Peut-on convertir un espace ? Le cas des mobilisations « salafistes » à l’université de La Manouba (Tunis)
Résumé
Généralement envisagée dans un rapport individuel à une appartenance religieuse, la conversion est aujourd’hui un champ d’étude particulier de la sociologie des religions. L’objet de cet article est d’interroger cette notion en essayant, de manière expérimentale, de l’appliquer à un espace physique : peut-on convertir un espace ? Ce questionnement est adossé à des recherches ethnographiques menées depuis 2013 sur une controverse qui mêle politique et religieux à l’Université de La Manouba (Tunisie) où une mobilisation « salafiste » a tenté de convertir l’espace universitaire à sa vision du monde. En faisant le récit de deux journées de mobilisation et leurs conséquences nous chercherons à mettre en lumière les techniques d’utilisation de l’espace à l’intérieur et aux abords de la faculté et les manières de mener la conversion religieuse d’un espace.
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Mots-clés :
conversion religieuse, espace, La Manouba, mobilisation, révolution, salafisme, Tunisie, universitéPlan
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- 1 Une ambitieuse synthèse des travaux sur la conversion religieuse a été publié dans les Cahiers d’é (...)
1L’étude de la conversion religieuse est aujourd’hui un champ bien identifié et balisé des sciences sociales du religieux. Investie et définie d’abord par la théologie chrétienne, ce sont les historiens qui ont fait entrer cette notion dans l’étude scientifique du religieux. Ce n’est qu’assez tardivement, dans les années 1960, que la sociologie se saisit du concept, notamment aux États-Unis. La conversion religieuse représente à cette époque une illustration adéquate du phénomène de la sécularisation, qui présuppose une perte d’influence des églises traditionnelles (donc la fin de la religion « héritée ») et une individualisation des croyances1.
2De tous les usages de la conversion religieuse, les chercheurs s’accordent sur une chose : la conversion est un processus, un moment qu’on ne peut réduire à un évènement, une illumination ou un rituel, bref elle nécessite de penser une diachronie. Contrairement aux représentations qui entourent la conversion (songeons au modèle paulinien de la conversion subite), il faut insister sur cet aspect processuel, cette inscription dans le temps qui montre les transformations progressives des croyances et de l’appartenance.
3C’est à travers ces deux dimensions (la croyance et l’appartenance) que les sciences sociales du religieux envisagent aujourd’hui la conversion religieuse. À travers les discours des croyants et en fonction des règles d’adhésion des « églises », nous pensons la conversion comme un cheminement individuel (le changement des croyances) et comme une inscription « administrative » au sein d’une nouvelle communauté (par un rituel). Ces deux dimensions sont aisément repérables dans l’activité de recherche classique (les entretiens et les observations). Cependant elles limitent en partie la notion car la conversion est étymologiquement un retour (une révolution au sens copernicien) et un changement radical, une métanoïa. Cette troisième dimension, éminemment intime, n’est pas toujours facile à observer et à quantifier pour les sciences sociales ; a contrario, l’évolution spirituelle et l’inscription administrative dans une nouvelle communauté sont très faciles à appréhender (entretiens rétrospectifs, observation de rituels, consultation de registres). Ne peut-on pas pour autant essayer de « repousser » les limites de l’observation des conversions religieuses en dehors du face à face entre convertis et institutions religieuses ?
4L’objet de cet article est de proposer une lecture expérimentale de la notion de conversion religieuse en essayant de l’appliquer à un espace. Est-il possible de convertir un espace physique ? Et si oui, quelles en sont les prérequis et les étapes ?
- 2 Sur ce plan les historiens ont largement étudié la question, notamment lors de la « christianisati (...)
- 3 D Senhadji Khiat, « Les mosquées en Algérie ou l’espace reconquis : l’exemple d’Oran », L’Année du (...)
5Les sciences sociales se sont déjà intéressées à la conversion d’espace, notamment dans l’étude des transformations que subissent les lieux de culte2. Ces transformations sont de deux ordres : la « consécration » lorsqu’un espace devient lieu de culte et, plus rarement, la « transformation » lorsqu’un lieu de culte d’une religion devient lieu de culte d’une autre religion3. Les exemples de transformation des lieux de culte ne manquent pas : la basilique Sainte Sophie à Istanbul, devenue mosquée Ayasofya au XVe siècle, puis musée à partir de 1934 (sur décision de M. Kémal) ou la mosquée-cathédrale de Cordoue qui était initialement un temple romain transformé en église (VIe siècle), puis en mosquée (IXe-XIIIe siècle), avant de redevenir église puis cathédrale au XVIe siècle ; on constate à travers ces exemples célèbres que la conversion des lieux de culte obéit à des considérations politiques (conquêtes, installation de nouveaux pouvoirs et occupations physiques des espaces). Pourtant ces exemples célèbres ne sauraient cacher que la majorité de conversions d’espaces tient en l’appropriation d’un lieu, en sa transformation à destination d’un usage rituel. Dans ce cas, la technique et le rituel de conversion de l’espace ne semblent pas si différents selon les religions : la communauté des croyants doit être rassemblée pour inaugurer, via un rituel spécifique, un lieu dont la nature profonde sera désormais religieuse (mais ce lieu ne devient pas expressément sacré). C’est dans l’église catholique que le rituel est le plus normé, il s’agit d’une cérémonie liturgique spéciale, précise, appelée « dédicace » ; dans le judaïsme, le rituel le plus important est l’installation des rouleaux de la Torah dans une armoire sainte, tandis que dans l’islam l’inauguration d’une mosquée consiste en récitations de formules rituelles et d’un moment (souvent le soir) dédié à la prière. Les éléments et évènements abordés ici sont d’une tout autre nature : la tentative de conversion d’un espace dont traite cet article présente deux caractéristiques particulières : l’espace est public, puisqu’il s’agit d’une université, et que s’y côtoient depuis longtemps des groupes politiques, religieux et syndicaux différents, souvent opposés ; en second lieu cette tentative de conversion ne fait pas l’unanimité, elle est éminemment contestée, et sera farouchement combattue. C’est donc à la fois une volonté d’appropriation et d’imposition dont il est question ici, mais également dans un contexte d’oppositions (syndicales, politiques, religieuses, civiques) puis d’affrontements et de violences.
6Nous verrons dans cet article comment un groupe, Talaba Révolution, a tenté (et échoué) de « convertir » l’espace de la Faculté des lettres, arts et humanités (FLAH) de La Manouba. Après une mise en contexte socio-politique, nous détaillerons deux journées particulières de la mobilisation qui sont des indices précieux pour l’étude de la stratégie déployée par le groupe. Nous verrons ensuite quels sont les éléments important de cette « entreprise de conversion » au regard de l’enjeu spatial. Ce texte se veut une double tentative de penser la notion de conversion religieuse dans ses confins théoriques tout en parlant des conséquences d’une « révolution » à partir d’un micro-territoire public, celui d’une faculté, avec ses étudiants, ses enseignants, son personnel et ses visiteurs.
I. La Manouba, entre héritage historique et contestation post-révolutionnaire
7La ville de La Manouba est située à l’ouest de Tunis et en délimite une frontière administrative, puisque c’est à la fois une municipalité voisine et un district administratif (un gouvernorat) qui jouxte la capitale. L’urbanisation de Tunis depuis la fin des années 1970 a transformé La Manouba en une extension de la ville, qui malgré les découpages administratifs en est devenu une « banlieue », entre urbanisation et début de la ruralité.
- 4 Voir P. Sebag, Tunis, histoire d’une ville, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 365.
- 5 Ibid.
- 6 Sainte du XIIIe siècle, elle est une sainte « paradoxale », entre féminité et sainteté, entre cont (...)
- 7 H. Dlala, « Métropolisation et recomposition territoriale du Nord-Est tunisien » in Cybergeo : Eur (...)
8La Manouba a abrité les résidences officielles des Beys de Tunis jusqu’au début du XXe siècle. Les résidences beylicales, construites aux XVIIIe et XIXe siècles, étaient des palais utilisés surtout au printemps4. La Manouba fut ensuite supplantée par les villes au Nord de Tunis, particulièrement Sidi Bou Saïd et La Marsa, dans un moment qui correspondait à une mode (les bienfaits du littoral) et aux évolutions commerciales (le port de La Goulette et l’investissement du nord de Tunis). Progressivement abandonnée par les Beys et leur cour, les palais furent revendus à des colons et des institutions catholiques5. Un hôpital psychiatrique, le premier du genre en Tunisie, qui existe encore aujourd’hui sous le nom d’hôpital Errazi, fut aussi créé par le Bey en 1924. Il jouxte le mausolée de Sayyda Mannûbiya, une des plus grandes saintes tunisoises6. Aujourd’hui, La Manouba devient une « centralité informelle7 », un territoire en expansion qui voit s’installer des bureaux, des commerces et des habitations. Sa position non loin de la capitale et la présence de vastes espaces cultivés dans cette plaine alluvionnaire ont permis à La Manouba de rester une zone semi-urbaine, où l’agriculture et l’élevage occupent encore une place importante. Malgré cela, La Manouba est aujourd’hui une banlieue urbaine dépendante de la métropole tunisoise.
- 8 Voir pour la Tunisie D. Najem, « Les implantations universitaires en Tunisie : de la marginalisati (...)
- 9 P. Sebag, op. cit., p. 365.
9C’est au cours des grands aménagements des années 1960 que le projet d’implanter un campus universitaire dans la ville de La Manouba est décidé. Fidèle à l’esprit de l’époque, où les universités étaient suspectes d’incessantes contestations politiques, la mode des « campus » qui sévit dans le monde entier vit se développer des centres universitaires éloignés des centres villes, avec des résidences étudiantes et bâtiments administratifs, pensés pour une vie autonome8. De plus La Manouba possédait depuis 1908, sans doute dû à son statut prestigieux, une « ligne de tramway à traction électrique » la reliant au centre de Tunis9. Un accès public via le tramway (dit métro léger) et de vastes espaces libres pour implanter un campus de plusieurs hectares éloigné du centre-ville ont favorisé le choix de cette ville pour l’implantation d’une université.
- 10 Voir le site internet de la FLAH de La Manouba : http://www.flm.rnu.tn et celui de l’Université de (...)
10La Faculté des lettres, arts et humanités (FLAH) est une université autonome depuis 1986. Auparavant, elle était une simple annexe de la Faculté des sciences humaines et sociales, sise boulevard du 9 avril à Tunis. À ses débuts, seuls les premiers cycles ont été déplacés à La Manouba, suscitant l’ire des professeurs et étudiants de la faculté du 9 avril. En 1986, face à l’augmentation du nombre d’étudiants la Faculté des lettres, des arts et des humanités est finalement créée sur le campus de La Manouba. La faculté accueille aujourd’hui près de 13 000 étudiants, ce qui en fait l’une des plus importantes du pays10. La FLAH est la composante principale de l’Université de La Manouba qui regroupe les écoles et facultés présentes sur le campus : 12 instituts et écoles (Institut de presse et des sciences de l’information, Institut des arts multimédias, École supérieure de commerce, École nationale des sciences de l’informatique, École vétérinaire, Institut supérieur de l’histoire du mouvement national etc.) pour environ 30 000 étudiants.
- 11 Le centre névralgique des oppositions et mobilisations était le campus du 9 avril, au centre-ville (...)
11L’Université de La Manouba a été un lieu parmi d’autres de l’opposition entre les étudiants de gauche et les islamistes dans les années 198011. Cette opposition s’est incarnée dans l’affrontement intellectuel et physique entre l’Union générale des étudiants Tunisiens (UGET, à gauche) et l’Union générale tunisienne des étudiants (UGTE, d’obédience islamiste, créée en 1985). Selon un professeur à la retraite : « ce n’était pas tellement une contestation directement politique face au gouvernement, c’était surtout un lieu d’opposition pour le dire vite, entre les islamistes et la gauche tunisienne. Il y avait beaucoup de bagarres, de coups de poings, avec les islamistes, mais il faut bien le reconnaitre, entre les diverses composantes de la gauche tunisienne également » (HM, juin 2014). Durant les dernières années de la dictature de Ben Ali, l’université a été un des rares espaces où pouvaient s’exprimer des revendications politiques (sous couvert du syndicat des enseignants, qui s’est violemment scindé entre 1999 et 2003) à partir du moment où celles-ci mentionnaient les libertés académiques et l’autonomie des universités.
12Les élections de 2011 viennent rebattre la donne de la distribution des pouvoirs dans la société tunisienne et dans l’enseignement supérieur également. Les anciennes allégeances sont caduques et le jeu subtil des nominations par le premier ministre et les ministères concernés (recteurs, vice-recteurs, directeurs d’universités etc.) viennent compliquer la lisibilité des positionnements politiques au sein de l’université. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a bénéficié, au cours de la « transition » (2011-2014) d’une étonnante stabilité : seulement trois ministres successifs, dont le nahdaoui Moncef Ben Salem qui est resté ministre pendant plus de trois ans (décembre 2011 – janvier 2014).
13Côté étudiant, les enseignants et techniciens assistent très rapidement à la revendication de droits plus importants au sein de l’enceinte universitaire : demandes de plus de liberté de la part des étudiants dans les foyers universitaires, de meilleures prises en compte des voix des étudiants dans les instances de décision etc. Les revendications sont soudaines, notamment par des pétitions des étudiants de chaque département, ou des rassemblements improvisés devant le bâtiment de l’administration. Mais ces revendications ne sont pas portées, ou pas encore, par les syndicats étudiants, et l’administration a du mal à en saisir à la fois la mesure et l’urgence, et peine à accéder à ces demandes.
- 12 Nous n’entendons pas trancher le débat sur le caractère « révolutionnaire » ou non des émeutes de (...)
14C’est donc dans un contexte post-révolutionnaire12 et après des élections remportées par les « islamistes » en octobre 2011 que l’affaire de La Manouba prend sa source. En novembre 2011 deux étudiantes qui portent depuis plusieurs semaines le niqab (voile intégral cachant le visage) se voient interdire l’accès aux cours, puis quelques semaines plus tard, aux salles d’examens. En guise de réponse et dans le but de faire pression sur l’administration, des étudiants aidés de personnes extérieures qui se revendiquent du « salafisme » envahissent la faculté le 28 novembre 2011.
- 13 Le salafisme tunisien est en novembre 2011 dans une situation particulière : fermement réprimé dur (...)
- 14 Expression fondée sur le sit-in, qualifiant les personnes qui le mène. Ce terme sera repris par to (...)
- 15 Voir T. Brésillon, 2012, « Tunisie : qui était Mohamed Bakhti ? » Rue 89, http://blogs.rue89.nouve (...)
15La structuration du groupe des salafistes de La Manouba est très dépendante des recompositions alors en cours dans l’univers salafiste tunisien13. Rapidement émerge la figure de Mohamed Bakhti, officiellement inscrit en histoire à la FLAH, qui devient le porte-parole officiel des « sitineurs »14 en décembre 2011. Selon les rares enquêtes qui existent sur ce jeune homme, condamné pour terrorisme en 2007, il s’est enfui de la prison de Sousse le lendemain du départ de Ben Ali, puis a été officiellement gracié par l’amnistie de mars 201115. M. Bakhti sera le leader du groupe de La Manouba, que nous appellerons désormais Talaba Révolution, du nom que portait la page Facebook qui relatait leurs aventures et revendications (de tâlib, étudiant). Autour de lui gravitaient quelques dizaines de personnes, étudiants de la FLAH et d’autres salafistes extérieurs qui venaient « en renfort » lors des gros rassemblements. Lors des manifestations annoncées ou des actions de blocage de l’université, des militants salafistes complétaient les rangs (essentiellement de la ville de La Manouba et de la cité Ettadhamen voisine). Cependant ces militants avaient aussi d’autres engagements et certains appartenaient au groupe Ansar as Charia dirigé alors par Abu Iyadh. Se sont donc mêlées des revendications strictement universitaires (demande d’un lieu de culte, autorisation des jeunes femmes à porter le niqab pendant les cours et les examens, interruption des cours aux heures de prière) et des revendications relevant plus de la politique nationale (instauration de la charia, respect accru des croyants dans la société etc.).
- 16 Les deux arguments de l’administration pour refuser le port du niqab sont d’une part les questions (...)
16C’est le groupe Talaba Révolution qui va tenter de convertir la FLAH à leur vision de l’islam. La faculté des lettres est un endroit important pour toute mobilisation et un symbole : avec 13000 étudiants, « celui qui tient la FLAH, tient le campus » selon un jeune syndicaliste étudiant, qui a lutté contre les salafistes. Mais c’est également le symbole d’une université un peu rebelle, opposée au pouvoir, « tenue » par les syndicats enseignants, et qui est dirigée par un doyen avec un passé de militant à l’extrême gauche. Le symbole et l’importance stratégique d’une implantation des salafistes a précipité le choix de la FLAH comme lieu de mobilisation. La revendication centrale, qui est au cœur de l’affaire, est l’autorisation des jeunes femmes voilées de pouvoir assister aux cours et de passer leurs examens revêtues du niqab16. Nous verrons plus loin quelles ont été les techniques utilisées pour accélérer le processus de conversion de l’espace universitaire. Nous allons maintenant détailler deux journées essentielles dans cette tentative d’imposer un nouvel ordre musulman.
II. Les journées du 6 et 7 mars 2012 : point culminant des affrontements, ultimes tentatives de conversion de la faculté
- 17 Voir notre article « Penser une controverse : ‘l’affaire de La Manouba’« , publié le 26 avril 2013 (...)
17Les 6 et 7 mars 2012 ne sont sans doute pas les journées les plus violentes dans les affrontements entre étudiants ; elles ne sont pas non plus les journées décisives dans l’affaire de La Manouba17 mais elles sont assurément celles qui marquent un tournant, celles qui resteront dans les mémoires à cause du retentissement médiatique qui a suivi.
18Tout commence le mardi 6 mars, en début d’après-midi. Dans la matinée le Conseil scientifique de la Faculté avait exclu une jeune femme, Imen Berrouha, parce qu’elle refusait d’enlever son voile intégral en entrant en cours. Le Conseil devait également se réunir dix jours après pour statuer sur le cas identique de Fattouma Hajji. Des groupes de jeunes hommes salafistes étaient venu les soutenir en manifestant bruyamment sous les fenêtres du bâtiment du décanat. D’autres étudiants tentaient par intermittence de s’opposer à ces jeunes ; Les deux groupes engageaient des discussions animées, des argumentations immédiatement réfutées par l’adversaire, des insultes, beaucoup de cris et parfois quelques coups. Peu après 14h30, les deux femmes forcent la porte du bureau du Doyen, Habib Kazdaghli. Les esprits s’échauffent, les mots fusent, sans que l’on sache vraiment ce qu’il se passe : le bureau est saccagé, des papiers jonchent le sol, un fauteuil est renversé. Une des deux étudiantes se serait évanouie (je n’ai pas eu de confirmation de cet épisode dans la reconstitution des faits avec les protagonistes). Finalement, le Doyen abdique et décide d’aller porter plainte pour dégradation de bien public, en voiture, en étant encadré afin d’organiser sa sécurité. Les deux jeunes femmes sortent peu après, escortées elles-aussi par leurs soutiens, et iront également porter plainte quelques heures plus tard pour coups et blessures. Plus tard, une grosse pierre lancée de l’extérieur brise une fenêtre du bureau. La journée se termine dans un calme relatif et le Doyen Kazdaghli, tout comme les jeunes femmes, ne savent pas encore que le bras de fer qu’ils mènent depuis quatre mois va se prolonger hors de l’université, dans les tribunaux. Car cette journée marque le moment où l’affaire se propage à l’instance judiciaire, par cette double procédure qui constituera finalement le passage de l’opposition universitaire à la controverse politique.
19Les manifestations duraient depuis plusieurs jours, avec des affrontements mineurs mais une présence continue sur le campus de Talaba Révolution. Un reportage de la télévision nationale (1ère chaine) lors du journal du soir, ainsi que les multiples témoignages qui circulaient sur les réseaux sociaux ont poussé le syndicat étudiant, l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET) à appeler à un rassemblement le lendemain à 10h (par Facebook et sms). Un appel concurrent à bloquer l’université a circulé également sur la page Facebook Talaba Révolution et dans les canaux de mobilisation (téléphone, sms etc.).
« La veille déjà cela avait été chaud, et nous savions que cette journée serait ponctuée d’affrontements » (HK, mars 2013).
« Nous devions arriver à la première heure, c’est-à-dire avant 8h du matin, pour espérer ne pas être bloqués par l’un ou l’autre des groupes. Nous arrivions toujours très tôt et nous partions assez tard de l’université. Le plus souvent, on partait en groupe, puis en convoi de voitures, pour éviter les agressions isolées » (HM, juin 2014).
20Trois évènements concomitants ont marqué ce mercredi 7 mars. Tout d’abord, le blocage de l’université par les salafistes. Réunis devant l’entrée, ils empêchent les étudiants et les enseignants de pénétrer dans la faculté à partir de 9h30 environ. Cependant certains étudiants et enseignants, arrivés plus tôt, demandaient à sortir, d’autres, en retard, souhaitaient entrer : plus qu’un blocage c’était un filtrage. Les étudiants qui ne pouvaient pas entrer dans la faculté restaient devant l’entrée, par petits groupes, et venaient régulièrement discuter vivement ou insulter les militants islamistes.
21Nous pointons là une difficulté méthodologique dans la reconstitution a posteriori des évènements : la tension était vive, les échanges exaltés et il n’est pas évident, un an ou deux ans après, de reconstituer précisément l’enchainement précis des évènements. Malgré une dizaine de témoignages fiables, l’aide des vidéos et des reportages de journalistes est nécessaire à la reconstitution des faits. De même, une autre difficulté pointe ici : le groupe Talaba Révolution est le seul à être structuré et cohérent dans l’action et l’enchaînement des faits. Les étudiants dans leur diversité, ne se sont pas toujours opposés frontalement aux militants islamistes. Lors de mon premier séjour sur le terrain, des étudiants m’ont confirmé qu’ils ne prenaient pas parti, et qu’ils étaient « neutres » et prudents lors des manifestations. Une des difficultés est donc de penser la diversité des étudiants, des plus neutres aux plus mobilisés (l’UGET, aidé de militants de partis de gauche ainsi que d’étudiants anti-salafistes) qui montent des actions contre les islamistes.
- 18 Il n’existe pas a priori de drapeau salafiste ; dans le cas de l’affaire de La Manouba le drapeau (...)
- 19 Le mausolée de Sidi Belhassen est celui du saint de Tunis, lieu important de visites pieuses. Les (...)
22Le second évènement de la journée, le plus significatif d’un point de vue médiatique, est « l’affaire du drapeau national ». En fin de matinée, probablement entre 11h et 12h, un jeune militant salafiste, posté sur le toit de la loge d’entrée de l’université, décroche le drapeau tunisien traditionnellement érigé à l’entrée de l’université, puis l’agite pendant quelques minutes. Il brandit en même temps un second drapeau noir portant des inscriptions religieuses en arabe, utilisé comme étendard par les différents groupes salafistes (en agitant les deux en même temps, puis en recouvrant l’un par l’autre). Puis il hisse le drapeau noir sur la hampe à la place du drapeau tunisien18. C’est à ce moment qu’une jeune étudiante, Khaoula Rachidi est venue empêcher ce geste et qu’elle a été violemment bousculée par le jeune salafiste. D’autres étudiants venus en renfort ont décroché le drapeau « salafiste » et le jeune militant, de rage, a déchiré le drapeau tunisien. Ces images ont fait le tour du monde via les réseaux sociaux, ont été reprises et âprement commentées par la classe politique tunisienne et ont durablement identifié La Manouba comme un lieu de luttes. Des témoignages postérieurs non vérifiés assurent que les militants salafistes, tancés par leur leader Mohamed Bakhti, et comprenant la portée de leur geste seraient allé chercher un nouveau drapeau tunisien pour « réparer » leur faute. Autre élément de contexte qui participe à l’islamisation de l’espace, quelques jours après, d’autres salafistes ont également remplacé le drapeau tunisien par le drapeau noir sur le mausolée de Sidi Belhassen au sud de Tunis19.
- 20 Voir le communiqué de la présidence : https://www.facebook.com/notes/320584811332916 (page consult (...)
23Enfin, le troisième épisode marquant de la journée s’est déroulé juste après et pendant plusieurs heures. Les portes de l’université ont été ouvertes et les militants du principal syndicat étudiant ont décidé de marcher vers le ministère de l’enseignement supérieur pour protester contre la violence à l’université et pour dénoncer « l’outrage au drapeau ». Les militants de l’UGET étaient regroupés au centre de l’université, « dans cet espace entre la cafeteria et l’allée centrale, qui est notre lieu de rendez-vous historique » (militant UGET, juin 2014), et devaient donc franchir la grille d’entrée « tenue » par les militants salafistes. Pour une raison inconnue c’est lorsque les militants sont sortis de la FLAH que des affrontements très violents (avec armes blanches) ont éclatés. D’abord selon les témoignages réunis entre militants salafistes et étudiants, puis entre ces mêmes militants et ceux de l’UGET. Les témoignages sont nombreux et non-concordants : il y a eu de nombreuses agressions d’étudiants, des coups violents portés à des hommes et des femmes à terre, et des agressions de journalistes, sans que l’on puisse toujours en identifier les auteurs. Les syndicalistes de l’UGET ont du se réfugier dans la cour et les bureaux de l’Institut de presse et des sciences de l’information, voisin d’une centaine de mètres de la FLAH. Suite à l’intervention des forces de l’ordre puis des secouristes pour évacuer les blessés (5 blessés graves selon l’agence de presse TAP), la tension retombera jusqu’à la fin de la journée. C’est le monde politique qui s’empare de l’affaire très rapidement, avec un commentaire de la présidence de la République (la plus prompte à réagir ce jour-là) autour de 18h3020, puis des principaux responsables politiques lors des journaux télévisés du soir.
24Ces deux jours, et la succession d’évènements qui en font la particularité, restent encore aujourd’hui comme un « turning point » de l’affaire de la Manouba. D’abord parce que ces deux jours transforment une opposition « localisée » en affaire judiciaire (avec les plaintes croisées du 6 mars) et en affaire politique (avec l’outrage au drapeau du 7 mars). Ensuite parce que les deux journées ouvrent une séquence politique inédite dans la transition tunisienne : par leur importance grandissante, les militants salafistes deviennent un enjeu politique, électoral et sécuritaire de premier plan. Unanimement condamnés, mais parfois soutenus en secret, les groupes salafistes (dont le plus important est Ansar As Sharia dirigé par Abou Iyadh) vont multiplier les actions politiques, les affrontements en cherchant le « coup médiatique ». S’il fallait évoquer la fin de cette séquence, ce serait sans doute en septembre 2012 lorsque divers groupes d’obédience islamiste organisent une manifestation devant l’ambassade des États-Unis à Tunis (Berges du Lac) qui dégénère en faisant 4 morts. À partir de cette date le parti Ennahdha coupe officiellement les ponts avec les principaux groupes salafistes, et condamne toute action que ces derniers revendiquent.
25Enfin, en commettant cet « outrage », le militant salafiste n’a pas pris conscience de l’importance historique renouvelée du drapeau. En effet, le drapeau national a été l’un des éléments cruciaux des mobilisations post-indépendance dans les années 1960 et 1970 et a toujours représenté un symbole de la Tunisie progressiste (le mythe Bourguibien). Tombé en désamour pendant les années Ben Ali, il a été réinvestit avec ferveur lors de la révolution de décembre 2010 et janvier 2011, très présent pour démontrer l’unité du peuple face au tyran (réinvestissement qui s’étend également à l’hymne national).
26Les journées des 6 et 7 mars sont le moment-clé de l’échec de la conversion de la faculté de La Manouba, où les militants salafistes perdent leur crédibilité par l’usage de la violence et par l’outrage au drapeau vis-à-vis des étudiants modérés et surtout du monde politique. Leurs revendications restent toujours légitimes aux yeux de nombreux étudiants : « c’est aussi ça la Révolution, on peut maintenant revendiquer tout et n’importe quoi. Mais il faut tout revendiquer, et soutenir toutes les revendications pour qu’on ne fasse plus n’importe quoi » (étudiante, mai 2013), mais les moyens utilisés sont définitivement condamnés. Nous allons maintenant voir quelles ont été les techniques utilisées dans cette tentative de conversion par Talaba Révolution.
III. Les techniques de conversion de l’espace
27Contrairement à l’inauguration ou la transformation d’un lieu saint, nous n’avons pas assisté, à la faculté de La Manouba, à un rituel spécifique. Les techniques utilisées pour la conversion de la FLAH ont été celles d’une mobilisation classique. Nous ferons donc appel à la fois à la sociologie des conversions religieuses mais également à la littérature des mobilisations politiques pour éclairer le processus. Cette relecture sera nourrie des observations ethnographiques réalisées a posteriori afin de montrer les enjeux de cette conversion. J’ai identifié trois grands thèmes investis par le groupe Talaba Révolution pour porter la conversion : la structuration d’un récit, l’occupation de l’espace allié à des formes classiques de communication.
A. Structurer un récit
28Le récit fondateur est probablement l’élément essentiel de toute conversion religieuse. C’est en effet par rapport à celui-ci que s’identifient les croyants, qu’ils se positionnent en l’acceptant et qu’une institution est chargée de contrôler son appropriation et le respect des règles que le récit édicte. Dans le cas de la FLAH, les militants de Talaba Révolution ont dû porter un récit mythique (le projet salafiste) en essayant de l’incarner dans un contexte historique spécifique, celui de la Tunisie post-révolutionnaire.
- 21 L. Bonnefoy, « L’illusion apolitique : adaptations, évolutions et instrumentalisations du salafism (...)
29La présentation de ce récit au « grand public » (étudiants, enseignants, usagers de la FLAH en premier lieu ainsi qu’aux journalistes et témoins) s’est effectuée en obéissant à un ordre genré : les femmes (revêtues du niqab pour les plus ferventes) ont porté un discours basé sur la revendication de droits et libertés dans un mouvement de renouveau des pratiques politiques ; les hommes ont été chargé de rattacher la revendication des droits à une histoire pieuse, celle de l’héritage salafiste et de la lignée des prophètes pieux. Au final cette répartition des rôles, liée à l’émergence de l’affaire (les femmes voilées interdites en cours), a accru un discours contradictoire, prônant à la fois l’indifférence au politique (les hommes) et l’action politique (les femmes) arrivant à l’illusion apolitique que souligne L. Bonnefoy à propos du Yémen21. Pour autant, cette aporie du discours n’a pas été perçue dès le départ, bien au contraire.
- 22 M. Camau et V. Geisser, Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, op. (...)
30Le récit a donc été d’abord porté par des jeunes étudiantes au nom de la revendication (et de l’expérimentation) de nouvelles libertés. C’est le point nodal de la structuration du récit salafiste de La Manouba : suite à l’éviction du tyran, il est désormais possible de s’habiller comme on veut, y compris en portant le voile intégral. Le second argument partait du principe de non-respect de l’islam : « on ne respecte pas l’islam en Tunisie, on m’interdit de me vêtir comme cela est recommandé par les plus grands savants musulmans » ou encore « la Tunisie, qui se dit pays musulman est en fait un pays impie » (entretiens avec des femmes portant le niqab, Tunis, mai 2013). Historiquement, l’islamisme militant (et pas seulement radical) a toujours été violemment combattu sous le régime de Ben Ali22. Régulièrement des jeunes femmes portant le foulard étaient arrêtées et interrogées, parfois pendant plusieurs jours. Parmi les jeunes femmes interviewées, la grande majorité d’entre-elles avaient été arrêtées durant les cinq années précédant le basculement de 2010-2011. L’écho trouvé par ces arguments auprès des étudiants a été réel, notamment au nom de la liberté retrouvée. Mes échanges avec les étudiants montraient, deux ans après, une vraie tolérance vis-à-vis des revendications salafistes (« au nom de la Révolution ») sans pour autant susciter une adhésion. À titre d’exemple, lors de la journée du 6 mars, les étudiants du premier cycle d’arabe ont organisé un petit rassemblement devant le bâtiment où les cours avaient lieu. Lassés des interruptions incessantes des cours, de la sourde lutte entre enseignants et étudiantes voilées, ils demandaient la reprise immédiate des cours et l’autorisation des jeunes femmes en classe afin de pouvoir suivre leur scolarité normalement.
- 23 Voir notamment B. Rougier, Qu’est-ce que le salafisme ?, Paris, PUF, 2008 et S. Amghar, Le salafis (...)
- 24 S. Amghar, op. cit. ; Voir également S. Amghar, « Le salafisme au Maghreb : menace pour la sécurit (...)
31Le second aspect du récit, porté par les hommes, référait à l’histoire et à l’idéologie salafiste. Le discours était celui, classique, de l’articulation du thème de la décadence à l’urgence du retour aux « pieux ancêtres »23. Ce discours s’est inscrit en continuité de la révolution tunisienne, vu comme opportunité vivificatrice pour l’islam et comme une nouvelle ère à investir. Dans ce cadre la distinction opérée par S. Amghar des salafistes « prédicateurs » (privilégiant la pratique et ne voyant dans le monde politique que motifs de dissensions), « politiques » (investissant la sphère politique via associations et partis) et « révolutionnaires » (combattants jihadistes) trouve sa limite car le groupe Talaba Révolution était composé de militants de chacune de ces catégories, actifs à la fois dans la mobilisation de La Manouba et au-delà (dans des mosquées, des partis ou des groupes combattants)24.
- 25 L’identification des participants salafistes « extérieurs » est réellement problématique et il est (...)
32Une fois ce récit intégré par les acteurs, il fallait en assurer la représentation, et si possible, tenter d’imposer ces points de vue. Cela s’est fait par la défense des libertés des jeunes étudiantes, en les accompagnant en cours, en insistant auprès des enseignants pour qu’elles y soient acceptées, en contestant les blâmes ou les exclusions des militants de Talaba Révolution. De la même manière, pour asseoir la légitimité d’un discours religieux au sein de l’université il a fallu trouver des alliés et des soutiens pour porter le récit. Cela s’est fait par la recherche de soutiens au sein de l’espace convoité (l’université), en essayant de mobiliser les étudiants pour faire accepter les jeunes femmes en cours. Comme nous l’avons vu, l’adhésion des étudiants a été limitée. Si quelques sympathisants on rejoint le groupe de militants, une partie des étudiants est restée sur une position « compréhensive », acceptant de telles revendications dans un contexte de transition sans adhérer à celles-ci, voire en les combattants. D’autres soutiens plus politiques ont été mobilisés, notamment lors des manifestations : des militants salafistes venus en renfort, des voisins (habitants de La Manouba), parfois même des parents ou des amis. Par exemple, Yacine Bdiri, le jeune militant qui a « profané » le drapeau était un militant du parti Ansar As Sharia, et n’était pas régulièrement inscrit à la FLAH25.
33L’histoire ainsi structuré en doxa, dont le récit est partagé en fonction des sexes et des capacités militantes va créer, au sein de la faculté, une séparation entre ceux qui adhèrent ou qui soutiennent les revendications (autoriser les étudiantes voilées à assister aux cours, respecter davantage les préceptes de l’islam au sein de l’université, etc.) et ceux qui s’y opposent. Un tel clivage était nécessaire pour tenter de rallier une majorité d’étudiants à la cause de Talaba Révolution, ce qui n’est pas arrivé. Notre hypothèse est qu’une majorité d’étudiants va refuser de prendre parti pour l’un ou l’autre camp, en opposant une indifférence bienveillante : soutenir l’expression de revendications, sans adhérer à celles-ci, et surtout dans le cadre d’oppositions pacifiées (sans violences). Est-ce le processus de dépolitisation initié depuis une vingtaine d’années au sein de l’université en Tunisie qui va empêcher le récit salafiste de convertir la FLAH ? Nous pensons plutôt qu’au contraire, c’est un processus de repolitisation massive qui, en référence à la Révolution précédente, va « autoriser » l’expression des revendications salafistes, sans forcément les soutenir.
B. Occuper l’espace
34Si la question de la construction d’un récit est importante pour structurer une doxa, c’est bien l’enjeu de la spatialité qui est fondamental dans notre discussion. Quels sont les usages religieux du lieu qui sont fait et par là, quelles modalités de la conversion de l’espace ?
- 26 M. Baussant et M.-P. Bousquet, « Mémoires et usages religieux de l’espace » Théologiques, vol. 15, (...)
35Des travaux anthropologiques récents font référence aux liens entre le lieu et les usages religieux qui en sont faits26 : « On peut analyser, à partir de l’étude de situations concrètes, passées et contemporaines, la façon dont, dans notre environnement métis d’aujourd’hui, les pratiques religieuses s’incarnent dans des lieux, topographiques ou métaphoriques, investissent des temps et des espaces qui font lien. Repenser l’aménagement de ces espaces et la géographie dans laquelle ils s’inscrivent — comme espaces construisant une origine, espaces de sociabilité, d’attente thaumaturgique, de réalisation personnelle de soi, espaces exclusifs de revendication politique par des groupes ethnico-religieux... — devrait ainsi conduire à approfondir l’analyse de ces lieux pratiqués et de leur capacité à légitimer une mémoire ou à unifier différents courants de mémoire religieuse successifs ». C’est fort de ces encouragements que nous allons voir comment le groupe Talaba Révolution a tenté de convertir l’espace de l’université.
- 27 Si l’article ne porte que sur la FLAH de La Manouba, nos observations dans d’autres enceintes univ (...)
36La première des modalités de fréquentation d’un espace est de pouvoir y accéder de manière libre, ce qui n’était pas le cas des jeunes étudiantes entièrement voilées. Si la question de l’accès à l’université a été rapidement réglée (une décision du Conseil scientifique de l’université ayant autorisé le port du niqab dans l’enceinte universitaire), l’accès aux cours a été le premier enjeu spatial dans la FLAH. La réaction initiale du groupe fut d’escorter les étudiantes en cours, en tentant d’imposer par la force du nombre les jeunes filles. Celles-ci étaient régulièrement accompagnées par une dizaine de personnes jusque devant la salle de cours et s’installaient généralement au fond de la salle. Les accompagnants étaient là pour s’assurer que les étudiantes étaient acceptées, et menaient les négociations si besoin. Les refus successifs des enseignants de faire cours si les jeunes femmes étaient dans la classe conduisirent à une situation de blocage. Malgré les intimidations, les menaces voilées et les insultes, les salafistes n’ont pas eu gain de cause, au moins à La Manouba27. Face aux refus des enseignants, malgré les menaces et les intimidations et face aux exclusions prononcées par le Conseil scientifique, l’occupation de l’espace s’est traduite par deux modalités plus fortes : l’occupation de lieux stratégiques et le sit-in.
- 28 Voir notamment F. Vairel « sit in » in O. Fillieule, L. Mattieu & C. Péchu, Dictionnaire des mouve (...)
37Occupation et sit-in sont des répertoires d’action classiques des mobilisations politiques au Maghreb28. Dans l’enceinte de l’université plusieurs lieux ont été occupés : la cour, l’espace commun par excellence de la faculté, le bâtiment du décanat et le bureau du Doyen (occupé pendant plusieurs semaines par les militants), le grand amphithéâtre de l’université (l’amphi Ibn Khaldûn) ou encore une salle de cours, la salle 153. À chacune des occupations a correspondu une revendication et une volonté de conversion.
- 29 Nous avons constaté des pratiques semblables à l’Université d’El-Manar (Tunis) en mai 2013 lors de (...)
38Les deux lieux les plus symboliques, l’espace public de la cour d’entrée et celui du pouvoir avec le décanat ont été occupés pendant plusieurs semaines (du 28 novembre 2011 au 5 janvier 2012). C’est d’ailleurs à cause de cette occupation que la FLAH a été fermée en décembre 2011. Le batiment du décanat (et le bureau du Doyen situé au premier étage) a été occupé pour contester et combattre la décision jugée inique et irrespectueuse d’exclure les jeunes femmes voilées des cours et des sessions d’examens. Cette occupation, la plus longue dans l’histoire de la faculté, a duré six semaines durant lesquelles les membres de Talaba Révolution se sont succédés pour attester d’une présence continue sur les lieux. Cette stratégie a participé de la volonté de convertir la faculté en « l’occupant », et en médiatisant cette présence : conférences de presse, invitation des journalistes, prêches religieux etc. L’occupation est devenue importante car la FLAH étant fermée, seuls les salafistes étaient présents dans l’université (ils ont été appelés les « sitineurs »). Cependant l’inscription spatiale de la mobilisation a aussi été entendue comme illégale et non-partagée dans un espace non-contesté puisque la FLAH était fermée. Suite à cette occupation, un sit-in a été décrété dans la cour d’entrée de l’université. À l’aide de tentes (pour contrer le froid de janvier) les membres de Talaba Révolution ont occupé cet espace pendant deux nuits (6 et 7 janvier 2012). Là encore il s’agissait d’occuper un espace contesté, d’autant plus important qu’il est public, traversé quotidiennement par des milliers d’usagers de la FLAH. Les cinq prières quotidiennes donnaient lieu à des agencements particuliers de l’espace, entièrement masculin, où les militants, en plus de prier, marquaient temporairement un territoire jugé impie (ou considéré comme tel) d’une valeur religieuse29.
39L’occupation de la salle 153 est également un élément très important dans la mobilisation de l’espace au sein de la FLAH. En effet, l’une des revendications des militants salafistes était l’ouverture d’une salle de prière au sein de l’université. Cet aspect n’a pas été prioritaire dans le socle de revendications portés par Talaba Révolution : les seules demandes qui ont été répétées, suivies et défendues ont été l’intégration des jeunes femmes voilées dans les salles de classe, l’autorisation pour elles de passer leurs examens et l’annulation des sanctions prises à leur encontre. D’autres revendications ont été portées, comme celle de l’ouverture d’une salle de prière ou comme la fin de la mixité dans les espaces publics (cafétéria, amphithéâtres etc.) mais de façon irrégulière, en fonction des structurations du mouvement et des représentants qui participaient aux négociations. C’est donc dans l’optique de transformer cette salle du département d’arabe en lieu de prière que le groupe Talaba Révolution a pénétré, occupé et converti la salle : dépôt du tableau et du mobilier, changement de serrure, installation de tapis sur la surface de la salle. Plusieurs prières ont été conduites dans cet espace, et elle a servie de base logistique aux actions de prédication menées dans la faculté avec des haut-parleurs et des bandes enregistrées de psalmodies du Coran. La salle a fait l’objet d’une lutte entre services techniques de la FLAH et les salafistes, chacun réinvestissant l’espace une fois que l’autre l’abandonnait.
40Enfin une autre façon d’occuper l’espace est de le marquer à sa façon. Cela passait par des affiches (très utilisées) appelant aux réunions d’informations, ou détaillant les injustices de l’administration. Nombre d’autocollants ont également été apposés sur les monuments, les portes ou les entrées des classes. Appelant à faire la prière ou à respecter les obligations de l’islam, ces autocollants ont été une façon d’imposer une présence, et d’identifier cette présence à des mouvements politiques plus larges. Au-delà de cette opération de marquage de l’espace, affiches et autocollants servaient également à un autre impératif de la conversion de la faculté, la communication.
C. Communiquer
41La structuration d’un récit puis l’occupation de l’espace sont les deux prérequis pour entamer une revendication religieuse sur cet espace. Pour pouvoir poursuivre ces revendications et garder la possibilité de conversion de l’université, il fallait au groupe Talaba Révolution s’employer à communiquer auprès des usagers (étudiants, enseignants et personnel administratif) et des médias.
42Le premier type de communication a été celui du vêtement. Les étudiantes portant le niqab étaient aisément repérables et à leur suite, la façon de s’habiller est devenue un marqueur important pour l’ensemble des membres du groupe. Les femmes apparaissaient voilées, mais seules cinq ou six l’étaient entièrement. Les hommes arborait le « look salafiste » repérable à des pantalons courts (arrivant au-dessus des chevilles), avec souvent des chaussures de sport. Le haut du corps était habillé de façon classique (chemise ou tee-shirt), souvent recouvert d’un qamis (tunique longue s’arrêtant aux mollets). Barbus dans leur majorité, les hommes portaient aussi un couvre-chef, le plus souvent une calotte, mais parfois une casquette ou un turban pour les plus « savants ». Cette façon de s’habiller permettait d’établir une distinction classique entre les « salafistes » et « les autres » et facilitait aussi les identifications et les reconnaissances entre militants qui ne se connaissaient pas toujours personnellement.
- 30 L’usage de Facebook est très répandu en Tunisie et les réseaux sociaux ont été très utilisés lors (...)
- 31 La suppression des pages litigieuses qui sont des ressorts de mobilisation entraîne pour les cherc (...)
43En deuxième lieu c’est par les réseaux sociaux que le groupe Talaba Révolution a conduit sa campagne de communication. Initialement c’est une « page » sur Facebook qui a marqué le début de la campagne de communication, dès novembre 201130. Intitulée « Talaba Révolution » cette page a été le moteur des revendications, de la communication du groupe, mais également le lien entre les militants dans l’université et les militants en dehors. Supprimée plusieurs fois (probablement sur des signalements), elle est réapparue sous d’autres noms avant d’être définitivement rendue indisponible. Il n’existe plus aucune page liée à cette mobilisation aujourd’hui31. La page était administrée par plusieurs personnes et la langue de communication était l’arabe (une version en français a également été créée). Elle montrait des photos, reprenait des vidéos ou des reportages télévisés, relayait les informations du collectif. D’autres vidéos étaient partagées, comme les actualités d’autres groupes salafistes œuvrant en Tunisie, des prédications ou des informations politiques. À l’apogée de la revendication, la page était devenue une référence à la fois pour les militants (centralisation des informations), pour leurs opposants mais également pour les médias. En plus de cette page Facebook, d’autres vidéos étaient partagées sur une chaine Youtube spéciale (TalabaRévolution), ainsi que sur twitter (mais là également les comptes ont été régulièrement censurés).
44Le rapport du groupe aux médias a été empreint d’ambivalences. Souvent accusés de ne faire que des reportages « à charge » à propos de Talaba Révolution, les journalistes ont pourtant été nécessaires aux militants. C’était en effet la seule possibilité de relai de l’information en dehors de leurs propres canaux (les réseaux sociaux et groupes de connaissances). Nous l’avons vu, lors des affrontements les médias étaient régulièrement pris à parti ; ils étaient en revanche bienvenus (et en nombre) lors des interviews ou des conférences de presse organisées par les militants. Ceux-ci filmaient aussi, via leurs téléphones portables, chacune de leurs actions mais toutes les vidéos n’étaient pas disponibles aux médias ou au grand public. L’ambivalence à l’encontre des médias a également été renforcée par le contexte général des groupes salafistes en Tunisie, qui faisaient montre de violences, alors que la mobilisation de La Manouba tentait d’échapper à ce stigmate.
45Reste enfin la question, cruciale dans un mouvement de revendication pour asseoir la cause portée, de l’emploi (ou non) de la violence. Force est de constater qu’elle a souvent été mobilisée à la FLAH pour imposer par la force une présence ou un argument. Les affrontements ont été des pics de violence, mais d’autres types de violences ont été utilisées, bien plus souvent et avec un effet plus important : les agressions verbales, les menaces et les injures. Nous pourrions convenir qu’il s’agit d’une moindre intensité de violence, mais d’un type très efficace. C’est en effet un travail d’intimidation, de harcèlements qu’ont mené les membres de Talaba Révolution en imposant systématiquement devant les salles de classe, des négociations, des menaces et des pressions physiques pour faire accepter les étudiantes portant le niqab. Ces actions répétées ont participé de la lassitude des étudiants et du corps enseignant, qui autorisaient parfois les jeunes femmes à assister aux cours pour éviter les oppositions frontales avec les militants.
46Les militants de Talaba Révolution n’ont pas réussi à ancrer leurs revendications dans des formes non-violentes de mobilisations politiques. Les affrontements et leur récurrence entre 2011 et 2013, ainsi que l’opposition des usagers de la FLAH à la violence a grandement participé à l’échec de « l’entreprise de conversion ».
Conclusion
47Nous avons dans cet article articulé une histoire (la mobilisation de Talaba Révolution à la FLAH) à une interrogation sur les frontières du concept de conversion religieuse. Nous avons supposé que le groupe visait à convertir religieusement l’espace de l’université. Or, de ce point de vue, la mobilisation a été un échec. Quelles ont été les impasses d’une telle entreprise de conversion ?
48La réponse est d’abord liée à la faiblesse de l’argumentation politico-théologique du récit salafiste, qui n’a pas réussi à s’imposer parmi les étudiants à la fois parce qu’il était mal maîtrisé (entre aspects théologiques et recours à la violence) mais également parce qu’il venait concurrencer un récit historique important, celui de l’université comme espace de liberté d’expression et comme lieu disputé entre plusieurs héritages politiques. Mais cet échec est aussi structurel, et c’est celui de l’islamisme radical et de ses mobilisations entre 2011 et 2013 au sein du processus de transition. Malgré des mobilisations importantes, les salafistes ne sont pas arrivés à « bousculer » le jeu politique et à s’y faire une place. Ils en ont même été exclus suite aux assassinats de Chokri Belaïd (févier 2013) et Mohamed Brahimi (juillet 2013) qui ont témoigné de leur passage à l’action directe violente et à la clandestinité.
49Tentative de conversion avortée donc. S’il est sans doute possible de convertir religieusement un espace public tel qu’une université, une telle entreprise nécessite cependant une épreuve de force : soit la force intrinsèque d’un récit théologique maîtrisé qui s’impose, soit la maîtrise de l’espace par la force physique et la violence.
Notes
1 Une ambitieuse synthèse des travaux sur la conversion religieuse a été publié dans les Cahiers d’études du religieux – recherches interdisciplinaires, notamment les numéros 6 et 7 (2009), 8 (2010) et 9 et 10 (2011), http://cerri.revues.org. Voir également G. Mossière, « la conversion religieuse : approches épistémologiques et polysémie d’un concept », Documents de recherche du GDRU, [en ligne] https://depot.erudit.org/id/000936dd, page consultée le 25 juillet 2014.
2 Sur ce plan les historiens ont largement étudié la question, notamment lors de la « christianisation » (ils parlent d’ailleurs de « conversion de l’empire ». Voir notamment L. Foschia « La réutilisation des sanctuaires païens par les Chrétiens en Grèce continentale (IVe-VIIe s.) » in Revue des Études Grecques, tome 113, Juillet-décembre 2000. pp. 413-434. DOI : 10.3406/reg.2000.4424 ; URL : /web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_2000_num_113_2_4424, page consultée le 16 mai 2014.
3 D Senhadji Khiat, « Les mosquées en Algérie ou l’espace reconquis : l’exemple d’Oran », L’Année du Maghreb [En ligne], VI | 2010, mis en ligne le 10 juillet 2010, consulté le 25 juillet 2014. URL : http://anneemaghreb.revues.org/907; DOI : 10.4000/anneemaghreb.907
4 Voir P. Sebag, Tunis, histoire d’une ville, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 365.
5 Ibid.
6 Sainte du XIIIe siècle, elle est une sainte « paradoxale », entre féminité et sainteté, entre contestation de l’autorité (paternelle) et consécration à une vie pieuse. Sur Sayyda Mannûbiya, voir A. Larguèche, Marginales en terres d’islam, Tunis, Cérès, 1992 et K. Boissevain, Sainte parmi les saints : Sayyda Mannûbiya ou les recompositions cultuelles dans la Tunisie contemporaine, Paris, Maisonneuve et Larose, 2006.
7 H. Dlala, « Métropolisation et recomposition territoriale du Nord-Est tunisien » in Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 410, mis en ligne le 03 décembre 2007, consulté le 09 avril 2014. URL : http://cybergeo.revues.org/13863; DOI : 10.4000/cybergeo.13863
8 Voir pour la Tunisie D. Najem, « Les implantations universitaires en Tunisie : de la marginalisation à l'intégration dans l'aménagement urbain », in L’Espace géographique 1/2010 (Vol. 39), pp. 65-74, URL : www.cairn.info/revue-espace-geographique-2010-1-page-65.htm.
9 P. Sebag, op. cit., p. 365.
10 Voir le site internet de la FLAH de La Manouba : http://www.flm.rnu.tn et celui de l’Université de La Manouba : http://www.uma.rnu.tn/ (pages consultées le 11 juillet 2014).
11 Le centre névralgique des oppositions et mobilisations était le campus du 9 avril, au centre-ville de Tunis. Voir M. Camau et V. Geisser, Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, notamment leur chapitre 8 : « L’université, un champ politique de substitution ? ».
12 Nous n’entendons pas trancher le débat sur le caractère « révolutionnaire » ou non des émeutes de décembre 2010 et janvier 2011. Nous emploierons le mot révolution car c’est celui qui est utilisé par nos enquêtés (thawra en arabe), y compris dans ses déclinaisons : pré et post-révolution, et une formule qui revient souvent : « les acquis de la révolution ». Notons que les enquêtés eux-mêmes discutent la polysémie du terme révolution et ne sont pas dupes des « abus de langage » qui existent.
13 Le salafisme tunisien est en novembre 2011 dans une situation particulière : fermement réprimé durant les années de Ben Ali, il se trouve renforcé dès les premiers jours de la révolution avec la libération des militants islamistes enfermés en prison. Le mouvement n’est pas encore totalement structuré à l’été 2011, puisque certains islamistes décident de rejoindre le parti Ennahdha du leader historique Rached Ghannouchi, tandis que d’autres leaders, plus radicaux, comme Seifallah Ben Hassine (dit Abu Iyadh), tentent de fédérer des groupes salafistes qui se constituent dans les grandes villes tunisiennes.
14 Expression fondée sur le sit-in, qualifiant les personnes qui le mène. Ce terme sera repris par tout le monde : commentateurs, militants, journalistes et classe politique.
15 Voir T. Brésillon, 2012, « Tunisie : qui était Mohamed Bakhti ? » Rue 89, http://blogs.rue89.nouvelobs.com/tunisie-libre/2012/11/28/tunisie-qui-etait-mohamed-bakhti-229047, page consultée le 11 juillet 2014. M. Bakhti est décédé en novembre 2012 suite à une grève de la faim en prison.
16 Les deux arguments de l’administration pour refuser le port du niqab sont d’une part les questions de sécurité (identification des personnes) et d’autre part l’importance de la situation de face-à-face dans l’acte éducatif et l’enseignement. Ces positions sont partagées par la très grande majorité des enseignants de La Manouba. Pour une histoire de la mobilisation « à chaud », voir les chroniques de Habib Mellah opportunément regroupées dans un ouvrage : H. Mellah, Chroniques du Manoubistan, Tunis, Cérès, 2013.
17 Voir notre article « Penser une controverse : ‘l’affaire de La Manouba’« , publié le 26 avril 2013, http://politicsofreligion.hypotheses.org/558
18 Il n’existe pas a priori de drapeau salafiste ; dans le cas de l’affaire de La Manouba le drapeau utilisé est un drapeau noir, portant inscription en lettre blanches sur le haut du drapeau : « La ilaha illa Allah » (il n’y a de dieu que Dieu) et comportant en son centre un rond blanc portant inscription en lettres noires les mots : « Allah », « rassoul » (envoyé) et « Mohamed », ces trois mots renvoyant à la seconde partie de la shadaha (profession de foi) « il n’y a de Dieu qu’Allah et Mohamed est l’envoyé de Dieu ».
19 Le mausolée de Sidi Belhassen est celui du saint de Tunis, lieu important de visites pieuses. Les salafistes combattent les adaptations locales de l’islam et les vénérations de saints car elles représentent à leurs yeux une forme dénaturée de l’islam, qui autorise des « intercessions » entre les hommes et Dieu, ce qui considéré comme une bida’ (innovation blâmable) dans la conception absolue de la relation de l’homme à Dieu.
20 Voir le communiqué de la présidence : https://www.facebook.com/notes/320584811332916 (page consultée le 15 juillet 2014).
21 L. Bonnefoy, « L’illusion apolitique : adaptations, évolutions et instrumentalisations du salafisme yéménite » in B. Rougier, Qu’est-ce que le salafisme ?, Paris, PUF, 2008, pp. 137-159.
22 M. Camau et V. Geisser, Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, op. cit., notamment le chapitre 7. Voir également, des mêmes auteurs « L’islamisme imaginaire : identité obsédante et structurante des scènes politiques tunisiennes ? », Maghreb-Machrek, n° 175, 2003, pp. 35-52.
23 Voir notamment B. Rougier, Qu’est-ce que le salafisme ?, Paris, PUF, 2008 et S. Amghar, Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident, Paris, Michalon, 2011.
24 S. Amghar, op. cit. ; Voir également S. Amghar, « Le salafisme au Maghreb : menace pour la sécurité ou facteur de stabilité politique ? », Revue internationale et stratégique 3/ 2007 (N° 67), p. 41-52. URL : www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2007-3-page-41.htm.DOI : 10.3917/ris.067.0041.
25 L’identification des participants salafistes « extérieurs » est réellement problématique et il est impossible de développer davantage ce point. Mais c’est un enjeu important du rapport de force car Talaba Révolution a indiscutablement reçu le soutien de personnes extérieures à la faculté.
26 M. Baussant et M.-P. Bousquet, « Mémoires et usages religieux de l’espace » Théologiques, vol. 15, n° 1, 2007, pp. 5-16, citation pp. 5-6.
27 Si l’article ne porte que sur la FLAH de La Manouba, nos observations dans d’autres enceintes universitaires ont montré que des jeunes femmes portant le niqab réussissent parfois à s’imposer en cours (en tablant sur la lassitude des enseignants) et même à passer leurs examens.
28 Voir notamment F. Vairel « sit in » in O. Fillieule, L. Mattieu & C. Péchu, Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, PUF, 2009, pp. 496-502.
29 Nous avons constaté des pratiques semblables à l’Université d’El-Manar (Tunis) en mai 2013 lors de la tenue du Forum social mondial (FSM). Un groupe constitué uniquement de jeunes hommes, soutenant un sit-in de jeunes femmes entièrement voilées (dit « sit-in de la liberté ») a entamé une prière collective au milieu du passage menant au Media Center, fréquenté par énormément de journalistes étrangers. Occupation symbolique de l’espace et revendications du caractère « sacré » de celui-ci accompagnaient la prière classique.
30 L’usage de Facebook est très répandu en Tunisie et les réseaux sociaux ont été très utilisés lors de la Révolution, voir notamment R. Lecomte, « Révolution tunisienne et Internet : le rôle des médias sociaux », L’Année du Maghreb [En ligne], VII | 2011, mis en ligne le 01 septembre 2011, consulté le 24 juillet 2014. URL : http://anneemaghreb.revues.org/1288; DOI : 10.4000/anneemaghreb.1288.
31 La suppression des pages litigieuses qui sont des ressorts de mobilisation entraîne pour les chercheurs la disparition de pans entiers de sources et d’informations cruciales. C’est notre cas ici bien qu’il existe de nombreuses interviews, vidéos et coupures de presse qui nous permettent d’effectuer le recoupage des informations.
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Référence électronique
Loïc Le Pape, « Peut-on convertir un espace ? Le cas des mobilisations « salafistes » à l’université de La Manouba (Tunis) », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], Numéro spécial | 2014, mis en ligne le 22 septembre 2014, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/1397 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.1397
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