Le fondamentalisme comme pathologie de l’origine1
Résumés
Le fondamentalisme est le symptôme d’une postmodernité caractérisée par l’effondrement des fondations traditionnelles du sujet conjoint au triomphe du discours de la science. Ce symptôme se prête à interprétation. Ainsi, le fondamentalisme révèle à la postmodernité une face d’elle-même largement occultée, qui tient à un rapport à la croyance falsifié car posé en termes de savoir. Véritable scientisme religieux, il constitue une manière pathologique d’articuler événement fondateur, témoignage textuel et quête de l’origine, selon une logique de maîtrise du sens. Au final, le fondamentalisme nous pose aujourd’hui une double question : qu’est-ce que croire, et qu’est-ce que lire ?
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Mots-clés :
christianisme, critique, croyance, fondamentalisme, herméneutique, postmodernité, protestantisme, science, sens, théologieKeywords:
Christianity, critique, belief, fundamentalism, hermeneutics, postmodernity, Protestantism, science, meaning, theologyPlan
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1. Fondamentalisme et désir d’origine
- 1 Cet article a pour partie fait l’objet d’une communication orale le 11 octobre 2016 à l’occasion de (...)
- 2 Voir le parcours retracé par J.-L. Rolland, « Genèse et filiations du fondamentalisme protestant (1 (...)
- 3 The Fundamentals. A Testimony, 12 vol. , Chicago, Testimony Publishing Company, 1910-1915. Textes c (...)
- 4 S. Fath, « Le fondamentalisme », Spiritus 171 (2003), p. 137.
- 5 Voir ici S. Fath, Militants de la Bible aux États-Unis. Évangéliques et fondamentalistes du Sud, Pa (...)
1Si l’on peut établir une filiation entre le fondamentalisme et l’orthodoxie protestante née dans le sillage de la Réformation du XVIe siècle, le terme même de fondamentalisme n’apparaît qu’au début du XXe siècle aux États-Unis2. Entre 1910 et 1915, des théologiens principalement réformés et baptistes y publient douze fascicules rassemblés sous le titre The Fundamentals. A Testimony3, véritable acte de naissance de ce qui va dès lors constituer une nouvelle mouvance du christianisme, largement implantée de nos jours en de nombreux endroits du globe, à partir d’un rayonnement initial américain. Si ce courant fondamentaliste est aujourd’hui typique de la branche dite évangélique du protestantisme, il faut tout de suite préciser qu’il n’y fait pas l’objet d’un consensus. Comme le relève Sébastien Fath, « si tous les fondamentalistes protestants sont évangéliques, tous les protestants évangéliques ne sont pas fondamentalistes4 ». Il conviendrait d’ailleurs, en toute rigueur, de parler de fondamentalismes au pluriel, car le phénomène fondamentaliste se distingue par une grande diversité qui interdit d’en avoir une lecture trop unilatérale et réductrice5. C’est dire si l’analyse proposée ici, dépendante de ses propres présupposés, de l’axe choisi et de l’appareil conceptuel mobilisé, ne prétend pas épuiser la problématique.
- 6 Pour une analyse du phénomène fondamentaliste en contexte d’islam, on consultera avec profit S. Var (...)
2Certes, le phénomène fondamentaliste dépasse le cadre du seul christianisme, en l’occurrence sa veine protestante. C’est pourtant à celui-ci que je me limiterai dans cette étude, pariant qu’elle est susceptible de rencontrer, même de manière transversale, ce qui se joue dans d’autres espaces confessionnels6. Ma perspective, disons-le d’emblée, n’est ni celle de l’historien ni celle du sociologue, mais celle du théologien préoccupé par la question herméneutique. C’est donc sous l’angle de son rapport au sens que j’interroge ici le fondamentalisme, précisément sur le lien qu’il établit entre texte fondateur, acte de lecture et quête de l’origine. Le fondamentalisme constitue, de mon point de vue de systématicien, une logique discursive dont je propose de mettre au jour certains mécanismes. La manière dont cette logique se déploie concrètement sur le terrain socio-historique serait bien sûr à cartographier, avec une attention particulière accordée aux formes et aux contextes, selon une visée et au moyen d’outils relevant d’autres disciplines.
- 7 F. Bettex, « The Bible and modern criticism », in The Fundamentals. A Testimony, op. cit., vol. IV, (...)
- 8 Voir les trois « Déclarations de Chicago » (1978, 1982, 1986) traduites et publiées dans La revue r (...)
- 9 Ainsi que le stipulent les première (art. 3) et troisième (art. 4) « Déclarations de Chicago ». Voi (...)
3Que la question herméneutique soit, sinon l’unique question, du moins la principale soulevée par le fondamentalisme, apparaît clairement à la lecture du manifeste susmentionné. On y proclame massivement l’infaillibilité de la révélation biblique afin d’en garantir la fiabilité, en réaction au soupçon de la modernité : « Si cette critique moderne est vraie, alors adieu le soi-disant christianisme, qui ne fait que nous tromper avec des contes futiles7 ! » Non seulement, donc, on soutient que la Bible est le fondement de toute vérité, mais encore on énumère un certain nombre d’éléments doctrinaux considérés comme fondamentaux, tels que la conception virginale et la divinité du Christ, mais aussi – justement – l’inerrance de la Bible. L’infaillibilité et l’inerrance bibliques sont, qui plus est, réaffirmées à l’autre bout du siècle par les fameuses « Déclarations de Chicago8 » qui auront ici une valeur archétypale. La Bible y est explicitement qualifiée, toujours en opposition à la critique moderne, de « Parole écrite de Dieu9 » – expression hautement problématique, nous y reviendrons. Il convient également de noter la place centrale que les publications fondamentalistes accordent au motif de la création, selon une lecture historicisante du livre de la Genèse, en tant que s’y reflète la thématique du fondement, de la fondation, du fond – tout cela convergeant vers l’énigme de l’origine.
4Au vu de ces éléments, mon hypothèse est qu’il y a, à la racine du fondamentalisme – jusqu’en son nom même –, un désir de fondement à interpréter comme désir d’origine. Ce dernier émerge et s’affirme avec une intensité particulière dans la situation même de la modernité, dans le bouleversement que celle-ci a opéré quant au statut de la croyance, contribuant à façonner ce que l’on s’accorde aujourd’hui, faute de mieux, à nommer postmodernité. Le paradoxe, selon moi, est que le fondamentalisme à la fois exècre la modernité, et la consacre. Avant l’époque moderne, il ne pouvait pas y avoir de fondamentalisme : celui-ci naît avec la modernité, il en procède, il en est un effet et même un symptôme. À ce titre, et à certains égards, on peut considérer qu’il nous en révèle une face cachée, cette face se dévoilant progressivement à nous depuis que nous sommes passés en postmodernité. Mieux comprendre le fondamentalisme permettrait donc de mieux comprendre la modernité elle-même, y compris dans les pathologies qu’elle a générées, et dont nous sommes en ce temps les acteurs autant que les héritiers et les témoins. Deux remarques sont nécessaires avant d’aller plus loin.
- 10 Voir J. Lacan, Séminaire I. Les écrits techniques de Freud (1953-1954), Paris, Seuil, 1975, p. 209.
5Il convient, en premier lieu, de préciser ce que j’entends par symptôme et par pathologie. J’emprunte ici à la psychanalyse, d’après l’idée générale que ces deux notions renvoient à l’expérience et à l’expression d’une souffrance subjective. Le symptôme, selon la définition lacanienne, est une parole bâillonnée10 : il est la manière dont un sujet crie son mal-être par le corps là où il ne parvient pas à l’articuler dans le langage. Les manifestations psychopathologiques sont la manière dont un désir inconscient s’extériorise corporellement sous une forme incongrue, voilée, détournée. Ce désir s’offre à la reconnaissance, non de manière directe et transparente, mais en empruntant les défilés retors de la méconnaissance. Ainsi, le symptôme demande à être entendu en son juste lieu car, à travers sa vocifération, c’est un sujet qui cherche désespérément – et à son insu – à être écouté dans la béance de sa blessure. Par conséquent, lorsque j’interprète le fondamentalisme comme un symptôme de la postmodernité et une pathologie de l’origine, je tâche d’accueillir la vérité en souffrance qui pointe à travers cette figure contemporaine du malaise dans la civilisation, sans la condamner moralement pour mieux la refouler dans l’impensé. Il ne suffit pas de dénoncer vertueusement le fondamentalisme comme un archaïsme dévot que seul l’avènement d’une prétendue raison pure permettrait de dissiper, encore faut-il décrypter ce qu’il trahit (et donc traduit) d’un rapport mal posé (donc posé quand même) à ce qui nous fonde en tant que sujets. Dit autrement, le fondamentalisme nous concerne, quand bien même nous ne serions pas – ou estimerions ne pas être ! – fondamentalistes, car il est la traduction malheureuse d’une question humaine universelle : celle de l’origine. À l’enjeu herméneutique s’ajoute donc un enjeu anthropologique.
- 11 J.-F. Lyotard, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.
- 12 Voir ibid., p. 98, où l’auteur évoque le « retour du récit » (n. 211) et le passage du « grand réci (...)
6En second lieu, il me faut brièvement indiquer l’usage qui est le mien des notions de modernité et de postmodernité, et ce qu’il peut en être de leur rapport. Je m’inspire ici librement de Jean-François Lyotard dans La condition postmoderne11. Si la modernité se caractérise par l’affrontement du sujet de la tradition et du sujet du savoir (Anciens contre Modernes), la postmodernité est le temps qui s’ouvre à partir de la décomposition du sujet de la tradition, qui s’avère n’être que le prélude à sa recomposition en fonction du savoir (ce qui correspond tout à fait à la thèse de Lyotard qui, contrairement à ce que l’on entend dire parfois, n’a jamais déclaré la fin des récits mais seulement la fin d’un certain genre de récits et d’une certaine manière de faire jouer leur pouvoir de légitimation12). La postmodernité n’est donc pas, à mes yeux, autre chose que la modernité à la fois accomplie et dépassée – dépassée dans son accomplissement même. Au cœur, se trouve la question du rapport entre tradition et savoir ou encore entre récit et science, tout cela nous invitant à reconsidérer le phénomène de la croyance : si la modernité s’est bâtie sur l’idée que l’humain pouvait, voire devait, se passer de croyance pour vivre émancipé et adulte, la postmodernité redécouvre – souvent tragiquement – que l’on ne fait pas si aisément l’impasse sur le croire, car celui-ci constitue une donnée anthropologique incompressible. En somme, la postmodernité est conduite à prendre acte de ce que l’on ne devient pas adulte en niant l’enfant en soi-même, et de ce que l’émancipation n’est pas la suppression de l’aliénation mais sa traversée critique et son redéploiement créateur.
7Le parcours proposé s’effectuera en quatre étapes. D’abord, on établira les lignes de front sur lesquelles opère le conflit entre fondamentalisme et modernité. Puis on fera état d’une complexification des relations entre science et croyance dont le fondamentalisme est le révélateur en contexte postmoderne. On analysera ensuite trois formes du rapport pathologique à l’origine propre à la logique fondamentaliste. Enfin, on évoquera en quoi le christianisme constitue une subversion possible de la notion même de fondement.
2. La réaction fondamentaliste à la modernité : trois fronts polémiques
- 13 Selon le dictionnaire en ligne du Centre national de ressources textuelles et lexicales, consulté l (...)
8Commençons par repérer trois fronts (sans prétendre à l’exhaustivité) sur lesquels se cristallise la réaction fondamentaliste à la modernité. On prendra ici le terme réaction au sens physiologique : « Réponse à un stimulus », autant que psychologique : « Comportement qui répond à une excitation »13. Le fondamentalisme réagit à l’action de la modernité, comme une force opposée à une autre. C’est dire l’interdépendance qui les lie dans leur antagonisme même.
a) Face à la critique historique et à l’herméneutique
- 14 Voir « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », La revue réform (...)
- 15 L’inscripturation (engraphon), notion qui remonte au IIe siècle, désigne le Verbe devenu Écriture p (...)
- 16 « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », art. cit.
9Il va de soi que la première réaction fondamentalisme à la modernité concerne le statut de la Bible (aussi bien sa normativité que son interprétation). La deuxième « Déclaration de Chicago » est à cet égard emblématique14. Même s’il y est concédé que toute interprétation d’un texte scripturaire doit tenir compte du contexte historique et du genre littéraire en mobilisant un outillage critique, des dénégations systématiques viennent refermer la porte sitôt entrouverte (art. 9, 10, 13, 16). En effet, le principe même d’une exégèse historico-critique qui soumet à examen les livres saints au même titre que n’importe quel texte, est considéré comme irrecevable car suspect d’introduire des critères et des méthodes étrangers à la nature même de la révélation biblique. Le rapport entre raison et révélation, manquant de dialectique, s’en trouve singulièrement durci et posé en termes d’opposition pure et simple (art. 5). L’Écriture canonique est considérée comme un espace inviolable, un tabou par essence hors d’atteinte de toute mise en question par l’intelligence humaine, car elle est censée être le vecteur d’une révélation verticale s’imposant de soi-même par le haut. La Bible est alors considérée comme la Parole descendue d’auprès de Dieu et inscripturée15 dans le texte biblique. Il y a donc adéquation entre l’écrit et le Verbe ou entre la lettre et l’Esprit, ce qui aboutit à l’affirmation du caractère unique et fixe du sens (art. 7, 18). En d’autres termes, il y a identité entre le contenu dont parle le texte et la manière dont il en parle. Selon cette optique, remettre en question l’historicité – au sens étroit de factualité – d’un épisode biblique (comme par exemple le cycle de Gn 1–11), signifie renier la vérité même de la révélation (art. 14, 22). Nous sommes ici en pleine confusion entre, d’une part, la vérité et, d’autre part, la véracité ou la vraisemblance (en témoigne le simplisme de l’art. 6 : « Nous précisons qu’une proposition est vraie quand elle représente les choses telles qu’elles sont et qu’elle est fausse quand elle les dénature16. »).
- 17 P. Ricœur, Le conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, Paris, Seuil, 1969.
10De la sorte, le principe d’une pluralité des registres de discours engendrant une pluralité des niveaux de sens, elle même conduisant à une légitime pluralité des interprétations, est par définition exclu comme signe d’un relativisme impie. Le fondamentalisme se présente ici comme une incapacité d’accueillir et d’organiser ce que Ricœur appelle le « conflit des interprétations17 ». En d’autres termes, il est une anti-herméneutique. Cela ne signifie pas que le conflit des interprétations n’existe pas en contexte fondamentaliste, puisque tout acte de lecture, intrinsèquement, produit de la pluralité interprétative. Les milieux fondamentalistes ne cessent d’ailleurs de s’anathématiser mutuellement : tout fondamentaliste aura tendance à contester les autres fondamentalistes qui lisent différemment de lui ! Soutenir que le fondamentalisme refuse le conflit herméneutique n’est donc pas minimiser ni a fortiori nier la réalité de ce conflit. Il s’agit plutôt de souligner que celui-ci n’est pas reconnu ni assumé de manière positive comme le lieu privilégié de la discussion théologique, du travail en commun du sens dans la valorisation de sa pluralité, et donc de la portée nécessairement partielle et discutable de toute interprétation. En somme, ce que le fondamentalisme n’assume pas, c’est de ne pas posséder la totalité de la vérité : n’avoir accès qu’à un fragment du vrai équivaut pour lui à être dans le faux. Seule une interprétation totale est pour lui digne du nom de vérité, la vérité n’est qu’un autre nom de la totalité – d’où la thèse constamment martelée d’une unité, d’une cohérence et d’une harmonie non seulement des textes bibliques entre eux (tota scriptura), mais encore de l’intégralité du réel avec les données scripturaires (art. 17, 20).
b) Face à la crise du sens
- 18 J.-F. Mattéi, La crise du sens, Nantes, Cécile Defaut, 2006, p. 20.
- 19 Ibid., p. 40.
11Pour le philosophe Jean-François Mattéi, le marqueur de la modernité est une « absence universelle de sens18 » dont la cause est la disparition de la transcendance et des institutions qui la supportaient, notamment les religions et les idéologies politiques. La transcendance était autrefois le garant du sens, mais à présent que le ciel est vide et qu’a été congédiée l’hypothèse-Dieu (y compris sous sa forme sécularisée dans le marxisme), prédomine un sentiment d’insignifiance généralisée. De même, l’éclatement des régimes de sens (du fait de la dissémination des convictions et des ethoi en contexte mondialisé et multiculturel) entraîne un sentiment de dispersion et de fragilisation de l’identité : on ne sait plus qui l’on est parce que l’on ne sait plus sur quoi se fonder ni, par là, en quoi espérer. Par ailleurs, Mattéi relève que la modernité promeut une autonomie du sujet poussée à l’extrême, de sorte que l’individu se trouve comme « effondré en son propre fond19 » : s’il pouvait autrefois se construire en s’appuyant sur un système de représentations et un appareil normatif légués par la tradition, il est désormais sommé de se faire lui-même par lui-même, autrement dit de se fonder sur lui-même, d’être son propre fondement.
- 20 Voir M. Weber, Le savant et le politique, Paris, Union générale d’éditions, 1963 (1919), p. 73 de l (...)
12Cette tâche prométhéenne s’avère insupportable à l’homme parvenu à l’acmé de la modernité, ce qui explique – pour redéployer l’analyse en fonction de la problématique qui nous occupe – qu’il se lance dans une quête éperdue de fondement, tel le noyé prêt à se raccrocher à la moindre branche qui passe à sa portée. Force est de constater que, sur ce point, le fondamentalisme s’offre comme une solution efficace. Secrétant du sens à plein régime – qui plus est du sens unique –, le fondamentalisme résout la crise en la résorbant. Réactivant la transcendance du sens, il réactive aussi bien la morale que l’identité, permettant à l’individu de s’assurer un sentiment de soi face à un monde illisible car devenu trop complexe. Dit autrement, le polythéisme des valeurs, typique de la modernité selon Max Weber20, nourrit par réaction un besoin de trouver un monothéisme des valeurs, c’est-à-dire une assise sûre, stable et surtout indivisible, pour se retrouver dès lors que l’on a le sentiment de s’être perdu. Se retrouver signifie alors autant se retrouver soi-même (avoir le sentiment que sa vie a un sens) que se retrouver avec d’autres (avoir un sentiment d’appartenance à une communauté soudée par une valeur commune).
c) Face à la science
- 21 Sur ce point, on consultera avec profit C. Karakash et O. Schäfer-Guignier, « Typologie des articul (...)
- 22 Pour une réfutation exégétique de la lecture créationniste de Gn 1–2, voir C. Grappe, « Le création (...)
- 23 Voir ici G. Golding, Le procès du singe. La Bible contre Darwin, Bruxelles, Complexe, 2006 (1982).
13C’est face à la science que la réaction fondamentaliste à la modernité s’exprime avec le plus de netteté. Relevons brièvement l’attitude ambivalente des milieux fondamentalistes vis-à-vis de la science, tout à fait sensible dans le cadre des controverses entre créationnisme et évolutionnisme21. La première attitude consiste à exclure purement et simplement les théories scientifiques quand elles contredisent les data bibliques22. Le « procès du singe23 » tenu dans l’État du Tennessee en 1925 en fournit le paradigme : selon les défenseurs de la thèse créationniste, il faut tout simplement interdire l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles. La science est ici perçue comme l’adversaire de la révélation, cette dernière lui étant objectée comme on oppose une positivité à une autre au sein d’un même champ épistémique (sans égards pour une quelconque distinction des ordres de vérité). La démarche scientifique elle-même est suspectée d’être diabolique : on lui prête l’intention, en déconstruisant les représentations religieuses du monde, de saper le fondement même de la croyance en Dieu. Selon cette logique, la seule science qui aurait droit de cité serait celle qui validerait, sans autre, les conceptions scripturaires. Une telle science aurait évidemment perdu, par là-même, son caractère scientifique !
- 24 Le concordisme n’est pas le propre du fondamentalisme protestant, comme en témoigne la querelle du (...)
- 25 Voir D. Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin, suivi de Intelligent design. Science, morale (...)
- 26 Pour se faire une idée, voir http://www.sciencepresse.qc.ca/dossiers/design.html.
14La seconde attitude des fondamentalistes est, au contraire, de récupérer la forme du discours scientifique pour présenter des convictions religieuses de manière à les faire passer pour des théories scientifiques plausibles, qui méritent donc d’être enseignées au même titre que les autres. On concèdera, par exemple, que l’univers n’a pas été créé en six journées de vingt-quatre heures car chacun des jours nommés dans le premier chapitre de la Genèse correspond à une ère cosmique corroborée par l’astronomie, etc. Ici, nous ne sommes plus dans l’exclusion mais dans le concordisme24. Cette pente concordiste est perceptible dans le développement dit néo-créationniste de l’hypothèse d’un Intelligent Design25 : dans ce cas, on n’oppose plus massivement des éléments bibliques aux théories scientifiques mais on prétend élaborer soi-même une théorie scientifique, en essayant – même à mots couverts – de faire coïncider l’idée d’un Dieu créateur avec des notions de physique, de biologie ou de paléontologie. La pseudo-scientificité de cette rhétorique est régulièrement dénoncée par la communauté scientifique, ce qui ne l’empêche pas de séduire un large public souvent mal informé26. Au bout du compte, quelle que soit l’option retenue – exclusion ou concordisme –, le même présupposé demeure : considérer la Bible (ou tout du moins une certaine compréhension de l’idée biblique de Dieu) comme un fondement irréfutable en toutes matières.
3. Du rapport entre science et croyance en postmodernité
- 27 Voir K. Popper, La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1989 (1973).
15En posant un rapport, soit d’affrontement, soit de convergence, entre croyance et science, le fondamentalisme rend manifeste une confusion qui semble s’être emparée des sociétés postmodernes. La relation entre croyance et science, abordée cette fois sous un angle socio-anthropologique, mérite alors d’être complexifiée. En effet, si la science, en vertu du principe de réfutabilité de Popper27, ne constitue pas un discours infalsifiable ni univoque, et si elle n’a pas à régir les choix éthiques et politiques du corps social, il apparaît toutefois qu’elle est aujourd’hui largement investie d’un pouvoir de fondation analogue à celui qu’occupait la croyance religieuse jusqu’à une période encore récente.
a) La fonction religieuse de la science en postmodernité
- 28 J. Baubérot, « Guerre et paix après le 13 novembre », consulté le 13/05/2016 sur https://blogs.medi (...)
- 29 Sur cette question de la légitimation, voir J.-F. Lyotard, La condition postmoderne, op. cit., ici (...)
- 30 Voir Paul Ricœur, « La philosophie et la spécificité du langage religieux » (1975), dans P. Bühler, (...)
16Ce que Jean Baubérot appelle ironiquement, en contexte de laïcité voire de laïcisme, « l’invocation incantatoire de la (déesse) “Raison”28 » face aux errements et aux excès de la croyance religieuse, n’est pas sans comporter une dimension elle-même religieuse. Dit autrement, une certaine façon de se référer à la Science, de se réclamer de son autorité, de s’en remettre les yeux fermés à la Communauté scientifique ou aux Experts (avec les majuscules de rigueur), est devenu une manière, emblématique de notre époque, de fonder la légitimité des conceptions du monde (Weltanschauung) et des représentations culturelles sur lesquelles reposent l’ordre collectif29. Preuve que l’on n’évacue pas si facilement la nécessité sociale d’un fondement sûr ! Ainsi le sujet du savoir peut-il parfaitement se mettre à fonctionner comme un sujet de la tradition : lorsque les petits Occidentaux demandent d’où vient le monde, les éducateurs ne répondent majoritairement plus « de Dieu » mais « du Big bang », et cela au travers d’un récit des origines dont le fond est scientifique mais dont la forme est traditionnelle, c’est-à-dire narrative. Or, le narratif fait appel à la croyance, il est même le mode d’expression privilégié du langage religieux30. Autrement dit, comme sujets du savoir, nous transmettons les conceptions du monde auxquelles nous adhérons, bien que tous ceux d’entre nous qui ne sont pas astrophysiciens soient incapables d’en faire la démonstration (nous croyons à ce que dit la communauté scientifique – à ce que nous comprenons de ce qu’elle dit par le truchement de l’école et des mass media – et nous enjoignons nos enfants à y croire avec et comme nous). Transmission et tradition allant de pair, on voit que le sujet de la tradition est loin d’avoir disparu : il s’est reconfiguré en fusionnant avec le sujet du savoir.
- 31 P. Legendre, Le désir politique de Dieu. Étude sur les montages de l’État et du droit. Leçons VII, (...)
- 32 On pourrait préférer ici le pluriel et parler de sciences pour faire droit à l’irréductible diversi (...)
- 33 J.-P. Dupuy, La marque du sacré, Paris, Flammarion, 2010 (2008), p. 71-117.
17Comme l’écrit Pierre Legendre, notre temps est celui où « la Science entre en scène comme représentation monothéiste31 ». En postmodernité, il semblerait donc que le fondement unique et sacré autrefois garanti par la religion soit désormais garanti par la Science – entendons-nous bien : non par la science32, mais par son instrumentation sociale, autrement dit par la fonction instituante qui lui est attribuée de fournir à l’individu contemporain un système de croyance propre à lui donner place au sein d’une communauté, à fournir un sens à sa vie et à orienter sa conduite. Ici, ce n’est évidemment pas la science comme telle qui est en cause mais sa réduction scientiste. Le scientisme est ce que devient la science lorsque de la science ne sont retenus que les résultats selon une attitude utilitariste et fixiste, au mépris de sa démarche basée sur un principe de remise en question permanente frappant son discours du sceau de l’incomplétude. À l’incomplétude structurelle de la science découlant de sa méthode, le scientisme substitue des contenus rassemblés dans une logique totalisante aux fins d’asseoir l’organisation de la société et la rhétorique des pouvoirs. Cette opération est ce que pointe à sa manière le philosophe Jean-Pierre Dupuy lorsqu’il qualifie la Science de « théologie qui s’ignore33 ». Doit-on entendre cette expression de manière péjorative ? Pas nécessairement, car le fait de croyance est en tant que tel une composante humaine et humanisante qu’il convient, non pas d’occulter en la vouant aux gémonies de l’obscurantisme, mais de penser (avec toute la rigueur que cela suppose). Ainsi, tenir compte de ce que la science est aujourd’hui, sous la forme du scientisme, investie religieusement pour fournir une prestation socio-anthropologique, offre une clé, parmi d’autres possibles, pour comprendre – du moins en contexte occidental – le succès du fondamentalisme : vu selon cette perspective, celui-ci n’est pas l’adversaire de la science mais son rival. Il est son frère jumeau, son double ténébreux : quand la science est faite religion, il est finalement logique que la religion cherche à se faire science. De ce point de vue, le fondamentalisme ne serait pas à interpréter comme le rejet de la modernité, mais plutôt comme son rejeton.
b) Quand la modernité se rejette elle-même
- 34 M. Gauchet, « Les ressorts du fondamentalisme islamique », Le Débat 185 (2015), p. 72. Les analyses (...)
- 35 J’emprunte ici à J.-L. Schlegel, « Pourquoi le fondamentalisme ? », Spiritus, op. cit., p. 158-167 (...)
- 36 Je m’inspire ici de J. Arènes, « Fondamentalisme et modernité », Spiritus, op. cit., p. 239-251 (ic (...)
- 37 K. Marx, L’opium du peuple. Introduction de Contribution à la critique de la philosophie du droit d (...)
- 38 S. Freud, L’avenir d’une illusion, Paris, Quadrige/PUF, 1995 (1927), p. 45.
18Dans l’attitude réactionnaire du fondamentalisme à l’égard de la modernité, on peut percevoir paradoxalement une posture typiquement moderne, ou en tout cas engendrée par la modernité. Marcel Gauchet l’exprime à merveille : « Le fondamentaliste est un passéiste résolu qui ignore à quel point il est un moderne malgré lui34. » Notons d’ailleurs, en passant, que les mouvements fondamentalistes s’accommodent fort bien de nombreux aspects de cette modernité qu’ils aiment tant haïr, comme par exemple les nouvelles technologies (qui leur permettent de diffuser massivement leur message), les structures démocratiques (qui leur permettent de revendiquer la parole dans l’espace public, voire de briguer le pouvoir), le sacrificium intellectus (à l’ère technico-médiatique, le réflexe remplace souvent la réflexion), l’économie néolibérale (basée sur un modèle de performance et de compétitivité que ces mouvements reproduisent dans leur organisation interne comme dans leur mission tournée vers l’extérieur)35. Cette étonnante connexion du fondamentalisme et de la modernité me pousse à formuler l’hypothèse que le fondamentalisme, par son refus viscéral et affiché de la modernité, révèle à celle-ci une face d’elle-même dont elle ne veut souvent rien savoir36. Et c’est précisément autour de la question du fondement que cette difficulté surgit. En effet, la modernité a non seulement démystifié les systèmes de croyance qui structuraient jusque-là la vie psychique et sociale (révélant leurs nombreuses dimensions illusoires et aliénantes : « opium du peuple37 », « névrose universelle38 », etc.), mais elle est allée jusqu’à remettre en cause le bien fondé du fait même de croire. À certains égards, la critique moderne de la croyance a été d’une violence telle qu’elle a, si je puis dire, jeté le bébé avec l’eau du bain : elle a fait qu’il est devenu intrinsèquement suspect de croire (au sens, provisoirement très général, de se référer à une tradition ou à des valeurs organisées autour d’une transcendance). Elle a – singulièrement en France – jeté l’opprobre sur une sous-catégorie de citoyen désignée comme arriérée, potentiellement maléfique et, par là, condamnée au repli sur la sphère privée (autre nom pour l’autocensure) : le croyant. La meilleure défense étant l’attaque, on ne s’étonnera pas que certains croyants (ou supposés tels) choisissent l’issue – parfaitement désastreuse – d’un doctrinarisme rigide couplé à un prosélytisme agressif.
- 39 Je renvoie une nouvelle fois ici à J.-P. Dupuy, La marque du sacré, op. cit. Voir également J.-D. C (...)
- 40 S. Žižek, De la croyance, Paris, Jacqueline Chambon/Actes Sud, 2011 (2009), p. 8.
19Or, on peut se demander si cette virulence de la critique moderne à l’égard du fait de croyance doit elle-même demeurer hors critique. Le discours de la critique est-il en lui-même innocent ? Repose-t-il, comme s’en réclament ses promoteurs, sur un postulat neutre (car fondé en raison) ? N’est-il mû que par le sincère désir de contribuer à l’avènement d’une humanité plus libre, plus ouverte, plus tolérante (car débarrassée de ses vieux démons et autres superstitions néfastes) ? En bref, le scientisme moderne, de même que ses avatars néoscientistes postmodernes, ne comportent-ils pas eux-mêmes une part de croyance qui s’ignore – la croyance, précisément, que l’on pourrait individuellement et collectivement vivre sans croyance39 ? « Il nous faut prétendre ne pas croire40 » : cette croyance-là constitue, selon moi, le point aveugle des sociétés occidentales contemporaines. Le scientiste est un croyant qui croit ne pas croire. Le propre du refoulé étant de faire retour, la question de la croyance ne peut faire autrement que revenir sur le devant de la scène sous une forme que j’ai dite symptomatique et pathologique, dans le fondamentalisme notamment (mais aussi dans toutes les formes de fanatisme, intégrisme, etc., qu’il conviendrait d’étudier par ailleurs). Raison pour laquelle seule la prise au sérieux de la croyance, la reconnaissance de sa dimension structurante dans ses ambivalences mêmes, autorise sa mise en travail, sa déconstruction, dans une incessante dynamique de traversée et de reprise, de reprise et de traversée. Si la foi est une invite à distinguer entre plusieurs registres au sein même de la croyance (voir plus bas), ce ne peut être au prix de la placer sous le boisseau de la dénégation.
- 41 Même s’il ne l’invente pas, l’expression est popularisée par D. Bonhoeffer, Résistance et soumissio (...)
- 42 J.-F. Mattéi, La crise du sens, op. cit., p. 16.
- 43 Voir J. Zumstein, « Croire et comprendre », Études théologiques et religieuses 66 (1991), p. 329-34 (...)
20Qu’il soit bien clair que je n’entends point m’engouffrer dans la brèche ouverte par ces observations pour la colmater en faisant ressusciter le « Dieu bouche-trou41 » d’avant la modernité. Ce Dieu-là est mort de sa belle mort : qu’il le reste. Je ne prétends nullement qu’il faille revenir en arrière, cédant à la nostalgie du temps où l’hypothèse-Dieu constituait le fondement causal de tous les systèmes explicatifs, la « source ultime de la connaissance42 ». La critique n’a donc pas à faire l’objet d’aménagements à visées apologétiques. On ne saurait sanctuariser la croyance religieuse pour l’immuniser contre tout effort de l’intelligence (la théologie comme intellectus fidei constitue une instance critique du croire, ce en quoi réside justement sa scientificité43). Le débat se joue, me semble-t-il, à un autre niveau, non pas théorétique mais pratique, non pas épistémologique mais existentiel. Il s’agit d’interroger la critique lorsque, prise au piège de la rhétorique qu’elle génère, elle cesse d’être geste pour devenir elle-même système, discours surplombant, alibi pour ne pas penser – cessant par-là même d’être critique. Il n’est donc pas question que la croyance religieuse fasse la sourde oreille à la critique : il s’agit de faire retrouver à la critique ses propres oreilles, de sorte qu’elle accepte de se mettre à l’écoute de ce qui est en jeu de la vérité de l’humain dans le fait de croire. En d’autres termes, osons nous demander si le fondamentalisme ne constitue pas une tentative de réponse (certes fourvoyée) à une question humaine incontournable : sur quoi l’existence humaine fait-elle fond ? Cette question, qui est celle de l’origine et de notre rapport à celle-ci, a beau être devenue quasi blasphématoire en postmodernité, elle n’en insiste pas moins au travers de ses manifestations les plus agaçantes et les plus inquiétantes. Récuser la validité de la réponse fondamentaliste doit-il nous conduire à ignorer la question ?
4. Trois formes pathologiques du rapport à l’origine
21Avant de suggérer une réponse à cette dernière interrogation, je propose de poursuivre l’analyse en mettant en lumière le rapport pathologique à l’origine que constitue le fondamentalisme, à trois niveaux.
a) Angoisse du fondement et quête de certitude
- 44 Voir J. Moingt, « L’angoisse du fondement », Spiritus, op. cit., p. 181-189.
- 45 Ibid., p. 187.
- 46 Voir Z. Bauman, Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, Paris, Seuil, 2007.
22Ce premier élément que j’emprunte au théologien catholique Joseph Moingt44 prolonge les réflexions précédentes. L’éclatement du sens, l’effacement de la transcendance et l’effondrement des fondations traditionnelles du sujet plongent ce dernier dans l’angoisse, ce qui le pousse à chercher sa rédemption dans des affirmations au caractère indubitable. C’est donc très précisément un doute – un doute profond – qui constitue le point de départ de la quête fondamentaliste d’une fondation ultime que l’on prétend trouver dans le matériau biblique. Le fondamentalisme est ici à interpréter comme le symptôme d’une grande fragilité subjective, ce qui fait de lui l’expression paroxysmique de « l’angoisse sécuritaire45 » qui se niche dans la demande de salut inhérente à toute aspiration religieuse. Perdu dans un environnement liquide46, l’individu postmoderne cherche à s’arrimer à du solide : une Bible et l’ensemble des propositions doctrinales qu’elle est censée contenir à fleur de lettre peuvent faire l’affaire. Dans ce cas de figure, on ne parvient pas à lever le doute autrement que par le recours à des fondamentaux dogmatiques invariables référés à un fondement textuel fétichisé, qui ont pour le sujet une valeur de savoir. Notons alors ceci : on répond au doute par le savoir, le savoir est supposé apaiser l’angoisse. On part du principe que le doute est un défaut de connaissance objective, que l’on cherche à pallier par un supplément de connaissance objective, en l’occurrence un savoir de type religieux fonctionnant comme est supposé fonctionner un savoir scientifique, c’est-à-dire comme une vérité définitive ne souffrant pas discussion (ce qui traduit bien sûr une grave méprise quant à la nature même du savoir scientifique). La logique discursive inhérente au fondamentalisme pose la croyance comme une sous-catégorie du savoir.
- 47 Voir pour exemple l’art. 2 dans « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novem (...)
- 48 Selon le titre du bel ouvrage de D. Vasse, Un parmi d’autres, Paris, Seuil, 1978.
- 49 La distinction entre certitude subjective et certitude objective se trouve chez S. Kierkegaard, Pos (...)
23Or, rappelle Moingt à juste titre, la foi n’est pas de l’ordre du savoir : si la réflexion théologique sur la foi mobilise des éléments de savoir appartenant à l’encyclopédie commune, la foi elle-même comme fides ou fiducia est l’expérience subjective et singulière d’une confiance. C’est bien une confiance qui est au principe du fait de croyance évoqué jusqu’ici, et c’est en tant que confiance instituant un lien à l’autre que la croyance remplit son office socio-anthropologique. Cela signifie que le doute dont il est question dans l’angoisse du fondement n’est pas, en vérité, un défaut de savoir mais bien plutôt un défaut de croyance, au sens ici de la croyance-confiance et non pas de la croyance-savoir. Envisagé sous cet angle, je soutiens que le fondamentaliste se trompe sur la vérité parce qu’à la base (littéralement sur le fond), il se trompe sur le doute – parce qu’il confond le doute existentiel avec le doute cartésien : nous avons là l’indice probant que le fondamentaliste est un avatar du sujet moderne. Il estime que le doute est une forme d’erreur47 (raison pour laquelle il entend s’en prémunir en proclamant l’inerrance biblique), alors même que le doute, entendu en son juste lieu, est une difficulté ou une impossibilité de croire (au sens de se fier, se lier de confiance, se fonder sur une fidélité dont l’existence subjective peut se soutenir, de façon à se reconnaître comme « un parmi d’autres48 »). Par conséquent, le fondamentaliste est en son fond un doutant. Si le scientiste est un croyant qui croit ne pas croire, le fondamentaliste, lui, est un incroyant qui croit croire. Cette confusion révèle qu’il est illusoire de penser apaiser un doute sur la vérité subjective de l’existence comme structure de confiance, en invoquant la garantie objective d’un savoir : c’est mettre un pansement sur une jambe de bois ! Car c’est ne pas voir que la question de la vérité de l’existence se pose dans un autre champ que celui du savoir. La vérité qui est en cause dans le rapport de chacun à l’énigme de l’origine, est la certitude subjective de sa confiance en l’origine, et non pas la certitude objective de son savoir sur l’origine49.
- 50 Voir J.-F. Lyotard, La condition postmoderne, op. cit., p. 105.
- 51 Selon le dictionnaire en ligne du Centre national de ressources textuelles et lexicales, consulté l (...)
24Et c’est, me semble-t-il, un aspect typique du rationalisme moderne et de ses répercussions en postmodernité, que de traiter la question « Qu’est-ce que la vérité ? » exclusivement sur le terrain de la certitude objective que réclame le savoir, en désertant celui de la certitude subjective qui en appelle à la croyance. Le savoir vient alors occuper une place laissée vide par la croyance – et il vient l’occuper sans reste, avec une revendication de totalité50 qui n’a son égale que dans le fondamentalisme ! Celui-ci fait donc fond, sans en avoir conscience et en pensant s’y opposer, sur l’héritage du positivisme scientiste du XIXe siècle. Curieusement, le scientiste qui déclare ne pas croire parce que la Science rend à ses yeux une telle chose inconcevable, et le fondamentaliste qui se réclame de la croyance pour refuser (ou domestiquer) le discours de la science, partagent le même présupposé : ils croient, tous deux, que croire signifie savoir. Dit autrement, scientisme et fondamentalisme ne sont que les deux faces d’une même confiscation gnostique de la question de la vérité, d’une même objectivation de la subjectivité. Le fondamentalisme n’est en somme qu’un scientisme religieux – et le scientisme un fondamentalisme cognitif. L’étymologie du mot certitude est d’ailleurs instructive (du latin cernere : discerner, décider51). La certitude repose sur un mouvement du sujet par lequel il s’engage à tenir pour vrai ce qui lui est dit, parce qu’il place sa confiance en celui qui dit (ce dernier ayant le premier engagé sa confiance par le fait même de dire). La certitude est donc au sens propre un acte de foi, mais dans son détournement fondamentaliste autant que scientiste, elle est réduite à l’assimilation passive d’un savoir. Cela explique que le rapport du fondamentalisme et du scientisme à la certitude soit à la fois pauvre et autoritaire. Sortir de cette configuration pathologique implique de discerner entre croyance et croyance en mobilisant à bon escient la catégorie de foi, sur laquelle nous reviendrons un peu plus longuement en fin de parcours.
b) Désir de pureté et métalangage
- 52 Voir pour exemple l’art. 7 de « Sur l’inerrance biblique. 1re déclaration de Chicago, 28 octobre 19 (...)
- 53 Art. 6 de « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », art. cit.
- 54 P. Ricœur, De l’interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965, p. 16.
25À un second niveau, je décèle dans la pathologie fondamentaliste un désir de pureté opérant dans l’idée qu’il existe une Parole de Dieu évidente, c’est-à-dire non conditionnée (voire contaminée) par le langage humain dans ce qui le constitue comme tel : son ambivalence, sa plurivocité et son inadéquation foncière à son objet. Si le fondamentalisme concède que les textes bibliques ont été rédigés par des mains humaines, sa conviction est que celles-ci n’étaient de toute façon que les exécutantes d’une main divine ayant mystérieusement couché sur le papier son autorévélation52. On tient donc qu’il y a un noyau de sens intact, univoque et inaltérable qui permet, comme lecteur croyant de la Bible, d’entretenir un rapport immédiat avec l’origine divine du sens. La notion de lecture croyante est dans ce cas précis à comprendre une nouvelle fois dans le registre de la croyance-savoir, et non de la croyance-confiance. Si le Saint Esprit est invoqué comme l’agent de la révélation, celle-ci prend la forme d’une communication de type cognitive-informative donnant directement accès à la plénitude du sens. À vrai dire, la notion de sens elle-même subit une distorsion : peut-on encore appeler sens un contenu censé délivrer invariablement « la vérité de Dieu en forme de propositions, […] à la fois objective et absolue53 » ? Le fondamentalisme infléchit le désir d’origine selon un axe régressif, visant le retour à un état d’innocence primordiale (j’écrirais volontiers innosens), un état d’avant l’entrée en humanité, donc d’avant le langage. Or, le langage est par excellence l’espace du « double sens54 », comme dit Ricœur : son propre est de fonctionner par malentendus et équivoques, de ne pas pouvoir tout dire, d’être le lieu du provisoire et du relatif. Autrement dit, le langage ne donne nul accès au réel du sens dans une énonciation directe et totalisante : a minima, subsiste toujours une distance entre le mot et la chose, un reste échappant au pouvoir de la signification. De là découle la nécessité d’un travail permanent d’interprétation dans la discussion contradictoire et la confrontation des points de vue, qui interdisent toute mainmise sur le sens. Celui-ci doit demeurer une promesse ; s’il devient un état de fait, il n’est plus le sens.
26Ce labeur est précisément celui de la théologie lorsqu’elle est cohérente avec elle-même, c’est-à-dire lorsqu’elle se reconnaît comme une procédure herméneutique. C’est dire si la théologie comme travail des représentations du croire est par définition un discours qui s’assume incomplet, polyphonique et polysémique. De fait, le fondamentalisme me paraît constituer non seulement une anti-herméneutique, mais également une anti-théologie. Ainsi, dans le rapport fondamentaliste à la Bible considérée comme Parole écrite de Dieu, un postulat de transparence du logos débouche de fait sur un usage monosémique du langage. La dialectique entre la lettre et l’Esprit, transformée en superposition, réduit le discours à la platitude d’une seule dimension. Celui-ci, assénant sempiternellement les mêmes slogans sans déplacements possibles, ne peut dès lors que s’imposer de manière unilatérale et violente (et il est bien d’autres violences que la seule violence physique). Dans la compréhension qui est la mienne, le fondamentalisme est principiellement une violence infligée au langage humain en vue de sauvegarder la supposée pureté originaire d’une Parole de Dieu essentialisée dans la lettre du texte biblique. Simultanément, le fondamentalisme est aussi une violence infligée à la Bible car, en l’amalgamant sans autre à la Parole de Dieu, il la travestit en un métalangage, c’est-à-dire un autre langage que le langage, un double-fond de langage céleste dissimulé derrière le langage terrestre. Dieu n’est alors ici rien d’autre que le nom d’un savoir de l’origine à disposition de ses élus, dès lors eux-mêmes consacrés maîtres – et gardiens – du sens. Or, c’est avoir là une bien piètre idée de ce que le christianisme nomme l’incarnation, qui repose sur l’événement d’un Verbe fait chair, c’est-à-dire précisément sur la compromission de la Parole originelle (ou la compromission originelle de la Parole) avec les mots humains, sur le choix de cette Parole de se dés-essentialiser en s’inscrivant dans la culture et donc dans l’ordinaire du langage.
- 55 G. Ebeling, « Parole de Dieu et herméneutique » (1959), dans Répondre de la foi. Réflexions et dial (...)
- 56 K. Barth, L’humanité de Dieu, Genève, Labor et Fides, 1956.
- 57 Ceci en contradiction avec l’art. 19 de « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, (...)
- 58 Voir ici É. Cuvillier, « L’objectivité scientifique en exégèse biblique. Quelques réflexions actuel (...)
- 59 K. Barth, Dogmatique, I/1*, op. cit., § 4.3, p. 108. Barth évoque ici le Jean-Baptiste de la Crucif (...)
27L’incarnation comme kénose du Verbe veut que celui-ci, assumant la structure langagière de l’humain, en adopte les mécanismes et les déterminations, ce qui implique le deuil définitif de tout métalangage, donc de toute pureté originaire. L’origine n’est pas à la portée du fidèle dans la lettre biblique : elle est ce qui peut lui arriver au travers de la lettre – non seulement en la traversant mais aussi en y introduisant des écarts de sens à tort et à travers ! Fondre en un seul bloc Écriture et Parole en projetant au-delà de la parole humaine un inamovible substrat de Parole divine constitue alors ce que le théologien luthérien Gerhard Ebeling nomme un « malentendu métaphysique55 », que l’on ne peut surmonter qu’en prenant au sérieux le fait que le Dieu chrétien n’a pas d’autres mots pour parler que les mots humains en tant que tels. Cela vaut pour le témoignage scripturaire autant que pour tout acte de langage en rapport à ce témoignage. Rendre la Bible à son humanité « humaine trop humaine » n’est donc pas la profaner : c’est accorder foi à l’auto-désacralisation de Dieu et, par là, abolir les murs de séparation imaginaires entre sacré et profane. Ou si l’on veut : profaner la Bible est honorer ce qui fait d’elle la trace de la venue de Dieu en humanité (cette « humanité de Dieu56 » chère à Karl Barth). L’exégèse historico-critique et le labeur herméneutique, menés avec la rigueur, l’indépendance et l’honnêteté intellectuelles que requiert toute démarche scientifique57, sont donc au service de la Parole de Dieu précisément en tant qu’ils réservent à l’Écriture le même traitement qu’à n’importe quel opus de la grande bibliothèque humaine58. La fidélité authentique à la révélation chrétienne me semble ainsi résider dans l’introduction et le maintien d’une inadéquation fondamentale entre la Bible et la Parole bien plus que dans leur identification. À sa façon, c’est ce que soutient Barth lorsqu’il écrit : « C’est donc mal rendre hommage à la Bible que de l’identifier directement à l’Autre, à la révélation de l’Autre59. »
c) Capture doctrinale du texte et anti-lecture
- 60 P. Ricœur, « La fonction herméneutique de la distanciation » (1975), dans Cinq études herméneutique (...)
- 61 Ibid., p. 54.
- 62 Art. 14 de « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », art. cit.
28Cette troisième forme de pathologie de l’origine typique du fondamentalisme est étroitement liée à la précédente. La violence potentiellement infligée à autrui par le texte biblique érigé en argument d’autorité se nourrit en effet d’une violence infligée au texte lui-même. C’est la contradiction interne au fondamentalisme : son respect sacré du texte aboutit en vérité à un sacré mépris du texte ! Parce que l’on se méprend sur le texte, on le méprise. C’est d’ailleurs une constante du psychisme humain : celui-ci met en place des stratégies d’adoration pour dénier ce qui lui résiste et le met en question. Sacraliser la Bible (l’idolâtrer) est une manière extrêmement efficace de la sacrifier (la rendre muette). Ainsi, la lecture fondamentaliste de la Bible qui se veut respectueuse du texte s’avère respect-tueuse, c’est-à-dire tueuse de tout respect. Cela fait que cette lecture n’en est justement pas une. En effet, respecter est reconnaître la distance qui sépare celui qui regarde de ce qu’il regarde, et donc sauvegarder ce qui est regardé de la dévoration par l’œil avide de réduire le réel à sa merci. Respectare, c’est tenir en respect, et ainsi marquer un intervalle en reconnaissant en face de soi une altérité irréductible. Or, le fondamentaliste ne respecte pas le texte biblique. Justement, il ne lit pas le texte car, le lisant exclusivement au prisme des fondamentaux de son arsenal dogmatique, il sait déjà ce que le texte dit avant même de le lire. Il lie le texte pour ne pas le lire. La lecture fondamentaliste de la Bible défait l’acte de lecture dans le geste même où elle pense avec ferveur le célébrer. Tout cela ressortit d’un mécanisme de capture du texte, le pseudo-lecteur se revendiquant d’un savoir du sens préalable à l’acte de lecture, qui permet de faire l’économie d’une confrontation ouverte au texte et à ses différents niveaux de signification. Bref, le fondamentalisme fait fi de ce que Ricœur appelle « la fonction herméneutique de la distanciation60 », qui instruit le procès interprétatif en prenant acte d’un quintuple éloignement : entre l’histoire telle qu’elle s’est produite et l’histoire telle qu’elle est racontée ; entre l’intention de l’auteur et le texte tel qu’il se présente au lecteur ; entre le phénomène de la parole et le phénomène de l’écriture ; entre le texte et la chose du texte ; entre le monde du texte et le monde du lecteur. Le texte est pour Ricœur « le paradigme de la distanciation dans la communication ; à ce titre, il révèle un caractère fondamental de l’historicité même de l’expérience humaine, à savoir qu’elle est une communication dans et par la distance61 ». Abolir la distance, selon le fantasme fondamentaliste, aboutit paradoxalement à l’inverse de l’effet escompté : c’est justement l’historicité du texte biblique qui se trouve désavouée. Prétendre de but en blanc que « les paroles et les discours rapportés par la Bible en des formes littéraires variées sont conformes à des faits historiques62 » dévoile une méconnaissance profonde de ce que sont tant l’histoire que l’historicité.
29En somme, le fondamentalisme se réclame de l’Esprit – qu’il assimile à l’infusion d’un contenu doctrinal – en faisant purement et simplement abstraction de la lettre, ce qui constitue encore une fois un retournement pervers de la dialectique entre la lettre et l’Esprit portée par la tradition herméneutique du christianisme (et commune, bien qu’articulée diversement, aux monothéismes). Le fondamentalisme est une posture de savoir dans l’avant-coup qui empêche que le texte puisse surprendre et qui entend se préserver, sur un mode défensif (donc agressif), de la coupure de la lettre. Ne surtout pas être étonné (au sens fort : subir un coup de tonnerre) dans sa lecture : voilà la contrepartie de l’angoisse sécuritaire évoquée plus haut. La confiscation de l’origine du sens par le fondamentalisme barre l’accès à de nouveaux horizons de sens : plus aucun sens nouveau émergeant au fil des lectures contradictoires suscitées par le texte ne peut dès lors faire nouvelle origine – nouvelle compréhension de soi – pour le sujet lecteur. En somme, le fondamentalisme est un rempart contre la possibilité même de toute refondation de la subjectivité dans l’acte de lecture.
5. Le fondement dérobé du christianisme : l’origine comme disparition
30Pour le dire de nouveau avec Moingt :
- 63 J. Moingt, « L’angoisse du fondement », art. cit., p. 181-182.
« N’est-il pas de l’essence du religieux, quel qu’il soit, d’être fondamentaliste ? Mais la question peut aussi bien être renversée : présent en toute religion, le fondamentalisme ne relève-t-il pas d’un besoin, d’un sentiment, d’une expérience, d’un phénomène proprement universels, qu’on retrouve en tout homme et en toute forme de vie en société63 ? »
31En d’autres termes, le défi qui se pose à nous à l’issue de ce parcours ne consiste peut-être pas tant à prétendre ne pas être fondamentalistes, que de savoir quels fondamentalistes nous sommes ! Formulé d’une manière certes provocatrice, ce défi a le mérite de nous éviter de sombrer un peu trop hâtivement dans une de ces alternatives binaires et simplistes dont notre époque est tant férue, qui nous verrait prescrire, contre l’infâme pathologie religieuse, la panacée d’un athéisme aux mains propres. Je propose d’envisager succinctement la manière dont le dispositif chrétien réalise une subversion de la notion de fondement, autorisant par là une redistribution des cartes dans la partie qui oppose habituellement la croyance et l’athéisme. Précisons que subversion ne désigne pas ici le passage d’un état à un autre (nulle installation n’est de mise), mais une dynamique opérant toujours à nouveau (le christianisme ne cesse de se subvertir lui-même, de subvertir la religion qu’il est, et donc de subvertir l’antagonisme censé exister entre croyance et athéisme).
32Premièrement, pour revenir sur le schème de l’incarnation déjà évoqué, l’affirmation chrétienne d’un Verbe fait chair déloge Dieu de la plupart de ses représentations culturellement admises. Citons le philosophe Jean-Luc Nancy :
- 64 J.-L. Nancy, La déclosion (Déconstruction du christianisme, 1), Paris, Galilée, 2005, p. 127.
« Le "corps" devient le nom de l’a-thée, au sens du "pas-de-dieu". Mais "pas-de-dieu" veut dire, non pas autosuffisance immédiate de l’homme ou du monde, mais ceci : pas de présence fondatrice. (De manière plus générale, le "monothéisme" n’est pas la réduction à "un" du nombre des dieux dans le "polythéisme" : son essence est l’évanouissement de la présence, de cette présence que sont les dieux des mythologies.) Le "corps" de l’ "incarnation" est donc le lieu, ou même plutôt l’avoir-lieu, l’événement de cet évanouissement. »64
33De cette formule dense et complexe, je retiens l’idée phare que le christianisme comme déclinaison particulière du monothéisme modifie la compréhension théiste du fondement ou de la fondation. Dire que Dieu s’est révélé dans le corps de chair d’un homme – le Christ – né sur la paille de la crèche et mort sur le bois de la croix, signifie absenter Dieu de la place que lui réserve en principe la métaphysique : celle, justement, du principe (du princeps), celle du fondement compris comme garantie objective du sens du monde, comme présence fixe qui procure l’assurance d’un savoir de l’origine. Nancy précise :
- 65 Ibid., p. 56.
« Avec la figure du Christ, c’est le renoncement même à la puissance divine et à sa présence qui devient l’acte propre de Dieu, et qui fait de cet acte son devenir-homme. En ce sens, le dieu retiré, le dieu "vide" selon le mot de Paul, n’est pas un dieu caché au fond du retrait ou du vide (Deus absconditus) : là où il est retiré il n’y a pas de fond ni de cachette. Il est le dieu dont l’absence fait proprement la divinité, ou le dieu dont le vide-de-divinité est proprement la vérité. […] Le monothéisme, dans son principe, défait le théisme, c’est-à-dire la présence de la puissance qui assemble le monde et assure son sens. Il rend donc absolument problématique le nom de "dieu" – il le rend non-signifiant – et surtout, il lui retire tout pouvoir d’assurance. »65
- 66 P. Valéry, Petite lettre sur les mythes (1928), dans Œuvres I, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la (...)
34Le fondement est ici de l’ordre du dérobement ou de la disparition. Noël, Vendredi saint et Pâques, ces trois foyers de l’événement chrétien pointent ceci : au commencement est le retrait de Dieu (y compris son retrait du nom Dieu !), c’est par son retrait que Dieu est Dieu et qu’il est ce qui permet au monde de commencer chaque jour à nouveau. Au fondamentalisme de la présence, au fondamentalisme de l’objectivité et du savoir, qui est celui dont j’ai analysé les ressorts pathologiques dans cette étude, il convient de répondre non par l’absence de tout fondamentalisme, mais par un fondamentalisme de l’absence, un fondamentalisme de la subjectivité et de la confiance. C’est la soustraction de Dieu ou Dieu comme défaut qui est le pilier sur lequel repose le monde et notre destinée en son sein : cet absentement est donc un fondement, il nous est essentiel (comme le dit merveilleusement Paul Valéry : « Que serions-nous donc sans le secours de ce qui n’existe pas66 ? »).
35Or, et deuxièmement, cette disparition originaire qui est la condition d’apparition du monde et de notre propre apparition, requiert une foi pour être soutenue. Nancy encore :
- 67 J.-L. Nancy, La déclosion, op. cit., p. 56.
« L’assurance chrétienne ne peut avoir lieu qu’au prix d’une catégorie complètement opposée à celle de la croyance religieuse : la catégorie de la "foi", qui est la fidélité à une absence et la certitude de cette fidélité en l’absence de toute assurance. En ce sens, l’athée qui refuse fermement toute assurance consolatrice ou rédemptrice est paradoxalement ou étrangement plus proche de la foi que le "croyant". »67
- 68 S. Žižek, De la croyance, op. cit., p. 235.
36L’intéressant dans une telle proposition est de faire de l’athéisme non pas le contraire de la foi mais son auxiliaire. La conversion de la croyance en foi-athée, l’athéisation de la croyance, correspond à ce que j’ai désigné plus haut sous le nom de croyance-confiance en la distinguant de la croyance-savoir. La ligne de démarcation entre croyance et athéisme est donc interne à la croyance elle-même. C’est la croyance qui se partage entre savoir et confiance, théisme et athéisme – ce qui signifie que l’athéisme considéré platement comme un savoir positif opposé à un savoir positif de la croyance n’est justement plus un a-théisme digne de ce nom, mais seulement un théisme inversé. Il y a donc non seulement à distinguer entre croyance et croyance, mais également entre athéisme et athéisme ! N’est pas athée qui veut… La foi comme confiance athée, nue et vulnérable, se fonde sur la faille d’un non-savoir de l’origine : dès lors que le savoir prend la place de l’origine, la faille est occultée et l’on bascule dans le registre de la preuve qui est le lit de tout scientisme, religieux ou non. Alors la foi devient impossible : elle devient impossible d’avoir été rendue possible par le recours à la preuve. Vouloir fonder la foi sur un quelconque dépôt substantiel est exactement anéantir la foi comme foi. Car la foi suppose l’abandon de toute garantie objective, le deuil de toute fondation ultime dans l’immédiateté de la présence : comme confiance toujours à nouveau infiniment risquée, la foi croit là où il n’y a rien à croire. Avec finesse, le psychanalyste Slavoj Žižek repère que la foi appartient au registre du croire en et non pas du croire à : « On peut croire aux fantômes sans avoir foi en eux, c’est-à-dire sans les croire […] ; et, dans un cas inverse, plus délicat mais crucial, on peut croire (avoir foi en) X sans croire à X68. » La foi croit en là où il n’y a rien à croire. Ce dernier point est capital. La foi relève en son geste d’un croire en qui est tout autre chose qu’un croire à, quand bien même elle ne peut faire autrement – puisqu’elle survient au sein d’un discours et qu’elle produit un discours – que s’exprimer au travers du langage d’un croire à. Au final, n’est-ce pas là trouver à nouveau (je ne dis pas retrouver) la distinction, traditionnelle en théologie, entre la fides qua creditur (la foi par laquelle je crois : le croire en) et la fides quae creditur (la foi à laquelle je crois : le croire à) ?
37Non qu’il y ait à choisir entre les deux, car la foi ne peut pas exister d’une manière isolée, flotter en apesanteur au dessus de la mêlée : comme expérience humaine, le croire en ne peut pas ne pas se compromettre avec les multiples formes du croire à, donc avec toutes les formes plus ou moins abâtardies et maladives de croyance religieuse. Croire à n’est donc pas en soi un problème. En revanche, il est décisif que le discours du croire à soit sans cesse rapporté à la position ouverte du sujet dans le croire en. Le croire en est l’événement de la naissance d’un sujet, à la fois avec, contre et en dépit de l’aliénation dans le croire à. La croyance navigue donc toujours entre savoir et confiance, symptôme et résolution, pathologie et guérison. Aussi le christianisme est-il l’expérience toujours renouvelée d’un fondamentalisme perméable à sa propre subversion.
Notes
1 Cet article a pour partie fait l’objet d’une communication orale le 11 octobre 2016 à l’occasion de la leçon d’ouverture de l’année académique à l’Institut protestant de théologie, Faculté de Montpellier.
2 Voir le parcours retracé par J.-L. Rolland, « Genèse et filiations du fondamentalisme protestant (1910-1925) : position de thèse », Études théologiques et religieuses 90 (2015), p. 271-282, consulté le 12/03/2016 sur https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/load_df.php ?download =1&ID_ARTICLE =ETR_0902_0271.
3 The Fundamentals. A Testimony, 12 vol. , Chicago, Testimony Publishing Company, 1910-1915. Textes consultables sur https://catalog.hathitrust.org/Record/011821468.
4 S. Fath, « Le fondamentalisme », Spiritus 171 (2003), p. 137.
5 Voir ici S. Fath, Militants de la Bible aux États-Unis. Évangéliques et fondamentalistes du Sud, Paris, Autrement, 2004 ; M. Ben Barka, Les nouveaux rédempteurs. Le fondamentalisme protestant aux États-Unis, Paris/Genève, L’Atelier/Labor et Fides, 1998.
6 Pour une analyse du phénomène fondamentaliste en contexte d’islam, on consultera avec profit S. Varlik, « Le Coran : clôture du livre et ouverture du sens », Revue d’histoire et de philosophie religieuses 89 (2009), p. 333-345. Consulté le 18/05/2016 sur http://www.rhpr.net/forms/rhpr.asp?Num=893C.
7 F. Bettex, « The Bible and modern criticism », in The Fundamentals. A Testimony, op. cit., vol. IV, p. 87, traduction personnelle. Consulté le 16/06/2016 sur https://babel.hathitrust.org/cgi/pt ?id =coo.31924092329774 ;view =1up ;seq =79
8 Voir les trois « Déclarations de Chicago » (1978, 1982, 1986) traduites et publiées dans La revue réformée 197 (1998). Textes consultables sur http://larevuereformee.net/articlerr/n197.
9 Ainsi que le stipulent les première (art. 3) et troisième (art. 4) « Déclarations de Chicago ». Voir note précédente.
10 Voir J. Lacan, Séminaire I. Les écrits techniques de Freud (1953-1954), Paris, Seuil, 1975, p. 209.
11 J.-F. Lyotard, La condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.
12 Voir ibid., p. 98, où l’auteur évoque le « retour du récit » (n. 211) et le passage du « grand récit » au « petit récit », appelé aussi « paralogie ». De même, l’auteur remarque que le scientifique qui souhaite communiquer les résultats de sa recherche (en particulier oralement) ne peut faire autrement que raconter une histoire (ibid., p. 102).
13 Selon le dictionnaire en ligne du Centre national de ressources textuelles et lexicales, consulté le 30/06/2016 sur http://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9action.
14 Voir « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », La revue réformée, op. cit. Consulté le 18/07/2016 sur http://larevuereformee.net/articlerr/n197/4-sur-lhermeneutique-biblique-2e-declaration-de-chicago-13-novembre-1982.
15 L’inscripturation (engraphon), notion qui remonte au IIe siècle, désigne le Verbe devenu Écriture par analogie avec l’incarnation qui désigne le Verbe devenu chair en Jésus. Cette notion est abondamment mobilisée par les théologiens fondamentalistes dans le sens d’une identification ontologique (et non analogique) entre Parole de Dieu et Bible. Voir pour exemple la critique des positions de P. Courthial par J. Ansaldi, L’articulation de foi, de la théologie et des Écritures, Paris, Cerf, 1991, p. 142. Et déjà la critique des positions de l’hyperorthodoxie, accusée d’effectuer « une sorte de congélation des rapports existant entre la révélation et l’Écriture » par K. Barth, Dogmatique, I/1*, § 4.4, Genève, Labor et Fides, 1953 (1932), p. 119.
16 « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », art. cit.
17 P. Ricœur, Le conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, Paris, Seuil, 1969.
18 J.-F. Mattéi, La crise du sens, Nantes, Cécile Defaut, 2006, p. 20.
19 Ibid., p. 40.
20 Voir M. Weber, Le savant et le politique, Paris, Union générale d’éditions, 1963 (1919), p. 73 de l’édition électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay, consultée le 24/05/2016 sur http://0-dx-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/doi:10.1522/cla.wem.sav.
21 Sur ce point, on consultera avec profit C. Karakash et O. Schäfer-Guignier, « Typologie des articulations entre science et foi religieuse », dans P. Bühler et C. Karakash (éd.), Science et foi font système. Une approche herméneutique, Genève, Labor et Fides, 1992, p. 45-72 (ici surtout p. 61-66). Voir également A. Gounelle, « Science et christianisme », Laval théologique et philosophique 66 (2010), p. 297-310, consulté le 19/07/2016 sur http://id.erudit.org/iderudit/044842ar.
22 Pour une réfutation exégétique de la lecture créationniste de Gn 1–2, voir C. Grappe, « Le créationnisme et les données bibliques », Études théologiques et religieuses 84 (2009), p. 95-108. Consulté le 06/05/2016 sur https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2009-1-page-95.htm. Sur la thématique de la création, voir aussi P. Gisel et L. Kaennel, La création du monde. Discours religieux, discours scientifiques, discours de foi, Genève/Bienne, Labor et Fides/Société biblique suisse, 1999.
23 Voir ici G. Golding, Le procès du singe. La Bible contre Darwin, Bruxelles, Complexe, 2006 (1982).
24 Le concordisme n’est pas le propre du fondamentalisme protestant, comme en témoigne la querelle du modernisme en contexte catholique romain (jusqu’à ce que la question soit tranchée – en sa défaveur – par Pie XII puis Jean-Paul II). Voir G. Minois, L’Église et la science. Histoire d’un malentendu, t. II : De Galilée à Jean-Paul II, Paris, Fayard, 1991.
25 Voir D. Lecourt, L’Amérique entre la Bible et Darwin, suivi de Intelligent design. Science, morale et politique, Paris, PUF, 2007 (1992).
26 Pour se faire une idée, voir http://www.sciencepresse.qc.ca/dossiers/design.html.
27 Voir K. Popper, La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1989 (1973).
28 J. Baubérot, « Guerre et paix après le 13 novembre », consulté le 13/05/2016 sur https://blogs.mediapart.fr/jean-bauberot/blog/151115/guerre-et-paix-apres-le-13-novembre. Sur la question de la laïcité, voir Id., La laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2011 ; Id., Les sept laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe pas, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2015.
29 Sur cette question de la légitimation, voir J.-F. Lyotard, La condition postmoderne, op. cit., ici surtout p. 49-53.
30 Voir Paul Ricœur, « La philosophie et la spécificité du langage religieux » (1975), dans P. Bühler, D. Frey (dir.), Paul Ricœur : un philosophe lit la Bible. À l’entrecroisement des herméneutiques philosophique et biblique, Genève, Labor et Fides, 2001, p. 235-249 ; Id., « Herméneutique philosophique et herméneutique biblique » (1975), dans Cinq études herméneutiques, Genève, Labor et Fides, 2013, p. 95-113.
31 P. Legendre, Le désir politique de Dieu. Étude sur les montages de l’État et du droit. Leçons VII, éd. revue et corrigée, Paris, Arthème Fayard, 2005 (1988), p. 277. L’auteur souligne.
32 On pourrait préférer ici le pluriel et parler de sciences pour faire droit à l’irréductible diversité des approches du réel (sciences de la nature, sciences logico-formelles, sciences humaines, etc.). J’opte pourtant pour le singulier, d’une part parce que la pluralité des sciences peut à bon droit être rassemblée sous le concept unificateur de science à tout le moins en termes de pratique du doute méthodologique, d’autre part afin de rester proche de l’usage courant du concept de science dans la société.
33 J.-P. Dupuy, La marque du sacré, Paris, Flammarion, 2010 (2008), p. 71-117.
34 M. Gauchet, « Les ressorts du fondamentalisme islamique », Le Débat 185 (2015), p. 72. Les analyses de l’auteur à propos du fondamentalisme spécifique à l’islam s’insèrent dans une réflexion plus large sur le phénomène fondamentaliste en modernité.
35 J’emprunte ici à J.-L. Schlegel, « Pourquoi le fondamentalisme ? », Spiritus, op. cit., p. 158-167 (ici surtout p. 161-164). Voir également Id., La loi de Dieu contre la liberté des hommes. Intégrismes et fondamentalismes, Paris, Seuil, 2003.
36 Je m’inspire ici de J. Arènes, « Fondamentalisme et modernité », Spiritus, op. cit., p. 239-251 (ici surtout p. 249-251).
37 K. Marx, L’opium du peuple. Introduction de Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, Paris, Mille et une nuits, 2013 (1844), p. 15.
38 S. Freud, L’avenir d’une illusion, Paris, Quadrige/PUF, 1995 (1927), p. 45.
39 Je renvoie une nouvelle fois ici à J.-P. Dupuy, La marque du sacré, op. cit. Voir également J.-D. Causse et H. Rey-Flaud (dir.), Croyance et communauté, Montrouge, Bayard, 2010.
40 S. Žižek, De la croyance, Paris, Jacqueline Chambon/Actes Sud, 2011 (2009), p. 8.
41 Même s’il ne l’invente pas, l’expression est popularisée par D. Bonhoeffer, Résistance et soumission. Lettres et notes de captivité (1943-1945), Genève, Labor et Fides, 2006 (1998), p. 368.
42 J.-F. Mattéi, La crise du sens, op. cit., p. 16.
43 Voir J. Zumstein, « Croire et comprendre », Études théologiques et religieuses 66 (1991), p. 329-343. Et aussi le dossier « Théologie et savoir : un débat », Études théologiques et religieuses 65 (1990), p. 351-419.
44 Voir J. Moingt, « L’angoisse du fondement », Spiritus, op. cit., p. 181-189.
45 Ibid., p. 187.
46 Voir Z. Bauman, Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, Paris, Seuil, 2007.
47 Voir pour exemple l’art. 2 dans « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », art. cit. : « Nous rejetons l’idée selon laquelle le caractère humblement humain de l’Écriture la rend sujette à l’erreur ; de même l’humanité de Jésus jusque dans son humiliation n’implique aucun péché. » On est alors en pleine confusion entre le registre de l’erreur et celui du péché, or il est de toute première importance de tenir que « boiter n’est pas pécher », selon le mot du poète Rückert repris par Freud en conclusion de « Au-delà du principe de plaisir » (1920), dans Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1981, p. 115.
48 Selon le titre du bel ouvrage de D. Vasse, Un parmi d’autres, Paris, Seuil, 1978.
49 La distinction entre certitude subjective et certitude objective se trouve chez S. Kierkegaard, Post-scriptum définitif et non scientifique aux Miettes philosophiques, vol. I, dans Œuvres complètes, t. X, Paris, L’Orante, 1977 (1846).
50 Voir J.-F. Lyotard, La condition postmoderne, op. cit., p. 105.
51 Selon le dictionnaire en ligne du Centre national de ressources textuelles et lexicales, consulté le 22/07/2016 sur http://www.cnrtl.fr/etymologie/certain.
52 Voir pour exemple l’art. 7 de « Sur l’inerrance biblique. 1re déclaration de Chicago, 28 octobre 1978 », La revue réformée, op. cit. Consulté le 22/07/2016 sur http://larevuereformee.net/articlerr/n197/3-sur-linerrance-biblique-1re-declaration-de-chicago-28-octobre-1978.
53 Art. 6 de « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », art. cit.
54 P. Ricœur, De l’interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965, p. 16.
55 G. Ebeling, « Parole de Dieu et herméneutique » (1959), dans Répondre de la foi. Réflexions et dialogues, Genève, Labor et Fides, 2012, p. 88.
56 K. Barth, L’humanité de Dieu, Genève, Labor et Fides, 1956.
57 Ceci en contradiction avec l’art. 19 de « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », art. cit. : « Nous affirmons que les présupposés de l`interprète de l’Écriture doivent être en harmonie avec l’enseignement biblique. »
58 Voir ici É. Cuvillier, « L’objectivité scientifique en exégèse biblique. Quelques réflexions actuelles à propos d’un vieux débat », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne] 16 (2016), mis en ligne le 24/06/2016, consulté le 25/07/2016 sur http://cerri.revues.org/1607.
59 K. Barth, Dogmatique, I/1*, op. cit., § 4.3, p. 108. Barth évoque ici le Jean-Baptiste de la Crucifixion de Grünewald, désignant de son doigt disproportionné le Christ que lui-même n’est pas : geste fondamental du témoignage, qui est celui-là même de l’Écriture. Cette dernière renvoie à la Parole, mais elle ne l’est pas – elle peut seulement la devenir « sans cesse » (Ibid., § 4.2, p. 106) quand la lettre morte du texte est reçue dans la foi comme viva vox christi au travers de la prédication : « Ainsi donc, c’est quand se produit l’événement de la Parole de Dieu, et alors seulement, que la Bible et la Parole de Dieu sont effectivement identiques » (Ibid., § 4.3, p. 109). Cette position est explicitement rejetée par l’art. 3 de « Sur l’inerrance biblique. 1re déclaration de Chicago, 28 octobre 1978 », art. cit.
60 P. Ricœur, « La fonction herméneutique de la distanciation » (1975), dans Cinq études herméneutiques, op. cit., p. 53-74.
61 Ibid., p. 54.
62 Art. 14 de « Sur l’herméneutique biblique. 2e déclaration de Chicago, 13 novembre 1982 », art. cit.
63 J. Moingt, « L’angoisse du fondement », art. cit., p. 181-182.
64 J.-L. Nancy, La déclosion (Déconstruction du christianisme, 1), Paris, Galilée, 2005, p. 127.
65 Ibid., p. 56.
66 P. Valéry, Petite lettre sur les mythes (1928), dans Œuvres I, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1957, p. 966.
67 J.-L. Nancy, La déclosion, op. cit., p. 56.
68 S. Žižek, De la croyance, op. cit., p. 235.
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Référence électronique
Guilhen Antier, « Le fondamentalisme comme pathologie de l’origine », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], 18 | 2017, mis en ligne le 10 septembre 2018, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/1848 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.1848
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