Navigation – Plan du site

AccueilNuméros23ArticlesLe bracelet de Taga

Articles

Le bracelet de Taga

Enquête biographique sur un objet de la collection L.-J. Bouge conservée au musée des Beaux-Arts de Chartres
Taga’s bracelet: Investigating the biography of an object in the L.-J. Bouge Collection, Musée des Beaux-Arts de Chartres
Elric Geraudie

Résumés

Collecté en 1904 lors d’une affaire criminelle coloniale, le bracelet de Taga, une pièce en bois provenant du nord du Vanuatu, intègre la collection de Louis Joseph Bouge, où il sert à valoriser son propriétaire. Dans ce cadre, il semble qu’il ait été intégré à un échange de dons, dans le contexte du mariage de ce collectionneur érudit avec Emma Quille devenue Bouge. Bien plus tard, le bracelet réintègre la collection de son premier propriétaire, puis est légué par la veuve de Louis Joseph au musée des Beaux-Arts de Chartres. En envisageant ce parcours sous l’angle de la biographie émerge ainsi une succession de rôles sociaux permettant de s’interroger sur la singularisation des objets, leur agentivité comme « trophées » et leur place au sein de dons non agonistiques.

Haut de page

Notes de l’auteur

Nous remercions particulièrement Laëtitia Lopez, doctorante au Sainsbury Research Unit (University of East Anglia) avec qui les échanges à propos de la collection Bouge ont été particulièrement fructueux. De même, nous tenons à remercier Stéphanie Leclerc-Caffarel, Eva De Pinho et Pierre-Louis Calatayud pour leurs conseils ou leurs relectures.

Texte intégral

  • 1 Hélène Guiot & Claude Stéfani, Les Objets océaniens : Collection du musée des Beaux-Arts de Chartre (...)

1Le musée des Beaux-Arts de Chartres conserve une importante collection d’objets océaniens, provenant principalement de la collection du gouverneur Louis-Joseph Bouge (1878-1960), léguée par sa veuve Emma Bouge (1891-1969) en 1970. Il s’agit d’un remarquable ensemble d’œuvres et de documents liés au monde colonial français, concernant particulièrement la Guadeloupe et l’Océanie. Constitué d’une bibliothèque de plus de 5 000 livres, d’archives, d’un fonds d’arts graphiques et de plus de 400 objets, le « fonds Bouge » a fait l’objet de peu de publications, à l’exception notable du catalogue raisonné de la collection polynésienne réalisé par Claude Stefani et Hélène Guiot en 20021.

  • 2 Elric Geraudie, « Les objets ni-vanuatu au musée des Beaux-Arts de Chartres », Mémoire d’étude de l (...)
  • 3 Thierry Bonnot, « La biographie d’objets. Une proposition de synthèse », Culture & Musées no 25, 20 (...)
  • 4 Alfred Gell, L’Art et ses agents. Une théorie anthropologique, Paris, Les Presses du Réel, 2009, (t (...)

2À la demande du musée, nous avons étudié durant l’année universitaire 2022-2023 l’ensemble d’objets provenant du Vanuatu conservé au musée des Beaux-Arts de Chartres dans le cadre d’un mémoire d’étude à l’École du Louvre2. À terme, ce travail documentaire doit permettre d’appuyer les réflexions autour d’un futur parcours des collections. Il ressort de cette étude que si les 68 pièces ni-vanuatu du fonds Bouge semblent d’abord constituer un ensemble cohérent, la collection compte des éléments présentant une importante diversité de lieux, d’époques et de méthodes de collecte. Dans ce cadre, il devient important de s’interroger sur les objets de manière individuelle afin de comprendre leurs histoires propres. Ceci est particulièrement pertinent dans le cas du bracelet en bois inventorié sous le numéro 84.1.OB.268, collecté en 1904 au Vanuatu, qui est conservé avec plusieurs documents illustrant le contexte de sa collecte. Ces informations, ainsi que les archives personnelles de L.-J. Bouge, permettent de définir un certain nombre de rôles sociaux que l’objet a successivement occupés et qui forment sa biographie. Une telle approche, centrée sur l’objet, oblige à considérer ce dernier comme un agent, c’est-à-dire comme « capable d’agir en société et d’influencer les rapports sociaux3 », donc doté d’agentivité. Il ne s’agit pas nécessairement de considérer que l’objet jouit d’une volonté et d’intention, mais plutôt de reconnaître qu’il fait partie de la capacité d’action d’un agent humain et qu’en tant qu’agent « secondaire », il sert de canal à l’agentivité de cet agent « primaire »4. Cela signifie que l’objet est porteur de statuts, de capacités et de fonctions assignées par les agents humains qui l’entourent, sur lesquels il peut agir en retour.

3Dans le cas du bracelet conservé au musée des Beaux-Arts de Chartres, le prisme des archives empêche de retracer son parcours avant qu’il n’entre dans les réseaux sociaux occidentaux. Après sa collecte par L.-J. Bouge, l’objet interagit dans des réseaux occidentaux à la fois avec les autres objets de la collection dont il fait partie et avec des agents humains. Participant à la représentation de son propriétaire et du Vanuatu colonial, le bracelet prend alors un rôle que nous rapprochons de celui de « trophée ». Cette fonction sociale entraîne probablement son don à la future femme de L.-J. Bouge. Bien des années plus tard, le bracelet réintègre la collection Bouge et est légué au musée chartrain en 1970.

Le bracelet, Taga, Bouge et le musée

  • 5 « Une forme grandement estimée par les natifs consiste en un anneau de bois. […] Comme ces anneaux (...)

4Le bracelet 84.1.OB.268 (fig. 1) provient du Vanuatu, État de l’océan Pacifique situé au nord de la Nouvelle-Calédonie et indépendant depuis 1980. Il s’agit d’un anneau monoxyle d’environ 8,5 cm de diamètre, identifié par un numéro d’inventaire inscrit à l’encre directement sur l’objet par le musée. Il porte également les traces d’une ancienne étiquette sur l’arête intérieure. Cette étiquette disparue correspond très probablement au marquage apposé par L.-J. Bouge à la quasi-totalité de sa collection d’objets du Vanuatu. Il s’agit d’étiquettes blanches à bordure bleue qui, dans la plupart des cas, mentionnent uniquement une île, l’archipel (alors appelé les Nouvelles-Hébrides) et une date de collecte. Ces marquages retracent une histoire sommaire : celle d’un bracelet ni-vanuatu devenu objet de collection particulière (premier marquage) puis objet de musée (deuxième marquage). En dehors des archives européennes, la vie du bracelet avant son acquisition par L.-J. Bouge nous est largement inconnue. Il provient du nord du Vanuatu et correspond à une typologie décrite par l’ethnologue Félix Speiser, qui précise : « One form greatly esteemed by the natives consists of a ring of wood. […] As these rings are not elastic, they are very difficult to put on. The hand must be kneaded for a long time before it can be squeezed through the narrow opening5. » Le musée du Quai Branly-Jacques Chirac conserve plusieurs bracelets comparables. L’objet en lui-même peut d’ailleurs avoir été échangé, donné ou acheté dans des réseaux d’échanges ni-vanuatu, particulièrement actifs dans cette région à une époque où les mobilités insulaires sont exacerbées par les phénomènes d’engagisme. Cette forme se retrouve ainsi à Malo, Pentecôte, Ambae et Maewo.

Figure 1. Bracelet, artiste anonyme, bois, nord du Vanuatu, Chartres, musée des Beaux-Arts, numéro d’inventaire : 84.1.OB.268. Diamètre : 8,5 cm. Photographie de l’auteur.

  • 6 Igor Kopytoff, « The Cultural Biography of Things: Commoditization as Process », Arjun Appadurai (é (...)

5La collecte est un important moment de transition puisque l’objet « apparaît » dans les archives européennes et que sa vie peut alors être documentée. C’est également un basculement dans sa fonction : d’ornement corporel, destiné à être porté, il est « culturellement redéfini6 » et devient objet de collection.

La collection L.-J. Bouge, de l’Océanie au Val de Loire

  • 7 Julie Adams, « Haphazard Histories: Tracing Kanak Collections in UK Museums », Lucie Carreau, Aliso (...)
  • 8 Patrick O’Reilly, « Le gouverneur L.-J. Bouge (1878-1960) », Journal de la Société des océanistes, (...)

6La collection qu’intègre le bracelet est constituée en plusieurs temps par Louis-Joseph Bouge. Actif dans le Pacifique dès 1900, le fonctionnaire colonial semble s’intéresser très tôt à la collecte d’objets océaniens. Il est présent au Vanuatu entre 1904 et 1906 puis en 1910-1911, années durant lesquelles il occupe des postes importants dans l’administration. Lors de ses séjours, Bouge collecte de nombreux objets, dont il vend une partie en 1913 au British Museum7. Actif dans les colonies françaises jusqu’en 1937, il s’installe ensuite à Paris et continue à acquérir des objets auprès des marchands de la capitale tout en s’engageant dans plusieurs sociétés savantes, notamment la Société des Océanistes. Dans la nécrologie écrite par le père Patrick O’Reilly, qui l’avait bien connu, L.-J. Bouge est décrit comme un « collectionneur érudit », dont la collection vise la connaissance et l’étude du Pacifique8.

  • 9 Tous ces inventaires se trouvent au musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, carton « Notes e (...)
  • 10 Fabrice Grognet, « Objets de musée, n’avez-vous donc qu’une vie ? », Gradhiva. Revue d’anthropologi (...)

7Ceci se confirme à la lecture des inventaires successifs qu’il fait de sa collection9 : si le plus ancien, établi autour de l’année 1913, s’intitule Curiosités de ma collection, le second liste des Objets ethnographiques dans les années 1940 et le dernier, daté des années 1950, se nomme Art et ethnographie. Musée de témoignages océaniens. Cette évolution fait écho aux bouleversements épistémologiques de l’ethnologie au début du XXe siècle : le nom du premier inventaire, Curiosités de ma collection, évoque le goût des cabinets de curiosités des XVIIIe et XIXsiècles exhibant des oceania, objets rassemblés dans les « mers du Sud ». Le second montre un renversement : dans les années 1930 et 1940, l’ethnographie s’est imposée comme science s’intéressant à la technique et aux productions matérielles des différentes cultures humaines. Au moment de la naissance du musée de l’Homme, l’objet devient une « pièce à conviction » traduisant les « phénomènes de la vie collective10 ». Intégré à ce réseau intellectuel, L.-J. Bouge intitule le dernier inventaire de sa collection Art et ethnographie. Musée de témoignages océaniens, insistant ainsi sur la valeur documentaire des objets tout en leur reconnaissant aussi une valeur artistique.

  • 11 H. Guiot, C. Stéfani, op. cit. note 1, p. 3.
  • 12 Archives du musée des Beaux-Arts de Chartres, tiroir « coll. Bouge général », dossier « Inventaires (...)

8L’utilisation du terme « musée » laisse transparaître la volonté de L.-J. Bouge de constituer, dans la dernière partie de sa vie, un ensemble cohérent et de l’exposer. Nous n’avons trouvé aucun document indiquant que ceci s’est accompagné d’efforts logistiques pour concrétiser ce projet avant la mort accidentelle de Bouge en 1960. Après son décès, sa veuve Emma Bouge cherche activement à léguer la collection à un musée de taille moyenne dénué de collection océanienne11, de manière à ce que le fonds Bouge soit mis en valeur. Elle s’accorde avec l’institution chartraine pour léguer la collection, à condition que cette dernière ne soit pas dispersée et que l’exposition des objets soit accompagnée d’un buste de son défunt mari12.

Le contexte de collecte du bracelet, un facteur de singularisation ?

  • 13 T. Bonnot, art. cité note 3.

9L’histoire sociale de la collection, perceptible au travers des inventaires, semble donc constituer une évolution de la « curiosité » vers le témoignage ethnographique et enfin l’objet de musée. Cependant, un des enjeux de la biographie d’objet est de s’écarter de cette vision d’ensemble pour se concentrer sur les parcours singuliers des objets, en utilisant notamment les sources écrites13. Ainsi, si l’étiquette apposée sur le bracelet vers 1913 a disparu, ce dernier est aujourd’hui conservé avec l’enveloppe où L.-J. Bouge le gardait déjà et dans laquelle le bracelet est probablement entré au musée (fig. 2). Cette enveloppe porte le texte suivant : « Bracelet en bois ayant appartenu à l’indigène Taga (île Aoba) impliqué dans l’assassinat du patron et du second du bateau recruteur La Perle. Août-Septembre 1904. » Un texte similaire se retrouve sur une étiquette volante conservée dans l’enveloppe portant la mention « collection J. Bouge », réalisée entre les années 1940 et 1960. Nous ne connaissons que deux objets ni-vanuatu de la collection Bouge qui aient été conservés avec de telles indications concernant la collecte. Le premier est une paire d’ornements de tête ayant appartenu au même Taga (inv. 84.1.OB.310 et 84.1.OB.311) et conservée avec une enveloppe tout à fait similaire. Le second est un étui d’herbe à magie (inv. 84.1.OB.305) sur lequel est encore collée une étiquette à bordure bleue précisant que l’objet a été « confisqué au chef Malten d’Ambrym » (fig. 3). Ces indications singularisent les objets, les distinguent des autres pièces de la collection.

Figure 2. Enveloppe portant l’inscription « Bracelet en bois ayant appartenu à l'indigène Taga (île Aoba) impliqué dans l’assassinat du patron et du second du bateau recruteur La Perle. Août-septembre 1904 », papier et encre, Chartres, musée des Beaux-Arts, numéro d’inventaire : 84.1.OB.268. Dimensions : 10 x 10,5 cm. Photographie de l’auteur.

  • 14 Lors de la vente au British Museum, il insiste ainsi sur le fait qu’il a acquis ces objets sur plac (...)
  • 15 Archives du fonds Bouge, carton I.B.10.

10Bien que L.-J. Bouge mette l’accent sur l’« authenticité » des objets de sa collection14, ses archives ne mentionnent que très rarement les circonstances de collecte. Son journal personnel15 ne décrit ainsi que deux situations : une paire de métiers à tisser qu’un collègue lui rapporte des îles Santa Cruz, et dont il vante l’authenticité (17 octobre 1904), et une paire d’ornements d’oreille achetée à un jeune homme venu lui communiquer des informations sur les métiers à tisser (24 octobre 1904). Dans ce cadre, préciser un contexte de collecte des objets sur l’étiquette même distingue ces objets du reste de la collection et témoigne d’une volonté de valoriser leur provenance. Dans le cas du bracelet 84.1.OB.268, l’ancien propriétaire est Taga, homme originaire de l’île d’Ambae (alors appelée Aoba) et que L.-J. Bouge va rencontrer dans le cadre de « l’affaire de La Perle », un fait-divers criminel qu’il a personnellement traité entre le 29 août et le 8 septembre 1904.

Figure 3. Étui d’herbe à magie, artiste anonyme, bambou et fibres végétales, Ambrym, Vanuatu, Chartres, musée des Beaux-Arts, numéro d’inventaire : 84.1.OB.305. Longueur : 6 cm. Photographie de l’auteur.

Une collecte dans un violent contexte colonial

11Le contexte de la collecte est extensivement décrit par L.-J. Bouge dans ses archives. La Perle est un navire-recruteur, c’est-à-dire allant recruter des Ni-Vanuatu dans les îles du nord de l’archipel pour des contrats de trois ans, généralement. La plupart de ces « engagés » (ou recrues) travaillent ensuite dans les mines néo-calédoniennes ou dans les plantations du Vanuatu ou de l’Australie. Ce commerce de main-d’œuvre, déjà critiqué à cette époque, exploite les populations océaniennes pour servir au développement colonial, en participant à l’acculturation et à la dépopulation de l’archipel. L’année 1904 est cependant marquée par plusieurs réactions violentes contre des navires-recruteurs. Ainsi, le recruteur Dick Pentecost, pionnier dans le commerce de main-d’œuvre entre la Nouvelle-Calédonie et le Vanuatu, est tué quelques jours seulement avant le meurtre à bord de La Perle, ce qui fait grand bruit. 

  • 16 Archives du fonds Bouge, carton I.B.10°.

12L.-J. Bouge dirige alors la « milice indigène », une force de police constituée de Kanak (originaires de Nouvelle-Calédonie) et assurant le maintien de l’ordre pour les colons français au Vanuatu. À ce titre, on lui communique dès le 29 août 1904 la mort de Prosper Le Bouhellec, capitaine de La Perle et de son second Willy Champion, tués à bord du navire sur la côte ouest de l’île d’Espiritu Santo. Des recruteurs lui amènent peu après des Ni-Vanuatu capturés alors qu’ils fuyaient La Perle. Le navire militaire de la Commission navale mixte habilité à traiter ce genre de cas étant rentré en Nouvelle-Calédonie dans le cadre de l’affaire Dick Pentecost, Bouge va lui-même enquêter. Cette enquête, décrite dans son journal personnel16, vise à découvrir les raisons et les « promoteurs » du double meurtre. Rapidement, les membres de l’équipage (majoritairement originaires de l’île de Maewo) sont innocentés, à l’exception de Taga, originaire d’Ambae. Durant deux semaines, Bouge interroge les Ni-Vanuatu présents à bord et émet plusieurs hypothèses reflétant les problématiques de l’archipel à cette époque. Si la première hypothèse imagine une volonté de voler les marchandises du bord, l’enquête se porte rapidement sur les pratiques de l’engagisme : le capitaine et son second sont d’abord accusés d’avoir maltraité leur équipage, puis d’avoir engagé les Ni-Vanuatu en indiquant un contrat de deux ans et d’avoir modifié cette durée une fois à bord du navire. On accuse ensuite le capitaine d’avoir recruté la femme de Taga pour « chez lui » à Port-Vila (Vanuatu), alors qu’elle désirait travailler à Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Toutes ces hypothèses témoignent des violences et des manipulations qui existent dans le commerce de main-d’œuvre.

  • 17 Roger Boulay, Hula hula, pilou pilou, cannibales et vahinés, Paris, Éditions du Chêne, 2005, p. 110 (...)

13Cependant, la conclusion de L.-J. Bouge, décrite le 8 septembre 1904 dans son journal, est que le double meurtre avait originellement été commandité par Cessé, un chef de Maewo désirant « manger du blanc », après qu’un missionnaire lui a dit qu’il « était mal de faire tuer constamment des hommes de sa tribu ou des environs ». Les hommes d’équipage originaires de Maewo seraient alors une équipe d’assassins envoyée par le chef Cessé. Cette conclusion s’inscrit dans une vision archétypale des populations mélanésiennes, régulièrement réduites à des guerriers anthropophages17, et elle correspond à la vision de Bouge, qui avait déjà décrit Siowa, un des boat crew originaire de Maewo, comme un « assassin de race » dont il « [décrirait] volontiers le cas à MM. les membres du comité de défense des indigènes » et qui aurait entraîné avec lui les Ni-Vanuatu présents à bord (6 septembre 1904).

L’affaire de La Perle à travers le fonds Bouge

  • 18 Musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, carton « Vanuatu à classer », chemise « Affaires rec (...)
  • 19 Patrick O’Reilly, Hébridais. Répertoire biobibliographique des Nouvelles-Hébrides, Paris, Musée de (...)

14N’ayant pas lui-même la compétence pour trancher cette affaire, Bouge remet les Ni-Vanuatu à la Commission navale mixte afin qu’ils soient jugés à Nouméa (Nouvelle-Calédonie). À ce titre, le fonds d’archives est loin d’être neutre et ne vise pas la partialité que pourrait avoir un fonds judiciaire. Étudier l’affaire par ce prisme permet ainsi d’envisager la perception qu’en a Bouge au travers de ses remarques et des hypothèses qu’il formule. Notons ainsi qu’une note signale plus tard que le tribunal de Nouméa a considéré que la véritable raison du meurtre aurait été une vengeance directement dirigée contre Prosper Le Bouhellec18. L’enquête s’inscrit dans une vision stéréotypée que L.-J. Bouge a des Ni-Vanuatu et renforce l’image de violence qu’il associe aux Nouvelles-Hébrides. C’est une des affaires les plus sensibles qu’il traite lors de son séjour au Vanuatu, et elle occupe une place particulièrement importante dans le fonds d’archive. Lorsque Patrick O’Reilly rédige son Répertoire bio-bibliographique des Nouvelles-Hébrides19, L.-J. Bouge fait mentionner cette affaire dans la description de ses séjours au Vanuatu.

  • 20 Musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, album 6, page 6 (haut).
  • 21 Archives du fonds Bouge, carton I.B.10, date du mercredi 1er septembre 1904.

15Le fonds Bouge conserve également plusieurs albums de photographies, dont un semble spécifiquement avoir été constitué par L.-J. Bouge avec des clichés qu’on lui transmettait. Une de ces photographies présente quatre hommes retenus prisonniers à bord d’un navire (fig. 4). La légende au crayon de papier indique : « Assassins du Capitaine et du Second de la “Perle” à bord du Pacifique20. » Siowa est identifié par une inscription à l’encre sur la photographie et son bras droit est bandé, comme celui de l’homme assis par terre. Il s’agit des conséquences de leur capture : ils ont été attachés avec du fil de pêche qui les a coupés et les blessures se sont infectées avant même qu’ils n’aient été remis à Bouge21.

Figure 4. « Assassins du Capitaine et du second de La Perle à bord du Pacifique », artiste anonyme, photographie, Chartres, musée des Beaux-Arts. Dimensions : 7,2 x 9,4 cm.

  • 22 Musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, album 6, p. 2.

16La seconde photographie (fig. 5) est plus explicite encore sur le positionnement de Bouge vis-à-vis de l’affaire : on le voit assis en compagnie du docteur Amigues, commissaire délégué aux Nouvelles-Hébrides22. Les deux hommes sont entourés par un groupe d’Océaniens. La légende au crayon de papier indique : « Dans le jardin du médecin détaché aux Nouvelles-Hébrides, Port-Vila, 1904 » et nomme les différents personnages. Il s’agit d’une part des membres de la « milice indigène », vêtus de leurs habits clairs et portant un bachi. Les autres Océaniens sont des femmes (toutes assises au premier plan), des employés de l’administration coloniale et les prisonniers liés à La Perle. Un seul de ces derniers est nommé : il s’agit de Taga, accroupi à la droite du docteur Amigues et regardant l’objectif. Contextualisé, ce portrait de groupe est une mise en scène du contrôle cherché par les administrateurs français sur l’archipel et témoigne du climat de domination violente lié à la colonisation. Entourés par leurs employés océaniens (Kanak et Ni-Vanuatu), les deux administrateurs coloniaux sont assis et affichent une attitude décontractée qui contraste avec celle de leur prisonnier Taga, accroupi aux pieds du docteur Amigues. La présence de ces deux photographies et de leurs légendes dans l’album montre la volonté de Bouge de documenter l’affaire. Il prend même la peine de préciser son propre nom dans la légende de la seconde photographie. Cet effort de documentation complète les précisions trouvées sur l’étiquette et l’enveloppe associée au bracelet. Néanmoins, aucune mention directe d’une collecte n’est faite dans les archives. À la date du 4 octobre 1904, L.-J. Bouge dessine dans son journal personnel plusieurs objets, dont ceux qui pourraient être liés à La Perle, notamment le bracelet 84.1.OB.268 et les ornements 84.1.OB.310 et 84.1.OB.311.

Figure 5. « Dans le jardin du médecin détaché aux Nouvelles-Hébrides. Port-Vila, 1904 », artiste anonyme, photographie, Chartres, musée des Beaux-Arts. Dimensions : 13,7 x 10,8 cm. Photomontage de l’auteur isolant les portraits de Louis-Joseph Bouge et de Taga. Debout, de gauche à droite : deux matelots de la « Perle » originaires de Maewo, Agathon, un matelot de la « Perle » originaire de Pentecôte, waerene, Djimmy, [?], Marti, un matelot de la « Perle » originaire de Maewo, Reno et Baal. Assis, de gauche à droite : Dr Amigues, L.-J. Bouge, Charley. Au sol : deux femmes de [ ?], Taga, Mme Nariti, Léa.

Le bracelet comme « trophée » ?

  • 23 Archives du musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, carton « Notes ethnographiques supplémen (...)
  • 24 I. Kopytoff, art. cité note 6, p. 69-70.
  • 25 J. Adams, art. cité note 7, p. 102.

17En l’absence de description précise de la collecte du bracelet 84.1.OB.268, il convient donc de questionner le rôle social que celui-ci occupe au sein de l’ensemble d’objets ni-vanuatu de la collection Bouge. Autour de 1913, ni le bracelet ni les ornements de tête de l’affaire de La Perle n’apparaissent dans un inventaire qui semble établi au moment de la vente d’une partie de la collection au British Museum23. Il est en effet très probable que cet inventaire soit une sorte de catalogue de vente, car il se présente comme un état complet de la collection Bouge. Les objets sont énumérés dans une liste numérotée, leur nombre est indiqué et certains sont marqués de points rouges devant leur nom, identifiant ceux qui n’ont pas été vendus au British Museum. Ceci semble indiquer qu’à cette époque, le bracelet fait partie des rares objets ni-vanuatu non proposés à la vente par L.-J. Bouge ; il échappe donc complètement au statut de commodity. Cette vente correspond en effet à une transaction, c’est-à-dire un échange dans lequel l’objectif primaire et immédiat est d’obtenir une valeur équivalente aux marchandises (commodities) que l’on cède24. La notion d’équivalence entre les commodities proposées est centrale, puisqu’elle implique un point commun entre les contreparties. Tout objet peut devenir une commodity, à condition d’avoir un équivalent. Ainsi, le fait que L.-J. Bouge vende un peu plus de 300 objets au musée londonien pour 40 livres25 signifie qu’il considère qu’il existe une équivalence entre le lot d’objets et la somme d’argent. Or, le bracelet, les ornements de chevelure et l’étui à herbe à magie sont tous absents de l’inventaire, ce qui indique que L.-J. Bouge considère que ces objets n’ont pas d’équivalent (que peut lui proposer le musée anglais) et qu’ils sont donc trop singuliers pour devenir des commodities. Ces objets se distinguaient déjà au sein de la collection par un marquage spécifique, plus riche en informations sur la collecte. Leur provenance, mise en scène par les étiquettes, est probablement le principal facteur de leur singularisation.

  • 26 Cette définition est donnée par le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), e (...)
  • 27 A. Gell, op. cit. note 4, p. 20-28
  • 28 Claire Wintle, « Career Development: Domestic Display as Imperial, Anthropological, and Social Trop (...)
  • 29 Laurent Dousset, « La sorcellerie en Mélanésie », L’Homme no 218, 2016, p. 95-115.

18Nous considérons ici que le bracelet devient alors un « trophée ». Bien que le terme soit primairement associé au monde militaire et aux prises de guerre, il désigne de façon plus large un « objet attestant une victoire, un succès26 ». À ce titre, l’objet est un agent intervenant sur des patients27. Claire Wintle a montré comment l’agentivité d’un « trophée » intervient à différents niveaux et permet d’abord à un agent « primaire » de renvoyer une image triomphante. Dans ce but, le trophée contribue à définir « autrui », l’individu auquel le trophée a été pris28. Ici, Taga est présenté comme « impliqué dans l’assassinat » de deux Occidentaux : l’image que crée le « trophée » est celle d’un Ni-Vanuatu dangereux et violent, en accord avec la vision stéréotypée portée à cette époque par les Européens sur le Vanuatu. Cette définition stéréotypée s’observe également dans la mise en scène de l’« étui d’herbe de sorcier confisqué au chef Malten d’Ambrym ». L’île d’Ambrym est, dans l’imaginaire, particulièrement associée aux pratiques de sorcellerie et d’empoisonnement, mais le « sorcier » n’est pas une fonction sociale définie au Vanuatu29. Comme la mention d’un « chef », il s’agit de situer dans un imaginaire l’individu auquel a été pris l’objet.

  • 30 Julien Bondaz, « Entrer en collection. Pour une ethnographie des gestes et des techniques de collec (...)
  • 31 Nicholas Thomas, Entangled Objects: Exchanges, Material Cultures, and Colonialism in the Pacific, C (...)

19Julien Bondaz insiste sur le lien existant entre pratique de collecte (c’est-à-dire le procédé par lequel un objet entre en collection) et de collection30. Ici, le rôle social du trophée apparaît ainsi premièrement conditionné par le caractère prédateur de sa collecte. En définissant un vaincu auquel il a été pris, le trophée valorise le vainqueur. Cependant, en considérant que le trophée est avant tout un agent secondaire positionnant socialement un agent primaire, le geste réel de la collecte s’efface au profit de sa représentation. Nicholas Thomas et Claire Wintle notent ainsi comment des objets échangés, voire donnés, ont été présentés en Europe comme des trophées31. L’absence de description par L.-J. Bouge empêche de connaître la manière par laquelle il a collecté l’objet. Ce silence contraste avec le cas de l’étui à herbes magiques, dont l’étiquette indique clairement qu’il a été confisqué, et peut refléter une acquisition dans un cadre en apparence consenti (comme une transaction). Cependant, le consentement de Taga doit être largement questionné, puisque les deux hommes s’inscrivent dans une relation déséquilibrée et forcée, d’autant plus au sein d’une économie coloniale.

L’hypothèse d’un don à Emma Bouge

20Au sein de la collection, le bracelet devenu trophée met en scène et valorise l’action de son propriétaire. Au même titre que les archives, les photographies ou la notice dans le livre de Patrick O’Reilly, le bracelet commémore le temps passé par L.-J. Bouge au Vanuatu, dans un contexte colonial violent dont l’affaire de La Perle offre une certaine vision. Absent des premiers inventaires de la collection, le bracelet apparaît sur la liste de l’inventaire intitulé Collection ethnographique et réalisé entre 1939 et 1953. Cet inventaire témoigne d’une première évolution dans la collection de L.-J. Bouge, puisque celui-ci commence à acquérir des pièces auprès de marchands parisiens ou d’autres collectionneurs. La dénomination témoigne aussi d’un changement dans l’appréciation de la collection, devenue « ethnographique ». Peut-être du fait de ce changement, les « trophées » collectés au Vanuatu, mais absents de l’inventaire précédent apparaissent : l’étui à herbe magique 84.1.OB.305 et les objets ayant appartenu à Taga (le bracelet 84.1.OB.268 et les ornements de tête 84.1.OB.310-311).

  • 32 I. Kopytoff, art. cité note 6, p. 69.
  • 33 Musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, carton blanc « Photographies Bouge + grands formats  (...)
  • 34 Sophie Chevalier, « Destins de cadeaux », Ethnologie française, vol. 28, no 4, 1998, p. 514.

21Il est néanmoins curieux de constater que la mention du bracelet présente une inscription au crayon de papier indiquant « Emma ». C’est l’un des seuls objets ni-vanuatu concernés par cette mention, avec un collier-monnaie en perles de coquillage. Un pendentif en coquillage des îles Salomon, un collier wallisien et un collier de dents de marsouin marquisien présentent la même indication. Celle-ci renvoie vraisemblablement à Emma Bouge, née Emma Quille en 1891 à Aubervilliers et qui épouse Louis-Joseph le 21 septembre 1915. Au moment de la collecte du bracelet, les deux jeunes gens ne se connaissent pas : ils se rencontrent entre 1912 et 1914, alors que L.-J. Bouge réside à Boulogne-sur-Seine pour passer une licence de droit afin de prétendre à des postes plus élevés, après dix ans en tant que commis de l’administration dans le Pacifique. L’inscription au crayon de papier peut aussi indiquer que le bracelet a constitué un présent offert par Louis-Joseph à Emma avant ou pendant leur mariage. Ce cadeau s’inscrirait dès lors dans un ensemble plus large de dons et d’attentions accompagnant les noces. La haute singularisation du bracelet, qui interdisait son échange dans le cadre d’une transaction, le rend pertinent en tant que don. En effet, un don est un échange dont le but dépasse l’acquisition immédiate d’une contrepartie et qui s’inscrit donc dans un échange social plus vaste32. Notons que les autres objets présentant la mention « Emma » peuvent tous être perçus dans un cadre européen comme des bijoux ; mais on trouve aussi dans les archives deux portraits photographiques dédicacés, datés d’août 1914 et de mars 1915. Celui de L.-J. Bouge33 indique à l’encre « à mademoiselle Emma Quille, affectueusement, L.-J. Bouge, août 1914 », le mois précédant sa mobilisation (fig. 6). Comme le portrait photographique, le bracelet est un agent représentant socialement L.-J. Bouge auprès d’Emma. En effet, dans un cadre non agonistique, le don d’un objet peut avoir pour objectif de « créer et maintenir des relations sociales34 ». En s’appropriant l’objet avant de l’offrir (par un choix, une sélection, une recherche…), le donateur crée un agent secondaire matérialisant la relation sociale qui unit deux acteurs sociaux primaires. Le donateur et le receveur du don sont alors liés par l’objet, dont ils partagent virtuellement la propriété. De plus, du fait de l’appropriation préalable par le donateur, l’objet devient un agent représentant socialement le donateur auprès du receveur du don. Ainsi, L.-J. Bouge se représente par le don du bracelet qu’il offre à Emma, tout comme dans le portrait photographique où il apparaît en costume trois pièces, faux col et lavallière de soie, une chaîne de montre à gousset pendant légèrement. Cette image représente bien le fonctionnaire en ascension qu’il est, notamment grâce à la licence de droit qu’il vient d’obtenir. Le don du bracelet appuie ce statut auprès de sa future épouse, en soulignant ses capacités et les contextes difficiles dans lesquels il a travaillé.

Figure 6. « Portrait de Louis-Joseph Bouge », The Crown Studio, Sydney, photographie, Chartres, musée des Beaux-Arts. Dimensions : 28,5 x 24 cm.

22L’apparition du bracelet sur l’inventaire signifie probablement que L.-J. Bouge réintègre les objets donnés à Emma à sa « collection ethnographique », en mentionnant tout de même le nom de sa femme à qui il l’a donné au moins vingt-six ans plus tôt. Cette mention disparaît dans l’ultime inventaire de la collection.

Le bracelet devenu objet de musée

23Dans les deux derniers inventaires, le bracelet n’est indiqué que comme « bracelet en bois Aoba », sans être explicitement associé à Taga ou à La Perle. À la même époque, Bouge réalise une étiquette, conservée dans l’enveloppe, qui réaffirme le rôle de « trophée » du bracelet en répétant la mention déjà présente sur l’enveloppe. Il n’est pas impossible qu’à ce moment le bracelet ait une identité multiple. En tant que « trophée », il met en scène la vie de Bouge au Vanuatu. En tant que cadeau fait par ce dernier à Emma Bouge, le bracelet peut continuer à matérialiser leur relation. Enfin, du fait d’une évolution intellectuelle que l’on observe notamment au travers de la désignation des inventaires, le bracelet prend une valeur ethnographique, en tant que témoin de la culture matérielle du Vanuatu.

  • 35 Musée des Beaux-Arts de Chartres (1980), Le Pacifique, collection Bouge, Catalogue d’une exposition (...)

24Aucune trace postérieure du bracelet n’apparaît jusqu’au décès d’Emma Bouge, dix ans après celui de son mari. L’objet figure sur l’inventaire après décès et est légué au musée en 1970 selon les conditions que nous avons évoquées plus haut. La collection Bouge est alors très riche en objets océaniens, livres rares, coquillages et œuvres graphiques. Lorsque le legs arrive au musée en 1970, l’institution chartraine est engagée dans de très nombreux projets. L’importance du fonds Bouge oblige dans un premier temps à entreposer les objets et les archives à part en attendant la fin de travaux d’expansion. C’est en 198035 que le public a accès pour la première fois aux œuvres du fonds Bouge, à l’occasion d’une exposition temporaire. C’est pourtant lors d’une deuxième exposition, consacrée au fonds d’arts graphiques, que sont enfin inventoriés les objets, soit en 1984, quatorze ans après leur entrée au musée. Un premier parcours permanent d’objets océaniens, composé de quelques vitrines, est alors monté. À partir de 1993, Claude Stefani, attaché de conservation au musée, lance une ambitieuse politique d’expansion des collections visant à compléter la collection léguée par Emma Bouge. En parallèle, un nouveau parcours permanent est mis sur pied, présentant les objets pour leur valeur esthétique et ethnographique, dans un panorama des productions matérielles du Pacifique. Le bracelet y est exposé jusqu’en 2016, époque à laquelle le musée est obligé de fermer ces salles par manque de place. Depuis, seule une pièce est consacrée aux arts de l’Océanie et ne présente qu’un objet, une sculpture de bâton de grade des îles Banks (inv. 84.1.OB.343).

25Aujourd’hui, le musée se situe au commencement d’un projet de réaménagement du parcours permanent. À une époque particulièrement sensible aux problématiques de provenance, il est légitime de s’interroger sur la place que peut occuper le bracelet de Taga dans la collection. Par son contexte de collecte (l’affaire de La Perle), le bracelet offre un instantané des tensions au Vanuatu autour de l’engagisme, phénomène colonial particulièrement important dans cette région. Il s’agit de plus d’une problématique permettant de faire dialoguer les fonds iconographiques et archivistiques.

Haut de page

Notes

1 Hélène Guiot & Claude Stéfani, Les Objets océaniens : Collection du musée des Beaux-Arts de Chartres, Chartres, Imprimerie Chauveau, 2002.

2 Elric Geraudie, « Les objets ni-vanuatu au musée des Beaux-Arts de Chartres », Mémoire d’étude de l’École du Louvre dirigé par Daria Cevoli et Carine Peltier-Caroff, 2023.

3 Thierry Bonnot, « La biographie d’objets. Une proposition de synthèse », Culture & Musées no 25, 2015. En ligne : journals.openedition.org/culturemusees/543.

4 Alfred Gell, L’Art et ses agents. Une théorie anthropologique, Paris, Les Presses du Réel, 2009, (traduction par Olivier Renaut et Sophie Renaut), p. 20-28.

5 « Une forme grandement estimée par les natifs consiste en un anneau de bois. […] Comme ces anneaux ne sont pas élastiques, ils sont difficiles à enfiler. La main doit travailler pendant longtemps avant de pouvoir être glissée au travers de l’étroite ouverture » : Felix Speiser, Ethnology of Vanuatu: An Early Twentieth Century Study, Bathurst, Crawford House Press, 1991, p. 202.

6 Igor Kopytoff, « The Cultural Biography of Things: Commoditization as Process », Arjun Appadurai (éd.), The Social Life of Things: Commodities in Cultural Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 67.

7 Julie Adams, « Haphazard Histories: Tracing Kanak Collections in UK Museums », Lucie Carreau, Alison Clark, Alana Jelinek, Erna Lilje & Nicholas Thomas (éd.), Pacific Presences, vol. 2: Oceanic Art and European Museums, Leiden, Sidestone Press, 2018, p. 91-105.

8 Patrick O’Reilly, « Le gouverneur L.-J. Bouge (1878-1960) », Journal de la Société des océanistes, vol. 16, 1960, p. 5-8.

9 Tous ces inventaires se trouvent au musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, carton « Notes ethnographiques, supplément ».

10 Fabrice Grognet, « Objets de musée, n’avez-vous donc qu’une vie ? », Gradhiva. Revue d’anthropologie et d’histoire des arts, vol. 2, 2005, p. 49-63. En ligne : journals.openedition.org/gradhiva/473.

11 H. Guiot, C. Stéfani, op. cit. note 1, p. 3.

12 Archives du musée des Beaux-Arts de Chartres, tiroir « coll. Bouge général », dossier « Inventaires après décès », Copie dactylographiée du testament d’Emma Bouge.

13 T. Bonnot, art. cité note 3.

14 Lors de la vente au British Museum, il insiste ainsi sur le fait qu’il a acquis ces objets sur place et directement auprès d’Océaniens (J. Adams, art. cité note 7, p. 102).

15 Archives du fonds Bouge, carton I.B.10.

16 Archives du fonds Bouge, carton I.B.10°.

17 Roger Boulay, Hula hula, pilou pilou, cannibales et vahinés, Paris, Éditions du Chêne, 2005, p. 110-111.

18 Musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, carton « Vanuatu à classer », chemise « Affaires recrutement », Courrier manuscrit du 23 septembre 1904.

19 Patrick O’Reilly, Hébridais. Répertoire biobibliographique des Nouvelles-Hébrides, Paris, Musée de l’Homme, 1957, p. 23-24. L’exemplaire du fonds Bouge (D410) contient une correspondance entre Bouge et O’Reilly.

20 Musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, album 6, page 6 (haut).

21 Archives du fonds Bouge, carton I.B.10, date du mercredi 1er septembre 1904.

22 Musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, album 6, p. 2.

23 Archives du musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, carton « Notes ethnographiques supplémentaires », chemise « Nomenclature d’une collection ethnographique océanienne », dossier « Deuxième lot d’inventaire mis à l’encre ».

24 I. Kopytoff, art. cité note 6, p. 69-70.

25 J. Adams, art. cité note 7, p. 102.

26 Cette définition est donnée par le Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), en ligne : www.cnrtl.fr/definition/troph%C3%A9e

27 A. Gell, op. cit. note 4, p. 20-28

28 Claire Wintle, « Career Development: Domestic Display as Imperial, Anthropological, and Social Trophy », Victorian Studies vol. 50, no 2, 2008, p. 279-288.

29 Laurent Dousset, « La sorcellerie en Mélanésie », L’Homme no 218, 2016, p. 95-115.

30 Julien Bondaz, « Entrer en collection. Pour une ethnographie des gestes et des techniques de collecte », Les Cahiers de l’École du Louvre. Recherches en histoire de l’art, histoire des civilisations, archéologie, anthropologie et muséologie no 4, 2014.

31 Nicholas Thomas, Entangled Objects: Exchanges, Material Cultures, and Colonialism in the Pacific, Cambridge, MA et Londres, Harvard University Press, 1991, p. 188 et C. Winkcle, art. cité note 28.

32 I. Kopytoff, art. cité note 6, p. 69.

33 Musée des Beaux-Arts de Chartres, fonds Bouge, carton blanc « Photographies Bouge + grands formats », portrait de Louis-Joseph Bouge « À Mademoiselle Emma Quille, Affectueusement, L.-J. Bouge, août 1914 ».

34 Sophie Chevalier, « Destins de cadeaux », Ethnologie française, vol. 28, no 4, 1998, p. 514.

35 Musée des Beaux-Arts de Chartres (1980), Le Pacifique, collection Bouge, Catalogue d’une exposition tenue au musée des Beaux-Arts de Chartes du 1er juillet au 30 septembre 1980.

Haut de page

Table des illustrations

Légende Figure 1. Bracelet, artiste anonyme, bois, nord du Vanuatu, Chartres, musée des Beaux-Arts, numéro d’inventaire : 84.1.OB.268. Diamètre : 8,5 cm. Photographie de l’auteur.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/34858/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 424k
Légende Figure 2. Enveloppe portant l’inscription « Bracelet en bois ayant appartenu à l'indigène Taga (île Aoba) impliqué dans l’assassinat du patron et du second du bateau recruteur La Perle. Août-septembre 1904 », papier et encre, Chartres, musée des Beaux-Arts, numéro d’inventaire : 84.1.OB.268. Dimensions : 10 x 10,5 cm. Photographie de l’auteur.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/34858/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 385k
Légende Figure 3. Étui d’herbe à magie, artiste anonyme, bambou et fibres végétales, Ambrym, Vanuatu, Chartres, musée des Beaux-Arts, numéro d’inventaire : 84.1.OB.305. Longueur : 6 cm. Photographie de l’auteur.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/34858/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 340k
Légende Figure 4. « Assassins du Capitaine et du second de La Perle à bord du Pacifique », artiste anonyme, photographie, Chartres, musée des Beaux-Arts. Dimensions : 7,2 x 9,4 cm.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/34858/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 651k
Légende Figure 5. « Dans le jardin du médecin détaché aux Nouvelles-Hébrides. Port-Vila, 1904 », artiste anonyme, photographie, Chartres, musée des Beaux-Arts. Dimensions : 13,7 x 10,8 cm. Photomontage de l’auteur isolant les portraits de Louis-Joseph Bouge et de Taga. Debout, de gauche à droite : deux matelots de la « Perle » originaires de Maewo, Agathon, un matelot de la « Perle » originaire de Pentecôte, waerene, Djimmy, [?], Marti, un matelot de la « Perle » originaire de Maewo, Reno et Baal. Assis, de gauche à droite : Dr Amigues, L.-J. Bouge, Charley. Au sol : deux femmes de [ ?], Taga, Mme Nariti, Léa.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/34858/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 470k
Légende Figure 6. « Portrait de Louis-Joseph Bouge », The Crown Studio, Sydney, photographie, Chartres, musée des Beaux-Arts. Dimensions : 28,5 x 24 cm.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/34858/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 425k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Elric Geraudie, « Le bracelet de Taga »Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 23 | 2024, mis en ligne le 12 décembre 2024, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/34858 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12ydm

Haut de page

Auteur

Elric Geraudie


Également guide conférencier, Elric Geraudie se spécialise en art de l’Océanie et en patrimoine et archéologie militaire à l’École du Louvre. En master 1, il a réalisé un mémoire sur la collection ni-vanuatu du musée des Beaux-Arts de Chartres, dirigé par Daria Cevoli et Stéphanie Leclerc-Caffarel. Au sein du parcours « Recherche en histoire de l’art appliquée aux collections », il s’intéresse à présent à la collection mélanésienne de Louis Joseph Bouge.

Tour guide-lecturer Elric Geraudie is specialising in the art of Oceania and military heritage and archaeology at the École du Louvre. For his Master 1, he wrote a dissertation, supervised by Daria Cevoli and Stéphanie Leclerc-Caffarel, on the Ni-Vanuatu collection at the Musée des Beaux-Arts de Chartres. As part of the “Recherche en histoire de l’art appliquée aux collections” programme, he is now examining Louis Joseph Bouge’s Melanesian collection.

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search