et demi. Il décrit cette expérience de violence extrême en ces termes :

The whole air was full of decaying human flesh. The smell of the battlefield – some of you veterans tonight know the smell of the battlefield and so do I too. Its [sic] a terrible stench. But those men were very wicked and very wanton – they killed thousands upon thousands of cattle and horses and mules and donkeys and dogs and pigs every living thing that was destined for life and taken the life of those living things. […] in the other city TaoChow to which we had gone more than 7000 people were wantonly shot to death by those wicked White Wolf Brigands before they left that city. However the thing blew over and then the Lord said to me, “My child this is a sample of lawlessness let loose. This is what is going to happen in all the world in the days when the lawless one shall reign – the anti-christ.”

  • 37 Sur la représentation de la violence et sa justification dans les textes canoniques des traditions (...)

31Dans ce récit ex-post, Christie intègre l’évocation de ces violences extrêmes dans un cadre interprétatif plus large, relevant d’une lecture plus théologique37. Ici, le lien entre violence et religion est tissé dans une perspective eschatologique, pour procéder à des « mises en sens », pour reprendre un terme de Claude Lefort.

  • 38 Pour un récit des événements fait du point de vue des missionnaires catholiques voir : K. De Ridder (...)
  • 39 Cette référence à une légende donne une forme particulière au récit de la violence qui permet de re (...)

32Revenons-en aux faits. Les récits de Snyder et Farrer indiquent qu’une résistance armée s’est organisée mais qu’en raison d’un manque d’équipement et de coordination les forces de cette milice d’auto-défense ont vite été anéanties par le déferlement des troupes de Bai Lang. Ils décrivent tout deux le piège qu’ont été les murailles de la ville au sein desquelles les massacres, dont ils peinent à définir les motifs exacts, ont eu lieu dans la plus grande barbarie38. La légende racontée par Reginald Farrer inscrit ces événements de Taozhou dans un cycle de vengeance et de revanche. Cet élément de compréhension est repris par Christie dans son interview pour expliquer l’extrême violence des attaques39.

  • 40 R. Farrer, op. cit., p. 103.

33Alors que l’étau se resserre de plus en plus autour de l’armée de Bai Lang, ne lui laissant aucune issue sinon rebrousser chemin vers la province du Henan, Farrer précise dans son récit que les troupes de Ma Anliang ne sont pas intervenues au moment du massacre pour défendre la ville ; elles sont restées en faction pour protéger l’accès aux routes du nord40. En termes de stratégie militaire, il est difficile de déterminer pourquoi Ma Anliang a tant tardé à intervenir et s’il comptait sur la force des milices d’auto-défense locales pour repousser l’ennemi.

34Lors du raid, des échauffourées ont eu lieu entre le Xidaotang et les troupes de Bai Lang. Précisons que le complexe du Xidaotang se trouve à l’extérieur des murailles de la ville, dans l’enceinte de laquelle le plus gros des massacres a eu lieu :

  • 41 Ma Tong, Zhongguo yisilan jiaopai menhuan suyuan [Origine des courants islamiques et des menhuan en (...)

L’après-midi, les hommes de Bai Lang attaquèrent le Xidaotang. Comme le Xidaotang se trouvait au pied de la montagne Xifeng, il bénéficiait d’une protection naturelle qui en fait un endroit facile à protéger et difficile à prendre. Bai Lang, qui avait déjà essuyé de nombreuses pertes, ne pouvait en venir à bout en un seul assaut : il craignait également que si la manœuvre durait trop longtemps, la situation lui serait défavorable avec l’arrivée depuis Hezhou de l’armée de l’ouest. Le Xidaotang craignait de son côté que la situation dégénère, alors le 2 mai un émissaire fut envoyé pour trouver un accord, lequel fut accepté par Bai Lang. Les deux parties se sont entendues pour que le Xidaotang livre 30 chevaux à la condition que les combats cessent. Mais au moment où le Xidaotang ouvrit ses portes pour procéder à l’échange, les troupes de Bai Lang ouvrirent le feu et tuèrent les gardiens, Ma Selimu et Ma Qishan. Sur ce, le Xidaotang regroupa plusieurs personnes puis les affrontements firent rage à Xihetan. Le résultat fut que les deux camps essuyèrent une perte de plus de vingt hommes. Les membres du Xidaotang, craignant une attaque surprise, s’enfuirent la nuit même vers Zhuoni, à Laziha41.

35Au moment où les troupes armées de Ma Anliang se mettent en marche, les bandits de Bai Lang, craignant de lourdes représailles, s’enfuient la nuit même vers l’est pour regagner finalement, avec de lourdes pertes, la province du Henan.

La fuite de Bai Lang et l’assassinat de Ma Qixi

  • 42 Selon le recensement de 1906, la population de ce qui sera nommé plus tard le « district de Lintan  (...)

36Les affrontements avec les troupes de Bai Lang ont causé des pertes humaines considérables à Taozhou, estimées entre 7 000 et 10 000 par les missionnaires42. Dans cet amas de ruines, seule une maison tenait debout. Les épisodes les plus traumatisants pour la population locale ont probablement été les suicides collectifs par immolation, entrainant la vie de plus de mille musulmans de tous âges et sexes confondus ainsi que le nombre considérable de femmes victimes de viol. Au lendemain de la tragédie, le Xidaotang, avec ses vingt hommes tombés au combat, apparaît incontestablement comme la communauté ayant essuyé le moins de pertes. Tout comme William Christie l’avait fait pour sa mission de Minzhou, ils ont essayé de négocier un modus vivendi, immédiatement rompu par les troupes de Bai Lang.

  • 43 Durant cette période de chaos, les troupes musulmanes semblent avoir commis des exactions envers le (...)

37Au début du mois de juin, Ma Anliang envoie un de ses officiers, Ma Zhongxiao, à la poursuite des troupes de Bai Lang qui s’étaient enfuies vers l’est43. Lorsqu’il traverse Taozhou, Ma Zhongxiao reçoit une requête de la part de Min Hanzhang demandant la condamnation de Ma Qixi avec pour motif : « Le Xidaotang a pactisé avec Bai Lang et a tué d’honnêtes gens ». Ma Zhongxiao demande au préfet de Taozhou, Lin Mou, d’expédier Ma Qixi devant l’administration militaire de la province avec comme chef d’accusation : « connivence avec les bandits ». En même temps, il en réfère au gouverneur du Gansu, Zhang Guangjian. Ce dernier, conformément à la vieille tactique « d’utiliser les musulmans pour gouverner les musulmans », s’en remet à Ma Anliang pour vérifier l’accusation et résoudre l’affaire.

38Pour donner suite à cette accusation, formulée par un de ses alliés les plus fidèles à Taozhou, Ma Anliang envoie son frère cadet Ma Hawu et son fils Ma Tingrang, accompagnés de plus de cent cavaliers, prendre garnison à Taozhou et dans les villages des environs. Le soir même, Ma Tingrang retourne à Hezhou avec deux prisonniers accusés d’avoir pactisé avec les bandits de Bai Lang, des moines taoïstes dont le temple se trouve sur la montagne Xifeng non loin de l’établissement religieux du Xidaotang. Les deux moines auraient avoué que Ma Qixi a collaboré avec Bai Lang et qu’il a causé la mort de nombreux innocents. Ma Anliang ordonne alors à son officier Zhang Shunyuan d’installer une garnison militaire à Taozhou et de procéder à des manœuvres militaires tous les jours devant la porte de l’établissement religieux du Xidaotang.

  • 44 Ma Tong, op. cit., p. 126.

39Dès l’aube, Zhang Shunyuan et ses troupes encerclent le Xidaotang. Ma Qixi, ses frères Qipu et Qihua, son fils Delong, son neveu Xilong, ses disciples Su Zhankui, MaChenggong, Min Xueli, Ding Quande, Ma Desheng, Sun Qirong, Ma Yongshun, Dan Fude, Ma Shi’an, Ma Shirong, Ma Chunyuan, Ma Shizhen – dix-sept personnes au total – ont été ligotées puis exécutées par arme à feu à Xihetan. Le même jour, Ma Anliang dépêche une troupe dans le district de Hezheng à Taizijie pour y exécuter huit autres disciples de Ma Qixi. Dans la foulée, quatre-vingt fidèles sont emprisonnés à Taozhou, puis envoyés dans la Nouvelle ville de Taozhou – où ils seront libérés peu de temps après – alors qu’une quarantaine de femmes sont expédiées à Hezhou. Enfin, le seigneur de la guerre s’empare des biens de la confrérie – 1 300 000 onces d’argent – et scelle la porte du complexe religieux du Xidaotang44.

Qui parle de « persécutions religieuse » ? Comprendre les motifs de l’assassinat in situ et ex-post

40Un lettré chinois non-musulman, Yin Shicai, originaire de Minxian et contemporain de Ma Qixi, décrit cette exécution d’un point de vue interne, c’est-à-dire à partir de sa connaissance du système politique et juridique local. La biographie qu’il dédie à Ma Qixi autour des années 1920, qui ne fait pas secret de sa profonde empathie, est en réalité un pamphlet politique dissimulé :

  • 45 L’auteur de la « Biographie de Ma Qixi », un lettré chinois contemporain de Ma Qixi, est resté anon (...)

Le 19e jour de la ve lune, les opposants ont fait venir les troupes du seigneur de guerre en accusant (Ma Qixi) de collusion avec l’ennemi [Bai lang] ; sans document officiel, ni dossier judiciaire, elles ont procédé à l’exécution du Maître par arme à feu45.

41La critique de Yin Shicai porte sur un usage illégitime de la violence par les troupes du seigneur de guerre car l’exécution a été menée en dehors de tout dispositif légal : « sans document officiel, ni dossier judiciaire ». Sa réaction nous informe sur deux points : d’une part, que ces agissements arbitraires de la part du seigneur de guerre choquent la classe lettrée, même dans cette période postrévolutionnaire, d’autre part, que la référence normative reste celle de la loi.

42Les missionnaires ont, eux aussi, tenté d’expliquer les circonstances et les motifs de cette exécution. Calvin Snyder se remémore cette tragédie dans un article intitulé « Moslem Converts in West China », écrit en 1955 :

I recall an incident which occurred when Mrs. Snyder and I were living in Taochow [Taozhou] (Old City), a Moslem stronghold and a great trading center for the Tibetans. My morning devotions were rudely interrupted by a great commotion in the street. When I looked out I discovered that troops under the command of the noted general, Ma An Liang, were proceeding to arrest and to exterminate the leaders of the New Sect which had sprung up about a teacher called Ma Ch’i Hsi [Ma Qixi]. He was popularly called “the revealer of Western secrets”.

Ma An Liang was a stout defender of “the clean, the true, and the pure religion” of Mohammed, and in the name of the “only one and not two” God he applied the same stern measures against heretics as Israel did in the conquest of Canaan. That day nineteen leaders were put to death, including all the males in the family of the New Sect’s founder, even down to his grandsons, and some were but babes. By the time the purge had ended twenty-nine persons had been killed. Of course this did not stop heretical sects from springing up and becoming strong enough to rival the Old Sect eventually. […]

  • 46 C. F. Snyder, « Moslem Converts in West China », The Alliance Weekly 90/12 (1955), p. 9-11 [9-10].

So well had General Ma An Liang planned his attack that all defense of Ma Ch’i Hsi was quickly overcome, and he was at the mercy of the troops. In desperation some of the New Sect leaders, on their way to execution, even begged the missionary to appeal the military officials for their lives. But the religious zeal of Islam knows no turning back46.

43Dans ce récit de 1955, Snyder avance des motifs essentiellement religieux et théologiques pour expliquer l’extermination de Ma Qixi, son lignage et ses disciples par Ma Anliang. Il revient sur les conflits entre la « Old Sect » (représentée par Ma Anliang et ses alliés à Taozhou) et la « New Sect » de Ma Qixi, qualifiée d’hérétique. Dans ce récit, formulé ex-post, il indique que les leaders du Xidaotang ont sollicité l’aide des missionnaires pour alerter des officiers militaires, ce qui laisse penser qu’ils auraient pu trouver des alliés si l’assaut n’avait pas été si brutal et inattendu.

44Dans ses écrits plus anciens, rédigés dans un après-coup plus immédiat, comme les bulletins publiés dans les journaux de la C&MA datés des années 1914 et 1915, on découvre que le missionnaire n’avait pas tout à fait saisi la situation en ces termes au moment des faits. Ses impressions et interprétations premières, au plus près de l’événement, nous intéressent tout particulièrement ici. Quelques mois après le massacre, en septembre 1914, il écrit :

  • 47 C. F. Snyder, « The Taochow and Minchow Disaster », The Alliance Weekly xlii/24 (12 sept. 1914), p. (...)

Just while writing this another tragedy has taken place (July 11th). Official orders reached here to punish the head of the Mohammedan New Sect. Like a bolt from the blue this was done. The adherents of this cult are about 50 or 60 families strong and had a goodly number of rifles and ammunition. Eleven men were shot this morning, so with the leaders no more the sect is practically exterminated47.

45Le 11 novembre 1914, il revient sur les faits :

  • 48 Anonyme [C. Snyder ?], rubrique « Our Foreign Mail Bag », The Alliance Weekly xliii/20 (27 fév. 191 (...)

Soon after “White Wolf’s” visit, came the extermination of the heads of a New Moslem Sect, by the Old Sect Moslem at Old City, causing a consequent increase of tension and strain upon us, not knowing the true nature of the attack48.

46La dernière mention de l’événement dans ses écrits de la période date de 1915 :

  • 49 C. F. Snyder, « The Open Door Versus the Shut Door », The Alliance Weekly xliv/9 (29 mai 1915), p.  (...)

The ruthless extermination of the Mohammedan new sect assuredly put new fear and terror into the hearts of the “faithful”49.

47Dans sa description des événements reconstituée à partir de récits oraux qu’il a pu rassembler, Findlay Andrew, missionnaire de la China Inland Mission au Gansu dans les années 1910, est plus précis :

  • 50 F. Andrew, op. cit., p. 59-60.

Events now speedily hastened on toward their [the New sect] end. One of the most inveterate enemies of the New Sect [Min Hanzhang ?], by means best known to himself, managed to get an order from Ma An-liang [Ma Anliang] for the extermination of Ma Ch’i-hsi [Ma Qixi] and the suppression of his sect. This order arrived at Taochow [Taozhou], Old City, at dusk on July 10, 1914, but the body of Hwei-Hwei [Hui Hui] soldiery who were commanded to execute the order were absent at the New City of Taochow, some twenty miles distant. A messenger was at once despatched to summon them. He departed just after dark on the 10th and returned with the troops before daylight on the following morning. Immediately on arrival they set about their work of murder. The New Sect was taken absolutely by surprise, so could offer no organized resistance. Ma Ch’i-hsi [Ma Qixi] was shot on the roof of his house whilst at his devotions. For two hours or more the merciless hunt continued, till nineteen leaders of the sect had been done to death. These included every male member of the founder’s family, down to his grandsons, mere babes at the breast. In all, in the three centres of the sect, twenty-nine of its leaders were shot. Ma Ch’i-hsi at the time of his death was in his fifty-eighth year. All his property was confiscated by Ma An-liang50.

48Les deux missionnaires, Snyder et Andrew, ainsi que le lettré Yin Shicai, mentionnent que l’extermination a eu lieu dans le cadre d’une manœuvre militaire officielle sous le commandement du seigneur de guerre Ma Anliang, avec l’aval du Gouverneur de la province. Dans la version de Findlay Andrew, l’assassinat a lieu sur fond d’intrigue politico-militaire : la volonté de Min Hanzhang d’exterminer ce nouvel ordre religieux grâce au soutien militaire de Ma Anliang (« One of the most inveterate enemies of the New Sect, by means best known to himself, managed to get an order from Ma Anliang for the extermination of Ma Ch’i-hsi and the suppression of his sect »). Snyder, dans ses premiers récits des années 1910, identifie les troupes de Ma Anliang sans mentionner les manœuvres de Min Hanzhang (« I discovered that troops under the command of the noted general, Ma Anliang, were proceeding to arrest and to exterminate the leaders of the New Sect »).

49Les motifs de l’arrestation et de l’exécution restent inconnus des missionnaires. Les bulletins rédigés par Snyder quelques jours puis quelques mois après l’exécution de Ma Qixi et de ses disciples indiquent précisément que la nature de cette attaque reste floue (« not knowing the true nature of the attack »). Ni Snyder, ni Andrew, ne mentionnent à aucun moment l’accusation selon laquelle Ma Qixi aurait pactisé avec les bandits de Bai Lang.

50L’incapacité à déterminer les causes réelles de l’attaque fait surgir une période d’incertitude chez Snyder. Ce doute sur les motifs réels de l’assaut ouvre un horizon de possibles dans lequel la mission protestante se sent menacée. Durant un court moment, la capacité à maintenir la mission à Taozhou et à garantir la sécurité des convertis est remise en cause. Les inquiétudes des missionnaires rejoignent ainsi celles de Yin Shicai, qui dénonce l’exercice d’un pouvoir arbitraire en dehors de tout cadre légal et en rupture avec un ordre social établi. Ce degré d’incertitude montre que dans le cours de l’action la manœuvre militaire de Ma Anliang n’était pas associée d’emblée à des persécutions religieuses internes à l’islam.

51Cette exécution a probablement marqué les esprits par sa rapidité, sa violence et sa radicalité. Les observateurs décrivent une manœuvre militaire des troupes de Ma Anliang qui auraient décimé le lignage dans plusieurs bastions de façon synchronisée. Andrew mentionne que l’attaque a été menée par surprise alors que Ma Qixi se trouvait dans l’incapacité de se défendre (« The New Sect was taken absolutely by surprise, so could offer no organized resistance »). Snyder, lui, met en avant la stratégie militaire de Ma Anliang visant à anéantir toute riposte possible (« So well had General Ma An Liang planned his attack that all defense of Ma Ch’i Hsi was quickly overcome, and he was at the mercy of the troops »).

52L’horreur de la scène est décrite avec la même intensité dans les deux récits (« and some were but babes », « mere babes at the breast ») et le nombre de victimes correspond. Le vocabulaire pour décrire l’extrême violence de la scène se recoupe largement : « extermination », « suppression », « work of murder », « merciless hunt » (Andrew) et « to exterminate », « stern measures », « purge », « execution », « no turning back » (Snyder). Andrew précise que Ma Qixi est tué pendant sa prière, alors que la version de Snyder corrobore celle de Ma Tong en évoquant une arrestation suivie d’une exécution. Dans le récit d’Andrew, on s’aperçoit que des histoires mettant l’accent sur la mort en martyr de Ma Qixi circulent déjà en dehors de la bourgade. Ces témoignages orientent notre regard sur la question du lignage et des liens spirituels puisque les victimes de l’attaque font toutes partie du lignage de Ma Qixi et du cercle d’initiés le plus proche.

53Entre ces témoignages écrits juste après les événements et le récit que Snyder en fait en 1955, l’interprétation des faits a changé de cadre de référence. Rétrospectivement, l’assassinat de Ma Qixi et l’extermination de son lignage et de ses fidèles sont perçus comme un antagonisme irréconciliable entre deux ordres religieux, reprenant l’opposition classique entre « old » et « new » sect. On peut cependant voir dans ce massacre des motivations d’ordre plus politico-militaire que religieux. Un indice nous est fourni par Findlay Andrew quand il évoque la militarisation croissante du Xidaotang à la barbe de Ma Anliang en ces termes :

  • 51 F. Andrew, op. cit., p. 58.

Ma Ch’i-hsi [Ma Qixi] had among his followers some men of real ability who could carry to a successful issue almost any piece of business they undertook. From Hankow they managed to bring up a hundred and twenty modern rifles with case after case of German ammunition. How they managed to evade the vigilance of the officials en route will always remain a mystery51.

54L’armement conséquent du Xidaotang est noté également par Snyder : « The adherents of this cult are about 50 or 60 families strong and had a goodly number of rifles and ammunition ». La description d’Andrew montre que la militarisation progressive du Xidaotang s’appuie sur un réseau d’alliances politique, économique et religieuse assez dense, soutenues par le développement de son réseau marchand dans l’est du pays, lui-même adossé au système d’organisation socio-économique mis en œuvre à Taozhou. Les combats menés par les membres du Xidaotang contre l’armée de Bai Lang ont été un révélateur de leur force militaire et de leur capacité à organiser leur propre défense. La militarisation du Xidaotang dans une région étroitement contrôlée par le seigneur de guerre Ma Anliang soulève des inquiétudes chez ses opposants soucieux de garder la main sur les territoires qu’ils contrôlent.

  • 52 Je fais référence ici à la lecture que Paul Ricoeur donne de l’œuvre d’Hannah Arendt sur la questio (...)

55La situation de terreur et de chaos laissée par Bai Lang a finalement servi à reconfigurer les rapports de force à l’avantage de Ma Anliang en permettant une manœuvre militaire en dehors de tout cadre légal et sans motifs légitimes. L’usage de la violence à l’encontre de Ma Qixi et de son lignage confirme paradoxalement la réalité de son pouvoir et le délitement de celui de Ma Anliang, car « c’est quand le pouvoir manque que la violence tend à occuper le terrain »52.

Conclusion

56L’assassinat de Ma Qixi par Ma Anliang montre en premier lieu l’effritement des institutions régulatrices héritées de l’empire sous le poids de l’hégémonie des seigneurs de guerre au Gansu. Comme le souligne le lettré Yin Shicai avec ses critères de justice provenant de la période prérévolutionnaire, un tel assassinat ne trouve de justification que dans l’exercice d’un pouvoir militaire arbitraire. Nous sommes ici dans le cadre d’une opération militaire violente visant à conserver la suprématie sur un territoire.

57L’enchaînement des séquences historiques permet ainsi de mettre au centre de la réflexion les conditions historiques qui ont permis ce règlement de comptes d’une extrême brutalité. La situation de terreur et le désordre social et moral que les troupes de Bai Lang laissent derrière elles ouvrent la voie à une toute autre forme de violence à l’encontre du Xidaotang. Les accusations portées à l’encontre de Ma Qixi auraient en temps normal fait l’objet d’une enquête ; mais face à la désintégration des instances régulatrices et à la situation de chaos social, rien ne parvient à extraire ce groupe religieux du cycle de vengeance dans lequel il est pris.

58L’extermination de ce lignage saint dépasse un champ d’action circonscrit au domaine religieux et prend une dimension plurielle à la fois religieuse, sociale et économique. Plusieurs acteurs de la vie locale ont sans doute trouvé un intérêt dans l’élimination de ce groupe religieux : les musulmans les plus conservateurs qui se sont toujours dressés avec virulence contre l’enseignement religieux novateur de Ma Qixi ; ceux qui voulaient défendre leurs activités économiques et qui voyaient d’un mauvais œil l’expansion économique du Xidaotang ; les pans de la société locale opposés aux idées modernes du Maître qui encourage notamment l’instruction des jeunes filles. Les idées et les actions de Ma Qixi dans le champ religieux, social et économique correspondent à un idéal moderne porté par la naissance de la république et contreviennent aux traditions des acteurs les plus conservateurs de cette bourgade du sud du Gansu.

59Enfin, envisagée comme un événement ponctuant la carrière politico-militaire de Ma Anliang, et non plus du seul point de vue de l’histoire de Taozhou ou du Xidaotang, la mise à mort de Ma Qixi invite à réfléchir à l’usage de la violence dans l’exercice d’un pouvoir militaire, mais aussi politico-religieux, visant à contrôler les ressources humaines et naturelles d’un territoire dans un contexte d’ouverture aux modernités. Après son revers politique dans la capitale de la province, c’est au moment de son repli forcé dans son fief historique que Ma Anliang saisit l’opportunité d’éradiquer le lignage saint du Xidaotang, perçu comme une menace à son pouvoir religieux, économique et politique. L’analyse de l’usage de la violence dans ce cas précis révèle une des façons dont se règlent les relations de pouvoir dans un contexte politique instable et sur un territoire fragmenté. Ainsi, ces persécutions, si elles peuvent être qualifiées de « religieuses » dans le sens où elles opposent des courants islamiques rivaux, sont néanmoins motivées par des logiques qui dépassent la seule sphère du religieux.

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Notes

1 Je remercie vivement Stéphane Baciocchi, Xénia de Heering, Vincent Goossaert et Ariane Mak pour leur relecture attentive et leurs suggestions. Mes remerciements vont également à Kristin Rollins, l’archiviste en chef de la Christian and Missionary Alliance (Colorado Springs). Cet article rassemble les premiers résultats d’une recherche menée dans le cadre d’une bourse accordée par la Gerda Henkel Stiftung (The Concept of Nation, National Movements and Nationalism in Islamic Civilization - AZ 03/IS/15) sur le thème « The Emergence of Nation-State Idea and National Movement within the Xidaotang, a Chinese Islamic Movement ».

2 Dans cet ouvrage, fondé sur un corpus considérable de traductions, Jan Jakob Maria de Groot se livre à une étude des écrits impériaux traitant de la question des sectes et de leur répression. Voir : J. J. M. de Groot, Sectarianism and Religious Persecution in China : a Page in the History of Religions, Amsterdam, J. Miller, 2 vols., 1903.

3 Les premiers empereurs de la dynastie des Qing étaient grandement conscients du problème particulier que posaient les communautés musulmanes à la stabilité de l’empire. La politique qu’ils appliquaient face à l’islam était teintée de « grande prudence ou de lâcheté », selon les termes employés par de Groot (« haughty prudence or cowardice », ibid., p. 270). Si les rébellions du xviiie et du xixe siècles ont largement été traitées par l’historiographie, celles de 1648 au Gansu, décrites par de Groot (ibid., p. 269), sont mal connues.

4 Jonathan Lipman résume les dissensions entre ces deux ordres soufis ainsi : « The most divisive conflicts, which produced long-term and disastrous consequences for the Muslims of the northwest, occured not between Sufis order and Gedimu congregations but between rival Sufi orders. The Khafīya and Jahrīya came to be personified in their leaders, who preached what Gansu Muslims heard to be different messages, practiced what they observed to be different rituals, and advocated different social and political ideals. Khafīya Sufis claimed to find Jahrīya practices superstitious, heterodox, and sometimes, – as in the case of rhythmic motion during vocal dhikr recitation – downright immoral. Ma Mingxin, on the other hand, criticized the excessive contributions demanded by Ma Laichi’s successor for their religious services, the emphasis on veneration of saints and tombs, and the development of hereditary succession within the Khafīya » (J. Lipman, Familiar Strangers : A History of Muslims in Northwest China, Seattle and London, University of Washington Press, 1997, p. 90).

5 Concernant l’histoire de la Jahriyya, voir : F. Aubin, « En Islam chinois : quels Naqshbandis ? », dans M. Gaborieau, A. Popovic, T. Zarcone (éd.), Naqshbandis : Cheminements et situation actuelle d’un ordre mystique musulman, Istanbul/Paris, Éditions Isis, 1990, p. 491-572.

6 La militarisation progressive de la société chinoise, en réponse aux nombreuses rébellions qui sévissent sur son territoire sous les Qing, a été étudiée par Philip A. Kuhn (Rebellion and Its Enemies in Late Imperial China, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1970).

7 À ce sujet, voir les travaux non publiés de Max Oidtmann qui indique également que Taozhou était une région fortement militarisée, avec pas moins de 37 forts et palissades pour la défense locale sous les Qing (« Banquets, Horses, and Blazing-Hot Rebellions : Qing Frontier Administration and the Muslim Rebellions in Taozhou, 1863-1867 », Seminar paper for History 2848b, inédit, 2005, p. 13).

8 La corruption du système d’examen après la révolte des Taiping (1850-1864) est devenue endémique et de nombreux fonctionnaires sont choisis par le biais de la recommandation. Même si, sous l’ère Tongzhi (1862-1874), le gouvernement a cherché à rééquilibrer le processus de sélection, « l’État a en réalité perdu le contrôle sur ses ressources humaines », B. A. Elman, « Changes in Confucian Civil Service Examinations from the Ming to the Ch’ing Dynasty » (dans B. A. Elman, A. Woodside (éd.), Education and Society in Late Imperial China, 1600-1900, Berkeley, University of California Press, 1994, [111-149], p. 123).

9 Phil Billingsley dans son étude sur le banditisme pendant la période républicaine indique : « By 1930, the country’s total bandit population was being conservatively estimated at some twenty millions, and local gazetteers echoed a popular refrain when they complained that “the nation has all but ceased to be a nation and has become a bandits’ world” ! », P. Billingsley, Bandits in Republican China, Stanford, Stanford University Press, 1988, p. 1. Voir également : L. Bianco, Jacqueries et révolution dans la Chine du xxe siècle, Paris, Éditions de La Martinière, 2005.

10 Pour plus de détails sur ces conflits, voir : M.‑P. Hille, « Le Xidaotang : processus de légitimation d’un nouveau courant de l’islam chinois au début du xxe siècle dans le sud du Gansu », Études chinoises 27, 2008, p. 117-145.

11 Au début du xxe siècle on note la présence de 13 mosquées, 31 ahong (imams) et cinq gongbei (mausolées) à Taozhou. Liao Kaitao, « Gansu zhi minzu wenti » [La question du minzu au Gansu], dans Xibei wenti yanjiusuo (éd.), Xibei wenti luncong, Zhongguo Guomindang Zhongyang shunlian tuan, 1941, vol. 1, p. 81-96. Cité par Lipman in Familiar Strangers, op. cit., p. 152-153. Gongbei est un terme chinois provenant du persan gonbad, « dôme, coupole », et, en islam d’Asie centrale, qubba, « tombe voûtée », il désigne le tombeau des saints ou leur mausolée. Concernant les origines arabo-persanes des termes islamiques en chinois voir Aubin, « En islam chinois… », op. cit.

12 Contrairement à d’autres localités du Gansu (Xining, Xunhua, Ningxia et Hezhou) où l’introduction de nouveaux ordres soufis a souvent donné lieu à des rixes violentes et menacé l’ordre public, la complexification du paysage religieux à Taozhou s’est faite de façon plus échelonnée et progressive. Jusqu’à l’arrivée des premiers soufis à Taozhou au xviiie siècle, la communauté religieuse locale était principalement qadim (ch. : ge-di-mu), pratiquant un islam dit traditionnel (i.e. non-soufi). Les premiers soufis à s’y installer, originaires de Hezhou, sont affiliés au menhuan Huasi (lignage de Ma Laichi issu de la Khafiyya), suivis près d’un siècle plus tard par ceux du menhuan Beizhuang, une autre branche de la Khafiyya. Les membres de la confrérie soufie de la Jahriyya (rivale de la Khafiyya) – adeptes originaires de Gongchang (Longxi) fuyant la répression armée des Qing – arrivent tardivement à Taozhou, autour de 1860. Cette petite communauté jahri sera renforcée, plus tard, dans les années 1920 et 1930, par la venue des marchands de Zhangjiachuan. Un indicateur de cette paix sociale relative est le faible retentissement des révoltes musulmanes de 1860-1870 à Taozhou comparé aux autres régions du Nord-Ouest qui sont devenues des bastions durs de la rébellion. Pour plus de détails sur les communautés musulmanes du Gansu voir J. Lipman, « Patchwork Society, Network Society, A Study of Sino-Muslim Communities », dans R. Israeli, A. H. Johns (éd.), Islam in Asia, Jerusalem, The Magnes Press, 1984, vol. 2, p. 246-274. Sur les divers courants islamiques implantés à Taozhou voir : Zhang Shihai, « Lintan Huizu de lishi ji xianzhuang » [Histoire et situation actuelle des musulmans de Lintan], Gansu minzu yanjiu 1993, n° 3, p. 72-77.

13 Sur ce point voir : M.‑P. Hille, « Les Han kitab et le Xidaotang, Réception et usage d’une littérature musulmane en chinois à la fin du xixe siècle à Taozhou (Gansu) », Études orientales 27/28, 2016, p 327-374.

14 Sur ce point voir : F. Aubin, « Les traductions chinoises du Coran », Études orientales 13/14, n° consacré à L’Islam en Chine : réalités et perspectives, 1994, p. 81-88.

15 Cette difficulté n’est pas propre à l’islam chinois, voir à ce sujet : N. Haeri, Language, Ordinary People : Dilemnas of Culture and Politics in Egypt, New York, Palgrave Macmillan, 2003.

16 Voir M.‑P. Hille, « Le processus de légitimation », op. cit.

17 À ce sujet voir le chapitre 8 (« L’âge d’or du Xidaotang : une expérience religieuse et séculière à l’aune de la modernité (1919-1949) ») dans M.‑P. Hille, Le Xidaotang, une existence collective à l’épreuve du politique. Ethnographie historique et anthropologique d’une communauté musulmane chinoise (Gansu, 1857-2014), Thèse de doctorat en anthropologie sociale et ethnologie, Paris, EHESS, 2014, 3 vols. (904, 207 p.).

18 Nous reprenons ici la lecture que Ma Xuelian a faite de la relation entre Ma Qixi et Ma Anliang. Ma Xuelian, Zhou Daming, « Zuo Zongtang de ‘shanhou’ cuoshi yu Ma Anliang—jianlun dui Xidaotang de yinxiang [La politique de « réparation » de Zuo Zongtang et Ma Anliang—et son influence sur le Xidaotang] », Xibei minzu yanjiu 2 (2007), p. 139-146.

19 Jie Min (pseud.) [Ding Zhengxi], « Gansu Lintan qingzhen Xidaotang zhi shilüe [Brève histoire du Xidaotang à Lintan, Gansu] », Huijiao qingnian 4-5 (1942), p. 9-11.

20 Comme le souligne N. Unno-Yamazaki dans son étude « Cutting off the Queue for Faith, Preserving the Queue for face : Chinese Muslims’ Queue-Cutting Movements in North China during the Xinhai Revolution Period » (Asian Studies vi (xxii), 1 (2018), p. 11-31), l’interprétation de ce choix appelle beaucoup de prudence et ne recouvre pas forcément une dimension patriotique.

21 Nous suivons ici les propositions de Sabina Loriga, attentive dans ses travaux à la somme des individualités uniques et irréductibles qui font l’histoire et au poids du minuscule dans le flux du temps. Voir à ce sujet : S. Loriga, Le petit X. De la biographie à l’histoire, Paris, Éditions du Seuil, 2010.

22 Pour plus de détails concernant les événements dans le Shaanxi, voir P.‑É. Will, « La génération 1911 : Xi’an, 1905-1930 », dans Y. Chevrier, A. Roux & Xiaohong Xiao-Planes (éd.), Citadins et citoyens dans la Chine du xxe siècle, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2010, p. 353-424.

23 Les armées impériales sont menées par Sheng Yun, ancien gouverneur général du Shaan-Gan (Shaanxi-Gansu), et Chang Geng, gouverneur-général du Shaan-Gan avant l’insurrection. Concernant le déroulement des événements au Gansu et une description des armées loyalistes de Sheng Yun et Chang Geng, voir : Ding Huanzhang (éd.), Gansu jinxiandai shi [Histoire moderne et contemporaine du Gansu], Lanzhou, Lanzhou daxue chubanshe, 1989, plus particulièrement p. 198-200.

24 À ce sujet voir J. Lipman, « Ethnicity and Politics in Republican China : The Ma Family Warlords of Gansu », Modern China X/3 (juil.1984), p. 285-316 ; Mu Shouqi, Gan Ning Qing shilüe [Histoire générale du Gansu, Ningxia et Qinghai] (10 vols), Taibei, Guangwen shuju, 1972 (réimpression), volume 27 [vol. 8], 1a-4b.

25 Zhao Weixi, hostile à la révolution et conservateur, est originaire du Jiangxi ; il avait été promu chef du Bureau de police du Gansu en 1909 et il était par ailleurs représentant des fonctionnaires gouvernementaux du Gansu. Le second homme, Zhang Linyan, est le président du Bureau consultatif provincial du Gansu ; quand l’insurrection de Wuchang éclate, il est, tout comme Zhao Weixi, du côté des loyalistes qui combattent la Nouvelle Armée de Zhang Fenghui au Shaanxi.

26 J. Lipman, ibid., p. 306 ; voir également Shi Lun, Xibei Ma jia junfa shi [L’histoire des seigneurs de la Guerre Ma du Nord-Ouest], Lanzhou, Gansu renmin chubanshe, 2007, surtout p. 30-37.

27 L’arrivée de Zhang Guangjian à la tête du Gansu et le rapport de force avec les autres acteurs politiques sont décrits par George Findlay Andrew (The Crescent in North-West China, London, The China Inland Mission, 1921).

28 J. Lipman, op. cit., p. 305.

29 Dans son étude sur le banditisme, Elizabeth Perry fait de Bai Lang un cas d’étude. L’auteure, avec en ligne de mire les travaux d’Hobsbawm, tente de répondre à trois questions : Quelle était la composition sociale de l’armée de Bai Lang ? Est-ce que les brigands étaient engagés dans des activités du type « Robin des bois » ? Jusqu’à quel point le mouvement était-il un combat révolutionnaire ? (E. Perry, « Social Banditry Revisited : The Case of Bailang, a Chinese Brigand », Modern China ix/3 (Jul. 1983), p. 355-382.)

30 Ce surnom est dû à l’homophonie des caractères lang 朗 et lang 狼 (le loup). Bai Lang 白狼, voulant dire le « loup blanc ».

31 J. Lipman, op. cit., p. 306.

32 E. Perry, op. cit., p. 366.

33 Ibid, p. 374.

34 C. F. Snyder, « The Taochow and Minchow Disaster », The Alliance Weekly xlii/24 (12 sept. 1914), p. 392‑394, 398 [p. 394].

35 R. Farrer, On the Eaves of the World, Londres, Edward Arnold, 1926 [1re éd. 1917], vol. 2, p. 101-102. Voir également la description de E. Teichman, Travels of a Consular Officer in North-West China, Cambridge, Cambridge University Press, 1921, p. 135.

36 « The White Wolf Raid » by William Christie, retranscription tapuscrite d’un enregistrement, non daté, 26 feuillets. Christian and Missionary Alliance Archives, Colorado Springs, RG 1600-C, Christie, William S., Sir, Box 1. Cet enregistrement a servi à l’écriture du chapitre 9 (p. 79-88) de William Christie, Apostle to Tibet (Howard Van Dyck, Bible & Literature Missionary Foundation, 2006 (reprint)).

37 Sur la représentation de la violence et sa justification dans les textes canoniques des traditions religieuses voir : M. Juergensmeyer, M. Kitts (éds.), Princeton Readings in Religion and Violence, Princeton, Princeton University Press, 2011.

38 Pour un récit des événements fait du point de vue des missionnaires catholiques voir : K. De Ridder, « Banditry in Early Republican Gansu : The Attacks of Bai Lang on the CICM Mission Stations in Qingshui, Fuqiang, Qinzhou, Huixian and Chengxian (1914) », dans R. Lu Yan, P. Vanhaelemeersch (éd.), Silent force : Native Converts in the Catholic China Mission, Leuven, Ferdinand Verbiest Institute, 2009, p. 317-350.

39 Cette référence à une légende donne une forme particulière au récit de la violence qui permet de rendre cette histoire intelligible en l’articulant à des réalités locales. Pour analyser ces épisodes de violence extrême, on peut se référer aux travaux des chercheurs du Centre d’études des mouvements sociaux autour du concept d’« expérience limite », notamment ceux de Daniel Pécaut pour le cas colombien : D. Pécaut, « De la banalité de la violence à la terreur : le cas colombien », Cultures et Conflits, 24-25, 1997 ; D. Pécaut, « Les configurations de l’espace, du temps et de la subjectivité dans un contexte de terreur : l’exemple colombien », Cultures et Conflits, n° 37, 2000, p. 123-154. Pour une étude des récits de la violence dans les relations intra-familiales, voir I. Ramos Gil, « Récits de fratricides, secrets et chuchotements. Soixante ans de mémoires villageoises dans la Sierra Nord d’Oaxaca (Mexique) », in S. Baciocchi, A. Cottereau et M.‑P. Hille (éds.), Le pouvoir des gouvernés. Ethnographies de savoir-faire politiques sur quatre continents, Bruxelles, Peter Lang, 2018, p. 121-146.

40 R. Farrer, op. cit., p. 103.

41 Ma Tong, Zhongguo yisilan jiaopai menhuan suyuan [Origine des courants islamiques et des menhuan en Chine], Yinchuan, Ningxia renmin chubanshe, 2000 [1re éd. 1995], p. 124-125.

42 Selon le recensement de 1906, la population de ce qui sera nommé plus tard le « district de Lintan » et qui correspond à l’ancienne Préfecture de Taozhou, s’élève à 57 364 habitants. Nous n’avons pas de chiffres détaillés concernant la population de l’ancienne ville de Taozhou.

43 Durant cette période de chaos, les troupes musulmanes semblent avoir commis des exactions envers les paysans chinois non musulmans. Ma Tong parle de 500 personnes qui auraient été blessées par les troupes de Ma Zhongxiao et qui auraient porté plainte auprès de Yuan Shikai. Le président aurait ordonné à Zhang Guangjian d’éclaircir cette affaire. Pris dans les filets de la justice, Ma Zhongxiao se serait jeté dans le Fleuve Jaune (Ma Tong, ibid).

44 Ma Tong, op. cit., p. 126.

45 L’auteur de la « Biographie de Ma Qixi », un lettré chinois contemporain de Ma Qixi, est resté anonyme jusqu’en 2004. Yin Shicai, « Ma Qixi xiansheng chuan [Biographie du Maître Ma Qixi] », dans Yin Zhengxiang (éd.), Xiang qing ji [Recueil sur mon pays natal], Minxian, Tianma tushu youxian gongsi chuban, 2006, p. 101-104 [103].

46 C. F. Snyder, « Moslem Converts in West China », The Alliance Weekly 90/12 (1955), p. 9-11 [9-10].

47 C. F. Snyder, « The Taochow and Minchow Disaster », The Alliance Weekly xlii/24 (12 sept. 1914), p. 392-394-398 [p. 398].

48 Anonyme [C. Snyder ?], rubrique « Our Foreign Mail Bag », The Alliance Weekly xliii/20 (27 fév. 1915), p. 344.

49 C. F. Snyder, « The Open Door Versus the Shut Door », The Alliance Weekly xliv/9 (29 mai 1915), p. 136-137 [p. 137].

50 F. Andrew, op. cit., p. 59-60.

51 F. Andrew, op. cit., p. 58.

52 Je fais référence ici à la lecture que Paul Ricoeur donne de l’œuvre d’Hannah Arendt sur la question du pouvoir et de la violence. P. Ricoeur, « Pouvoir et violence », dans M. Abensour et C. Buci (éds.), Ontologie et Politique, Actes du colloque Hannah Arendt, Paris, Tierce, 1989, p. 146. Voir également H. Arendt, Du mensonge à la violence, Paris, Gallimard, 1972.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Paule Hille, « Terreur et révolution : un cas de « persécutions religieuses » en milieu musulman au sud du Gansu (Chine) après 1911 »Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 19 | 2018, mis en ligne le 20 mars 2019, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/2458 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.2458

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Auteur

Marie-Paule Hille

Maître de conférences, Ecole des hautes études en sciences sociales
Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (CECMC/ UMR 8173 Chine, Corée, Japon)
Marie-Paule Hille est historienne et anthropologue. Elle étudie sous ses aspects politiques, religieux et économiques la société musulmane de langue chinoise implantée dans le nord-ouest de la Chine (Gansu-Ningxia-Qinghai) du milieu du XIXe siècle à nos jours en combinant une approche historique et anthropologique.
Publications :
2018, « Faire communauté : dimensions religieuses et politiques d’un rite alimentaire sur trois générations », dans Baciocchi S., Cottereau A., Hille M.-P. (éd.), Le pouvoir des gouvernés. Ethnographies de savoir-faire politiques sur quatre continents, Bruxelles, PIE, Peter Lang, p. 147-182.
2016, « Les Han kitab et le Xidaotang. Réception et usage d’une littérature musulmane en chinois à la fin du XIXe siècle à Taozhou (Gansu) », Etudes orientales 27/28, p. 327-374.
2016, « Le Maître spirituel au sein du Xidaotang. Enquête sur la reconnaissance d’une autorité sainte en islam soufi chinois (Gansu) », Archives de sciences sociales des religions 173, p. 179-199. [https://assr.revues.org/27611]
2015, « Rethinking Muslim-Tibetan Trade Relations in Amdo. A Case Study of the Xidaotang Merchants », dans Hille M.P., Horlemann B., Nietupski P. (éd.), Muslims in Amdo Tibetan Society : Multidisciplinary Approaches, Lanham (Md), Lexington Books, p. 179-206.
2011, « Entre allégeance et résistance, faire sa place à Linxia, « La petite Mecque chinoise », dans Berger M., Cefaï D., Gayet-Viaud C. (éd.), Du civil au politique. Ethnographies du vivre ensemble, Bruxelles, PIE, Peter Lang, p. 133-166.

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