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L’abbaye de Lisle-en-Barrois (Meuse) : opportunités et contraintes spatiales d’un temporel cistercien frontalier

Christophe Wissenberg

Résumés

Si l’abbaye de Lisle-en-Barrois, éphémère fondation canoniale, bénéficie désormais de l’édition de son chartrier pour le xiie siècle, les lacunes qui en grèvent l’approche spatiale ont entraîné le réexamen du corpus et surtout son extension à l’ensemble du volumineux cartulaire. En privilégiant l’exploitation du contenu des actes et son croisement avec le milieu et les sources cartographiques disponibles, l’enquête toponymique a permis de réduire les inconnues à une part négligeable, condition nécessaire à l’analyse spatiotemporelle qui fait objet de cette recherche. Le développement du réseau de granges met en évidence les initiatives épiscopales et les opportunités saisies dans une aire frontalière, mais aussi le contexte d’une vive concurrence monastique occasionnant in fine un temporel bipolaire. Outrepasser le cercle initial corseté – en gagnant les villes – et diversifier les approvisionnements (vin et sel) et les revenus (rentes) se conjuguent classiquement, au tournant du xiiie siècle, pour engager l’abbaye dans un processus d’adaptation – sinon d’abandon – de ses principes, en se calquant sur l’économie seigneuriale, dont la fondation de la villeneuve de Deuxnouds est l’incarnation la plus éloquente.

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Notes de la rédaction

Historique
Reçu : 14 mars 2024 – Accepté : 30 mai 2024

Texte intégral

  • 1 Sur la filiation, les affiliations et l’expansion de l’abbaye de Morimond, voir M. Parisse, « Morim (...)
  • 2 L. Milis, L’ordre des chanoines réguliers d’Arrouaise. Son histoire et son organisation de la fonda (...)
  • 3 J. Lusse, « Les limites dans les chartes de l’abbaye de Montiers-en-Argonne : les moines accapareur (...)

1Sœur de Montiers-en-Argonne et Châtrices, Lisle-en-Barrois est la cadette des trois abbayes fondées en une petite dizaine d’années, de 1134 à 1143, par l’abbé Eustache, chanoine régulier originaire d’Arrouaise, à peu de distance l’une de l’autre, en basse Argonne, sur les confins des diocèses de Châlons et Verdun. Mais, dès 1149, les chanoines sont remplacés par des cisterciens venus de Saint-Benoît-en-Woëvre et intègrent de facto la jeune abbaye à la branche de Morimond par La Crête1. Cette affiliation entraîne, dès 1162, le transfert du site abbatial canonial primitif des Anglecourt (diocèse de Verdun), cédé par Olry de Lisle et finalement jugé mal adapté, plus à l’ouest, vers le lieu du village actuel, dans la vallée de la Melche au diocèse de Toul. Grâce aux travaux menés par Ludo Milis sur l’ordre d’Arrouaise2 et le regretté Jackie Lusse sur l’abbaye de Montiers en particulier3, les circonstances de leurs origines communes, érémitiques puis canoniales, jusqu’à leur passage à l’ordre cistercien – sauf Châtrices – sont mieux connues désormais.

  • 4 J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p. 48.
  • 5 N. Robinet, Pouillé du diocèse de Verdun, t. 3, Verdun, 1904, p. 707.
  • 6 Sur l’itinéraire d’Eugène III, voir P. Aubé, Saint Bernard de Clairvaux, Paris, 2003, p. 547 sq. Po (...)

2Pour autant, on ignore toujours les raisons précises de l’affiliation de Lisle-en-Barrois à Cîteaux, comme à Montiers. Seul indice, le pape Eugène III évoque dans sa bulle du 17 mai 1148 pour Montiers un mode de vie enormiter, autrement dit scandaleux4. Le propos, qu’il fût polémique ou reflet de la réalité, avait pour mission de justifier la reprise en mains de la communauté, de préférence au sein de la famille cistercienne d’où était issu l’ancien prieur de Clairvaux. Comme Cheminon, incorporée dès 1138, Montiers avait été placée par l’évêque de Châlons vers 1145 sous l’autorité et la filiation de la proche abbaye de Trois-Fontaines, première fondation de saint Bernard. Des dissensions internes, causées par les chanoines opposés à cette décision, finirent par entraîner l’exclusion des fauteurs de troubles avec interdiction de les accueillir tant à Châtrices qu’à Lisle, sous peine d’excommunication, menace relayée en son diocèse par l’évêque de Verdun, Albéron de Chiny. Favorable aux cisterciens et ayant déjà facilité l’incorporation d’Orval en 1132, ce dernier ne tarde pas à organiser à son tour celle de Lisle, peut-être en proie à des troubles. Pour cette raison, il s’adresse à Saint-Benoît-en-Woëvre, dont il avait confirmé les possessions en 1145 avant que le même pape Eugène III ne lui emboîte le pas en novembre 11475. De fait, en ce milieu de xiie siècle, toutes les abbayes cisterciennes des Trois-Évêchés relèvent alors de la lignée morimondaise, sauf Lachalade, dont la situation précise, chevauchant la frontière, en fait un cas très particulier, et Montiers-en-Argonne, dont le transfert au diocèse de Châlons était alors en préparation. De ce point de vue, l’évêque ne fait que mobiliser ses relations et suivre une habitude déjà bien établie au sein de l’ordre en Empire, bien que non exclusive. Au-delà, la présence du pape cistercien à Châlons puis à Verdun, en route pour le concile de Trèves avant d’y faire à nouveau halte à son retour début mars 1148, fut une aubaine saisie par les protagonistes pour mettre en avant l’opportunité d’une conversion salutaire, gage de prestige, d’ordre et de stabilité, affermissant un peu plus encore l’emprise locale de l’ordre6. Car, bien plus qu’aux troubles invoqués ici et là, la fragilité de Lisle a-t-elle vraisemblablement succombé, à l’instar de ses voisines, à la puissante attraction de Cîteaux, qui n’avait besoin que d’un prétexte pour s’exprimer.

  • 7 J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle-en-Barrois. Origines, histoire et chartes (1143-1226), Turnhout, 20 (...)

3Ces données contextuelles ont été globalement reprises par Jean-Pol Évrard dans l’introduction de sa récente édition des actes de l’abbaye de Lisle depuis sa fondation jusqu’en 1226, mettant ainsi à disposition des chercheurs un premier corpus de sources tirées du volumineux cartulaire, composé en deux tomes en 17677. Cette édition ne couvrant que le xiie siècle et le début du suivant, il importait, dans l’optique d’une reconstitution du temporel médiéval, de poursuivre l’entreprise jusqu’à la guerre de Cent Ans et même au-delà, afin d’en dégager les principales structures et de mettre en évidence son mode de constitution, entre opportunités et contraintes, mais aussi d’en suivre l’évolution aux temps modernes. Tel est l’objet de la présente recherche.

1. Un préalable indispensable : restituer la toponymie

  • 8 Les volumes départementaux édités du Dictionnaire topographique de la France sont accessibles en li (...)
  • 9 À l’occasion de l’inventaire des sites cisterciens de Champagne-Ardenne, l’exploitation des plans d (...)

4Pour mener à bien une analyse de temporel monastique médiéval de ce type, on ne peut faire l’économie d’une étude approfondie du matériel toponymique récolté lors de la transcription des actes. Que beaucoup de noms de lieux, dans des proportions variables, soient aujourd’hui hors d’usage rend leur identification difficile mais pas impossible. Bien que de longue haleine, cette tâche suppose de mobiliser les outils disponibles afin d’obtenir des résultats significatifs. Le contenu des actes eux-mêmes est la première source de repérage. Rares – en tout cas minoritaires – sont en effet les actes n’évoquant que des lieux sans correspondance contemporaine, au point d’ignorer les territoires ou paroisses dont ils relevaient. Dès que la précision atteint le degré infra-paroissial, l’usage des cartes topographiques actuelles s’impose. Elles constituent la base consultative de référence, tant géographique que plus spécifiquement toponymique, qu’il faut compléter par la collection des dictionnaires topographiques départementaux de la France8, certes inachevée et de qualité inégale, mais toujours précieuse. Pourtant, en dépit de sa richesse, cette base reste très inférieure aux ressources cadastrales, dont elle ne représente en fait qu’une sélection en raison du différentiel scalaire. Fort de ses quelque 500 000 planches couvrant la France entière, réalisées durant la première moitié du xixe siècle pour l’essentiel et désormais toutes accessibles en ligne, le cadastre ancien, autrement appelé « napoléonien », demeure la collection la plus volumineuse conditionnant tout essai de restitution des toponymes médiévaux et modernes. À cela s’ajoutent encore, lorsqu’ils subsistent, les corpus de cartes et plans tirés des fonds d’archives d’abbayes9. Ainsi, c’est au prix d’une incessante confrontation entre le texte, la carte et le terrain que chaque hypothèse est mesurée et que sa cohérence prend corps.

5Cet effort n’ayant pas été porté dans l’édition des actes de Lisle, il convient de procéder à une clarification des méprises relevées. Une courte statistique permet d’en poser les bases. Sans tenir compte dans cet ensemble de cent douze actes des patronymes des protagonistes et témoins, faisant écho à un fief ou une seigneurie sans rapport immédiat avec la localisation des transactions, quatre-vingt-dix toponymes différents ont été recensés, dont trente-cinq noms de villages et cinquante-cinq de lieux-dits. La moitié d’entre eux seulement (45) ont été identifiés, car ils correspondent aux villages actuels (33) et à des lieux-dits encore habités ou du moins toujours mentionnés sur les cartes. L’autre moitié en revanche, soit mal identifiée (15) soit non identifiée (28), ne concerne que des microtoponymes sans postérité locale évidente.

6À ce stade, il faut rappeler tout le profit que l’on peut tirer de l’extension des investigations au plus grand nombre d’actes du fonds, en l’occurrence les deux tomes du cartulaire de Lisle, en ne se limitant pas aux seuls actes édités. Ainsi, ont été retenus 396 actes postérieurs à 1224 pour un recueil factice, à commencer par les 110 suivants couvrant le reste du xiiie siècle (1225-1300), systématiquement transcrits, tandis que les 286 autres, s’étalant jusqu’en 1726 – date de l’union de l’abbaye à la primatiale de Nancy –, ont été (partiellement) transcrits ou simplement analysés, nombre d’entre eux n’ayant d’ailleurs pas été reproduits par l’auteur du cartulaire en 1767. Ont été exclus les actes non signifiants en termes de toponymie et d’espace. Les données recueillies parmi les différents traités de bornages, conflits de droits d’usages, échanges et achats de biens, rentes foncières et autres baux modernes étaient de nature à enrichir la masse documentaire de compléments d’informations importants, dont les multiples croisements et recoupements ont permis de résorber la quasi-totalité des lieux mal ou non identifiés. Afin d’éviter l’écueil d’une histoire régressive, seule devait compter dans cette démarche la tenue du toponyme dans le temps et l’espace.

  • 10 Villers-sur-Aisne ou Villers-sur-Cerisiers ou Villers-aux-Cerises, voir ici « 3.3. Lamermont-Viller (...)
  • 11 À propos de Sarney, la confusion est ancienne. On en trouve trace dans les différentes éditions com (...)
  • 12 Espace boisé de la commune de Lisle-en-Barrois : 58 % de la superficie totale avant la réalisation (...)
  • 13 Contrairement à Montiers-en-Argonne (Archives départementales [désormais abrégé AD] de la Marne, 20 (...)
  • 14 Voir ici « 3.2. Le pôle barrois (Hattonmesnil) » et la figure 3.
  • 15 Voir ici « 3.3. Lamermont-Villers, le point d’achoppement », « 5.5. Un territoire à construire » et (...)
  • 16 On ne sait pas si le boisement des 116 ha de l’ancienne clairière a été l’objet d’une opération syl (...)

7Ponctuellement mentionnés par la bibliographie, nombre de villages ont été abandonnés en basse Argonne à diverses périodes, certains avant même l’arrivée des cisterciens, d’autres à la suite des guerres de Cent Ans et de Trente Ans, corollaire des espaces de confins. Ce paramètre ne devait pas être négligé. Quelques-uns parmi eux, en effet, sont des homonymes de lieux encore existants, ajoutant la confusion à leur identification. C’est ainsi le cas pour Courcelles-sur-Aire à distinguer de Courcelles « -sur-Aisne » (ou plutôt Corcelles) jouxtant Villers-aux-Cerises, ce dernier lui aussi « sur-Aisne »10, comme Villers-en-Argonne, pour Menoncourt, ancienne paroisse mère de Triaucourt, sans rapport avec l’alleu du même nom à Deuxnouds, ou encore Sarney, dont le ban a bien relevé de Rembercourt-aux-Pots et non pas de Vavincourt, comme le laisse croire le seul hameau du même nom subsistant11. D’autres lieux disparus doivent encore être correctement replacés, notamment Riaucourt, ancienne paroisse mère de Vaubecourt, dont le site exact figure pourtant sur les cartes de Cassini et de l’État-Major (xixe siècle) au bord de l’Aisne, à proximité de la fontaine Saint-Quentin, son patron. Quant à l’espace hérité du territoire abbatial de Lisle, qui devient communal, sa couverture forestière s’avère avoir eu un effet limitatif en termes de transmission du patrimoine toponymique12, car, n’étant pas cadastrée, les géomètres se sont contentés de reproduire son pourtour, voire au mieux le nom des bois qui la composaient. Cette faiblesse est d’autant plus dommageable pour l’abbaye de Lisle que son fonds n’est compensé par aucun plan de mise en coupes réglées, habituellement généré à l’occasion de la Réformation des forêts13. C’est la raison pour laquelle la moitié occidentale de ce territoire – en aval de Lamermont – et le plateau d’entre Aisne et Melche sont si peu renseignés, rendant très imprécise la localisation d’Hattonmesnil en particulier, localité clé du premier siècle de Lisle-en-Barrois14. Non loin de là, Villers-sur-Aisne/Villers-aux-Cerises déjà évoqué, et plus connu sous le nom moderne de Bois-Japin15, présente un contexte un peu moins défavorable par le fait que son ancienne clairière culturale était encore exploitée sous l’Ancien Régime. Elle n’a donc pas été intégrée à la forêt de Lisle passée à l’État sous le statut de forêt domaniale, ce qui a permis d’en fossiliser l’empreinte en dépit de son boisement peu après la vente des Biens nationaux16.

8Au total, si la plupart des toponymes mal et non identifiés sont désormais localisables avec précision – vingt-quatre sur quarante-trois, de l’ordre de l’îlot cadastral – ou approximativement – dix, de l’ordre du quartier cadastral –, seuls neuf résistent encore à toute affectation assurée, tout en faisant l’objet de fortes présomptions.

2. L’implantation géographique : sites, territoires et limites

2.1. Lisle I, site canonial

9Vers 1150, le diocèse de Verdun paraît être la puissance spirituelle et temporelle qui domine l’espace frontière pendant un temps, c’est du moins ce que laisse entendre la carte de la maîtrise du tissu paroissial au milieu du xiie siècle (fig. 1).

  • 17 Cette carte résulte d’une « rétroprojection » hypothétique du ressort des paroisses sur la base des (...)

Fig. 1 – La maîtrise des paroisses vers 1150 (C. Wissenberg, 2023)17.

Fig. 1 – La maîtrise des paroisses vers 1150 (C. Wissenberg, 2023)17.
  • 18 Sur l’incertitude des limites et les usurpations de ressort épiscopal, cf. F. Mazel, L’évêque et le (...)
  • 19 Sur la question des politiques épiscopales, voir B.-M. Tock, « Peut-on étudier la politique des évê (...)
  • 20 J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p. 44, qui rappelle et révise les principales informations con (...)
  • 21 J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle…, op. cit., p. 45 et carte p. 47.

10Non seulement toutes les paroisses verdunoises sont à la nomination et/ou contrôlées par les instances épiscopales séculières – évêque, chapitre cathédral ou collégiales – ou régulières à qui elles ont été confiées, mais les abbayes anciennes urbaines (Saint-Vanne, Saint-Paul) et rurales (Beaulieu, Saint-Mihiel) débordent souvent assez loin à l’intérieur des ressorts voisins de Toul et Châlons, la réciproque n’étant en revanche pas de mise ! La zone d’implantation de Lisle I, au cœur de la tripartition diocésaine, semble avant tout faire l’objet des attentions épiscopales respectives, sans doute afin d’éviter les « fuites » de paroisses18. Ainsi pilotée par l’évêque Albéron de Chiny19, la fondation de Lisle aux Anglecourt, sur la paroisse de Courcelles-sur-Aire20, se fond dans cette logique et renforce la sanctuarisation de l’espace frontière du territoire diocésain par la constitution d’une couronne monastique périphérique à laquelle appartiennent aussi Châtillon, Lachalade, Beaulieu et Saint-Mihiel21. Le passage à l’ordre cistercien va changer la donne.

  • 22 Afin de dépasser l’argumentation traditionnelle sur les usages cisterciens, sans la remettre en cau (...)
  • 23 Suivant l’avis de l’éditeur, on a écarté l’acte 18, suspect, au titre d’une justification du choix (...)
  • 24 Évrard, 1.
  • 25 Les exemples de changement de site après la fondation sont très nombreux, aussi bien dans les abbay (...)

11Site canonial, le domaine des Anglecourt n’a pas été choisi par les moines blancs mais ils l’ont conservé, faute de mieux, une douzaine d’années pendant laquelle sa viabilité a été mise à l’épreuve. À découvert dans une vallée où se succèdent rapidement les villages, sans écran forestier et, finalement, trop exposé à la vie séculière, l’emplacement souffrait de surcroît d’un approvisionnement hydrologique insuffisant, et pour tout dire, mal adapté aux usages cisterciens dans l’ensemble22. Son abandon a dû être envisagé assez tôt alors même que les conditions n’étaient pas encore réunies, en particulier avec le fondateur qui a pu se montrer réticent à l’idée d’abandonner un monastère, appelé peut-être à accueillir les sépultures familiales23, et avec lequel il fallait composer. Le temps surtout pour les moines de prospecter ailleurs. Il est significatif qu’avant de quitter les bords de l’Aire, Lisle cistercienne n’a reçu que peu de donations – treize au total soit une par an en moyenne –, dont cinq seulement aux environs des Anglecourt et, à chaque fois, pour des droits de pâturages. Les autres aumônes regardaient déjà vers Lisle II. Aucun autre bien foncier n’est venu augmenter la dotation canoniale initiale constituée des Anglecourt et de deux cents journaux de terres à Seraucourt24. Ce paradoxe traduit-il une forme de pression foncière, voire de pénurie de terres disponibles – auquel cas les chances d’accroissement paraissaient déjà faibles ou compromises –, ou bien faut-il y voir la préparation du déplacement ? L’un n’empêchait pas l’autre et, en cas de départ, de tels droits d’usages – pâturages, passage, bois, etc. –, étendus à plusieurs paroisses proches, serviraient nécessairement les intérêts pastoraux de ce qui devait déjà être considéré comme la future grange des Anglecourt. Dès le milieu du xiie siècle, les cisterciens étaient rompus à de telles pratiques, d’autant plus que les voisins de Montiers-en-Argonne venaient de montrer la voie en procédant de la sorte25.

2.2. Changement de site : vers Lisle II

  • 26 Évrard, 4. Cet acte ne figure pas au cartulaire de Lisle, mais dans celui de Saint-Maur (AD de la M (...)
  • 27 Le cens annuel, dont les chanoines ont à s’acquitter à la saint Jean-Baptiste, s’élève à vingt sous (...)
  • 28 Dès le milieu du xie siècle, d’après Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. 2, Nancy, 1748 (2e éd.), (...)
  • 29 Comme toutes les abbayes bénédictines, les moniales de Saint-Maur disposent de communautés paysanne (...)
  • 30 Gallia christiana, t. 13, Paris, 1785, col. 1314 ; acte non repris par J.-P. Évrard.
  • 31 Évrard, 6 et 7.
  • 32 J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p. 47 ; É. de Barthélemy, Diocèse ancien de Châlons-sur-Marne, (...)
  • 33 Évrard, 17 [1162] et 10 [1153-1154].
  • 34 Évrard, 20.
  • 35 Qui ne figurent plus dans la bulle d’Alexandre III en 1164, sauf l’autel toujours cité : Paris, Bib (...)

12Les limites de l’expérience des Anglecourt ont été entrevues à mesure que les donations sur l’Aisne et la Melche se sont succédé, où les perspectives de développement étaient plus favorables. Les moines venus de Saint-Benoît étaient assurés d’y trouver des conditions similaires à celles de la Woëvre, les vastes forêts humides maintenant encore les foyers de peuplement un peu à l’écart. L’alleu de Hattonmesnil, reçu par les chanoines dès 1144, fut une aumône décisive à cet égard26. Conseillée par l’évêque de Verdun veillant au développement du jeune couvent et moyennant une notable redevance27, l’abbesse de Saint-Maur se sépare alors de ce bien important, éloigné de ses domaines verdunois28 et d’exploitation entravée peut-être par la désertion de certains villages29. Elle y ajoute une fauchée de pré30. Ce n’est que cinq ans plus tard (1149), au moment de l’affiliation à Cîteaux, que les donations reprennent, notamment dans l’alleu de Vaudoncourt31, où Montiers-en-Argonne a récemment pris pied. Déjà en charge de l’autel, elle fait de l’ancien village sa quatrième grange. Mais l’ancienne abbaye sœur, désormais soumise à Trois-Fontaines, s’est d’abord implantée à Lamermont, dès 1138, dans les mêmes conditions32. Le terrain était donc préparé. Étant donné la similitude des parcours, il est évident que l’on ne peut dissocier l’évolution spatiotemporelle de Lisle de celle de Montiers. Avec seulement deux ou trois années d’écart, les deux abbayes se sont suivies au point de partager un même espace et de se déplacer vers un site plus en phase avec leurs aspirations. Le transfert de [Vieux-]Montiers-Auzécourt vers Montiers-Possesse répond en fait au déplacement du centre de gravité de son temporel. Lisle l’imite dès que les bénédictins de Beaulieu lui cèdent une partie du territoire de Melche (vers 1162), après en avoir accordé le droit de pâturage33 et que l’évêque de Toul y joigne l’autel et ses dépendances34. Sans doute déjà pressenti, le choix du nouveau site abbatial s’arrête d’autant plus sur Melche qu’il s’agit, là encore, d’une ancienne paroisse qualifiée de « désertée » parmi d’autres, et que Montiers, dans le sillage de son transfert, est en train de libérer quelques possessions comme Vaudoncourt et sa grange de Lamermont35.

2.3. Sur la frontière d’Empire

  • 36 Contrairement à ce qu’affirme J. Lusse (« L’implantation monastique dans la région de Revigny, xiie(...)

13En se transportant à Melche, dont elle ne prend pas le nom eu égard à son fondateur36, Lisle quitte le diocèse de Verdun pour celui de Toul, juste en limite de celui de Châlons, et se rapproche de la frontière d’empire, héritière du partage carolingien (fig. 2).

Fig. 2 – L’environnement de Lisle-en-Barrois aux xiie-xiiie siècles (C. Wissenberg, 2023).

Fig. 2 – L’environnement de Lisle-en-Barrois aux xiie-xiiie siècles (C. Wissenberg, 2023).
  • 37 Selon l’expression de Michel Bur dans « La Frontière entre la Champagne et la Lorraine du milieu du (...)

14Sur ce point encore, l’abbaye ne s’est pas démarquée de ses consœurs ; de l’Escaut à la Saône, Lisle et Montiers font partie de la vingtaine d’abbayes localisées sur la frontière ou à faible distance, une constante sans être pour autant une spécificité cistercienne. Cet espace de confins était bon à prendre pour sa disponibilité. Ainsi, de part et d’autre, chaque établissement contribuait à consolider une mouvance seigneuriale qui, en raison de la relative faiblesse de l’occupation du sol, était souvent fragilisée par manque de points d’appui. Autant « la ligne de 843 »37 était reconnue pour sa fixe linéarité au nord de Beaulieu sur la Biesme, autant la jonction vers la haute Meuse était sujette à variations et divergences, ce qui a conduit à s’en tenir aux limites ecclésiastiques, les seules désormais à être bien identifiées.

  • 38 M. Bur, « Recherches sur la frontière dans la région mosane aux xiie et xiiie siècles », in Actes d (...)
  • 39 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté de Bar des Origines au Traité de Bruges (vers 950-1301) », Mémo (...)
  • 40 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 130.
  • 41 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 135.
  • 42 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 188.
  • 43 Albert Pichot d’après Laurent de Liège, cf. M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 211 ; (...)
  • 44 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », op. cit., p. 271.
  • 45 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 365.
  • 46 J. Lusse, « Peuplement et mise en valeur du pays de Beaulieu au Moyen Âge », SLSABD, 2004, p. 73-10 (...)

15Jalonnée de quelques points forts isolés, la frontière du milieu du xiie siècle se trouvait diluée dans un espace assez flou, correspondant pour l’essentiel au « Barrois de l’Ornain, devenu comté de Bar-le-Duc, qui est sorti du royaume sans entrer véritablement dans l’empire et que son détenteur considér[ait] de plus en plus comme un alleu38 ». Limites indécises et contestées, mouvances fluctuantes, marges politiquement compartimentées et grands féodaux turbulents en quête d’affirmation ont durablement entretenu les troubles qui ont secoué cet espace entre le xie et le xive siècle. Le comté de Bar n’est pas resté à l’écart du dynamisme éco-démographique général, mais ses effets ont été pondérés par une instabilité, voire une insécurité, persistantes. Pris en tenaille entre le puissant comté de Champagne, le duché de Lorraine et le comté de Verdun, le Barrois et la basse Argonne ont été un terrain d’affrontements privilégié et cela dès 1037 autour de Bar à la suite d’une guerre entre le comte de Champagne et l’empereur qui ravagea le pays39. Mais c’est surtout la querelle des Investitures qui génère les plus vives tensions entre un Barrois « orthodoxe » et une Lorraine impériale « schismatique », en témoigne le conflit élevé contre l’évêché de Verdun, dont Renaud I dévaste les terres en 111140 et fait élire à sa tête un nouvel évêque en 1118, qui ne tarde pas à être combattu par Henri I de Grandpré, fidèle de l’empereur. La bataille, qui a lieu vers Osches, voit la défaite du comte de Bar, dont la fuite entraîne à nouveau le saccage du Barrois41. Cet épisode s’inscrit alors dans ce qui s’annonce comme une longue lutte entre les deux voisins. Toute forme de déséquilibre des forces en présence – vacance du siège épiscopal, minorité du comte, etc. – se traduit par un coup de force, comme celui que la comtesse Agnès, régente, inflige au Verdunois pendant cinq ans entre 1172 et 1177, « brûlant les villages, pillant les églises, tuant les paysans et les bourgeois42 ». Un tel climat d’hostilité n’était pas pour éradiquer les repaires de brigands, tels que les seigneurs des châteaux de Clermont et de Sainte-Menehould qui, à l’abri d’une Argonne encore enclavée par ses forêts profondes, son relief accidenté et ses sols humides, ravageaient impunément les terres des évêchés de Châlons et Verdun vers 118143. Les répits, de courte durée, ne résistaient pas aux alliances de circonstance et autres entreprises imprudentes, immédiatement saisies comme motifs belliqueux. En 1230, Henri II de Bar, en guerre avec le duc de Lorraine et le comte de Champagne, détruit soixante-dix villages44, avant que les Champenois ne s’en prennent aux fiefs barrois de l’Argonne, Vieux-Monthiers et Beaulieu lors de la guerre de Ligny en 126645. Le coup de grâce est porté à la fin du xiiie siècle dans le contexte de progression territoriale thibaudienne vers l’est : au prétexte que le comte Bar est accusé d’avoir usurpé la garde des abbayes de Montiers et Moiremont, le comte de Champagne prend Beaulieu sous sa garde, déchaînant la fureur de Thiébaut II de Bar qui ravage le pays de Beaulieu et l’abbaye à deux reprises, en 1286 et en 128746, puis encore en 1288 après que Philippe IV le Bel, désormais maître de la Champagne, y ait installé un sergent. Beaulieu est à nouveau détruite en 1297 par Henri III cette fois. Les ruines à peine relevées, la guerre de Cent Ans n’allait pas tarder.

2.4. Habitats désertés et trame paroissiale

  • 47 Par exemple Villers-aux-Cerises et Merchette/Melche, vers 1168-1170, au lieu de 1154 (Évrard, 11). (...)
  • 48 Par exemple celle de Deuxnouds, vers 1163-1167 (Évrard, 23).
  • 49 À Vaudoncourt (Évrard, 8), Hattonmesnil (Évrard, 39) et Courcelles-sur-Aire (Évrard, 54).
  • 50 De quoi pondérer la thématique trop systématique des « accapareurs de terres » formulée à de nombre (...)
  • 51 En particulier B. Chauvin qui a fait le tour de la question dans « La possession d’églises par les (...)
  • 52 La donation d’un autel par l’évêque peut être aussi l’acte déclencheur de l’implantation d’une gran (...)
  • 53 Évrard, 53 et 54.
  • 54 B. Chauvin, « La possession d’églises… », op. cit., p. 559.

16L’abbaye de Lisle, bien que sur la frontière, ne revêt pas un caractère aussi stratégique que Beaulieu en termes de garde et de situation, ce qui lui vaut, sans doute, d’être globalement moins exposée. De plus, les premières décennies cruciales de son développement correspondent à une période de relative accalmie. Pour autant, comme l’évoquent les actes, certaines paroisses de basse Argonne sont alors dites « désertées » ou en passe de l’être47, d’autres églises étant « en ruines48 ». La nature des troubles mentionnés dans le contexte général, dès le xie siècle et au cours du premier quart du xiie siècle, a nécessairement entraîné l’abandon d’habitats ruraux fragiles, qui caractérisent souvent le peuplement tardif des zones dites répulsives. Combien de villeneuves projetées ont-elles d’ailleurs vu leur greffe ne pas prendre dans ces espaces de marges ? Il n’était pas dans l’intérêt des évêques ou des archidiacres de laisser disparaître des paroisses désertées ou dévitalisées, quand, dans le même temps, les abbayes cisterciennes étaient à la recherche de terres disponibles, d’autant que leurs espaces agraires étaient déjà apprêtés. C’est dans des conditions de cet ordre que Lisle reçoit de chacune des instances séculières locales plusieurs autels, tant pour des raisons de propagation ou de maintien du culte que pour des questions bassement financières – dîme, redevances ecclésiastiques –, d’ailleurs non dissimulées49. Auparavant plus serrée, la trame paroissiale était en train de se relâcher sans que l’extinction juridique de ces églises ne soit jamais prononcée. Si les cisterciens de Lisle et de Montiers ont contribué à la disparition d’habitats, on ne peut nier que les désertions les avaient aussi quelquefois précédés50. Comme le rappellent nombre d’auteurs51, la possession d’églises était en principe interdite, mais le pragmatisme cistercien a contourné le problème en profitant économiquement des désertions d’habitats modestes, de type intercalaire, pour y implanter une grange. Avec l’appui de l’évêque, il ne restait plus qu’à parfaire l’emprise territoriale en maîtrisant juridiquement la paroisse, dont les quelques habitants subsistants pouvaient se faire convers sinon déguerpir52. Hattonmesnil, Lamermont, Vaudoncourt et Deuxnouds relèvent de ce cas de figure, mais Melche en diffère par le fait que l’église, sa dotation et ses dépendances ont été données à l’abbaye dans le but d’y construire le nouveau monastère : l’exiguïté du territoire rendait impossible la coexistence de l’abbaye et du village, dont on ne sait s’il était encore habité. À Courcelles-sur-Aire, en revanche, l’affaire fut tout autre : la cession de l’église paroissiale par l’archidiacre d’Argonne, de concert avec l’évêque de Verdun, procédait clairement d’une nouvelle logique, purement seigneuriale cette fois53. Certes, la grange des Anglecourt, substituée au site abbatial primitif, n’était sans doute pas étrangère à cette donation, mais il s’agissait désormais de bénéficier de rentes, étape ultime de l’évolution du temporel. C’était en l’année 1190 et le temps des contournements était révolu. L’exemple de Lisle illustre en tout point les conclusions de Benoît Chauvin selon lequel « les cisterciens surent trouver les formes intermédiaires, ni vraiment interdites ni complètement autorisées, et qui leur permirent d’adapter sans cesse les nécessités d’un ordre en pleine expansion à l’immobilisme d’un règlement par trop absolu54 ».

2.5. Ressorts diocésains autour de Lisle

  • 55 J.-P. Ravaux dans G. Clause (dir.), Le diocèse de Châlons, Paris, 1989, p. 9.
  • 56 A. Longnon, Pouillés de la province de Reims, op. cit., p. 162-164.
  • 57 A. Longnon, Pouillés de la province de Trèves, op. cit., p. 310-311.
  • 58 Cart. II, p. 1008.

17Autour de Lisle, dans l’espace qui constituera à terme son territoire, la disparition des anciennes paroisses entraîne-t-elle une modification des limites diocésaines ? En Châlonnais, on considère que « les limites n’ont pas varié de façon importante après le xiie siècle », sauf la « perte de cinq petites paroisses réduites à l’état de hameaux, près de Lille-en-Barrois (sic) »55. De fait, lesdites paroisses, autrefois cédées par l’évêque ou son archidiacre ne figurent pas au pouillé du diocèse de Châlons de 1405, dans le doyenné de Possesse56 où elles auraient dû se trouver. À qui a alors bénéficié leur transfert ? À Lisle, c’est-à-dire au diocèse de Toul ? Bien que le pouillé de 1402 ne les indique pas non plus au doyenné de Bar57, les actes les plus anciens faisant référence au site de Lisle II, Melche, placent celui-ci au diocèse de Toul. Aucun des protagonistes ne conteste ce fait apparemment clair pour tous les contemporains. On serait donc amené à penser qu’à la suite des donations d’églises, les territoires en dépendant ont fusionné avec celui de l’abbaye en cours de constitution, donc en terre touloise. C’est en effet ce qui a fini par se produire, mais pas tout de suite et même bien plus tard, à l’époque moderne seulement, car le clergé châlonnais a longtemps entretenu une forme d’inertie en considérant ces anciennes paroisses comme relevant toujours de son grand archidiaconé. Car c’est bien l’évêque de Châlons, Geoffroy III de Saint-Géran, qui autorise l’érection de la chapelle de la grange d’Yvraumont en 1478, établie sur l’ancien territoire d’Hattonmesnil dans son ressort58. La guerre de Cent Ans et les conflits modernes feront le reste et le diocèse de Toul s’étendra d’autant, marquant son nouveau contour d’un saillant artificiel à hauteur de Lisle.

  • 59 Sur ce point, voir F. Mazel, L’évêque…, op. cit., p. 284 notamment.
  • 60 La datation « vers 1154 » par J.-P. Évrard (acte n° 11) est impossible, car l’auteur de l’acte affi (...)

18Ce qui devient clair à l’époque moderne est loin de l’être au moment de la fondation de Lisle. Où passait réellement la limite diocésaine dans les environs immédiats de l’abbaye ? Est-on en présence de l’un de ces intervalles flous qui ont rendu les pourtours ponctuellement confus, mal assurés voire contestés jusqu’au xiie siècle ?59 Le rythme et les finalités des interventions des trois évêques permettent-ils d’éclairer la situation ? Durant les xiie et xiiie siècles, cent huit actes, parmi ceux consignés au cartulaire, ont émané de leur chancellerie respective, majoritairement de Verdun (près de 60 %) contre seulement 30 % à Toul et 10 % à Châlons. Ce déséquilibre, qui ne reflète pas la dispersion géographique du temporel, vient de ce que le tiers des actes verdunois concerne des biens situés en dehors du diocèse et plus particulièrement dans la zone susdite. Il est évident que le protecteur de Lisle et ses successeurs n’ont relâché ni leur attention ni leur soutien après le transfert, d’autant plus que la noblesse verdunoise poursuivait ses aumônes. Le siège toulois s’est borné pour sa part à accueillir et encadrer administrativement la nouvelle implantation. Au fond, ces données « diocésaines » ont plus tendance à compliquer la situation qu’à la préciser, mais, en se plaçant à l’échelon des six localités relevant autrefois des quatre anciennes paroisses du territoire de Lisle, le rôle des protagonistes s’affine. Si l’on met de côté la surreprésentation de l’évêque de Verdun, qu’expliquent la précocité des donations (à Lisle I) et l’origine de leurs auteurs – moniales de Saint-Maur, Clermontois, Beaulieu –, les actes décisifs pour Hattonmesnil, Lamermont et Vaudoncourt émanent bien de Châlons, comme Melche de Toul. La chose est entendue, le bois du Champ-Midi matérialisait donc la limite des deux ressorts, mais plus au nord, vers Vaudoncourt, la situation se complique et l’acte émis par l’archidiacre de Châlons vers 1168-1170 en est la cause60. Cet archidiacre, qui redoute l’usurpation de ses droits sur les anciennes paroisses, a diligenté une enquête pour savoir si les localités désertées de Villers et Merchette relèvent bien des églises mères respectives de Lamermont et Vaudoncourt cédées à l’abbaye de Lisle. Si l’identification et la localisation de Villers ne posent pas de problème, celles de Merchette en revanche, sèment le trouble.

  • 61 J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle…, op. cit., p. 112, n. 3. Afin de localiser les noms de lieux qui s (...)
  • 62 J. Lusse, « L’implantation monastique… », op. cit., p. 35.
  • 63 F. Liénard, Dictionnaire topographique…, op. cit., p. 148.
  • 64 Melche dérive semble-t-il de Merche, comme Boulbonne (abbaye cistercienne) de Bourbonne. Il n’est p (...)
  • 65 Louppy-le-Petit (auj. Louppy-sur-Chée) entre 1565 et 1588 (Cart. II, p. 816, 818 et 31) ; Condé-en- (...)
  • 66 Cart. II, p. 668, avec la précision importante « sous les murs de l’abbaye ».
  • 67 « ruixel de Marchette » près de l’abbaye, sur le finage de Villotte (Cart. II, p. 782-783).
  • 68 Cart. II, p. 848.
  • 69 Peut y être ajoutée la forme Marchotte, qui désigne la confluence de la Melche et la Chée, en aval (...)

19Que désigne exactement Merchette ? Pour ledit acte, J.-P. Évrard considère qu’il s’agit du « site sur lequel vint s’implanter l’abbaye61 », c’est-à-dire Melche, ce qui paraît cohérent au vu des différentes formes que le toponyme a revêtues sur le long temps. À y regarder de plus près, sans doute en raison de cette inattendue diversité, la plus grande confusion bibliographique règne au sujet de l’identification du site abbatial de Lisle II. L’édition des actes renvoie tantôt à Melche, tantôt aux Merchines, que retient aussi J. Lusse62. Il semble que ces auteurs se soient rangés à l’avis de F. Liénard63, qui ne repose pourtant sur rien de tangible. Le site abbatial est désigné dans les actes par trois noms de même racine : Mierche, Melche et Merchette. Avec ses variantes Marchie, Merchie et Merche, la première forme est incontestablement la plus employée, près de vingt fois entre 1150 et 1672 contre seulement six pour Melche entre 1162 et 1333, mais conservée dans l’hydronyme actuel64. Dans tous les cas, jusqu’au milieu du xiiie siècle, il s’agit de nommer : ou l’ancien autel-église ou l’abbaye qui s’y est installée, puis, lorsque le nom de Lisle s’est définitivement imposé et qu’il n’est plus nécessaire de rappeler le précédent, Mierche ne renvoie plus qu’aux terres adjacentes à l’enclos abbatial qui débordent sur les bans voisins de Louppy-le-Petit, Condé et Rembercourt65. Et comme le montre le lieu-dit Mirche, qui a perduré et est toujours consigné au cadastre de Louppy-le-Petit (cad. B1), à moins de 200 m des murs de l’abbaye, Mierche/Melche se rapporte sans conteste au site abbatial. Merchette, en revanche, n’apparaît que trois autres fois dans le cartulaire, pour désigner le cours d’eau : en 1279 sous cette même graphie66, puis sous les variantes Marchette en 148867, et Marchatte en 154168. Dès lors, il ne semble pas irrationnel de confondre ces différents termes avec la forme principale Mierche, avec une réserve pour Merchette, dont l’unique occurrence non hydronymique n’est de facto pas significative69.

  • 70 Notamment le mur et ses contreforts du xiiie siècle de ce qui a pu être l’hôtellerie médiévale (?), (...)
  • 71 « Carte topographique des batimens et dependances de l’abbaye de l’Isle en Barrois, pour l’intellig (...)
  • 72 Merchines serait un diminutif pour « petites Melche », le pluriel renvoyant aux deux sources de la (...)
  • 73 Cart. II, p. 1055.
  • 74 Avec faculté de rachat, à Vincent de Génicourt, « escuyer, conseiller d’Estat de son Altesse et pré (...)

20Il résulte de ce qui précède que l’hypothèse Merchines n’est pas recevable pour plusieurs raisons. Le site abbatial est connu de manière certaine, comme le prouvent les vestiges médiévaux qui s’y trouvent70 ou encore le plan dressé en 174871, tandis que Merchines est à plus de 2 km au nord ! De plus, et c’est peut-être le plus important, Merchines n’apparaît jamais avant le xvie siècle dans le cartulaire de Lisle, ce qui laisse entendre que la désignation du lieu, mais a priori aussi son occupation, ne serait que moderne. Les actes des xiie et xiiie siècles n’évoquent, en effet, à cet emplacement, que des étangs, des friches et des bois utilisés comme espace de pâturage par les communautés voisines. En 1559 encore, il n’y a là qu’un bois et les deux fontaines de la Melche72, et aucun autre habitat que Vaudoncourt et Vaubecourt/Riaucourt n’est cité dans le règlement des conflits d’usages. Ce repère, indispensable à la délimitation des parcours, aurait été immanquablement précisé s’il avait existé – en tant qu’habitat – puisque situé entre les deux. La première mention de la cense (et du censier) des Merchines ne remonte qu’à 1588 à l’occasion d’un bail73. Cette ferme procède vraisemblablement de la reprise des défrichements que nombre d’abbayes ont connus au xvie siècle, dans une optique seigneuriale de multiplication des revenus, en confiant à des paysans censitaires la mise en valeur des terres, à charge souvent d’édifier les bâtiments. Puis, la métairie a fait l’objet d’une aliénation-vente par les moines en 1596 à un haut fonctionnaire d’État74, avant sa réintégration par rachat en 1619. Mierche-Melche (Lisle II) et les Merchines s’excluent donc catégoriquement en raison du gouffre chronologique, de la nature des lieux et de la distance qui les séparent.

  • 75 Voir le dossier diplomatique de Lisle-Saint-Mihiel dans J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle…, op. cit., (...)

21Cette mise au point étant faite, il faut revenir à l’acte désormais daté de 1168-1170. Comment à cette date l’habitat déserté de Merchette (a priori Lisle II) peut-il dépendre de l’église mère de Vaudoncourt – au diocèse de Châlons – alors que Melche est reconnu dès 1162 – et confirmé après enquête à la fin du xiie siècle – comme église mère de la chapelle de Condé – donc au diocèse de Toul75 ? L’impasse qui découle d’une telle contradiction amène plusieurs hypothèses :

  • le nom de Merchette a peut-être été mal lu et/ou transcrit, ce que la perte de l’original ne permet plus de juger ;

  • l’acte est un faux élaboré a posteriori par la chancellerie châlonnaise pour tenter de légitimer l’usurpation du bénéfice curial de Melche ;

    • 76 B. Chauvin, « La possession d’églises… », op. cit., p. 578.

    l’acte est sincère et on est en présence d’un espace interstitiel, dont le ressort est disputé ou inconnu consécutivement à un long abandon, voire plutôt d’un cas de figure hybride, analogue à celui de la paroisse de Blagny (Côte-d’Or), que l’évêque de Langres donna à l’abbaye de Maizières parce qu’elle était de sa juridiction, alors qu’elle relevait du diocèse d’Autun76.

  • Merchette désigne un autre lieu que Melche, auquel cas un ancien habitat déserté inévitablement en lieu et place des Merchines – seul espace contigu à Vaudoncourt qui puisse être du Châlonnais –, que les moines auraient délibérément abandonné, église ou chapelle comprise, et qui serait sorti des mémoires, au point de n’avoir laissé aucune trace dans l’héritage toponymique sinon cette unique mention dans les archives et que les moines auraient réactivé ex nihilo à l’époque moderne après quatre siècles d’oubli.

22À ce stade, il n’est pas possible d’aller plus loin. Reste à déterminer la localisation de la limite diocésaine ancienne, question initiale : étant donné que Mierche (Lisle II) relevait incontestablement de Toul et Vaudoncourt de Châlons, elle devait donc franchir la Melche entre les deux pour atteindre le finage toulois de Rembercourt et le contourner par le nord-ouest pour atteindre le point triple de partage de la fontaine des Trois-Évêques.

2.6. Lisle II : perspectives et contraintes

  • 77 Sur l’histoire du peuplement, voir J. Lusse, « Peuplement et mise en valeur… », op. cit., p. 73-102
  • 78 Sur la formation des territoires et le morcellement de l’ancienne paroisse mère de Louppy, voir C. (...)
  • 79 Bellefontaine, com. de Brabant-le-Roi ; Vieux-Monthiers, anc. com. d’Auzécourt ; Gros-Terme, com. d (...)

23En mettant à profit la dévitalisation – antérieure ou induite – de l’habitat pour s’assurer des perspectives d’implantation durable, Lisle a mis un terme aux entreprises de défrichements qui attaquaient alors le massif forestier de basse Argonne en suivant la haute vallée de l’Aisne comme voie de pénétration, ce qu’attestent lesdites paroisses désertées. Vers l’aval, en revanche, le mouvement s’est poursuivi, notamment par la création de plusieurs villeneuves – Belval, les Charmontois – élargissant notablement la trouée de Triaucourt au pied du relief argonnais77. Même constat au sud du massif, où plusieurs clairières culturales ont été ménagées (Sommeilles, Laheycourt) ou étaient encore en cours de formation (Louppy et Villotte)78. Par la maîtrise des espaces concédés, comme du reste Montiers a pu le faire aussi de son côté, Lisle a maintenu la compacité du couvert forestier en contenant les défrichements de l’intérieur, contribuant ainsi à garantir son isolement en même temps que son potentiel d’extension spatiale. Loin de toute improvisation, le transfert de l’abbaye a été préparé et conduit en connaissance de cause, fruit d’une vingtaine d’années de relations sociales et de pratique du milieu. Lisle n’ignorait pas les acteurs en présence, à commencer par Beaulieu. Depuis le ixe siècle, les bénédictins contrôlaient l’Argonne méridionale, où ils avaient constitué une vaste seigneurie composée de plus de vingt localités entre l’Aire, l’Ante et l’Aisne. Les premières possessions de Lisle devenaient dès lors immédiatement riveraines aux communautés villageoises de Riaucourt-Vaubecourt, Brouenne et Sommaisne, qui relevaient de la « Terre de Beaulieu ». Les patrimoines forestiers plus encore allaient s’imbriquer, source latente de conflits d’intérêts. Sauf concession de la part de Beaulieu, les cisterciens n’avaient donc rien à espérer vers le nord et les perspectives étaient à peine meilleures vers le sud, où les territoires paroissiaux, encore en phase de stabilisation, représentaient malgré tout une réserve d’espace disponible pour quelques acquisitions foncières et surtout pour les parcours de pâturages, tant que les seigneurs locaux y consentaient. Mais Beaulieu y avait déjà implanté sa ferme de Bellefontaine et Montiers ses granges de Gros-Terme et Vieux-Monthiers, son site primitif (cf. fig. 2)79. Par le déploiement de son réseau, cette dernière a rapidement verrouillé la bordure champenoise, comme d’autres établissements de la ceinture monastique châlonnaise – Huiron, la Trinité, Moiremont, Châtrices. À l’arrière, vers l’est, en dépit de la présence de Saint-Mihiel, on pouvait encore s’appuyer ponctuellement sur quelques terres barroises et verdunoises.

24Il est assez remarquable, en fin de compte, que la poignée d’actes émis au cours des vingt premières années, dont la plupart avant le transfert, ait suffi à préfigurer dans ses grandes lignes le temporel sur lequel l’abbaye de Lisle allait reposer jusqu’à sa dissolution. Les quelques donations importantes recensées vers 1164, en effet, avaient déjà donné le ton : autour des Anglecourt (Lisle I), qui venaient d’être délaissés, se formait un premier pôle verdunois, qui comprenait déjà Deuxnouds, tandis qu’à partir de Melche (Lisle II) se dessinait un second pôle composé des trois futures granges de Lamermont, Vaudoncourt et Yvraumont, ensemble plus vaste et compact, à cheval sur l’ancienne limite diocésaine (fig. 3).

Fig. 3 – L’abbaye de Lisle-en-Barrois et son territoire (C. Wissenberg, 2023).

Fig. 3 – L’abbaye de Lisle-en-Barrois et son territoire (C. Wissenberg, 2023).

25Les perspectives de développement entrevues au moment du déplacement vers Lisle II étaient déjà circonscrites par l’implantation monastique tant ancienne (bénédictins) que récente – cisterciens, chanoines réguliers – et perçues comme telles, mais l’aire temporelle, qui prenait forme entre Mierche-Melche et Hattonmesnil, fut jugée sans doute suffisante et ne fut pas remise en cause. Ainsi apparaît-il clairement que, sitôt l’affiliation consommée, le site canonial primitif, victime de son inadaptation, ne pouvait résister à l’opportunité de la vallée de la Melche, tête de pont d’un nouvel espace disponible (dévitalisé), favorable (forestier) et préparé (Montiers), mais non dépourvu de contraintes – frontière cycliquement agitée, concurrence monastique.

3. Un temporel bipolaire

  • 80 Date retenue finalement par J.-P. Évrard, mais qui n’est pas connue avec certitude. De nombreuses d (...)
  • 81 Enthousiasme mesuré du réseau de donateurs potentiels et/ou effet de possibles troubles internes ?
  • 82 Évrard, 6 à 8.

26Le domaine des Anglecourt, première assise foncière qu’Olry de Lisle apporte à l’abbé Eustache pour la fondation en 114380, assorti de deux cents journaux de terres – soit environ soixante ou soixante-dix ha – sur le ban voisin de Seraucourt, est augmenté quelques mois plus tard de l’alleu d’Hattonmesnil, cédé sur recommandation de l’évêque de Verdun par les moniales de Saint-Maur. La donation, qui comprenait le terroir entier, la forêt, divers droits d’usage et la majeure partie des dîmes, était d’importance et ne fut suivie d’aucune autre avant l’arrivée des cisterciens de Saint-Benoît (1149)81. Le ton était donné et la bipolarité du temporel amorcée, et bientôt confirmée par la prise de possession progressive de l’alleu de Vaudoncourt, dont l’autel – aux mains de Montiers depuis 1147 environ –, est concédée par l’évêque de Châlons en 115482. On mesure aux droits d’usages reçus pendant les années précédant le transfert la valeur que les moines blancs accordaient aux pâturages. En quelques années, entre 1153 et 1162, ils ont réussi à obtenir ces précieux droits de parcours en de nombreux bans : de la part de Beaulieu d’abord sur le territoire de Mierche, bien avant de devenir Lisle II, de Saint-Maur ensuite sur Chaumont-sur-Aire, et surtout de la part de plusieurs seigneurs du Verdunois. L’espace ainsi ouvert aux troupeaux de Lisle s’est rapidement étendu de Récourt-le-Creux au nord-est à Louppy-le-Petit au sud-ouest sans interruption (fig. 4).

Fig. 4 – Le temporel de Lisle-en-Barrois aux xiie et xiiie siècles (C. Wissenberg, 2023).

Fig. 4 – Le temporel de Lisle-en-Barrois aux xiie et xiiie siècles (C. Wissenberg, 2023).
  • 83 Sarney était un finage particulier relevant de Rembercourt, situé à proximité de la fontaine des Tr (...)

27Mais, malgré les libéralités des bénédictins à Mierche, qui n’ont permis qu’un accord avec la communauté de Vaubecourt (vers 1163-1171), le comté de Beaulieu est resté interdit tant à la vaine pâture qu’au passage du bétail, en particulier sur les finages d’Èvres, Pretz et Sommaisne, restreignant de ce fait la communication entre les deux pôles économiques en cours de formation autour des Anglecourt et de Mierche. Cet étranglement non seulement met en évidence la bipolarité du temporel de Lisle au xiie siècle, mais confère surtout aux bans de Sarney et de Rembercourt une importance quasi stratégique83.

28Sitôt l’abbaye transférée à Mierche, le rythme des transactions s’est accéléré en faveur du nouveau site – trois quarts des actes environ jusqu’à la fin du xiie siècle –, ce qui amène les moines à créer cinq granges dans un premier temps : Lamermont, Vaudoncourt, Yvraumont du côté barrois, les Anglecourt et Deuxnouds du côté verdunois.

3.1. Le pôle verdunois

  • 84 Évrard, 32, 37 et 38.
  • 85 La planche A8 du cadastre de Courcelles-sur-Aire représente un domaine d’un seul tenant, d’une supe (...)
  • 86 Cart. II, p. 409 et 410.

29Au xiie siècle, les Anglecourt sont un domaine ancien, héritage de la famille du fondateur, aménagé et équipé par les chanoines et surtout les cisterciens qui en font leur abbaye pendant près de vingt ans, avec les bâtiments indispensables à l’autarcie monastique, dont un moulin. Les principales donations ont déjà été effectuées depuis longtemps et sa « rétrogradation » en grange n’engendre pas de nouvelles acquisitions de terres et prés avant celles de 1177 et 117884, qui arrondissent le domaine de pièces enclavées, louées à cens, et surtout le bois Chanet, contigu au nord. L’espace devait donc être exploité dans sa totalité ou presque, entre l’Aire et les bois de Seraucourt85, ce que tend à montrer par défaut la localisation des rares autres acquisitions, réalisées au xiiie siècle seulement – en 1227 puis en 1292 –, toutes éloignées, le long du ru de Rampont (auj. le Bouvrot) en limite de Neuville – fief Bethelmey et Himaire86. La pleine et définitive maîtrise du domaine n’est réellement obtenue qu’en 1190 avec la cession de l’église de Courcelles-sur-Aire par l’évêque de Verdun. Le processus de formation fut très différent à Deuxnouds, l’autre grange verdunoise.

  • 87 Évrard, 23.

30Contrairement, en effet, aux Anglecourt, où la possession de l’église de Courcelles vient parachever la maîtrise du sol, le don de celle de Deuxnouds avec ses dépendances et revenus – fonds, alleu et moitié de la dîme (1163-1167)87 –, est à l’origine d’une longue série d’acquisitions, qui s’est étalée jusqu’au xive siècle et a largement débordé l’ancien territoire paroissial (fig. 5).

Fig. 5 – La grange de Deuxnouds : espace et limites (C. Wissenberg, 2023).

Fig. 5 – La grange de Deuxnouds : espace et limites (C. Wissenberg, 2023).
  • 88 Évrard, 24.
  • 89 Évrard, 30 ; l’emploi en 1175 du terme horreum renvoie à un statut intermédiaire et temporaire dans (...)
  • 90 Lieu-dit à cheval sur Deuxnouds (cadastre B4) et Seraucourt (cadastre B4).
  • 91 Évrard, 41.

31Par cette cession, l’évêque de Verdun souhaitait non seulement conserver les biens existants, mais aussi les augmenter significativement, de manière à renforcer l’ancrage verdunois initial de Lisle. Plus de quarante actes concernant Deuxnouds et les bans voisins, de nature variable – donations de terres, droits ou rentes, confirmations de biens ou encore bornage – ont été émis entre 1150 et 1316. On ignore tout de l’ancien village vers 1165, sinon que son église était dite « en ruines », donc à l’abandon (?), sans savoir si une communauté rurale y vivait encore. Si la bulle d’Alexandre III confirmait la propriété du territorium dès 116888, il restait à rassembler le bien-fonds de la nouvelle grange en cours de formation, qui était encore en grande partie aux mains de différents propriétaires89. Une première étape décisive est franchie à partir de 1175 avec la donation du quart de l’alleu de Menoncourt par Robert de Souilly, que viennent compléter d’autres seigneurs jusqu’en 1191 sous l’impulsion du clergé verdunois – souvent auteur et disposant – pour l’étendre à l’ensemble de l’alleu, ce qui représentait alors environ la moitié de l’ancien territoire paroissial, terre de Long-Conseil comprise. En limite orientale, cette fois, un autre alleu, de moindre importance sinon stratégique, était en cours d’intégration : Ménarval90. Ce lieu est l’une des rares entreprises connues de défrichement engagée par l’abbaye, puisque l’évêque de Verdun y remet de la dîme pour les terres que les moines avaient défrichées (avant 1181)91. Une fois obtenus, ces alleux ont fixé les bornes de l’emprise de la grange, dont la première mention, portée dans la bulle confirmative de Lucius III datée de 1182, rend compte avec précision :

  • 92 Évrard, 43.

grange de Deuxnouds, et possessions l’ancienne église de Deuxnouds, avec dîme et toutes appartenances : Long-Conseil qui est situé devant la porte de Deuxnouds au ban de Saint-André, Petit-Einval et Grand-Einval, Ménarval, Menoncourt, suivant les bornes apposées, avec dîme et toutes appartenances92.

  • 93 Évrard, 66.
  • 94 Cart. II, p. 508.
  • 95 Évrard, 46 ; auj. bois communal.
  • 96 Évrard, 97.
  • 97 Cart. II, p. 506.
  • 98 Cart. II, p. 506. Le bois Dahaie s’étend aujourd’hui sur Saint-André-en-Barrois et Heippes, mais au (...)
  • 99 Cart. II, p. 429.
  • 100 Voir ici « 5. La villeneuve de Deuxnouds ».

32On comprend aux détails énoncés qu’il y a nécessité de faire reconnaître l’acquisition récente de lieux importants. L’un des principaux bienfaiteurs, Robert de Souilly, étant mort, ses descendants et les communautés relevant de sa seigneurie ont tenté de revenir sur les donations jugées trop généreuses. Sollicité pour régler le conflit en diligentant une enquête sur place, le comte de Bar, Thiébaut Ier, obtient un accord qui donne lieu à un bornage des limites discutées de Menoncourt en 119793. Bien que sujette à une révision par les riverains en 160994, en raison de l’altération voire de la destruction de certaines bornes, cette délimitation, fixée pour de bon, était cruciale pour la reconnaissance de la grange. Au tournant du xiiie siècle, le rythme des actes n’a pas diminué, mais leur nature a changé – signe des succès de la politique d’acquisition des terres, de l’évolution de leur mode de faire-valoir et de l’emprise croissante de l’abbaye sur la société locale – au profit de remises de cens, de terrages et de dîmes – voire d’abandon de dernières contestations – non seulement à Deuxnouds, mais sur des parties de finages voisins (Beauzée et Seraucourt), car le territoire n’était pas encore libéré de ses multiples charges et redevances. Si le bois le plus proche de la grange, Lignémont, avait été donné aux alentours de 118595, celui de Dahaie l’a été en 121096, mais en partie seulement car les moines ont dû en acheter les autres parts avec le bois Rémiat en août 125197 et mars 126698. Désormais aux mains des moines qui en maîtrisaient le ressort, la terre de Deuxnouds fait l’objet d’une association avec le comte de Bar en 127799, afin d’y fonder une villeneuve, Thiébaut II voyant là une bonne occasion d’étendre son influence sur le domaine épiscopal100.

  • 101 En janvier 1292 (v. st.) par exemple, Renaudin de Seraucourt, écuyer, donne à l’abbaye de Lisle tou (...)
  • 102 Cart. II, p. 478.

33Le temps de la seigneurie est venu et certaines familles comme les Seraucourt cèdent à Lisle, en 1292 et 1294101, des pans entiers de leurs domaines, comprenant terres, prés, hommes (plusieurs mesnies) et justice autour de Deuxnouds. En 1298, le comte de Bar lui-même complète le patrimoine de la grange en apportant diverses pièces de terres, notamment sur Seraucourt, dont le bois Landlut102, chaînon manquant. Ainsi, un siècle et demi après la cession de l’église paroissiale, Lisle a fini par réunir et posséder la quasi-totalité des terres de Deuxnouds et à contrôler une grande partie de celles de Seraucourt, au point de faire la jonction avec le domaine de la grange des Anglecourt. Suite logique, une maison seigneuriale est érigée à Seraucourt, à une date inconnue – après la guerre de Cent Ans ? –, pour la gestion des revenus et de la justice, en plus de la cure qui était à la nomination de l’abbé, au même titre que celle de Courcelles-sur-Aire.

3.2. Le pôle barrois

34Comme autour de Deuxnouds, c’est par l’obtention des droits de pâturages et de parcours du bétail que Lisle a pu entrer dans la haute vallée de l’Aisne – en aval de Vaubecourt – et dans celle de la Melche, par Hattonmesnil et Vaudoncourt, avant même de retenir Mierche comme site abbatial définitif.

  • 103 Voir ici « 2.2. Changement de site : vers Lisle II ».
  • 104 Évrard, 25.
  • 105 Évrard, 34.
  • 106 Évrard, 35.
  • 107 Évrard, 36.
  • 108 Évrard, 39.
  • 109 Évrard, 40 et 42.
  • 110 Évrard, 43.
  • 111 Cart. II, p. 1001.
  • 112 Cart. II, p. 1002 à 1004.
  • 113 Évrard, 94 : « ante domum de Evraumontis ». Pour tous les noms de lieux qui suivent, voir les figur (...)
  • 114 Prairie en rive gauche, aval de la vieille Aisne, en limite des Charmontois, vendue par Beaulieu po (...)
  • 115 Cart. II, p. 669.

35Domaine le plus ancien de l’abbaye après les Anglecourt, Hattonmesnil est aussi le plus singulier (cf. fig. 3). Difficile à appréhender parce que sans postérité toponymique, il est très lié au lieu d’Yvraumont avec lequel il est souvent mentionné. Les moniales de Saint-Maur de Verdun le donnent aux chanoines de Lisle en 1144103, puis en 1168 Guiard de Laimont, seigneur du voisinage, en cède l’avouerie qu’il détenait en fief héréditaire104. Était-ce un signe que la paroisse était désertée, comme le hameau voisin de Villers, ou en voie de l’être, ou tout simplement la conséquence de l’incompatibilité de ce droit féodal avec les us cisterciens ? Toujours est-il qu’en 1177, au moment où Raoul, seigneur de Clermont, cède à son tour les biens fonciers qui étaient affectés à son droit d’avouerie tant sur Hattonmesnil qu’Yvraumont105, Saint-Maur abandonnait aussi tout ce qu’elle pouvait encore y avoir106. Le domaine prenant de l’ampleur, Montiers-en-Argonne tente de faire reconnaître un droit d’usage sur la forêt en tant que (distant) riverain, mais est déboutée par l’enquête menée au sein de la communauté de moniales107. Sitôt l’autel de l’église paroissiale concédé par l’évêque de Châlons l’année suivante (1178)108, d’autres donations sont venues s’ajouter rapidement109, si bien qu’en 1182 le pape Lucius III pouvait officialiser l’ensemble des acquisitions comprenant le territoire, l’ancienne église et les biens qui en relevaient, les dîmes et autres dépendances, le tout moyennant cens à Saint-Maur110. Hattonmesnil était aux mains de Lisle désormais et il n’en fut plus question par la suite. Néanmoins, les redevances dues, notamment sur le bois d’Yvraumont comme sur l’ensemble du territoire, demeurent en vigueur et occasionnent un conflit, réglé une première fois en 1220 en faveur de Lisle, puis une seconde en 1245, les moniales se désistant finalement de leurs prétentions sur Hattonmesnil111. L’opposition a dû être vive, car l’accord trouvé ne génère pas moins de quatre confirmations112. Cette affaire est l’ultime trace d’Hattonmesnil qui, en réalité, n’existait déjà plus qu’en terme juridique dans le cadre de cette querelle amorcée une trentaine d’années auparavant. En fait, l’ancienne paroisse a dû s’éteindre à partir de 1188, car les actes ne mentionnent plus qu’Yvraumont après cette date. En 1207, à l’occasion de la vente par l’abbaye de Beaulieu d’une partie de la garenne située en aval, Yvraumont est qualifiée de « maison113 ». D’autres abandons de réclamations et ventes de terres, notamment de Thibaut-Varenne en 1231114, épaississent encore le domaine vers le nord aux dépens de Beaulieu, jusqu’à ce que le comte de Bar, Thiébaut II, vienne mettre en sa garde, en 1263, parmi les autres biens de Lisle, ce qui était devenu la grange d’Yvraumont115.

36Ainsi, en un siècle environ, Yvraumont, dernière des granges de Lisle, s’est substituée à Hattonmesnil, le plus ancien domaine. C’est le temps qu’il a fallu aux moines pour acquérir en totalité l’ancienne paroisse, jusqu’à désertion complète – si elle n’était pas déjà effective avant – et extinction juridique, d’en déplacer le siège d’exploitation au bord de l’Aisne, à Yvraumont, d’accès plus commode par le fond ouvert de la vallée depuis Lamermont, et de le doter d’un moulin.

  • 116 Gallia christiana, t. 10, Paris, 1751, instr. col. 167-168 ; J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p (...)
  • 117 Wambais, par son suffixe hydronymique germanique (Bach), pourrait renvoyer au ruisseau de la Teinch (...)
  • 118 J. Lusse, « L’implantation monastique… », op. cit., p. 33.
  • 119 Évrard, 92.

37Se pose alors inévitablement la question de la localisation d’Hattonmesnil. J.-P. Évrard a émis l’hypothèse d’un lieu proche de Sommeilles et Auzécourt, uniquement sur la base de l’acte de fondation de Montiers (1134). Mais Hattonmesnil n’y était cité que pour sa proximité avec l’une des bornes de la délimitation du domaine concédé autour de [Vieux-] Monthiers. Il n’est pas inutile de s’y reporter116 : Montiers était une paroisse dotée d’une église et de son propre territoire, qui s’étendait nécessairement entre les villages qui entourent aujourd’hui encore le site. Le pourtour décrit commence au gué d’Ositremont, a priori un gué sur le Gignaurupt, le ru de Suisy ou la Chée, puis se dirige vers Noyers et un lieu nommé Fornoneium, qui est dit près d’Auzécourt ; de là jusqu’à Bercholtham, qui pourrait bien être Burtauhan, lieu-dit autrefois important sur l’actuel territoire de Laheycourt (habité ?), puis Wambais proche d’Hattonmesnil, et enfin Gelestre, avant de revenir au gué de départ. Chaque repère de proximité est à localiser au-delà de la limite suivie, parfois à une certaine distance si aucun autre repère commode ne se présentait alors. Le risque est grand de faire fausse route, mais si l’on s’en tient aux repères connus, il semblerait que cette délimitation de l’alleu concédé corresponde aussi à celle du territoire paroissial de Montiers. La partie la plus difficile à restituer est au nord, en raison du déficit classique de matériel toponymique en milieu forestier, mais la mention d’Hattonmesnil semble géographiquement cohérente. Wambais serait donc à situer à hauteur des bois de Bellenoue et/ou Boudart – sur la ligne interfluve ? –, soit à l’avant (vu de Montiers) de l’extrémité sud-ouest du territoire de Lisle117. Hattonmesnil, en tant que repère distant, devait alors se situer de l’autre côté de cette limite, c’est-à-dire dans l’actuel bois de la Fontaine aux Chênes, car une donnée importante ne doit pas être occultée : l’alleu et la paroisse d’Hattonmesnil ont été donnés en totalité – avec Yvraumont dont il faut rappeler la proximité – pour faire partie intégrante du domaine de Lisle et il n’est fait aucune allusion dans les actes médiévaux et modernes à une aliénation postérieure. Les traces matérielles enfouies de l’ancien village doivent donc toujours se situer à l’intérieur du territoire. Par son éloignement, une éventuelle hypothèse de localisation vers la ferme du Cheminel doit être écartée, car elle n’irait pas dans le sens de la logique de proximité suivie pour la limite de l’alleu de Montiers. Pour J. Lusse enfin, Yvraumont résulterait du défrichement du bois donné par Saint-Maur en 1177118. Cela est possible, mais pour qu’Ysembard de Nettancourt donne en 1205 ce qu’il y possédait en avouerie et en bois, ne devait-il pas y avoir plus qu’un bois à Yvraumont, qui du reste n’était pas encore défriché119 ? Tout ceci s’accorderait plutôt avec une relocalisation, après extinction de l’habitat d’Hattonmesnil, du siège de la (future) grange à Yvraumont, site exploité jugé plus favorable.

  • 120 Évrard, 6 et 7.
  • 121 Évrard, 8.
  • 122 Évrard, 24.
  • 123 Évrard, 43.

38Globalement contemporaine d’Hattonmesnil, l’acquisition des premières terres à Vaudoncourt, dont l’alleu, remonte à 1149120. À cette date et depuis peu, Montiers en détenait l’autel, que l’évêque de Châlons décide finalement de remettre à Lisle dès 1154121. Les moines de Montiers, ayant pour projet de déplacer leur site abbatial, laissent les lieux vers 1160 à leurs frères de Lisle, si bien qu’à la suite d’autres donations ces derniers acquièrent bientôt la propriété du territoire de Vaudoncourt avec les possessions qui relevaient de l’église paroissiale, les dîmes et diverses dépendances, comme le confirme la bulle d’Alexandre III en 1168122. Le village d’origine, dont on ne peut dire avec certitude si la désertion est la cause ou la conséquence de l’implantation cistercienne, n’est vraisemblablement plus qu’un souvenir, sauf pour l’évêque qui n’oublie pas le cens qui lui est dû. La constitution de la grange, achevée entre-temps, est finalement officialisée en 1182 par la bulle de Lucius III123.

  • 124 Évrard, 47 à 49.

39Chaque nouvelle acquisition de Lisle, entre Vaudoncourt et Hattonmesnil, fait du voisin immédiat et grand propriétaire terrien, Beaulieu, un protagoniste toujours plus inévitable. Sous l’égide des évêques de Verdun, les relations semblent avoir été confraternelles au départ, les bénédictins ayant concédé les pâturages de Mierche vers 1154 et une partie du territoire en 1162, facilitant le transfert. Mais l’abbaye de Beaulieu ne tarde pas à s’inquiéter des empiètements cisterciens sur les marges méridionales de son comté. De proche en proche, lorsque les cisterciens en arrivent à maîtriser par coalescence de leurs acquisitions toute la haute vallée de l’Aisne de Vaubecourt jusqu’en aval d’Yvraumont, Beaulieu change de position. Ainsi s’élèvent un certain nombre de contestations qui aboutissent à des accords comme ceux de 1188124, dont l’épicentre est à Lamermont.

  • 125 Évrard, 18.
  • 126 Évrard, 22.
  • 127 AD de la Marne, 20 H 1, cartulaire de 1533, acte n° 1, édité dans É. de Barthélemy, Diocèse ancien… (...)
  • 128 Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 9905, fol. xlviii et lat. 10946, fol. 1.
  • 129 Évrard, 24.
  • 130 Évrard, 26.

40Lamermont n’est pas une copie conforme de Vaudoncourt, mais presque. Après qu’Apremont lui ait cédé les pâtures au sud de l’Aisne vers Villotte et Louppy avant 1162125, Lisle reçoit de plusieurs seigneurs de Belrain, Souilly et Bussy l’alleu de Lamermont en 1166126, qui était en fait déjà cistercien. En 1138, en effet, l’évêque de Châlons en a donné, là encore, l’autel aux chanoines de Montiers, qui ont aussi acheté des parts de l’alleu127. Sitôt cistercienne, l’abbaye en fait une grange, attestée en 1148 dans la bulle d’Eugène III128, et la conservent une quinzaine d’années jusqu’à l’arrivée de Lisle sur place, qui en hérite peu après. De fait, en 1168, la bulle d’Alexandre III confirme bien que Lisle possède le territoire de Lamermont et les dépendances de son ancienne église129. L’autel lui a donc été cédé dans le même temps, même si l’évêque de Châlons ne l’officialise que deux ans après130.

3.3. Lamermont-Villers, le point d’achoppement

  • 131 Évrard, 11.
  • 132 Évrard, 47.
  • 133 Évrard, 48.
  • 134 Corcelles, plutôt que Courcelles, qui n’a rien à voir avec Courcelles-sur-Aire. Pour tous ces lieux (...)
  • 135 Évrard, 49.
  • 136 À l’occasion d’un bail d’une partie des terres du Bois Japin en 1569, est citée « la cense et gaign (...)
  • 137 Évrard, 63. L’édition indique par erreur Rignaucourt, mais il s’agit bien des habitants de Riaucour (...)
  • 138 Évrard, 86.
  • 139 Cart. II, p. 349, 1010, 1011 et 637.
  • 140 Cart. II, p. 1010 : « quadam pecunie summa triginta scilicet librarum ».
  • 141 On ne sait s’il s’agit d’un lapsus pour Lamermont ou pour chapelle.
  • 142 Tel que reporté sur la figure 3.

41Beaulieu, qui jusque-là n’apparaît pas, détient pourtant une partie du finage de Lamermont, car l’emprise ancienne de son comté ou « Terre de Beaulieu » atteignait l’Aisne à hauteur du lieu de Villers dit « aux Cerises » ou « Cerisiers », que l’acte désormais daté de 1168-1170 évoque en termes de lieu déserté131. Ce Villers, hameau doté d’une chapelle relevant de l’église mère de Lamermont, est justement la motivation principale des contestations de Beaulieu. Le premier des trois accords de 1188 traite de la répartition des dîmes de Lamermont132, dont il est prévu que Lisle, moyennant redevances, jouisse en totalité, sauf sur la terre de Beaulieu, preuve donc qu’une partie de cet espace en relève toujours. On apprend à cette occasion que Beaulieu a encore un trésorier à Vaudoncourt, ce qui laisse entrevoir la complexité des imbrications temporelles. Les clauses du second accord sont plus axées sur le rétablissement d’une bonne entente – qui a donc bien été mise à mal –, mais procèdent aussi à une sorte de remembrement sous forme d’échange de terres, par lequel Lisle abandonne ses biens à Vaubecourt et Waigney, lieu-dit proche de l’étang de Dame Barbe – Vaubecourt, cadastre D1 et D3, Woignée –, contre ceux de Beaulieu à Lamermont, Filicem et Astagus, qu’il faut imaginer vraisemblablement non loin de là en direction de Louppy (?)133. En d’autres termes, on s’emploie à résorber les enclaves, les terres de Lisle isolées dans celles de Beaulieu revenant à cette dernière et inversement. Il est en outre précisé que les bornages effectués autrefois par les habitants entre Lamermont, Corcelles134 et Cerisiers (ou Villers-aux-Cerises) resteront valables. Quant au troisième et dernier acte, dont la notification émane de l’évêque de Toul, délégué pontifical, il se contente de rappeler qu’un accord a été trouvé entre les abbayes de Beaulieu et de Lisle sur la question des limites de leurs terres à Hattonmesnil, Villers, Cerisiers, Waigney, Lamermont et Vaudoncourt135. Il ne donne pas de détails, mais l’énoncé n’a pas été rédigé au hasard, car il suit scrupuleusement la limite nord du territoire de Lisle selon l’ordre géographique des lieux en partant de l’extrémité occidentale, soit Hattonmesnil, qu’Yvraumont n’a pas encore remplacé, en continuant vers l’est par Villers, ici distingué de Cerisiers, mais qui devait en être très proche à l’intérieur de la clairière nommée ultérieurement Bois-Japin136, puis le nord-est pour atteindre Waigney, proche de Vaubecourt, avant de revenir au sud-est à Lamermont, – ou peut-être simplement à l’entrée du territoire de Lamermont en aval de Vaubecourt –, pour terminer à Vaudoncourt à l’extrémité orientale – ou à l’entrée de son territoire aux sources de la Melche. Par ces accords de 1188 sont fixées les limites entre les deux territoires de Lisle et Vaubecourt, sauf en un point : Villers, qui demeure partagé et disputé jusqu’au xviie siècle ! Les contestations réapparaissent au bout de quelques années seulement (1191-1196) quand les habitants de Riaucourt essaient de se réserver les terres de Corcelles et [Villers-] Cerisiers137. La communauté n’obtient pas gain de cause, puisque le bon droit de Lisle, qui avait respecté les limites déjà établies, est reconnu. Cinq juges sont à nouveau nécessaires en 1201 pour trancher un différend réactivé, qui précisent le bornage à hauteur de Villers entre Vaubecourt et Hondru sur l’Aisne138. Mais, en 1231, le nouvel abbé de Beaulieu, Milon, décide de revenir sur la vente que Gilbert, son prédécesseur, a faite à Lisle de la garenne en aval de la grange d’Yvraumont et du pré dit « au Parc » sis au finage de Villers139. Beaulieu temporise grâce à la compensation financière que les arbitres lui accordent140 ; après quoi, la vente et les limites de territoires sont entérinées par l’enquête menée, qui confirme la possession par Lisle dudit Parc au motif qu’il relevait de la dot de « l’église de Villers », donc de Lamermont141. Les arbitres saisissent l’occasion pour les énoncer à nouveau sur toute leur longueur142 : huit repères sont déterminés depuis le fossé à l’angle des territoires de Lisle-Riaucourt-Rembercourt, dit Beraut Fornerey (1), jusqu’au cours de l’Aisne au moment où il entre sur les Charmontois (8), en passant par Vau le Moine (2), emprunté par la petite Melche du nord, puis le Gros Tilleul (3) sur le chemin de Vaudoncourt à Riaucourt, pour franchir ensuite l’Aisne (4) sous la chaussée du moulin de Vaubecourt. Le fossé devait ensuite mener au ruisseau Ravari (5) – à l’étang du Vieux-Four ? – et continuer en ligne droite à travers la colline jusqu’à l’énigmatique novam […] clocherii (6) et, de là, à Hondru (7) par le même ruisseau que l’on retrouve en aval.

  • 143 A. Girardot, « Frontière, libertés et servitude dans le pays de Beaulieu au xiiie siècle », SLSABD, (...)
  • 144 Le texte du « cartulaire de 1767 est souvent fautif », comme le rappelle Benoît-Michel Tock dans so (...)

42On se rend bien compte que la limite communale actuelle est l’héritière directe de la ligne ainsi définie, à l’exception d’un point : Villers, encore une fois, qui curieusement n’est pas cité, car, là où l’on s’attend à le trouver comme repère, les protagonistes du bornage lui ont préféré novam […] clocherii, en reprenant tout simplement le texte de l’accord-bornage de 1201. Dans son édition, J.-P. Évrard a choisi de transcrire ce lieu par nouam clocherii, soit la noue, terme bien connu pour qualifier une zone humide. Le milieu ne s’y oppose pas. Sauf que le cartulaire, qui porte en fait d’abord la forme nöam – usant sans doute de l’exposant tréma allongé pour signifier l’oubli de u ou v – dans l’acte de 1201, donne bien novam […] clocherii dans celui de 1231, sans contestation possible. Ce détail n’est peut-être pas sans importance. Il se trouve, en effet, que l’abbaye de Beaulieu a eu un projet de villeneuve en 1201-1202 à Villers, qui devait prendre le nom de Villers-sur-Aisne143. Sans occulter de sérieuses réserves, il est tentant de voir dans ce novam […] clocherii le clocher (?) de l’église de la villeneuve144, qui, si elle fut un échec, n’en fut sans doute pas moins engagée. N’ayant pas aliéné la propriété de Villers au titre de la dot de l’ancienne église de Lamermont, entraînant de si longues et récurrentes contestations, Lisle pourrait bien être la cause de cet échec. À terme, le futur Villers-sur-Aisne n’aurait pas manqué de faire les frais des contraintes liées à son enclavement dans une vallée devenue entièrement cistercienne.

43En définitive, l’abbaye vivait comme toutes les autres sur une base de polyculture, associant traditionnellement cultures et élevage, herbages, vaine pâture et forêts, servant régulièrement aux troupeaux menés par les frères convers. Il est vain de chercher une quelconque spécialisation agricole. Au cours du xiie siècle, le temporel de Lisle a donc été structuré par ces cinq granges, formant un espace bipolaire mais cohérent, que la vaste zone de pâturages, assez rapidement constituée autour d’elles, est venue cimenter (cf. fig. 4). La distribution de ces droits de parcours s’est révélée inversement proportionnelle à l’emprise des granges, puisque les deux granges verdunoises – Les Anglecourt et Deuxnouds – ont disposé des deux tiers de cet espace, soit une quinzaine de paroisses. On mesure donc bien les contraintes qui ont pesé autour des trois granges barroises – Hattonmesnil/Yvraumont, Vaudoncourt et Lamermont (et même quatre puisqu’il ne faut pas oublier la grange abbatiale bien qu’elle ne soit pas citée) –, puisqu’elles n’ont véritablement pu jouir pleinement que des vaines pâtures de Rembercourt, Villotte, Vaubecourt (sans Menoncourt) et des deux Louppy, à quoi il faut ajouter le territoire de Lisle, alors en construction, mais déjà important. Par ailleurs, le développement économique de Lisle, pour classique qu’il soit, n’en met pas moins en évidence les limites de son expansion, cristallisées par les difficultés rencontrées autour de la paroisse désertée de Corcelles-Villers-Cerisiers, découlant directement des contraintes imposées par les moines de Beaulieu. À l’instar de bien des espaces frontaliers en déshérence, cette clairière fut longuement contestée et disputée, après avoir été aux mains des seuls bénédictins. Les tensions liées aux querelles cycliquement réactivées et la partition de l’espace initial ne sont vraisemblablement pas étrangères à l’échec de la villeneuve de Villers-sur-Aisne, que Beaulieu avait projeté d’y édifier. Ainsi, à mesure que les intérêts économiques ont imposé leur loi, les rapports confraternels de départ se sont mués en opposition chronique, annonçant en cela l’esprit seigneurial qui allait caractériser le xiiie siècle.

4. Évolution du temporel au xiiie siècle : attraction urbaine et affaires séculières

4.1. Une monétarisation accrue

  • 145 Au sujet des principes fondateurs de l’économie cistercienne, se reporter pour les synthèses les pl (...)
  • 146 Cart. II, p. 562 ; le ban de Tarincourt est situé au finage d’Érize-la-Grande, le long de l’Ezrule, (...)
  • 147 Cart. II, p. 562.
  • 148 Cart. I, p. 573.
  • 149 Cart. II, p. 1096 et 1097.

44Si au xiie siècle les dépenses extraordinaires peuvent être bien souvent couvertes par les ventes de bois, les revenus en argent – et aussi en nature – ne sont pas absents, bien au contraire. Lisle est une arrière-petite-fille de Morimond, donc de quatrième génération. En l’espace de cinquante ans, les principes initiaux interdisant dîmes et rentes – parce qu’issus du travail et des biens d’autrui145 – ont été couramment contournés ; les cessions d’autels et de dîmes associées l’ont montré très tôt. Les aumônes, d’origine séculière, régulière ou laïque, sans disparaître totalement, ont fait place aux échanges, aux achats, et aux conflits dès lors que les intérêts étaient en jeu et/ou que les descendants des bienfaiteurs y trouvaient à redire, se sentant lésés. Les remises de cens et de dîmes, objet de nombreuses aumônes, ont été de plus en plus activement sollicitées, voire achetées, pour accélérer et achever l’affranchissement des domaines. La nature des actes fait foi de cette évolution : 15 % des actes du xiie siècle traitent de dîmes contre déjà 20 % au xiiie siècle ; l’écart est encore plus net pour les autres formes de transactions en numéraire, qu’il s’agisse de rechercher l’acquisition de revenus – dîmes, cens, rentes, terrages – et/ou l’exemption de dépenses – dîmes, cens, péages –, soit près d’un acte sur trois au xiiie siècle contre seulement 9 % au siècle précédent. Parmi de nombreuses acquisitions de revenus, la plus significative est sans doute celle que l’abbaye fait en 1245 à Érize-la-Grande, au ban de Tarincourt précisément, où Rausin de Jubécourt, voué de Chaumont-sur-Aire – donc des moniales de Saint-Maur –, lui a vendu pro certa pecunie quantitate la sixième partie des dîmes et le quart des terrages, plus le bois dudit ban avec ses revenus et la moitié des terrages des deux Érize, alors même que les moines n’y possédaient rien, pas même un droit de pâturage146. Cet acte en entraîne deux autres quelques mois après : l’aumône d’une rente d’un résal de méteil à prendre annuellement sur le moulin du village147 et le legs testamentaire de Geoffroy de Locquembault, chevalier de Beauzée et cousin de l’abbé de Saint-Mihiel, d’un muid de froment à prendre encore sur les dîmes dudit Tarincourt chaque année148. Il faut dire que les moines suivent la tendance générale et qu’ils y sont même encouragés, comme le montrent les deux privilèges pontificaux qu’Innocent IV leur adresse spécialement en octobre 1246, les autorisant l’un à tirer de toutes parts les ressources nécessaires en évitant les taxes, l’autre à recevoir pensions et bénéfices ecclésiastiques149. Le message était on ne peut plus clair. La seule originalité dans ce processus général d’acquisition de revenus, et que Lisle partage d’ailleurs avec sa voisine Montiers, réside dans la concentration assez inhabituelle d’églises possédées – en théorie interdites à cette époque –, conséquence d’enjeux territoriaux de part et d’autre de la frontière et aussi d’une dévitalisation conjoncturelle du peuplement – et pas seulement intercalaire – qui n’incombe peut-être pas systématiquement et uniquement à l’implantation cistercienne.

  • 150 Évrard, 31.

45À l’exception notable du fondateur, les débuts de Lisle sont avant tout l’affaire du clergé séculier et régulier surtout verdunois – Beaulieu, Saint-Maur, Saint-Mihiel, Saint-Paul, Saint-Vanne – sauf Montiers. Les terres sur lesquelles s’implante Lisle sont donc déjà fréquemment monastiques. Souvent cantonnés au rôle de témoins, les seigneurs laïcs se font plus présents, en intervenant en tant que propriétaires terriens ou simplement riverains, en particulier autour du site de Lisle II et de la grange de Deuxnouds, mais ils participeront plus activement en tant que protagonistes au cours du xiiie siècle. Les comtes de Bar semblent eux-mêmes très discrets, rarement témoins ou auteurs, sans doute parce qu’ils sont engagés de longue date à Beaulieu et Saint-Mihiel. Henri Ier n’apparaît qu’en 1175 pour donner le droit de pâturages à Louppy-le-Grand, qui n’est peut-être d’ailleurs qu’une approbation de suzerain150. Ses descendants seront plus impliqués au siècle suivant, à commencer par son fils Thiébaut Ier, à qui les moines doivent une libéralité importante. Ce sera le début d’une nouvelle phase du temporel de Lisle-en-Barrois.

4.2. L’attraction urbaine

  • 151 La localisation exacte de la grange n’est plus connue aujourd’hui, mais on admet, avec J.-P. Évrard (...)
  • 152 Cart. II, p. 131.
  • 153 Cart. II, p. 669.
  • 154 Cart. II, p. 76.
  • 155 Cart. II, p. 667.
  • 156 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », op. cit., p. 185.
  • 157 AD de la Marne, 22 H 103-104.

46En 1198, pour la première fois depuis la fondation de l’abbaye, un comte de Bar-le-Duc fait une donation majeure aux moines de Lisle. Thiébaut Ier leur cède sa grange de la Côte-de-Bar avec ses dépendances et le bois de Morsolles (cf. fig. 4)151, auquel il ajoute un pré et le pâturage qu’il a sur place. L’acte, pour généreux qu’il est, n’est pas totalement désintéressé, car le comte pense, en installant les cisterciens dans son ancien domaine, stopper le défrichement de la forêt qui est en cours et contre lequel il semble démuni. La contrée de Morsolles leur est encore donnée en 1249, sans que l’on ait le moindre détail sur cette donation152. Après avoir pris la grange sous sa garde en 1263153, Thiébaut II vend à l’abbaye, en juin 1265, ce qui lui reste de son « bois que on appelle Morselve, delà la grange de la Coste, pour trois cens livres de tournois154 ». Cette transaction a-t-elle un lien avec le remboursement d’une somme de 500 livres de forts que les moines font vers la fin de la même année (fin octobre 1265)155, ou est-ce un prêt qu’ils ont contracté et à quelles fins ? L’acte libère l’abbaye de sa dette et ne dit rien d’autre. Le plus étonnant est que le père de Thiébaut Ier, Renaud II, a aussi donné en 1170 à l’abbaye de Trois-Fontaines « terres et vignes à Bar, depuis la fontaine de Spargemaille [auj. Parlemaille] jusqu’aux bois de Marsolles, auxquels Agnès [de Champagne] ajout[a] pour l’obit de son mari les bois de Marsolles eux-mêmes156 », ce que l’évêque de Toul Pierre de Brixey confirme en août 1171. Il s’agit de la même libéralité que pour Lisle, grange de la Côte-de-Bar non nommée, donc a priori exceptée. Dans le même temps (1170), le comte donne aussi à Trois-Fontaines des terres, bois et droits à Montplonne, pris pour partie sur sa forêt du Haut-Juré. De cette donation et des suivantes, qui se prolongent au-delà de 1182157, naît la grange du Chêne ou de Villers-au-Chêne. Le fonds perdant ensuite la trace desdites acquisitions barrisiennes, faut-il considérer que Trois-Fontaines aurait alors délaissé (ou restitué ?) Morsolles pour se consacrer à sa nouvelle grange du Chêne ? Auquel cas, le nouveau comte Renaud II en aurait profité pour faire bénéficier Lisle de la reprise de ce patrimoine comtal.

  • 158 Évrard, 107.
  • 159 Cart. II, p. 74 ; en Chauffour, cadastre C4 ; val de Combles, cadastre E4 (Bar-le-Duc).
  • 160 Cart. II, p. 75.
  • 161 Cart. II, p. 76. Thonnance-lès-Joinville et Suzannecourt (dép. Haute-Marne) : villages situés à 2,5 (...)
  • 162 Cart. II, p. 77.
  • 163 Cart. I, p. 351 (janvier 1391) ; Cart. II, p. 84 (mai 1408).

47Quoi qu’il en soit, Lisle s’est constitué à moindres frais et en assez peu de temps dans la capitale comtale un domaine important, doté de terres et de prés, d’un grand bois qui s’étendait sur le plateau entre la grange et le village de Behonne, mais aussi de vignes, dont la plupart des coteaux barrisiens étaient déjà couverts. Les moines en avaient reçu entre-temps, notamment en 1219158 et plusieurs autres bien vite laissées à bail, puisqu’une reconnaissance commune de cens est émise en 1226 par des particuliers pour des vignes dispersées159, ce qui laisse entrevoir les changements opérés dans l’orientation économique et le mode d’exploitation. Les quelques vignes décelées à Lisle même ou à Deuxnouds ne suffisaient pas à couvrir les besoins. Comme partout ailleurs, il a fallu prospecter dans de meilleurs terroirs, à Bar notamment, marché urbain de surcroît, où un couple de bourgeois a cédé son cellier et la maison attenante en décembre 1255160. C’est le début de plusieurs investissements fonciers en ladite ville qui s’étendent jusqu’au milieu du xve siècle. Ce premier cellier de Bar, peu renseigné, est complété (ou remplacé ?) en 1295 par une seconde maison avec pourpris et dépendances, qui s’étendaient « jusques as murs de la fermetei de Bar161 », et dont le comte Henri III confirma et approuva l’acquisition (par son intermédiaire ?), qu’il assortit du droit de commercer « endis leu de toutes choses, ausi et en telle maniere comme notre bourgeois demorant en la halle de Bar ». Le même comte ajoute encore en juin 1302 une « place de terre qui siet a sous lors crouée de Bar, là où notre presseur de Bar soloit seoir162 ». On sait que l’abbaye de Lisle a développé un ensemble immobilier, dont l’origine est une maison sise rue du Bourg, signalée à la fin du xive siècle163, et qui donnera naissance au Petit Couvent de Bar, mais les repères manquent pour faire le lien avec les cellier et maison susdits.

  • 164 AD de la Meuse, 16 H 10.
  • 165 AD de la Marne, 20 H 70.
  • 166 Cart. II, p. 205-206 et 570.
  • 167 Cart. II, p. 207.

48L’approvisionnement en vin ne s’est pas cantonné au vignoble barrisien. Plusieurs abbayes cisterciennes ont possédé des exploitations dans la haute vallée de la Marne, vers Joinville, notamment Écurey à Osne [-le-Val] (cellier). C’est à Thonnance [-lès-Joinville] et Suzannecourt (50 km) que Lisle s’implante, mais elle n’y est ni la seule ni la première, puisque l’abbaye des Vaux-en-Ornois y exploite déjà quelques parcelles en 1193, acensées par l’évêque de Châlons avec une maison164, de même que – à nouveau – Montiers-en-Argonne en 1229165. Là encore, difficile de s’en tenir à une simple coïncidence. En 1242, Lisle et Eudes (seigneur ?) de Thonnance, un ancien familier de l’évêque, ont procédé à un échange de maison avec grange et meix audit lieu166. Le terme n’est pas employé, mais il paraît évident que l’exploitation était à dominante viticole et que les bâtiments ont servi de cellier. À l’issue d’un procès intenté par le fermier de l’imposition foraine, en 1392, les élus de la cité de Châlons statuent en faveur de Lisle, qui échappe aux taxes sur le transport du produit de leurs vignes de Thonnance et Suzannecourt jusqu’à l’abbaye, à condition de ne pas le vendre et de le consacrer exclusivement à la consommation des moines et des familiers167. Lisle conserve ce domaine jusqu’au xviiie siècle, ce qui n’est pas le cas des autres acquisitions urbaines.

  • 168 Évrard, 43.
  • 169 Cart. II, p. 1069.

49Les villes épiscopales sont traditionnellement fréquentées par les cisterciens, où ils cherchent à avoir un pied-à-terre. Il était utile, en effet, de disposer d’un relais urbain pour stocker telle denrée en surplus, afin de l’écouler sur le marché local, pour y traiter de telle ou telle affaire, pour y faire étape vers une autre destination, mais il était aussi prudent d’en faire un refuge dans les temps d’insécurité, sous la protection d’un évêque-comte. Lisle s’installe donc d’abord dans la plus proche, Verdun, où elle possède déjà deux maisons en 1182, dont l’une à l’intérieur du castrum168. Il eût été paradoxal que Lisle n’en fît pas autant à Châlons, ce qui n’arriva pourtant qu’en 1233, date à laquelle Thomas Coquet, chevalier, abandonnant ses réclamations, investit l’abbaye de sa maison située au quartier de la Vigne-l’Évêque « post multas altercationes169 ». Si l’on peut douter du maintien de ces maisons dans les siècles suivants, les sources ne les évoquant plus, elles procèdent aux xiie et xiiie siècles d’une logique géographique, économique et stratégique évidente, imposée par l’intégration irrépressible de l’abbaye dans les affaires séculières. L’exemple de Metz exprime tout cela à la fois.

  • 170 Évrard, 45. Citain : membre du patriciat dans les cités de Metz, Toul et Verdun.
  • 171 Évrard, 43, bulle de Lucius III (décembre 1182). Scy-Chazelles et Rozérieulles (dép. Moselle) : vil (...)
  • 172 Évrard, 85.
  • 173 Évrard, 33. Conflans-en-Jarnisy (dép. Meurthe-et-Moselle) : au diocèse de Verdun à mi-chemin de Met (...)
  • 174 Sur la question plus générale des péages et des exemptions, on consultera avec intérêt B.-M. Tock, (...)

50Évêché le plus important de Lorraine, Metz est un passage obligé pour les abbayes cisterciennes de la filiation de Morimond. Lorsque Lisle reçoit d’un citain (patricien) en 1186 une maison, située vers l’abbaye Saint-Arnould, avec deux journaux de vignes170, Saint-Benoît-en-Woëvre (1147) et Morimond (1172-73) y ont déjà leur pied-à-terre depuis longtemps. En fait, comme le laissent entendre les vignes qu’elle possède depuis le début des années 1180 au moins à Scy [-Chazelles] et Rozérieulles171, l’abbaye est nécessairement déjà présente dans la cité épiscopale ou dans ses faubourgs, où elle a établi un cellier-relais urbain. Les acquisitions se poursuivent les années suivantes jusqu’à posséder six autres maisons de rapport autour de la porte Serpenoise, dont une cédée en guise de dot avec sa grange et trois jugères de vignes par un citain se faisant convers à l’abbaye172. L’autre intérêt de Metz consiste à détenir des droits de passage sur les ponts de la Moselle, dont celui de Moulins [-lès-Metz], ce que Lisle obtient par la même occasion. Son implantation urbaine a été préparée grâce, notamment, à l’exemption de péage que Gobert V d’Apremont lui a octroyé dès 1177 sur ses terres à Conflans [-en-Jarnisy], Dommartin [-la-Chaussée] et Hagéville, non loin de Gorze173, soit la route de la cité épiscopale via Saint-Benoît-en-Woëvre174.

51Une fois la Moselle aisément et gratuitement franchie, le Saulnois était à portée de main. Metz était certes ville épiscopale, lieu de pouvoir et de décision, marché urbain de première importance, mais c’était avant tout l’étape de la route du sel, dont les évêques justement contrôlaient la production.

4.3. Le sel du Saulnois et le dossier « Aracost »

  • 175 Évrard, A13, d’après le fonds de l’abbaye de Cherlieu, AD de Haute-Saône, H 293.
  • 176 Évrard, A12 ; l’éditeur propose aussi dans le même acte Récourt (n. 4), mais sans aucune précision. (...)
  • 177 AD de l’Aube, 3 H 9*, chap. « Marsal », p. 243 sqq., § 6 (1183), 38 (1253), 41 (1254), en particuli (...)
  • 178 Ibid., § 3 (1195).
  • 179 L’éloignement est invoqué dans l’acte de vente de 1315, vidimé en 1737, AD de Meurthe-et-Moselle, H (...)
  • 180 AD de Meurthe-et-Moselle, H 543, « grangiam de Hormengis » en 1181-1182, bulle du pape Lucius III.
  • 181 H. Meinert, Papsturkunden in Frankreich, t. 1 (Champagne und Lothringen), Berlin, 1933, n° 46, p. 2 (...)
  • 182 H. Lepage, Les communes de la Meurthe. Journal historique des villes, bourgs, villages, hameaux et (...)
  • 183 La forme en complément du nom comme Rôocourt-la-Côte ne peut pas être retenue.
  • 184 L’absence d’autre référence archivistique n’est pas exceptionnelle et se répète pour les fonds de S (...)
  • 185 Autre argument en faveur d’Haraucourt-sur-Seille : Saint-Benoît-en-Woëvre, abbaye mère de Lisle, qu (...)

52Même si le cartulaire n’en a pas conservé trace, Lisle-en-Barrois, comme la plupart de ses consœurs, a cherché à garantir son approvisionnement en sel, matière première indispensable à la conservation des aliments. L’abbaye est en effet citée en 1208 parmi une quinzaine d’établissements cisterciens auxquels l’évêque de Metz Bertram, qui contrôle le Saulnois, rappelle qu’ils doivent s’acquitter de leurs redevances fixées sur les places ou chaudières exploitées à Marsal et/ou à Vic-sur-Seille175. En cela, Lisle a simplement emboîté le pas à son ascendance – Saint-Benoît-en-Woëvre, La Crête et Morimond –, présente à Marsal et Moyenvic. Par une courte mention rapportée dans la Gallia christiana, on sait aussi que Lisle a fait l’acquisition (achat ?) auprès de Haute-Seille d’une grange à Aracost en 1202. J.-P. Évrard a proposé d’identifier ce lieu à Arracourt, bourg du sud Saulnois176, sur le territoire duquel se trouvait bien une grange cistercienne (salicole ?), Riouville, mais qui relevait de Beaupré, de même que sa voisine Ranzey (com. Athienville) des Vaux-en-Ornois. Une nouvelle hypothèse n’a alors pas tardé à émerger autour de Marsal en raison de sa proximité avec deux localités potentielles : Récourt et Haraucourt-sur-Seille, où l’abbaye de Haute-Seille a eu plusieurs propriétés. En premier lieu, la grange de Récourt (com. Lezey), à la tête d’un vaste territoire géré par deux fermes (Haute- et Basse-Récourt) et un moulin, est un transfuge de Clairvaux qui l’avait érigée durant la première moitié du xiiie siècle sur la base des nombreuses donations accumulées au cours du siècle précédent, en lieu et place de l’ancienne paroisse homonyme177. Vraisemblablement pas directement concernée par l’activité salicole, contrairement à la domum de Marsallum178, et finalement victime de son éloignement179, Clairvaux s’en est séparée en 1315 en la vendant à Haute-Seille, dont le temporel voisin avait atteint le Saulnois par le sud-est en plusieurs lieux, notamment Ormange180, Lulange/Videlange (com. Gelucourt), Xirxanges (com. Maizières-lès-Vic) et Ommeray181. Mais une fois acquise, Récourt est demeurée grange de Haute-Seille jusqu’à la vente des Biens nationaux. Ainsi, en dépit d’apparences favorables et de la solidité des éléments, l’importante discordance chronologique rend l’identification d’Aracost avec Récourt impossible, puisque son acquisition par Lisle en 1202 aurait dû, dès lors, émaner de Clairvaux et non pas Haute-Seille. Reste alors en second lieu l’hypothèse Haraucourt [-sur-Seille], où la présence de Haute-Seille est attestée en 1187, date à laquelle « Conon, abbé de Salival, déclare que Béro d’Haraucourt ayant un alleu à Ormange, provenant de sa femme Hildegarde, il en a donné 40 jours de terres et 6 denrées de prés à l’abbaye de Haute-Seille, qui, en échange, lui a vendu pareille quantité tant à Haraucourt qu’à Lulange, etc. », ce que l’évêque de Metz confirme en 1194182. Une telle vente de biens (ou échange monnayé) au seigneur dudit Haraucourt contre un alleu d’Ormange relève de la même logique économique que l’achat de Récourt : restructurer et renforcer le temporel en le recentrant sur les pôles grangiers majeurs, tout en se débarrassant de propriétés isolées. Sur ce point, les termes de l’acquisition de 1202 s’accordent avec ce contexte, tant en date, lieux que protagonistes. Reste que, si l’identification avec Haraucourt-sur-Seille s’en trouve privilégiée, la forme ancienne caractérisée par le suffixe -cost, qui aurait dû donner -coste ou -côte, demeure énigmatique en ne renvoyant à aucun toponyme connu dans cette contrée183. La mention de la Gallia christiana étant unique, puisqu’aucun des deux fonds n’en a gardé de trace184, il n’est pas possible d’aller plus loin, sauf à considérer que ce suffixe inattendu résulte d’une simple erreur typographique ou d’une mauvaise lecture d’un acte endommagé185.

53Au moment de l’acquisition de la grange d’Aracost [Aracort ?], Lisle-en-Barrois exploitait donc une ou plusieurs chaudières à Marsal, depuis un certain temps déjà. En l’absence de toute autre source, la question de la finalité de cette opération reste ouverte. Quelle est la vocation de cette grange ? Est-elle exclusivement salicole ? Une autre activité agricole aurait vraisemblablement généré de la documentation, notamment à l’époque moderne (baux), ce que l’on ne peut toutefois totalement exclure en raison des pertes du fonds. Ce mutisme ne plaide pas pour une exploitation prolongée, qui s’achève sans doute avec le retrait de l’abbaye du Saulnois, à moins qu’elle n’ait été rapidement amenée à l’aliéner à son tour.

  • 186 Voir, à ce sujet, C. Higounet, Défrichements et villeneuves du Bassin Parisien (xie-xive siècles), (...)
  • 187 A. Girardot, « Frontière… », op. cit., p. 72.

54La diversification des revenus est une constante au xiiie siècle dans les abbayes cisterciennes. Les moyens utilisés sont multiples : vente des surplus sur les marchés urbains, acquisition de dîmes et rentes, investissement dans des immeubles de rapport, mise à bail de terres à mesure que les convers se sont raréfiés, etc. Lisle a suivi le mouvement en sortant de son périmètre temporel initial pour s’implanter à Bar, en premier lieu, en formant d’abord – en guise de transition – un complexe polymorphe « sylvi-agri-viticole » plus tout à fait rural ni encore vraiment urbain, en se fixant ensuite dans le bourg castral de la cité comtale, intra-muros donc. Puis ce sont Verdun, Châlons et surtout Metz, porte d’entrée épiscopale (moyennant sauf-conduits) des salines du Saulnois, où Lisle, comme les autres, fait son marché pendant un temps jusqu’à y acquérir une grange, dont on ne sait pour ainsi dire rien. La fondation de villages neufs ou villeneuves est encore un moyen de diversifier les revenus186, un autre type d’investissement seigneurial. Si la frontière d’Empire et en particulier d’Argonne, en réunissant les conditions favorables à leur éclosion, a occasionné leur multiplication au point qu’Alain Girardot y a vu une « zone de surinvestissement de puissance publique187 », en dépit parfois de leur viabilité (Villers-sur-Aisne ?), les abbayes cisterciennes barroises ne se sont pas particulièrement illustrées par leur implication dans ce mouvement. De fait, seules Saint-Benoît-en-Woëvre et sa fille Lisle-en-Barrois y ont participé à partir de 1250.

5. La villeneuve de Deuxnouds et l’évolution tardo-médiévale (fin xiiie-xvie siècle)

5.1. Lahaymeix, un modèle ?

  • 188 Sur les granges et villeneuves de Saint-Benoît-en-Woëvre, voir A. Girardot, « Genèse et topographie (...)
  • 189 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », op. cit., p. 609.
  • 190 A. Girardot, « Lahaymeix… », op. cit., p. 8. On pourra rapprocher aussi ce cas de la villeneuve que (...)

55Le contexte local du milieu du xiiie siècle est marqué par plusieurs oppositions, notamment celle de l’évêque de Verdun et du comte de Bar. Thiébaut II, en effet, est parvenu à déposséder l’évêque de la garde des granges verdunoises de Saint-Benoît-en-Woëvre, ce qui lui permet de passer des traités directement avec l’abbaye188. Après avoir éprouvé sa stratégie largement inspirée du voisin champenois avec d’autres abbayes, comme Saint-Vanne à Auzécourt en 1212189 ou encore Saint-Paul de Verdun à Courouvre en 1219, le comte de Bar s’adresse aux cisterciens, dont il connaissait les premières expériences en limite sud du Barrois mouvant, où La Crête, mère de Saint-Benoît-en-Woëvre, entre 1220 et 1250 avait déjà transformé plusieurs granges en villeneuves. C’est dans ce cadre qu’il entreprend de s’associer avec Saint-Benoît pour fonder Lahaymeix, en août 1255. L’abbaye y possédait en 1145 l’alleu puis la grange d’Esconval, au voisinage de deux paroisses qui ont disparu ensuite, l’une relevant de Saint-Maur de Verdun, l’autre déjà en voie de désertion. L’extension des acquisitions a entraîné rapidement la restructuration du domaine et le déplacement du siège à Lahaymeix, avant que le reste de la paroisse ne passe aux mains des moines. À son tour, l’évêque de Verdun en fait la remise de dîmes, si bien qu’en 1255, « la grange de Lahaymeix a absorbé l’essentiel des contrées [avoisinantes]. Les moines [avaient] assez de terres et de droits pour fonder un village qui augmentera considérablement leurs revenus, valorisera leurs droits paroissiaux190 ». Le pariage, que le même comte engagea en 1277 avec l’abbaye fille cette fois, pour Deuxnouds-devant-Beauzée relève d’un processus similaire.

  • 191 Voir ici « 3.1. Le pôle verdunois » et la figure 5.
  • 192 Cart. II, p. 669.
  • 193 Cart. II, p. 574.
  • 194 Cart. II, p. 888.
  • 195 Cart. II, p. 886 et 887.
  • 196 Cart. II, p. 894.
  • 197 Cart. II, p. 900.

56Malgré la possession préalable de plusieurs alleux, Deuxnouds n’est pas mentionné en tant que grange avant la bulle confirmative de Lucius III datée de 1182191. Le conflit qui occasionne en 1197 le bornage des limites de l’alleu de Menoncourt au nord et à l’ouest, marque durablement la morphologie du territoire. Il s’agissait surtout pour les moines de faire reconnaître les limites de l’ancienne paroisse désertée que les riverains espéraient bien transgresser et reprendre à leur compte. Requis pour sa médiation, le comte de Bar, Thiébaut Ier, a l’occasion de s’immiscer dans les affaires de la grange. À la fin du xiie siècle, Lisle possédait là suffisamment de terres pour procéder au pariage, mais le territoire était encore grevé de charges. C’est pourquoi, sur la quinzaine d’actes concernant Deuxnouds entre 1200 et 1277, la moitié est consacrée aux dîmes, aux remises de cens et terrages. Les bois étant acquis pour l’essentiel, les conditions étaient désormais réunies, à ceci près que le comte n’avait pas encore pris les six granges de Lisle sous sa garde, ce qui est fait en juin 1263192. Des parts des bois Rémiat et Dahaie restaient à acheter au seigneur de Saint-André [-en-Barrois], riverain193, et un accord devait aussi être trouvé avec l’abbaye Saint-Airy de Verdun au sujet de la délimitation et des dîmes de l’alleu d’Herbeuval, qui séparait Seraucourt des paroisses de Mondrecourt, Rignaucourt et Issoncourt en 1267194. Mais il faudra attendre dix ans pour que le pariage soit publié ; peut-être les acteurs ont-ils souhaité avoir le recul nécessaire sur l’expérience de Lahaymeix ? La présence du comte, partie prenante, incite, semble-t-il, certains vassaux à aliéner des pans entiers de leurs possessions dans les territoires riverains. Geoffroy de Seraucourt, par exemple, a eu maille à partir avec l’abbaye en 1264 pour avoir refusé de lui payer la dîme pour ses terres aux finages de Seraucourt, Himaire, Courcelles-sur-Aire et Neuville-en-Verdunois195. Le conflit est apaisé par plusieurs intermédiaires, moyennant récompense des moines. Trois décennies et une génération plus tard, ses trois fils, vraisemblablement en conséquence de l’accord de 1267 avec Saint-Airy, donnent en 1292 tout ce qu’ils possédaient aux finages de Seraucourt, Beauzée, Rignaucourt et Amblaincourt en terres (116 journaux), prés (22 fauchées) et hommes (6 mesnies) en de nombreux lieux tels qu’Herbeuval, la Crouée et Ménarval196, et, à nouveau, soixante journaux de terres et neuf fauchées de prés à Seraucourt en 1294197. Contrairement à leur père, les fils se retrouvent cette fois face au comte, « si comme de celui de qui lidis heritaiges muet en fiei et en hommaige, et de ce à tenir fermement, se sunt il submis en la jurisdiction notre signor le comte de Bar », qui semble avoir un peu forcé la main de ses vassaux pour arrondir un domaine grangier, qui outrepasse désormais largement le territoire de Deuxnouds, en maîtrisant de plus en plus celui de Seraucourt et en débordant sur ceux de Beauzée et d’Amblaincourt.

5.2. L’organisation de la villeneuve : fonctionnement et morphologie

  • 198 Cart. II, p. 429.
  • 199 La version de 1298 (Cart. II, p. 442) mentionne « sept vins arpens de bois », il est donc probable (...)

57Comme à Lahaymeix, le pariage placé sous la loi de Beaumont prévoit de partager les revenus, l’abbaye apportant les terres, comme le rapporte Thiébaut II dans son acte du 14 décembre 1277198. Les moines se réservent leur grange et son pourpris avec les terrains attenants d’une largeur de trente pieds, quatre-vingts journaux de terres, cent vingt arpents de bois à prendre « esdis bois de Dousnous199 », la vigne « dessus ladite grange », avec droit de prélever leurs paisseaux au bois « commun », ainsi qu’une place de cent vingt pieds de côtés dans la villeneuve pour bâtir une maison, sans doute seigneuriale. En plus des pâturages sur tout le finage pour les troupeaux de la grange, les moines retiennent l’usage du bois de Deuxnouds « por l’aisement de lor maison et de lor grange de Dounous ». En tant que propriétaire du bien-fonds et de l’ancienne église et ses droits, l’abbaye perçoit les revenus issus des fours, des moulins (pour moitié) et des dîmes, et conserve le contrôle des eaux tant des pêcheries que des moulins (biefs et étangs). Les autres revenus, provenant des terrages et amendes – prises de bétail en défens – notamment, sont partagés à parts égales entre les moines et le comte, qui retient aussi sa part de bois. Quant aux habitants et autres « borjois », ils sont tenus de faire moudre leur grain au moulin des Anglecourt, de payer dîme et terrage à hauteur de douze gerbes ou encore de respecter les espaces de pâturages prévus sans franchir le ru de Deuxnouds (ou d’Amblaincourt). Le fonctionnement de la villeneuve prévoit en outre l’instauration d’un maire et d’échevins, nommés d’un commun accord par l’abbaye et le comte, sinon alternativement à chaque fête de Pentecôte, et aussi d’un marché avec faculté d’y vendre du vin. Telles sont les clauses principales de l’acte d’officialisation de la villeneuve de Deuxnouds émanant du comte Thiébaut II, en accord avec l’abbé Nicolas et tout le convent de Lisle-en-Barrois.

  • 200 Cart. II, p. 872 : « de grangia sua in archidiaconatu et patronatu nostro sita que Duonodi vulgarit (...)
  • 201 Henri III a échangé, en décembre 1298, trente-six livrées de terres qu’il tenait aux finages de Deu (...)

58Si l’on en croit la charte de Philippe, abbé et successeur de Nicolas, émise en 1298, Deuxnouds n’aurait réellement abouti qu’en mars 1279, comme il le rappelle en introduction, soit une bonne année plus tard que prévu. Ces tâtonnements n’ont pas remis le projet en cause, puisque la villeneuve est bien attestée en 1283 par Jean d’Apremont, archidiacre de Verdun, qui la décrit comme étant édifiée depuis un certain temps, à l’occasion de l’annexion de la chapelle à l’église de Seraucourt, demeurant à la nomination de l’abbé200. On ne saurait trop s’avancer sur les raisons qui ont conduit le nouvel abbé à renouveler la charte de Deuxnouds vingt ans après, sinon pour la compléter, l’ajuster et la détailler. Mais un fait frappe d’emblée : le comte, qui est désormais Henri III, en est totalement absent. Un échange de biens à Deuxnouds et Seraucourt201, effectué avec l’abbaye à quelques mois de distance, plaide plus pour le maintien de bonnes relations que pour un différend qui aurait pu être invoqué. En revanche, l’énoncé de la transaction montre que les circonstances ont changé, car le comte conclut :

  • 202 Cart. II, p. 478, décembre 1298 (v. st.).

voulons et octroions que lidis abbei et couvent dessusdis joïent et exploitent desormais paisiblement de celle terre que nous avions avec eaus à Seraucourt et à Dounous et ens appartenances, sens rien à retenir de par nous et de par nos hoirs, fors que tant seulement la garde, que nous y retenons pour nous et pour nos hoirs, ainsi comme nous l’avons sur l’église de Lisle, sur les granges et sur tous les leus qu’ils ont à notre contei, et en c’est fait avons nous renuncié et renunçons à totes aides de faict, de droit et de coustume202.

59Le comte ne conserve que ses prérogatives militaires, par ailleurs mises à mal durant ces dernières années du xiiie siècle, ce qui lui importait sans doute le plus.

  • 203 Le moine archiviste précise en marge qu’il s’agit du « bois autre fois nommé remi ha [Rémiat] et au (...)

60Dans sa nouvelle charte, l’abbé Philippe reprend les clauses précédentes en augmentant un peu chaque surface de retenue et en les précisant ponctuellement, comme les cent quarante arpents de bois qu’il localise « par devers St Andreu pour affouer notre four et pour faire notre volentei dou tout203 ». De même, ce n’est plus une mais deux places que les moines se réservent dans la villeneuve :

chacune de sceix vins pies de terre de tous cens qui sient en meix la dite ville pour faire maisons quand nous vourrons, lesquelles maisons ne seront mie au droit de ladite nueve ville, ne au droit de Biaulmont, et porrons vendre vins et toutes autres denrées en celles dites maisons quant nous vourrons et en notre dite grange ainsy comme nous faisions, franchement, avant que la dite ville fut faite.

61Il semble aussi que l’habitat se soit étendu, car l’abbé ajoute une nouvelle clause selon laquelle « li borjois de ladite nueve ville ne puissent faire maisenage près de notre grange, ne de la closur au plus près de vint et cinq verges de certain pié la verge ». Le droit de mainmorte y est fermement rappelé ainsi que le service que « doyent à nous li bourjois de la dite nueve ville ost et chevaulchie ens lieus où nous les manderiens pour le profit de notre église, et se il en de falloient, il en doient à nous l’amende ». Enfin, il est significatif que l’abbaye de la Crête, fondatrice de villeneuves, ait été sollicitée par sa petite-fille pour que l’abbé Simon vienne sceller cet acte et parapher en quelque sorte l’entreprise barroise.

  • 204 Cart. II, p. 869.
  • 205 Cart. II, p. 477.

62La seigneurie monastique de Deuxnouds était clairement établie. Malgré une emprise croissante sur Seraucourt et Beauzée, le territoire associant la grange et la villeneuve réinvestissait a priori l’espace hérité de l’ancienne paroisse. Si des enclaves seigneuriales ont pu subsister, elles ont été peu nombreuses et ont été résorbées rapidement : en 1304204, Perrinet de Seraucourt a abandonné tous ses droits sur les habitants dudit lieu, et, en 1316205, Geoffroy de Saint-André a vendu quatre fauchées de pré au finage de Deuxnouds situées dans le vallon de la grange dit en Ruez et a surtout permis aux moines d’acheter tous les autres prés qui étaient tenus de lui en franc-alleu. Il n’est question d’aucune nouvelle acquisition de ce type par la suite.

  • 206 « ou autre part sur la rivière d’Ayre se nous voulons », c’est-à-dire à l’extrémité occidentale du (...)

63La morphologie du territoire ainsi partagé n’est pas très différente de Lahaymeix. Les sources modernes donnent aux deux granges le même nom de la Cour, mais à Deuxnouds la villeneuve n’est pas construite autour de la grange, bien qu’à courte distance. Les deux entités, nettement distinguées sur la carte de Cassini, sont localisées dans leur petite aire de confluence respective, la grange à l’amont – débouché du ruisseau des Ruez –, le village à l’aval – vallon du chemin de Beauzée –, les deux seules places viables de la vallée. Car il est impensable de se priver de l’accès au niveau de sources et au ruisseau, donc de bâtir sur le plateau où d’ailleurs aucun village n’est construit. La grange occupe la partie la plus large de la vallée tandis que le village, étiré dans le fond étroit, utilise le relatif élargissement occasionné par le vallon adjacent pour en faire son centre, où l’église est érigée. Mais la situation ancienne était-elle identique ? Les moines ont implanté leur grange en un lieu dont on sait que l’église était en ruines, mais l’ont-ils bâtie en lieu et place de l’ancien village lui-même ? Si tel est le cas, la villeneuve a alors été fondée ex nihilo, ce qui pourrait expliquer le paradoxe des deux emplacements. Les indices probants manquent pour aller plus loin, d’autant plus qu’aucune forme de planification « urbaine » non seulement n’est pas perceptible, mais n’a même sans doute jamais pu être mise en œuvre en raison des contraintes topographiques. Le profil en long de type « arêtes de poisson » se prête donc au site et laisse la part de finage concédée disponible pour un assolement communautaire. Le plateau, dont une partie porte encore le nom suggestif de Corvée, est dévolu aux cultures, le fond de vallée et les bois autorisés aux pâtures et les versants les mieux exposés à la vigne, soit au-dessus du village, comme celle des moines au-dessus de la grange. La forêt a été conservée sur la moitié orientale du plateau, au-delà du ruisseau des Ruez : touchant à Saint-André, les bois Rémiat et Lacour, ou si l’on veut « de la Grange », vraisemblablement démembrés de l’ancien bois Dahaie. Ceux-ci restent aux moines tandis qu’aux habitants sont attribués le bois « commun », aujourd’hui de Deuxnouds, prolongé de la partie de Lignémont non défrichée. Un étang est aménagé à trois cents mètres environ en amont à l’usage de la grange et du moulin situé à côté – à huile au xixe siècle. Mais le moulin banal, prévu « à vent » aux confins du ban par la charte de 1298206, est finalement remplacé par un moulin à eau en aval, à la sortie du village, après que le ruisseau ait reçu les six fontaines qui, depuis la grange au débouché du vallon des Ruez, alimentent le village. Enfin, et bien que jamais évoquée, une carrière est ouverte face à la grange, en rive gauche à mi-hauteur du versant nord, comme le rappelle le nom du chemin qui y mène.

64Deuxnouds n’a pas connu de fort développement, ni plus ni moins que Lahaymeix d’ailleurs, mais sa conception raisonnée a permis de garantir aux habitants les ressources nécessaires à leur subsistance, et à l’abbaye un substantiel complément de revenus. En fin de compte, à l’ancienne paroisse, la villeneuve n’a fait que redonner vie.

5.3. Lisle, seigneurie monastique

  • 207 Sur la mutation seigneuriale des abbayes cisterciennes, on consultera avec profit la mise au point (...)

65Avec la villeneuve de Deuxnouds, l’abbaye de Lisle intègre pleinement un mode seigneurial de gestion domaniale, caractérisé, entre autres, par la généralisation du faire-valoir indirect, crise des convers oblige, mais pas seulement207. Même s’ils sont déjà ponctuellement utilisés, les baux consignés au cartulaire apparaissent surtout vers 1325 et concernent avant tout des vignes (à Bar), quelques terres (à Morsolles) et, bien plus tard, des bois – à Seraucourt et Bar-Behonne au xvie siècle.

  • 208 Cart. II, p. 1072.
  • 209 Cart. II, p. 75.

66Le patrimoine immobilier a, lui aussi, été aliéné, en particulier dans les villes éloignées, comme Metz, où par exemple une maison du quartier de la porte Serpenoise est laissée en août 1316 à un citain et sa famille pour quatre livres de petits tournois de cens annuel. L’intérêt de ce bail réside dans les clauses qui lui sont assorties, à savoir le droit, que se réservent l’abbé et les moines (et autre personnel) lorsqu’ils viennent à Metz, de loger avec leurs chevaux en ladite maison, d’y être couchés, chauffés et éclairés, d’avoir nappes et serviettes et sel pour ladite table, avec foin et litière pour leurs chevaux. Cette transaction est passée avec l’accord de l’abbé de Saint-Benoît-en-Woëvre208. D’autres maisons bien moins éloignées sont louées, et parfois très tôt, dès 1243, notamment à un vigneron de Bar, sa vie durant209. Mais c’est surtout à Louppy-le-Grand que les investissements immobiliers sont les plus significatifs et cela en raison de circonstances particulières.

5.4. Louppy-le-Château : une nouvelle polarité

  • 210 C. Kraemer, « De l’enclos ecclésial… », op. cit. La première mention de Loupeio Castro dans le cart (...)

67Connu jusqu’au début du xiiie siècle sous le nom de Louppy-le-Grand, comme partie la plus importante de l’ancienne paroisse mère, d’où naissent les annexes aux noms suggestifs de Louppy-le-Petit et Villotte, Louppy devient Louppy-le-Château vers 1250, à la suite de l’érection d’une forteresse prévue pour renforcer le système défensif du comté et répondre aux menaces champenoises, comme Passavant-en-Argonne que Thibaut IV vient d’achever210. Le château de Louppy, construit sur une légère éminence dominant la Chée, a progressivement entraîné la réorganisation de la paroisse en provoquant le déplacement du vieux village – Sainte-Anne, au lieu-dit la Vieille-Ville – et des hameaux qui en dépendaient pour concentrer l’habitat dans ce qui allait devenir le bourg castral, noyau d’une nouvelle polarité locale. L’abbaye n’entretient avec Louppy et son seigneur que des relations de voisinage, plus ou moins émaillées de conflits d’usages en forêt, jusqu’à ce que la guerre de Cent Ans vienne bouleverser la vie rurale en généralisant l’insécurité. C’est ce qui amène Raoul, seigneur de Louppy, à offrir aux moines, en mai 1372, la possibilité d’y faire un refuge, comme il l’explique longuement dans sa charte :

  • 211 Cart. II, p. 687.

Comme depuis longtems molt de guerres, pestilances, tribulations et persécutions ayent été souventes fois, sont encore de jour en jour, et en aventure de être en tems à venir, se par la grace et puissance de Dieu, il n’y est mis remède en plusieurs et divers lieux, régions et contrées, especialement ès pays et mottes [?] de Loheraine, tant pour les faits et causes des seigneurs temporels qui, aucune fois se sont guerroïés, comme pour ce que esdits pays sont plusieurs fois venus et longuement demoisrés anglois, navarois, bretons, gens de compaingnes et autres pour tomber, piller, gaster, espillier, destruire et dommager de leurs povoirs lesdits pays, le peuple et habitans d’iceux ; duquel peuple et habitans et de leurs pertes et dommages, avons eu souvente fois pitié et compassion ; et pour ce que entre les autres habitans esdits pays, avons veu les religieux abbé et couvent de l’abbaye et monastère de Lisle en Barrois de l’ordre de Cisteaux en diocese de Toul, qui sont gens de bonne vie et honnête conversation, et qui benignement, devotement et sainctement, servent et louent Dieu et font les services diligemment et bien en leur église à toute heure, la prière desquels envers Dieu peut molt profiter et valoir aux corps et âmes de ceux pour qui ils prient, lesquels sont de la fondation de nos predecesseurs et de nous en la plus grande partie, qui, pour les guerres, tribulations et pestilences desusdites, ont été souventes fois molt fort dommaigés de leurs biens et chevances et leurs corps en perils d’être pris et emprisonnés, ou de pis avoir, pour ce qu’ils n’avoient aucune maison, haibergement ou lieu fort près de leurdite église, où bonnement ne aisément pussent retraire, mettre et haiberger leurs corps et biens, et pour obvier et eschevir aux perils dessus touchiés, savoir faisons que nous, considérant les choses dessus dites, desirant de tout notre coeur les pourveoir en telle maniere qu’ils soient et demeurent plus appaisiés et sans doute de leurs corps et chevances, pour cause et parmi ce aussy qu’ils nous ont promis et juré, pour eux et leurs successeurs abbé et couvent dudit monastère de Lisle, de faire et célébrer en leur église, chacun an à toujours, notre anniversaire […] leur avons donné et par ces présentes lettres donnons une maison malchauciée estable et haubergement, tout ainsy que elle se comporte, seante en baaile de notre chastel de Louppy près la porte devers la ville, entre la ruelle qui est en allant de ladite porte à la tour dudit baaile devers la rivière d’une part, et la maison que on dit la maison du Pressoir d’autre part, pour icelle maison, malchaucié et haubergement dessusdits, tenir et posseder par lesdits abbé et couvent et leurs successeurs, à toujours perpetuellement211.

  • 212 Cart. II, p. 690.
  • 213 Cart. II, p. 691.
  • 214 Cart. II, p. 692.
  • 215 Cart. II, p. 694.
  • 216 Cart. II, p. 720 : « pour la commodité de leur maison, scise en la basse-cour du château de Louppi, (...)
  • 217 Voir, à ce sujet, C. Wissenberg, « L’espace monastique de l’abbaye de Vaux-la-Douce : une singulari (...)

68Le même seigneur ajoute un meix en 1388, situé « devant le bourt d[u] chastel » pour l’usage du refuge212. Désormais bien installée dans le bourg castral, des échanges sont opérés pour optimiser la gestion des propriétés, comme en 1404213. À la manière d’une grange deux siècles plus tôt, le refuge de Lisle s’est agrandi. Pierresson de Condé, demeurant audit Louppy, donne aux moines, en mai 1461, une maison et deux granges en la Grand Rue de la basse-cour, avec quarante-sept journaux de terres et huit fauchées de prés, répartis sur tout le finage214. Sept ans plus tard, Gérard de Haraucourt, chevalier et seigneur de Louppy, autorise encore l’abbaye à construire une nouvelle maison au-dessus d’une vieille étable, contre la muraille (23 septembre 1468)215. Temporaire pour des raisons de sécurité, l’implantation au château de Louppy est donc devenue permanente, profitant du marché local de surcroît et des opportunités de rentes immobilières. Les conflits des xvie et xviie siècles ont bien entendu conforté les moines dans la nécessité de conserver leur refuge, qu’ils ne cessent d’améliorer : en 1584 encore, ils demandent au duc de Bar la faculté de tirer de l’eau de l’étang ducal de la Barre pour alimenter, sauf par temps de sécheresse, un vivier à construire intra-muros, ce qui leur est accordé moyennant redevance annuelle216. L’expérience répétée des troubles fait du refuge de Louppy une sorte de petit Lisle, dont l’avantage principal est d’être rapidement joignable (6 km). On peut rapprocher ce cas de figure de celui de Coiffy (Haute-Marne), sur la frontière d’Empire aussi, qui connaît une évolution similaire à l’initiative du comte de Champagne : la paroisse primitive de Coiffy, renommée « la-Ville », est scindée pour donner lieu à l’annexe de Coiffy-le-Châtel après érection du château et du nouveau village vers 1250. De la même manière, l’abbaye cistercienne de Vaux-la-Douce, située à moins de 6 km, saisit alors l’opportunité de construire un refuge dans les murs du bourg castral217.

5.5. Un territoire à construire

  • 218 Cart. II, p. 1047 ; Franche-Saulx, auj. les Franches Soles, au finage du Vieil-Dampierre, dép. Marn (...)

69Même si des donations, parfois importantes, sont faites à différentes époques, comme en 1466, date à laquelle Jean de Nancy, seigneur entre autres de Laimont, paroisse proche, fait don à l’abbaye de Lisle « fournie de grand nombre de religieux », en échange de bienfaits spirituels, de son domaine forestier de Franche Saulx comprenant 164 arpents de bois, trois étangs et six fauchées de pré218, le temps de la constitution du temporel est révolu, mais pas celui des restructurations foncières. En l’espace d’un siècle, de 1487 à 1588, quarante-huit actes de ventes, achats et échanges sont produits – soit un acte tous les deux ans – dans le but d’organiser patiemment et méthodiquement le remembrement des parcelles éparses, en particulier à proximité de l’abbaye sur les finages de Villotte-devant-Louppy, Louppy-le-Château, Louppy-le-Petit et Condé-en-Barrois. Ce que l’abbaye a vraisemblablement engagé beaucoup plus tôt est reporté de facto en temps de paix, et c’est ce qui s’est produit à la fin de la guerre de Cent Ans, d’autant que les campagnes sont alors exsangues et qu’il ne doit pas être difficile de trouver vendeur. Ainsi, une quantité de parcelles de terres et prés, dont les moines étaient déjà riverains, ont été rachetées, mais ces biens se trouvaient en dehors du finage de Lisle et le sont restés, car les limites territoriales étaient désormais bien fixées, même si de nombreuses tentatives d’usurpations, mises au jour par les conflits de voisinage, ont tenté de les modifier dans les siècles suivants.

  • 219 Cart. II, p. 941. Pour la localisation des règlements d’usages et des lieux cités, voir la figure 3
  • 220 Cart. II, p. 958.
  • 221 Cart. II, p. 593.
  • 222 Cart. II, p. 620.
  • 223 Cart. II, p. 11.
  • 224 Cart. II, p. 918.
  • 225 Cart. II, p. 932.
  • 226 Cart. II, p. 1005.

70À partir du xive siècle, chaque période de troubles apporte son lot de remises en cause des limites et des droits en raison de fréquentes usurpations, mais aussi simplement d’oubli, faute de mémoire vive, de pratique et d’usages, les populations étant décimées et les territoires à l’abandon. Il est souvent nécessaire de réaffirmer les droits de pâturages respectifs à l’issue de querelles très localisées, donnant lieu à de nouveaux traités de bornages. Aucune des limites du territoire de Lisle-en-Barrois n’y échappe. Autour du site abbatial, des transactions sont passées à plusieurs reprises jusqu’à la guerre de Trente Ans : au contact de Villotte en 1507 et 1610, de Rembercourt dès 1327 puis 1559, et de Vaubecourt (terre de Beaulieu) en 1321, 1490 et 1634. À Villotte, les habitants se contentent de leur aire habituelle de pâturage en forêt de Lisle, c’est-à-dire jusqu’à Lamermont et son ancienne tuilerie, mais sans jamais franchir l’Aisne, et en temps de vaine pâture seulement. Clause intéressante, les moines imposent l’interdiction de parcours jusqu’au terme des baux de terres arables qui s’y trouvent et la prolonge même de manière que ces terres retournent à la friche et que les premiers arbres puissent repousser, « de telle nature qu’ils soient en deffense contre toutes bêtes ». En contrepartie, ils s’engagent à ne pratiquer de coupe audit bois pâturé que sur le tiers de sa surface de sept ans en sept ans, réservant les deux autres tiers aux habitants, à qui ils promettent d’aménager un chemin d’accès afin de canaliser le déplacement du bétail219. En 1610, l’accord est repris et l’aire concernée précisée220. Côté Rembercourt, le principe est à peu près le même : en 1327, les forestiers de l’abbaye ayant saisi du bétail des paysans dans les bois de Lisle en défens, les droits de chacun sont rappelés et une sentence arbitrale prononcée, délimitant la vaine pâture commune sur le ban de Lisle jusqu’à la Melche, depuis la fontaine des Merchines jusqu’aux murs de l’abbaye, sans la franchir, et sur celui de Rembercourt jusqu’aux meix, soit la ceinture des jardins, par réciprocité221. Mêmes causes, mêmes effets en 1559 : les dispositions sont confirmées et assorties d’une concession de voie permettant aux pâtres de transiter par le bois des Merchines pour atteindre les bans de Vaubecourt et Riaucourt, « lequel chemin les bêtes de ladite communauté passeront et seront menées et conduites toujours en chassant et sans arrêter pour entrer audit Trou de Reaucourt pour vain patures et au tems de versaines seulement222 ». Au nord, en raison de l’antériorité du comté de Beaulieu, les usages des habitants de Vaubecourt sont plus anciens et sont réaffirmés à chaque fois en 1321223, en 1490224 et en 1634225, leur autorisant la vaine pâture à travers les bois de Lisle dans toute la rive droite de l’Aisne, à l’exception des prés Hondru et Thibaut Varenne restés en défens. Vers l’ouest, en revanche, les habitants des Charmontois, villeneuves du xiiie siècle, sont déboutés de leurs revendications concernant les pâturages sur les terres d’Yvraumont en 1523226. Finalement, d’une manière générale et à l’encontre des idées reçues, on constate que la vaine pâture est accordée aux communautés rurales environnantes sur la quasi-totalité du territoire abbatial de Lisle, puisque les seules restrictions émises ne concernent que certains espaces en défens – Thibaut Varenne, Hondru, bois de la Charpentière et du Champ Midi ? – et surtout la saison autorisée, soit le temps de jachère ou versaine.

  • 227 Cart. II, p. 1008.
  • 228 Cart. II, p. 151.
  • 229 À l’emplacement de l’église actuelle d’après N. Cazin, « Lisle-en-Barrois… », op. cit., p. 63.
  • 230 Cart. I, p. 46.

71Par ces accords, régulièrement renouvelés, chacun a une connaissance pratique des territoires riverains ainsi parcourus. Mais que représente réellement le territoire de Lisle au début du xviie siècle ? L’agglomération des anciens territoires paroissiaux d’Hattonmesnil, Lamermont et Vaudoncourt formait-elle la paroisse de Lisle-en-Barrois (Mierche) ou bien relevaient-elles encore symboliquement du diocèse de Châlons ? Le pouillé de 1405 ne les mentionne pas, mais on sait que c’est l’évêque de Châlons qui autorise l’érection d’une chapelle à la grange d’Yvraumont en 1478227, et que l’un de ses successeurs permet encore à Beaulieu d’amodier sa part de Villers-Bois-Japin en 1568228. On ignore quand ce ressort a cessé, mais parallèlement, à Lisle même, on constate que la chapelle Saint-Christophe229, érigée à cent mètres au nord-ouest de l’église abbatiale pour la communauté d’habitants qui résident dans les fermes (anciennement châlonnaises) et le hameau qui a fini par se constituer à côté de l’abbaye, reçoit par autorisation pontificale (Paul V) des fonts baptismaux en 1607230. Il faut donc en conclure que la paroisse est effective à cette date et qu’elle regroupe toute la population résidant sur ledit territoire. C’est donc très vraisemblablement vers la fin du xvie siècle que la paroisse de Lisle s’étend à tout le territoire abbatial. Ses limites semblent fixées définitivement, sauf à hauteur de Villers-Cerisiers, dont le sort reste incertain.

  • 231 Voir ici « 3.3. Lamermont-Villers, le point d’achoppement ».
  • 232 Cart. I, p. 573.

72En dépit de la donation de la chapelle avec sa dot au titre de l’église mère de Lamermont, cédée à Lisle en 1170, l’abbaye de Beaulieu est restée bien présente à Villers. La discorde entre les deux établissements voisins au sujet de leurs héritages imbriqués est ancienne231. En 1339 déjà, un accord est passé visant à y mettre un terme dans un délai d’un an232. Mais le différend n’est toujours pas éteint en 1566 quand deux arpenteurs sont mandatés par Beaulieu pour mesurer les 213 arpents constitués de :

  • 233 Cart. II, p. 147.

bois, terres, prez, maisons, jardins et autres héritages de la cense de Bois Jappin, dépendant et appartenant à l’abbaye de Beaulieu, selon les fossés et les ruisseaux et la rivière d’Esre [Aisne] qu’est du côté du midi ; et des autres côtés circuités des tours de la Thieulerie de Lamermont et bois du Neuf Juré qui est du côté derrière ; et de la partie d’occident des prez, terres et bois Richard jusqu’au Voix [Voy] Pissot, et d’autre part qu’est de la partie du septentrion, le Vieil Juré, le tout [autour] dépendant de l’abbaye de Lisle en Barrois233.

  • 234 Cart. II, p. 154.
  • 235 Cart. II, p. 154.
  • 236 Cart. II, p. 159.
  • 237 Cart. II, p. 162.

73Beaulieu prépare alors l’amodiation du Bois-Japin, qui est signée le 11 février 1569, après avoir été autorisée quatre mois plus tôt par l’évêque de Châlons « au diocèse duquel sont assis lesdits héritages234 », en faveur de Joachim Aubert, seigneur de Lislet, à charge de remettre les friches en nature de labours et « d’employer mille ou quinze cens livres tournois pour le moins à la commodité pour faire et bâtir sur lesdites terres les maisons et édifices à ce convenables235 », « les maisons, granges et estables, où de présent font leur demeurance les censiers ; lesquels bâtimens sont fort caduques et ménacent ruine prochaine » (9 mai 1570)236. Les moines et Adam Aubert, fils et successeur de feu Joachim Aubert, procèdent en janvier 1577 à un nouvel abornement entre l’ancienne cense – en friches et bois – et la nouvelle, défrichée au cours du bail de sept ans révolu237. Si les baux sont menés à leur terme, le second fils du premier preneur Joachim Aubert doit acquérir le domaine entier, puisqu’un acte du 11 avril 1609 fait savoir qu’il a vendu le 5 février précédent à l’abbaye de Lisle :

  • 238 Cart. II, p. 166.

la cense du Bois Jappin, scise et scituée sur la jurisdiction et terres de l’abbaye de Beaulieu en Argonne ; consistant ladite cense en maison, estables, granges, jardins, chanvières, terres arrables, prez, bois et estangs, le tout faisant la quantité de quatre cens treize arpens ou environ238.

  • 239 Cart. II, p. 169.
  • 240 Cart. II, p. 174.
  • 241 Lisle reçoit plusieurs biens à Jubécourt au début du xive siècle, notamment en 1316, où Hauwys de G (...)
  • 242 Cart. II, p. 182.
  • 243 Cart. II, p. 191.

74Cette vente est effective au 2 janvier 1610 pour la somme de 5 250 livres tournois239, mais comporte une faculté de rachat par l’abbaye de Beaulieu, qui continue à percevoir d’importants droits sur le domaine. Cette situation entraîne de nouvelles tractations entre les deux abbayes qui aboutissent à un accord en 1619240 : en contrepartie desdits droits du Bois-Japin, Lisle a dû céder son domaine de Jubécourt241. L’échange, intervenu en 1620 après plusieurs estimations des biens respectifs242, entérine la possession pleine et entière de [Villers-Cerisiers-] Bois-Japin par l’abbaye de Lisle, qui n’a pas attendu la validation finale car elle l’aliène par contrat de bail dès janvier 1615243.

  • 244 Cart. II, p. 356.
  • 245 Cart. I, p. 161-208.
  • 246 M. Pelletier, Les cartes de Cassini. La science au service de l’État et des régions, Paris, 2002, p (...)

75Ce n’est donc qu’à partir de 1620 que Villers-aux-Cerises, divisé depuis 1170, est à nouveau réuni dans la cense du Bois Japin et intègre définitivement le territoire et la paroisse de l’abbaye de Lisle-en-Barrois. Les limites, qui forment la commune en 1790, ne sont plus modifiées. Comme aux Merchines, une nouvelle ferme voit le jour dans une clairière de reprise de défrichement (?) au xvie siècle : le Cheminel, au nord-ouest, en aval de l’étang des Brauzes, mentionnée en 1563 à l’occasion d’un bail (cf. fig. 3)244, avec sa tuilerie, sa halle et son fourneau, dont le partage des menses du 9 mai 1695245 dit qu’elle doit fabriquer 15 000 tuiles par an, sans doute en remplacement de la vieille tuilerie qui jouxtait Lamermont auparavant. Quant à l’éphémère ferme de la Barbotte, proche du Bois-Japin en amont, elle n’est pas citée dans le cartulaire, ce qui conduit à penser qu’elle a été érigée au cours de la première moitié du xviiie siècle seulement, car elle est nommément représentée sur la carte de Cassini, dont la feuille Toul, éditée sous le numéro 111 en 1759, a été levée à partir de 1756246.

  • 247 Bois Lecomte, cf. É. de Barthélemy, Diocèse ancien…, op. cit., p. 221 (article « Riaucourt »).

76En 1790, le territoire de Lisle devient communal, consécutivement à la suppression de l’abbaye et à la vente des Biens nationaux. Terres et bâtiments ont été dépecés et vendus aux enchères, comme partout ailleurs, sauf la forêt, ressource principale, intégralement passée à l’État. Toutefois, il ne faut pas se méprendre sur l’ampleur de la forêt domaniale actuelle, totalisant 2 900 ha en trois parties que sépare l’Aisne. En fait, seules les surfaces comprises dans le territoire communal de Lisle ont appartenu à l’abbaye, soit 1 650 ha. À l’extérieur, les bois de Bellenoue et Boudart (770 ha), situés sur la commune de Sommeilles, provenaient en fait de Montiers-en-Argonne, tandis que les bois d’Arcy-Fays, Lecomte et de Dame-Barbe (480 ha), situés sur les communes de Triaucourt et Vaubecourt, relevaient eux de Beaulieu, avant que les bénédictins n’en cèdent une part au comte de Bar Édouard en 1312, d’où son nom247. Sur la base de la loi du 23 août 1790, l’administration des eaux et forêts décide d’associer ces bois parce qu’ils sont tous de première origine – ecclésiastique et princière –, jointifs et d’étendue respective supérieure à cent arpents (cinquante ha). C’est parce que la part la plus importante venait de Lisle que l’ensemble prend le nom de l’abbaye. La commune de Lisle-en-Barrois a ainsi cultivé le paradoxe de ne pas disposer de bois communal, alors que son vaste territoire était couvert de forêts à hauteur de 60 % à la fin de l’Ancien Régime – contre 65 % aujourd’hui. À la suite de son abandon définitif au xixe siècle, la forêt reprend finalement possession du Bois-Japin, sans toutefois que la commune en bénéficie, puisque les quelque 135 ha sont particuliers, ce qui entraîne la fermeture de la vallée de l’Aisne entre Lamermont et Yvraumont, après au moins sept siècles d’exploitation monastique.

6. Conclusion

  • 248 A. Longnon, Pouillés de la province de Trèves, op. cit., p. 315.
  • 249 H. Lepage, Pouillé du diocèse de Toul rédigé en 1402, Nancy, 1863, p. 87.
  • 250 A. Schmitt, « La vente des Biens… », op. cit., p. 153. L’auteur rappelle que le produit de ses 9 00 (...)

77Lisle-en-Barrois a été une abbaye de taille moyenne au regard de son temporel. Mais ses six granges – excepté la grange abbatiale – et ses différents domaines viticoles, salicoles et urbains, auxquels il faut ajouter tous les autres revenus de type seigneurial, lui ont conféré une certaine aisance, pour ne pas dire plus. Le pouillé du diocèse de Toul, établi en 1402, la range parmi les établissements les plus taxés pour la valeur de leur bénéfice, redevance fixée à 300 livres comme d’ailleurs Écurey ; seules la prémontrée de Mureau (350 livres), les Vaux-en-Ornois (400 livres) et les vieilles abbayes bénédictines vosgiennes de Senones (400 livres) et de Moyenmoutier (450 livres) étaient au-dessus. À titre de comparaison, dans le même diocèse, les taxes dont les cisterciens de Clairlieu, Haute-Seille et Beaupré devaient s’acquitter n’étaient que de quelques dizaines de livres248. Plus encore, son revenu atteint 15 000 livres à la même date, contre 10 000 à Senones et seulement 4 800 aux Vaux-en-Ornois. Lisle disposait donc, et de loin, du revenu le plus élevé de tout le diocèse de Toul249, en grande partie grâce à la forêt250. Certes, l’histoire d’une abbaye ne se résume pas à son revenu, mais il reste malgré tout une valeur indicative.

  • 251 Comme ce fut le cas pour Quincy et Vaux-la-Douce (C. Wissenberg, « L’abbaye de Quincy… », op. cit. (...)

78L’édition des actes du xiie siècle par Jean-Pol Évrard a mis à la disposition des chercheurs et du public en général un ensemble important de données. Mais leur exploitation impose avant toute chose, sans négliger les aspects prosopographiques, une révision critique du matériel toponymique afin de lui donner une assise spatiale solide, faute de quoi l’analyse du temporel ne peut aboutir. À son tour, le cas de Lisle-en-Barrois a montré la nécessité d’emprunter à la géographie historique une méthode essentiellement basée sur le dialogue permanent entre contenu des actes, milieu et documentation cartographique. Trop peu suivie habituellement, cette démarche a pourtant abouti à la résorption quasi complète de lieux que l’édition présente comme non identifiés, ainsi que le cas échéant à de nouvelles datations d’actes251. Ensuite, la période d’investigation doit être étendue à l’ensemble du xiiie siècle, et même au-delà, afin de saisir les différentes étapes de la constitution du temporel et d’en dégager les structures. Car enfin, esquisser ce qui peut encore en être perçu à partir des seuls actes du xiie siècle revient à rester au milieu du gué, tant l’évolution des décennies suivantes accuse de radicales et significatives inflexions. Au-delà encore, la prise en compte des actes modernes, dont l’utilité en termes d’identification des noms de lieux n’est plus à démontrer – le fonds de Lisle le prouve parmi d’autres –, revient finalement à traiter la totalité des deux volumes du cartulaire. Ainsi, replacer les données spatiales des actes au cœur de la problématique a permis de proposer une relecture de plusieurs thématiques de l’histoire temporelle de Lisle, possiblement communes à d’autres abbayes cisterciennes. Parmi celles-ci :

  • le rôle des établissements monastiques en présence dans le développement du réseau de granges, qu’il s’agisse des opportunités proposées par les cisterciens de Montiers, dont l’antériorité a clairement préparé le terrain et l’itinéraire servi de modèle, ou des contraintes imposées par les bénédictins de Beaulieu, dont les dispositions initiales pourtant a priori confraternelles et accueillantes sont rapidement devenues méfiantes et conflictuelles ;

  • l’institution épiscopale ensuite, qui a encadré et couvert le processus d’implantation jusqu’au dehors du Verdunois (transfert de site), où ses abbayes-« relais » comme Saint-Maur étaient possessionnées ;

  • les conditions de la dévitalisation du peuplement, qui ont permis de relire et de relativiser les rapports entre possession d’églises et désertions d’habitats, tout en mettant en évidence leur impact sur la trame paroissiale et en précisant des limites diocésaines, jusque-là bien mal connues, parce que longtemps soumises à l’inertie du corps ecclésiastique séculier ;

  • la mise en perspective de la création et de l’organisation de la villeneuve de Deuxnouds dans l’évolution des usages cisterciens et le contexte tant local que global ;

  • et, enfin, la constitution d’un dossier qui dévoile une facette inconnue de l’histoire de l’abbaye relative à la grange d’Haraucourt et à son approvisionnement en sel lorrain, marquant un peu plus encore son ancrage, à l’instar de ses consœurs, dans l’économie globale du xiiie siècle.

79D’autres axes de recherche et angles d’approche sont espérés à l’avenir afin d’approfondir l’histoire de l’abbaye. En dépit d’un fonds d’archives originales décimé, Lisle-en-Barrois est désormais mieux connue et il est à souhaiter que son cartulaire, aussi riche que volumineux, suscite de nouvelles recherches et de nouveaux regards.

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Notes

1 Sur la filiation, les affiliations et l’expansion de l’abbaye de Morimond, voir M. Parisse, « Morimond européenne : de l’Èbre à l’Elbe », Les cahiers haut-marnais, 196-199 (1994), p. 1-15 ; Unanimité et diversité cisterciennes. Filiations, réseaux, relectures du xiie au xviie siècle, Saint-Étienne, 2000, en particulier les articles de R. Locatelli, « Les cisterciens dans l’espace français : filiations et réseaux », p. 51-85 et M. Parisse, « La formation de la branche de Morimond », p. 87-101 ; G. Viard (éd.), L’abbaye cistercienne de Morimond. Histoire et rayonnement, Langres, 2005, en particulier la partie 3. L’ensemble a été repris plus récemment par H. Flammarion, Recueil des chartes de l’abbaye de Morimond au xiie siècle, Turnhout, 2014, p. 413-424 en particulier.

2 L. Milis, L’ordre des chanoines réguliers d’Arrouaise. Son histoire et son organisation de la fondation de l’abbaye-mère (vers 1090) à la fin des chapitres annuels, Bruges, 1969.

3 J. Lusse, « Les limites dans les chartes de l’abbaye de Montiers-en-Argonne : les moines accapareurs de terres et la désertion des villages (xiie-xiiie siècles) », Nouvelle revue d’onomastique, 31-32 (1998), p. 223-240 ; Id., « Les abbés de Montiers-en-Argonne aux xiie et xiiie siècles. Les apports d’une liste abbatiale quasi inédite », in P. Corbet et J. Lusse (éd.), Ex animo. Mélanges d’histoire médiévale offerts à Michel Bur, Langres, 2009, p. 139-174 ; Id., « Les débuts de l’abbaye de Montiers-en-Argonne (1134-1206) », Mémoires de la Société d’agriculture, commerce, sciences et arts de la Marne, 127 (2012), p. 41-65.

4 J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p. 48.

5 N. Robinet, Pouillé du diocèse de Verdun, t. 3, Verdun, 1904, p. 707.

6 Sur l’itinéraire d’Eugène III, voir P. Aubé, Saint Bernard de Clairvaux, Paris, 2003, p. 547 sq. Pour reprendre les propos de Didier Méhu, « la recherche d’un consécrateur de renom a sans doute incité nombre de prélats à solliciter le pape qui séjournait dans la région pour consacrer leur lieu de culte, même si la construction de celui-ci n’était qu’à peine ébauchée. Les itinéraires tortueux de la plupart des voyages pontificaux ne sont pas sans rapport avec de telles sollicitations, qui montrent par ailleurs que les voyages n’étaient pas totalement planifiés à l’avance », cf. « Réflexions pour une analyse structurelle du voyage pontifical aux xie et xiie siècles », in Des sociétés en mouvement. Migrations et mobilité au Moyen Âge, Paris, 2010, p. 267-281.

7 J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle-en-Barrois. Origines, histoire et chartes (1143-1226), Turnhout, 2021. Avant cette édition, Lisle-en-Barrois n’avait suscité aucune étude spécifique à l’exception de l’article de N. Cazin, « L’abbaye cistercienne de Lisle-en-Barrois, 1151-1790 », Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc [désormais abrégé SLSABD], 1996, p. 29-72 et A. Schmitt, « La vente des Biens Nationaux à Lisle-en-Barrois », Mémoires de la SLSABD, 1908, p. 147-160. Le cartulaire de Lisle est conservé à Bar-le-Duc, aux Archives départementales de la Meuse sous la cote 18 H 1, en deux tomes [désormais abrégé Cart. I et Cart. II].

8 Les volumes départementaux édités du Dictionnaire topographique de la France sont accessibles en ligne via Gallica [https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&collapsing=disabled&rk=85837;2&query=dc.relation all "cb37326793g" sortby dc.title/sort.ascending].

9 À l’occasion de l’inventaire des sites cisterciens de Champagne-Ardenne, l’exploitation des plans de forêts de l’abbaye de Trois-Fontaines a permis de retrouver la localisation exacte de l’ancienne grange de la Houssière en 2015, cf. C. Wissenberg, Inventaire des sites cisterciens de Champagne-Ardenne, Service régional de l’Inventaire, Châlons-en-Champagne, 2017, « Abbaye de Trois-Fontaines », éd. en ligne [https://inventaire-chalons.grandest.fr/gertrude-diffusion/].

10 Villers-sur-Aisne ou Villers-sur-Cerisiers ou Villers-aux-Cerises, voir ici « 3.3. Lamermont-Villers, le point d’achoppement ».

11 À propos de Sarney, la confusion est ancienne. On en trouve trace dans les différentes éditions commentées de la délimitation du comté de Verdun au xie siècle [édition tirée de J. Mabillon, Librorum de re diplomatica, Supplementum, Paris, 1704, p. 100-101], notamment celle d’Auguste Longnon dans son introduction à l’édition du pouillé du diocèse de Verdun en 1902 [Pouillés de la province de Trèves, 1915, chap. 4, « Diocèse de Verdun », p. 349 sq.]. Celui-ci, ignorant manifestement l’existence de cet autre Sarney, a cru bon de réfuter la version de Félix Liénard [Dictionnaire topographique du département de la Meuse, Paris, 1872, p. xiii-xiv], d’une part en reportant cette limite plus au sud (venant de Longchamp) sur le Sarney de Vavincourt en territoire leuque, via Erisia, assimilé sans raison à Érize-la-Brûlée, et, d’autre part, en n’admettant pas que Fontem Tres puisse désigner la fameuse fontaine dite des Trois-Évêques au motif que la forme aurait dû donner Trois-Fontaines, alors que l’abbaye du même nom est toujours désignée par Tres Fontes [A. Longnon, Dictionnaire topographique du département de la Marne, Paris, 1891, p. 274] ou monasterium Trium Fontium [A. Longnon, Pouillés de la province de Reims, Paris, 1908, chap. 4, « Diocèse de Châlons-sur-Marne », p. 147 et 173]. Or ad fontem Sarnidum, précédant immédiatement ad fontem Tres, désignent bien le Sarney disparu de Rembercourt au ban duquel ces sources étaient toutes deux situées. Auquel cas, Erisium doit donc logiquement renvoyer à Érize-la-Grande, paroisse frontière du Verdunois, ce qu’avait d’ailleurs bien compris l’abbé Clouët [Histoire de Verdun et du pays verdunois, Verdun, t. 1, 1867, p. 337-340, qui rappelle que le texte était altéré voire effacé ponctuellement) auquel pourtant ledit Sarney avait aussi échappé, le voyant plutôt sur Pretz-en-Argonne au lieu-dit et à la source de la Sarée, ce qui semble peu probable tant du point de vue étymologique que géographique, car obligeant à un retour en arrière dans l’ordre de l’énoncé.

12 Espace boisé de la commune de Lisle-en-Barrois : 58 % de la superficie totale avant la réalisation du cadastre contre 65 % de nos jours.

13 Contrairement à Montiers-en-Argonne (Archives départementales [désormais abrégé AD] de la Marne, 20 H 15) et surtout Trois-Fontaines (nombreux plans, en particulier dans AD de la Marne, 22 H 95).

14 Voir ici « 3.2. Le pôle barrois (Hattonmesnil) » et la figure 3.

15 Voir ici « 3.3. Lamermont-Villers, le point d’achoppement », « 5.5. Un territoire à construire » et la figure 3.

16 On ne sait pas si le boisement des 116 ha de l’ancienne clairière a été l’objet d’une opération sylvicole ou d’un reboisement naturel par simple abandon, mais, à la date de réalisation de la planche B1 du cadastre de la commune de Lisle, terminée le 16 octobre 1833, l’ancienne clairière est indiquée comme bois particulier.

17 Cette carte résulte d’une « rétroprojection » hypothétique du ressort des paroisses sur la base des données de la fin du Moyen Âge (pouillés), davantage échafaudée sur les nominations de cures que sur la perception de dîmes. Sans en ignorer les écueils, mais sans se l’interdire pour autant (sur ce point, voir par exemple S. Leturcq, « De l’usage de la méthode régressive en Histoire médiévale », Ménestrel, 2012, en ligne [http://www.menestrel.fr/?De-l-usage-de-la-methode-regressive-en-Histoire-medievale&lang=fr]), cette démarche s’inscrit sous couvert de l’achèvement contemporain de la territorialisation des paroisses et de la restitution de chaque lien de dépendance mentionné par les sources (ou déduit) pour ladite période, paroisse par paroisse (à propos de la territorialisation, voir « La paroisse, genèse d’une forme territoriale », Médiévales, 49 (2005), en particulier M. Lauwers, « Paroisse, paroissiens et territoire. Remarques sur parochia dans les textes latins du Moyen Âge », p. 11-32) et aussi l’importante synthèse, consacrée à l’évolution de la perception et de la construction des territoires tant ecclésiastiques que séculiers, par M. Lauwers et L. Ripart, « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval », in J.-P. Genêt (dir.), Rome et l’État moderne européen, Rome, 2007, p. 115-171, ainsi qu’à ses renvois bibliographiques fournis. Il a été bien évidemment tenu compte de la double chronologie des transferts des droits de nomination et de la fondation des établissements bénéficiaires. Ainsi, dans le cas d’une cession postérieure (au milieu du siècle) à un tiers notamment régulier, ce droit a été légitimement réattribué au clergé séculier donateur (évêque, archidiacre ou doyen) par principe, eu égard aux effets de la réforme grégorienne, aucune mention de détenteur laïque n’ayant émergé des sources consultées. De surcroît, toutes les anciennes paroisses, connues pour avoir été postérieurement abandonnées, scindées ou restructurées, ont été réintroduites dans leur préalable état supposé. Enfin, si les nouveaux territoires engendrés par les créations de villeneuves plus tardives n’ont pas été retirés de ce maillage, la maîtrise de leur espace en revanche a été systématiquement affectée à l’établissement (cofondateur). La méthode est sans doute perfectible, la marge d’erreur non négligeable et certains résultats restent hypothétiques, mais l’image globale n’en demeure pas moins fidèle aux données archivistiques et bibliographiques recensées et a le mérite de refléter un état hautement probable.

18 Sur l’incertitude des limites et les usurpations de ressort épiscopal, cf. F. Mazel, L’évêque et le territoire, Paris, 2016.

19 Sur la question des politiques épiscopales, voir B.-M. Tock, « Peut-on étudier la politique des évêques de Thérouanne grâce à leurs chartes ? », in G. Combalbert et C. Senséby, Les évêques en leur monde : réseaux, communautés, influences, xe-xiiie siècle, 2023, en ligne [https://univoak.eu/islandora/object/islandora:169057]. L’auteur pose les premiers jalons d’une relecture critique de la dimension politique de la fonction épiscopale et tente de faire la part entre faits attestés, déductions et spéculations, entre mécanismes passifs et actions volontaristes des évêques. Dans la présente étude sur le temporel de Lisle, la mention d’un évêque ou d’un archidiacre en tant que protagoniste (auteur, donateur ou témoin) sera entendue a minima comme un signe d’approbation de la transaction dont témoigne l’acte, donc a fortiori comme une expression de son action politique, sans toutefois préjuger de l’ampleur de son implication réelle comme de ses convictions.

20 J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p. 44, qui rappelle et révise les principales informations concernant la fondation de Lisle-en-Barrois.

21 J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle…, op. cit., p. 45 et carte p. 47.

22 Afin de dépasser l’argumentation traditionnelle sur les usages cisterciens, sans la remettre en cause pour autant, on renverra à la riche mise au point de Cécile Caby : « Comme un poisson dans l’eau… Propositum vitae et lieux de vie monastique (xie-xiiie siècle) », in M. Lauwers (éd.), Monastères et espace social. Genèse et transformation d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, 2014, p. 111-146.

23 Suivant l’avis de l’éditeur, on a écarté l’acte 18, suspect, au titre d’une justification du choix du lieu de sépulture ; cf. J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle…, op. cit., acte n° 18 [année 1162]. Le renvoi à l’édition des actes se fera désormais sous la forme « Évrard, 00 [année] ».

24 Évrard, 1.

25 Les exemples de changement de site après la fondation sont très nombreux, aussi bien dans les abbayes cisterciennes de moines (Quincy, Les Écharlis, Reigny, Le Reclus, Beaulieu, Saint-Sulpice-en-Bugey, Barbery, Villeneuve, etc.) que de moniales (Saint-Jacques de Vitry, Les Isles, Marcilly, La Cour Notre-Dame, etc.). Sur ce point, voir aussi pour les abbayes germaniques : H. Niedermaier, « Klostertranslationen bei den Zistersiensern », in Cîteaux. Commentarii Cistercienses, t. 24, 1973, p. 31-52.

26 Évrard, 4. Cet acte ne figure pas au cartulaire de Lisle, mais dans celui de Saint-Maur (AD de la Meuse, 40 H 21, t. 2, n° 55, p. 505). On peut imaginer qu’après l’abandon de la localité d’Hattonmesnil et sa substitution par Yvraumont, l’acte perd de sa valeur et devient caduc lorsque l’abbesse ramène la redevance à quelques deniers trente ans plus tard (Évrard, 35) et le couvent monnaie un accord valant désistement définitif sur son ancien domaine en mai 1245 (Cart. II, p. 1001-1004) ; voir ici « 3.2. Le pôle barrois (Hattonmesnil et Yvraumont) ».

27 Le cens annuel, dont les chanoines ont à s’acquitter à la saint Jean-Baptiste, s’élève à vingt sous. Bien supérieure à la plupart des redevances enregistrées ailleurs, cette somme importante est à la mesure du bien cédé, à savoir la totalité de l’alleu (forêt, terres, prés), les droits d’usages et les deux tiers des dîmes.

28 Dès le milieu du xie siècle, d’après Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. 2, Nancy, 1748 (2e éd.), bulle de Léon IX en 1049 (preuves, col. 280) ; la localisation des domaines de Saint-Maur de Verdun met clairement en évidence l’éloignement et surtout l’isolement d’Hattonmesnil.

29 Comme toutes les abbayes bénédictines, les moniales de Saint-Maur disposent de communautés paysannes serves pour l’exploitation de ses domaines.

30 Gallia christiana, t. 13, Paris, 1785, col. 1314 ; acte non repris par J.-P. Évrard.

31 Évrard, 6 et 7.

32 J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p. 47 ; É. de Barthélemy, Diocèse ancien de Châlons-sur-Marne, histoire et monuments, t. 2, Paris, 1861, p. 421-437 [« Cartulaire de l’abbaye de Monstiers-en-Argonne », éd. abrégée du cartulaire de 1533, AD de la Marme, 20 H 1], en particulier l’acte n° 1, p. 421-422.

33 Évrard, 17 [1162] et 10 [1153-1154].

34 Évrard, 20.

35 Qui ne figurent plus dans la bulle d’Alexandre III en 1164, sauf l’autel toujours cité : Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 9905, fol. 10 et lat. 10946, fol. 3v°. Lamermont a été en effet aliénée par étapes : la grange tout d’abord ; l’alleu ensuite, cédé par des seigneurs locaux en 1166 avec celui de Courcelles (ou Corcelles, voir ici « 3.3 Lamermont-Villers, le point d’achoppement ») ; l’autel enfin, que l’on voit deux ans plus tard figurer au temporel de Lisle et confirmé par le pape Alexandre III (Évrard, 24). La donation de l’autel de Lamermont par les moines de Montiers ne sera toutefois entérinée par l’évêque de Châlons qu’en 1170, soucieux de ses prérogatives.

36 Contrairement à ce qu’affirme J. Lusse (« L’implantation monastique dans la région de Revigny, xiie-xiiie siècles », in P. Martin et N. Cazin (dir.), SLSABD, 2011, p. 30), Lisle n’a pas pris ce nom à l’occasion du changement de site, elle le portait dès 1143, avec ou sans complément supra Agra, cf. Dom Calmet, Histoire…, op. cit., col. 50 (preuves).

37 Selon l’expression de Michel Bur dans « La Frontière entre la Champagne et la Lorraine du milieu du xe à la fin du xiie siècle », Francia, 4 (1976), p. 237-254, rééd. dans M. Bur, La Champagne médiévale. Recueil d’articles, Langres, 2005, p. 155. Voir aussi la figure 2.

38 M. Bur, « Recherches sur la frontière dans la région mosane aux xiie et xiiie siècles », in Actes du 103e Congrès national des sociétés savantes (Nancy-Metz, 1977), Paris, 1979, rééd. dans M. Bur, La Champagne…, ibid., p. 171.

39 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté de Bar des Origines au Traité de Bruges (vers 950-1301) », Mémoires de la SLSABD, 43 (1918-1921), p. 73.

40 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 130.

41 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 135.

42 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 188.

43 Albert Pichot d’après Laurent de Liège, cf. M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 211 ; voir aussi Dom Calmet, Histoire…, op. cit., t. 2, col. 58. Voir aussi Clouët, Histoire de Verdun…, op. cit., t. 2, 1868, p. 305.

44 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », op. cit., p. 271.

45 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », ibid., p. 365.

46 J. Lusse, « Peuplement et mise en valeur du pays de Beaulieu au Moyen Âge », SLSABD, 2004, p. 73-102, en part. p. 94.

47 Par exemple Villers-aux-Cerises et Merchette/Melche, vers 1168-1170, au lieu de 1154 (Évrard, 11). Voir, sur cette datation, la note 60.

48 Par exemple celle de Deuxnouds, vers 1163-1167 (Évrard, 23).

49 À Vaudoncourt (Évrard, 8), Hattonmesnil (Évrard, 39) et Courcelles-sur-Aire (Évrard, 54).

50 De quoi pondérer la thématique trop systématique des « accapareurs de terres » formulée à de nombreuses reprises par J. Lusse.

51 En particulier B. Chauvin qui a fait le tour de la question dans « La possession d’églises par les abbayes cisterciennes du duché de Bourgogne au Moyen Âge : catalogue critique de documents et directions de recherche », in Actes du 109e Congrès national des sociétés savantes (Dijon, 1984), Paris, 1985, p. 559-595.

52 La donation d’un autel par l’évêque peut être aussi l’acte déclencheur de l’implantation d’une grange.

53 Évrard, 53 et 54.

54 B. Chauvin, « La possession d’églises… », op. cit., p. 559.

55 J.-P. Ravaux dans G. Clause (dir.), Le diocèse de Châlons, Paris, 1989, p. 9.

56 A. Longnon, Pouillés de la province de Reims, op. cit., p. 162-164.

57 A. Longnon, Pouillés de la province de Trèves, op. cit., p. 310-311.

58 Cart. II, p. 1008.

59 Sur ce point, voir F. Mazel, L’évêque…, op. cit., p. 284 notamment.

60 La datation « vers 1154 » par J.-P. Évrard (acte n° 11) est impossible, car l’auteur de l’acte affirme que Lisle possède les autels de Vaudoncourt et Lamermont, or ce dernier n’a été cédé par Montiers que vers 1168 (cité dans la bulle d’Alexandre III, cf. Évrard, 24) et l’acte a été entériné par l’évêque en 1170 (cf. Évrard, 26) ; le report proposé ici à 1168-1170 s’accorde parfaitement avec les dates connues de Robert, archidiacre vers 1153 et jusqu’en 1174-1175.

61 J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle…, op. cit., p. 112, n. 3. Afin de localiser les noms de lieux qui suivent, voir la figure 4 pour les villages voisins et la figure 3 pour la microtoponymie locale.

62 J. Lusse, « L’implantation monastique… », op. cit., p. 35.

63 F. Liénard, Dictionnaire topographique…, op. cit., p. 148.

64 Melche dérive semble-t-il de Merche, comme Boulbonne (abbaye cistercienne) de Bourbonne. Il n’est pas impossible de voir dans Merche une francisation de Mersch/Merk (pour Mark) désignant la marche ou la limite, notamment de diocèse, qu’aurait alors matérialisée la Melche, sachant que la strate germanique du haut Moyen Âge a été particulièrement intense vers Beaulieu, comme le rapporte Jackie Lusse en s’appuyant sur les travaux de Wolfgang Haubrichs, cf. J. Lusse, « Peuplement et mise en valeur… », op. cit., p. 79.

65 Louppy-le-Petit (auj. Louppy-sur-Chée) entre 1565 et 1588 (Cart. II, p. 816, 818 et 31) ; Condé-en-Barrois en 1506 et 1560 (Cart. II, p. 786 et 673) ; Rembercourt-aux-Pots après 1255 et encore en 1333 (Cart. II, p. 661, 659, 660 et 662).

66 Cart. II, p. 668, avec la précision importante « sous les murs de l’abbaye ».

67 « ruixel de Marchette » près de l’abbaye, sur le finage de Villotte (Cart. II, p. 782-783).

68 Cart. II, p. 848.

69 Peut y être ajoutée la forme Marchotte, qui désigne la confluence de la Melche et la Chée, en aval de Louppy-le-Petit.

70 Notamment le mur et ses contreforts du xiiie siècle de ce qui a pu être l’hôtellerie médiévale (?), les claveaux d’ogives et de doubleaux épars, et bien entendu les reconstructions du xviiie siècle, etc.

71 « Carte topographique des batimens et dependances de l’abbaye de l’Isle en Barrois, pour l’intelligence du raport de l’etat des dits batimens, dont la visitte en a été faite par M. Baligand, ingénieur du Roy en exécution de l’arrêt du Conseil Royal des finances et commerce du 24 février 1748 », reproduit dans A. Schmitt, « La vente des Biens… », op. cit., planche hors texte. Cette reproduction est tirée d’une copie moderne (AD de la Meuse, 18 H 2).

72 Merchines serait un diminutif pour « petites Melche », le pluriel renvoyant aux deux sources de la Melche, l’une « officielle » au sud, l’autre au nord, en Vau le Moine.

73 Cart. II, p. 1055.

74 Avec faculté de rachat, à Vincent de Génicourt, « escuyer, conseiller d’Estat de son Altesse et président de Barrois », le 3 avril 1596, cité dans l’acte de revente à l’abbaye par sa veuve le 30 décembre 1619 (Cart. II, p. 1053). Cette vente participe des investissements réalisés par la bourgeoisie parlementaire en quête d’affirmation de leur puissance terrienne et financière ; voir, sur ce point, J. Chiffre, « Granges et villages nouveaux en Bourgogne aux xvie et xviie siècles. Le rôle des abbayes dans la transformation du paysage rural », Revue géographique de l’Est, 22 (1982), p. 183-197.

75 Voir le dossier diplomatique de Lisle-Saint-Mihiel dans J.-P. Évrard, L’abbaye de Lisle…, op. cit., p. 89 et Évrard, 69 sqq.

76 B. Chauvin, « La possession d’églises… », op. cit., p. 578.

77 Sur l’histoire du peuplement, voir J. Lusse, « Peuplement et mise en valeur… », op. cit., p. 73-102.

78 Sur la formation des territoires et le morcellement de l’ancienne paroisse mère de Louppy, voir C. Kraemer, « De l’enclos ecclésial au bourg castral : l’exemple de Louppy-le-Château », SLSABD, 1996, p. 5-28, en part. p. 8-10.

79 Bellefontaine, com. de Brabant-le-Roi ; Vieux-Monthiers, anc. com. d’Auzécourt ; Gros-Terme, com. de Laimont ; on pourra ajouter les fondations des cisterciennes de Sainte-Hoïlde et des « écoliers » de Dieu-s’en-Souvienne, dont l’impact spatial est toutefois resté limité.

80 Date retenue finalement par J.-P. Évrard, mais qui n’est pas connue avec certitude. De nombreuses divergences demeurent dans la bibliographie comme le montrent les hypothèses suivantes : 1140 pour L. Milis (cité par J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p. 47, n. 25) et E. Mikkers (« Isle-en-Barrois », in Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 26, Paris, 1997, col. 258) ; vers 1140 pour C.-P. Joignon (Aux confins du Barrois et du Verdunois, Rembercourt-aux-Pots (Meuse), Bar-le-Duc, 1938, p. 309) et N. Robinet, (Pouillé du diocèse de Verdun, t. 2, Verdun, 1898, p. 743) ; début 1144 pour J. Lusse (« Les débuts… », op. cit., p. 47, n. 25) après avoir opté pour la prudente fourchette 1140-1143 (« Les abbés de Montiers-en-Argonne… », op. cit., p. 151) ; aux environs de 1144 pour M. Grosdidier de Matons (« Le Comté… », op. cit., p. 605) et pour F. Liénard qui a dissocié la fondation des Anglecourt en 1144 en tant que « prieuré dépendant de l’abb. de Lisle-en-Barrois » (sic) (Dictionnaire topographique…, op. cit., p. 6) de celle de l’abbaye cistercienne en 1151 (ibid., p. 130), sans évoquer le couvent de chanoines réguliers.

81 Enthousiasme mesuré du réseau de donateurs potentiels et/ou effet de possibles troubles internes ?

82 Évrard, 6 à 8.

83 Sarney était un finage particulier relevant de Rembercourt, situé à proximité de la fontaine des Trois-Évêques, comme le prouvent les actes de septembre 1252 : « in finagio de Sarney juxta Reimbercort » (Cart. II, p. 836), de 1357 : « en la ville de Raimbelcourt ad pot sur les deymes et terrages que on dit dou ban de Sarnay » (Cart. II, p. 844), du 15 avril 1385 : « Sarney et Haudaulieu près Rembercourt aux Pots » (Cart. I, p. 600) ou encore du 1er septembre 1451 : « un ban appellé le ban de Sarney, joignant et contigu au ban de Rambercourt » (Cart. I, p. 610).

84 Évrard, 32, 37 et 38.

85 La planche A8 du cadastre de Courcelles-sur-Aire représente un domaine d’un seul tenant, d’une superficie de près de 220 ha, auxquels il faut ajouter les prés de rive droite de l’Aire, portés à la planche B10.

86 Cart. II, p. 409 et 410.

87 Évrard, 23.

88 Évrard, 24.

89 Évrard, 30 ; l’emploi en 1175 du terme horreum renvoie à un statut intermédiaire et temporaire dans la constitution de la grange, désignant des bâtiments déjà fonctionnels avant l’officialisation du statut de grangia, une fois acquise la maîtrise juridique du bien-fonds dégrevé des charges. Le cas a déjà été observé à l’abbaye de Quincy (Yonne), cf. C. Wissenberg, « L’abbaye de Quincy et ses granges », Annales de Bourgogne, 82/1-2 (2011), p. 37-114.

90 Lieu-dit à cheval sur Deuxnouds (cadastre B4) et Seraucourt (cadastre B4).

91 Évrard, 41.

92 Évrard, 43.

93 Évrard, 66.

94 Cart. II, p. 508.

95 Évrard, 46 ; auj. bois communal.

96 Évrard, 97.

97 Cart. II, p. 506.

98 Cart. II, p. 506. Le bois Dahaie s’étend aujourd’hui sur Saint-André-en-Barrois et Heippes, mais au xiiie siècle il débordait aussi sur Deuxnouds, donnant les bois du Fays et Lacour, ancien bois de la grange stricto sensu.

99 Cart. II, p. 429.

100 Voir ici « 5. La villeneuve de Deuxnouds ».

101 En janvier 1292 (v. st.) par exemple, Renaudin de Seraucourt, écuyer, donne à l’abbaye de Lisle tout ce qu’il possédait à Seraucourt, Beauzée, Rignaucourt et Amblaincourt « et ens finages et ens parochages desdites villes », soit au total 116 journaux de terres, 22 fauchées de prés et 6 mesnies, avec pour seule raison évoquée « les biensfaits que il a receu de ladite maison de Lisle et attens a recevoir » (Cart. II, p. 894). Ses deux frères cadets, Colin et Perrinet dit Malgarni, se dessaisissent à leur tour en février 1294 (v. st.) d’une part du même héritage paternel, à savoir 60 journaux de terres et 9 fauchées de prés au seul finage de Seraucourt, « pour Deu en aumosne, pour le remeide de lor armes, des armes a lor antecessors et de lor bienfaitors, et meiment pour les grands biens et profis que il on eus et receus desdits abbei et couvent » (Cart. II, p. 900). Même si feu Geoffroy de Seraucourt, chevalier, avait eu maille à partir en 1262-1264 avec l’abbaye, qui avait engagé une procédure contre lui pour refus du paiement de la dîme (Cart. II, p. 885 et 887), les aumônes paraissent disproportionnées. Un nouvel acte du même Perrinet dit Malgarni, daté de décembre 1294 cette fois, apporte une précision importante dans la motivation de sa libéralité qu’il dit effectuer « pour Deu en aumosne, pour le remede des armes de son peire, de sa meire, de ses antecessors et de ses bienfaitors, et pour les grands biens que il at eus et receus et attens encore a avoir et a recevoir a sa vie, desdits abbei et couvent, et en nom de restitution, le ban et la justice haute et basse de Seraucourt, dou finage et des appartenances, la maison, la grange, la court, le jardin, le four, le manoir et le clous [clos], tout entierement ainsy comme messire Joffrois ses peires devant dis li tins, qui sient en ladite ville de Seraucourt […] » (Cart. II, p. 896). Cette série de donations pourrait bien n’être qu’un jeu de cession reprise de fief à peine dissimulé, sans qu’il soit possible d’aller plus loin.

102 Cart. II, p. 478.

103 Voir ici « 2.2. Changement de site : vers Lisle II ».

104 Évrard, 25.

105 Évrard, 34.

106 Évrard, 35.

107 Évrard, 36.

108 Évrard, 39.

109 Évrard, 40 et 42.

110 Évrard, 43.

111 Cart. II, p. 1001.

112 Cart. II, p. 1002 à 1004.

113 Évrard, 94 : « ante domum de Evraumontis ». Pour tous les noms de lieux qui suivent, voir les figures 3 et 4.

114 Prairie en rive gauche, aval de la vieille Aisne, en limite des Charmontois, vendue par Beaulieu pour trente livres ; Cart. II, p. 349.

115 Cart. II, p. 669.

116 Gallia christiana, t. 10, Paris, 1751, instr. col. 167-168 ; J. Lusse, « Les débuts… », op. cit., p. 43 ; Évrard, 4 (n. 4) ; aucun des auteurs n’a tenté de localiser cette délimitation, à laquelle les dictionnaires topographiques de la Meuse et de la Marne se sont bien gardés de faire référence.

117 Wambais, par son suffixe hydronymique germanique (Bach), pourrait renvoyer au ruisseau de la Teinchotte, sorti de la fontaine de Sommeilles, tombant bientôt (comme le sens de cadere peut le signifier) dans (le) Gelestre, alors identifiable au Gignauru, ce qui correspondrait de surcroît à la limite communale actuelle. Je remercie Jean-Luc Benoît pour cette hypothèse intéressante.

118 J. Lusse, « L’implantation monastique… », op. cit., p. 33.

119 Évrard, 92.

120 Évrard, 6 et 7.

121 Évrard, 8.

122 Évrard, 24.

123 Évrard, 43.

124 Évrard, 47 à 49.

125 Évrard, 18.

126 Évrard, 22.

127 AD de la Marne, 20 H 1, cartulaire de 1533, acte n° 1, édité dans É. de Barthélemy, Diocèse ancien…, op. cit., p. 421.

128 Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 9905, fol. xlviii et lat. 10946, fol. 1.

129 Évrard, 24.

130 Évrard, 26.

131 Évrard, 11.

132 Évrard, 47.

133 Évrard, 48.

134 Corcelles, plutôt que Courcelles, qui n’a rien à voir avec Courcelles-sur-Aire. Pour tous ces lieux, voir la figure 3.

135 Évrard, 49.

136 À l’occasion d’un bail d’une partie des terres du Bois Japin en 1569, est citée « la cense et gaignage communément appellé le bois Jappin et qui d’ancien s’appelloit Villers aux Cerisiers », Cart. II, p. 154.

137 Évrard, 63. L’édition indique par erreur Rignaucourt, mais il s’agit bien des habitants de Riaucourt, dont dépend alors Vaubecourt. C’est la même chose pour Corcelles, sans rapport avec Courcelles-sur-Aire une nouvelle fois.

138 Évrard, 86.

139 Cart. II, p. 349, 1010, 1011 et 637.

140 Cart. II, p. 1010 : « quadam pecunie summa triginta scilicet librarum ».

141 On ne sait s’il s’agit d’un lapsus pour Lamermont ou pour chapelle.

142 Tel que reporté sur la figure 3.

143 A. Girardot, « Frontière, libertés et servitude dans le pays de Beaulieu au xiiie siècle », SLSABD, 2004, p. 51-72, en part. p. 70 (n. 90).

144 Le texte du « cartulaire de 1767 est souvent fautif », comme le rappelle Benoît-Michel Tock dans son compte rendu de l’édition des actes de Lisle-en-Barrois, voire en ligne [https://journals.ub.uni-heidelberg.de/index.php/frrec/article/view/89144/83831]. Novam clocherii pose problème. Non seulement clocherium est très rare (une seule attestation dans Chartae Galliae avant 1250), mais il manque aussi un substantif féminin qui aille avec novam, comme villam par exemple, qui aurait donné novam villam clocherii. Mais qu’a bien pu recopier et/ou omettre le cartulariste ? L’éventualité d’une nouvelle borne (« novam metam ») dans la suite de l’énumération peut être aussi envisagée (J.-L. Benoît). La question reste d’autant plus ouverte que le fonds de l’abbaye de Beaulieu (AD de la Meuse, 3 H 1-3), décimé, n’est d’aucun secours. Cette réflexion procède d’un stimulant échange avec B.-M. Tock. Qu’il en soit ici remercié.

145 Au sujet des principes fondateurs de l’économie cistercienne, se reporter pour les synthèses les plus récentes à M. Lauwers (éd.), Labeur, production et économie monastique dans l’Occident médiéval, de la Règle de saint Benoît aux cisterciens, Turnhout, 2021, et en particulier à M. Lauwers, « Le monachisme comme entreprise agricole ? Subsistance et rapports de production dans les monastères de l’Occident médiéval », p. 249-282 et C. Caby, « Les cisterciens aux champs : une controverse monastique du xiie siècle », p. 377-402.

146 Cart. II, p. 562 ; le ban de Tarincourt est situé au finage d’Érize-la-Grande, le long de l’Ezrule, cadastre A6, lieu-dit « Aux Varnettes » ; voir sur ce point la notice d’E. Collot dans le bulletin de la SLSABD de juin 1904, p. lxx-lxxi.

147 Cart. II, p. 562.

148 Cart. I, p. 573.

149 Cart. II, p. 1096 et 1097.

150 Évrard, 31.

151 La localisation exacte de la grange n’est plus connue aujourd’hui, mais on admet, avec J.-P. Évrard qu’elle devait se situer sur l’actuelle côte Sainte-Catherine, à la limite de Bar et de Behonne, approximativement en lieu et place des installations sportives du lycée. Le bois de Morsolles était juste à côté (Bar, cadastre B4 et B1 ; Behonne, cadastre C3).

152 Cart. II, p. 131.

153 Cart. II, p. 669.

154 Cart. II, p. 76.

155 Cart. II, p. 667.

156 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », op. cit., p. 185.

157 AD de la Marne, 22 H 103-104.

158 Évrard, 107.

159 Cart. II, p. 74 ; en Chauffour, cadastre C4 ; val de Combles, cadastre E4 (Bar-le-Duc).

160 Cart. II, p. 75.

161 Cart. II, p. 76. Thonnance-lès-Joinville et Suzannecourt (dép. Haute-Marne) : villages situés à 2,5 km à l’est de Joinville, dans l’ancien diocèse de Châlons-sur-Marne [auj. Châlons-en-Champagne].

162 Cart. II, p. 77.

163 Cart. I, p. 351 (janvier 1391) ; Cart. II, p. 84 (mai 1408).

164 AD de la Meuse, 16 H 10.

165 AD de la Marne, 20 H 70.

166 Cart. II, p. 205-206 et 570.

167 Cart. II, p. 207.

168 Évrard, 43.

169 Cart. II, p. 1069.

170 Évrard, 45. Citain : membre du patriciat dans les cités de Metz, Toul et Verdun.

171 Évrard, 43, bulle de Lucius III (décembre 1182). Scy-Chazelles et Rozérieulles (dép. Moselle) : villages situés à 4 et 6 km à l’ouest de Metz.

172 Évrard, 85.

173 Évrard, 33. Conflans-en-Jarnisy (dép. Meurthe-et-Moselle) : au diocèse de Verdun à mi-chemin de Metz ; Dommartin-la-Chaussée et Hagéville (dép. Meurthe-et-Moselle) : villages de la Woëvre, au diocèse de Metz, à 25 km au sud-est.

174 Sur la question plus générale des péages et des exemptions, on consultera avec intérêt B.-M. Tock, « Les actes d’exemption de péage. Les cas de l’abbaye de Vaucelles et des seigneurs de Coucy », in I. Fees et A. Meyer (dir.), Archiv für Diplomatik, Schriftgeschichte, Siegel- und Wappenkunde, t. 63, Cologne/Weimar/Vienne, 2017, p. 115-164.

175 Évrard, A13, d’après le fonds de l’abbaye de Cherlieu, AD de Haute-Saône, H 293.

176 Évrard, A12 ; l’éditeur propose aussi dans le même acte Récourt (n. 4), mais sans aucune précision. D’après ses archives, Hauteseille n’a pas été possessionnée à Arracourt (dép. Meurthe-et-Moselle, à 15 km au nord de Lunéville).

177 AD de l’Aube, 3 H 9*, chap. « Marsal », p. 243 sqq., § 6 (1183), 38 (1253), 41 (1254), en particulier Récourt (Haute- et Basse-) : fermes, commune de Lezey (dép. Moselle), à 2 km au sud de Marsal.

178 Ibid., § 3 (1195).

179 L’éloignement est invoqué dans l’acte de vente de 1315, vidimé en 1737, AD de Meurthe-et-Moselle, H 610 : « considera a nobis locorum distancia inter predictum nostrum monasterium et grangiam nostram de Reycuria ante Marsallum Mettensis diocesis, cuius grangia fructus et proventus absque maxima difficultate immensis que laboribus et compensis nostro monasterio predicto neque subvenire, volentes ipsam grangiam nostram cum ceteris nostris bonis omnibus et singulis in dicto confinio per venditionem perpetuam in aliam hereditatem nostro monasterio predicto utiliorem transmutare ».

180 AD de Meurthe-et-Moselle, H 543, « grangiam de Hormengis » en 1181-1182, bulle du pape Lucius III.

181 H. Meinert, Papsturkunden in Frankreich, t. 1 (Champagne und Lothringen), Berlin, 1933, n° 46, p. 234 ; bulle du pape Eugène III, 1147 et fonds de Haute-Seille, AD de Meurthe-et-Moselle, H 543/1 et 2 (inventaire des titres).

182 H. Lepage, Les communes de la Meurthe. Journal historique des villes, bourgs, villages, hameaux et censés de ce département, t. 2, Nancy, 1853, p. 255, article « Ormange ». Haraucourt-sur-Seille (dép. Moselle) : à 1 km au nord de Marsal.

183 La forme en complément du nom comme Rôocourt-la-Côte ne peut pas être retenue.

184 L’absence d’autre référence archivistique n’est pas exceptionnelle et se répète pour les fonds de Saint-Benoît-en-Woëvre, Châtillon, Lachalade, Clairlieu, Montiers-en-Argonne et Bithaine, abbayes pourtant toutes présentes en Saulnois aux xiie et xiiie siècles.

185 Autre argument en faveur d’Haraucourt-sur-Seille : Saint-Benoît-en-Woëvre, abbaye mère de Lisle, que celle-ci a dû suivre, comme Morimond a entraîné La Crête à Moyenvic, était implantée à Marsal. Or, à en croire les salines royales au xviiie siècle, les salines étaient situées en bordure nord-ouest du bourg, en limite du ban d’Haraucourt, village distant d’à peine quelques centaines de mètres en rive droite de la Seille. La grange acquise devait donc être au plus près des chaudières.

186 Voir, à ce sujet, C. Higounet, Défrichements et villeneuves du Bassin Parisien (xie-xive siècles), Paris, 1990.

187 A. Girardot, « Frontière… », op. cit., p. 72.

188 Sur les granges et villeneuves de Saint-Benoît-en-Woëvre, voir A. Girardot, « Genèse et topographie d’un village neuf au xiiie siècle : Lahaymeix », Annales de l’Est, 1993, p. 3-16.

189 M. Grosdidier de Matons, « Le Comté… », op. cit., p. 609.

190 A. Girardot, « Lahaymeix… », op. cit., p. 8. On pourra rapprocher aussi ce cas de la villeneuve que Fontenay fonde à Lavilleneuve-les-Convers, cf. B. Chauvin, « La possession d’églises… », op. cit., p. 586. Lahaymeix (dép. Meuse) : à 11 km au nord-ouest de Saint-Mihiel.

191 Voir ici « 3.1. Le pôle verdunois » et la figure 5.

192 Cart. II, p. 669.

193 Cart. II, p. 574.

194 Cart. II, p. 888.

195 Cart. II, p. 886 et 887.

196 Cart. II, p. 894.

197 Cart. II, p. 900.

198 Cart. II, p. 429.

199 La version de 1298 (Cart. II, p. 442) mentionne « sept vins arpens de bois », il est donc probable que la copie de 1277 soit lacunaire et qu’il s’agisse plutôt de « [six] vingt arpents », en tenant compte des augmentations constatées.

200 Cart. II, p. 872 : « de grangia sua in archidiaconatu et patronatu nostro sita que Duonodi vulgariter appellatur, fecerint novam villam [...] in villa que jam dudum edificata est ».

201 Henri III a échangé, en décembre 1298, trente-six livrées de terres qu’il tenait aux finages de Deuxnouds et Seraucourt et au bois Landelut, qui étaient à feu Geoffroy de Seraucourt son vassal, contre 103 arpents de bois, 300 soldées de terres et une rente de six livres que Lisle possédait à Étain et Longeville depuis que le bailli d’Étain les lui avait donnés par l’intermédiaire du comte (Cart. II, p. 478).

202 Cart. II, p. 478, décembre 1298 (v. st.).

203 Le moine archiviste précise en marge qu’il s’agit du « bois autre fois nommé remi ha [Rémiat] et aujourd’hui connu sous le nom du bois dit le bois de la Cour », ce qui est inexact puisque les bois Rémiat et Lacour sont bien distincts l’un de l’autre et n’ont jamais été confondus (voir la figure 5).

204 Cart. II, p. 869.

205 Cart. II, p. 477.

206 « ou autre part sur la rivière d’Ayre se nous voulons », c’est-à-dire à l’extrémité occidentale du territoire, là où l’ancien alleu de Menoncourt atteignait l’Aire et l’outrepassait même au nord de Beauzée, et où se situait un moulin à eau avec ses infrastructures (bief) sous l’Ancien Régime, puis une papeterie au xixe siècle et, pour finir, une scierie au xxe siècle.

207 Sur la mutation seigneuriale des abbayes cisterciennes, on consultera avec profit la mise au point sans concession de D. Panfili, « Les convers cisterciens : frères ou serfs ? Du discours à la pratique sociale (vers 1130-vers 1230) », in M. Lauwers, Labeur, production…, op. cit., p. 403-456.

208 Cart. II, p. 1072.

209 Cart. II, p. 75.

210 C. Kraemer, « De l’enclos ecclésial… », op. cit. La première mention de Loupeio Castro dans le cartulaire de Lisle-en-Barrois remonte à 1264 (Cart. II, p. 886).

211 Cart. II, p. 687.

212 Cart. II, p. 690.

213 Cart. II, p. 691.

214 Cart. II, p. 692.

215 Cart. II, p. 694.

216 Cart. II, p. 720 : « pour la commodité de leur maison, scise en la basse-cour du château de Louppi, ils desireroient d’y faire un vivier pour conserver et garder du poisson pour la nourriture desdits religieux, principalement en tems de guerres où ils sont contraints se retirer, lequel vivier se pourroit commodément faire en un jardin à eux appartenant audit Loupy pourveu qu’il leur fut permis de prendre de l’eau à l’étang de la Barre appartenant à son altesse pour conduire audit vivier ; duquel étang l’eau se perd pour être continuellement trop plein ».

217 Voir, à ce sujet, C. Wissenberg, « L’espace monastique de l’abbaye de Vaux-la-Douce : une singularité dans l’histoire cistercienne française », Revue Mabillon, 33 (2022), p. 73-115, en particulier p. 98-99.

218 Cart. II, p. 1047 ; Franche-Saulx, auj. les Franches Soles, au finage du Vieil-Dampierre, dép. Marne.

219 Cart. II, p. 941. Pour la localisation des règlements d’usages et des lieux cités, voir la figure 3.

220 Cart. II, p. 958.

221 Cart. II, p. 593.

222 Cart. II, p. 620.

223 Cart. II, p. 11.

224 Cart. II, p. 918.

225 Cart. II, p. 932.

226 Cart. II, p. 1005.

227 Cart. II, p. 1008.

228 Cart. II, p. 151.

229 À l’emplacement de l’église actuelle d’après N. Cazin, « Lisle-en-Barrois… », op. cit., p. 63.

230 Cart. I, p. 46.

231 Voir ici « 3.3. Lamermont-Villers, le point d’achoppement ».

232 Cart. I, p. 573.

233 Cart. II, p. 147.

234 Cart. II, p. 154.

235 Cart. II, p. 154.

236 Cart. II, p. 159.

237 Cart. II, p. 162.

238 Cart. II, p. 166.

239 Cart. II, p. 169.

240 Cart. II, p. 174.

241 Lisle reçoit plusieurs biens à Jubécourt au début du xive siècle, notamment en 1316, où Hauwys de Guinancourt, sœur de Guillaume, moine de Lisle, achète à des particuliers du lieu une maison avec grange et dépendances pour en donner les revenus à son frère sa vie durant, puis le tout à l’abbaye après sa mort (Cart. II, p. 591) ; les moines possédaient la seigneurie et la justice de Jubécourt dès avant le milieu du xve siècle (Cart. II, p. 595).

242 Cart. II, p. 182.

243 Cart. II, p. 191.

244 Cart. II, p. 356.

245 Cart. I, p. 161-208.

246 M. Pelletier, Les cartes de Cassini. La science au service de l’État et des régions, Paris, 2002, p. 262.

247 Bois Lecomte, cf. É. de Barthélemy, Diocèse ancien…, op. cit., p. 221 (article « Riaucourt »).

248 A. Longnon, Pouillés de la province de Trèves, op. cit., p. 315.

249 H. Lepage, Pouillé du diocèse de Toul rédigé en 1402, Nancy, 1863, p. 87.

250 A. Schmitt, « La vente des Biens… », op. cit., p. 153. L’auteur rappelle que le produit de ses 9 000 arpents de bois atteignait 15 000 livres à la Révolution, d’après AD de la Meuse, Q 1384.

251 Comme ce fut le cas pour Quincy et Vaux-la-Douce (C. Wissenberg, « L’abbaye de Quincy… », op. cit. et Id., « L’espace monastique… », op. cit.), ainsi que pour une bonne partie des abbayes champenoises (C. Wissenberg, Inventaire des sites cisterciens…, op. cit.), dont Beaulieu (C. Wissenberg, « Le temporel de l’abbaye de Beaulieu (Haute-Marne) aux xiie et xiiie siècles », à paraître).

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Titre Fig. 1 – La maîtrise des paroisses vers 1150 (C. Wissenberg, 2023)17.
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Titre Fig. 4 – Le temporel de Lisle-en-Barrois aux xiie et xiiie siècles (C. Wissenberg, 2023).
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Pour citer cet article

Référence électronique

Christophe Wissenberg, « L’abbaye de Lisle-en-Barrois (Meuse) : opportunités et contraintes spatiales d’un temporel cistercien frontalier »Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], 28.1 | 2024, mis en ligne le 19 juillet 2024, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cem/20672 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/123jg

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Auteur

Christophe Wissenberg

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