La conversion au prisme du droit
Résumé
Le phénomène de la conversion religieuse est principalement appréhendé, par le droit, sous l’angle du prosélytisme. En effet, la conversion du point de vue du sujet entendue comme une expérience intérieure échappe en tant que telle au champ juridique car elle relève du for interne. Toutefois, et à partir de deux des figures de convertis mises en lumière par les sociologues des faits religieux, cet article étudie les situations de mobilisation des ressources juridiques produites par ces « catégories » de convertis, la mise en visibilité de la conversion s’opérant à un moment spécifique : celui de sa judiciarisation.
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Mots-clés :
accompagnement juridique de la conversion, conséquences juridiques de la conversion, conversion religieuse, droit, liberté de religion, liberté de se convertirPlan
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- 1 Sur le prosélytisme, voir les développements dans l’ouvrage dirigé par F. Messner, P.-H. Prélot, J (...)
1Dans le champ du droit, le phénomène de la conversion religieuse est principalement appréhendé sous l’angle du prosélytisme1. Il s’agit alors d’étudier les formes et le contexte de la transmission par un croyant d’un message religieux avec pour finalité la conversion de l’autre. La notion de prosélytisme, son étendue, ses modalités et ses limites, de même que les discriminations dont peuvent être victimes certains prosélytes selon la croyance professée, font l’objet de l’attention des juristes.
- 2 D. Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti, la religion en mouvement, Champs Flammarion, 2001, sp (...)
- 3 « Soit qu'ils rejettent expressément une identité religieuse héritée et assumée pour entrer dans u (...)
- 4 Ce sont les conversions des "sans religion". C'est le cas quasi-général des enfants d'immigrés de (...)
- 5 La conversion marque l'entrée dans un "régime fort" d'intensité religieuse qui s'oppose "au régime (...)
2En revanche, la conversion du point de vue du sujet, entendue par conséquent comme une expérience intérieure et singulière, un cheminement personnel, échappe en tant que telle au droit, dans la mesure où elle relève du for interne. L’analyse des récits de conversion est principalement du ressort de la sociologie des faits religieux : les chercheurs à partir de leurs observations et de leurs enquêtes de terrain, livrent des études permettant une meilleure compréhension des trajectoires de conversion. C’est ainsi que l’ouvrage de Danielle Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti2, représente une contribution majeure sur les faits contemporains de conversion. L’auteur opère entre ceux-ci une distinction en classant les convertis selon trois ensembles. Le premier est celui des individus qui "changent de religion"3 ; le deuxième ensemble est celui des individus qui n'ayant jamais appartenu à une tradition religieuse quelconque, découvrent après un cheminement personnel plus ou moins long, leur lignée croyante choisie4. Enfin, le troisième ensemble est celui des "réaffiliés", des "convertis de l'intérieur" : ceux qui, incorporés à une tradition religieuse familiale dès leur naissance, découvrent ou redécouvrent une identité religieuse demeurée jusque-là informelle ou vécue de façon purement conformiste5. Cette « triple figure » du converti est construite à partir du vécu intime des convertis. Comme cela a été dit précédemment, un tel angle d’approche de la conversion ne peut pas être emprunté pour l’analyse juridique, s’agissant précisément de se placer dans une perspective subjectiviste. Cependant, l’analyse sociologique met en lumière deux catégories de convertis, dont on peut se demander si elles ne trouvent pas un écho dans le champ du droit du point de vue des manifestations de la conversion. En effet, ceux qui changent de religion revendiquent un droit au choix religieux, et les « convertis de l’intérieur » adoptent une manière plus intense de vivre leur religion. De telles formes d’expression de la conversion mobilisent-elles, à un certain moment, les ressources du droit ? Quel rôle le droit peut-il être amené à jouer ? A l’instar du prosélytisme (« convertir l’autre »), la conversion (« se convertir ») est-elle également source de droits et de conflits ?
- 6 Les demandes de changement de prénom (que cette étude évoquera) relèvent de la procédure gracieuse
- 7 Ce qui explique, du reste, que la deuxième figure du converti issue de l’analyse de D. Hervieu-Lég (...)
3En d’autres termes, il s’agit de s’interroger sur la prise en compte par le juridique de la conversion, phénomène dont la mise en visibilité s’opère à un moment très spécifique : celui où la conversion est judiciarisée par son sujet, parce qu’elle est à l’origine d’une demande en justice ou participe d’un conflit. En effet, le terrain de connaissance et d’étude du point de vue du droit est quasi-exclusivement6 la matière contentieuse : la conversion se donne à voir, essentiellement lorsqu’une action en justice est intentée. Elle est alors un fait, invoqué devant le juge, qu’il décidera de retenir ou non parmi les faits pertinents dans la solution de l’affaire soumise à son arbitrage. Mais ce fait présente une singularité puisqu’il est de nature religieuse. Le juge doit examiner une demande qui plonge ses racines dans une conversion religieuse principalement ou accessoirement. Cela signifie qu’il lui faut tenir compte d’une liberté fondamentale, la liberté de religion, ce qui imprime à l’affaire une dimension et des enjeux particuliers. Par ailleurs et en principe, le juge n'a pas à s'interroger sur la sincérité ou l'authenticité de la conversion. Son rôle n’est pas de sonder les cœurs ou les consciences7. Peu importe également et en principe encore, la religion nouvellement embrassée.
- 8 Qui permet « de mettre au point des figures de description, outils de pensée qui assurent la liais (...)
- 9 Voir par exemple : Conseil d’Etat 11 février 2005, n° 260365, inédit (La requérante faisait état d (...)
4De la typologie établie par D. Hervieu-Léger8, il est possible de retenir les première et troisième catégories de convertis pour organiser et exposer les situations de conversions rencontrées dans le champ du droit. En effet, ces catégories trouvent un prolongement juridique même si les solutions adoptées dépassent parfois le cadre tracé par la sociologie. Il convient également de préciser que cette étude exclut les conversions « opportunistes » qui accompagnent parfois un mariage de complaisance aux fins d’acquérir la nationalité française. Il en est de même des situations dans lesquelles la conversion représente un argument supplémentaire pour contester une mesure de reconduite à la frontière, le requérant invoquant les menaces, risques et persécutions dont il pourrait faire l’objet en cas de retour dans son pays d’origine9. Dans ces affaires très particulières, c’est la réalité des risques encourus qui est appréciée. Ces hypothèses de « mise en visibilité » de la conversion sont très spécifiques, et se situent en dehors de l’étude ici proposée, soit par défaut d’authenticité et de sincérité de la conversion (dans le cas par exemple des mariages de complaisance) soit en raison de leur caractère très accessoire (dans le cas du contentieux lié aux reconduites à la frontière).
5Dès lors, reprenant deux des figures « sociologiques » du converti, cette étude est développée selon deux axes : le premier est consacré à « celui ou celle qui change de religion » tandis que le second interrogera « le réaffilié ou converti de l’intérieur ».
1. Le converti : celui ou celle qui change de religion
6Les individus regroupés dans le premier ensemble de convertis revendiquent un « droit au choix religieux », nous dit la sociologue, quel que soit leur positionnement par rapport à la religion « du passé ». Ce droit au choix religieux peut dans certains cas être contesté ou vécu difficilement par le milieu familial ou social, et devenir l’enjeu essentiel d’un conflit. Deux questions se posent, alors : le droit prend-il en compte ce droit au choix religieux entendu comme la possibilité de changer de religion ? Accompagne-t-il l’individu dans sa démarche de conversion qui emporte rupture avec la religion d’origine ? Qu’il s’agisse du droit au choix religieux ou de l’accompagnement juridique de la conversion, il convient toujours de distinguer selon que l’individu est majeur ou mineur.
a. Changer de religion : un droit absolu pour les personnes majeures
7La réponse à la question de savoir si l’individu majeur a le droit de se convertir est indiscutablement positive. Le choix religieux ne connaît pas d’entrave parce qu’il relève de la conscience de chacun. Libre de croire ou de ne pas croire, libre de choisir sa croyance ou de ne répondre à aucune pression de conscience, l’individu doit pouvoir se déterminer en fonction des seuls impératifs dictés par son besoin de religion et de spiritualité. La liberté de religion implique la liberté de changer d’option religieuse, liberté garantie et protégée par les juridictions judiciaires.
- 10 Pour des illustrations sur ce point, voir notre ouvrage, Justice, religions et croyances, CNRS édi (...)
- 11 Cour d’appel Montpellier, 9 novembre 1987, jurisdata n° 02482 ; Cour d’appel de Chambéry, 22 novem (...)
- 12 Cour d’appel Rennes, 7 février 1990, jurisdata n° 043635.
- 13 TGI Fort de France, 31 octobre 1989, jurisdata n° 053050.
- 14 TGI Mulhouse, 19 janvier 1993, n° RG 1162/91, inédit.
8Depuis longtemps déjà, le contentieux de la famille fournit de nombreuses illustrations de ce propos. Ainsi le juge reconnaît-il à chacun des époux une liberté de choix religieux pleine et entière. Lorsqu’il est appelé à se prononcer sur la dissolution du lien matrimonial alors que l’un des conjoints invoque un grief tenant à la religion de l’autre, le juge civil ne manque jamais de rappeler la liberté des conjoints de pratiquer la religion de leur choix10. Dans la même perspective, il ne peut être fait grief à un époux d’avoir changé de religion car la liberté de religion comporte également la liberté de se convertir. Si les formulations diffèrent quelque peu selon les juridictions, toutefois le principe est bien établi. C’est ainsi que « l’adhésion de l’épouse aux témoins de Jéhovah, groupement religieux qui a une existence légale, ne peut constituer une faute en elle-même ; ne constitue pas une faute en soi la conversion de l’épouse aux témoins de Jéhovah malgré la solennité des promesses échangées lors du mariage catholique des époux, la possibilité de changer de religion ou d’abandonner toute religion devant être garantie aux personnes mariées comme aux célibataires11 ». De même, « le mari ne saurait faire grief à se femme d’avoir changé de religion pour adhérer à la secte des témoins de Jéhovah, chaque époux étant libre de choisir sa religion et ayant le devoir de respecter la liberté confessionnelle de l’autre12 ». Ou encore, « la conversion d’un époux à une religion (religion évangéliste) ne saurait constituer une cause de divorce13 ». Enfin, le changement de religion après le mariage de l’un des conjoints est l’expression de sa liberté de conscience14.
- 15 Cour d’appel Montpellier, 29 juin 1992, jurisdata n° 034435. Du reste, chacun est libre de se mari (...)
9Par conséquent, et dans le cadre strict de la séparation des époux, la liberté de se convertir est pleine et entière, il existe bien un droit au choix religieux. Le juge doit ici protéger une liberté fondamentale. Ce droit à la conversion des époux est valable même dans le cas où les époux se sont promis de se soumettre aux règles d’une religion en particulier. Bien qu’au moment du mariage religieux devant un prêtre catholique les époux aient fait une déclaration d’intention écrite qui comporte ce type de formule « Je veux en pleine liberté et en présence de Dieu, créer une véritable communauté de vie et d’amour consacrée par le Christ telle que l’entend l’Eglise catholique. Je veux par cet engagement réciproque établir un lien sacré que rien durant notre vie ne pourra détruire », cet engagement est « sans portée juridique » mais aussi « sans portée morale, l’exigence de son respect étant contraire au principe de la liberté de conscience15 ».
- 16 Adoptés dans les débuts de la IIIe République (de 1881 à 1904), les textes qui fondent la législat (...)
- 17 Cour d’appel Paris, 8 janvier 2007, n° RG 07/00035, inédit.
- 18 Cour d’appel Lyon, Premier Président, 13 septembre 2011, n° RG 11/06270, inédit.
10Le choix de s’être converti est respecté par-delà le décès du converti au moment de décider de l’organisation de ses funérailles16. Suscitant dans quelques occasions des conflits au sein des familles, le rite des funérailles est arbitré par le juge, qui fait prévaloir des solutions d’apaisement mais néanmoins fidèles autant que possible aux dernières volontés du défunt. Il en est ainsi de cette affaire traitée par la Cour de Paris en 200717 : une jeune femme, d'origine tunisienne de mère chrétienne décède. Le père demande qu'elle soit inhumée selon le rite musulman et rapatriée en Tunisie. Le compagnon de la défunte fait état du projet de conversion à la religion catholique, et produit une attestation d'un prêtre catholique ayant reçu la visite de la jeune femme pour être baptisée. Le juge décide que celle-ci sera inhumée au Père Lachaise, inhumation accompagnée des formes respectant la religion musulmane. Dans certains cas, la volonté du défunt est ambiguë : ainsi de cet homme qui avait conclu un contrat d'obsèques par lequel il avait prévu des funérailles organisées selon le rite catholique. Or quelques mois avant son décès, il se convertit à l'islam. Ses filles demandent que leur père soit inhumé selon le rite musulman, faisant état de cette conversion et de son souhait. Cependant, comme le remarque le juge, la certitude que le de cujus avait renoncé à sa volonté d'être inhumé selon les conditions du contrat d’obsèques n'est pas acquise. "Toutefois, dans la mesure où sa famille très proche, qui a entouré le défunt de son affection jusqu’au terme de son existence, en fait la demande, rien ne s'oppose à ce que le rituel mortuaire musulman soit respecté pour le lavage du corps et la prière18 ».
- 19 Cour d’appel Paris, 19 mai 2009, jurisdata n° 2009-015848.
11Le problème qui se pose est de connaître avec certitude la volonté du défunt en présence de dires contradictoires et faute d’indication claire. Devant une telle difficulté pour déceler cette volonté, le juge désigne la personne la mieux qualifiée pour décider des modalités des funérailles. Il en est ainsi dans cette affaire traitée par la Cour d’appel de Paris en 200919, qui opposait la famille d’une défunte avec laquelle cette dernière avait rompu toutes relations et son mari, musulman, avec lequel la défunte était en instance de divorce. Le juge considère alors, que la personne la mieux placée pour rapporter l’intention de la défunte, s’agissant de ses funérailles, est une amie très proche. Celle-ci rapporte l’engagement de longue date dans la communauté musulmane de la défunte, et sa conversion qui n'avait jamais été acceptée par sa famille. Par conséquent, le juge autorise des funérailles selon le rite musulman.
b. Changer de religion : une possibilité sous contrôle pour les mineurs
- 20 Cour de cassation, Civ. 1, 11 juin 1991, D. 1991.521, note Ph. Malaurie.
12La situation née de la conversion d’un mineur ou de son souhait de conversion est beaucoup plus délicate à gérer et pose de manière générale la question de l’étendue de la liberté de religion reconnue à l’enfant mineur. Une affaire ancienne20 est tout à fait topique de cette problématique. Il s'agissait d'une jeune fille de 16 ans née de parents catholiques et baptisée, qui souhaitait se convertir et être baptisée selon la religion des témoins de Jéhovah. Les juges du fond avaient décidé qu'il convenait d'attendre que la jeune fille devienne majeure pour exercer son choix. Le père s'était récemment converti à la religion des témoins de Jéhovah. La Cour de cassation rejeta le pourvoi du père. Il faut noter que dans cette affaire, les parents étaient en conflit. Mais cette solution appelle quelques réserves sur la liberté religieuse de l'enfant. Certes il s'agissait de la conversion d'une mineure acte sans doute considéré comme plus grave que la poursuite d'une éducation religieuse souhaitée par l'enfant contrairement au vœu d'un parent. Mais en voulant régler le conflit parental dont l'enfant était certainement l'un des enjeux, les juges ont limité la liberté religieuse de l'enfant (un grand mineur en l'espèce), la Cour de cassation leur reconnaissant le pouvoir d'apprécier l'opportunité de la conversion.
13La religion du jeune enfant est, en réalité, celle de ses parents. L’éducation religieuse, le cas échéant, relève des prérogatives parentales et le choix religieux est exercé par les parents. Celui-ci est opéré la plupart du temps au moins pour les croyants et pratiquants, très tôt après la naissance et est marqué par un rite d’entrée (baptême, circoncision rituelle).
- 21 Cour d’appel Nîmes, 20 juin 2012 n° RG 10/02716, inédit.
- 22 Cour d’appel Rennes, 18 mai 1993, jurisdata n° 043014 ; Cour d’appel Pau, 10 janvier 2012, jurisda (...)
- 23 Cour d’appel Nîmes 20 juin 2012, précit : en l’espèce l’attitude du père manifestant un mépris des (...)
14Les conversions des enfants, par conséquent, sont rarement leur fait. Elles résultent de la conversion de leurs parents ou de l’un seul d’entre eux. Lorsque l’harmonie familiale règne, le juge n’est pas amené à connaître de ces situations, par hypothèse non conflictuelles. En revanche, en cas de dissension conjugale, la religion de l’enfant peut devenir un sujet de discorde supplémentaire, notamment dans l’hypothèse de la conversion de l’un des parents souhaitant que le ou les enfants embrassent sa nouvelle foi. Or comme le précisent désormais les juges, « Parmi les décisions importantes concernant la vie des enfants, figure au troisième rang la religion21 ». Le choix de la religion de l’enfant (et partant son éventuelle conversion) n’est pas un acte usuel de l’autorité parentale ; il requiert l’assentiment des deux parents. Dès lors, « une mère a fait preuve d’un comportement fautif en faisant baptiser les enfants du couple par la secte alors qu’ils étaient encore mineurs22 ». Dans la même perspective, le père aurait dû informer la mère de l’enfant de la conversion de celui-ci (en l’espèce au judaïsme) dès lors que l’accord parental ne concernait que « la participation à une éducation religieuse non nécessairement suivie d’un engagement suffisamment important et sérieux pour entraîner la conversion à cette religion23 ».
- 24 Article 373-2-11 du Code civil : « Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorit (...)
15Cela ne signifie pas que le parent nouvellement converti ne puisse pas initier ses enfants à ses convictions et à ses pratiques. Toutefois, certaines limites sont posées à cette initiation lorsqu’elle est contestée : la première, majeure, est la considération de l’intérêt de l’enfant, notion absolument centrale de toutes les décisions prises à son égard. La deuxième tient aux « pratiques antérieures des parents24 » lesquelles, en cas de conflit parental, serviront de référence pour interdire, permettre ou encadrer. La troisième limite est relative à l’absence de pression ou de contrainte exercées sur l’enfant.
c. L’accompagnement juridique de la conversion
16Afin de parfaire sa conversion, le converti peut souhaiter changer de prénom, considérant le prénom d’origine comme une gêne pour l’exercice de sa nouvelle religion ou pour l’intégration dans sa nouvelle communauté. Il en est ainsi par exemple du port d’un prénom chrétien alors que son titulaire s’est converti à l’islam ou au judaïsme.
17Cette problématique du changement de prénom ne se rencontre pas seulement en cas d’adoption d’une nouvelle religion. Le changement peut également être sollicité dans l’hypothèse d’un réinvestissement de la religion d’origine, vécue jusqu’ici « plus faiblement ». Ceci concerne la troisième figure du converti selon le classement opéré par D. Hervieu-Léger. Les individus ici visés se sont vus attribuer par leurs parents un prénom participant d’une meilleure intégration dans la communauté d’accueil, notamment lorsqu’a eu lieu une naturalisation avec francisation des prénoms. Or ce prénom n’est plus en harmonie avec la façon de vivre désormais la religion d’origine.
18En principe, et à l’instar du nom quoique plus faiblement, le prénom est régi par le principe d’immutabilité. L'état civil est indisponible, nul ne pouvant en changer pour des motifs de pure convenance personnelle. Toutefois un tel principe connaît des exceptions, à condition toutefois que le changement de prénom soit justifié par un intérêt légitime, souverainement apprécié par le juge aux affaires familiales. En effet, aux termes de l’article 60 du Code civil :
« Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l'intéressé ou, s'il s'agit d'un mineur ou d'un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L'adjonction, la suppression ou la modification de l'ordre des prénoms peut pareillement être décidée ».
19Si l'enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis ».
- 25 Pour une étude plus large du changement de prénom pour motifs religieux, voir F. Messner, P.-H. Pr (...)
20Un motif religieux, par exemple et pour ce qui concerne précisément cette étude une conversion, peut justifier un changement de prénom, une adjonction, une suppression de prénom ou une modification de l’ordre des prénoms. La jurisprudence fournit des exemples de ces changements de prénoms motivés par une conversion, parfois accordés, d’autres fois refusés. Car il ne suffit pas d’invoquer la conversion pour que la demande soit acceptée. Encore faut-il faire la démonstration de cet intérêt. Les situations sont hétérogènes : elles peuvent concerner des personnes majeures ou des enfants ; les termes de la modification sollicitée peuvent varier ; et enfin le contexte de la demande est très différent d’une espèce à l’autre25. Le juge tient compte de tous ces éléments et, de surcroît, du moment où la demande est formulée.
- 26 J. Massip, note ss. Cass. 1er civ. 6 mars 1990, D. 1990, jurispr. p. 477.
21Concernant les personnes majeures, la conversion ou « le réveil de sentiment ou de la pratique religieuse26 » peuvent constituer des motifs légitimes au soutien d’une demande de changement de prénom, tout comme celui tenant à une meilleure intégration dans une communauté religieuse.
- 27 Cour d’appel ¨Paris, 26 septembre 1996, Defrénois 1997, p. 984, obs. J. Massip.
- 28 Cour d’appel Paris, 6 mars 1990, Bull. civ. 1990, I, n° 62 ; D. 1990, jurispr. p. 477, note J. Mas (...)
22C’est ainsi qu’une conversion au judaïsme peut justifier la suppression d’un prénom à connotation chrétienne (en l’espèce, Marie-Christine), la coexistence de ce prénom et d’un prénom juif (Sarah) dont l’adjonction avait été précédemment obtenue par la requérante (en 1980), causant à celle-ci des problèmes tant psychologiques que d’identité religieuse27. Cette affaire montre que l’intérêt légitime peut évoluer dans le temps et, dès lors, qu’une même personne selon les circonstances peut être conduite à formuler des demandes successives de modification de prénom. « L’intérêt légitime doit être apprécié en fonction des éléments existants au moment où le juge statue », a précisé la Cour de cassation le 6 mars 199028. Dans cette même perspective et à la suite du « réveil du sentiment ou de la pratique religieuse », un musulman a été autorisé à reprendre son prénom d’origine alors que, quelques années auparavant, il s’était fait attribuer un prénom chrétien pour favoriser son intégration dans la communauté française.
- 29 Cour d’appel Paris, 25 mai 1989, jurisdata n° 1989-023534.
- 30 Cour d’appel Nîmes 22 mars 1989, jurisdata n° 1989-047183.
- 31 Cour d’appel Versailles, 12 octobre 1989, Gaz. Pal. 1989, 2, somm. P. 417, note P. Estoup.
23Les exemples jurisprudentiels concernent toutes les religions (ainsi de cette personne qui avait adopté la religion catholique et qui sollicitait une substitution de prénom29) ; toutefois il semble que les litiges sont plus fréquents relativement à la religion musulmane. Le port d’un prénom chrétien peut constituer un obstacle pour accomplir le pèlerinage à la Mecque30, ou ne pas être conforme aux traditions de l’islam31.
- 32 Cour d’appel Lyon 14 février 2011, jurisdata n° 2011-002458.
24Lorsque le requérant possède deux prénoms dont l’un est musulman, il lui suffit de retenir ce dernier comme prénom d’usage, comme la loi l’y autorise sans avoir besoin d’une décision de justice32. Il s’agissait ici d’un requérant né d'un père français et d'une mère algérienne. Les prénoms que ses parents avaient choisis pour lui, rassemblaient ainsi la dualité de ses origines (Nicolas et Rihade). C'est en vain selon les juges qu'il demande une inversion de l'ordre de ses prénoms au motif qu'il s'est converti à l'islam et qu'il souhaiterait faire un usage exclusif du prénom de Rihade pour que sa foi religieuse et sa vie privée soient en conformité et apparaissent comme tels aux yeux des tiers. Cependant il ne rapporte pas la preuve des difficultés psychologiques qui pourraient être créées par l'utilisation du prénom Nicolas. Au demeurant le requérant peut parfaitement faire le choix de retenir Rihade comme prénom d'usage, dans ses relations sociales.
- 33 Voir pour un autre exemple, Cour d’appel Reims, 10 janvier 2014, jurisdata n° 2014-000494 : le req (...)
- 34 Cour d’appel Aix-en-Provence, 25 juin 1998, jurisdata n° 1989-047183. Ou encore Cour d’appel Orléa (...)
- 35 Cour d’appel Besançon, 7 avril 2011, jurisdata n° 2011-011640.
- 36 De même si le requérant ne produit aucun document démontrant l'appartenance religieuse qu'il reven (...)
25De manière générale, les juges accueillent plutôt favorablement les demandes fondées sur une conversion33 à condition que celle-ci ne soit pas trop récente34 considérant parfois dans cette dernière hypothèse qu’une adjonction est préférable. Ainsi de cette jeune fille de 21 ans convertie à l'islam depuis 2002 dont les juges estiment qu’elle justifie d'un intérêt légitime à porter le prénom d'Ilham. Toutefois compte tenu de son jeune âge et du fait qu'elle continue à être appelée Lucile par des membres de sa famille, le juge ordonne l'adjonction du prénom d'Ilham à ses trois prénoms actuels plutôt que de procéder à une substitution de prénoms qui pourrait la couper de ses racines familiales et culturelles35. Les refus s’expliquent également par une absence de preuve de la conversion36.
- 37 Cour d’appel Aix-en-Provence, 12 novembre 2013, jurisdata n° 2013-025953.
- 38 « Le fait que le maintien d’un tel prénom chrétien constitue un obstacle à un pèlerinage à la Mecq (...)
- 39 Voir également Cour d’appel de Montpellier 29 novembre 2010, n° RG 10/00378, inédit.
26Concernant les mineurs, les demandes de changement de prénom sont regardées avec une certaine prudence. Dans ce cas particulier, les motifs au soutien de la demande sont d’ordre familial, de même que l’usage prolongé du prénom. Si bien souvent l’intérêt des parents motive la demande, toutefois celui de l’enfant (et son jeune âge) est d’abord pris en compte, conduisant le juge à refuser la modification, pour privilégier une solution alternative. Il en est ainsi dans cette affaire traitée récemment par les conseillers aixois37. Le père, converti à l’islam en 2009 et marié à une musulmane, avait déclaré l’enfant né en 2010 à l’état civil sous les prénoms de François Samy. Les parents sollicitaient la suppression du prénom François, soutenant divers arguments38. Les juges rappellent qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les prénoms inscrits à l’état civil et que leur titulaire peut choisir d’utiliser l’un quelconque d’entre eux. Par conséquent, l’enfant peut porter dans la vie quotidienne le prénom de Samy, « en étant déclaré à l’état civil sous les deux prénoms, l’enfant dispose du choix d’affirmer son identité culturelle ou religieuse en donnant sa préférence à l’un ou l’autre des prénoms39 ».
- 40 Cour d’appel Dijon, 13 décembre 1989, jurisdata n° 1989-051547.
27Un même refus fut opposé en 1989 à une mère convertie à l'islam qui demandait pour ses enfants la substitution de prénoms à consonance maghrébine aux prénoms français des enfants. Selon le juge, la preuve n'était pas rapportée que l'état civil ainsi modifié empêcherait les demandeurs de pratiquer leur religion ou d'être appelés dans leur famille par leur prénom musulman. Le jeune âge des enfants ne leur a pas permis de s'exprimer librement sur le choix de leur religion40.
2. Le réaffilié, ou le converti de l'intérieur
28Cette catégorie sociologique concerne des individus qui passent d'un régime religieux faible à un régime fort d'intensité religieuse. Ils adoptent une pratique religieuse plus orthodoxe, plus fervente. Ils vivent leur foi de manière plus ardente qu’auparavant. Il s’agit selon les termes de D. Hervieu-Léger des convertis de l’intérieur.
29Il faut rappeler que si la sphère du for intérieur est bien protégée, "les actes qui sont intimement liés à ces attitudes tels que les actes d'adoration ou de dévotion qui sont généralement des aspects de la pratique d'une religion ou d'une croyance sous une forme généralement reconnue" le sont également, comme le soulignait en 1983 la Commission européenne des droits de l'homme.
30Toutefois, une religiosité exacerbée peut heurter la conscience de l'autre ou bien son exercice peut avoir des répercussions sur les relations sociales et/ou familiales.
- 41 La notion de zèle (excessif, intempestif) est souvent utilisée par les juridictions : Cour d’appel (...)
31Le contentieux civil offre des exemples d’investissement important dans les pratiques religieuses, et qui concernent de manière générale toutes les religions. Parfois, ce « zèle excessif41 » est le fait de nouveaux convertis, adoptant une attitude très rigoriste afin de prouver leur sincérité. D’autres fois, il s’agit d’un réinvestissement de la religion d’origine accompagné là encore d’un engagement religieux très fort. Or qu’il s’agisse de l’un ou l’autre cas, la pratique religieuse parce que devenue plus envahissante, peut venir perturber les relations familiales ou sociales, et dès lors, être constitutive d’une faute.
- 42 Cour d’appel Bordeaux, 26 novembre 2002, jurisdata n° 2002-198916.
- 43 Cour d’appel Aix-en-Provence, 30 mai 2006, jurisdata n° 311480.
32La première question qui se pose est de savoir si la mesure de l'intensité de la foi est du ressort du judiciaire sauf à considérer qu'il y a une bonne et une mauvaise manière de vivre sa foi, de pratiquer sa religion selon un standard de normalité comportementale. Est-il possible de reprocher dans l'absolu à un croyant d'être trop fervent, trop pratiquant, trop rigoureux dans l'observance de ses rites ? Ainsi que le soulignent les magistrats bordelais, dans une affaire opposant un époux à sa femme à qui il reprochait "la mise en œuvre d'une pratique religieuse débordant de la normale et mettant en péril par des manifestations excessives de ferveur, la cohésion familiale et l'entente conjugale", les témoignages indiquant que l'épouse ne vivait plus que pour la foi catholique ou que sa foi chrétienne était devenue le moteur de sa vie ne font que confirmer la force d'une conviction religieuse dont tout individu a le droit de faire le choix42. Il en est de même, dans une affaire où la femme invoquait le zèle excessif de son époux dans la pratique de la religion juive, les juges aixois considèrent que « la pratique religieuse d’un conjoint relève d’un choix spirituel personnel et ne saurait fonder une demande en divorce pour faute dès lors que le comportement de l’époux n’est pas de nature à générer de graves perturbations au sein de la vie familiale43 ».
- 44 TGI Morlaix, 18 juillet 1996, RG n° 242/1995 inédit cité par J.-M. Hisquin, thèse précit. P. 189.
- 45 TGI Morlaix, précit.
- 46 Cour de cassation, Civ. 1, 19 juin 2007, Dr. Fam n° 9, 2007, comm. 168, note V. Larribau-Terneyre.
- 47 Cour d’appel Paris, 4 décembre 2003, jurisdata n° 231097.
33« Engagement actif44 », « excès de pratiques religieuses45 », « incidence croissante et excessive de la pratique religieuse46 », « comportement religieux extrême voire obsessionnel excédant la liberté de conscience et d’expression47 » mais également « zèle » assorti ou non d’adjectifs, tels sont les termes le plus souvent utilisés par la jurisprudence pour qualifier une attitude du croyant dépassant certes la mesure, mais qui doit avoir une incidence sur la vie du couple et de la famille.
- 48 Cour d’appel Montpellier 5 février 2008, jurisdata n° 360219.
- 49 Cour d’appel Bordeaux, 20 octobre 2009, jurisdata n° 2009-013244.
34En effet, la décision (d’admettre ou non le grief en matière de divorce par exemple) doit être justifiée par des critères objectifs. Ce sont les répercussions de la religiosité d'un époux sur la vie conjugale ou d'un parent sur la vie familiale, les enfants, leurs soins, leur éducation qui doivent être examinées et non la croyance elle-même ou son degré d’intensité. C'est ainsi que le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'épouse, (qui n'était pas une convertie de l'intérieur mais une convertie à la religion catholique), qui avait rejeté son mari, ses enfants, sa famille pour suivre son guide et se consacrer à une vie exclusivement spirituelle48. Dans une autre affaire jugée par la Cour de Bordeaux49, les juges prennent soin de préciser qu'il ne leur appartient pas de porter une appréciation sur le comportement religieux de l'épouse. Mais saisi d'un conflit conjugal, ils constatent que ce comportement dépassait le simple cadre d'un comportement religieux habituel. On peut s'interroger sur ce qu’est un comportement religieux habituel. Quoiqu’il en soit, ce qui est pris en compte en l'espèce, c'est la démesure de l'attitude religieuse de l'épouse. Selon le constat d'huissier, une pièce de la maison avait été transformée en oratoire, on y trouvait plusieurs statues, des crucifix sur socle, des chapelets, des bidons d'eau bénite, des images pieuses, 250 livres religieux, 30 cassettes religieuses. Plusieurs témoignages attestaient que la religion et la prière étaient devenues des obsessions pour l'épouse, son seul point d'intérêt au point de couper le couple et leur enfant du reste de la famille, des proches et des amis. Seul comptait le groupe de prière. L'épouse imposait à son mari et à sa fille des périodes de jeûne et les prières. C'est à partir de ce faisceau d'indices que la cour constate les répercussions sur la vie de famille de la religiosité de la femme.
- 50 Cour d’appel Pau, 21 mai 2007, n° RG 05/02922, inédit.
- 51 Il convient pour l'époux qui s'en prévaut, d'établir que la pratique religieuse de son épouse a eu (...)
35Il en est de même dans une affaire traitée par la Cour d’appel de Pau50 en 2007 : un mari qui, par sa pratique intensive de la religion (prières, pèlerinages, retraite) n’avait plus de vie commune ni de communication avec son épouse. Celle-ci était laissée dans un état d’isolement qualifié d’insupportable51.
- 52 Cour d’appel Nancy, 1er juillet 2005, jurisdata n° 291754.
- 53 Cour d’appel Metz, 14 mars 2006, jurisdata n° 308006.
- 54 Cour d’appel Nancy, le 24 octobre 2011, jurisdata n° 2011-034046.
36Pratiques qualifiées d'intégristes, risque de radicalisation, rejet du mode de vie occidental sont également pris en compte par la jurisprudence judiciaire, notamment pour protéger l’enfant et « prévenir tout endoctrinement de l’enfant contraire à son intérêt dans la société dans laquelle elle évolue52 ». Sans priver le père de son autorité parentale, « symbole fort de sa paternité », ses comportements ne doivent pas porter atteinte « à l’épanouissement de ses filles et créer un conflit permanent nuisant aux choix éducatifs de la mère et créant un déchirement répété et constant dans l’esprit des enfants53 ». Ainsi en est-il également de cette affaire traitée par la Cour de Nancy54 dans laquelle l’enquête sociale avait mis en évidence que le père rejetait depuis quelques années les valeurs qui étaient les siennes au moment de son mariage, à savoir celles d’un islam modéré et d’un mode de vie à l’occidentale ; qu’il avait adopté un mode de vie en étroite conformité avec des croyances religieuses radicales, cessant notamment de travailler ; qu’il estimait de son devoir d’élever ses enfants dans de stricts principes religieux ce qui avait profondément modifié sa relation avec eux ; que les enfants souffraient des principes d’éducation désormais différents de leurs parents et s’étaient mis à craindre leur père. A titre d’illustration le père disait à ses enfants qu’il n’était pas bien de fêter les anniversaires ou qu’il était diabolique d’écouter des chansons.
- 55 Cour d’appel Rennes, 27 mars 2012, jurisdata n° 2012-006230.
37Il en est de même de ce père qui jusqu’ici pratiquait un islam dit modéré et qui peu à peu avait développé une pratique beaucoup plus intense (prières sur son lieu de travail, refus de participer à des repas familiaux en raison du caractère insupportable pour lui des aliments et des boissons servis aux convives). La Cour d’appel de Rennes55 considère que « si la pratique d’une religion n’est pas un fait reprochable en soi, les excès de la pratique, le prosélytisme incessant envers le conjoint et l’observance de règles trop strictes qui aboutissent à isoler le couple de la famille et des amis constituent des griefs ».
38Il faut souligner que les observations précédentes ne sont pas propres à l’attitude du converti de l'intérieur, elles trouvent à s’appliquer de manière générale à tout époux ou parent croyant. Si la religion envahit jusqu'à la perturber gravement la vie familiale, alors cette pratique pourra être imputée à faute. "Le mysticisme exagérée et un puritanisme étroit et rigide", "une observation trop rigoureuse des impératifs de la secte", "une ferveur mystique", "des pressions morales et psychologiques sur des petites filles pour exiger d'elles le port du voile", "des pratiques contraignantes et une série d'interdictions pour les enfants les conduisant à leur mise à l'écart de leurs camarades considérées comme des pécheurs", tous ces comportements parce qu'ils dépassent la mesure mais dûment étayés, sont condamnés par les juges.
Conclusion
39Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette étude. D’une part, loin d’ignorer le fait religieux, en l’espèce la conversion, ou de manifester à son égard une indifférence, le juge le prend en compte sans opérer de discrimination entre les croyances. Si la personnalité du converti, son âge, le contexte de la conversion peuvent influer sur l’accueil ou le rejet d’une demande, toutefois, c’est un souci d’équilibre et de protection qui prédomine. Il en est ainsi dans les affaires concernant les mineurs. D’autre part, lorsque la conversion est à l’origine d’un conflit, ce sont les conséquences de celle-ci qui sont analysées, le juge se fondant, dans la grande majorité des cas, sur des critères objectifs, ne remettant pas en cause la liberté de religion. Enfin, les solutions d’apaisement sont toujours privilégiées de manière à maintenir, restaurer le vivre- ensemble religieux.
Notes
1 Sur le prosélytisme, voir les développements dans l’ouvrage dirigé par F. Messner, P.-H. Prélot, J.-M. Woerhrling, Droit français des religions, LexisNexis, coll. Traités, 2ème éd. 2013, spécialement les numéros 280, 842, 843, 1805, 1877 et 1878 ; S. Plana, Le prosélytisme religieux à l’épreuve du droit privé, Paris, L’Harmattan, 2006 ; notre article « Le prosélytisme au regard du droit : une liberté sous contrôle », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [en ligne], 3/ 2008, http://cerri.revues.org/144.
2 D. Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti, la religion en mouvement, Champs Flammarion, 2001, spécialement p. 119 et s.
3 « Soit qu'ils rejettent expressément une identité religieuse héritée et assumée pour entrer dans une nouvelle identité religieuse ; soit qu'ils abandonnent une identité religieuse imposée mais qui n'avait jamais été personnellement prise en charge, pour embrasser une foi nouvelle. De façon générale, l'aspiration à être reconnu comme une personne dans une communauté choisie soutient la revendication d'un "droit au choix" religieux, susceptible de prendre le pas sur le devoir de fidélité à une tradition héritée. »
4 Ce sont les conversions des "sans religion". C'est le cas quasi-général des enfants d'immigrés de la seconde et troisième génération qui embrassent l'islam. C'est le cas également des convertis au catholicisme en France.
5 La conversion marque l'entrée dans un "régime fort" d'intensité religieuse qui s'oppose "au régime religieux faible", auquel l'individu était contenu par une expérience religieuse personnelle inconsistante voire inexistante.
6 Les demandes de changement de prénom (que cette étude évoquera) relèvent de la procédure gracieuse.
7 Ce qui explique, du reste, que la deuxième figure du converti issue de l’analyse de D. Hervieu-Léger ne soit pas pertinente pour le juriste. En effet, la "population" des « sans religions » est difficilement identifiable dans la mesure où lorsque le juge utilise le terme d'adhésion, (voire parfois de conversion), il ne précise pas si l'individu adhère à une religion pour la première fois. L'information selon laquelle il serait auparavant athée ou sans religion ne nous est pas donnée.
8 Qui permet « de mettre au point des figures de description, outils de pensée qui assurent la liaison entre les données empiriques » collectées sur le terrain par le sociologue, et « le point de vue interprétatif qu’il retient pour mettre en ordre ces données et à travers elles, la complexité des faits sociaux dont il se saisit » (D. Hervieu-Léger, « L’impératif de la conversion. Réflexions sociologiques sur la fabrique contemporaine des identités religieuses », in B. Bakhouche, I. Fabre, V. Fortier (dir.), Dynamiques de conversion : modèles et résistances. Approches interdisciplinaires, Brepols, EPHE Sciences religieuses, n° 155, 2012, p. 7 et s.).
9 Voir par exemple : Conseil d’Etat 11 février 2005, n° 260365, inédit (La requérante faisait état de persécutions en cas de retour en Algérie en raison de sa conversion à la religion chrétienne) ; Cour administrative d’appel Lyon, 5 mai 2010, n° 09LY01704, inédit (le mari invoquait les menaces dont il ferait l’objet en cas de retour dans son pays avec son épouse d’origine musulmane convertie à la religion chrétienne copte) ; Cour administrative d’appel Bordeaux, 31 octobre 2013, n° 13BX01210, inédit (le requérant, converti au christianisme, alléguait qu’il serait poursuivi par les membres de sa communauté et sa famille, de religion musulmane, en cas de retour en Guinée) ; Cour administrative d’appel Versailles, 3 mars 2011, n° 09VE01919, inédit (Le requérant invoquait des risques de persécutions en cas de retour en Inde en raison de sa conversion à la religion chrétienne).
10 Pour des illustrations sur ce point, voir notre ouvrage, Justice, religions et croyances, CNRS éditions, coll. Droit, 2000, spécialement p. 85 et s. Et également, la jurisprudence citée par J.-M. Hisquin, dans sa thèse de doctorat Liberté de religion et droit de la famille, Université Jean-Moulin Lyon 3, 2012 (spécialement p. 127 et s.)
11 Cour d’appel Montpellier, 9 novembre 1987, jurisdata n° 02482 ; Cour d’appel de Chambéry, 22 novembre 2004, jurisdata n° 2004-273208, précisant que « l’adhésion de l’un des époux à une autre religion est l’expression de sa liberté de conscience ».
12 Cour d’appel Rennes, 7 février 1990, jurisdata n° 043635.
13 TGI Fort de France, 31 octobre 1989, jurisdata n° 053050.
14 TGI Mulhouse, 19 janvier 1993, n° RG 1162/91, inédit.
15 Cour d’appel Montpellier, 29 juin 1992, jurisdata n° 034435. Du reste, chacun est libre de se marier en dépit d’engagements religieux : l’interdiction de contracter mariage faite aux prêtres ordonnés depuis le deuxième concile de Latran de 1139 ou aux personnes liées par le vœu public perpétuel de chasteté dans un institut religieux n’a plus aucun prolongement dans la législation civile française depuis 1791 (F. Messner, P.-H. Prelot, J.-M. Woehrling (dir), Droit français des religions, op.cit., spécialement n° 1597)
16 Adoptés dans les débuts de la IIIe République (de 1881 à 1904), les textes qui fondent la législation funéraire contemporaine prescrivent le respect strict de la volonté des individus en matière de funérailles. Aux termes de la loi du 15 novembre 1887, « tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture ». (F. Messner, P.-H. Prelot, J.-M. Woehrling (dir.), Droit français des religions, op. cit., n° 1272).
17 Cour d’appel Paris, 8 janvier 2007, n° RG 07/00035, inédit.
18 Cour d’appel Lyon, Premier Président, 13 septembre 2011, n° RG 11/06270, inédit.
19 Cour d’appel Paris, 19 mai 2009, jurisdata n° 2009-015848.
20 Cour de cassation, Civ. 1, 11 juin 1991, D. 1991.521, note Ph. Malaurie.
21 Cour d’appel Nîmes, 20 juin 2012 n° RG 10/02716, inédit.
22 Cour d’appel Rennes, 18 mai 1993, jurisdata n° 043014 ; Cour d’appel Pau, 10 janvier 2012, jurisdata n° 2012-007374 (la mère avait fait baptiser l’enfant commun à l’Eglise orthodoxe sans consultation ni association du père).
23 Cour d’appel Nîmes 20 juin 2012, précit : en l’espèce l’attitude du père manifestant un mépris des positions de l’autre parent dans le cadre de l’exercice de l’autorité parentale conjointe, il est condamné au paiement de 5.000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
24 Article 373-2-11 du Code civil : « Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge prend en considération : 1) La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure (…). »
25 Pour une étude plus large du changement de prénom pour motifs religieux, voir F. Messner, P.-H. Prélot, J.-M. Woerlhing, (dir.) Droit français des religions, op. cit. n° 1567 à 1571.
26 J. Massip, note ss. Cass. 1er civ. 6 mars 1990, D. 1990, jurispr. p. 477.
27 Cour d’appel ¨Paris, 26 septembre 1996, Defrénois 1997, p. 984, obs. J. Massip.
28 Cour d’appel Paris, 6 mars 1990, Bull. civ. 1990, I, n° 62 ; D. 1990, jurispr. p. 477, note J. Massip ; même cour 26 septembre 1996, jurisdata n° 1996-600591.
29 Cour d’appel Paris, 25 mai 1989, jurisdata n° 1989-023534.
30 Cour d’appel Nîmes 22 mars 1989, jurisdata n° 1989-047183.
31 Cour d’appel Versailles, 12 octobre 1989, Gaz. Pal. 1989, 2, somm. P. 417, note P. Estoup.
32 Cour d’appel Lyon 14 février 2011, jurisdata n° 2011-002458.
33 Voir pour un autre exemple, Cour d’appel Reims, 10 janvier 2014, jurisdata n° 2014-000494 : le requérant s’appelait Thomas, il s’était converti à la religion musulmane, toutes les personnes autour de lui l’appelaient Sofiane, et il allait épouser une musulmane. Selon les juges, « le changement de prénom lui permettra de mettre en harmonie son identité et sa nouvelle condition religieuse ».
34 Cour d’appel Aix-en-Provence, 25 juin 1998, jurisdata n° 1989-047183. Ou encore Cour d’appel Orléans 27 mai 2008, jurisdata n° 2008-002409, à propos d’une femme qui s'était convertie à l'islam depuis moins de deux ans et dont le mari était de religion musulmane ; elle n'établissait pas qu'il lui soit impossible de pratiquer cette religion sans changer de prénom, étant observé qu'elle demandait à conserver son prénom chrétien comme deuxième prénom. De plus l'usage du prénom musulman était restreint au cercle des proches de son mari, les autres membres de sa famille se refusant à l'appeler autrement que par son prénom donné à sa naissance.
35 Cour d’appel Besançon, 7 avril 2011, jurisdata n° 2011-011640.
36 De même si le requérant ne produit aucun document démontrant l'appartenance religieuse qu'il revendique (conversion à l'islam, Cour d’appel Montpellier, 12 juin 2008, n° RG 07/05390).
37 Cour d’appel Aix-en-Provence, 12 novembre 2013, jurisdata n° 2013-025953.
38 « Le fait que le maintien d’un tel prénom chrétien constitue un obstacle à un pèlerinage à la Mecque ; parce que l’exercice d’une religion et son intégration dans la communauté musulmane constitue pour un enfant un intérêt légitime ; le fait de porter un prénom conforme aux exigences de la religion choisie est constitutifs d’une homogénéité familiale nécessaire à l’équilibre de leur fils ; le fait que porter un prénom chrétien empêche d’hériter au Maroc ; le fait que le prénom François est porté par un pape ».
39 Voir également Cour d’appel de Montpellier 29 novembre 2010, n° RG 10/00378, inédit.
40 Cour d’appel Dijon, 13 décembre 1989, jurisdata n° 1989-051547.
41 La notion de zèle (excessif, intempestif) est souvent utilisée par les juridictions : Cour d’appel Bordeaux, 13 novembre 2007, jurisdata n° 347919 ; Cour d’appel de Rennes, 7 février 1990, jurisdata n° 043635 ; Cour d’appel Aix-en-Provence, 28 avril 2005, n° RG 04/0273, inédit.
42 Cour d’appel Bordeaux, 26 novembre 2002, jurisdata n° 2002-198916.
43 Cour d’appel Aix-en-Provence, 30 mai 2006, jurisdata n° 311480.
44 TGI Morlaix, 18 juillet 1996, RG n° 242/1995 inédit cité par J.-M. Hisquin, thèse précit. P. 189.
45 TGI Morlaix, précit.
46 Cour de cassation, Civ. 1, 19 juin 2007, Dr. Fam n° 9, 2007, comm. 168, note V. Larribau-Terneyre.
47 Cour d’appel Paris, 4 décembre 2003, jurisdata n° 231097.
48 Cour d’appel Montpellier 5 février 2008, jurisdata n° 360219.
49 Cour d’appel Bordeaux, 20 octobre 2009, jurisdata n° 2009-013244.
50 Cour d’appel Pau, 21 mai 2007, n° RG 05/02922, inédit.
51 Il convient pour l'époux qui s'en prévaut, d'établir que la pratique religieuse de son épouse a eu des incidences telles sur la vie familiale qu’elle a créé dans le foyer une atmosphère de contraintes et de soumission permanente, comme tel est le cas dans un arrêt récent de la Cour d’appel de Dijon (6 juillet 2012, jurisdata n° 2012-016121) Or dans l’affaire présentée aux juges dijonnais, « le mari peut difficilement reprocher à son épouse un excès de pratique religieuse alors qu’en épousant sa femme, rencontrée lors d’un pèlerinage qu’ils effectuaient tous deux à Vézelay, il n’ignorait rien de ses convictions religieuses de tendance traditionaliste, que pendant plus de dix ans, il a adhéré à ce modèle éducatif et partagé les convictions de son épouse, ne remettant nullement en cause l’inscription des enfants dans des établissements scolaires qui ne sont pas sous contrat avec l’éducation nationale ».
52 Cour d’appel Nancy, 1er juillet 2005, jurisdata n° 291754.
53 Cour d’appel Metz, 14 mars 2006, jurisdata n° 308006.
54 Cour d’appel Nancy, le 24 octobre 2011, jurisdata n° 2011-034046.
55 Cour d’appel Rennes, 27 mars 2012, jurisdata n° 2012-006230.
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Référence électronique
Vincente Fortier, « La conversion au prisme du droit », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires [En ligne], Numéro spécial | 2014, mis en ligne le 18 novembre 2014, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cerri/1368 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.1368
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