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Parcours d’une œuvre culturelle lobi du Burkina Faso : le bitebo d’Henri Labouret

The story of a Lobi cultural object: Henri Labouret’s bitebo
Saga Ouiya

Résumés

Le « bitebo » est un tabouret en bois provenant du Burkina Faso. Il est collecté, entre 1912 et 1920, pendant la colonisation française, par l’administrateur colonial Henri Labouret. C’est dans un contexte lobi d’instabilité caractérisé par des révoltes, des résistances et des campagnes dites de pacification que Labouret acquiert le bitebo et en fait don, par la suite, au musée d’ethnographie du Trocadéro. L’objet est un véritable reflet de l’identité culturelle du peuple lobi. Le tabouret est utilisable à la fois par les hommes et par les femmes. Il remplit trois fonctions majeures : il est une arme de proximité, un objet rituel et un outil. Sa collecte et son entrée au musée coïncident avec la découverte et la diffusion de l’art lobi en Occident.

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Texte intégral

  • 1 L’œuvre fait partie du corpus d’étude de ma thèse de doctorat débutée en 2022 et intitulée Le Comme (...)

1Le bitebo, « tabouret » en lobiri, est un objet traditionnel des Lobi, peuple d’Afrique de l’Ouest implanté au sud-ouest du Burkina Faso, au nord-ouest du Ghana et au nord-est de la Côte d’Ivoire (fig. 1). Le bitebo1 dont nous tenterons de cerner la biographie est aujourd’hui conservé au musée du quai Branly - Jacques Chirac sous le numéro d’inventaire 71.1921.9.13. Il a été collecté entre 1912 et 1920 par Henri Labouret (1878-1959) lorsque celui-ci était administrateur colonial français au Burkina, ancienne Haute-Volta.

Figure 1. Carte du pays lobi. Conception par l’auteur.

2On pourrait arguer que le bitebo no 71.1921.9.13 n’est pas le plus remarquable spécimen de ce type de tabourets parvenus dans les musées occidentaux. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison qu’il est très peu sorti des réserves et n’a été exposé que deux fois : en 2009 pour l’exposition Images d’une Afrique en mutation, 1884-1914 au musée d’art et d’histoire Louis-Senlecq, à l’Isle-Adam, et en 2017 pour l’exposition Picasso primitif qui s’est tenue à Paris au musée du quai Branly. Pourtant, en dépit de ce manque de notoriété, cet objet est par son histoire singulière particulièrement intéressant. Il est en effet à la croisée de trois grandes trajectoires qui ont marqué l’histoire de l’art africain et de sa réception en Occident. Le bitebo no 71.1921.9.13 est non seulement le produit d’une des cultures majeures de l’Afrique de l’Ouest, mais il se trouve aussi, par la figure de l’homme qui l’a collecté, au cœur de la question du colonialisme et de l’émergence de l’ethnographie et de ses musées au début du XXe siècle. L’œuvre est porteuse de l’ambivalence de la personne d’Henri Labouret : celui-ci n’a pas été qu’un simple acteur de la mise en place de l’administration coloniale française au Burkina, il a également publié plusieurs ouvrages relatant ses observations in situ et a entamé, dès 1925, une carrière d’ethnographe auprès de figures aussi emblématiques que Georges Henri Rivière, Maurice Delafosse ou Michel Leiris. L’histoire de ce bitebo est donc intrinsèquement liée à celle de la conquête coloniale (avec tous ses corolaires) et à la diffusion des arts lobi dans le monde.

  • 2 La consultation a eu lieu en mars 2022 en marge de mon master en muséologie réalisé à l’École du Lo (...)

3La présente étude consiste ainsi à retracer le parcours exceptionnel de l’artefact et à en présenter la communauté productrice et le contexte de collecte. Outre la recherche dans la littérature scientifique, la méthode utilisée est une observation physique de l’œuvre2, des consultations d’archives et de quelques documents techniques du musée du quai Branly.

  • 3 Henri Labouret, Les Tribus du Rameau lobi, Paris, Institut d’ethnologie, 1931, p. 188, (Illustratio (...)

4Constatant que très peu d’études3 ont été consacrées à ce type de tabourets, alors qu’ils occupent une place de choix dans la vie rituelle et quotidienne du Lobi, nous proposons dans un premier temps de replacer la production matérielle du bitebo no 71.1921.9.13 dans son contexte culturel de création en évoquant surtout ses usages d’origine. Dans un second temps, nous aborderons l’histoire de sa collecte durant la période coloniale, dans un milieu en mutation, souvent brutal, ayant la plupart du temps brouillé les pistes du parcours initial de ces artefacts, en détruisant les sources relatives aux conditions dans lesquelles les acquisitions ont été faites. Enfin, nous suivrons la trace du bitebo au sein des institutions muséales qui l’ont accueilli et conservé dans un contexte intellectuel lui aussi en évolution.

I. Le bitebo et ses origines

  • 4 H. Labouret, op. cit. note 3, p. 27, 28. La datation formulée par Henri Labouret n’a pas été remise (...)
  • 5 Les cercles sont d’anciennes divisions administratives créées par l’administration coloniale frança (...)
  • 6 Cécile de Rouville, Organisation sociale des Lobi. Burkina Faso et Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmatta (...)
  • 7 Sayouba Traoré, « Les Lobis, entre tradition et modernité », Le Coq Chante, RFI, 24 décembre 2011. (...)

5La migration des Lobi vers le Burkina est partie du nord du Ghana, traversant la région de Wa et la Volta Noire. Leur installation au Burkina Faso, selon Henri Labouret, date des années 17704, avec l’implantation du clan des Kambiré, le plus ancien à Batié. Depuis lors, ils s’installent progressivement dans la région. L’occupation territoriale actuelle des Lobi au Burkina correspond à l’ancien cercle de Gaoua5, à l’exception d’une fraction qui se retrouve dans la Sissili. Pour Cécile de Rouville, le terme « lobi » est utilisé pour désigner « à la fois des populations ‘‘résiduelles’’ qui ont emprunté aux Lobi certains traits culturels » et d’autres qui partagent avec ces derniers « le même fonds d’institutions et de culture6 ». Ainsi, le « Lobi » ou « Rameau lobi », dénomination des autorités coloniales françaises, regroupe l’ensemble de la région du Sud-Ouest burkinabè occupée par les Dagara, Birifor, Dian, Gan, Pougouli, Téguessié et les Lobi à proprement parler. Comme le dit le journaliste Sayouba Traoré, les Lobi sont « l’un des peuples d’Afrique qui a su garder intactes sa culture et ses traditions7 ».

1. Le bitebo

  • 8 Catalogue des collections du musée du quai Branly - Jacques Chirac, disponible en ligne : www.quaib (...)
  • 9 H. Labouret, op. cit. note 3, p. 188.

6Le bitebo (fig. 2) est un tabouret à trois pieds dont l’assise en forme de triangle, légèrement incurvée, est parallèle au sol. Il est en bois, décoré d’éléments en métal – un alliage de cuivre, d’argent et de fer. La base est bordée par une série de clous. Quant au sommet, le pied allongé est très oblique et se termine en forme de gland pénien. À l’extrémité opposée, prolongeant la base du siège, se trouve une tête sculptée de guerrier avec une coiffure en cimier8. Dans certains cas, la coiffure est en casque9.

Figure 2. Tabouret Bitebo (siège-massue), avant 1921, Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac, inv. 71.1921.9.13. Bois, alliage cuivreux, alliage ferreux, alliage base argent. Hauteur : 16 cm. Longueur : 26 cm. Largeur : 12 cm. Poids : 1 122 g. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / Michel Urtado / Thierry Ollivier

  • 10 Constat d’état établi par le musée du quai Branly en juin 2009.
  • 11 G. F. Scanzi, op. cit. note 3, p. 69.

7Ce modèle de coiffure est fréquent dans les trois tribus, chez les Lobi, les Birifor et les Téguessié. L’œuvre que nous étudions a connu une restauration précédant la collecte, à l’arrière du cou10, précisément entre le cou et le plateau du siège (fig. 3). Le matériau utilisé pour cette opération semble être un alliage d’argent. Précisons que ces peuples utilisent fréquemment l’argent à des fins de culte. Le visage, modelé avec soin, est allongé, les yeux et la bouche sont proéminents et bien détaillés, ainsi que le nez, dominant un menton carré. Pour Giovanni Franco Scanzi, « l’originalité [du personnage] confirme par ailleurs l’importance de la tête dans toute représentation humaine pour les Lobi11 ». Le manche est orné à la partie supérieure d’entailles régulières destinées à faciliter la préhension. À la base du crâne, la petite projection géométrique permet de réunir l’autre extrémité par une corde de portage. Ce type de tabourets offrent à leurs utilisateurs la possibilité de se tourner de tous les côtés quand ils sont assis.

Figure 3. Tabouret bitebo (détail), avant 1921, Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac, inv. 71.1921.9.13. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / Michel Urtado / Thierry Ollivier

  • 12 J.-P. Barbier-Mueller et al., op. cit. note 3, p. 94-95.
  • 13 Ibid., p. 98.
  • 14 S. Traoré, art. cité note 7.
  • 15 Adama Tomé, Les Agressions contre les masques gurunsi (1840-2010), Paris, Éditions universitaires e (...)

8Si la question du bois utilisé est encore incertaine, le soin apporté à l’objet laisse présager qu’il y a eu un choix étudié de l’essence. L’arbre utilisé pour la fabrication n’est pas connu. Nous savons que les arbres couramment employés dans la culture lobi pour ce type d’objets sont entre autres le caïlcédrat et les espèces Terminalia macroptera, Tamarindus indica et Diospyros mespiliformis. Le bois du caïlcédrat est particulièrement compact et résistant. Il est de ce fait utilisé pour la fabrication d’autres types de tabourets par des cultures burkinabè. C’est le cas des tabourets traditionnels sculptés par les forgerons-sculpteurs des Bwaba, dans les régions de Solenzo et Sanaba12 (boucle du Mouhoun, Dédougou). Selon Daniela Bognolo, on sculpte le tabouret en bois de sii (Diospyros mespiliformis), arbre au pied duquel est généralement situé l’autel de la terre du village dont le culte régit tout rapport entre les habitants et les puissances du sol13. L’artiste se soumet à certaines règles et conditions : « Un sculpteur, dit Sayouba Traoré, doit s’assurer en coupant un arbre qu’il n’est pas la maison des génies. On ne coupe pas l’arbre entier, mais on prélève une branche même si les rites autorisent qu’on lui coupe14. » Selon les fonctions de l’objet, sa fabrication est soumise à un certain nombre de règles à respecter. En effet, au cas où il est d’un usage utilitaire, il peut être façonné par un artiste libre qui relève donc du domaine de l’artisanat. Dans une telle situation, c’est le talent de l’artiste qui prime. En revanche, si elle est rituelle, sa fabrication revient à des artistes initiés. Ces derniers maîtrisent des codes dans le choix de l’essence et dans le processus de création de l’objet. Un parallèle peut être fait avec la fabrication des masques, en particulier des masques gurunsi. À leur propos, Adama Tomé souligne que « n’importe quel bois n’est pas travaillé. Un ensemble de prescriptions règle le choix de l’essence qui sera travaillée15 ».

  • 16 G. F. Scanzi, op. cit. note 3, p. 37.

9Raffiné, précis, le bitebo no 71.1921.9.13 donne une preuve contraire aux assertions de certains ethnographes qui estiment que l’art lobi ne dispose « pas de grands maîtres, pas d’initiation » et que ce sont des « sculpteurs presque tous non professionnels »16. Révélation réelle du sens artistique des Lobi, notre bitebo est un objet d’art de grande valeur ayant exigé un travail considérable de l’artiste qui l’a exécuté.

2. De l’origine : l’identité de l’artiste en question

  • 17 Raoul Lehuard & Louis Perrois (dir.), Ni anonyme, ni impersonnel, Actes du troisième colloque europ (...)
  • 18 Manuel édité en mai 1931 par la Mission Dakar-Djibouti. Il donne quelques directives sur la collect (...)
  • 19 Henri Labouret fait partie des volontaires ayant rédigé les fiches d’objets. Nous ne savons pas s’i (...)

10Généralement, les œuvres lobi, à l’instar des œuvres traditionnelles d’Afrique noire, ne portent pas de signature. Le tabouret qui nous occupe ne déroge pas à la règle. En outre, les bitebo bénéficient d’une grande production qui se perpétue dans le temps et sur tout le territoire lobi. La seule manière de connaître le nom de l’artiste est de procéder par comparaison stylistique fine ou de disposer d’éléments transmis au moment de la collecte de l’objet. Dans le cas de notre bitebo, on ne dispose pas de sources suffisantes. Le musée n’a pas pour le moment de ressources nous permettant d’identifier l’artiste. Les seuls documents disponibles sont les inventaires du musée d’ethnographie du Trocadéro. Ils comportent entre autres des informations sur l’identité du donateur ou le nom de la mission de collecte, le groupe socio-culturel ayant produit l’objet, la typologie ou l’appellation de l’œuvre, l’aire géographique de provenance (en général très vague) et l’année de donation. Qui est l’auteur du bitebo ? Il est, semble-t-il, trop tard pour obtenir une réponse précise à cette question. Au début du XXe siècle, comme le rappelle Raoul Lehuard, ce genre d’informations ne figurait pas au nombre des préoccupations des colons, des missionnaires, des enquêteurs17 ». Ce qui importe plus est de collecter autant que possible. C’est à partir de 1931, avec l’avènement des Instructions sommaires pour les collecteurs d’objets ethnographiques18, que les collecteurs vont faire preuve d’exigence en accompagnant chaque objet collecté d’informations19 détaillées.

  • 20 Daniela Bognolo, « Art lobi : les styles et ses maîtres », Lorenz Homberger & Eberhard Fischer (dir (...)
  • 21 Sihinté Palé (?-1950), père de Tyohépté Palé, et Binshité Khambu sont entre autres des artistes lob (...)
  • 22 H. Labouret, op. cit. note 3, p. 188.

11Toutefois, on peut émettre quelques hypothèses sur l’identité de celui qui a créé le bitebo no 71.1921.9.13 grâce aux informations de Labouret, qui a lui-même fait œuvre d’ethnographe. Dans son livre intitulé Les Tribus du Rameau lobi publié en 1931, il illustre un tabouret du même type que celui présentement étudié. Il y fait cas de l’artiste lobi Sikiré Kambiré (1896-1963), auquel il commande un masque baoulé de la Côte d’Ivoire. Nous savons par ailleurs que Sikiré Kambiré est renommé dans la sculpture entre autres de tabourets, de cannes, de statuettes. Il produit pour les fonctionnaires coloniaux toutes sortes de mobiliers et de sculptures en bois, parmi lesquels des copies d’objets traditionnels20. Les tabourets sculptés par cet artiste présentent les mêmes caractéristiques que celui que nous étudions : le soin particulier du dossier, la tête bien tressée, le polissage presque entier du tabouret, l’objet sculpté sur un bloc de branche d’arbre. Au vu de tous ces éléments, l’auteur de notre bitebo pourrait-il être Sikiré Kambiré ? Aucune preuve tangible, dans l’état actuel de la recherche, ne permet de le confirmer. Sikiré Kambiré, tout comme les autres sculpteurs, recevait des commandes au niveau local, c’est-à-dire au sein de sa communauté et des communautés voisines de la région, en l’occurrence les Yorubas du Nigéria ; enfin au niveau international, par les touristes et les coloniaux occidentaux. Si l’on peut émettre l’hypothèse que l’œuvre est de Sikiré Kambiré, il faut garder à l’esprit que cet artiste n’était pas le seul à cette époque à disposer du savoir-faire pour sculpter un tel tabouret21. Aussi, le bitebo est une tradition lobi de longue date. Sikiré avait formé des élèves qui pouvaient produire une telle œuvre, comme le souligne Henri Labouret à son propos : « Beaucoup d’indigènes sont particulièrement doués pour le travail du bois. L’un d’eux a été chargé par moi de reproduire, il y a quelques années, un masque [tête de masque] baoulé que j’avais rapporté de la Côte d’Ivoire. Depuis, il taille des objets pareils à un nombre considérable d’exemplaires pour les vendre aux Européens, il a même fait des élèves produisant pour l’exportation22. »

3. Les usages du bitebo à trois pieds en pays lobi

  • 23 Ibid., p. 188.
  • 24 Ibid., p. 188.

12En pays lobi, nous distinguons deux grandes catégories de tabourets : le tabouret à trois pieds réservé aux hommes et celui à quatre pieds dont l’usage revient aux femmes. Les tripodes ont généralement la même forme, à l’exception du sommet supérieur (la tête) qui varie. On en trouve en tête de calao stylisée, en tête d’antilope (fig. 4) ou en tête humaine. « Souvent, le siège est bicéphale, quelquefois il est simplement pourvu d’une tête de calao assez grossière23 », écrit Labouret. Lorsque le bitebo est anthropomorphe, il se termine à l’extrémité supérieure par une tête, le plus souvent de guerrier. Cette représentation reflète l’image de la société lobi, réputée invulnérable et légendairement connue pour son esprit guerrier. Utilisé dans la famille par l’homme, il marque son statut ou son rang au sein de celle-ci. La spécificité du sommet du pied en forme de gland pénien est sans doute un symbole de la force et de la virilité de l’homme lobi. Dans ce contexte de la société lobi, nous comptons trois usages possibles du bitebo no 71.1921.9.13, à savoir sa fonction d’arme, son usage rituel et son emploi utilitaire. C’est pourquoi Labouret souligne que parmi les objets destinés à assurer la protection personnelle des individus, « le plus remarquable est le siège à trois pieds que Birifor, Lobi et Téguessié portent constamment sur l’épaule lorsqu’ils se déplacent. Assez instable, il offre l’avantage à son propriétaire de s’asseoir et de lui fournir, en cas de besoin, un casse-tête pouvant rendre de très appréciables services24. »

Figure 4. Deux autres exemples de tabourets lobi. © Sièges d’Afrique noire du musée Barbier-Mueller, catalogue d’exposition, 5 Continents Éditions, 2003, p. 99.

  • 25 L’instabilité dans le Lobi avant la colonisation se manifeste surtout par des querelles personnelle (...)

13Employé comme un tabouret-massue, il est utilisé par les hommes qui l’emportent dans leurs déplacements et s’en servent comme arme d’attaque dissimulée. Il est généralement porté sur l’épaule (fig. 5). Avant le contact avec l’Occident, le pays lobi connaissait déjà un climat d’insécurité25 délétère. Cela se poursuit pendant la colonisation, marquée par des mouvements de résistance. Les Lobi tirent parti de leur esprit d’ingéniosité pour créer une telle arme garantissant la défense partout où ils se trouvent. Ainsi, si l’arc était autrefois la principale arme de guerre et de chasse chez les Lobi, il est suivi par le bitebo, qui a l’avantage de dissimuler son aspect menaçant.

  • 26 C. de Rouville, op. cit. note 6, p. 164.

14Les Lobi adoptent le système de parenté à plaisanterie, un pacte social établi entre des clans. Ce pacte régit, voire interdit les conflits. Les relations à plaisanterie entre matriclans régulent les facteurs de discorde et constituent un moyen de cohésion permettant de diminuer leur survenance. « Des relations à plaisanterie associent deux à deux les quatre matriclans lobi : les Kambou sont alliés aux Hien, les Da aux Somé/Palé26. » Les clans alliés jouent l’un pour l’autre le rôle de médiateur dans les altercations entre parents de matriclan et, en cas de meurtre, peuvent intervenir pour empêcher des représailles.

Figure 5. Jeune Lobi arborant à l’épaule un bitebo (à droite). © Les Bois qui murmurent, la grande statuaire Lobi de la collection François & Marie Christiaens, catalogue d'exposition de la Nonciature de Bruxelles, 2016, p. 97.

  • 27 Encore orthographié dyoro ou gyoro, il désigne un rite de passage de l’enfance à l’adulte. Rite maj (...)
  • 28 J.-P. Barbier-Mueller et al., op. cit. note 3, p. 98.
  • 29 Ibid., p. 98.
  • 30 C’est l’exemple du toopar, tabouret utilisé pour effectuer des sacrifices, qui devient daaka, « j’a (...)

15Le caractère rituel du bitebo repose sur son emploi par les prêtres, les dignitaires et les chefs de clan, par exemple à l’occasion des grands rites comme le joro27, les rites familiaux et les deuxièmes funérailles (bobur). Symbole de la cohésion, il est employé pour souligner le statut du propriétaire lors des situations solennelles. C’est le cas des tabourets arborés par les chefs religieux du joro28. Les ornementations de la tête représentent des insignes de la haute charge qu’ils occupent au sein de la société. Pour Daniela Bognolo, « par sa forme et sa matière, ce tabouret symbolise une relation à la terre en position accroupie (à to par), expression qui sous-entend le fait d’effectuer des sacrifices29 ». En effet, il s’emploie dans les thilduù, lieux sacrés qu’un homme aménage après la mort du père pour rendre un culte aux ancêtres veillant sur sa descendance. Le tabouret que ce dernier utilisera durant ses pratiques ne sortira du thilduù qu’après sa mort. Il sera hérité par le fils susceptible de perpétuer ses cultes. Changeant d’usager, l’objet change aussi de nom30.

16Le tabouret reste enfin la plupart du temps utilisé comme un siège pour se reposer, à la maison, au marché, au cabaret, etc. C’est un objet utilitaire. Pendant la saison sèche, où il n’y a pas de travaux champêtres, les marchés et cabarets sont animés et jouissent d’une fréquentation intense, d’où l’usage et l’importance du bitebo.

  • 31 J.-P. Barbier-Mueller et al., op. cit. note 3, p. 96.

17Dans l’état actuel de nos connaissances, le bitebo ici étudié n’est pas lié au pouvoir, à la différence du dogoshaba (siège à dossier) chez les Gurunsi, notamment les Lyéla, une autre culture du Burkina où « ne peut s’asseoir [sur ce tabouret] que l’aîné d’une maison, périmètre de son usage hors duquel il n’a aucun lien au pouvoir. L’unique statut social auquel on puisse l’associer est celui de doyen de lignage31. » De cette œuvre à multiples facettes, le propriétaire est libre de faire ce que bon lui semble à l’exception des cas d’héritage où, visiblement, l’héritier ne peut modifier les fonctions assignées au tabouret. En effet, une personne qui hérite d’un bitebo consacré au thilduù ne peut pas changer ces fonctions. Il doit être utilisé dans ce cadre précis.

II. Parcours du bitebo à partir de sa collecte

18Généralement, le parcours historique et institutionnel des œuvres collectées en contexte d’occupation est lié au parcours du ou des collecteurs – qu’ils soient militaires, ethnographes – et de leurs connexions avec le milieu de l’art, en particulier les musées. Le bitebo no 71.1921.9.13 n’est pas resté en marge de ce principe. Ainsi, pour comprendre l’histoire de cette œuvre, il est important de faire un bref portrait du collecteur, Henri Labouret.

1. Parcours colonial du collecteur Henri Labouret en pays lobi

  • 32 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463. Ministère des Colonies.
  • 33 Michèle Fiéloux, Jacques Lombard & Jeanne-Marie Kambou-Ferrand (dir.), Images d’Afrique et sciences (...)
  • 34 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463. Ministère des Colonies.
  • 35 Ibid., Lettre du capitaine H. Labouret au ministre des Colonies, novembre 1918.
  • 36 M. Fiéloux, J. Lombard & J.-M. Kambou-Ferrand (dir.), op. cit. note 33, p. 86.
  • 37 Ibid., p. 84.
  • 38 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463. Ministère des Colonies.

19Henri Labouret est né à Laon (Aisne) le 27 mai 1878. Il intègre l’armée française le 29 octobre 1897 en tant qu’engagé volontaire32. Sa carrière coloniale commence le 1er avril 1908 lorsqu’il rejoint le 5e régiment d’infanterie coloniale. Il sert en Afrique occidentale française (AOF) jusqu’en 1924. Son séjour au Burkina Faso se passe en deux séquences. En effet, après une blessure en 1911 en Côte d’Ivoire lors de combats, il est nommé résident de Diébougou, en Haute-Volta, où il officie de 1912 à 1914. Dans cette subdivision, Henri Labouret élève les chefs de terre au rang de chefs politiques et découpe le pays en chefferies de villages et de cantons, relais indispensables de l’administration coloniale33. De 1914 à 1924, Labouret est administrateur du cercle de Gaoua, dont le climat d’insécurité et d’insurrection est marqué tant par les conflits entre populations locales que par la résistance de celles-ci à la conquête européenne. Dès 1913, le souci d’exploitation et d’administration justifie aux yeux des puissances coloniales « la pacification du pays et sa soumission aux règles ordinaires34 ». Labouret établit le constat de la complexité en ces termes : « La région du Lobi est, depuis la conquête, une cause d’inquiétude et de préoccupations pour le gouverneur général. Jusqu’à ces dernières années, ses populations ne connaissent d’autre loi que la plus sauvage vengeance ; considéraient tout étranger comme un ennemi, et le sacrifiaient cruellement35. » Les causes de l’insoumission et le refus des Lobi à la cause coloniale sont imputés à ses prédécesseurs, qui selon lui privilégiaient « la méthode pacifique ». Labouret estimait ainsi que celle-ci « donnait aux indigènes l’impression que nous sommes faibles36 ». Le recours aux méthodes répressives s’installe à travers des pendaisons publiques et des tortures infligées, même aux femmes enceintes37. Labouret parvient à établir l’ordre colonial sur la région et présente ainsi ses succès en 1918 : « La portée et les résultats de mes efforts se marquent par des chiffres officiels. Dès 1915, la saisie annuelle des troupeaux était remplacée par le paiement involontaire de l’impôt en argent. La sécurité des routes se traduisait par une augmentation considérable des droits de douanes et de marchés. De juin 1914 à ce jour [novembre 1918], 299 indigènes capturés au cours d’opérations locales pénibles38. »

  • 39 Mahir Saul & Patrick Royer, West African challenge to Empire: Culture and History in the Volta-Bani (...)
  • 40 Vincent Joly, Guerres d’Afrique. 130 ans de guerres coloniales. L’expérience française, Rennes, Pre (...)
  • 41 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463, Ministère des Colonies, Notes du lieutenant-gouverneur de Oua (...)
  • 42 Ibid., Notes confidentielles, 1922.

20Cette conquête et ces « campagnes de pacification » restent ponctuées de conflits et de résistances. Le conflit majeur de la conquête française du Burkina Faso, voire en AOF, est la guerre du Bani-Volta, encore appelée révolte des Bwa, qui se déroule de novembre 1915 à juillet 1916. Les causes de la guerre résultent de l’opposition aux multiples exactions de l’administration coloniale. Le bilan est très lourd en termes de vies humaines ainsi que sur le plan économique. Saul et Royer estiment le total des pertes africaines à 30 000 âmes. Des villages entiers sont détruits39. À Bobo, les insurgés laissent 2 000 morts sur le terrain40. Henri Labouret, alors capitaine et commandant du cercle de Gaoua, est présent pendant ces événements41. Il est à la tête d’une colonne du 2e régiment de tirailleurs sénégalais de novembre 1915 à juin 191642. Henri Labouret est un personnage dont l’ombre est de manière indélébile liée à l’histoire des Lobi, d’une façon particulièrement négative. Ce qui aujourd’hui peut paraître paradoxal est le fait que pendant toute cette période, il consigne des informations ethnographiques et photographiques et recueille des témoignages sur cette population à laquelle il mène la chasse dans le même temps.

21De retour en France en 1925, Labouret se consacre à la diffusion de ses connaissances relatives aux populations soudanaises en devenant enseignant notamment de langues et de civilisations soudanaises. En septembre 1929, il effectue un voyage au Burkina au cours duquel il parcourt l’ouest du pays jusqu’à Gaoua, la capitale du Lobi. Il meurt à Paris le 4 juin 1959.

2. La collecte in situ du bitebo

  • 43 S. Ouiya, Conquête coloniale française et circulation des biens culturels au Burkina Faso (1900-193 (...)
  • 44 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463, Ministère des Colonies.
  • 45 M. Fiéloux, J. Lombard & J.-M. Kambou-Ferrand (dir.), op. cit. note 33, p. 93.
  • 46 Roger Somé, Art africain et esthétique occidentale. La statuaire lobi et dagara au Burkina Faso, Pa (...)

22Durant la période coloniale, quatre principaux modes de collecte étaient courants : le don, la commande ou l’achat, le vol et la prise de guerre43. En ce qui concerne le bitebo no 71.1921.9.13, tous ces modes peuvent être supposés. Néanmoins, celui de la prise de guerre paraît le plus plausible. Les « campagnes de pacification » se sont parfois accompagnées de prises de guerre, comme le constate Labouret dans une de ses correspondances : « La soumission et la pacification du Lobi seraient éphémères si la région n’était pas désarmée. Depuis le 1er janvier [1919], j’ai obtenu le versement de six cents projectiles empoisonnés et d’un grand nombre de fusils beaucoup moins dangereux que les flèches préparées au Strophantus et dont la blessure est généralement mortelle44. » Peut-on considérer la prise de guerre comme modalité d’acquisition de ce tabouret ? L’hypothèse peut être retenue en ce sens que le bitebo no 71.1921.9.13 est une arme de défense pour le Lobi, qui pouvait donc être retirée d’un champ de bataille ou versée sous la contrainte. Il faut noter que l’administration coloniale s’acharne à priver les Lobi de leurs armes45. Roger Somé rappelle que de manière générale, les « objets furent rarement achetés ou cédés volontairement par les populations46 ».

  • 47 Le thiduù de Sihinté Palé, maison où sont conservées ses sculptures, a fait l’objet de plusieurs vo (...)
  • 48 Ibid., p. 19-20.

23Si la prise de guerre est vraisemblable, il ne faut cependant pas écarter la piste de l’achat. Henri Labouret administre la région, réunit les Lobi à plusieurs occasions, participe de nombreuses fois à des cérémonies rituelles, par exemple le joro. Homme de terrain, il a probablement vu le siège dans l’un de ses contextes d’usage et pourrait l’avoir acheté. Cette thèse est cependant remise en question par le fait que le bitebo, qui montre des traces d’usure, a déjà été utilisé dans son milieu d’origine. Il semble donc inadmissible, vu l’attachement que les communautés ont à leurs biens culturels, qu’il ait été proposé pour une vente. Mais les vols d’objets sont un phénomène courant en pays lobi. L’artefact pourrait avoir été dérobé et revendu. Dans ces conditions, si Labouret l’a acheté, c’est par l’entremise d’un ou de plusieurs intermédiaires. Toutefois, il faut souligner que la vente d’objets entre artistes et touristes existait en pays lobi à cette époque. Ce qui signifie que tout achat ne veut pas dire forcément que l’objet est issu d’une source illégale ou illégitime. Le témoignage de Tyohépté Palé, artiste ayant appris l’art de sculpter auprès de son père dès les années 1920, est révélateur : « Quand un type venait voir mon père47, il lui disait qu’il a besoin de tel modèle de thilduù. Quand mon père était occupé, il me disait : “Il faut que tu sculptes tel modèle pour Untel, il reviendra le chercher.” Quand je vendais comme ça le type lui remettait l’argent et mon père dépensait ça48. » Quel que soit le mode d’acquisition du bitebo no 71.1921.9.13, il ne faut pas négliger l’intérêt esthétique qui a sans doute contribué aux choix de Labouret.

3. Parcours de l’œuvre : de la donation à sa situation actuelle

  • 49 Inventaire du MET-Laboratoire d’ethnologie. Cote : D000549/29149.

24Le passage des œuvres culturelles et cultuelles burkinabè, et en particulier lobi, de la case traditionnelle au musée est le fruit des premiers voyageurs du XIXe siècle. La circulation des objets s’est accentuée pendant la colonisation et les décennies suivantes. En France, l’un des premiers musées ayant acquis des objets provenant du Burkina est le musée d’ethnographie du Trocadéro (MET). Le MET est ouvert en 1878. Les collections des cabinets de curiosités et celles dispersées dans différents musées sont rassemblées, étudiées puis présentées au public. Henri Labouret assure les fonctions de secrétaire général de la Société des amis du MET, fondée en 1914. Celle-ci favorise les acquisitions, notamment les donations. Outre cette fonction, Labouret est chargé de mission du MET, puis collaborateur pour la rédaction des fiches d’objets. On remarque un rapprochement entre ce dernier et le personnel du MET, rapprochement qui aboutira à des donations. En effet, Labouret fait, pour sa collection provenant du Burkina, une première donation en 1921, puis une autre en 1930. Celle de 1921 est composée de quinze objets (essentiellement des armes) provenant tous du Lobi, dont le bitebo49. C’est au cours de ses congés du 27 juillet 1920 au 1er juin 1921 en France, alors qu’il est encore en poste à l’administration du pays lobi, qu’il donne cette série d’objets. Sur la fiche d’inventaire du musée consacrée à la « collection d’objets provenant du Lobi offerts par Henri Labouret » figure en tête le bitebo.

25En 1935, le MET est fermé pour travaux. À sa réouverture en 1937, il change de nom et devient le musée de l’Homme. À la fin des années 1990, la création d’un musée des Arts premiers est annoncée. Ce projet aboutit à l’inauguration, en juin 2006, du musée du quai Branly, qui comprend les collections du laboratoire d’ethnologie et du laboratoire d’anthropologie du musée de l’Homme et celles du musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie. Ces différentes évolutions onomastiques s’accompagnent du développement d’une pensée critique sur les pratiques de l’ethnographie et d’un regard différent sur les collections extra-européennes. Le bitebo no 71.1921.9.13 suit cette trajectoire institutionnelle pour se retrouver de nos jours conservé au musée du quai Branly - Jacques Chirac. Le parcours historique de cet artefact depuis son intégration dans les collections publiques françaises est ainsi lié de façon indélébile à l’histoire du musée du quai Branly.

  • 50 Yénouaba Georges Madiéga & Oumarou Nao (dir.), Burkina Faso, cent ans d’histoire, 1895-1995, Actes (...)
  • 51 FR-ANOM — 1 ECOL 129, Personnel administratif et enseignant, Lettre de Labouret du 17 juin 1934.

26La collecte du bitebo intervient au début de la connaissance et de la diffusion des civilisations lobi en Occident. En effet, la culture lobi a depuis fait l’objet de plusieurs travaux de recherche. Les Tribus du Rameau lobi d’Henri Labouret reste incontestablement le plus riche sur le sujet. Cet ouvrage est un condensé de faits basés sur une observation directe de l’auteur à une période où le contact avec l’Occident et les religions étrangères était à peine engagé. Les modes de vie lobi, de façon générale, étaient encore plus ou moins intacts. On doit donc l’essentiel de ce que l’on sait aujourd’hui sur les Lobi à Labouret, dont la figure cristallise plusieurs facettes : militaire, administrateur colonial, collecteur, donateur et ethnographe. Son apport à l’ethnographie africaine se singularise par ses recherches relatives aux Lobi enclenchées dès le début des années 191050. Son travail, comme il le précise lui-même, entre dans le cadre d’une « sociologie appliquée à la conquête51 » et donne un aperçu de la société lobi au début de la colonisation française. Le bitebo collecté par Labouret influence ensuite ses choix, voire la sélection d’objets lors de ses futures acquisitions. En effet, ce militaire et scientifique a cherché à constituer des séries en collectant d’autres tabourets en AOF, notamment en Côte d’Ivoire et en Guinée, puis au Cameroun.

27L’étude de ce bitebo ouvre ainsi tout une large fenêtre sur les civilisations des Lobi, de leur diffusion, aux choix d’Henri Labouret dans ses activités de collecte d’artefacts. Le travail d’ethnographe de cet homme reste à approfondir, car nous n’avons pas encore accès à la totalité de ses archives et de ses collections pour établir les séries et sa méthode. Notre étude pose ainsi une problématique commune aux collectes coloniales : l’insuffisance de sources et leur inaccessibilité.

28Le bitebo no 71.1921.9.13 n’a pas encore livré tous ses secrets. Son histoire est liée à l’histoire coloniale du pays lobi et du Burkina Faso. Les caractéristiques relatives à sa fabrication, à ses usages et aux contextes dans lesquels il est utilisé sont un reflet de l’identité culturelle des Lobi. Le statut sociopolitique de certaines personnes comme les devins, les guérisseurs, les prêtres du joro se marque par les objets qu’ils détiennent. Le bitebo assure ce rôle de marqueur social. Il est un important témoin d’une tradition, d’un savoir-faire, de l’inventivité et de la beauté avec lesquels les Lobi enrichissent leur vie. Les productions culturelles, qu’il s’agisse d’outils, d’objets rituels ou d’œuvres artistiques, sont de véritables ambassadrices qui véhiculent et incarnent les identités culturelles des peuples dans le temps et l’espace. Malgré les mutations sociales, ce type d’objets sont de nos jours encore fabriqués et utilisés, même si les techniques ont évolué. Durant la colonisation et les décennies qui ont suivi, les œuvres d’Afrique noire étaient taxées de « primitives » ou de « sauvages ». Ainsi la collecte du bitebo par Henri Labouret et son entrée au musée sont-elles une invitation à repenser les modes de perception des arts d’Afrique au début du XXe siècle.

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Notes

1 L’œuvre fait partie du corpus d’étude de ma thèse de doctorat débutée en 2022 et intitulée Le Commerce des biens culturels lobi du Burkina Faso de 1900 à nos jours : productions, modalités de cession et circulations, sous la direction de Vincent Michel, Gaëlle Beaujean et Adama Tomé, Université de Poitiers/École du Louvre. Je suis à ce titre titulaire d’une bourse de recherche de troisième cycle de l’École du Louvre.

2 La consultation a eu lieu en mars 2022 en marge de mon master en muséologie réalisé à l’École du Louvre.

3 Henri Labouret, Les Tribus du Rameau lobi, Paris, Institut d’ethnologie, 1931, p. 188, (Illustrations : planche XVI, photographies 1 et 2) ; Giovanni Franco Scanzi, L’Art traditionnel lobi, Milanos, 1993, p. 9 ; Jean-Paul Barbier-Mueller et al., Sièges d’Afrique noire du musée Barbier-Mueller, catalogue d’exposition (Genève, 30 novembre 2003-22 mars 2004), Éditions 5 Continents, 2003, p. 94-99.

4 H. Labouret, op. cit. note 3, p. 27, 28. La datation formulée par Henri Labouret n’a pas été remise en question depuis 1931, année de parution de son ouvrage sur les Lobi.

5 Les cercles sont d’anciennes divisions administratives créées par l’administration coloniale française. Le cercle de Gaoua est créé en 1902.

6 Cécile de Rouville, Organisation sociale des Lobi. Burkina Faso et Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 21.

7 Sayouba Traoré, « Les Lobis, entre tradition et modernité », Le Coq Chante, RFI, 24 décembre 2011. Sur ce sujet, voir aussi : « 5e Recensement général de la population et de l’habitat du Burkina Faso, synthèses des résultats définitifs », Institut national de la Statistique et de la Démographie, juin 2022, p. 47.

8 Catalogue des collections du musée du quai Branly - Jacques Chirac, disponible en ligne : www.quaibranly.fr/fr/explorer-les-collections/ [consulté en septembre 2024].

9 H. Labouret, op. cit. note 3, p. 188.

10 Constat d’état établi par le musée du quai Branly en juin 2009.

11 G. F. Scanzi, op. cit. note 3, p. 69.

12 J.-P. Barbier-Mueller et al., op. cit. note 3, p. 94-95.

13 Ibid., p. 98.

14 S. Traoré, art. cité note 7.

15 Adama Tomé, Les Agressions contre les masques gurunsi (1840-2010), Paris, Éditions universitaires européennes, 2016, p. 75.

16 G. F. Scanzi, op. cit. note 3, p. 37.

17 Raoul Lehuard & Louis Perrois (dir.), Ni anonyme, ni impersonnel, Actes du troisième colloque européen sur les arts d’Afrique noire (Vanves, 23 octobre 1999), Arnouville, Éditions Arts d’Afrique noire, 1999, p. 6.

18 Manuel édité en mai 1931 par la Mission Dakar-Djibouti. Il donne quelques directives sur la collecte d’informations, l’étiquetage, l’emballage et le transport des spécimens.

19 Henri Labouret fait partie des volontaires ayant rédigé les fiches d’objets. Nous ne savons pas s’il a travaillé sur le bitebo. Voir André Delpuech, Christine Laurière & Carine Peltier-Caroff (dir.), Les Années folles de l’ethnographie. Trocadéro 28-37, Paris, Muséum national d’Histoire naturelle, 2017, p. 269.

20 Daniela Bognolo, « Art lobi : les styles et ses maîtres », Lorenz Homberger & Eberhard Fischer (dir.), Les Maîtres de sculpture de Côte d’Ivoire, Paris, Skira/Musée du quai Branly, 2015, p. 203-206.

21 Sihinté Palé (?-1950), père de Tyohépté Palé, et Binshité Khambu sont entre autres des artistes lobi renommés de la même époque.

22 H. Labouret, op. cit. note 3, p. 188.

23 Ibid., p. 188.

24 Ibid., p. 188.

25 L’instabilité dans le Lobi avant la colonisation se manifeste surtout par des querelles personnelles, des affrontements entre villages dus en général aux homicides et aux enlèvements de femmes.

26 C. de Rouville, op. cit. note 6, p. 164.

27 Encore orthographié dyoro ou gyoro, il désigne un rite de passage de l’enfance à l’adulte. Rite majeur chez les Lobi, il a lieu tous les sept ans au bord du fleuve Mouhoun.

28 J.-P. Barbier-Mueller et al., op. cit. note 3, p. 98.

29 Ibid., p. 98.

30 C’est l’exemple du toopar, tabouret utilisé pour effectuer des sacrifices, qui devient daaka, « j’arrive (collé à toi) sans m’arrêter ». Cela exprime l’idée de continuité.

31 J.-P. Barbier-Mueller et al., op. cit. note 3, p. 96.

32 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463. Ministère des Colonies.

33 Michèle Fiéloux, Jacques Lombard & Jeanne-Marie Kambou-Ferrand (dir.), Images d’Afrique et sciences sociales. Les pays lobi, birifor et dagara (Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Ghana), Actes du colloque de Ouagadougou (10-15 décembre 1990), Paris, Karthala, 1993, p. 78.

34 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463. Ministère des Colonies.

35 Ibid., Lettre du capitaine H. Labouret au ministre des Colonies, novembre 1918.

36 M. Fiéloux, J. Lombard & J.-M. Kambou-Ferrand (dir.), op. cit. note 33, p. 86.

37 Ibid., p. 84.

38 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463. Ministère des Colonies.

39 Mahir Saul & Patrick Royer, West African challenge to Empire: Culture and History in the Volta-Bani Anticolonial War, Ohio, Ohio University Press, 2001, p. 196.

40 Vincent Joly, Guerres d’Afrique. 130 ans de guerres coloniales. L’expérience française, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 201.

41 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463, Ministère des Colonies, Notes du lieutenant-gouverneur de Ouagadougou, 20 août 1920.

42 Ibid., Notes confidentielles, 1922.

43 S. Ouiya, Conquête coloniale française et circulation des biens culturels au Burkina Faso (1900-1930) : le cas de la collection Henri Labouret conservée au musée du quai Branly - Jacques Chirac, Mémoire de recherche de deuxième cycle, École du Louvre, sous la direction de Vincent Michel, Gaëlle Beaujean & Adama Tomé, septembre 2022, p. 91-104.

44 FR-ANOM — COL EE II 1058 (2), no 463, Ministère des Colonies.

45 M. Fiéloux, J. Lombard & J.-M. Kambou-Ferrand (dir.), op. cit. note 33, p. 93.

46 Roger Somé, Art africain et esthétique occidentale. La statuaire lobi et dagara au Burkina Faso, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 208.

47 Le thiduù de Sihinté Palé, maison où sont conservées ses sculptures, a fait l’objet de plusieurs vols. Voir Julien Bosc & Floros Katsouros, Tyohèpté Palé, les œuvres d’un homme, Hannover, Ethnographika, 2009, p. 38.

48 Ibid., p. 19-20.

49 Inventaire du MET-Laboratoire d’ethnologie. Cote : D000549/29149.

50 Yénouaba Georges Madiéga & Oumarou Nao (dir.), Burkina Faso, cent ans d’histoire, 1895-1995, Actes du colloque de Ouagadougou (12-17 décembre 1996), t. 1, Paris, Karthala, 2003, p. 101.

51 FR-ANOM — 1 ECOL 129, Personnel administratif et enseignant, Lettre de Labouret du 17 juin 1934.

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Table des illustrations

Légende Figure 1. Carte du pays lobi. Conception par l’auteur.
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Légende Figure 2. Tabouret Bitebo (siège-massue), avant 1921, Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac, inv. 71.1921.9.13. Bois, alliage cuivreux, alliage ferreux, alliage base argent. Hauteur : 16 cm. Longueur : 26 cm. Largeur : 12 cm. Poids : 1 122 g. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / Michel Urtado / Thierry Ollivier
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Légende Figure 3. Tabouret bitebo (détail), avant 1921, Paris, musée du quai Branly - Jacques Chirac, inv. 71.1921.9.13. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / Michel Urtado / Thierry Ollivier
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Fichier image/jpeg, 291k
Légende Figure 4. Deux autres exemples de tabourets lobi. © Sièges d’Afrique noire du musée Barbier-Mueller, catalogue d’exposition, 5 Continents Éditions, 2003, p. 99.
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Légende Figure 5. Jeune Lobi arborant à l’épaule un bitebo (à droite). © Les Bois qui murmurent, la grande statuaire Lobi de la collection François & Marie Christiaens, catalogue d'exposition de la Nonciature de Bruxelles, 2016, p. 97.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Saga Ouiya, « Parcours d’une œuvre culturelle lobi du Burkina Faso : le bitebo d’Henri Labouret »Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 23 | 2024, mis en ligne le 12 décembre 2024, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/35317 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ydp

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Auteur

Saga Ouiya


Doctorant en co-encadrement à l’École du Louvre et à l’université de Poitiers, Saga Ouiya mène des recherches sur le phénomène de circulation des biens culturels burkinabè et la lutte contre leur trafic illicite, particulièrement les objets du groupe lobi. Dirigée par Vincent Michel, Gaëlle Beaujean et Adama Tomé, sa thèse a donné lieu à plusieurs enquêtes de terrain entre Paris, Dakar et le sud-ouest du Burkina Faso, à la rencontre de tous les acteurs des phénomènes de trafic.

Saga Ouiya is a doctoral student at the École du Louvre and the Université de Poitiers. His research focuses on the circulation of Burkinabe cultural goods and the combat against illicit trafficking in them, particularly objects belonging to the Lobi ethnic group. Supervised by Vincent Michel, Gaëlle Beaujean and Adama Tomé, his thesis preparation entailed fieldwork in Paris, Dakar and south-west Burkina Faso, where he met all those involved in trafficking.

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