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Prix de la Fondation Marc de Montalembert

Inji Efflatoun entre le pinceau et la plume : « L’exposition de la révolutionnaire »

Inji Efflatoun between brush and pen: “The exhibition of the revolutionary”
Nadine Atallah

Résumés

La première exposition personnelle d’Inji Efflatoun (1924-1989) eut lieu à la galerie ADAM, au Caire, en mars 1952. Figure de premier plan de l’art moderne en Égypte, Efflatoun se distingua par sa double carrière de peintre et de militante marxiste, féministe et anticolonialiste. Alors qu’elle poursuivait en parallèle sa formation artistique, elle organisa son exposition dans un contexte historique brûlant : la guerre de Suez, qui annonçait la révolution du mois de juillet et l’accélération du combat pour l’indépendance nationale. L’étude des œuvres d’Efflatoun, qui dénoncent les ravages du colonialisme sur les populations les plus défavorisées, en particulier les femmes des campagnes, permet de mettre au jour des stratégies discursives développées par l’artiste pour diffuser ses opinions. En observant les allers et retours entre sa peinture et ses écrits, il est possible d’appréhender l’exposition de mars 1952 comme un manifeste pour un art engagé auprès de la société de son temps.

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Notes de l’auteur

Cet article a été rédigé dans le cadre du prix Marc-de-Montalembert 2023. Il constitue une étape dans la préparation d’un ouvrage monographique consacré à Inji Efflatoun. Une source primordiale pour ce travail sont les archives d’Inji Efflatoun dont j’ai accompagné le versement à l’Institut français d’archéologie orientale (Ifao) au Caire en 2018.

Texte intégral

  • 1 Salah Hafez, « En peignant vrai Ingi Eflatoun a révolutionné l’art en Égypte », Actualités, 26 mars (...)
  • 2 Le nom de la galerie est parfois écrit A.D.A.M. dans des sources de l’époque, suggérant qu’il pourr (...)

1« De tous les tableaux exposés par Inji Efflatoun, on peut tirer cette phrase : “Je suis révoltée !” Si les tableaux d’Inji avaient dit d’elle : “Je suis une artiste”, comme pour tant d’autres, son exposition aurait échoué, comme celles de tant d’autres1 ! » Par ces mots, le journaliste Salah Hafez introduit une critique enthousiaste de la première exposition personnelle de la peintresse égyptienne Inji Efflatoun (1924-1989), qui se tint du 1er au 11 mars 1952 à la galerie ADAM2, dans le centre-ville du Caire. Pointant certes les accents radicaux du travail de l’artiste, alors âgée de vingt-sept ans et qui s’affirmait déjà comme une figure des cercles communistes et féministes égyptiens, ses propos questionnent plus largement le rôle de l’art en Égypte. En 1952, année révolutionnaire, l’exposition d’Efflatoun reflétait l’urgence de faire converger les luttes pour l’indépendance culturelle et nationale.

  • 3 Sur le groupe Art et Liberté, voir notamment Sam Bardaouil, Surrealism in Egypt: Modernism and the (...)
  • 4 Inji Efflatoun, Mudhakirat Inji Efflatoun. Min al-tufula ila al-sign [Mémoires d’Inji Efflatoun. De (...)
  • 5 Pour une approche globale des activités politiques d’Efflatoun en Égypte et à l’international au co (...)
  • 6 I. Efflatoun, Thamanun miliyon imraʾa maʿana [Quatre-vingts millions de femmes avec nous], Le Caire (...)
  • 7 I. Efflatoun, Al-salam wal-gala’ [La Paix et l’évacuation], Le Caire, Imprimerie Fouad Ahmed Helmi, (...)

2Issue de l’aristocratie d’ascendance ottomane, fille de propriétaire terrien élevée dans un environnement européanisé et francophone, Efflatoun posa dès l’adolescence un regard critique sur son milieu d’origine. Amorçant ce qu’elle définit elle-même comme un processus « d’égyptianisation », elle se lança dans l’apprentissage de la langue arabe tout en poursuivant des études au lycée français du Caire, où elle découvrit le marxisme et les outils intellectuels qui lui permirent, peu à peu, de prendre conscience et de s’ériger contre les injustices frappant ses compatriotes majoritairement défavorisés. En parallèle, avec le soutien de son professeur particulier de peinture, le peintre Kamel el-Telmissany, elle participa dès les années 1940 aux expositions du groupe surréaliste antifasciste Art et Liberté3 auprès duquel elle apprit très tôt que la peinture pouvait constituer un mode d’action politique. « Mais tout cela ne me suffisait pas… Ou plus précisément, ne me suffisait plus4 », explique celle qui mit alors ses activités artistiques en pause pendant trois ans pour se dédier au militantisme5. Elle accompagna son action d’écrits, tenant une colonne dans le journal Al-Misri et publiant dans une langue arabe qu’elle ne maîtrisait pas pleinement deux livres féministes (1948, 19496) ainsi qu’un plaidoyer pacifiste et anticolonialiste en pleine guerre froide (19507).

  • 8 Actuelle rue Talaat Harb, dans le centre-ville du Caire.
  • 9 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121-122.

3C’est en 1948 qu’elle décida de reprendre une pratique artistique. Désireuse de poursuivre sa formation entamée auprès de Telmissany, elle rejoignit l’atelier de Margo Veillon, artiste suisse née au Caire, puis celui de Hamed Abdalla et Tahia Halim. En 1952, elle s’inscrivit à la section libre, non diplômante, de la faculté des Beaux-Arts du Caire dont les horaires étaient compatibles avec ses obligations de militante. Son talent naissant, Efflatoun le mit d’emblée au service du politique en organisant sa première exposition personnelle dans le contexte de la guerre de Suez, qui battait son plein de l’automne 1951 au printemps 1952, opposant les nationalistes égyptiens à l’armée britannique : « Le Caire a brûlé. La résistance a été écrasée dans la région du Canal. Les ailes du mouvement national et populaire ont été coupées, et la révolution de Juillet frappait à la porte. Dans cette ambiance difficile, pleine de tension et d’inquiétude, j’organisai ma première exposition, au mois de mars 1952, à la galerie ADAM, rue Soliman-Pacha8. L’atmosphère de l’exposition était en flammes, et il y était question des soubresauts de la période révolutionnaire9. »

  • 10 Pour plus de détails sur les événements, voir Anne-Claire de Gayffier-Bonneville, « La guerre du ca (...)
  • 11 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121.
  • 12 Salah Hafez, « Maʿrad al-thaʾira [L’exposition de la révolutionnaire] », Rose Al-Youssef, 17 mars 1 (...)
  • 13 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 47.
  • 14 S. Hafez, op. cit. note 1.
  • 15 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 122.

4Au lendemain d’une attaque de l’armée britannique menée le 25 janvier, soit quelques semaines avant l’ouverture de l’exposition, contre une caserne de la police égyptienne dans la région du Canal, une émeute éclata au Caire et des centaines de feux furent déclenchés dans la ville, détruisant dans le centre moderne de la capitale des bâtiments symboles de la présence britannique, mais aussi des cinémas, des cafés et des magasins fréquentés par les élites, exprimant une colère dirigée à la fois contre la présence coloniale et la classe dirigeante locale10. Le gouvernement fut contraint à la démission et les fondements de la monarchie furent ébranlés, ouvrant la voie au coup d’État des officiers libres mené par Mohammed Naguib et Gamal Abdel Nasser, qui conduisit à l’abdication du roi six mois plus tard, jour pour jour. Avec son exposition, Efflatoun voulait affirmer son soutien à « la vague révolutionnaire populaire »11 fragilisée par les émeutes. Il n’est donc pas étonnant que la critique élogieuse de Hafez ait pris pour titre en arabe « Maʿrad al-thaʾira12 » c’est-à-dire « L’exposition de la révolutionnaire ». Appliqué à l’artiste, le qualificatif de révolutionnaire reflète bien les prises de position de celle qui affirmait avoir fait à cette époque le « choix conscient » de passer « du camp des “riches” au camp des “pauvres”13 ». Mais dans une version française du même article, Hafez titra : « En peignant vrai Ingi Eflatoun [sic] a révolutionné l’art en Égypte14 » (fig. 1). La transposition d’une langue à l’autre introduit une curieuse confusion : Efflatoun est-elle célébrée comme partisane d’une transformation radicale des institutions politiques, ou des pratiques artistiques ? Définissant elle-même son exposition comme « une manifestation politique et artistique15 », l’artiste revendique cet amalgame.

Figure 1. Salah Hafez, « En peignant vrai Ingi Eflatoun a révolutionné l’art en Égypte », Actualités, 26 mars 1952. Coupure de presse conservée aux archives de l’Ifao. Sur la photo en bas, on voit l’artiste (au milieu) dans son exposition, entourée de Ragheb Ayad, qui fut son professeur, et de son amie la militante féministe Ceza Nabarawi.

  • 16 C. V., « Plastique Inji Efflatoun [titre possiblement incomplet] », Actualités, 6 mars 1952, n. p. (...)
  • 17 Anonyme, « Inji Efflatoun », Le Messager, 9 mars 1952, Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Eff (...)
  • 18 Étienne Meriel, « Inji Aflatoun (Galerie Adam) », Le Progrès égyptien, 4 mars 1952, n. p., Archives (...)
  • 19 I. Efflatoun, Première exposition de peinture. Inji Efflatoun, brochure de l’exposition (Le Caire, (...)

5À partir de l’étude de sa première exposition personnelle, je propose d’éclairer des aspects caractéristiques de la peinture d’Efflatoun au cours des années 1950. Durant cette période qui précéda son emprisonnement en 1959 lors d’une campagne dirigée contre les communistes, la jeune artiste cherchait, par la peinture, à diffuser un message marxiste, féministe et anticolonialiste, dans un rapport de correspondance entre ses tableaux et ses écrits. Sa peinture, strictement figurative, semblait avant tout conçue pour soutenir un récit. Peut-on pour autant la limiter à une mise en image de ses opinions politiques ? Face à la qualité esthétique inégale de ses œuvres de cette période, la primauté du message s’impose. Dans la presse, son style est dénigré comme « infantile et simpliste16 », souffrant de « dangereux empâtements17 » résultant de « l’improvisation, l’inexpérience18 ». Pourtant, l’artiste revendique « un succès magnifique de son exposition » : sur quoi, dès lors, repose ce succès ? Pour tenter d’éclairer certains aspects de sa conception de l’art et du rôle de l’art, après une brève présentation des circonstances dans lesquelles se tint l’exposition je m’intéresse à la thématique privilégiée dans la plupart des œuvres : la vie paysanne. En croisant l’observation de tableaux et la lecture des livres d’Efflatoun, j’observe la façon dont elle s’approprie ce pilier de l’iconographie moderniste et nationaliste égyptienne pour dénoncer, d’une part, l’exploitation des paysannes et leur double fardeau agricole et domestique, et d’autre part leur subordination en tant que mères et épouses. Il apparaît que la force didactique des tableaux d’Efflatoun n’émane pas seulement des scènes représentées, mais dépend en grande partie du paratexte : j’étudie alors la façon dont elle recourt au catalogue d’exposition19 et à l’intitulé des œuvres pour diriger la compréhension des spectateurs. J’interroge ensuite la manière dont ces va-et-vient entre textes et images trouvent une application concrète dans le cadre de manifestations politiques. Pour conclure, je questionne l’importance relative de la qualité esthétique de ses œuvres, en m’appuyant sur la réception de l’exposition dans la presse. Notons que dans cette étude où des enjeux liés au visuel et au textuel s’entremêlent, les lacunes dans les sources opèrent comme un biais. L’analyse des œuvres se heurte à la difficulté de les identifier et de les localiser : dans la plupart des cas, on ne dispose que d’un titre ou d’une photographie en noir et blanc. La prolixité, au contraire, de la presse arabophone et francophone et de l’artiste elle-même confère aux récits une primauté sur l’approche plastique des œuvres.

Une artiste de la haute société porte la voix des paysannes

  • 20 Voir par exemple La Semaine égyptienne, 20 janvier 1943, réclame, n. p. Les adresses affichées sur (...)
  • 21 Anonyme, « Inji Aflatun fi ma’radha al-fanni [Inji Efflatoun dans son exposition artistique] », Al- (...)
  • 22 Anonyme, « Ma’rad Inji Aflatun [l’exposition d’Inji Efflatoun] », Al-Misri, 4 mars 1952, n. p. Arch (...)

6De la galerie ADAM, nous savons peu de chose sinon qu’elle faisait partie du paysage dynamique des espaces qui accueillaient des expositions et des événements artistiques au Caire, jusqu’au moment où les nationalisations, menées entre 1956 et 1962, firent presque disparaître ces initiatives privées au profit d’institutions gouvernementales. Comme beaucoup de ces lieux, la galerie ADAM n’était pas entièrement consacrée à l’art. Il s’agissait certainement d’un magasin de meubles si l’on en croit des réclames de l’époque20 et les photographies qui montrent des tableaux suspendus au-dessus d’une console ouvragée, ou jouxtant un miroir au cadre en bois sculpté. Pour organiser une exposition à cette époque, les artistes prenaient généralement en charge les frais afférents et la publication du catalogue – dont Efflatoun dit qu’elle l’imprima elle-même. Les signatures dans le livre d’or en attestent, l’exposition d’Efflatoun « fut une destination pour les stars de la société, les artistes, les intellectuels et les écrivains21 » ; on y rencontrait en outre « de nombreux amateurs d’art, personnalités de haut rang et journalistes22 ». Il s’agissait donc d’une manifestation artistique organisée par une personnalité d’extraction sociale privilégiée, qui cherchait à sensibiliser des personnes de son milieu au sort de leurs compatriotes défavorisés.

  • 23 À ce sujet, voir notamment Robin Ostle, « Pharaos and Peasants [Pharaons et paysans] », Al-’Arabiyy (...)
  • 24 Henry Habib Ayrout S.J., Mœurs et coutumes des fellahs, Paris, Payot, 1938, p. 15.
  • 25 Voir notamment Catherine Mayeur-Jaouen, « Religieuses, laïques et travail social en Haute-Égypte : (...)
  • 26 H. H. Ayrout S.J., op. cit. note 24, p. 15.
  • 27 Elle le cite dans I. Efflatoun, Nahnu... al-nisaʾ al-misriyat [Nous... les femmes égyptiennes], op. (...)
  • 28 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 123.
  • 29 Voir notamment Charlotte Hug, Margo Veillon, le mouvement éclaté. Travaux, 1925 à 1996, Lausanne et (...)
  • 30 L’atelier de la Suissesse se situait en effet à Maadi, un quartier du Caire aujourd’hui urbanisé et (...)

7Des quarante-sept œuvres exposées, qui incluent des peintures à l’huile, des aquarelles et des dessins, la plupart sont consacrées à des représentations de la vie rurale. En cela, Efflatoun se conforme au canon de la modernité égyptienne : la paysannerie constitue en effet l’un des sujets les plus abondamment représentés dans les beaux-arts en Égypte au XXe siècle. L’engouement des artistes pour cette thématique, alors que la plupart étaient des urbains privilégiés, s’explique par le fait que les populations rurales composaient la part majoritaire de la société égyptienne, dont l’économie reposait en grande partie sur la production agricole. La dimension symbolique de la paysannerie était, elle aussi, éminemment significative : au cœur des luttes pour l’indépendance, le fellah (terme arabe qui désigne le paysan) renvoyait à l’idéal d’une Égypte préservée de l’aliénation du colonialisme et de la vie moderne occidentale, selon une idée largement répandue qui associait ruralité et authenticité23. Cette iconographie puise dans les représentations idéalisées que se faisaient les artistes d’une campagne dont ils n’avaient le plus souvent pas fait l’expérience. L’étude sociologique Mœurs et coutumes des fellahs (1938) signée par le père jésuite Henry Habib Ayrout synthétise certaines de ces visions, contribuant à entériner l’idée d’une paysannerie qui aurait maintenu une stabilité de ses modes de vie depuis l’Antiquité, indépendamment des chambardements sociaux et politiques24. Cependant, le jésuite qui s’engagea à combattre la misère et le manque d’éducation en établissant des écoles gratuites dans des villages de Haute-Égypte25 dénonçait aussi les conditions de vie trop rudes de la paysannerie égyptienne, qu’il qualifiait de « prolétariat rural26 » en empruntant le vocabulaire marxiste. On sait qu’Efflatoun avait lu le livre d’Ayrout27 et avait voyagé à travers la campagne égyptienne grâce aux associations fondées par le père28. Peut-être en avait-elle eu connaissance par Margo Veillon qui, avant elle dans les années 1940, avait sillonné les campagnes avec le père Ayrout, pour peindre et dessiner dans les villages29. Auprès de Veillon, dont l’atelier situé en lisière du Caire s’ouvrait sur la campagne et le désert30, Efflatoun prit l’habitude d’aller à la rencontre des paysans et des paysannes et de les prendre pour modèles. Elle peignit aussi celles et ceux qui travaillaient dans le domaine familial à Kafr Shokr, dans le delta du Nil, les suivant dans leurs activités quotidiennes. Avec toujours une attention particulière portée aux paysannes.

  • 31 Anonyme, « Inji Efflatoun », op. cit. note 17.
  • 32 Marinette, « Sur la cimaise. Galerie ADAM, exposition Inji Efflatoun », 4 mars 1952, p. 197, Archiv (...)
  • 33 Sur le pharaonisme, voir notamment Nadia Radwan, « Le pharaonisme comme renouveau artistique », Les (...)
  • 34 Voir notamment Ismaïl Fayed & Fouad Helbouni, Multaqa Mada ; Mada Encounters [Forum Mada], Le Caire (...)
  • 35 I. Efflatoun, op. cit. note 4, not. pp. 46, 55, 99.
  • 36 I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 7.

8À la vision marxiste du « prolétariat rural » comme force de travail, Efflatoun associait des enjeux féministes liés à la reconnaissance du travail domestique. Si l’artiste dépeint le labour et la moisson dans des scènes où paysannes et paysans se côtoient, elle invite aussi les regardeurs à pénétrer un univers entièrement féminin et habituellement invisible où l’on s’affaire à la lessive ou à la cuisine. Un grand tableau au format vertical intitulé en arabe Wa fi al-dar aydan [Et à la maison aussi], et en français Travailleuses, se divise en trois bandeaux horizontaux (fig. 2). Au niveau supérieur, des femmes assises au sol trient les fèves, graines qui constituent la base de l’alimentation populaire égyptienne. Au-dessous, elles pétrissent, façonnent et enfournent le pain. Enfin, au registre inférieur, on assiste à la lessive. Deux des paysannes lavent le linge dans un même geste, leur échine courbée sur la bassine formant des lignes parallèles. Les silhouettes schématiques sont des prétextes à figurer l’action. La palette, qui joue de contrastes entre des tons orangés et bleutés dans une atmosphère dominée par un jaune éclatant, valut au tableau d’être jugé « plutôt lai[d] et criar[d]31 ». En reprenant « la technique picturale des tombeaux pharaoniques : la peinture sur trois plans superposés32 » dans Travailleuses et un autre tableau, mais aussi en déployant certaines scènes sur des panneaux allongés qui rappellent les frises antiques, Efflatoun se rapproche du pharaonisme notamment exploré par le peintre Ragheb Ayad, qui fut l’un de ses enseignants dans la section libre des Beaux-Arts et qui apparaît auprès d’elle sur la photographie reproduite en figure 1. À partir des années 1920, les découvertes archéologiques menées par les puissances européennes sur le sol égyptien et reprises à leur compte par les nationalistes pour revendiquer l’héritage millénaire de leur pays, conduisirent nombre d’artistes modernes à s’approprier des éléments stylistiques de l’art antique33. Couplé à des représentations de la vie rurale, le pharaonisme façonne l’image fantasmée d’une Égypte éternelle. La peinture d’Efflatoun présente ainsi la même antinomie que les travaux sociologiques d’Ayrout, entre représentation désincarnée de la paysannerie et volonté de sensibiliser aux aspects concrets de son existence. Elle ne produit pas pour autant une vision anhistorique des paysannes : il s’agit d’une peinture sociale qui, à la différence du réalisme socialiste auquel la peinture moderne égyptienne est parfois comparée34, ne cherche pas à glorifier les travailleuses, mais à dénoncer leur « exploitation35 ». Les paysannes, signale ainsi Efflatoun, constituent la catégorie la plus opprimée de la société égyptienne en raison de la faiblesse de leur statut socio-économique et de genre, dans un environnement particulièrement pauvre et traditionaliste : « Cela est dû, d’une part, au fait que les campagnes sont dominées par l’ignorance et des traditions dépassées, et d’autre part à l’immense majorité des paysannes (environ quatre millions de femmes) qui travaillent sans salaire dans le champ de leur père, de leur tuteur ou de leur époux, tout comme elles travaillent à la maison. La femme est toujours subordonnée à l’homme […], elle est toujours sa servante, à la maison, aux champs, ou les deux comme c’est souvent le cas36. »

Figure 2. Photographie en noir et blanc du tableau identifié comme Travailleuses [Wa fi al-dar aydan], 1952, huile sur toile, 93 x 69,5 cm, Musée d’art moderne égyptien, Le Caire, Égypte.

Maternité et mariage : une vision sociologique contre l’idéalisation du féminin

  • 37 Anonyme, « Sans titre », Akhir Sa’a, 12 mars 1952. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflato (...)
  • 38 Anonyme, « Expositions », Images, 7 mars 1952, n. p., Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Effl (...)
  • 39 S. Hafez, op. cit. note 1.
  • 40 I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 10‑13.
  • 41 Ibid., p. 10-11.
  • 42 Anonyme, « Inji Efflatoun », op. cit. note 16.
  • 43 Pour une analyse détaillée de ce tableau et de ses divers changements de titre, voir Nadine Atallah (...)
  • 44 Rodolfo Pallucchini (dir.), XXVI Biennale internazionale d’Arte di Venezia [XXVIe Biennale internat (...)
  • 45 Maria Palma & Sidki Al-Gabakhangi (dir.), Mostra d’Arte italo-egiziana ; Al-maʿrad al-itali al-misr (...)

9Dans sa peinture comme dans ses écrits, Efflatoun refuse d’idéaliser les paysannes. Elle se joue donc du canon dont elle adopte les thématiques et les iconographies. Son exposition est ainsi comparée à celle de la peintresse Effat Naghi, se tenant au Caire au même moment : « Tandis que Mademoiselle Naghi peint les paysannes et les donne à voir comme les princesses de la campagne, nimbées de couleurs lumineuses et d’un soleil étincelant, Mademoiselle Inji insiste à montrer le côté tragique de la vie des populations rurales : leur pauvreté, leur tristesse et leur fatigue37 » ; « elle a peint ces travailleuses non par goût du pittoresque, mais par sympathie pour des sœurs déshéritées par le sort38 », lit-on encore. On trouve ainsi parmi les œuvres exposées chez ADAM des représentations inaccoutumées, comme une aquarelle montrant deux femmes affalées contre un mur. Celle de droite donne le sein à un nouveau-né ; celle de gauche, enceinte, entoure de ses bras son ventre rond. Par contraste avec les corps anonymes qui s’affairent dans Travailleuses et d’autres scènes de labeur, les deux femmes affichent ici un visage las, qui appelle la sympathie des regardeurs. Efflatoun « a apporté du nouveau, non pas en peignant les fellahas au travail, mais APRÈS le travail, mortes de fatigue et dans le ventre une vie nouvelle de misère », clame Salah Hafez39. En reliant la problématique du travail à celle de la vie intime et familiale, Efflatoun détourne les représentations académiques de la vie paysanne, mais aussi le motif de la mère à l’enfant. Topos s’il en est de l’histoire de l’art, qui occupe une place de premier plan dans l’iconographie moderniste et nationaliste en Égypte, le thème de la maternité renvoie à l’importance de la famille dans l’organisation sociale et au rôle des femmes dans le renouvellement de la population et la transmission des valeurs culturelles. Une huile intitulée La Quatrième Épouse [Al-zawga al-rabiʿa] ébranle plus directement encore ces représentations archétypales. La femme allaitante au centre de la composition, entourée d’autres enfants, est désignée dans le titre par son rôle d’épouse, et plus particulièrement de quatrième épouse, indiquant une situation de polygamie. La maternité apparaît alors comme une clause du mariage et un facteur d’évaluation du mérite de l’épouse qui justifie souvent le ou les remariages de l’homme. En l’absence d’autres femmes représentées dans le tableau, sa signification repose entièrement sur le titre qui en dirige la lecture et en arrête la thématique. Rien non plus dans la composition ne permet de comprendre qu’il s’agit d’une condamnation de la polygamie. Il faut donc aller chercher dans les écrits d’Efflatoun pour savoir qu’elle réprouve cette pratique comme l’un des principaux facteurs portant atteinte aux familles égyptiennes et empêchant l’émancipation des femmes40. S’appuyant sur le Coran qui n’autorise aux hommes de prendre plusieurs épouses que s’ils peuvent assurer une équité parfaite entre elles, elle argue que « l’homme qui profite de la permission (apparente) d’ajouter une deuxième, une troisième et une quatrième épouse à son foyer ne peut en aucun cas rendre justice entre elles, détruisant ainsi le foyer conjugal, sapant ses fondations et faisant de la femme un instrument d’amusement occasionnel et de plaisir éphémère41 ». Le cas de La Quatrième Épouse révèle l’importance du paratexte dans l’interprétation des œuvres d’Efflatoun : sans le titre ni les écrits militants, on pourrait ne voir là « qu’une scène joliment humoristique où un vieillard lorgne d’un œil concupiscent sa jeune épouse42 ». Or, l’artiste est pleinement consciente de la dépendance de ce tableau à son titre : elle atteste même de sa capacité à manipuler la signification de l’œuvre en fonction du contexte d’exposition43. La Quatrième Épouse fut ainsi montrée à la Biennale de Venise de juin à octobre 1952 sous le titre La Famiglia [La Famille]44. Lors de l’exposition italo-égyptienne au Caire, en décembre de la même année, elle devint Il Riposo [Le Repos]45, tissant un lien entre les thématiques du travail et de la vie intime chères à Efflatoun : quand elle prend repos de ses tâches agricoles, la femme travaille pour sa famille, semble dire l’artiste.

Les droits des femmes, en titres et en portraits

  • 46 Anonyme, « Inji Efflatoun », op. cit. note 17 ; C. V., op. cit. note 16.
  • 47 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 102.
  • 48 Ibid., p. 122.
  • 49 Ces différences ont été observées entre les deux versions que j’ai pu consulter, conservées dans le (...)

10L’importance qu’Efflatoun accordait à l’intitulé de ses œuvres transparaît dans son choix de faire figurer sur leur cadre une gommette numérotée qui renvoie au catalogue. Dans ce dépliant en deux volets, l’artiste a imprimé une liste des titres numérotée et bilingue. Non seulement ces titres renseignent-ils sur le sujet représenté, mais ils renforcent aussi la fonction narrative des œuvres et les articulent les unes aux autres. Ainsi, les trois premiers de la liste en arabe, pris ensemble, évoquent un slogan en faveur de la reconnaissance du labeur des paysannes : Al-fallahat fi al-ard al-tayiba/Yaʿmilun kal-rigal/Wa fi al-dar aydan, c’est-à-dire : « Les paysannes dans la bonne terre/travaillent comme des hommes/et dans la maison aussi. » Notons que les titres sont remarquablement plus sobres en français (La Terre et celles qui la travaillent, puis Travailleuses pour les deux suivants), suggérant qu’ils furent d’abord pensés pour une audience arabophone, la maîtrise du français étant réservée à l’élite. En couverture du catalogue, Efflatoun inscrit aussi une phrase : « La peinture n’est que la représentation plastique de la vie sociale dans son devenir » (fig. 3). Elle affirme ainsi sans équivoque que ses tableaux constituent une mise en image de ses aspirations pour la société, voire des « illustrations » de ses écrits, selon le terme employé par plusieurs critiques pour désigner sa peinture46. Ce va-et-vient permanent d’Efflatoun entre la plume et le pinceau témoigne de sa recherche du moyen le plus efficace de diffuser son message. En 1948, quand elle revint à la peinture, elle publia aussi son premier livre en affirmant : « L’écriture a un impact plus rapide que le dessin et constitue un moyen de persuasion47. » Support des éléments textuels de l’exposition, le catalogue semble donc avoir été conçu pour diriger l’interprétation des œuvres en énonçant littéralement les intentions de l’artiste, ce qui explique l’importance qu’elle lui accordait puisque face à la grande affluence du public dans son exposition, elle dit avoir dû « imprimer le catalogue plus d’une fois48 ». Les archives en conservent en effet deux versions, qui présentent une mise en page différente sans aucune variation dans les textes ni dans la numérotation des œuvres49.

Figure 3. Couverture du catalogue de l’exposition reproduisant le tableau Va, tu es répudiée [Ruhi, inti taliqa], v. 1952, aquarelle, dimensions inconnues, localisation inconnue.

  • 50 Anonyme, « Ma’ al-fata al-misriya, fi ma’rad al-fan [Avec la fille égyptienne, dans l’exposition ar (...)
  • 51 I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 11.
  • 52 S. Hafez, op. cit. note 12.
  • 53 Ce tableau figure sous le titre The Mother and Her Daughter dans l’inventaire du Mathaf à Doha (Qat (...)

11Le catalogue reproduit en couverture l’image d’une œuvre qui, étonnamment, n’est pas accompagnée de son titre pourtant révélateur. La presse50 nous apprend qu’il s’agit de Va, tu es répudiée/Ruhi, inti taliqa, aquarelle qui s’attaque à la question du divorce et plus précisément de la répudiation. Dans Nahnu… al-nisaʾ al-misriyat, Efflatoun condamne la loi égyptienne qui permet aux hommes de prononcer unilatéralement le divorce par l’articulation d’une simple phrase : « Cette phrase, s’alarme-t-elle, terrible dans sa simplicité et sa banalité, terrible dans ce qu’elle implique et ce qu’elle porte, lie le destin d’une femme, son avenir, ses espoirs et ses enfants à la bouche de son mari lorsqu’il prononce les mots “Va-t’en, tu es répudiée”51. » L’œuvre montre une femme d’âge moyen qui se détache sur un arrière-plan uni. Son expression de profonde tristesse, accentuée par un regard vague noyé dans des cernes creusés, révèle le parti pris de l’artiste : représenter les conséquences psychologiques de la répudiation. « Et Inge [sic], dans son tableau Va, tu es répudiée, a adopté une logique véritablement novatrice car elle n’a pas exprimé la laideur du divorce comme nous l’aurions tous fait, en dessinant des enfants qui suscitent notre pitié ; elle s’est intéressée au visage de la femme elle-même, car les femmes (et pas seulement les enfants) sont des personnes qui méritent de vivre », souligne ainsi Hafez52. En faisant le portrait d’une victime de la répudiation, il semble qu’Efflatoun espérait conférer à son tableau la même fonction performative que la phrase qu’elle dénonce : son dessein était non seulement de pointer la cruauté et l’injustice de cette pratique, mais aussi d’œuvrer à son abolition et à la réforme du code du statut personnel. Preuve de son engagement pour cette cause, Efflatoun signa, toujours en 1952, un autre tableau à l’huile portant le titre Va, tu es répudiée53 (fig. 4). Celui-là montre une femme suivie de sa fille devant la fenêtre du foyer familial dont elle se voit chassée. Le visage long et émacié, le nez aquilin et les lèvres fines laissent penser qu’il s’agit du même modèle que pour l’aquarelle exposée chez ADAM. Bien qu’esquissé dans une économie de lignes, le portrait de la femme répudiée présente en effet des traits identifiables.

Figure 4. Inji Efflatoun, The Mother and Her Daughter, identifié comme Va, tu es répudiée, 1952, huile sur toile, 65 x 50 cm, Mathaf (Arab Museum of Modern Art), Doha, Qatar. Numéro d’inventaire : MAT.2013.16.77. Courtoisie du Mathaf.

  • 54 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121.
  • 55 Au contraire, par exemple, d’une de ses contemporaines, la peintresse Gazbia Sirry, qui donnait fré (...)
  • 56 La photographie du tableau est accompagnée de la mention « Collection Mme Tayeb Hussein » dans l’al (...)

12On retrouve cette volonté de donner un visage à la misère sociale dans un autre portrait : Ah, si j’avais étudié [Ah, law ta’almtu]. Une jeune femme assise à une table, la tête appuyée sur la main, semble perdue dans ses pensées. Ici encore, la narration repose entièrement sur le titre puisqu’aucun indice dans la composition ne renvoie au problème de l’éducation. Ah, si j’avais étudié présente cependant la particularité de faire entendre la voix du personnage grâce à la formulation à la première personne, plus susceptible d’interpeler les visiteurs. Avec ce tableau, Efflatoun dénonce l’analphabétisme des femmes comme la raison principale de leur maintien dans un état de subordination vis-à-vis des hommes, et un frein à leur indépendance économique. Comme dans Va, tu es répudiée, l’artiste choisit le genre du portrait pour dénoncer des problèmes de société : elle donne un visage à la répudiation et à l’analphabétisme, pour montrer à quel point ces atteintes aux droits des femmes sont source de drames personnels. L’association de ces portraits à des revendications féministes interroge sur l’identité des modèles et sur le rapport que l’artiste entretenait avec elles : leur demandait-elle de poser ou captait-elle leurs expressions et leurs gestes sur le vif ? Les rémunérait-elle ? De quoi discutaient-elles ? Efflatoun s’exclame en tout cas : « En collaborant avec ces modèles, je ne les considérais pas comme des personnes de second rang54 ! », voulant se prémunir de tout soupçon lié à son origine sociale. Il est alors étonnant de constater que malgré le soin qu’elle plaçait dans l’intitulé de ses tableaux, aucun d’eux ne révèle le nom des paysannes représentées55. La seule exception dans l’exposition est un portrait commandité par un modèle visiblement plus nanti56 : Portrait de Mme Asma Hussein [Al-sayyida Asma Hussein]. L’intéressée, vêtue d’un sari et de bijoux sophistiqués, se tient debout près de l’artiste sur une photographie dans la galerie ADAM.

  • 57 I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 33.
  • 58 Ibid.
  • 59 Marinette, op. cit. note 32.
  • 60 I. Efflatoun, op. cit. note 7, p. 42.

13En confrontant Ah, si j’avais étudié aux écrits d’Efflatoun apparaît la connexité des problématiques de l’éducation des femmes et du colonialisme. « Ce retard visible dans le niveau d’éducation du peuple égyptien en général, et des femmes en particulier, est principalement dû à la politique coloniale britannique et à son opposition à la renaissance culturelle égyptienne57 », clame ainsi Efflatoun, qui accuse aussi le colonialisme de causer « la baisse du niveau de vie de la population égyptienne, et particulièrement des paysans58 ». La position anticolonialiste d’Efflatoun trouve un écho indirect dans un autre portrait a priori anodin : Mon ami soudanais [Chaqiqna al-saghir min al-ganub, littéralement Notre petit ami du Sud] (fig. 5). Celui-ci, d’après une journaliste, représente « un adorable petit garçon aux immenses yeux emplis de joie, de finesse malicieuse et de sympathie59 ». Dans le contexte de l’exposition d’Efflatoun où figure aussi une aquarelle intitulée Sœur soudanaise [Ukhti min al-ganub, soit Ma sœur du Sud], on peut y lire un signe d’amitié envers le peuple soudanais alors sous domination du condominium anglo-égyptien en vigueur jusqu’en 1956. Le combat de l’Égypte pour mettre fin à l’occupation britannique se heurtait régulièrement à la question du statut du Soudan. Alors que l’Égypte insistait pour maintenir sa souveraineté sur son voisin, Efflatoun plaidait pour le retrait des troupes britanniques « sans restriction ni conditions des terres d’Égypte et du Soudan60 ».

Figure 5. Inji Efflatoun posant avec Mon ami soudanais [Chaqiqna al-saghir min al-ganub], 1952, huile sur toile, dimensions inconnues, localisation inconnue.

Des peintures pour manifester, des manifestations en peinture

  • 61 Efflatoun note par erreur « sawt al-fann » [la voix de l’art] lorsqu’elle évoque cet épisode dans s (...)
  • 62 Seul témoignage autour de ce tableau, dont je n’ai trouvé aucune image, cette mention dans la press (...)

14Si certains portraits de personnes ancrées dans la ruralité amorcent une critique discrète des impacts de la politique britannique en Égypte sur la société et les individus qui la composent, la lutte anticoloniale constitue un sujet central de l’exposition. La focale que place Efflatoun sur les strates inférieures de la société à travers les paysannes et les paysans rappelle qu’au conflit égypto-britannique s’ajoutait une lutte des classes. Pendant la guerre de Suez, les habitants de la zone majoritairement rurale du Canal étaient livrés à la violence de l’occupant. Les morts côté égyptien, qualifiés de martyrs, étaient honorés dans des cortèges funèbres au Caire. Efflatoun participa à certaines de ces manifestations. Des photographies et des articles de presse témoignent par exemple de sa présence dans un cortège de femmes organisé le 14 novembre 1951 au Caire (fig. 6). La mémoire d’Um Saber, une paysanne abattue par un soldat britannique en 1951 pour s’être opposée à une fouille corporelle, y était honorée. Une manifestante brandissait son portrait : une peinture à l’huile réalisée par des artistes du groupe Sawt al-fannan61 [La Voix de l’artiste], qui produisirent plusieurs affiches pour cette manifestation. Fondé par le sculpteur Gamal El-Segini, Sawt al-fannan réunissait de jeunes artistes comme Efflatoun, Zeinab Abdel Hamid, Ezzedine Hammouda, et Ragi Enayat. Dans la brochure de la galerie ADAM figure un tableau intitulé 14 novembre. Bien qu’aucune image ne permette de le confirmer, on peut penser qu’il se rapportait à cet événement. Représentation ou instrument de manifestation, on l’ignore cependant62.

Figure 6. Couverture du numéro du 17 novembre 1951 de la revue égyptienne francophone Images, Fonds Inji Efflatoun, Archives de l’Ifao, Le Caire, Égypte. Vue de la manifestation du 14 novembre 1951. Efflatoun est au premier rang au milieu, en jupe à carreaux. À sa gauche, Ceza Nabarawi porte la photo de Huda Chaarawi, leader des mouvements féministes égyptiens décédée en 1947, qui organisa la première manifestation de femmes en Égypte en 1919. Encore à gauche, des femmes brandissent le portrait peint d’Um Saber.

  • 63 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121.
  • 64 Abdelrahman Al-Khamisi, « Min al-a’maq [Des profondeurs] », Al-Misri, 8 mars 1952, n. p., Archives (...)

15Sa participation à des manifestations inspira en tout cas à Efflatoun un autre tableau : Lan nansa, qui se traduit littéralement par Nous n’oublierons pas, mais dont le titre français est Souvenirs brûlants (fig. 7). Efflatoun le peignit après avoir assisté aux funérailles de martyrs de Suez en 1951. « J’étais très secouée et bouleversée par tout cela, et le tableau Souvenirs brûlants fut produit comme une démonstration sincère et véritable de ce sentiment63 », confie-t-elle. La description qu’en fit un critique dans la presse illustre la force de rassemblement de cette image : « J’ai marché hier dans un cortège funèbre populaire terrible. La nation égyptienne tout entière y marchait en majesté, et sur les épaules des marcheurs des cercueils, les cercueils des héros. Les pleurs et la détermination, la douleur de la séparation et l’espoir de la lutte se mêlaient. Mon cœur était empli des sentiments de ceux qui ont trouvé leur chemin vers la vie. Alors j’ai clamé avec des millions de personnes : “Nous n’oublierons pas, nous n’oublierons pas”64 ! »

Figure 7. Inji Efflatoun pointant son tableau Souvenirs brûlants / Lan nansa dans son exposition à la galerie ADAM. On reconnaît Va… tu es répudiée / Ruhi, inti taliqa en haut à droite, ainsi qu’une aquarelle intitulée Le Repos 1 / Al-raha ʿandahuna au-dessous. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun.

  • 65 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 122. On ignore le moment exact de sa disparition. Notons que le t (...)
  • 66 Anonyme, « Inji Efflatoun », op. cit. note 17.
  • 67 Lettre de Ramsès Chafei à Inji Efflatoun, Gezira, 19 mars 1952, Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds (...)
  • 68 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121, 122.
  • 69 Ibid., p. 122.

16Si le tableau a disparu65, des photographies en noir et blanc demeurent. La composition est dominée par six cercueils enveloppés du drapeau du royaume d’Égypte, que l’on sait vert et blanc. Au premier plan, une figure masculine dont le visage exprime une colère hyperbolique se détache parmi les femmes du cortège. Les trois poings levés au centre du tableau, qui émergent de la marée noire formée par les voiles, appartiennent à des manifestantes dont les yeux fixent le spectateur comme pour l’appeler à se rallier à elles. La perspective rendue par la géométrie approximative des cercueils et l’échelle des figures, traitées comme des motifs répétés à l’identique, confère un aspect statique à une foule qui se voudrait en mouvement. La critique y voit une « impression maladroite d’une manifestation populaire66 ». À l’issue de l’exposition, Efflatoun offrit le tableau au directeur de l’université du Caire, Ramsès Chafei, qui l’accrocha dans son bureau : « Ce merveilleux chef-d’œuvre, s’enthousiasme-t-il, ne manquera pas de toucher les étudiants internes de la cité qui le verront, et suscitera chez eux une euphorie nationaliste67. » Souvenirs brûlants rencontra effectivement un vif succès auprès des étudiants qui reproduisirent sa photo sur des tracts politiques, créant un désordre qui conduisit les services secrets à saisir l’original68. Le tract n’est pas conservé dans les archives d’Efflatoun ; on ignore donc quels énoncés y figuraient. La confiscation du tableau révèle que c’est l’image qui fut jugée dangereuse, sans doute en raison de la colère communicative des personnages : Souvenirs brûlants était un appel à la révolte. Efflatoun se réjouit du destin du tableau qui, selon elle, « accomplit sa mission69 » au prix de sa disparition matérielle. Sa réussite, c’est donc l’efficacité politique de la représentation, et de sa circulation.

En guise de conclusion : l’urgence d’« exister » en tant qu’artiste dans la société

17Les œuvres d’Efflatoun exposées chez ADAM en 1952 se distinguaient par leurs qualités rhétoriques, illustrant les idées politiques de l’artiste dans des correspondances parfois littérales avec ses écrits, surtout son livre Nahnu… al-nisaʾ al-misriyat. Si elle consacra la majorité de ses œuvres au sujet de la paysannerie, très largement mobilisé dans les beaux-arts à cette époque, Efflatoun prit ses distances vis-à-vis de la tendance académique d’idéaliser le mode de vie des paysans. Au contraire, elle fit de sa peinture le véhicule d’une critique sociale et politique. Les intentions de l’artiste étaient exprimées littéralement sur la brochure qui accompagnait l’exposition, ainsi que dans les titres des œuvres formulés pour diriger l’interprétation des scènes représentées. Mis ensemble, ils organisent même un petit récit militant témoignant de la capacité d’Efflatoun à faire dialoguer ses tableaux. S’appuyant sur son expérience des manifestations nationalistes, elle confirma son souci de mettre la peinture au service du politique : cette dynamique atteignit son sommet avec la circulation d’un tableau devenu tract militant.

  • 70 Gabriel Boctor, « Exposition Inji Efflatoun », La Bourse égyptienne, 1er mars 1952, n. p., Archives (...)
  • 71 C. V., op. cit. note 16.
  • 72 La façon dont je pus établir la date d’admission des femmes à l’École des Beaux-Arts du Caire est r (...)

18Mais qu’est-ce que cet usage idéologique de l’art fait à la peinture ? En 1952, Efflatoun était une artiste débutante malgré sa participation précoce aux activités d’Art et Liberté. Sa touche était hâtive, les couleurs parfois criardes. La critique fut mitigée, entre adhésion au projet sociopolitique de l’artiste et jugements péjoratifs sur l’aspect esthétique et technique de ses œuvres. Son exposition chez ADAM cristallisa ainsi un débat sur les attentes d’une société vis-à-vis du rôle de l’art, en des temps où la culture était appelée à se mettre au service d’une nation revendiquant son indépendance. La forte narrativité de la peinture d’Efflatoun, perçue comme « littéraire » en raison de la primauté du message sur la forme et de sa dépendance au paratexte (comme les titres des tableaux), alimenta les réserves. Gabriel Boctor, critique d’art renommé, remit ainsi en cause l’utilité du slogan imprimé sur la brochure : « On ne peut que la féliciter pour ses intentions, mais il nous semble, du point de vue de la plastique pure, que cette littérature ne peut qu’être gênante70. » Son confrère d’Actualités alla plus loin, déplorant « une technique insuffisante ; une inspiration qui n’est qu’affective et que littéraire – qui n’est jamais picturale, ni chromatique ; pas même linéaire71 ». Cette insistance sur l’énoncé venait sans doute compenser un manque de confiance dans l’autonomie de sa peinture qui était, au vu du parcours de l’artiste, encore immature. Sa jeunesse, bien sûr, l’explique bien, mais aussi sa formation en pointillé entre plusieurs ateliers de tuteurs privés, avant que la mixité au sein de l’École des Beaux-Arts du Caire ne soit actée en 1951-195272.

  • 73 Voir Aisha Abdel Rahman Bint Al-Shati, Al-Rif al-misri [La Campagne égyptienne], Le Caire, Maktabat (...)
  • 74 Note manuscrite en arabe, livre d’or de l’exposition d’Inji Efflatoun à la galerie ADAM, mars 1952, (...)

19Les défenseurs d’Efflatoun, au contraire, vantent le caractère essentiel de son engagement. La femme de lettres Bint Al-Shati, autrice de plusieurs ouvrages sur les problèmes agraires de l’Égypte73, écrivit ainsi dans le livre d’or : « Je n’hésite pas à admettre que ma plume, qui s’est si longtemps efforcée de transmettre à la ville des images de la vie de mon peuple travaillant dans les villages, je n’hésite pas à admettre que ma plume est vraiment en deçà de ce que le pinceau d’Inji a été capable de créer74. » Selon elle, l’enjeu principal de la peinture d’Efflatoun résiderait dans sa capacité à faire connaître à un public qui l’ignore la réalité de la vie paysanne, pour l’inciter à rallier sa cause dans la lutte des classes et le conflit anticolonial. En comparant dans cette optique la puissance de la peinture à celle de l’écriture, elle fait écho aux questionnements d’Efflatoun, qui balançait alors entre ces deux moyens d’expression. Le compliment de Bint Al-Shati résonne comme un encouragement à persister dans la seconde voie. Car malgré les critiques, l’exposition chez ADAM marqua la naissance d’une artiste, comme le clame Hafez, sans doute son plus fervent partisan : « L’œuvre des peintres d’Égypte doit être le reflet de la vie dans laquelle ils se meuvent, la discussion des difficultés, des espoirs ressentis afin que ces artistes prouvent qu’ils “existent” réellement et non pas qu’ils se contentent de jongler avec des couleurs avec plus ou moins de science », édicte-t-il pour arguer de la réussite de l’exposition d’Efflatoun. Plutôt que sur la stricte qualité plastique de son travail, il fonde son jugement sur la sincérité du discours de l’artiste et sur le courage avec lequel elle répondit à l’urgence de l’actualité. Selon cette grille d’évaluation qui fait de la peinture un geste avant tout politique, on pourrait considérer que l’exposition de mars 1952 chez ADAM fut celle d’une bonne artiste, qui n’était pas encore une bonne peintresse. Et si ce fut « l’exposition de la révolutionnaire », c’est parce qu’Efflatoun y démontra qu’il n’était pas nécessaire d’avoir confirmé sa maîtrise technique et stylistique pour produire un art capable d’agir sur le réel, pour s’affirmer d’emblée comme une artiste qui existe dans son lieu et dans son temps.

  • 75 Gabriel Boctor, op. cit. note 70.
  • 76 Les archives ne conservent pas d’image de Rochers de Bretagne, mais plusieurs aquarelles de 1949-19 (...)
  • 77 Anonyme, « Expositions », op. cit. note 38.
  • 78 H. H. Ayrout S.J., op. cit. note 24, p. 152.

20Avant de conclure, notons que, curieusement, les œuvres qui suscitèrent le plus de commentaires approbateurs furent celles dont le sujet n’était pas politique, comme le Portrait de Mme Asma Hussein. « Il nous semble que lorsque l’artiste ne peint pas pour nous convaincre d’une idée, qu’elle ne cherche pas à plaider une cause, mais se laisse plutôt aller à la joie pure de la découverte esthétique, elle nous offre ses œuvres les plus valables », note ainsi Boctor75. Plusieurs nus, mais aussi une nature morte, académique par excellence dans son sujet et dans son traitement aux accents cézanniens et cubistes, rappellent qu’Efflatoun était alors étudiante dans la section libre de la faculté des Beaux-Arts où ces registres classiques faisaient partie de l’apprentissage. De bonne facture, ces réalisations montrent des capacités picturales que l’artiste choisit de ne pas mettre au service de l’idéologie, comme si elle dissociait deux pratiques : d’un côté une peinture d’agrément, de l’autre une peinture militante. Pour nuancer ce binarisme, on peut s’amuser au sujet d’un paysage intitulé Rochers de Bretagne qui figure dans la liste des œuvres et appartient sans doute à un corpus d’aquarelles réalisées par Efflatoun lors de séjours en France en 1949 et 195076. « Et voici une marine où la vague éclabousse des rochers. Cette vision est alors prétexte à exprimer, avec une vigueur étonnante chez une jeune fille peintre aussi frêle, la colère et l’amertume », tente un critique77. Alors que le père Ayrout considérait qu’« entre le Nil et les fellahs existe la même intimité qu’entre l’Océan et les habitants des côtes de Bretagne78 », les Rochers de Bretagne d’Efflatoun porteraient-ils une valeur métaphorique en contexte d’insurrection en terres nilotiques ? Si l’artiste n’avait certainement pas en tête cette comparaison, l’occurrence de l’Ouest français sous son pinceau comme sous la plume d’Ayrout dit le privilège socioculturel de qui a voyagé, et les imaginaires partagés d’une élite francophile qui se faisait la porte-parole de la cause paysanne égyptienne.

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Notes

1 Salah Hafez, « En peignant vrai Ingi Eflatoun a révolutionné l’art en Égypte », Actualités, 26 mars 1952, n. p. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953.

2 Le nom de la galerie est parfois écrit A.D.A.M. dans des sources de l’époque, suggérant qu’il pourrait s’agir d’un acronyme. Par souci d’homogénéité, j’opte pour ADAM dans cet article.

3 Sur le groupe Art et Liberté, voir notamment Sam Bardaouil, Surrealism in Egypt: Modernism and the Art and Liberty Group [Le Surréalisme en Égypte. Le modernisme et le groupe Art et Liberté], Londres, I.B. Tauris, 2016.

4 Inji Efflatoun, Mudhakirat Inji Efflatoun. Min al-tufula ila al-sign [Mémoires d’Inji Efflatoun. De l’enfance à la prison], éd. originale 1993, Le Caire, Dar al-thaqafa al-gadida, 2014, p. 46. Toutes les traductions depuis l’arabe de cette source et d’autres sont de moi.

5 Pour une approche globale des activités politiques d’Efflatoun en Égypte et à l’international au cours des années 1940, voir par exemple Didier Monciaud, « Les engagements d’Injî Aflâtûn dans l’Égypte des années quarante : la radicalisation d’une jeune éduquée au croisement des questions nationale, femme et sociale », Cahiers d’Histoire. Revue d’histoire critique no 126, 2015, titre du fascicule : Rebelles à l’ordre colonial, p. 73‑95.

6 I. Efflatoun, Thamanun miliyon imraʾa maʿana [Quatre-vingts millions de femmes avec nous], Le Caire, Dar al-fagr, 1948 ; I. Efflatoun, Nahnu... al-nisaʾ al-misriyat [Nous... les femmes égyptiennes], Le Caire, Matbaʿa al-saʿada, 1949.

7 I. Efflatoun, Al-salam wal-gala’ [La Paix et l’évacuation], Le Caire, Imprimerie Fouad Ahmed Helmi, 1950.

8 Actuelle rue Talaat Harb, dans le centre-ville du Caire.

9 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121-122.

10 Pour plus de détails sur les événements, voir Anne-Claire de Gayffier-Bonneville, « La guerre du canal 1951-1952 », Cahiers de la Méditerranée no 70, 2005, Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine, titre du fascicule : Crises, conflits et guerres en Méditerranée, p. 111‑136.

11 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121.

12 Salah Hafez, « Maʿrad al-thaʾira [L’exposition de la révolutionnaire] », Rose Al-Youssef, 17 mars 1952, n. p. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953. J’opte tout au long de l’article pour un système de translittération simplifié.

13 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 47.

14 S. Hafez, op. cit. note 1.

15 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 122.

16 C. V., « Plastique Inji Efflatoun [titre possiblement incomplet] », Actualités, 6 mars 1952, n. p. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, album 1952-1953, coupure de presse.

17 Anonyme, « Inji Efflatoun », Le Messager, 9 mars 1952, Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album des activités 1952-1953, coupure de presse.

18 Étienne Meriel, « Inji Aflatoun (Galerie Adam) », Le Progrès égyptien, 4 mars 1952, n. p., Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953.

19 I. Efflatoun, Première exposition de peinture. Inji Efflatoun, brochure de l’exposition (Le Caire, galerie ADAM, 1-11 mars 1952), Le Caire, [s. n.], 1952, n. p., Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953.

20 Voir par exemple La Semaine égyptienne, 20 janvier 1943, réclame, n. p. Les adresses affichées sur cette réclame de 1943 ne correspondent cependant pas à celle de la galerie où Efflatoun exposa en mars 1952.

21 Anonyme, « Inji Aflatun fi ma’radha al-fanni [Inji Efflatoun dans son exposition artistique] », Al-Nada’, 10 mars 1952, n. p. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Livre d’or de l’exposition chez ADAM, mars 1952.

22 Anonyme, « Ma’rad Inji Aflatun [l’exposition d’Inji Efflatoun] », Al-Misri, 4 mars 1952, n. p. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953.

23 À ce sujet, voir notamment Robin Ostle, « Pharaos and Peasants [Pharaons et paysans] », Al-’Arabiyya vol. 40/41, 2007, Georgetown University Press, p. 45‑55 ; Nicolas Michel, Le Fellah égyptien : histoire d’un mot et de ses sens, Institut français d’archéologie orientale (Ifao), Le Caire, 15 avril 2018.

24 Henry Habib Ayrout S.J., Mœurs et coutumes des fellahs, Paris, Payot, 1938, p. 15.

25 Voir notamment Catherine Mayeur-Jaouen, « Religieuses, laïques et travail social en Haute-Égypte : l’émergence de la question féminine à l’âge nationaliste (années 1940-1970) », Social Sciences and Missions vol. 34, no 1‑2, 11 mai 2021, Brill, p. 29‑61.

26 H. H. Ayrout S.J., op. cit. note 24, p. 15.

27 Elle le cite dans I. Efflatoun, Nahnu... al-nisaʾ al-misriyat [Nous... les femmes égyptiennes], op. cit. note 5, p. 51.

28 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 123.

29 Voir notamment Charlotte Hug, Margo Veillon, le mouvement éclaté. Travaux, 1925 à 1996, Lausanne et Paris, Acatos, 1996, p. 257 et Bruno Ronfard (dir.), Margo Veillon: Witness of a Century [Margo Veillon : témoin d’un siècle], Le Caire, The American University in Cairo Press, 2007, p. 251.

30 L’atelier de la Suissesse se situait en effet à Maadi, un quartier du Caire aujourd’hui urbanisé et cossu qui était alors une petite localité péri-urbaine.

31 Anonyme, « Inji Efflatoun », op. cit. note 17.

32 Marinette, « Sur la cimaise. Galerie ADAM, exposition Inji Efflatoun », 4 mars 1952, p. 197, Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Livre d’or de l’exposition chez ADAM, mars 1952.

33 Sur le pharaonisme, voir notamment Nadia Radwan, « Le pharaonisme comme renouveau artistique », Les Modernes d’Égypte : une renaissance des Beaux-Arts et des Arts appliqués (1908-1938), Berne, Peter Lang, 2017, p. 200‑205.

34 Voir notamment Ismaïl Fayed & Fouad Helbouni, Multaqa Mada ; Mada Encounters [Forum Mada], Le Caire, Al Kotob Khan lil nachr wal tawziʿ, 2018.

35 I. Efflatoun, op. cit. note 4, not. pp. 46, 55, 99.

36 I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 7.

37 Anonyme, « Sans titre », Akhir Sa’a, 12 mars 1952. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953.

38 Anonyme, « Expositions », Images, 7 mars 1952, n. p., Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953, coupure de presse.

39 S. Hafez, op. cit. note 1.

40 I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 10‑13.

41 Ibid., p. 10-11.

42 Anonyme, « Inji Efflatoun », op. cit. note 16.

43 Pour une analyse détaillée de ce tableau et de ses divers changements de titre, voir Nadine Atallah, « Have There Really Been No Great Women Artists? Writing a Feminist Art History of Modern Egypt [N’y a-t-il vraiment pas eu de grandes artistes femmes ? Écrire une histoire féministe de l’art de l’Égypte moderne] », Under the Skin: Feminist Art and Art Histories from the Middle East and North Africa Today, Oxford, Oxford University Press, 2020 (Proceedings of the British Academy), p. 11‑25.

44 Rodolfo Pallucchini (dir.), XXVI Biennale internazionale d’Arte di Venezia [XXVIe Biennale internationale d’art de Venise], Catalogue de l’exposition (Venise, 14 juin-19 octobre 1952), 1re édition, 14 juin 1952, Venise, Alfieri Editore, 1952.

45 Maria Palma & Sidki Al-Gabakhangi (dir.), Mostra d’Arte italo-egiziana ; Al-maʿrad al-itali al-misri lil-funun [Exposition d’art italo-égyptien], Catalogue de l’exposition (Le Caire, Nadi al-moʿalimin, 14-21 décembre 1952), Le Caire, Imprimerie française, 1952.

46 Anonyme, « Inji Efflatoun », op. cit. note 17 ; C. V., op. cit. note 16.

47 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 102.

48 Ibid., p. 122.

49 Ces différences ont été observées entre les deux versions que j’ai pu consulter, conservées dans les archives de l’Ifao au Caire (fonds Inji Efflatoun) et de la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris (fonds des manuscrits, fonds Fernand Leprette, Ms. 6269[9]).

50 Anonyme, « Ma’ al-fata al-misriya, fi ma’rad al-fan [Avec la fille égyptienne, dans l’exposition artistique] », Al-Mu’arda, n. d., n. p. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953.

51 I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 11.

52 S. Hafez, op. cit. note 12.

53 Ce tableau figure sous le titre The Mother and Her Daughter dans l’inventaire du Mathaf à Doha (Qatar), où il est conservé. L’identification est rendue possible grâce à un article de Betty LaDuke, composé à partir d’entretiens avec Efflatoun menés en 1987, où il apparaît ainsi légendé : Go, Go, You are Divorced Now [Va, va, tu es répudiée maintenant].

54 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121.

55 Au contraire, par exemple, d’une de ses contemporaines, la peintresse Gazbia Sirry, qui donnait fréquemment à ses tableaux le nom des personnes qui y étaient représentées.

56 La photographie du tableau est accompagnée de la mention « Collection Mme Tayeb Hussein » dans l’album de l’exposition.

57 I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 33.

58 Ibid.

59 Marinette, op. cit. note 32.

60 I. Efflatoun, op. cit. note 7, p. 42.

61 Efflatoun note par erreur « sawt al-fann » [la voix de l’art] lorsqu’elle évoque cet épisode dans ses mémoires, I. Efflatoun, op. cit. note 6, p. 118, 119.

62 Seul témoignage autour de ce tableau, dont je n’ai trouvé aucune image, cette mention dans la presse : « 14 Novembre signifie le sentiment, condense et transpose l’âme du peuple », Marinette, op. cit. note 32.

63 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121.

64 Abdelrahman Al-Khamisi, « Min al-a’maq [Des profondeurs] », Al-Misri, 8 mars 1952, n. p., Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953.

65 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 122. On ignore le moment exact de sa disparition. Notons que le tableau figure dans la liste des œuvres incluses dans l’exposition personnelle d’Efflatoun à la galerie Shipka à Sofia (Bulgarie) en juin 1975. Le catalogue reproduit même une image en noir et blanc du tableau (Archives de l’Ifao, Le Caire, fonds Inji Efflatoun).

66 Anonyme, « Inji Efflatoun », op. cit. note 17.

67 Lettre de Ramsès Chafei à Inji Efflatoun, Gezira, 19 mars 1952, Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953.

68 I. Efflatoun, op. cit. note 4, p. 121, 122.

69 Ibid., p. 122.

70 Gabriel Boctor, « Exposition Inji Efflatoun », La Bourse égyptienne, 1er mars 1952, n. p., Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun, Album 1952-1953. Je souligne.

71 C. V., op. cit. note 16.

72 La façon dont je pus établir la date d’admission des femmes à l’École des Beaux-Arts du Caire est relatée dans N. Atallah, Les Femmes, l’art et la nation. Les engagements des artistes plasticiennes d’Égypte au mitan du XXe siècle, thèse de doctorat en histoire de l’art, Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, Paris, 2022.

73 Voir Aisha Abdel Rahman Bint Al-Shati, Al-Rif al-misri [La Campagne égyptienne], Le Caire, Maktabat wa mutba’at al-Wafd, 1936 ; Aisha Abdel Rahman Bint Al-Shati, Qadiyat al-fallah [Le Cas du paysan], [s. l.], [s. n.], 1937.

74 Note manuscrite en arabe, livre d’or de l’exposition d’Inji Efflatoun à la galerie ADAM, mars 1952, Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun.

75 Gabriel Boctor, op. cit. note 70.

76 Les archives ne conservent pas d’image de Rochers de Bretagne, mais plusieurs aquarelles de 1949-1950 montrent des rochers, et une série datée d’un mois de juillet sans année représente l’île de Bréhat, attestant qu’Efflatoun voyagea très certainement en Bretagne. Ces aquarelles sont conservées à la Bibliotheca Alexandrina, Alexandrie.

77 Anonyme, « Expositions », op. cit. note 38.

78 H. H. Ayrout S.J., op. cit. note 24, p. 152.

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Table des illustrations

Légende Figure 1. Salah Hafez, « En peignant vrai Ingi Eflatoun a révolutionné l’art en Égypte », Actualités, 26 mars 1952. Coupure de presse conservée aux archives de l’Ifao. Sur la photo en bas, on voit l’artiste (au milieu) dans son exposition, entourée de Ragheb Ayad, qui fut son professeur, et de son amie la militante féministe Ceza Nabarawi.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/35623/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 286k
Légende Figure 2. Photographie en noir et blanc du tableau identifié comme Travailleuses [Wa fi al-dar aydan], 1952, huile sur toile, 93 x 69,5 cm, Musée d’art moderne égyptien, Le Caire, Égypte.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/35623/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 201k
Légende Figure 3. Couverture du catalogue de l’exposition reproduisant le tableau Va, tu es répudiée [Ruhi, inti taliqa], v. 1952, aquarelle, dimensions inconnues, localisation inconnue.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/35623/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 231k
Légende Figure 4. Inji Efflatoun, The Mother and Her Daughter, identifié comme Va, tu es répudiée, 1952, huile sur toile, 65 x 50 cm, Mathaf (Arab Museum of Modern Art), Doha, Qatar. Numéro d’inventaire : MAT.2013.16.77. Courtoisie du Mathaf.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/35623/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 208k
Légende Figure 5. Inji Efflatoun posant avec Mon ami soudanais [Chaqiqna al-saghir min al-ganub], 1952, huile sur toile, dimensions inconnues, localisation inconnue.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/35623/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 214k
Légende Figure 6. Couverture du numéro du 17 novembre 1951 de la revue égyptienne francophone Images, Fonds Inji Efflatoun, Archives de l’Ifao, Le Caire, Égypte. Vue de la manifestation du 14 novembre 1951. Efflatoun est au premier rang au milieu, en jupe à carreaux. À sa gauche, Ceza Nabarawi porte la photo de Huda Chaarawi, leader des mouvements féministes égyptiens décédée en 1947, qui organisa la première manifestation de femmes en Égypte en 1919. Encore à gauche, des femmes brandissent le portrait peint d’Um Saber.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/35623/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 236k
Légende Figure 7. Inji Efflatoun pointant son tableau Souvenirs brûlants / Lan nansa dans son exposition à la galerie ADAM. On reconnaît Va… tu es répudiée / Ruhi, inti taliqa en haut à droite, ainsi qu’une aquarelle intitulée Le Repos 1 / Al-raha ʿandahuna au-dessous. Archives de l’Ifao, Le Caire, Fonds Inji Efflatoun.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/35623/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 185k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Nadine Atallah, « Inji Efflatoun entre le pinceau et la plume : « L’exposition de la révolutionnaire » »Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 23 | 2024, mis en ligne le 12 décembre 2024, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/35623 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ydt

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Auteur

Nadine Atallah


Nadine Atallah est historienne de l’art, spécialiste de l’Égypte du XXe siècle et plus largement de l’art moderne et contemporain du monde arabe. Chercheuse associée au laboratoire InVisu (CNRS/INHA), elle enseigne à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne (EESAB), à Rennes. Sa thèse, dirigée par Mercedes Volait (Paris-1 Panthéon-Sorbonne), porte sur les artistes femmes d’Égypte à l’époque des luttes anticoloniales et de l’installation du nassérisme. Elle a été récompensée par le prix de la fondation Martine-Aublet 2023. Attentive aux scènes contemporaines du continent africain et aux problématiques de genre, Nadine Atallah est également curatrice. Sa dernière exposition, Le Cheveu de Mu’awiya (2023), qui marquait l’inauguration du 32Bis, centre d’art et de recherche à Tunis, a rassemblé une vingtaine d’artistes contemporains.

Nadine Atallah is an art historian specialising in twentieth-century Egypt and, more broadly, the modern and contemporary art of the Arab world. She is a research associate at InVisu (CNRS/INHA) and teaches at the École européenne supérieure d’Art de Bretagne (EESAB) in Rennes. Her thesis, supervised by Mercedes Volait (Paris-1 Panthéon-Sorbonne), focused on women artists in Egypt at the time of the anti-colonial struggles and the rise of Nasserism. She was awarded the Fondation Martine-Aublet prize in 2023. Nadine Atallah is also a curator, interested in the contemporary art of the African continent and gender issues. Her most recent exhibition, Le Cheveu de Mu’awiya (2023), which marked the inauguration of the Tunis art and research centre 32Bis, brought together twenty or so contemporary artists.

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